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24/10/2017 | CEDH | N°001-178315

CEDH | CEDH, AFFAIRE NESTERENKO ET GAYDUKOV c. RUSSIE, 2017, 001-178315


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE NESTERENKO ET GAYDUKOV c. RUSSIE

(Requêtes nos 20199/14 et 20655/14)

ARRÊT

STRASBOURG

24 octobre 2017

DÉFINITIF

24/01/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Nesterenko et Gaydukov c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Helena Jäderblom, présidente,
Branko Lubarda,
Luis López Guerra, <

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Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délib...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE NESTERENKO ET GAYDUKOV c. RUSSIE

(Requêtes nos 20199/14 et 20655/14)

ARRÊT

STRASBOURG

24 octobre 2017

DÉFINITIF

24/01/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Nesterenko et Gaydukov c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Helena Jäderblom, présidente,
Branko Lubarda,
Luis López Guerra,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 20199/14 et 20655/14) dirigées contre la Fédération de Russie et dont deux ressortissants de cet État, MM. Konstantin Ivanovich Nesterenko et Gennadiy Nikolayevich Gaydukov (« les requérants »), ont saisi la Cour le 19 février 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté initialement par M. G. Matiouchkine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par son représentant actuel, M. M. Galperine.

3. Les requérants alléguaient que les tribunaux avaient refusé d’examiner leur recours, ce qui, selon eux, avait porté atteinte à leur droit d’accès à un tribunal.

4. Le 2 février 2016, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont nés respectivement en 1973 et en 1965 et résident à Tikhoretsk (région de Krasnodar).

6. Les requérants sont militaires. Leur employeur, le ministère de la Défense, leur attribua des appartements régis par un contrat de « bail social » (договор социального найма).

7. Souhaitant obtenir la privatisation de ces appartements, les requérants adressèrent leurs demandes en ce sens à une société de droit public (Федеральное государственное учреждение « Южное региональное управление жилищного обеспечения ») (« la société gestionnaire ») désignée par le propriétaire, à savoir le ministère de la Défense, pour conclure les contrats de « bail social ». Cette société répondit aux requérants qu’elle n’était pas habilitée à exercer les pouvoirs du propriétaire en matière de privatisation. Elle précisa que, d’une part, les modalités de la privatisation n’étaient pas déterminées par la loi et, d’autre part, que le droit de propriété pourrait être reconnu par la voie judiciaire.

8. Les requérants adressèrent, en outre, leurs demandes au ministère de la Défense. Par une lettre du 29 janvier 2013, celui-ci leur répondit que les modalités de la privatisation étaient en cours d’élaboration et que le droit de propriété pourrait être conféré par la voie judiciaire.

9. Les requérants saisirent le tribunal de la ville de Tikhoretsk d’une action dirigée contre le ministère de la Défense, la société gestionnaire et l’administration de la ville de Tikhoretsk visant à la reconnaissance d’un droit de propriété sur leurs appartements.

10. Par des décisions avant dire droit du 24 juillet 2013, le tribunal déclara les recours irrecevables, en application de l’article 222 du code de procédure civile, au motif que les requérants n’avaient pas introduit un recours précontentieux avant la saisine de la justice. Le tribunal observa qu’en effet le ministère – propriétaire des appartements – avait répondu que, en l’absence du règlement administratif approprié, la privatisation était temporairement impossible. Il nota ensuite que, afin de réaliser la privatisation, la loi exigeait de procéder par la voie administrative et, seulement en cas de rejet de la demande précontentieuse, de former un recours judiciaire. Il conclut que, puisque le ministère n’avait pas opposé un rejet stricto sensu aux demandes de privatisation formulées par les requérants, l’exigence de l’exercice d’un recours précontentieux n’était pas satisfaite.

11. Les requérants interjetèrent appel. Contrairement à ce qu’avait estimé le tribunal, ils considéraient que la réponse du ministère de la Défense s’analysait en un rejet de leurs demandes de privatisation, lequel rejet, selon eux, leur permettait de saisir la justice. De plus, ils indiquaient que le tribunal de la ville n’avait pas mentionné la disposition légale en vertu de laquelle un recours précontentieux était obligatoire pour la saisine de la justice.

12. Le 5 septembre 2013, la cour régionale de Krasnodar confirma, en appel, les décisions attaquées.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

13. La loi du 4 juillet 1991 sur la privatisation du parc public des logements, dans sa rédaction du 20 mai 2002, dispose que l’administration compétente doit prendre une décision relative à la demande de privatisation dans un délai de deux mois après le dépôt du dossier (article 8 § 1 de la loi). En cas de violation de ses droits relatifs à la privatisation, la personne concernée peut former un recours judiciaire (article 8 § 3 de la loi).

14. Selon le paragraphe 8 de la directive de la présidence de la Cour suprême de Russie du 24 août 2013, relative à l’application de ladite loi, l’administration ne peut pas rejeter les demandes de privatisation des logements occupés au titre de cette loi, si de telles demandes ont été adressées à l’administration.

15. Selon l’article 222 alinéa 2 du code de procédure civile, l’instance s’éteint lorsque le demandeur n’a pas introduit un recours précontentieux dans les cas où cette voie préalable est obligatoire en vertu de la loi fédérale.

16. Selon l’article 223 § 2 dudit code, le demandeur peut réintroduire la demande une fois qu’il a été remédié aux manquements qui ont été constatés par un juge.

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

17. Compte tenu de la similitude des présentes requêtes quant aux faits et aux questions juridiques qu’elles posent, la Cour juge approprié de les joindre, en application de l’article 42 § 1 de son règlement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

18. Les requérants allèguent que leurs recours judiciaires n’ont pas été examinés sur le fond, ce qui aurait porté atteinte à leur égard au droit d’accès à un tribunal prévu par l’article 6 § 1 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée en son passage pertinent en l’espèce:

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Thèses des parties

19. Le Gouvernement conteste la thèse des requérants ; pour ce faire, il avance deux motifs d’irrecevabilité. Dans ses observations initiales, le Gouvernement invite la Cour à conclure à un défaut manifeste de fondement des requêtes. Selon lui, d’après la législation en vigueur, notamment la loi relative à la privatisation, la décision de privatisation doit être prise dans un délai de deux mois après l’introduction de la demande. C’est uniquement en cas de rejet d’une telle demande que le plaignant peut introduire un recours contentieux. Or, en l’espèce, les réponses des autorités compétentes ne constituaient pas un rejet stricto sensu des demandes formulées par les requérants et, par conséquent, l’absence d’une réponse explicite empêchait la saisine du tribunal. En même temps, se référant à l’article 223 du code de procédure civile (paragraphe 16 ci-dessus), le Gouvernement indique que les requérants ne sont pas dépourvus de la possibilité de réintroduire la même demande une fois qu’il aura été remédié aux manquements constatés par le juge. Enfin, le Gouvernement est d’avis que la présente situation se rapproche de celle observée dans l’affaire Momčilović c. Croatie (no 11239/11, §§ 17, 52 et 56, 26 mars 2015) et précise, à cet égard que, dans celle-ci, la procédure administrative de règlement du litige préalable à la saisine du tribunal a été considérée comme conforme à l’article 6 § 1 de la Convention. Ainsi, il estime que les requérants peuvent saisir à nouveau les tribunaux.

20. Le Gouvernement ajoute que, dans l’attente de l’élaboration par le ministère de la Défense d’un règlement administratif régulant les modalités de la privatisation, une telle privatisation est possible par la voie judiciaire.

21. Dans ses observations complémentaires, le Gouvernement invite la Cour à déclarer que ce grief est incompatible ratione materiae avec la Convention. Se référant aux décisions Melnik c. Russie (no 2062/03, (déc.), 8 janvier 2009) et Pătrînjei c. Roumanie (no 54950/07, (déc.), 28 janvier 2014), et aux arrêts Balakin c. Russie (no 21788/06, 4 juillet 2013) et Roche c. Royaume-Uni ([GC], no 32555/96, CEDH 2005‑X), il estime qu’il n’y a pas de litige, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. À cet égard, il précise que les requérants occupent leurs appartements en vertu du contrat de « bail social » applicable en l’espèce et qu’ils peuvent y résider à ce titre, sans être dérangés, dans l’attente de l’élaboration d’un règlement administratif pertinent mettant en place les modalités pratiques du droit à la privatisation garanti par la loi.

22. Les requérants soutiennent que les autorités nationales leur ont fourni des réponses contradictoires et que celles-ci les ont « fait entrer dans un cercle vicieux ». En effet, ils indiquent que, faute de réglementation pertinente, leurs demandes de privatisation déposées auprès de l’administration n’ont pas été examinées sur le fond, que cette dernière leur a conseillé de saisir la justice, mais que leurs demandes en justice ont été rejetées pour cause de non-exercice de la voie administrative.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

23. La Cour se penche sur la question de savoir s’il y a, en l’espèce, une contestation relative à des « droits et obligations de caractère civil » appelant une protection de l’article 6 § 1 de la Convention.

24. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’article 6 § 1 de la Convention n’assure par lui-même aux « droits et obligations » de caractère civil aucun contenu matériel déterminé dans l’ordre juridique des États contractants et ne vaut que pour les contestations relatives à des « droits et obligations de caractère civil » qui sont, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne (Fogarty c. Royaume-Uni [GC], no 37112/97, § 24, CEDH 2001‑XI (extraits), Z. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, CEDH 2001, § 87, et Károly Nagy c. Hongrie [GC], no 56665/09, § 60, 14 septembre 2017). Elle ne saurait créer, par voie d’interprétation de l’article 6 § 1, un droit matériel n’ayant aucune base légale dans l’État concerné (Roche, précité, §§ 116-117). Pour apprécier s’il existe un « droit » de caractère civil, il faut prendre pour point de départ les dispositions du droit national pertinent et l’interprétation qu’en font les juridictions internes (Markovic et autres c. Italie [GC], no 1398/03, § 95, CEDH 2006‑XIV, et Regner c. République tchèque [GC], no 35289/11, § 100, 19 septembre 2017).

25. En l’espèce, la Cour observe que ni au niveau national, ni devant elle, les autorités nationales n’ont contesté le droit des requérants à une privatisation de leurs logements (paragraphes 7, 10 et 19 ci-dessus). Bien au contraire, les autorités ont systématiquement confirmé que l’obstacle à la privatisation était une entrave de nature purement technique, à savoir l’absence d’un règlement administratif pertinent, alors en cours d’élaboration. De ce point de vue, cette affaire se différencie de l’affaire ayant donné lieu à la décision Melnik (précitée), dans laquelle il était incontestable que le logement du requérant était exclu de la liste des biens pouvant faire l’objet d’une privatisation. En outre, le Gouvernement reconnait que les requérants peuvent réintroduire la même demande une fois le recours précontentieux exercé (paragraphe 19 ci-dessus). La Cour conclut que le droit matériel existe dans l’ordre juridique national.

26. S’agissant enfin de l’objection relative à l’absence d’un litige entre les parties (paragraphe 21 ci-dessus), la Cour considère, contrairement au Gouvernement, qu’il y a eu, en l’espèce, un net désaccord, ne serait-ce qu’implicite, entre les requérants et le défendeur à l’instance, à savoir le propriétaire des logements, concernant la privatisation. En effet, bien que non exprimée en termes explicites, la réponse du propriétaire consistait néanmoins en un refus d’accueillir les demandes de privatisation (paragraphe 10 ci-dessus).

27. Partant, la Cour rejette l’objection préliminaire du Gouvernement et déclare l’applicabilité de l’article 6 de la Convention.

28. Constatant que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elles ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

2. Sur le fond

29. La Cour rappelle que le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, doit s’interpréter à la lumière du principe de la prééminence du droit, qui exige l’existence d’une voie judiciaire effective permettant de revendiquer les droits civils (Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 49, CEDH 2002-IX). Chaque justiciable dispose du droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. C’est ainsi que l’article 6 § 1 consacre le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès – à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile – ne constitue qu’un aspect (Cudak c. Lituanie [GC], no 15869/02, § 54, CEDH 2010, et Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 36, série A no 18). Cependant, le droit d’accès à un tribunal, reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention, n’est pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises. Les États contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient en revanche à la Cour de vérifier que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation au droit d’accès à un tribunal ne se concilie avec l’article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Al-Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse [GC], no 5809/08, § 129, CEDH 2016).

30. En l’espèce, la Cour considère que l’obligation d’introduire un recours précontentieux est indubitablement une limitation au droit d’accès à un tribunal ; dès lors, elle se doit d’examiner si celle-ci n’a pas atteint le droit en question dans sa substance même (Momčilović, précité, § 45).

31. La Cour relève que le Gouvernement ne mentionne pas un but légitime particulier poursuivi par les décisions judiciaires contestées. Elle estime cependant que, en se référant à l’arrêt Momčilović (précité), il renvoie, implicitement, aux buts indiqués dans ce dernier, notamment la bonne administration de la justice et, plus particulièrement, le désengorgement du rôle des tribunaux de demandes susceptibles d’être réglées à l’amiable (idem, § 46).

32. La Cour note que, en l’espèce, les parties sont en désaccord sur le point de savoir si les requérants ont satisfait à leur obligation d’exercer un recours précontentieux. Le Gouvernement estime que tel n’est pas le cas, au motif que la réponse de l’administration n’était pas explicitement négative. Les requérants affirment au contraire que l’absence de réponse positive s’analysait en un rejet de leurs demandes.

33. La Cour considère que, en l’absence d’un règlement administratif précis, les requérants ont agi de bonne foi en introduisant un recours précontentieux auprès de l’autorité administrative qu’ils estimaient être compétente et en saisissant ensuite le tribunal à la réception de la réponse implicitement négative – ce qui était d’ailleurs préconisé par l’administration elle-même (paragraphe 8 ci-dessus).

34. La Cour estime que, dans les circonstances particulières de cette affaire, la réaction des juridictions nationales (paragraphes 10 et 12 ci‑dessus) consistant à exiger la présentation d’une réponse négative, qui plus est, sous une forme particulière revient à faire dépendre le droit d’accès à un tribunal d’un élément qui échappe complètement au pouvoir des requérants. De ce point de vue, la possibilité, préconisée par le Gouvernement, de la réintroduction du même recours une fois le recours précontentieux rejeté, cette fois-ci de manière explicite, est à même de faire courir le risque d’un nouveau rejet pour le même motif (voir, a contrario, Momčilović, précité, § 50, affaire dans laquelle les requérants avaient retiré leur premier recours judiciaire et en avaient déposé un second sept ans plus tard sous le régime du nouveau code de procédure civile. Dans la situation bien particulière de cette affaire, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas de continuité entre la première et la seconde procédure judiciaire, et que, par conséquent, les requérants auraient dû encore une fois exercer un recours précontentieux avant de saisir la justice).

35. En l’occurrence, la Cour considère que les refus judiciaires d’examiner les demandes de privatisation n’ont pas été proportionnés au but de garantir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice. Partant, elle conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention au regard du droit d’accès des requérants à un tribunal.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

36. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

37. Au titre du préjudice matériel qu’ils estiment avoir subi, les requérants réclament les sommes suivantes : 21 688 euros (EUR) pour M. Nesterenko et 23 240 EUR pour M. Gaydukov. Ils précisent que ces sommes correspondent à la valeur des appartements dont ils estiment avoir droit à la privatisation et que la propriété de ceux-ci leur aurait certainement été conférée s’il n’y avait pas eu de violation de l’article 6 de la Convention.

38. Les requérants réclament en outre 3 000 EUR chacun au titre du préjudice moral qu’ils disent avoir subi.

39. Le Gouvernement considère qu’il n’y a aucun lien entre le dommage matériel prétendument subi et la violation alléguée de la Convention. S’agissant du dommage moral, il estime que les sommes réclamées sont excessives et dénuées de tout fondement.

40. La Cour rappelle qu’elle a conclu en l’espèce à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de l’absence d’accès à un tribunal. En ce qui concerne le préjudice matériel allégué, la Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel les juridictions nationales auraient abouti si elles avaient examiné les recours sur le fond. Par conséquent, elle rejette la demande relative au dommage matériel.

41. Quant au préjudice moral allégué, la Cour considère que les intéressés ont en effet connu une frustration et un sentiment d’injustice qui ne sauraient être réparés par le seul constat de violation. Elle estime toutefois que les sommes réclamées sont excessives. Eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose, elle considère qu’il y a d’allouer 2 500 EUR à chaque requérant au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

42. M. Nesterenko demande également 724,14 EUR, dont 264,59 EUR pour les frais engagés au niveau national et 459,55 EUR pour les frais de représentation devant la Cour, notamment pour la préparation du formulaire de requête. Quant à M. Gaydukov, il demande 851,83 EUR, dont 642,95 EUR pour les frais engagés au niveau national et 208,88 EUR pour les frais de représentation devant la Cour, notamment pour la préparation du formulaire de requête.

43. Le Gouvernement est d’avis que, en ce qui concerne M. Nesterenko, les services de représentation au niveau national ne doivent pas faire l’objet d’un remboursement. S’agissant de M. Gaydukov, il indique que les frais réclamés ne sont pas liés au contrat de prestation de services juridiques, dont la copie est versée au dossier. En outre, le Gouvernement expose que les requérants ont déclaré deux personnes comme étant leurs représentants devant la Cour et qu’il n’y a pas de procurations confirmant les pouvoirs de ces personnes. Enfin, le Gouvernement indique que les requérants ont versé au dossier des traductions non certifiées des contrats de représentation et des reçus de paiement, et non des originaux. Il considère dès lors que les demandes formulées au titre des frais et dépens sont dénuées de fondement.

44. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, il ressort des documents fournis par les intéressés que ceux-ci n’ont été représentés par les personnes indiquées dans les contrats susmentionnés ni devant les instances judiciaires nationales ni devant la Cour. En effet, les formulaires et observations présentés à la Cour ont été rédigés et signés par les requérants eux-mêmes, et non par des représentants. Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour rejette donc la demande des requérants au titre des frais et dépens.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes nos 20199/14 et 20655/14 ;

2. Déclare les requêtes recevables ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit que l’État défendeur doit verser à chaque requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsHelena Jäderblom
GreffierPrésidente


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