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05/10/2017 | CEDH | N°001-177711

CEDH | CEDH, AFFAIRE VARADINOV c. BULGARIE, 2017, 001-177711


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE VARADINOV c. BULGARIE

(Requête no 15347/08)

ARRÊT

STRASBOURG

5 octobre 2017

DÉFINITIF

05/01/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Varadinov c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Erik Møse,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary, <

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Lәtif Hüseynov, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 s...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE VARADINOV c. BULGARIE

(Requête no 15347/08)

ARRÊT

STRASBOURG

5 octobre 2017

DÉFINITIF

05/01/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Varadinov c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Erik Møse,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lәtif Hüseynov, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 septembre 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 15347/08) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. Pavel Georgiev Varadinov (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 février 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me V. Stoyanov, avocat à Pazardzhik. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme K. Radkova, du ministère de la Justice.

3. Le requérant allègue en particulier qu’il a été privé du droit d’accès à un tribunal pour contester une décision administrative lui infligeant une sanction pour infraction routière, accompagnée d’un retrait de points de la fiche de son permis de conduire. Il invoque à cet égard les articles 6, 8 et 13 de la Convention.

4. Le 2 décembre 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1981 et réside à Brestovitsa.

6. Le 16 septembre 2007 à environ 11 heures 20, alors qu’il venait d’arrêter son véhicule dans une rue de Plovdiv, le requérant fut contrôlé par des agents de la police routière. Ceux-ci établirent un acte constatant la commission d’une infraction administrative (акт за установяване на административно нарушение) pour arrêt ou stationnement à un endroit où la présence d’un véhicule créait un danger ou un obstacle pour la circulation, visée dans l’article 98, alinéa 1, point 1 de la loi sur la circulation routière. Le requérant signa l’acte précisant que l’endroit en question n’était pas signalé par un panneau de circulation.

7. Le 17 septembre 2007, le requérant soumit des objections écrites au directeur de la police régionale.

8. Par une décision (наказателно постановление) du 21 septembre 2007, le directeur de la police régionale infligea au requérant une sanction administrative sous la forme d’une amende d’un montant de 50 levs bulgares (BGN), soit environ 25 euros (EUR), couplée d’un retrait de cinq points de contrôle (контролни точки) de la fiche accompagnant le permis de conduire.

9. Le 15 octobre 2007, le requérant introduisit un recours devant le tribunal de district de Plovdiv en exposant que le véhicule n’était pas en stationnement et qu’il n’avait pas créé une situation de danger pour autrui. Lors de l’audience fixée le 11 décembre 2007, le tribunal de district mit fin à la procédure en application de l’article 189 de la loi sur la circulation routière selon lequel les décisions imposant une amende inférieure à 50 BGN ne pouvaient pas faire l’objet d’un examen judiciaire.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La loi sur la circulation routière (Закон за движението по пътищата) du 5 mars 1999

10. Les dispositions pertinentes de cette loi sont ainsi rédigées :

Article 6

« Les usagers de la circulation :

1. adaptent leur comportement aux (...) panneaux de signalisation et au marquage au sol :

(...) »

Article 98

« (1) L’arrêt et le stationnement ne sont pas autorisés :

1. à un endroit où le véhicule crée un danger ou représente un obstacle, ou cache un panneau ou une signalisation de la vue des autres usagers de la circulation ;

(...) »

Article 180

« (1) Sera puni d’une amende allant de 20 à 150 BGN tout conducteur qui :

1. contrevient aux règles d’usage des feux du véhicule, d’arrêt ou de stationnement, de circulation sur la route (...), lorsque la contravention a pour effet de créer un danger immédiat pour la circulation ;

(...) »

B. Le régime du permis de conduire, accompagné de fiche à points de contrôle

11. La fiche à points de contrôle des infractions routières commises, partie intégrante du permis de conduire, trouve sa base légale dans l’article 157 de la loi sur la circulation routière de 1999. Cette disposition est entrée en vigueur le 1er janvier 2000 et a été ultérieurement amendée en 2002 et en 2007. Elle prévoit, dans son alinéa 3, que le ministre de l’Intérieur détermine le nombre initial maximal des points de contrôle, les conditions et la procédure pour leurs retrait et rétablissement, la liste des infractions pour la commission desquelles le conducteur peut se voir retirer des points, et enfin, les conditions et la procédure selon lesquelles une formation supplémentaire peut être effectuée pour l’obtention d’un nouveau permis.

12. Au cours de la période pertinente, à savoir 2007 – 2011, deux décrets de mise en œuvre de l’article 157, alinéa 3 sont intervenus successivement. Le premier était en vigueur du 4 octobre 2002 au 15 février 2008, et le deuxième à partir de cette dernière date jusqu’au 4 février 2013. Un autre décret en vigueur depuis cette date régit la matière à présent.

13. Aux termes de l’ensemble de ces dispositions, le permis de conduire est accompagné d’une fiche affectée de 39 points de contrôle. Ce total de points est réduit de plein droit sur le fondement d’une décision de police devenue définitive selon laquelle le titulaire du permis est l’auteur d’une des infractions routières désignées explicitement dans le décret d’application de la loi. Les infractions visées aux articles 179 à 183 de la loi sur la circulation routière font partie de cette liste. Les organes chargés de prononcer la sanction sont tenus d’appliquer le retrait de points tel que défini par ce dispositif.

14. Lorsqu’un acte de police constatant une infraction aux règles de la circulation est établi, les organes de police conservent la fiche à points de contrôle du conducteur. L’acte de police remplace cette fiche pendant une durée d’un mois et permet au conducteur de continuer à conduire. La fiche à points de contrôle est remise au conducteur au moment de la notification de la décision relative à la sanction et à condition que celui-ci s’acquitte de l’amende. En cas de non-paiement, la décision de police remplace la fiche à points de contrôle pour une durée d’un mois comme suit : a) en cas de non‑contestation auprès des juridictions ce délai court à compter du moment où la décision devient définitive, ou b) en cas de contestation de la décision, ce délai début à la date de la décision définitive des tribunaux.

15. Un conducteur qui s’est vu retirer tous les points de contrôle perd la capacité de conduire et est tenu de remettre son permis aux services de police. Il a le droit de se présenter à nouveau aux examens de conduite après l’écoulement d’un délai de six mois à partir de la date de la remise du permis.

C. Le contrôle des décisions infligeant des sanctions administratives pour des infractions routières

16. Les actes et les décisions administratives relatifs aux infractions routières sont établis sur le fondement de la loi sur la circulation routière et de la loi sur les infractions et les sanctions administratives (Закон за административните нарушения и наказания) du 28 novembre 1969.

17. En vertu de l’article 189 de la loi sur la circulation routière les faits constitutifs d’une infraction routière sont établis dans un acte émanant des organes du ministère de l’Intérieur. La véracité des faits constatés est présumée jusqu’à la preuve du contraire. En application de l’article 44 de la loi sur les infractions et les sanctions administratives, la personne visée comme auteur d’une infraction peut faire des objections notées dans l’acte et/ou présentées dans un délai de trois jours. L’acte signé, accompagné le cas échéant des objections, des preuves et d’autres annexes au dossier, est envoyé auprès des organes compétents pour imposer des sanctions administratives - en l’occurrence les organes de la police. Les articles 52 et 53 de cette dernière loi prévoient que ces organes apprécient le dossier et prononcent, par une décision, la sanction pénale s’ils constatent qu’une infraction a été commise.

18. Un amendement à l’article 189 de la loi sur la circulation routière intervenu le 26 juin 2007 prévoyait que les décisions infligeant une amende inférieure à 50 BGN (environ 25 EUR) ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle, excluant ainsi le recours auprès des juridictions. Cette disposition a fait l’objet d’un examen par la Cour constitutionnelle qui l’a déclarée contraire à la Constitution par une décision rendue le 1er mars 2012. La Cour constitutionnelle considéra en particulier que l’activité administrative liée à la répression des infractions routières était de nature pénale. Dès lors, toute sanction sous la forme d’une amende dans ce domaine impliquait pour la personne concernée le droit d’accès à un tribunal pour faire contrôler la légalité de cette mesure. Le faible montant de l’amende ou le caractère mineur de l’infraction ne sauraient être vus comme des motifs permettant d’exclure ce droit, une telle restriction n’étant pas, selon la Cour constitutionnelle, compatible avec l’esprit de la Convention, notamment ses articles 6 et 35 § 3 b) et avec l’article 56 de la Constitution proclamant le droit à la défense de tout citoyen.

19. Par ailleurs, aux termes de l’article 151, alinéa 2 de la Constitution de 1991, les décisions de la Cour constitutionnelle entrent en vigueur trois jours après leur promulgation dans le Journal Officiel. Les actes ou leurs parties déclarées inconstitutionnels ne s’appliquent plus à partir de cette date. Partant, les décisions de la Cour constitutionnelles n’ont d’effet que pour l’avenir. Enfin, l’article 70 de la loi sur les infractions et les sanctions administratives prévoit de manière exhaustive les cas dans lesquels le procureur régional peut demander, selon l’article 72 de cette loi, la réouverture des procédures administratives terminées par des décisions administratives définitives ou des décisions judiciaires mettant fin à la procédure. Cette liste n’inclut pas la déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition légale comme motif de réouverture d’une procédure.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

20. Le requérant allègue que l’absence de tout examen juridictionnel de la décision lui infligeant une amende contraventionnelle, couplée au retrait de points de la fiche de contrôle de son permis de conduire a constitué une atteinte à ses droits protégés par les articles 6, 8 et 13 de la Convention en ce qu’il n’a pas pu faire entendre équitablement sa cause par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi. La Cour estime que ces allégations doivent être examinées sur le terrain de l’article 6 de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...). »

21. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

22. Le Gouvernement soulève trois exceptions d’irrecevabilité de ce grief tirées de l’absence d’un « préjudice important » pour le requérant (article 35 § 3 b) de la Convention), de l’absence de la qualité de victime pour celui-ci et du non épuisement des voies de recours internes.

1. Article 35 § 3 b) de la Convention

23. Le Gouvernement estime d’abord que le requérant n’a subi aucun « préjudice important » tel que visé par l’article 35 § 3 b) de la Convention (voir, parmi d’autres, Adrian Mihai Ionescu c. Roumanie (déc.), no 36659/04, 1er juin 2010, et Korolev c. Russie (déc.), no 25551/05, CEDH 2010). Il met en avant en particulier que le requérant ne prétend pas avoir subi un impact sur sa situation économique, de par l’amende imposée, tel que l’issue du litige aurait eu des répercussions importantes sur sa vie personnelle. Le Gouvernement ajoute qu’il n’est pas nécessaire pour la Cour d’adopter en l’espèce une décision de principe indiquant aux juridictions nationales la jurisprudence sur l’application de l’article 6 dans des cas similaires. Il se réfère en effet à la décision de la Cour constitutionnelle du 1er mars 2012 déclarant contraire à la Constitution la disposition excluant le recours juridictionnelle contre les amendes contraventionnelles de faible montant (paragraphe 18 ci-dessus) et conclut que cette protection judiciaire est désormais garantie en droit bulgare.

24. Le requérant réplique que dans la mesure où la Cour constitutionnelle et la Cour suprême de cassation reconnaissent le caractère pénal de la sanction, le faible montant de l’amende ne peut faire entrer en jeu le critère d’irrecevabilité lié à l’importance du préjudice subi.

25. La Cour note que le grief du requérant porte sur l’absence d’un recours judiciaire permettant de contester l’amende qui lui a été infligée d’un montant d’environ 25 EUR, couplée à un retrait automatique de cinq points de contrôle de la fiche accompagnant son permis de conduire. Elle remarque à cet égard que rien ne permet d’établir que la sanction imposée au requérant ait eu, dans les circonstances de l’espèce, des conséquences significatives sur sa situation personnelle, et rappelle sa jurisprudence constante que le fait qu’un requérant considère la solution de son litige comme une question de principe ne saurait suffire à cet égard (Korolev v. Russia (déc.), no. 25551/05, 1er juillet 2010, et Fernandez c. France (déc.), no 65421/10, 17 janvier 2012). La Cour estime toutefois qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de l’existence ou non d’un préjudice important pour le requérant dans la mesure où il apparaît que le cas d’espèce ne correspond pas à une des deux clauses de sauvegarde énoncées dans l’article 35 § 3 b), précisément celle qui exige que l’affaire ait été « dûment examinée » par un tribunal interne (Adrian Mihai Ionescu (déc.), précitée, et Giuran c. Roumanie, no 24360/04, § 24, CEDH 2011 (extraits). En effet, la Cour observe que le grief du requérant consiste à dénoncer l’exclusion même de l’examen de son cas par les juridictions et que l’accès à un tribunal lui a été explicitement refusé (paragraphe 9 ci‑dessus). La Cour note qu’à aucune autre occasion les tribunaux internes ne se sont prononcés sur les allégations du requérant.

26. En conséquence, au moins une des conditions du critère de recevabilité visé l’article 35 § 3 b) n’étant pas remplie, la Cour ne recherchera pas la présence des deux autres, et rejette l’exception du Gouvernement soulevée à cet égard.

2. Sur la qualité de victime du requérant

27. Le Gouvernement poursuit que le requérant n’aurait plus la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention estimant que la décision de la Cour constitutionnelle avait pour effet de rendre la décision de la police régionale, ainsi que la procédure respective nulles.

28. Le requérant considère qu’à défaut d’effet rétroactif des décisions de la Cour constitutionnelle, il n’a pas perdu sa qualité de victime au regard de la Convention en raison de la décision du 1er mars 2012 de cette cour. De même, il conteste l’affirmation du Gouvernement que l’acte de police le concernant serait devenu nulle en raison de cette même décision.

29. La Cour note que la question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si le requérant a perdu sa qualité de victime compte tenu de la décision de la Cour constitutionnelle déclarant contraire à la Constitution l’article 189 de la loi sur la circulation routière. Elle rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant peut perdre la qualité de victime d’une violation, au sens de l’article 34 de la Convention, si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé cette violation (voir parmi beaucoup d’autres, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III, et Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 180, CEDH 2006‑V).

30. Se tournant vers le cas qui lui est soumis, la Cour observe que par une décision du 11 décembre 2007, le tribunal de district refusa d’examiner le grief du requérant au fond, en application de la loi en vigueur. La disposition en cause a été déclaré contraire à la Constitution par la Cour constitutionnelle le 1er mars 2012, soit plus de quatre ans plus tard. Il apparaît à la Cour, et le Gouvernement ne présente pas d’arguments pertinents prouvant le contraire, que la décision de la Cour constitutionnelle a pour effet de rendre cette disposition inapplicable uniquement à l’avenir (paragraphe 19 ci-dessus) et que dès lors le requérant n’a pas pu bénéficier du changement législatif. Par ailleurs, le gouvernement n’a pas démontré qu’il existait une procédure ou une pratique judiciaire selon lesquelles, dans des cas comme celui en l’espèce, les personnes concernées pouvaient chercher une indemnisation pour avoir subi des dommages en raison de l’application de lois qui ont été abrogées ou déclarées contraires à la Constitution à une date postérieure aux faits allégés. De même, il n’apparaît pas que le requérant ait bénéficié d’une reconnaissance explicite de violation de ses droits protégés par l’article 6.

31. La Cour estime dès lors qu’il peut toujours se prétendre victime au sens de la Convention et rejette l’exception du Gouvernement.

3. Sur l’épuisement des voies de recours internes

32. Enfin, le Gouvernement soumet une exception tiré du non‑épuisement des voies de recours internes. Il considère que le requérant aurait pu s’adresser aux tribunaux internes par le biais d’une demande de réouverture de la procédure sur l’imposition de la sanction administrative, fondée sur l’article 70 de la loi sur les infractions et les sanctions administratives, afin que ces tribunaux constatent la nullité de la décision litigieuse du directeur de la police. Cette nullité aurait trouvé son fondement dans le fait que l’article 189 de la loi sur la circulation routière a été déclaré contraire à la Constitution par la Cour constitutionnelle. Si le requérant avait obtenu ce constat, il aurait pu, selon le Gouvernement, demander une indemnisation pour le préjudice encouru.

33. Le requérant conteste cette thèse.

34. Sur ce point, la Cour observe que l’absence alléguée de tout recours juridictionnel pour faire examiner la décision du directeur de la police se trouve au cœur du grief du requérant tiré de l’article 6.

35. Il convient dès lors de joindre cette exception soulevée par le Gouvernement à l’examen au fond du grief tiré de l’article 6.

4. Conclusion quant à la recevabilité

36. La Cour constate par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable, sous réserve de la question de l’épuisement des voies de recours internes, jointe à l’examen au fond de ce grief.

B. Sur le fond

37. Le requérant considère que la législation applicable excluant explicitement le contrôle judiciaire de la légalité de la sanction imposée a créé pour lui une situation contraire à l’article 6 lui garantissant le droit de faire examiner sa cause par un tribunal.

38. Le Gouvernement estime, à la lumière de la décision de la Cour constitutionnelle du 1er mars 2012 (paragraphe 18 ci-dessus), que la procédure d’imposition de la sanction en cause relève de la matière pénale et elle devait dès lors comprendre une phase judiciaire, au regard des exigences de l’article 6 de la Convention. Il ne conteste pas le fait que le requérant a été privé de contrôle judiciaire et justifie cette situation par l’état de la législation applicable. Il met en avant que le tribunal de district dont la compétence était expressément exclue par la loi ne pouvait faire autrement que déclarer le recours irrecevable et mettre fin à la procédure (paragraphe 9 ci-dessus).

39. La Cour rappelle, à l’instar des affaires similaires examinées par elle, que le caractère général de la disposition légale transgressée par le requérant dans la présente espèce, ainsi que l’objectif dissuasif et punitif de la sanction infligée, malgré la faiblesse relative de l’enjeu, suffisent à montrer que les infractions en question revêtaient un caractère pénal au regard de l’article 6 de la Convention (Öztürk c. Allemagne, 21 février 1984, §§ 53‑54, série A no 73, et Lauko c. Slovaquie, 2 septembre 1998, §§ 56-58, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI). De surcroît, la sanction litigieuse comportait le retrait de points du permis de conduire et peut donc relever de la « matière pénale » au sens de l’article 6 § 1 pour cette raison également (Malige c. France, 23 septembre 1998, §§ 35-40, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII). La Cour observe à ce titre que dans le système bulgare le retrait de points intervient de plein droit dès qu’une décision relative à l’infraction et infligeant une amende, telle que celle en cause, devient définitive (paragraphe 13 ci-dessus). La Cour relève par ailleurs que ce retrait des points peut entraîner à terme la perte de la validité du permis de conduire. Il est incontestable que le droit de conduire un véhicule à moteur se révèle d’une grande utilité pour la vie courante et l’exercice d’une activité professionnelle. Dès lors, même si la mesure de retrait de points est considérée par le droit interne comme une mesure administrative préventive ne ressortissant pas à la matière pénale, force est de constater son caractère punitif et dissuasif (Malige c. France, précité, § 39).

40. Par conséquent, il ne fait pas de doute que l’article 6 trouve à s’appliquer en l’espèce.

41. La Cour relève ensuite que les directions régionales de police, structures du ministère de l’Intérieur, sont chargées de poursuivre et de réprimer les infractions routières. Selon la jurisprudence établie, si confier cette tâche aux autorités administratives n’est pas incompatible avec la Convention, il faut cependant que les intéressés puissent saisir de toute décision ainsi prise à leur encontre un tribunal offrant les garanties de l’article 6 (Öztürk c. Allemagne, précité, § 56, et Lauko c. Slovaquie, précité, § 64).

42. Or, en l’occurrence, le requérant n’a pas pu faire réexaminer la décision du directeur de la police régionale datée du 21 septembre 2007 par un tribunal indépendant et impartial car cette possibilité a été exclue par l’article 189 de la loi sur la circulation routière, tel qu’amendé le 26 juin 2007, en vigueur à la date des faits pertinents, et le tribunal de district de Plovidiv a rejeté son recours pour ce même motif.

43. La Cour note aussi l’argument du Gouvernement selon lequel une demande de réouverture de la procédure fondée sur l’article 70 de la loi sur les infractions et les sanctions administratives pouvait fournir au requérant l’accès à un tribunal tel que prévu par l’article 6 (paragraphes 19 et 32 ci‑dessus). À cet égard la Cour se doit de constater d’emblée que les décisions de la Cour constitutionnelle ont un effet ex nunc et qu’il ne peut dès lors être conclu que l’article 189 de la loi sur la circulation routière n’était pas valide au moment des faits litigieux. Elle relève ensuite que l’article 70 de la loi sur les infractions et les sanctions administratives ne prévoit pas la possibilité de réouverture d’une procédure administrative au motif qu’une disposition légale a été déclarée contraire à la Constitution postérieurement à une procédure administrative et qu’en tout état de cause une telle demande ne peut être déposée que par le procureur régional (paragraphe 19 ci-dessus). Dans ces conditions, il semble que ni l’accès à ce recours ni son contenu soient ouverts au requérant et le Gouvernement ne présente aucun exemple jurisprudentiel prouvant le contraire. La Cour ne saurait spéculer plus loin sur la question de savoir si le requérant aurait pu obtenir un réexamen judiciaire sur la légalité de la sanction litigieuse, conforme aux exigences de l’article 6. Elle se doit dès lors de conclure que, même si la disposition légale fermant l’accès aux juridictions pour contester la décision du directeur de la police a été déclarée contraire à la Constitution par la Cour constitutionnelle bulgare, le 1er mars 2012, ce changement n’a pas bénéficié au requérant (voir aussi paragraphe 30 ci-dessus).

44. Elle observe par ailleurs que le Gouvernement n’invoque pas d’autres recours qui auraient pu offrir au requérant l’accès à la justice judiciaire pour vérifier la légalité de la sanction imposée par la directeur de la police.

45. Dans cette situation, la Cour estime qu’il y a eu méconnaissance du droit du requérant à faire entendre sa cause par un tribunal indépendant et impartial.

46. Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée du non‑épuisement des voies de recours internes et dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

47. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

48. Le requérant réclame 1 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

49. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

50. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour estime que le constat de violation constitue une réparation suffisante.

B. Frais et dépens

51. Le requérant demande également 300 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour pour sa représentation. Il présente une note de frais de conseil et de représentation pour un total de trois heures environ.

52. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

53. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 300 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

54. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement, et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ;

4. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme suivante, à convertir en levs bulgares, au taux applicable à la date du règlement : 300 EUR (trois cents euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 octobre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Milan BlaškoAngelika Nußberger
Greffier adjointPrésidente


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