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20/06/2017 | CEDH | N°001-174423

CEDH | CEDH, AFFAIRE CUMHURİYETÇİ EĞİTİM VE KÜLTÜR MERKEZİ VAKFI c. TURQUIE, 2017, 001-174423


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE CUMHURİYETÇİ EĞİTİM VE KÜLTÜR

MERKEZİ VAKFI c. TURQUIE

(Requête no 32093/10)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

20 juin 2017

DÉFINITIF

20/09/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Cumhuriyetçi Eğitim Ve Kültür Merkezi Vakfı c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

R

obert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Hasa...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE CUMHURİYETÇİ EĞİTİM VE KÜLTÜR

MERKEZİ VAKFI c. TURQUIE

(Requête no 32093/10)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

20 juin 2017

DÉFINITIF

20/09/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Cumhuriyetçi Eğitim Ve Kültür Merkezi Vakfı c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 mai 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 32093/10) dirigée contre la République de Turquie et dont une fondation de droit turc, Cumhuriyetçi Eğitim Ve Kültür Merkezi Vakfı (« la requérante »), a saisi la Cour le 7 mai 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 2 décembre 2014 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 9 dans la mesure où, en droit turc, le régime d’octroi de dispense du paiement des factures d’électricité pour les lieux de culte opérait une discrimination fondée sur la religion. En outre, elle a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 9 de la Convention (Cumhuriyetçi Eğitim ve Kültür Merkezi Vakfı c. Turquie, no 32093/10, 2 décembre 2014).

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, la fondation requérante demandait en réparation de son préjudice matériel le remboursement de toutes les factures d’électricité déjà acquittées pour tous les cemevis (lieux de culte des alévis) relevant de sa gestion, ainsi que du montant des factures non encore acquittées relatives au Yenibosna Pir Koca Ahmet Yesevi Cem Kültür Merkezi (le centre culturel du cem de Pir Koca Ahmet Yesevi Yenibosna – « le centre de Yenibosna »). Elle réclamait également une certaine somme pour préjudice moral. Enfin, elle a demandé à la Cour d’inviter le Gouvernement défendeur à négocier les modalités de la création d’un régime de dispense conforme aux conclusions de l’arrêt au principal.

4. Dans son arrêt au principal, la Cour a estimé que l’affaire dont elle avait été saisie ne concernait que les factures d’électricité du centre de Yenibosna. Par conséquent, elle a rejeté la partie de la demande concernant les autres factures. Quant à la demande concernant le centre de Yenibosna, dans les circonstances de la cause, la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur ladite question et, notamment, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils seraient parvenus (idem, § 58 et point 4 du dispositif).

5. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations.

EN FAIT

I. LES FAITS ADDITIONNELS PRÉSENTÉS PAR LE GOUVERNEMENT

6. Le Gouvernement a précisé que, le 19 décembre 2013, le tribunal de grande instance de Bakırköy a accueilli une demande introduite par la direction de l’entreprise privée chargée de la distribution d’électricité (Boğaziçi Elektrik Dağıtım A.Ş. Genel Müdürlüğü – « la BEDAŞ ») en vue d’obtenir le paiement par la requérante des factures d’électricité relatives à la période du 5 janvier 2007 au 19 décembre 2007 (une somme de 40 396,87 livres turques (TRY), intérêt de retard compris, soit 23 490 euros (EUR), selon le taux de change de l’époque concernée). Toutefois, le 28 mai 2015, se référant à l’arrêt au principal de la Cour dans l’affaire précitée Cumhuriyetçi Eğitim ve Kültür Merkezi Vakfı, la Cour de cassation a infirmé ce jugement. À son tour, le tribunal de grande instance de Bakırköy a suivi l’arrêt de la Cour de cassation et a ordonné une expertise. Cette procédure est toujours pendante à ce jour devant le tribunal de grande instance.

7. Le Gouvernement a produit également un rapport d’expertise dressé le 18 avril 2016 dans le cadre d’une autre procédure relative au recouvrement des frais d’électricité d’un cemevi géré par la requérante et situé à Cennet Mahallesi, à Istanbul. Dans son rapport, l’expert concluait que les frais d’éclairage du lieu où se pratiquaient les cérémonies du culte (cem) représentaient 20 % de l’ensemble des frais d’électricité de ce cemevi.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

8. En vertu de l’article 3 transitoire de la loi no 6446 relative au marché de l’électricité (« la loi no 6446 »), publiée au Journal officiel le 30 mars 2013, les frais d’éclairage des lieux de culte ouverts gratuitement au public sont pris en charge par un fonds de la Direction des affaires religieuses.

EN DROIT

I. ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

9. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

1. Thèses des parties

10. La requérante allègue avoir subi un dommage tant matériel que moral. Pour le préjudice matériel allégué, elle demande le remboursement des factures d’électricité dues par le centre de Yenibosna. Factures d’électricité à l’appui, elle informe la Cour que le total des impayés du centre de Yenibosna s’élève à 668 012,13 TRY (soit 289 182 EUR, selon le taux de change de l’époque concernée), intérêts de retard compris. Par ailleurs, elle précise que sa demande ne concerne pas uniquement les frais d’éclairage du cemevi de Yenibosna. Elle estime en effet que les frais d’électricité des cemevis ne se limitent pas aux frais d’éclairage de la salle de prière, dans la mesure où les services de funérailles et de restauration fournis par les cemevis feraient également partie intégrante de l’exercice cultuel. Par conséquent, aux yeux de la requérante, les frais d’électricité doivent être remboursés dans leur intégralité. Par ailleurs, la requérante a demandé à la Cour d’inviter le Gouvernement défendeur à négocier les modalités de la création d’un régime de dispense conforme aux conclusions de l’arrêt au principal.

En outre, la requérante réclame 10 000 EUR pour préjudice moral.

11. Le Gouvernement conteste les prétentions de la requérante. Il indique tout d’abord que le recours engagé par la fondation au plan interne le 29 juin 2007 portait sur des frais d’électricité s’élevant à 21 793 TRY (compteur d’électricité no 5415074) pour la période de janvier à juin 2007. Par ailleurs, il indique que, le 19 décembre 2013, le tribunal de grande instance de Bakırköy a accueilli le recours introduit par la BEDAŞ en vue d’obtenir le paiement de la somme de 40 396,87 TRY due par la requérante relative à la période du 5 janvier 2007 au 19 décembre 2007. Se référant à l’arrêt au principal de la Cour dans l’affaire précitée Cumhuriyetçi Eğitim ve Kültür Merkezi Vakfı, la Cour de cassation aurait infirmé ce jugement. Le Gouvernement ajoute que, à son tour, le tribunal de grande instance de Bakırköy a suivi l’arrêt de la Cour de cassation et qu’il a ordonné une expertise. Il précise encore que cette procédure est toujours pendante devant le tribunal de grande instance (paragraphe 6-7 ci-dessus).

12. S’agissant du préjudice matériel allégué, le Gouvernement indique que l’affaire ne concerne que les factures d’électricité du montant ayant fait l’objet du recours en droit interne du 29 juin 2007, à savoir 21 793 TRY (soit 12 300 EUR selon le taux de change de l’époque concernée). Il invite la Cour à ne prendre en compte que ce montant dans le calcul du dommage matériel.

13. Le Gouvernement précise que, selon la loi no 6446, seuls les frais d’éclairage des lieux de culte sont pris en charge par la Direction des affaires religieuses (paragraphe 8 ci-dessus). Pour le Gouvernement, cela signifie que les fonds publics supportent les seuls coûts liés à l’éclairage des zones réservées uniquement à l’exercice du culte, à l’exclusion des coûts liés à l’éclairage d’autres parties du bâtiment du centre ainsi que des frais d’électricité découlant du chauffage ou de la climatisation. Le Gouvernement expose que, si la Cour décidait de rembourser l’intégralité des factures d’électricité du centre Yenibosna, cela constituerait un traitement discriminatoire à l’égard des autres lieux de culte, lesquels ne bénéficieraient pas des mêmes avantages. Il répète que seuls les coûts liés à l’éclairage – et non l’ensemble des frais d’électricité – des lieux de culte sont couverts par des fonds publics.

14. Par conséquent, aux yeux du Gouvernement, si la Cour allouait une somme pour dommage matériel, celle-ci ne devrait pas excéder 4 358 TRY (environ 1 300 euros), soit 20 % de 21 793 TRY, selon les critères présentés dans le rapport d’expertise (paragraphe 7 ci-dessus).

2. Appréciation de la Cour

15. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci.

16. Elle rappelle en outre que les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt de la Cour ayant constaté une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 de la Convention habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (voir, parmi beaucoup d’autres, Kurić et autres c. Slovénie (satisfaction équitable) [GC], no 26828/06, § 80, CEDH 2014).

17. Pour ce qui est de la demande de la requérante relative au préjudice matériel allégué, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, il doit y avoir un lien de causalité entre le dommage allégué par un requérant et la violation de la Convention. En l’espèce, elle estime qu’il y a un lien de causalité entre la violation constatée et le préjudice matériel allégué, dans la mesure où la requérante, qui gère le cemevi de Yenibosna n’a jamais bénéficié du régime de dispense de paiement des frais d’électricité conféré aux lieux de culte. Toutefois, dans les circonstances de la présente affaire, le préjudice de la requérante ne se prête pas à un calcul précis des sommes nécessaires à sa réparation, eu égard notamment à l’impossibilité de déterminer les frais d’électricité réels engagés pour le cemevi en question, qui fait partie d’un centre composé de nombreux locaux qui ne sont pas directement voués à l’exercice d’un culte. Par ailleurs, les parties ont produit de nombreuses factures relatives à des périodes différentes. Par conséquent, pour fixer en équité le montant de la réparation à accorder au titre de la satisfaction équitable, la Cour estime opportun de prendre en considération les éléments suivants.

18. En premier lieu, la Cour souligne qu’elle ne souscrit pas à la thèse du Gouvernement selon laquelle elle ne devrait tenir compte que du montant qui était l’objet du recours interne, à savoir 21 793 TRY (soit 12 300 EUR selon le taux de change de l’époque concernée). En effet, elle observe tout d’abord que, lorsque la fondation requérante avait intenté son recours du 29 juin 2007, elle visait à obtenir une décision déclaratoire négative (« menfi tespit ») afin d’être dispensée du paiement des factures d’électricité. Pour ce faire, elle a soutenu que le centre de Yenibosna, en tant que lieu de culte des alévis, n’avait pas à acquitter les factures d’électricité auprès de la BEDAŞ et que celles-ci devaient être payées par la Direction des affaires religieuses (arrêt au principal, § 8). À cet égard, dans son arrêt au principal, la Cour a jugé en particulier que la requérante, exclue d’un bénéfice qui est accordé aux lieux de culte, a fait l’objet d’une différence de traitement, sans justification objective et raisonnable, et que le régime d’octroi des dispenses de paiement des factures d’électricité pour les lieux de culte en droit turc opérait une discrimination fondée sur la religion. Compte tenu de ces considérations, il serait excessif d’exiger de la requérante qu’elle engage un recours interne pour chaque facture d’électricité afin que les frais d’électricité du cemevi de Yenibosna soient pris en charge par un fonds de la Direction des affaires religieuses. Et ce d’autant que, à ce jour, aucune mesure tendant à remédier aux manquements relevés dans l’arrêt au principal n’a été prise.

19. Par conséquent, dans l’évaluation du préjudice matériel, la Cour prendra pour base les factures d’électricité relatives au centre Yenibosna que les parties ont produites relatives au compteur d’électricité no 5415074 (paragraphes 10 et 11 ci-dessus).

20. En second lieu, la Cour observe qu’il ressort du dossier que la somme réclamée par la requérante correspond à l’intégralité des frais d’électricité du centre de Yenibosna, qui abrite, entre autres, le siège de la fondation, un restaurant, une bibliothèque, une salle de conférences, une salle de classe, une salle pour les funérailles et un cemevi. À l’instar du Gouvernement, la Cour accorde un certain poids au fait que, selon le rapport d’expertise du 18 avril 2016 – dressé dans le cadre d’une autre procédure relative au recouvrement des frais d’électricité d’un autre cemevi géré par la requérante (paragraphe 7 ci-dessus) –, les coûts d’éclairage du lieu où se pratiquaient les cérémonies du cem représentaient 20 % de l’ensemble des frais d’électricité. Certes, la requérante indique que sa demande incluait non seulement les frais liés à l’éclairage du lieu de culte lui-même, mais aussi tous les frais d’électricité du centre de Yenibosna, qui comprend un restaurant (aşevi) et une salle pour les funérailles. À cet égard, la requérante argue notamment que les activités religieuses des alévis ne sont pas limitées à la simple organisation des cérémonies de cem, mais qu’elles comportent aussi la distribution de beignets (lokma tatlısı), qui nécessitent l’utilisation des locaux du restaurant, et les cérémonies pour les funérailles. Cela étant, la Cour ne saurait faire abstraction du fait que le centre de Yenibosna comprend de nombreux locaux qui ne sont pas directement voués à l’exercice d’un culte.

21. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la Cour estime raisonnable d’accorder à la requérante la somme de 44 400 EUR, pour dommage matériel. Cette somme correspond aux frais d’éclairage du cemevi de Yenibosna relatives à la période qui se situe entre le 29 juin 2007, date à laquelle la fondation requérante a engagé une procédure devant le tribunal interne (paragraphe 18 ci-dessus), et la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif.

22. La Cour estime également que la violation des droits de la requérante garantis par l’article 14 de la Convention combiné avec son article 9 a dû causer à l’intéressée un dommage moral. Elle juge qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate ce préjudice moral (voir, dans le même sens, Branche de Moscou de l’Armée du Salut c. Russie, no 72881/01, § 105, CEDH 2006‑XI, et Religionsgemeinschaft der Zeugen Jehovas et autres c. Autriche, no 40825/98, § 129, 31 juillet 2008). Statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide également d’allouer à la fondation requérante 10 000 EUR au titre de dommage moral.

B. Frais et dépens

23. La requérante ne sollicite pas le remboursement de frais et dépens qui auraient été engagés devant les organes de la Convention et/ou les juridictions internes. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’aucune somme ne doit être versée de ce chef à la requérante.

C. Intérêts moratoires

24. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION

25. La requérante a demandé à la Cour d’inviter le Gouvernement défendeur à négocier les modalités de la création d’un régime de dispense conforme aux conclusions de l’arrêt au principal. Le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur cette demande.

26. La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation, l’État défendeur a l’obligation, au regard de l’article 46 de la Convention, non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41, mais aussi de prendre des mesures individuelles et/ou, le cas échéant, générales dans son ordre juridique interne, afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer les conséquences, l’objectif étant de placer le requérant, autant que possible, dans une situation équivalente à celle dans laquelle il se serait trouvé s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Ghigo c. Malte (satisfaction équitable), no 31122/05, § 23, 17 juillet 2008, Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe bulgare (métropolite Innocent) et autres c. Bulgarie (satisfaction équitable), nos 412/03 et 35677/04, § 47, 16 septembre 2010).

27. Si l’État défendeur reste libre en principe, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 46 § 1 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour, cette dernière peut, dans certaines situations particulières et pour aider l’État défendeur à remplir lesdites obligations, indiquer le type de mesures qui pourraient être prises pour mettre un terme à la situation ayant donné lieu à un constat de violation (Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 139, CEDH 2013, et la jurisprudence qui y est citée).

28. La Cour estime que cela est le cas en l’espèce. Elle rappelle que, dans l’arrêt au principal, elle a conclu (arrêt au principal, § 50) qu’il y avait eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 9, dans la mesure où la différence de traitement dont la requérante a fait l’objet n’avait pas de justification objective et raisonnable. Pour parvenir à cette conclusion, elle a notamment considéré que l’appréciation exprimée par les tribunaux internes selon laquelle la confession alévie n’était pas une religion ne pouvait servir à justifier l’exclusion des cemevis d’un bénéfice conféré aux lieux de culte, compte tenu du fait que les cemevis sont, comme les autres lieux de culte reconnus, des lieux destinés à la pratique du culte d’une conviction religieuse.

29. La Cour prend note de l’argument du Gouvernement, qui a précisé, dans ses observations présentées après l’adoption de l’arrêt au principal, que la dispense en question concernait, depuis la révision législative intervenue le 30 mars 2013 (paragraphe 8 ci-dessus), uniquement les frais d’éclairage des lieux du culte, à l’exclusion des autres frais d’électricité. Il n’en reste pas moins que, quelle que soit la portée du bénéfice accordé aux lieux de culte – frais d’électricité ou frais d’éclairage –, les cemevis sont toujours et intégralement exclus de ce régime de dispense. Dès lors, il y a lieu d’adopter des mesures générales au niveau national pour éliminer la discrimination résultant du régime de dispense en question.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

i. 44 400 EUR (quarante-quatre mille quatre cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la fondation requérante, pour dommage matériel,

ii. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 juin 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Hasan BakırcıRobert Spano
Greffier adjointPrésident


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