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30/03/2017 | CEDH | N°001-172766

CEDH | CEDH, AFFAIRE NAGMETOV c. RUSSIE, 2017, 001-172766


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE NAGMETOV c. RUSSIE

(Requête no 35589/08)

ARRÊT

STRASBOURG

30 mars 2017

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Nagmetov c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Luis López Guerra,
Angelika Nußberger,
Ledi Bianku,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Faris Vehabović,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov,
Branko

Lubarda,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Carlo Ranzoni,
Armen Harutyunyan,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Françoise El...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE NAGMETOV c. RUSSIE

(Requête no 35589/08)

ARRÊT

STRASBOURG

30 mars 2017

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Nagmetov c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Luis López Guerra,
Angelika Nußberger,
Ledi Bianku,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Faris Vehabović,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov,
Branko Lubarda,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Carlo Ranzoni,
Armen Harutyunyan,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er septembre 2016 et le 23 janvier 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35589/08) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Yarmet Uzerovich Nagmetov (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 juillet 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes K. Moskalenko et K. Kostromina, avocates à Moscou et à Strasbourg, assistées de Mme A. Maralyan. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matyushkin, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3. Le requérant alléguait sous l’angle de l’article 2 de la Convention que son fils était mort à la suite de l’usage d’une arme létale contre lui, et qu’il n’y avait pas eu d’enquête effective à cet égard.

4. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le 13 janvier 2012, elle a été communiquée au Gouvernement.

5. Le 5 novembre 2015, une chambre de la première section composée de András Sajó, président, Mirjana Lazarova Trajkovska, Julia Laffranque, Paulo Pinto de Albuquerque, Linos-Alexandre Sicilianos, Erik Møse et Dmitry Dedov, juges, ainsi que de André Wampach, greffier adjoint de section, a rendu un arrêt. À l’unanimité, elle y déclarait recevables les griefs du requérant tirés de l’article 2 de la Convention, concluait à la violation de cette disposition en ses volets matériel et procédural et, tout en relevant que le requérant n’avait pas soumis de demande de satisfaction équitable, décidait néanmoins de lui allouer une indemnité pour le préjudice moral qu’il avait subi. À l’arrêt se trouvait jointe l’opinion concordante du juge Sajó.

6. Le 4 février 2016, le Gouvernement a sollicité le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention pour ce qui concerne la satisfaction équitable octroyée dans l’arrêt de la chambre. Le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande le 14 mars 2016.

7. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Après avoir consulté les parties, le président de la Grande Chambre a décidé de ne pas tenir d’audience en l’espèce (articles 59 § 3 et 71 § 2 du règlement). Le 23 janvier 2017, Helen Keller, juge suppléante, a remplacé Işıl Karakaş, empêchée (article 24 § 3 du règlement).

8. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites (articles 59 § 1 et 71 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9. Le requérant est né en 1949 et réside à Makhatchkala, en République du Daghestan (Fédération de Russie).

10. Le 25 avril 2006, Murad Nagmetov, le fils du requérant, prit part à un rassemblement public dans le village de Miskindzha, district Dokuzparinskiy, au Daghestan. Plusieurs centaines de personnes y participèrent et formulèrent des accusations de corruption à l’égard de fonctionnaires locaux. Vers 15 heures, des membres de l’unité mobile spéciale encerclèrent les participants et effectuèrent plusieurs tirs de sommation en l’air.

11. Par la suite, les autorités dispersèrent le rassemblement au moyen d’armes à feu (voir aussi Primov et autres c. Russie, no 17391/06, §§ 15-18, 12 juin 2014). Murad Nagmetov fut touché par une grenade lacrymogène et succomba à ses blessures. Cinq autres personnes furent grièvement blessées et bien d’autres encore subirent des dommages corporels et furent arrêtées.

12. Le même jour, le procureur de la République du Daghestan engagea des poursuites pénales pour meurtre et utilisation illégale d’armes à feu (articles 105 et 222 du code pénal) et attribua l’affaire à un enquêteur.

13. Un médecin légiste examina le corps du défunt et procéda à l’extraction des éclats qui avaient causé la mort.

14. Toujours le même jour, l’enquêteur demanda au service de police scientifique du ministère de l’Intérieur du Daghestan d’établir un rapport balistique aux fins de déterminer quels étaient le type de grenade en cause et le type de fusil ayant servi à la tirer, et si la grenade comportait des stries permettant d’identifier l’arme.

15. Le 11 mai 2006, l’expert en balistique remit son rapport, dans lequel il concluait ce qui suit :

« 1. L’expert de police scientifique s’est vu confier pour examen les deux objets suivants : une grenade avec charge spéciale ; un obturateur avec charge spéciale (une cartouche de calibre 23 mm, qui est utilisée avec une carabine de type KS-23 (KS‑23M)). Il n’a pas été possible de déterminer quelle était exactement la marque de la grenade lacrymogène.

2. (...) Il ne serait pas possible d’utiliser l’obturateur sur la coque de la grenade pour identifier précisément l’arme dont il a été fait usage. Il serait cependant possible d’utiliser l’obturateur séparé pour identifier l’arme employée, si celle-ci était fournie pour examen. »

16. Le 26 juin 2006, l’autorité chargée de l’enquête demanda un nouveau rapport balistique aux fins de l’identification du fusil utilisé pour tirer la grenade dont les éclats avaient été extraits du corps du fils du requérant. Le 6 juillet 2006, le service de police scientifique du ministère de l’Intérieur du Daghestan refusa de procéder à l’examen, indiquant qu’il ne disposait pas d’« installations ou équipements permettant de faire des tirs d’essai avec des cartouches de 23 mm à gaz spécial ».

17. À une date non précisée, un certain nombre de carabines qui avaient été utilisées le 25 avril 2006 par des membres de l’unité mobile spéciale furent saisies.

18. En juillet et en août 2006, l’autorité d’enquête demanda des rapports balistiques auprès du service de police scientifique du ministère de l’Intérieur du Daghestan et d’un autre établissement d’expertise local. Toutefois, ces rapports ne furent pas produits, en raison semble-t-il de l’absence d’installations techniques suffisantes.

19. Le 6 septembre 2006, l’office fédéral de police scientifique du ministère fédéral de la Justice fut prié d’établir un rapport balistique aux fins de déterminer avec quel fusil on avait tiré sur la victime. L’autorité d’enquête fournit à l’office les éclats qui avaient été extraits du corps de la victime, ainsi que treize carabines.

20. Le 19 octobre 2006, les autorités décidèrent d’ouvrir un autre dossier pénal relativement à l’accusation d’abus de pouvoir par un agent de l’État ayant causé la mort (article 286 du code pénal). Cette décision, dont il ressort qu’elle concernait d’autres personnes que le fils du requérant, se lit ainsi :

« Il est établi que des policiers ont fait usage d’armes à feu (...) Des membres de l’unité mobile spéciale ont tiré à l’aide d’armes à feu, utilisant des cartouches de calibre 23 mm, de même que des grenades lacrymogènes, enfreignant ainsi une directive du 5 novembre 1996 et outrepassant leurs pouvoirs (...) Il est interdit de tirer ces projectiles lacrymogènes en direction d’une personne. Ces tirs ont causé des blessures à M. N. et à M. A. ».

21. Par la suite, les affaires susmentionnées furent jointes.

22. Le 8 novembre 2006, l’office fédéral de police scientifique publia un rapport, dont les passages pertinents se lisent ainsi :

« (...) Étant donné que les cartouches en question, de calibre 23 mm, n’avaient pas été fournies pour des tirs d’essai, une demande portant sur des cartouches Volna de 23 mm a été faite auprès du service compétent du ministère de l’Intérieur de la Fédération de Russie (...) [Note de bas de page : les cartouches Volna sont utilisées dans le cadre de la formation à l’utilisation des carabines KS-23 et KS-23M. Elles sont semblables à celles qui sont généralement employées avec ces carabines, à ceci près qu’elles ne contiennent pas de substance chimique irritante.] (...)

Recherches effectuées

(...)

2. (...) Nous constatons que la grenade lacrymogène ne présente pas de stries, traces qui auraient pu être laissées par la carabine utilisée pour la tirer. Il est possible en fait que la grenade ait été chargée à l’aide de deux obturateurs et, en conséquence, n’ait pas été en contact avec l’intérieur de la carabine (...)

5. Des tirs d’essai ont été réalisés avec les carabines KS-23 et KS-23M soumises pour examen. Ils devaient permettre d’observer les stries laissées sur les obturateurs des grenades tirées au moyen des carabines et de comparer ces stries avec celles laissées sur l’obturateur de la grenade utilisée contre la victime. Pour les tirs d’essai, nous avons utilisé des cartouches Volna de calibre 23 mm. Elles sont semblables à celles qui ont été fournies pour l’examen (...)

6. (...) En raison des différences qui ressortent des résultats des tirs d’essai, il s’est avéré impossible d’identifier à partir des stries laissées sur les obturateurs la carabine concernée (...), du fait notamment de l’élasticité et de la faible thermorésistance du matériau employé dans les obturateurs (...) »

23. Le 15 novembre 2006, une nouvelle expertise balistique fut demandée à l’institut de police scientifique du Service fédéral de sécurité (« l’institut »). L’institut se vit lui aussi confier treize carabines ainsi que les éclats extraits du corps de la victime.

24. Le 26 février 2007, une experte de l’institut rendit un rapport dans lequel elle indiquait qu’il n’était pas possible de déterminer laquelle des carabines examinées avait servi à tirer la cartouche. Elle expliqua que pour ses recherches et tirs d’essai on lui avait fourni des cartouches Volna, alors que les éclats extraits du corps de la victime étaient des morceaux de grenade. Elle précisa que les cartouches Volna et les grenades lacrymogènes avaient des « paramètres géométriques différents et [étaient] composées de matériaux ayant des caractéristiques distinctes ».

25. Le 26 février 2007, l’autorité chargée de l’enquête suspendit celle-ci.

26. Le 30 août 2007, M. Rafik Nagmetov, autre fils du requérant, engagea une procédure judiciaire pour protester contre l’inaction alléguée de l’autorité d’enquête. Par un jugement du 8 octobre 2007, le tribunal du district Sovetski de Makhatchkala le débouta, se prononçant ainsi :

« Plus de soixante-dix personnes ont été interrogées au cours de l’enquête. Les examens nécessaires (sur le plan médical, balistique et criminologique) ont été réalisés (...) Toutes les carabines qui avaient été utilisées par les policiers ont été saisies (...) Tous les policiers concernés ont été identifiés (...) Les registres d’attribution des armes et des munitions ont été étudiés (...) À des dates successives, trois établissements d’expertise différents ont été priés d’établir des rapports balistiques. Ces demandes n’ont pas abouti, en raison de l’absence de l’équipement nécessaire (...) Des tentatives d’identification du fusil en cause ont été faites dans d’autres établissements d’expertise (...) Ceux-ci n’étaient pas équipés pour ce type d’examens balistiques (...) En conséquence, l’office fédéral de police scientifique s’est trouvé dans l’incapacité d’identifier l’arme (...) Une autre demande est pendante auprès de l’institut de police scientifique du Service fédéral de sécurité (...) L’autorité d’enquête a donc mis en œuvre toutes les mesures d’investigation qui étaient possibles en l’absence d’un suspect identifié. »

27. Le 14 janvier 2008, la Cour suprême de la République du Daghestan confirma ce jugement.

28. Le fils du requérant, M. Rafik Nagmetov, demanda également un contrôle juridictionnel de la décision de suspendre l’enquête prise le 26 février 2007. Le 25 juillet 2008, le tribunal de district déclara que la suspension de l’enquête était justifiée. Le 8 septembre 2008, la cour d’appel infirma toutefois ce jugement et ordonna le réexamen de la plainte. Par un jugement du 6 octobre 2008, le tribunal de district accueillit la plainte et considéra que l’autorité d’enquête, du fait qu’elle n’avait pas fourni de matériel approprié pour des tests comparatifs à l’expert de police scientifique, n’avait pas pris des « mesures exhaustives destinées à permettre l’identification de l’auteur du tir mortel ».

29. À une date non précisée, le requérant apprit que les éclats extraits du corps de son fils avaient été perdus.

30. En novembre 2009, il pria les autorités de demander une expertise balistique complémentaire et se plaignit de la perte des éléments en question.

31. Le 16 décembre 2009, l’enquête fut reprise. Il apparaît que l’autorité d’enquête prit des mesures pour faire la lumière sur ce qu’il était advenu des éléments de preuve. Ainsi, des armuriers de l’unité mobile spéciale furent interrogés. Par ailleurs, l’enquêteur s’adressa à l’institut et évoqua ses difficultés à interpréter le rapport du 26 février 2007 ; on ne sait pas clairement quelle réponse lui fut donnée.

32. Selon le Gouvernement, la demande de renseignements au sujet de la perte des éléments de preuve ne produisit aucun résultat particulier, en raison notamment du décès de l’enquêteur qui avait été chargé de l’affaire et du redéploiement de l’unité d’enquête.

33. Le 16 janvier 2010, l’enquêteur suspendit à nouveau l’enquête.

34. Le 21 février 2011, le procureur par intérim de la République du Daghestan déclara cette décision illégale et ordonna la reprise de l’enquête. Il s’exprima ainsi :

« Après examen du dossier, je conclus que l’enquête n’a pas épuisé l’ensemble des mesures visant à l’établissement des circonstances du crime, à la collecte des éléments de preuve et à l’identification du fusil qui a causé la mort de la victime (...) Singulièrement, la demande d’examen balistique adressée à l’institut était accompagnée de cartouches Volna, au lieu de cartouches du type de celles qui ont causé le décès de la victime. Les paramètres géométriques différents de ces cartouches ont empêché les experts d’identifier la carabine employée contre la victime (...)

Après la reprise de l’enquête en décembre 2009, l’enquêteur s’est contenté de demander des renseignements au lieu de fournir des grenades aux fins d’un examen comparatif (...)

L’expertise du 26 février 2007 n’indique pas qu’il aurait été impossible d’identifier le fusil si des cartouches du type concerné avaient été fournies.

Les éclats extraits du corps de la victime ont été examinés dans le cadre de l’expertise susmentionnée. L’indisponibilité actuelle de ces éléments n’empêche donc pas de demander un nouveau rapport balistique auprès du même établissement. »

35. Après la reprise de l’enquête, l’enquêteur se renseigna auprès de l’institut quant à la possibilité de procéder à un examen balistique en l’absence des éclats extraits du corps de la victime. On ne sait pas clairement quelle fut la réponse de l’institut, mais il ne semble pas qu’un nouvel examen balistique ait été réalisé.

36. Le 17 avril 2011, l’autorité d’enquête suspendit l’enquête. Sa décision se lit comme suit :

« Il ressort des éléments versés au dossier que, le 25 avril 2006, des habitants des villages voisins ainsi que d’autres individus ont bloqué la route à l’aide de pierres et de bûches (...) En réponse à des ordres légaux de dispersion donnés par la police, des personnes non identifiées ont jeté des pierres sur les policiers, causant diverses lésions corporelles à onze d’entre eux. En représailles, les policiers ont fait usage d’armes à feu (...)

Des membres de l’unité mobile spéciale ont tiré en direction de la foule avec leurs fusils à pompe, utilisant des cartouches de calibre 23 mm ainsi qu’une grenade lacrymogène. Ce faisant, ils ont enfreint une directive du 5 novembre 1996 (...) et outrepassé leurs pouvoirs. En conséquence, [le fils du requérant] et d’autres personnes ont été blessés par balles (...) et [le fils du requérant] est décédé sur place.

(...)

En l’absence de projectile, il est impossible de demander une autre expertise balistique. Il n’a pas été possible d’identifier la personne qui a tiré [sur le fils du requérant]. »

37. Le requérant ne contesta pas cette décision.

II. HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR EN L’ESPÈCE

38. Le 11 juillet 2008, le requérant introduisit une requête auprès de la Cour. Invoquant l’article 2 de la Convention, il alléguait que son fils était décédé en raison d’un recours illégal et excessif à la force meurtrière. Les investigations sur la mort de son fils avaient selon lui été ineffectives. Dans son formulaire de requête, il demandait « réparation des violations de la Convention qui en résult[ai]ent », sans toutefois préciser le type de dommage subi ni le montant sollicité.

39. Après communication de la requête, Me Kostromina, représentante du requérant, fut invitée le 24 mai 2012 à soumettre au nom du requérant des observations et les prétentions de ce dernier au titre de la satisfaction équitable. Sur ce point, la lettre type pertinente se lisait ainsi :

« Conformément aux instructions du président de la section, je vous invite à me faire parvenir au plus tard le 26 juillet 2012 vos demandes de satisfaction équitable (...)

En ce qui concerne les demandes de satisfaction équitable, j’attire votre attention sur l’article 60 du règlement. Je vous rappelle que, si les prétentions chiffrées et les justificatifs nécessaires ne sont pas soumis dans le délai imparti à cet effet, la chambre rejettera en tout ou en partie la demande de satisfaction équitable, quand bien même la partie requérante aurait indiqué ses souhaits à ce titre à un stade antérieur de la procédure.

Les critères dégagés par la jurisprudence de la Cour lorsqu’elle se prononce sur la satisfaction équitable (article 41 de la Convention) sont : 1) le dommage matériel, c’est-à-dire les pertes effectivement subies en conséquence directe de la violation alléguée qui serait constatée ; 2) le dommage moral, c’est-à-dire la réparation des souffrances et désagréments résultant de cette violation ; et 3) les frais et dépens assumés pour prévenir ou faire corriger la violation alléguée de la Convention, tant dans l’ordre juridique interne que par la procédure à Strasbourg. Ces frais doivent être énumérés en détail ; leur réalité, leur nécessité et leur caractère raisonnable doivent être démontrés.

À vos demandes devront être joints les justificatifs nécessaires, tels que factures, relevés d’honoraires, etc. Le Gouvernement sera ensuite invité à présenter ses commentaires à cet égard.

Ce délai ne sera normalement pas étendu. »

40. À la date du 26 juillet 2012, ni observations ni prétentions n’avaient été soumises. Par la suite, Me Kostromina expliqua dans une lettre que malgré un accord informel entre elle et son ancien cabinet juridique, celui-ci n’avait pas fait suivre son courrier à sa nouvelle adresse (qui n’avait pas été communiquée à la Cour). Le 11 octobre 2012, à titre exceptionnel, le président de la section autorisa l’avocate à déposer des observations et des prétentions malgré l’expiration du délai du 26 juillet 2012. Un nouveau délai fut fixé au 22 novembre 2012. À cette date, ni observations ni prétentions n’avaient toutefois été soumises. Le Gouvernement fut informé que malgré l’absence d’observations déposées dans le délai imparti, il apparaissait que le requérant souhaitait maintenir sa requête devant la Cour et que celle-ci allait donc examiner l’affaire en se basant sur le dossier tel qu’il se présentait alors.

III. LE RÈGLEMENT DE LA COUR ET L’INSTRUCTION PRATIQUE SUR LES DEMANDES DE SATISFACTION ÉQUITABLE

41. À l’époque pertinente, le règlement de la Cour (adopté par la Cour plénière en vertu de l’article 25 de la Convention) se lisait comme suit en ses parties pertinentes :

« Article 36 – Représentation des requérants

(...)

2. Une fois la requête notifiée à la Partie contractante défenderesse comme prévu à l’article 54 § 2 b) du présent règlement, le requérant doit être représenté conformément au paragraphe 4 du présent article, sauf décision contraire du président de la chambre.

(...)

4. a) Le représentant agissant pour le compte du requérant en vertu des paragraphes 2 et 3 du présent article doit être un conseil (...), ou une autre personne agréée par le président de la chambre.

b) Dans des circonstances exceptionnelles et à tout moment de la procédure, le président de la chambre peut, lorsqu’il considère que les circonstances ou la conduite du conseil ou de l’autre personne désignés conformément à l’alinéa précédent le justifient, décider que ce conseil ou cette personne ne peut plus représenter ou assister le requérant et que celui-ci doit chercher un autre représentant.

(...)

Article 60 – Demande de satisfaction équitable

1. Tout requérant qui souhaite que la Cour lui accorde une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention en cas de constat d’une violation de ses droits découlant de celle-ci doit formuler une demande spécifique à cet effet.

2. Sauf décision contraire du président de la chambre, le requérant doit soumettre ses prétentions, chiffrées et ventilées par rubrique et accompagnées des justificatifs pertinents, dans le délai qui lui a été imparti pour la présentation de ses observations sur le fond.

3. Si le requérant ne respecte pas les exigences décrites dans les paragraphes qui précèdent, la chambre peut rejeter tout ou partie de ses prétentions.

4. Les prétentions du requérant sont transmises à la Partie contractante défenderesse pour observations.

(...)

Article 75 – Décision sur la question de la satisfaction équitable

1. Lorsque la chambre ou le comité constatent une violation de la Convention ou de ses Protocoles, ils statuent par le même arrêt sur l’application de l’article 41 de la Convention si une demande spécifique a été soumise conformément à l’article 60 du présent règlement et si la question se trouve en état ; sinon, ils la réservent, en tout ou en partie, et fixent la procédure ultérieure.

(...) »

42. À l’époque des faits, l’instruction pratique sur les demandes de satisfaction équitable (édictée par le président de la Cour au titre de l’article 32 du règlement le 28 mars 2007) se lisait comme suit en ses parties pertinentes :

« 4. Tout requérant désireux de déposer une demande de satisfaction équitable doit respecter les conditions de forme et de fond pertinentes fixées par la Convention et le règlement de la Cour.

II. Dépôt de demandes de satisfaction équitable : conditions de forme

5. L’article 60 du règlement fixe les délais et les autres conditions de forme à respecter pour déposer une demande de satisfaction équitable (...) La Cour exige donc des demandes précises, pièces justificatives à l’appui, sans quoi elle n’alloue aucune indemnité. Elle écarte les demandes présentées dans les formulaires de requête mais non réitérées au stade approprié de la procédure. Elle rejette aussi les demandes tardives.

III. Dépôt de demandes de satisfaction équitable : conditions de fond

(...)

13. L’indemnité que la Cour alloue pour préjudice moral est censée fournir une réparation pécuniaire du dommage moral, par exemple la souffrance physique ou mentale.

14. Par sa nature, le dommage moral ne se prête pas à un calcul précis. Si son existence est établie, et si la Cour estime qu’il y a lieu d’accorder une indemnité pécuniaire, elle procède à une évaluation en équité en ayant égard aux normes qui se dégagent de sa jurisprudence.

15. Tout requérant qui demande réparation d’un dommage moral est invité à préciser le montant de l’indemnité qu’il estime équitable de se voir allouer. Celui qui se prétend victime de plusieurs violations peut réclamer une somme forfaitaire destinée à couvrir l’ensemble du préjudice résultant des violations alléguées ou solliciter des montants distincts pour chacune des violations en question.

(...)

23. La réparation éventuellement accordée par la Cour revêt d’ordinaire la forme d’une somme d’argent à verser par la Partie contractante défenderesse à la victime ou aux victimes des violations constatées. Ce n’est que très exceptionnellement que la Cour peut envisager d’inviter la Partie contractante défenderesse à prendre telle ou telle mesure pour mettre fin ou remédier aux violations en question. Toutefois, la Cour a la faculté de donner des indications quant à la manière dont il convient d’exécuter ses arrêts (article 46 de la Convention). »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

43. Sous l’angle de l’article 2 de la Convention, le requérant allègue que son fils Murad est décédé dans des circonstances faisant apparaître un recours illégal et excessif à la force meurtrière. Il soutient par ailleurs qu’il n’y a pas eu d’enquête effective.

44. L’article 2 de la Convention est ainsi libellé :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

A. L’arrêt de la chambre

45. Dans son arrêt du 5 novembre 2015, la chambre a dit qu’il y avait eu violation de l’article 2 de la Convention en ses volets matériel et procédural. L’arrêt de la chambre renferme les conclusions suivantes en ce qui concerne le grief tiré de l’article 2 de la Convention :

« a) Volet matériel

40. La Cour note que le Gouvernement a reconnu que l’on avait privé Murad Nagmetov de sa vie au mépris des exigences découlant de l’article 2 de la Convention. Il a déclaré notamment, à l’instar des autorités nationales, qu’il était contraire au droit russe de tirer la grenade lacrymogène en question directement vers une personne.

41. La Cour n’aperçoit aucune raison de ne pas souscrire à la déclaration ci-dessus (voir aussi Abdullah Yaşa et autres c. Turquie, no 44827/08, § 48, 16 juillet 2013). Il y a donc eu violation de l’article 2 de la Convention.

b) Volet procédural

(...)

46. Tout d’abord, la Cour note qu’après le décès du fils du requérant une enquête pénale a été ouverte, et ce sans délai (voir, a contrario, Lyapin c. Russie, no 46956/09, §§ 128-133, 24 juillet 2014).

47. Ensuite, la Cour considère que l’argument du requérant concernant, en substance, la partialité alléguée de l’autorité d’enquête ou des experts chargés de l’affaire n’est ni précis ni étayé. En l’espèce, elle n’a pas de raisons de conclure qu’il y avait un lien hiérarchique ou institutionnel entre les personnes chargées de l’enquête et les personnes impliquées (voir, à titre de comparaison, A.A. c. Russie, no 49097/08, § 94, 17 janvier 2012, et Davitidze c. Russie, no 8810/05, § 107, 30 mai 2013).

48. Troisièmement, quant au sérieux des efforts déployés par les autorités pour identifier la personne qui a causé le décès de la victime, la Cour rappelle que dans les enquêtes sur les homicides les autorités d’enquête disposent généralement de preuves cruciales dès le début des investigations. Le corps de la victime, le lieu du crime, les dépositions des témoins oculaires et le matériel utilisé pour commettre l’infraction, comme les balles et les douilles, sont utiles aux enquêteurs et leur donnent des indices dès les premiers stades de l’enquête (Er et autres c. Turquie, no 23016/04, § 54, 31 juillet 2012). La tâche de la Cour en l’espèce est de déterminer, compte dûment tenu des allégations et arguments spécifiques des parties, si une quelconque déficience de l’enquête a compromis la capacité de celle-ci à permettre l’identification de la personne responsable des blessures et du décès de la victime.

49. Il ressort des éléments disponibles que plus de soixante-dix personnes ont été interrogées au cours de l’enquête, que les policiers concernés ont été identifiés et que les registres d’attribution des armes et des munitions ont été examinés (...) Le requérant n’a pas émis de griefs quant à ces mesures d’investigation. La Cour observe qu’en revanche, dans sa requête devant elle, l’intéressé s’est référé principalement à la qualité censément insatisfaisante des rapports d’expertise.

50. Les éléments disponibles montrent aussi que les autorités nationales sont parties de l’hypothèse que le décès de la victime était la conséquence de l’usage d’une arme par un membre de l’unité mobile spéciale et que cet usage avait enfreint les dispositions nationales dès lors qu’il était inapproprié de tirer une grenade lacrymogène directement vers une personne. Dans les circonstances de l’espèce, les autorités ont jugé pertinent de rechercher une éventuelle correspondance entre les éclats extraits du corps du défunt et les carabines détenues par les policiers lors du rassemblement public du 25 avril 2006.

51. Quant au rythme et au sérieux des mesures relatives à cet aspect de l’enquête, il est malaisé de déterminer à quel moment les carabines concernées ont été saisies. La Cour relève en tout cas que le premier expert en balistique a déclaré en mai 2006 qu’il serait possible d’identifier l’arme en cause en utilisant un obturateur séparé, si une telle arme était soumise pour examen (...) Plus d’un mois après, l’autorité d’enquête a demandé un nouveau rapport balistique au même établissement d’expertise. À ce stade-là cependant, cette demande n’a pu être satisfaite en raison de l’absence d’« installations ou équipements permettant de faire des tirs d’essai avec des cartouches de 23 mm à gaz spécial » (...) Ces tests n’ont donc été effectués qu’après août 2006, lorsque l’autorité d’enquête a fourni un certain nombre de carabines aux experts de police scientifique (...) Il n’est pas contesté que ces armes sont celles qui avaient été utilisées par les membres de l’unité mobile spéciale le 25 avril 2006. Il est toutefois regrettable qu’il ait fallu près de huit mois pour l’adoption de mesures adéquates en vue de la réalisation d’une expertise comparative, fin 2006, puis encore trois mois pour l’obtention d’une réponse de l’institut de police scientifique du Service fédéral de sécurité, en février 2007 (...)

52. La Cour constate, en sus des délais injustifiés évoqués ci-dessus, que les autorités nationales n’ont pas pris des mesures raisonnables pour protéger les éléments clés du dossier. Elle rappelle à cet égard que pour être effective une enquête doit « pouvoir conduire à » l’identification et à la punition des responsables. S’il n’en allait pas ainsi, il serait possible dans certains cas à des agents de l’État de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits des personnes soumises à leur contrôle (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 131, CEDH 2000‑IV). Dès lors, la perte des éclats qui avaient été extraits du corps de la victime (...) appelait une enquête prompte et approfondie. Dans des circonstances où un agent de l’État avait fait usage d’une arme, il était important de confirmer ou de dissiper tout doute quant à l’éventuelle mauvaise foi d’un fonctionnaire dans le traitement des éléments de preuve. Or, les décisions dont la Cour dispose ne contiennent ni présentation ni appréciation d’informations concernant les conditions dans lesquelles le principal élément de preuve a été perdu (...) La Cour ne s’est pas vu communiquer d’informations convaincantes montrant que les autorités russes auraient pris des mesures suffisantes pour obtenir les preuves relatives aux faits en question et enquêter sur la perte du principal élément de preuve.

53. Le gouvernement défendeur soutient que l’effectivité de l’enquête menée au niveau national n’a pas été amoindrie par la perte des éléments de preuve, dès lors selon lui qu’elle est intervenue alors que les enquêteurs avaient déjà épuisé l’ensemble des mesures raisonnables, y compris l’expertise comparative. Selon le Gouvernement, l’enquête n’a pu être menée à son terme en raison de l’impossibilité objective d’identifier le fusil en cause.

54. La Cour souscrit à l’avis du Gouvernement selon lequel le rapport balistique du 8 novembre 2006 contenait bien une évaluation des éléments pertinents, y compris les éclats extraits du corps de la victime. L’expert a effectué des tirs d’essai avec les carabines et a tenté de comparer les résultats obtenus avec les stries laissées sur les éclats extraits du corps du défunt. Cette mesure visait à établir si l’une des carabines était à l’origine de la blessure mortelle du fils du requérant. L’expert a conclu qu’il était techniquement impossible de déterminer, avec un degré raisonnable de certitude, si l’une des carabines testées avait servi à tirer sur la victime.

55. Il apparaît cependant que l’autorité d’enquête et le parquet n’ont pas été satisfaits du rapport balistique du 8 novembre 2006 (...) et que pour cette raison l’institut de police scientifique a été prié de procéder à une nouvelle expertise. En février 2007, l’institut a répondu qu’il n’était pas possible de déterminer quelle carabine avait servi à tirer la cartouche en question. On ne comprend guère pourquoi la nouvelle experte s’est vu fournir pour les essais comparatifs des cartouches Volna et non des grenades du type concerné, et pourquoi elle n’a pu se procurer ces grenades d’office. Le gouvernement défendeur n’a pas étayé l’argument formulé devant la Cour selon lequel l’institut ne disposait pas d’installations techniques suffisantes pour procéder à un examen criminalistique.

56. Pour sa part, la Cour n’entend pas se fier au rapport du 8 novembre 2006 en ce qui concerne la conclusion qu’il était impossible d’identifier la carabine en cause. On peut raisonnablement déduire de l’explication donnée par l’experte en février 2007 que les cartouches Volna ne convenaient pas pour des tests comparatifs parce que celles-ci et les éclats de grenade extraits du corps de la victime avaient des paramètres géométriques différents et étaient composés de matériaux ayant des caractéristiques distinctes (...)

57. L’autorité d’enquête n’a pas donné suite aux informations reçues de l’institut et a suspendu l’enquête en février 2007, sans raison valable. Si la juridiction nationale a finalement reconnu en octobre 2008 que l’organe d’enquête avait eu tort de suspendre les investigations et n’avait pas pris des « mesures exhaustives destinées à permettre l’identification de l’auteur du tir mortel » (...), c’est seulement en décembre 2009 que les autorités ont repris l’enquête.

58. À cette date, les principaux éléments de preuve avaient déjà été perdus (...) Or, les procureurs ont considéré qu’une nouvelle expertise demeurait nécessaire et possible (...) Malgré les instructions du parquet, l’autorité d’enquête n’a pas soumis le matériel à une nouvelle expertise. Au lieu de cela, elle s’est bornée à adresser des demandes de renseignements à l’institut, lequel n’y a apparemment pas répondu (...)

59. Aucun élément propre à réfuter la conclusion des autorités nationales selon laquelle une nouvelle expertise balistique comparative demeurait nécessaire et possible, malgré la perte des preuves, n’a été fourni à la Cour. On peut considérer que le rapport du 26 février 2007 révèle un important désaccord quant à la méthode suivie dans le rapport du 8 novembre 2006, c’est-à-dire quant au point de savoir s’il convenait d’utiliser des cartouches Volna pour les tirs d’essai comparatifs, comme cela a été fait lors de cette dernière expertise. On pourrait soutenir par implication qu’il subsistait une possibilité qu’un examen comparatif adéquat pût conduire à l’identification du fusil en cause.

60. En outre, force est à la Cour de constater que les décisions officielles portées à sa connaissance, notamment celle de 2011, la plus récente, concernent la suspension de l’enquête. Elles ne contiennent ni exposé ni analyse des éléments de preuve existants, par exemple des déclarations relatives aux faits survenus le 25 avril 2006. Le requérant n’a donc reçu aucune conclusion officielle quant au décès de son fils.

61. Enfin, les éléments dont la Cour dispose n’indiquent pas que des actions disciplinaires ou pénales adéquates aient été engagées contre les responsables qui avaient pour tâche de former et d’encadrer les policiers impliqués dans les faits survenus le 25 avril 2006.

62. L’ensemble des considérations qui précèdent amènent la Cour à conclure que les autorités n’ont pas mis en œuvre toutes les mesures raisonnables et réalisables qui pourraient aider à identifier le tireur et à établir les autres circonstances pertinentes de la cause.

63. Dès lors, il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural. »

B. Appréciation de la Cour

46. Devant la Grande Chambre, le requérant maintient son grief tiré de l’article 2 de la Convention ; le Gouvernement n’a pas formulé d’observations à ce sujet.

47. La Grande Chambre fait siennes les conclusions de la chambre et dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention en ses volets matériel et procédural.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

48. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage moral

1. Les conclusions de la chambre

49. Dans son arrêt du 5 novembre 2015, la chambre a relevé que le requérant n’avait pas soumis de demande de satisfaction équitable dans le délai imparti et a déclaré qu’aucune indemnité ne devait normalement être allouée. Rappelant toutefois les pouvoirs que lui conférait l’article 41 de la Convention, ainsi que les précédentes affaires dans lesquelles elle avait à titre exceptionnel jugé équitable d’octroyer une indemnité pour préjudice moral alors même qu’aucune demande n’avait été soumise à ce titre, la chambre a décidé d’indemniser le requérant. Elle a motivé cette conclusion par la gravité particulière de la violation de la Convention, l’absence de réparation au niveau interne et les perspectives incertaines de succès concernant l’obtention d’une réparation adéquate et à bref délai après le prononcé de son arrêt. Eu égard à ce qui précède, et statuant en équité, elle a estimé opportun et nécessaire, dans les circonstances particulières de la cause, d’allouer au requérant 50 000 euros (EUR) pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d’impôt sur cette somme.

2. Les thèses des parties devant la Grande Chambre

a) Le requérant

50. Le requérant soutient avoir fait une demande de satisfaction équitable dans son formulaire de requête (paragraphe 38 ci-dessus) et reconnaît que plus tard, au stade de la communication, il n’a pas respecté les exigences de forme applicables. Il argue toutefois que rien dans la lettre ou dans l’esprit de la Convention, ou même du règlement, n’empêche la Cour d’allouer une indemnité en l’absence d’une demande formelle du requérant. Il plaide qu’au contraire l’article 41 de la Convention pose les bases d’une indemnité que la Cour « accorde » « s’il y a lieu ». Il indique que l’article 60 § 3 du règlement de la Cour dispose que la Cour « peut » rejeter tout ou partie des prétentions du requérant si celui-ci n’a pas dûment respecté les exigences procédurales. Cela signifierait que rien n’empêche la Cour d’accorder une indemnité alors même que l’obligation de soumettre une demande au stade approprié n’a pas été respectée. Pareille décision resterait dans le domaine de compétence de la Cour et, dès lors, ne se heurterait pas au principe de subsidiarité.

51. Le requérant aurait clairement indiqué dans son formulaire de requête qu’il saisissait la Cour aux fins d’obtenir une déclaration de violation de la Convention ainsi qu’un dédommagement. Il y aurait donc lieu d’admettre qu’une demande a bien été formée, même si elle n’a pas été chiffrée.

52. Les représentantes du requérant ont invité la Grande Chambre à « confirmer l’arrêt » rendu par la chambre mais n’ont pas davantage soumis de demande de satisfaction équitable, ni pour les frais et dépens engagés devant la Grande Chambre ni pour dommage matériel ou moral. Par ailleurs, le requérant a réitéré au moyen de la déclaration écrite ci-dessous son souhait d’obtenir une réparation pécuniaire pour la violation de l’article 2 de la Convention :

« Ma représentante m’a informé que le gouvernement russe remettait en cause l’arrêt de la Cour par lequel celle-ci m’allouait une indemnité pour le décès de mon fils (...) Dans ma requête auprès de la Cour, j’avais demandé une indemnité. Je n’en avais pas précisé le montant parce que je ne pouvais pas à cette époque, et ne peux toujours pas, « mettre un prix » sur la vie de mon fils parce qu’elle n’a pas de prix (...)

L’État russe n’a pas enquêté sur le meurtre de mon fils et aujourd’hui, de surcroît, il refuse de verser le montant que la Cour européenne a estimé constituer une satisfaction équitable (...) J’insiste pour que la Cour confirme le bien-fondé de l’arrêt [rendu par la chambre]. »

53. À titre subsidiaire, et tout en reconnaissant la pratique habituelle de la Cour consistant à ne pas accorder d’indemnité en l’absence d’une demande formelle, le requérant invite la Cour à faire une exception en l’espèce. Il considère qu’en octroyant une indemnité la chambre a à juste titre pris en compte le caractère absolu du droit protégé par la Convention, dont la violation a donné lieu à la question de la satisfaction équitable.

b) Le Gouvernement

54. Le Gouvernement estime que l’octroi d’une indemnité par la chambre est contraire au principe de subsidiarité et à la mission principale de la Cour consistant selon lui à établir des normes en matière de droits de l’homme pour toute l’Europe et non à allouer des indemnités. L’article 46 de la Convention serait le socle permettant à la Cour d’ordonner des mesures individuelles comme l’octroi d’une indemnité pour le dommage ou la perte subis par un requérant en raison d’une violation de la Convention. Pareille indemnité n’aurait toutefois pas pour finalité de sanctionner l’État défendeur. Elle ne revêtirait pas non plus un caractère vindicatif ou exemplaire visant à prévenir toute conduite répréhensible. Il y aurait lieu de veiller à ce que le montant de l’indemnité n’excédât pas le dommage réellement subi par la partie lésée. Cette considération trouverait son application dans la règle non ultra petita qui serait établie à l’article 60 du règlement et s’imposerait donc à la Cour.

55. Selon le Gouvernement, en sus d’un constat de violation des obligations découlant pour l’État d’un traité international, la demande d’indemnisation – dûment soumise et motivée par la partie lésée – constitue une condition sine qua non de l’octroi d’une indemnité. À son avis, une partie lésée peut fort bien choisir de se tourner vers la justice internationale dans l’unique but d’obtenir un constat de violation, susceptible pour elle de représenter une satisfaction équitable. Pour le Gouvernement, en l’absence d’une demande clairement présentée et formulée, une décision d’octroyer une indemnité serait arbitraire en ce que l’autorité appelée à statuer ne dissiperait pas les doutes sur le point de savoir si un préjudice a réellement été subi.

3. La position de la Cour

56. La Cour recherchera successivement s’il y a dans la présente affaire une « demande » de satisfaction équitable au sens de son règlement, si elle est compétente pour octroyer une indemnité au titre de la satisfaction équitable et s’il y a lieu de le faire dans les circonstances de l’espèce.

a) Sur le point de savoir s’il y a une « demande » de satisfaction équitable

i. Principes généraux et pratique établie

57. La Cour rappelle que l’article 41 de la Convention (précité) l’habilite à accorder à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Karácsony et autres c. Hongrie [GC], no 42461/13, § 179, CEDH 2016 (extraits)).

58. L’article 41 n’impose pas aux requérants ou à leurs représentants devant la Cour d’exigences procédurales dont le (non-)respect circonscrirait en même temps la décision de la Cour sur la question de la satisfaction équitable. Certaines conditions se trouvent toutefois énoncées dans le règlement de la Cour et dans une instruction pratique (cités aux paragraphes 41 et 42 ci-dessus), textes visant tous deux à établir un cadre procédural propre à organiser l’activité de la Cour et à aider celle-ci dans l’exercice de sa fonction judiciaire.

59. Selon la pratique habituelle de la Cour fondée sur les dispositions ci‑dessus, les indications de souhaits en matière de réparation qu’un requérant fournit dans son formulaire de requête relativement aux violations alléguées ne sauraient compenser l’omission ultérieure de formuler clairement une « demande » de satisfaction équitable au stade de la communication. Aussi la Cour refuse-t-elle normalement de tenir compte aux fins de l’application de l’article 41 de la Convention de souhaits ainsi formulés (Mancini c. Italie, no 44955/98, §§ 28-29, CEDH 2001‑IX, Fadıl Yılmaz c. Turquie, no 28171/02, §§ 26-27, 21 juillet 2005, Miltayev et Meltayeva c. Russie, no 8455/06, § 62, 15 janvier 2013, Anđelković c. Serbie, no 1401/08, § 33, 9 avril 2013 ; comparer avec Bourdov c. Russie, no 59498/00, §§ 44-47, CEDH 2002‑III, Gorodnitchev c. Russie, no 52058/99, §§ 142-143, 24 mai 2007, Čalovskis c. Lettonie, no 22205/13, §§ 233-237, 24 juillet 2014, Neshkov et autres c. Bulgarie, nos 36925/10, 21487/12, 72893/12, 73196/12, 77718/12 et 9717/13, §§ 302-303, 27 janvier 2015, et Blesa Rodríguez c. Espagne, no 61131/12, §§ 47-48, 1er décembre 2015).

ii. Application des principes et de la pratique établie au cas d’espèce

60. En premier lieu, la Cour estime qu’il y a lieu de rechercher si une « demande » de satisfaction équitable a jamais été formulée devant elle en l’espèce et, dans l’affirmative, si cette demande a satisfait aux exigences formelles/procédurales applicables.

61. Elle note que le requérant a indiqué dans son formulaire de requête qu’il souhaitait obtenir une réparation pécuniaire (sans toutefois préciser ni le type de dommage subi ni le montant demandé) pour les violations de la Convention, notamment de l’article 2. Dans la lettre qu’elle a adressée à la représentante du requérant au stade de la communication (paragraphe 39 ci‑dessus), la Cour a clairement rappelé que l’indication, donnée à un stade antérieur de la procédure, des souhaits du requérant au titre de la satisfaction équitable ne compense pas l’omission de formuler une « demande » à cet effet dans les observations. À la lumière des principes généraux et de sa pratique établie évoqués plus haut, la Cour estime que l’indication d’un souhait du requérant d’obtenir une éventuelle réparation pécuniaire, tel qu’exprimé dès 2008, au stade initial et non contentieux de la procédure devant la Cour, ne s’analyse pas en une « demande » au sens de l’article 60 du règlement combiné en l’espèce avec l’article 71 § 1 du règlement.

62. De plus, la Cour note qu’il n’est pas contesté qu’aucune « demande » de satisfaction équitable n’a été formulée au stade de la communication, dans le cadre de la procédure devant la chambre en 2012.

63. Enfin, elle relève que les représentantes du requérant, agissant au nom de celui-ci, ont soumis à la Grande Chambre un mémoire dans lequel elles invitaient cette dernière à « confirmer l’arrêt » rendu par la chambre (paragraphe 52 ci-dessus). La Cour n’a pas à déterminer si ces observations doivent être interprétées comme exprimant de manière appropriée une « demande » de satisfaction équitable pour préjudice moral. Ni l’article 41 de la Convention ni le règlement de la Cour n’indiquent s’il est permis de formuler une demande de satisfaction équitable pour dommage moral pour la première fois lors de la procédure devant la Grande Chambre. Cependant, la pratique dans les affaires ayant fait l’objet d’un renvoi en vertu de l’article 43 de la Convention consiste généralement à considérer que la demande de satisfaction équitable est la même que celle initialement présentée devant la chambre, un requérant n’étant autorisé devant la Grande Chambre qu’à soumettre ses prétentions au titre des frais et dépens exposés dans le cadre de la procédure devant celle-ci (voir, parmi les précédents récents, Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 176, 29 novembre 2016, et Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, §§ 167-170, CEDH 2015 ; voir aussi Khan c. Allemagne [GC], no 38030/12, § 45, 21 septembre 2016).

b) Sur les points de savoir si la Cour est compétente pour allouer une satisfaction équitable en l’absence d’une « demande » formée de manière appropriée et s’il y a lieu d’en allouer une en l’espèce

i. Aperçu des principes directeurs, règles et approches en matière de satisfaction équitable

64. La Cour rappelle d’emblée qu’elle a une double mission en ce qui concerne les requêtes introduites en vertu de l’article 34 de la Convention : i) rendre la justice dans chaque affaire en reconnaissant les violations des droits et libertés de la partie lésée au regard de la Convention et de ses Protocoles, et en allouant s’il y a lieu une satisfaction équitable, et ii) clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont pris en leur qualité de Parties contractantes (voir, mutatis mutandis, Karner c. Autriche, no 40016/98, § 26, CEDH 2003-IX, et Jeronovičs c. Lettonie [GC], no 44898/10, § 109, CEDH 2016). Octroyer aux requérants des sommes à titre de satisfaction équitable ne fait pas partie des tâches principales de la Cour mais est accessoire à sa fonction au regard de l’article 19 de la Convention consistant à veiller au respect par les États de leurs obligations résultant de la Convention (Salah c. Pays-Bas, no 8196/02, § 70, CEDH 2006‑IX (extraits)).

65. La Cour rappelle également que, dans le cadre de l’exécution d’un arrêt en application de l’article 46 de la Convention, un arrêt constatant une violation de la Convention entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle‑ci. Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001‑I, et Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, §§ 32-33, CEDH 2000‑XI ; voir aussi Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), 31 octobre 1995, § 34, série A no 330‑B, et Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 90, 22 décembre 2009).

66. Il découle de l’article 41 de la Convention que la Cour est habilitée à accorder à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée, si le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation. Par ailleurs, la règle relative à l’épuisement des voies de recours internes contenue dans l’article 35 § 1 ne s’applique pas aux demandes de satisfaction équitable soumises à la Cour en vertu de l’article 41 (Salah, précité, § 67 ; voir aussi Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 129, CEDH 2006‑IX).

67. L’article 41 de la Convention ne précise pas – et l’ancien article 50 de la Convention ne le faisait pas davantage – que l’existence d’une « demande » est une condition préalable à l’exercice par la Cour de son pouvoir d’appréciation. À l’époque pertinente (2012 en l’occurrence), le règlement de la Cour contenait des exigences relatives à la satisfaction équitable, notamment la nécessité de former une « demande » dans le délai imparti, au stade de la communication pendant la procédure devant la chambre. Ces exigences s’adressent au requérant et à son représentant, qui doivent déposer une « demande » relativement à l’éventuelle satisfaction équitable qu’ils souhaitent obtenir. Il découle de l’article 60 § 3 que la Cour « peut » prendre une décision négative lorsqu’un requérant (ou son représentant) n’a pas respecté les exigences en question.

68. Selon sa pratique habituelle, la Cour n’examine normalement que les réclamations dont on la saisit et ne recherche pas d’office si le requérant a souffert d’autres dommages (Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1) (article 50), 6 novembre 1980, § 14, série A no 38 ; voir aussi, parmi beaucoup d’autres, Kaya et autres c. Turquie, no 4451/02, §§ 56-57, 24 octobre 2006, et Al‑Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse [GC], no 5809/08, §§ 159‑160, CEDH 2016).

69. Dans quelques rares cas, la Cour, tenant compte des circonstances exceptionnelles des affaires examinées, par exemple du caractère absolu ou fondamental du droit ou de la liberté violés, a jugé nécessaire d’allouer une indemnité pour dommage moral, nonobstant le fait que la demande n’avait pas été formée ou qu’elle l’avait été de manière tardive (voir, dans le contexte d’une violation de l’article 2 de la Convention, Kats et autres c. Ukraine, no 29971/04, § 149, 18 décembre 2008 ; concernant une violation de l’article 3 de la Convention à raison de mauvais traitements et d’un défaut d’enquête effective ou de conditions de détention effroyables, voir Bursuc c. Roumanie, no 42066/98, § 124, 12 octobre 2004, Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 88, 20 janvier 2005, Davtian c. Géorgie, no 73241/01, § 71, 27 juillet 2006, Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 62, 18 octobre 2007, Igor Ivanov c. Russie, no 34000/02, §§ 50-51, 7 juin 2007, Nadrossov c. Russie, no 9297/02, § 54, 31 juillet 2008, Tchember c. Russie, no 7188/03, § 77, CEDH 2008, Chudun c. Russie, no 20641/04, § 129, 21 juin 2011, et Borodin c. Russie, no 41867/04, § 166, 6 novembre 2012 ; voir aussi, dans le contexte de l’article 5 de la Convention, Rusu c. Autriche, no 34082/02, § 62, 2 octobre 2008, et Crabtree c. République tchèque, no 41116/04, § 60, 25 février 2010). En outre, dans une affaire relative à l’article 8, la Cour a décidé sur le fondement de l’article 39 de son règlement que l’État défendeur devait désigner un représentant pour la requérante, qui était totalement privée de la capacité d’agir et n’avait pas la faculté en droit interne de choisir son propre représentant légal. Lorsqu’il apparut plus tard que le représentant ainsi désigné avait omis de présenter une demande de satisfaction équitable, la Cour alloua à la requérante une indemnité pour dommage moral, compte tenu du traumatisme, de l’angoisse et du sentiment d’injustice qu’elle avait dû éprouver du fait de la procédure qui avait abouti à l’adoption de sa fille (X c. Croatie, no 11223/04, §§ 61-63, 17 juillet 2008).

70. Dans d’autres affaires, en revanche, la Cour a estimé qu’un constat de violation représentait une satisfaction équitable suffisante et elle a dès lors rejeté les demandes soumises (concernant la violation des articles 3, 5 ou 6 de la Convention, voir par exemple Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08, 50571/08, 50573/08 et 40351/09, § 315, CEDH 2016, Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, § 131, CEDH 2016, Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, § 136, CEDH 2013 (extraits), et Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 76, CEDH 1999‑II).

71. Le principe non ultra petita (« pas au-delà de la demande » ou « pas au-delà de la portée du litige »), évoqué par le gouvernement défendeur, trouve sa principale application dans la situation où une demande de satisfaction équitable est d’un montant inférieur à celui qui serait normalement alloué par la Cour dans des circonstances comparables (voir, par exemple, Mateescu c. Roumanie, no 1944/10, § 39, 14 janvier 2014, Rummi c. Estonie, no 63362/09, § 139, 15 janvier 2015, Neshkov et autres, précité, § 301, et Yevdokimov et autres c. Russie, nos 27236/05 et 10 autres, § 58, 16 février 2016).

72. D’un autre côté, le principe susmentionné et les articles 60 et 75 du règlement n’ont pas systématiquement empêché la Cour de faire preuve d’une certaine souplesse, essentiellement en ce qui concerne le dommage moral et, par exemple, d’accepter d’examiner des prétentions dont les requérants n’avaient pas chiffré le montant, « s’en remet[tant] à l’appréciation de la Cour » (voir, parmi beaucoup d’autres, Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, §§ 112-114, série A no 39, Blesa Rodríguez, précité, §§ 47-48, Frumkin c. Russie, no 74568/12, §§ 180-182, CEDH 2016 (extraits), Svetlana Vasilyeva c. Russie, no 10775/09, §§ 43-45, 5 avril 2016, Sürer c. Turquie, no 20184/06, §§ 49-51, 31 mai 2016 ; comparer avec Mihu c. Roumanie, no 36903/13, §§ 82-84, 1er mars 2016). Ainsi que la Cour l’a déjà dit, de par sa nature le dommage moral ne se prête pas à un calcul ou à une quantification précise (Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, § 224, CEDH 2009).

73. La Cour souligne à cet égard que, concernant en particulier la satisfaction équitable pour préjudice moral, elle est guidée par le principe de l’équité, qui implique une certaine souplesse et un examen objectif de ce qui est juste, équitable et raisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, c’est-à-dire non seulement de la situation du requérant, mais aussi du contexte général dans lequel la violation a été commise (Varnava et autres, précité, § 224, et Al-Jedda c. Royaume-Uni [GC], no 27021/08, § 114, CEDH 2011). Les indemnités qu’elle alloue pour préjudice moral ont pour objet de reconnaître le fait qu’un dommage moral est résulté de la violation d’un droit fondamental et elles sont chiffrées de manière à refléter approximativement la gravité de ce dommage (ibidem).

ii. L’approche de la Cour en l’absence d’une « demande » formée de manière appropriée

74. L’article 41 de la Convention confère à la Cour la compétence pour accorder une satisfaction équitable (« accorde » dans la version française ; « shall (...) afford » dans la version anglaise) et lui laisse un pouvoir d’appréciation pour statuer sur cette question (« s’il y a lieu » dans le texte français ; « if necessary » dans le texte anglais) (Guzzardi, précité, § 114). En vertu de ce pouvoir d’appréciation, la Cour peut décider, par exemple, de refuser l’octroi d’une réparation pécuniaire ou revoir à la baisse le montant accordé. Elle peut aussi naturellement décider d’octroyer une indemnité.

75. Procédant à une appréciation globale des principes et approches résumés ci-dessus, la Cour réaffirme qu’un requérant et son représentant désigné en vertu de l’article 36 du règlement de la Cour doivent respecter les conditions de forme et de fond liées à la satisfaction équitable qui sont fixées dans le règlement, sous peine d’exposer le requérant à des conséquences négatives. Un représentant agit pour le compte du requérant qui l’a désigné, ce qui signifie notamment que selon l’article 37 du règlement les communications et notifications adressées à ce représentant sont réputées adressées au requérant. Le représentant est censé agir dans l’intérêt du requérant ; les actes du représentant doivent normalement reposer sur les instructions et souhaits du requérant, et ils nécessitent une coopération entre eux pendant la procédure devant la Cour (voir, mutatis mutandis, V.M. et autres c. Belgique [GC], no 60125/11, §§ 35 et 37, 17 novembre 2016), par exemple en ce qui concerne la décision de demander à la Cour une satisfaction équitable pour la violation alléguée de la Convention. D’ordinaire, cela signifie notamment qu’un requérant doit supporter les conséquences négatives qui peuvent résulter de la manière dont son représentant gère l’affaire portée devant la Cour. Il s’ensuit que, si le représentant n’a pas soumis de « demande » de satisfaction équitable, la Cour n’octroiera en général pas d’indemnité.

76. Cependant, l’article 41 de la Convention étant la principale disposition juridique sur la satisfaction équitable, la norme de valeur supérieure (voir, mutatis mutandis, Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) [GC], no 25781/94, § 42, CEDH 2014) et la norme applicable dans le cadre du mécanisme de sauvegarde des droits de l’homme instauré par les Parties contractantes, la Cour considère que, si normalement elle ne se penche pas d’office sur la question de la satisfaction équitable, ni la Convention ni ses Protocoles ne l’empêchent d’exercer le pouvoir d’appréciation que l’article 41 de la Convention lui confère. Lorsqu’une « demande » n’a pas été formée de manière appropriée dans le respect de son règlement, la Cour reste donc compétente pour octroyer, de façon raisonnable et mesurée, une satisfaction équitable pour un préjudice moral découlant des circonstances exceptionnelles d’une affaire donnée.

77. L’exercice de ce pouvoir d’appréciation doit toujours tenir dûment compte de l’exigence fondamentale qu’est l’examen contradictoire. Lorsque la Cour peut à titre exceptionnel envisager l’octroi d’une satisfaction équitable pour préjudice moral en l’absence d’une « demande » formée de manière appropriée, il convient de demander aux parties de présenter leurs observations, par exemple en réservant la question de l’application de l’article 41 de la Convention en vertu de l’article 75 § 1 du règlement de la Cour (voir, mutatis mutandis, Chypre c. Turquie (satisfaction équitable), précité, § 4).

78. À la lumière de ce qui précède, la Cour juge approprié d’adopter l’approche exposée ci-dessous, à appliquer dans des situations exceptionnelles. En l’absence d’une « demande » de satisfaction équitable formée de manière appropriée, il faut tout d’abord vérifier qu’un certain nombre de conditions préalables sont réunies, avant d’évaluer les considérations impérieuses militant pour l’octroi d’une indemnité.

α) Conditions préalables

79. La Cour juge concevable qu’un requérant puisse choisir de limiter (ab initio ou à un stade ultérieur) sa requête auprès de la Cour à la reconnaissance d’une violation par l’État défendeur de ses droits découlant de la Convention ou de ses Protocoles, et s’abstenir de demander une réparation pécuniaire devant la Cour (voir, par exemple, Mihu, précité, §§ 82‑84) ou préférer chercher à l’obtenir plus tard au niveau national, par exemple lorsque des recours effectifs deviendront manifestement disponibles à la suite de l’arrêt de la Cour. La Cour attachera donc une importance particulière aux indications montrant sans équivoque qu’un requérant a exprimé le souhait d’obtenir une réparation pécuniaire en sus de la reconnaissance de la violation de la Convention, et que son intérêt à obtenir réparation est exprimé au sujet des faits mêmes qui sont à l’origine des conclusions de la Cour relatives à une violation de la Convention dans la cause du requérant. Il faut de plus vérifier l’existence d’un lien de causalité entre la violation et le préjudice moral découlant de la violation de la Convention.

β) Considérations impérieuses

80. À partir de ses conclusions sur les conditions préalables susmentionnées, la Cour recherchera ensuite s’il existe des considérations impérieuses en faveur de l’octroi d’une somme, bien que le requérant n’ait pas satisfait aux exigences découlant de l’article 60 du règlement de la Cour, à savoir qu’une demande pour préjudice moral doit être formée, et ce en temps voulu, pendant la procédure contentieuse.

– Gravité et impact particuliers de la violation, et contexte global de l’affaire

81. Lorsque la Cour envisage d’accorder d’office une satisfaction équitable pour préjudice moral, elle doit prendre en compte la gravité et l’impact particuliers de la violation de la Convention (en raison par exemple de sa nature ou de son degré), qui ont pu, notamment, porter une atteinte grave au bien-être moral du requérant, avoir d’une autre manière des répercussions sérieuses sur sa vie ou ses moyens de subsistance ou lui causer un autre type de préjudice particulièrement important (voir, mutatis mutandis, Varnava et autres, précité, § 224), et, dès lors que cela peut être pertinent dans les circonstances particulières d’une affaire donnée, le contexte global dans lequel la violation s’est produite.

– Impossibilité totale ou partielle d’obtenir une réparation adéquate au niveau interne

82. En plus de ces éléments qui doivent être pris en compte avant l’octroi d’une satisfaction équitable en l’absence d’une « demande » formée de manière appropriée, la Cour doit vérifier s’il existe au niveau interne des perspectives raisonnables d’obtention d’une réparation adéquate, au sens de l’article 41 de la Convention, après le prononcé de l’arrêt de la Cour.

iii. Application au cas d’espèce

α) Conditions préalables

83. La Cour considère – et ce point ne prête pas à controverse entre les parties – que le requérant a subi un préjudice moral du fait de la violation de l’article 2 de la Convention et qu’il y a un lien de causalité entre la violation et le dommage. Le préjudice moral est lié en l’espèce à la souffrance psychique et à la détresse éprouvées par le requérant du fait de l’usage meurtrier, illégal et injustifié d’armes à feu contre son fils et du caractère incomplet de l’enquête menée dans cette affaire.

84. La Cour attache de l’importance au fait que le requérant a indiqué sans équivoque qu’il souhaitait, et souhaite toujours, obtenir une indemnité en sus de la reconnaissance de la violation de la Convention. Son intérêt à être indemnisé a été exprimé relativement aux faits spécifiques révélant la violation de l’article 2 de la Convention à raison du décès de son fils (paragraphes 38 et 52 ci-dessus).

β) Considérations impérieuses relatives aux faits de l’espèce

85. Si la conduite d’une affaire devant la Cour appartient pour l’essentiel au requérant et à son représentant, la Cour observe toutefois que la représentante du requérant en l’espèce n’a pas soumis de « demande » de satisfaction équitable pendant la procédure devant la chambre, alors que –comme cela ressort des pièces du dossier – l’intéressé souhaitait expressément en obtenir une. Dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour n’est donc pas disposée à conclure que le requérant devrait ipso facto supporter les conséquences négatives d’une telle omission, et elle accordera du poids aux considérations présentées ci-après.

86. Compte dûment tenu des éléments d’appréciation exposés aux paragraphes 75 et 76 ci-dessus, il s’agit pour la Cour de déterminer s’il y a lieu (« if necessary ») en raison de considérations impérieuses d’accorder une satisfaction équitable au requérant.

– Gravité et impact particuliers de la violation, et contexte global de l’affaire

87. Faisant sienne l’appréciation de la chambre, la Grande Chambre a conclu ci-dessus que la présente espèce révélait des violations particulièrement graves de la Convention ; ce constat porte tant sur le volet matériel que sur le volet procédural de l’article 2 de la Convention. Le gouvernement défendeur avait lui-même reconnu devant la chambre qu’il y avait eu violation de cette disposition en son volet matériel et n’a pas plaidé différemment devant la Grande Chambre. La Cour considère que le constat de violation de la Convention en l’espèce ne représenterait pas en soi une satisfaction équitable suffisante et que la gravité et l’impact particuliers des violations en cause ainsi que le contexte général dans lequel elles se sont produites, en particulier l’enquête longue et défectueuse sur un décès causé par un agent de l’État, plaident pour l’octroi d’une satisfaction équitable (comparer avec X c. Croatie, précité, §§ 61–63).

– Impossibilité totale ou partielle d’obtenir une réparation adéquate au niveau interne

88. La Cour relève qu’il n’y a pas de possibilité de restitutio in integrum en l’espèce. Sans préjudice des mesures générales ou individuelles qui pourraient être adoptées dans l’ordre juridique interne conformément à l’article 46 de la Convention, les éléments dont la Cour dispose l’amènent à conclure, dans le cadre de son appréciation au titre de l’article 41 de la Convention, que l’existence d’une chance raisonnable d’obtenir une réparation adéquate au niveau interne, eu égard en particulier au fait que si une demande devait être formulée à cet effet elle le serait des années après la survenue des violations de la Convention et la suspension de l’enquête menée par les autorités nationales, n’a pas été établie en l’espèce.

89. Dans le contexte des griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention, une réparation qui corresponde à la nature de la violation requiert en principe une enquête adéquate propre à conduire à la punition des responsables, ainsi qu’une indemnité (voir, essentiellement dans le cadre de l’appréciation par la Cour d’une éventuelle perte de la qualité de victime en raison de mesures favorables au requérant prises au niveau interne à la suite d’un décès ou de mauvais traitements infligés intentionnellement, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, §§ 121-130, CEDH 2010, Mustafa Tunç et Fecire Tunç c. Turquie [GC], no 24014/05, §§ 130-135, 14 avril 2015, et Jeronovičs, précité, §§ 103-108 ; voir aussi Kopylov c. Russie, no 3933/04, §§ 127-131, 29 juillet 2010, et Razzakov c. Russie, no 57519/09, § 50, 5 février 2015). La Cour relève que le requérant n’a pas obtenu de réparation, par exemple une indemnité, pour les faits qui sont à l’origine des violations de l’article 2 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Tomasi c. France, 27 août 1992, § 130, série A no 241‑A, et Trévalec c. Belgique (satisfaction équitable), no 30812/07, §§ 26-27, 25 juin 2013).

90. Le Gouvernement n’a pas laissé entendre que le requérant disposerait de recours internes offrant des perspectives raisonnables de réparation pour les violations de la Convention (voir, mutatis mutandis, Clooth c. Belgique, 12 décembre 1991, § 52, série A no 225, et Clooth c. Belgique (article 50), 5 mars 1998, §§ 14-16, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I), en particulier de recours qui pourraient être institués à la suite de l’arrêt de la Cour constatant une violation de la Convention et permettraient de demander une réparation pécuniaire. Il découle des informations disponibles que l’enquête pénale est suspendue depuis 2011, de sorte qu’aucune décision interne définitive n’a été rendue sur le fond de la plainte pénale du requérant ni sur la légalité du recours aux armes en l’espèce. Quoi qu’il en soit, s’il apparaît qu’après le prononcé de l’arrêt de la Cour l’application du code de procédure pénale pourrait offrir une possibilité de reprise de l’enquête pénale, la Cour observe que plus de neuf ans se sont écoulés depuis les faits, ce qui pourrait compromettre toute mesure éventuelle de « réparation ».

91. Dans ces conditions, et pour autant que la présente discussion sur la satisfaction équitable concerne la question d’une réparation pécuniaire, la Cour n’aperçoit aucun élément – et le gouvernement défendeur n’a pas formulé un avis contraire – indiquant que le droit national permet de demander une réparation adéquate relativement aux conclusions de la Cour sur la mort infligée au fils du requérant et les défauts de l’enquête et de l’obtenir dans un délai raisonnable (voir, mutatis mutandis, Tararieva c. Russie, no 4353/03, §§ 96-101, CEDH 2006‑XV (extraits), Menecheva c. Russie, no 59261/00, §§ 76-77, CEDH 2006‑III, Dedovski et autres c. Russie, no 7178/03, §§ 98-102, CEDH 2008 (extraits), Denis Vasilyev c. Russie, no 32704/04, § 136, 17 décembre 2009, et Islamova c. Russie, no 5713/11, § 73, 30 avril 2015, dans le contexte de l’article 13 de la Convention).

iv. Conclusion

92. Ayant examiné les observations des parties, eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Grande Chambre constate que la présente espèce révèle des circonstances exceptionnelles qui appellent l’octroi d’une satisfaction équitable pour préjudice moral, malgré l’absence d’une « demande » formée de manière appropriée (voir, a contrario, Schatschaschwili, précité, §§ 167-170, dans le contexte de l’article 6 de la Convention). Statuant en équité, la Cour alloue donc au requérant 50 000 euros (EUR), plus tout montant pouvant être dû par lui sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral. Elle juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

B. Autres types de dommages

93. La Cour note qu’aucune demande n’a été déposée pour dommage matériel ou pour frais et dépens. En conséquence, elle n’alloue aucune somme à ces titres (Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, § 134, CEDH 2014 (extraits), et Perdigão c. Portugal [GC], no 24768/06, § 87, 16 novembre 2010).

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violations de l’article 2 de la Convention en ses volets matériel et procédural ;

2. Dit, par quatorze voix contre trois,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, la somme suivante, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur :

50 000 EUR (cinquante mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 30 mars 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Françoise Elens-PassosGuido Raimondi
Greffière adjointePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante commune aux juges Nußberger et Lemmens ;

– opinion dissidente commune aux juges Raimondi, O’Leary et Ranzoni.

G.R.
F.E.P.

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES NUSSBERGER ET LEMMENS

(Traduction)

1. Nous avons voté avec la majorité en faveur de l’octroi au requérant d’une somme de 50 000 euros pour préjudice moral.

2. À notre grand regret, nous ne pouvons toutefois souscrire aux motifs exposés dans l’arrêt. En fait, nous adhérons très largement aux critiques formulées par les juges Raimondi, O’Leary et Ranzoni dans leur opinion dissidente commune. Nous estimons toutefois qu’une demande de satisfaction équitable pour préjudice moral a été valablement formée en l’espèce et que la Grande Chambre peut naturellement agir sur cette base.

Question en jeu : l’application cohérente du règlement de la Cour

3. Le règlement de la Cour est fait pour être respecté. Il est clair et il est appliqué depuis des décennies. Quiconque souhaite une indemnité pour préjudice moral doit former une demande à cet effet[1], de sorte que le gouvernement puisse livrer ses observations à ce sujet et la Cour se prononcer après avoir entendu les deux parties.

4. Il est vrai que le texte de la Convention lui-même n’énonce ni la procédure de demande de satisfaction équitable ni les conditions préalables spécifiques. Il n’y a toutefois pas de contradiction entre l’article 41 de la Convention et le règlement de la Cour. C’est une chose que d’édicter des règles sur les exigences de forme relatives à l’exercice d’une certaine compétence ; c’en est une autre que de conférer un pouvoir d’appréciation quant au contenu de la décision à prendre. Il découle de l’article 41 de la Convention que la Cour possède un certain pouvoir d’appréciation s’agissant d’allouer ou non une indemnité. Cependant, ce pouvoir d’appréciation n’englobe pas la possibilité de respecter ou non les règles procédurales.

Octroi d’une satisfaction équitable pour violation des droits de l’homme : une solution acceptable plutôt qu’une bonne solution

5. Avant d’aborder la question de l’interprétation des dispositions pertinentes, nous reconnaissons que l’on peut de façon générale se demander si les violations des droits de l’homme peuvent être réparées par de l’argent. Le requérant déclare à juste titre qu’il n’est pas en mesure d’exprimer par un montant la souffrance due à la perte de son fils[2].

6. Néanmoins, faute d’une meilleure solution, et malgré le risque de commercialisation des droits de l’homme, les auteurs de la Convention ont choisi de prévoir la possibilité d’allouer une somme d’argent parmi les moyens de rendre la justice.

Pouvoir discrétionnaire et égalité de traitement

7. S’il est vrai que la Cour possède un pouvoir discrétionnaire d’octroyer une satisfaction équitable pour préjudice moral, il reste la question de l’égalité, qui lui impose de traiter de la même manière les personnes qui se trouvent dans la même situation. Dans de nombreuses affaires, la Cour n’a pas alloué de satisfaction équitable parce qu’elle considérait que la demande nécessaire à cet effet n’avait pas été convenablement formée[3]. Nous partageons l’avis des juges dissidents selon lequel la Cour doit suivre ses propres règles et sa propre jurisprudence et ne pas « inventer » d’exception pour répondre à une affaire donnée.

Formulation de la demande dans le formulaire de requête

8. Si l’article 41 de la Convention ne prescrit pas une obligation de former une demande de satisfaction équitable, le principe général de droit non ultra petita interdit à un tribunal d’octroyer plus que ce qui a été demandé[4]. Ce principe est confirmé à l’article 60 § 1 du règlement, qui dispose : « Tout requérant qui souhaite que la Cour lui accorde une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention en cas de constat d’une violation de ses droits découlant de celle-ci doit formuler une demande spécifique à cet effet »[5]. Nous observons que l’article 60 § 1 du règlement n’indique aucunement à quel moment la demande doit être faite.

9. L’article 60 § 2 du règlement énonce ensuite ceci : « Sauf décision contraire du président de la chambre, le requérant doit soumettre ses prétentions, chiffrées et ventilées par rubrique et accompagnées des justificatifs pertinents, dans le délai qui lui a été imparti pour la présentation de ses observations sur le fond ». Nous comprenons que cette disposition répond à la nécessité de préciser les demandes déjà faites dans le formulaire de requête (le cas échant) et de produire les éléments qui attestent le préjudice subi. Il est intéressant de remarquer que l’article 60 § 2 du règlement n’indique pas que la demande proprement dite peut uniquement être formée au stade de la communication, c’est-à-dire dans le cadre du délai fixé pour le dépôt des observations du requérant.

10. L’article 60 § 3 du règlement ajoute que « [s]i le requérant ne respecte pas les exigences décrites dans les paragraphes qui précèdent, la chambre peut rejeter tout ou partie de ses prétentions ». Pourquoi « peut rejeter » et non pas « rejette »[6] ? À notre avis, c’est parce qu’il y a des affaires où la Cour peut allouer une satisfaction équitable sans avoir besoin d’une demande détaillée ou de justificatifs. Tel est le cas bien entendu, et en particulier, en ce qui concerne les demandes de satisfaction équitable pour préjudice moral. S’il est clairement préférable de disposer d’une indication de ce que le requérant estime approprié, cela ne peut pas être considéré comme une condition sine qua non de l’octroi d’une indemnité. L’article 60 § 3 du règlement habilite la Cour à rejeter une demande lorsque, en raison de l’absence de prétentions chiffrées et ventilées par rubriques ou de justificatifs, elle n’est pas en mesure de statuer (aisément) sur le montant de la réparation[7]. Nous relevons également que, d’après la formulation même de l’article 60 § 3, cette disposition part du principe qu’une demande a été formée[8] ; si aucune demande n’a été formée, le principe non ultra petita donne à la Cour une raison suffisante de ne pas allouer de somme[9], et il n’est pas nécessaire de mentionner une autre omission éventuelle du requérant.

11. Comme l’indique le paragraphe 38 de l’arrêt, en l’espèce le requérant a demandé réparation, dans son formulaire de requête, pour des violations de l’article 2 de la Convention. Selon notre lecture de l’article 60 du règlement, cela devrait suffire pour satisfaire à l’obligation selon laquelle une « demande spécifique » doit être formée, du moins pour ce qui concerne le préjudice moral. Par ailleurs, nous ne voyons pas pourquoi la Cour ne pourrait pas, même en l’absence de plus de précisions, allouer une satisfaction équitable pour préjudice moral sur le fondement de la demande ainsi formée.

12. Cependant, si une telle interprétation du règlement est à notre avis parfaitement valable, nous reconnaissons que la pratique de la Cour est différente. Cela est clairement exprimé au paragraphe 5 de l’instruction pratique sur les demandes de satisfaction équitable, où il est dit que la Cour « écarte les demandes présentées dans les formulaires de requête mais non réitérées au stade approprié de la procédure (...) ». Il ressort manifestement des circonstances de l’espèce que le requérant a été informé de cette pratique (paragraphe 39 de l’arrêt).

Formulation de la demande dans le mémoire du requérant adressé à la Grande Chambre

13. Même si l’article 60 du règlement doit être lu dans le sens de ce qui constitue la pratique courante depuis des années et qui est indiqué dans l’instruction pratique, nous continuons de penser que la Grande Chambre dispose d’une base suffisante pour allouer une satisfaction équitable.

14. En effet, nous nous basons, à titre subsidiaire, sur les pouvoirs spécifiques dont jouit la Grande Chambre lorsqu’il s’agit de statuer sur les affaires qui lui sont soumises à la demande de l’une des parties (article 43 de la Convention). Une affaire renvoyée devant la Grande Chambre englobe nécessairement tous les aspects de la requête que la chambre a examinés précédemment dans son arrêt[10]. Cet arrêt sera écarté pour être remplacé par le nouvel arrêt de la Grande Chambre[11]. Le réexamen d’une indemnité pour préjudice moral n’est exclu ni explicitement ni implicitement par la Convention ou le règlement ; il n’y a pas non plus, contrairement à ce que dit la majorité, de pratique selon laquelle « la demande de satisfaction équitable est la même que celle initialement présentée devant la chambre » (paragraphe 63 de l’arrêt)[12].

15. Aux termes de l’article 71 § 1 du règlement, « [l]es dispositions régissant la procédure devant les chambres s’appliquent, mutatis mutandis, à celle devant la Grande Chambre ». Cela signifie que les parties peuvent être invitées à soumettre à la Grande Chambre des éléments de preuve ou observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement). Dans ses observations, un requérant peut alors soulever à nouveau la question du préjudice moral.

16. En l’espèce, nous interprétons l’invitation que fait le requérant à la Cour de « confirmer l’arrêt » (paragraphe 52 de l’arrêt) comme une nouvelle demande de préjudice moral, cette fois chiffrée à 50 000 euros. Le gouvernement russe a eu tout loisir de livrer ses observations sur cette demande.

17. À nos yeux, l’octroi par la Grande Chambre d’une satisfaction équitable pour préjudice moral dans ces circonstances est donc compatible avec le règlement.

Politique judiciaire : les mesures à prendre

18. La conclusion à laquelle nous parvenons est une solution pour l’affaire spécifique dont nous sommes saisis. Si à l’avenir il est jugé nécessaire de déroger au principe non ultra petita, nous pensons que l’on pourra mieux régler la question par la modification de l’article 60 du règlement. Nous partageons l’avis exprimé dans l’opinion dissidente commune selon lequel la définition de dérogations aux règles procédurales est une question importante sur laquelle doit se pencher et se prononcer la Cour plénière sur le fondement de l’article 25 d) de la Convention, et non dix-sept juges de la Grande Chambre[13].

19. Il appartiendrait alors à la plénière de définir les circonstances dans lesquelles la Cour peut allouer une satisfaction équitable malgré l’omission du requérant de former une demande valable.

20. Nous relevons que le raisonnement de la majorité repose sur un ensemble de « conditions préalables » et de « considérations impérieuses » qui limitent les « situations exceptionnelles » permettant de déroger au principe non ultra petita (paragraphes 78-82 de l’arrêt). Avec tout le respect que nous devons à nos collègues de la majorité, nous ne saurions considérer ces conditions comme réalistes. Sur ce point, nous souscrivons pleinement à la position exprimée dans l’opinion dissidente commune[14]. Les conditions sont vagues et imprécises. De plus, les « considérations impérieuses » coïncident presque parfaitement avec les conditions générales de l’octroi d’une somme pour préjudice moral[15].

21. À notre avis, toute dérogation doit être formulée aussi brièvement et clairement que possible, afin de pouvoir être facilement appliquée par la Cour dans telle ou telle affaire.

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES RAIMONDI, O’LEARY ET RANZONI

(Traduction)

I ‑ Introduction

1. Dans son arrêt du 5 novembre 2015, la chambre a dit, à l’unanimité, qu’il y avait eu violation de l’article 2 de la Convention sous ses deux volets, matériel et procédural. Ces violations étaient la conséquence d’un homicide illicite commis par la police sur la personne du fils du requérant lors d’une manifestation contre des fonctionnaires prétendument corrompus tenue dans un village du Daghestan en 2006, et de l’enquête non effective ayant suivi ce décès.

2. Il est important de souligner d’emblée que l’arrêt de la Grande Chambre rendu aujourd’hui confirme, à l’unanimité, ce constat de double violation de l’article 2 de la Convention[16].

3. Le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre, demandé par l’État défendeur en vertu de l’article 43 de la Convention, concernait exclusivement l’octroi d’une satisfaction équitable sur le fondement de l’article 41 de la Convention. Il est banal, mais peut-être nécessaire, de rappeler qu’une demande de renvoi comme celle-ci n’est acceptée par le collège de la Grande Chambre que si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles, ou encore une question grave de caractère général. La question soulevée par la présente affaire – qui par sa nature relève des deux branches de l’article 43 – était de savoir si la Cour pouvait allouer une satisfaction équitable, en particulier une somme pour préjudice moral, en l’absence d’une demande de satisfaction équitable dûment soumise conformément à la Convention et au règlement de la Cour[17].

4. Pour établir si la Cour est compétente pour allouer une somme, nous estimons que les circonstances de la présente espèce, plus particulièrement les faits ayant entouré et suivi la mort tragique du fils du requérant, sont pertinentes mais non déterminantes. La mission de la Cour au regard de l’article 19 de la Convention est d’assurer le respect des obligations résultant pour les États de la Convention. Le constat d’une double violation de l’article 2 de la Convention en l’espèce correspond à cette fonction première. Comme le reconnaît la majorité, octroyer à un requérant une somme d’argent au titre de la satisfaction équitable ne relève pas de l’une des tâches principales de la Cour mais est accessoire à sa mission consistant à assurer le respect des obligations résultant pour les États de la Convention[18].

5. Ce qui était demandé à la Grande Chambre dans le cadre de ce renvoi, c’était de résoudre l’insécurité juridique engendrée par le développement d’une jurisprudence divergente sur la question de la satisfaction équitable évoquée plus haut (certaines chambres allouant une satisfaction équitable dans des affaires dirigées contre certains États en l’absence de demande, tandis que d’autres, dans des affaires visant d’autres États, n’en allouent pas). De ce fait, la Grande Chambre était également appelée à répondre à une question d’une importance considérable concernant la nature et la valeur des règles procédurales qui s’appliquent à la Cour et à ses procédures, et auxquelles requérants et États défendeurs sont censés se conformer.

6. Avec tout le respect que nous devons à la majorité, nous sommes en désaccord avec sa position selon laquelle, en l’absence d’une demande de satisfaction équitable, la Cour peut et doit allouer des sommes pour dommage matériel, préjudice moral et frais et dépens[19]. Ainsi que nous l’expliquerons ci-après, le cadre juridique relatif à la satisfaction équitable, établi par l’article 41 de la Convention et l’article 60 du règlement de la Cour (et par ailleurs expliqué par l’instruction pratique pertinente), ne conforte pas le constat de la majorité. Le fait que la Cour, dans une série limitée d’affaires qui concernaient presque exclusivement certains États défendeurs, se soit écartée de la règle clairement exposée dans son règlement et énoncée dans sa jurisprudence ne fournit pas à la Grande Chambre une base solide pour valider cette divergence de jurisprudence. S’il est vrai que la teneur de l’article 41, du règlement de la Cour et de la jurisprudence de la Cour elle-même sur la satisfaction équitable offre un certain pouvoir d’appréciation judiciaire, nous estimons que celui-ci entre en jeu uniquement lorsque certaines conditions de forme et de fond sont réunies, uniquement en cas de nécessité et uniquement s’il est en tout premier lieu établi que le droit interne de l’État défendeur ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de la violation.

7. En statuant comme elle le fait, la majorité de la Grande Chambre risque de faire voler en éclats les règles procédurales relatives à la satisfaction équitable et de saper, plus généralement, le règlement de la Cour malgré l’importance et la raison d’être des règles de procédure. La Cour elle-même a souligné leur importance dans sa jurisprudence concernant l’article 6 de la Convention. Afin de pouvoir déterminer quand l’exception nouvellement confirmée s’appliquera, la majorité établit certains critères. Or ceux-ci sont non seulement vagues et poreux, mais aussi susceptibles d’engendrer une grande insécurité juridique ou une différence de traitement selon les États défendeurs, voire les deux.

8. Nous considérons qu’une autre voie s’ouvrait à la Cour, à supposer que l’examen de la jurisprudence pertinente par la Grande Chambre ait indiqué que refuser d’octroyer une satisfaction équitable en l’absence d’une demande dûment soumise était problématique du point de vue du système de la Convention pour la protection des droits fondamentaux[20].

II – Examen détaillé du cadre juridique relatif aux demandes de satisfaction équitable

9. Les règles pertinentes – issues de la Convention et du règlement de la Cour – sur la satisfaction équitable sont présentées dans l’arrêt de la Grande Chambre[21].

10. Étant donné qu’à notre avis la majorité se montre sélective lorsqu’elle se base sur certaines règles tout en en excluant clairement d’autres, nous estimons nécessaire de les analyser plus en détail.

Article 41 de la Convention

11. Comme le souligne la majorité, nous devons prendre l’article 41 comme point de départ. La Cour « accorde » (« shall (...) afford ») une satisfaction équitable à la partie lésée, mais cela présuppose :

– le constat d’une violation ;

– le constat que le droit interne de l’État défendeur ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation ;

– l’existence d’une partie lésée (en principe, la « victime » de la violation) ;

– la nécessité d’octroyer une somme[22].

12. Ainsi, l’article 41 habilite la Cour à octroyer une somme mais ne l’y oblige pas[23].

13. Il est vrai, comme l’indique la majorité au paragraphe 67 de l’arrêt, que l’article 41 de la Convention ne précise pas que l’existence d’une demande, dûment formée, est une condition préalable à l’octroi par la Cour d’une satisfaction équitable. Néanmoins, ne tient-il pas à la nature même d’un document comme la Convention – traité international signé en 1950 puis ratifié par quarante-sept Hautes Parties contractantes – que l’on laisse au règlement de la Cour le soin de préciser les conditions de forme et de fond auxquelles est subordonné l’octroi par la Cour d’une satisfaction équitable[24] ? À l’instar de toutes les règles procédurales régissant l’organisation, le fonctionnement et les procédures d’une juridiction, qu’elle soit nationale ou internationale, le règlement de la Cour contient les détails qui ne figurent pas dans l’article pertinent de la Convention. Le règlement étoffe les dispositions de la Convention relatives à la procédure ainsi qu’à l’organisation et au fonctionnement de la Cour[25]. L’article 41 ne précise pas non plus, par exemple, que la satisfaction qu’il prévoit se rapporte au dommage matériel, au préjudice moral et aux frais et dépens. Cela n’est apparu qu’avec le temps, à mesure que la Cour interprétait et appliquait ce qui fut d’abord l’article 50 avant de devenir l’article 41 de la Convention, combiné avec les dispositions pertinentes du règlement[26]. L’article 41 ne mentionne pas davantage la nécessité d’établir un lien de causalité. Cela devrait-il nous amener à remettre en question les conditions établies à ce sujet dans le règlement de la Cour, l’instruction pratique et la jurisprudence ? Enfin, il est si facile de prendre le contre-pied du raisonnement tenu par la majorité au paragraphe 67 de l’arrêt de la Grande Chambre. Si les rédacteurs avaient voulu que la Cour ait le pouvoir d’allouer une satisfaction équitable d’office, ils l’auraient prévu expressément. Une possibilité explicite d’accorder une réparation proprio motu dans des cas exceptionnels est prévue pour la Cour pénale internationale, la seule juridiction internationale qui à notre connaissance jouit de ce pouvoir exprès[27].

14. La majorité reconnaît à juste titre la valeur supérieure de l’article 41 de la Convention par rapport à l’article 60 du règlement[28]. Hélas, dans son raisonnement elle sacrifie la nature, le contenu et la fonction des règles procédurales sur cet autel des normes. Par ailleurs, elle ne tient pas compte de la portée du pouvoir normatif que possèdent la Cour et sa plénière, fondé sur l’article 25 d) de la Convention[29].

Article 60 du règlement et instruction pratique sur les demandes de satisfaction équitable

15. L’article 60 du règlement mérite lui-même une plus grande attention. Aux termes de l’article 60 § 1, tout requérant qui souhaite que la Cour lui accorde une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention en cas de constat d’une violation de ses droits découlant de celle-ci doit formuler une demande spécifique à cet effet. La teneur de cet article est on ne peut plus claire, mais pour le cas où elle ne le serait pas assez, le paragraphe 4 de l’instruction pratique indique ce qui suit : « Tout requérant désireux de déposer une demande de satisfaction équitable doit respecter les conditions de forme et de fond pertinentes fixées par la Convention et le règlement de la Cour ». Au paragraphe 5, l’instruction pratique ajoute ceci : « [La Cour] écarte les demandes présentées dans les formulaires de requête mais non réitérées au stade approprié de la procédure. Elle rejette aussi les demandes tardives ». Ces conditions sont exposées aux requérants et à leurs représentants dans le courrier que leur adresse le greffe de la Cour.

16. Par le passé, la Cour a attiré l’attention et s’est appuyée sur la clarté de ces dispositions. Dans Andrea Corsi c. Italie (révision), après que la Cour avait refusé d’octroyer une satisfaction équitable en l’absence de demande, le requérant demanda la révision de l’arrêt parce qu’il était certain que son représentant avait soumis une telle demande bien qu’il ne fût pas en mesure de le prouver. La Cour a dit : « [I]l ne suffit pas de formuler des demandes de satisfaction équitable, encore faut-il que la Cour les reçoive dans les délais (...)). Les articles de son règlement sont clairs à ce sujet puisqu’ils mentionnent le « dépôt » de ces documents au greffe. L’article 38 § 2 [du règlement] précise les modalités permettant de vérifier si les parties ont respecté les délais »[30]. S’il y a le moindre doute sur la position dominante qui se dégage de la jurisprudence relative à l’article 41 (ancien article 50), cela vaut également la peine de relire l’arrêt Sunday Times c. Royaume-Uni (article 50), lequel indique clairement ceci : « Dans le domaine de l’article 50, la Cour n’examine normalement que les réclamations dont on la saisit (...) ; l’ordre public ne se trouvant pas en jeu, elle ne recherche pas d’office si le requérant a souffert d’autres dommages »[31]. Cet arrêt n’est pas un simple précédent jurisprudentiel poussiéreux et historique, mais un précédent qui illustre clairement le principe non ultra petita. C’est un arrêt qui met en évidence un principe que la Cour respecte et applique depuis de longues années, en particulier la Grande Chambre dans une récente affaire où elle a refusé d’allouer une satisfaction équitable en l’absence d’une demande dûment formée par le requérant[32].

17. Que le dépôt d’une demande soit une condition préalable à l’octroi d’une somme est également souligné, premièrement par l’article 60 § 2 du règlement, qui dispose que, sauf décision contraire du président de la chambre, le requérant doit soumettre ses prétentions, chiffrées et ventilées par rubrique et accompagnées des justificatifs pertinents, dans le délai qui lui a été imparti pour la présentation de ses observations sur le fond.

18. Deuxièmement, cette condition préalable découle aussi de l’article 60 § 4 du règlement, qui énonce que les prétentions du requérant sont transmises à la Partie contractante défenderesse pour observations. Cette dernière règle est essentielle et propre au caractère contradictoire de la procédure devant la Cour. En vertu de l’article 60 § 4, l’État défendeur se voit toujours offrir la possibilité de livrer ses observations, dans un délai donné, sur la demande du requérant. Le greffier en informe les parties par lettre le cas échéant. Le président de la section peut accepter de prolonger le délai s’il est établi qu’il y a une bonne raison de le faire et si pareille prorogation a été demandée avant l’expiration du délai fixé. La réponse d’un État défendeur qui est soumise hors délai n’est pas versée au dossier, à moins que la Cour prolonge le délai dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation. Si la réponse est dûment soumise, elle est transmise au requérant pour information. L’importance que revêt pour les parties une procédure véritablement contradictoire devant la Cour est évidente. Nul doute que toute autre manière d’organiser la procédure entrerait en conflit avec la propre jurisprudence de la Cour relative à l’article 6 de la Convention[33].

19. En ce qui concerne la présentation d’une demande, la date et la forme de celle-ci, le requérant en l’espèce a indiqué dans son formulaire de requête qu’il souhaitait obtenir réparation. Sa représentante a été invitée, par une lettre en date du 24 mai 2012 (après communication de la requête), à soumettre dans un certain délai des observations et des prétentions au titre de la satisfaction équitable. Sur ce dernier point, la représentante a vu attirer son attention de manière non équivoque sur le fait que, si des prétentions (chiffrées) et accompagnées des justificatifs nécessaires n’étaient pas soumises dans le délai indiqué, la chambre rejetterait en tout ou en partie la demande, quand bien même le requérant aurait indiqué à un stade antérieur de la procédure le souhait d’obtenir réparation[34]. Ni observations ni prétentions n’avaient été soumises à l’expiration du délai du 26 juillet 2012. Par la suite, la représentante du requérant a expliqué que l’absence d’observations était due à la circonstance que son ancien cabinet juridique ne lui avait pas fait suivre son courrier. Par une lettre du 11 octobre 2012, tenant compte des circonstances et à titre exceptionnel, le président de la première section a autorisé l’avocate à déposer des observations et des prétentions et a reporté le délai au 22 novembre 2012, dans l’exercice du pouvoir d’appréciation que lui conférait l’article 60 § 2 du règlement. À la date mentionnée, ni observations ni prétentions n’avaient été soumises à la Cour par le requérante ou sa représentante. Les faits de la présente espèce attestent qu’une règle procédurale claire a été appliquée avec la souplesse requise, conformément au règlement de la Cour, aux fins de la protection des intérêts du requérant.

20. Notre examen de l’article 60 du règlement nous amène à son troisième paragraphe, le seul qui soit potentiellement problématique du point de vue de la clarté, et celui sur lequel la majorité a choisi de s’étendre, excluant les trois autres paragraphes évoqués plus haut. L’article 60 § 3 du règlement énonce que « [s]i le requérant ne respecte pas les exigences décrites dans les paragraphes qui précèdent, la chambre peut rejeter tout ou partie de ses prétentions ». C’est de la mention des « paragraphes qui précèdent » (au pluriel) et de l’emploi du terme « peut » (facultatif) que peuvent naître des problèmes[35]. Cet article du règlement peut être lu, en combinaison avec le mot « accorde » (« shall (...) afford ») employé à l’article 41, comme la preuve du pouvoir d’appréciation (absolu) de la Cour s’agissant d’allouer une satisfaction équitable. C’est la voie pour laquelle a opté la majorité[36]. Or ce choix ne se trouve conforté ni par les termes de l’article 41, qui contient des conditions comme expliqué ci-dessus, ni par la formulation claire des autres dispositions de l’article 60 du règlement, ni par le contenu de l’instruction pratique, ni par la position dominante dans la jurisprudence de la Cour[37]. Tout indique que la Cour accordera une satisfaction équitable, mais seulement dans certaines circonstances et si certaines conditions, de forme et de fond, sont remplies. Il serait curieux que l’article 60 du règlement établisse les conditions relatives au traitement et à l’octroi d’une indemnité pour juste après les réduire à néant. En outre, quoi que l’on puisse déduire du renvoi aux « paragraphes » et du mot « peut » contenus à l’article 60 § 3 du règlement, même cette disposition, eu égard à sa référence aux « prétentions » (« claims »), suppose que de telles prétentions aient été formulées. Le fait que l’article 41 requière la présentation d’une demande est également accrédité par d’autres articles du règlement de la Cour. L’article 75 § 1, par exemple, énonce ce qui suit : « Lorsque la chambre ou le comité constatent une violation de la Convention ou de ses Protocoles, ils statuent par le même arrêt sur l’application de l’article 41 de la Convention si une demande [« claim »] spécifique a été soumise conformément à l’article 60 du (...) règlement et si la question se trouve en état ».

Les conditions de fond et les différents volets de la satisfaction équitable

21. L’instruction pratique fournit des détails sur ce qui relève de chaque volet de la satisfaction équitable et développe les conditions de forme et de fond qui doivent être remplies pour chacun de ces volets[38].

22. En ce qui concerne le dommage matériel et les frais et dépens, le requérant doit démontrer que la violation a entraîné pour lui un préjudice matériel[39] et que les frais et dépens demandés ont été réellement et nécessairement exposés, et sont d’un montant raisonnable[40].

23. Inutile de dire que satisfaire à ces exigences de fond est une condition à l’octroi d’une satisfaction équitable sous les volets en question. Cependant, la nature même de ce qui doit être prouvé, comme le montrent les précisions données dans l’instruction pratique et l’article 60 du règlement, souligne plus encore en quoi il est essentiel de soumettre de véritables prétentions.

24. Pour le dommage moral – volet sous lequel la majorité de la Grande Chambre a décidé à titre exceptionnel et vu les circonstances de l’espèce d’octroyer une satisfaction équitable –, l’instruction pratique précise clairement que l’indemnité que la Cour alloue est censée fournir une réparation pécuniaire du dommage moral, par exemple la souffrance physique ou mentale. De plus, elle indique que, par sa nature, le dommage moral ne se prête pas à un calcul précis. Cette difficulté explique à notre avis la formulation de l’article 60 § 3 du règlement examiné ci-dessus, c’est‑à-dire le fait que la Cour peut rejeter les prétentions en tout ou en partie si les conditions contenues aux paragraphes 1 et 2 de l’article 60 du règlement ne sont pas satisfaites. L’indication selon laquelle la Cour « peut » rejeter les prétentions renvoie spécifiquement à la disposition précédente, le paragraphe 2 de l’article 60, en particulier aux situations où le requérant n’a pas soumis ou ne peut pas soumettre ses prétentions chiffrées et ventilées par rubrique. Comme le requérant en l’espèce le souligne à juste titre, et comme la Cour l’a admis dans d’autres circonstances, il est impossible de mettre un prix sur la vie d’un enfant ou de quantifier le préjudice moral causé par d’autres violations[41].

25. D’autre part, le paragraphe 14 de l’instruction pratique confirme la condition de fond qui doit être remplie pour que puisse être octroyée une indemnité pour préjudice moral : « Si son existence est établie, et si la Cour estime qu’il y a lieu d’accorder une indemnité pécuniaire, elle procède à une évaluation en équité en ayant égard aux normes qui se dégagent de sa jurisprudence ». On peut se demander comment il est possible de remplir cette condition de fond, dans le contexte d’une procédure qui doit être contradictoire, si aucune demande de satisfaction équitable n’est soumise ?

III – Compétence de la Cour en l’absence d’une demande de satisfaction équitable

26. Si l’article 41 de la Convention, le règlement de la Cour, l’instruction pratique et la grande majorité des décisions de la Cour sur la satisfaction équitable indiquent tous clairement que la Cour n’alloue pas de somme en l’absence d’une demande soumise conformément aux conditions de forme et de fond prescrites, sur quoi la majorité de la Grande Chambre se fonde-t-elle pour décider à la fois de confirmer cette règle procédurale impérative[42] et d’y déroger dans des cas exceptionnels ?

27. Cette dérogation est justifiée diversement par la mission de la Cour au regard de l’article 34 de la Convention de rendre la justice dans chaque affaire[43], par l’obligation juridique incombant aux États en vertu de l’article 46 de la Convention de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences[44], par le pouvoir de la Cour découlant de l’article 41 de la Convention d’accorder la satisfaction qui lui semble appropriée[45], par l’absence dans cette même disposition d’une indication des conditions de forme limitant l’exercice de ce pouvoir d’appréciation ainsi que par l’emploi du mot « peut » à l’article 60 § 3 du règlement et du mot « accorde » (« shall (...) afford ») figurant à l’article 41 lui-même[46], par le fait que dans plusieurs affaires la Cour a alloué d’office une satisfaction équitable[47], par le fait que dans certaines affaires elle juge approprié de n’allouer aucune satisfaction équitable ou d’en allouer une alors que le requérant n’avait pas chiffré sa demande[48], par le fait que le principe directeur lors de l’octroi d’une somme pour préjudice moral est le principe d’équité[49] et, enfin, par le fait que la principale application du principe non ultra petita en la matière vise à assurer que la Cour elle-même ne revoie pas à la hausse le montant demandé par le requérant même si, dans des affaires similaires, elle allouerait normalement une somme supérieure[50].

28. Nous souscrivons sans réserve à l’avis de la majorité selon lequel l’équité mais aussi la souplesse guident la Cour lorsqu’elle fixe, conformément à l’article 41, le montant approprié à allouer dans les circonstances d’une affaire particulière ; mais, avec tout le respect que nous devons à la majorité, nous ne sommes pas d’accord avec elle sur les points de savoir quand et comment intervient le pouvoir d’appréciation de la Cour à cet égard, et sous quelles conditions il doit être exercé. Comme indiqué au paragraphe 12 ci-dessus, il ne fait aucun doute que l’article 41 habilite la Cour à allouer des montants au titre de la satisfaction équitable. Toutefois, ce pouvoir dépend des facteurs énumérés au paragraphe 11 et est par ailleurs subordonné aux dispositions du règlement évoquées ci‑dessus[51].

29. En outre, il est important d’examiner de plus près les précédents sur lesquels la majorité s’appuie aux paragraphes 70 à 72 de l’arrêt. Lorsque la Cour a considéré, dans les affaires citées au paragraphe 70, que le constat de violation représentait une satisfaction équitable suffisante, elle a clairement exercé son pouvoir d’appréciation conformément aux termes « équitable » et « s’il y a lieu » contenus à l’article 41 de la Convention. Un élément peut‑être plus important encore est que, dans toutes les affaires visées au paragraphe 70, une demande de satisfaction équitable avait été dûment formée, de sorte que l’article 41 entrait en jeu. En appliquant le principe non ultra petita pour limiter le montant de l’indemnité dans les affaires évoquées au paragraphe 71 de l’arrêt, la Cour a, là encore, examiné des demandes de satisfaction équitable qui avaient été dûment soumises. De même, en ce qui concerne les affaires citées au paragraphe 72, dans toutes sauf une – Blesa Rodríguez, où l’intéressé avait simplement indiqué son souhait d’obtenir réparation dans son formulaire de requête –, les requérants en question avaient dûment soumis leurs demandes mais avaient expressément laissé le montant de l’indemnité à l’appréciation de la Cour.

30. En ce qui concerne l’article 41 de la Convention, avant tout il doit être établi que le droit interne de l’État défendeur ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de la violation[52]. Il est frappant que cette condition liminaire soit examinée à la fin et non au début de l’arrêt[53]. Elle figure en fait comme l’une des deux considérations impérieuses permettant de déterminer si la Cour doit allouer une satisfaction équitable en l’absence d’une demande dûment formée[54]. L’ordre est discutable car cette question, selon les termes de l’article 41, est la première que la Cour doit examiner pour pouvoir exercer un quelconque pouvoir conféré par l’article 41. Ce n’est pas une question que la Cour doit trancher lorsqu’elle recherche, dans des cas exceptionnels, s’il convient d’allouer une somme en l’absence de demande ; c’est une question dont la réponse conditionne d’emblée la mise en jeu par la Cour de l’article 41.

31. Cela nous amène à l’un de nos principaux points de désaccord avec la majorité. Celle-ci considère en substance que l’article 41 de la Convention confère à la Cour un pouvoir que cette dernière, dans certains cas exceptionnels, peut et doit exercer indépendamment de dispositions expresses du règlement qui soumettent à des conditions l’exercice de ce pouvoir et la liberté d’appréciation de la Cour[55]. Nous adhérons sans réserve à la nécessité pour la Cour d’agir avec souplesse et selon le principe d’équité, mais les règles procédurales sont là pour garantir qu’elle le fasse uniquement lorsqu’une demande de satisfaction équitable est dûment formée, et sous certaines conditions. En d’autres termes, nous sommes d’accord avec l’existence d’un pouvoir d’appréciation conféré à la Cour, mais nous divergeons sur le moment où ce pouvoir d’appréciation peut être exercé et insistons sur le fait qu’il est encadré – comme doit l’être tout pouvoir d’appréciation – par des règles de procédure (et de fond) claires, cohérentes et accessibles[56]. La clarté du règlement de la Cour – que les requérants, dans des circonstances exceptionnelles, n’ont plus besoin de respecter –, de même que celle de la jurisprudence de la Cour sont sacrifiées. En effet, la jurisprudence qui interprète et applique le règlement de la Cour se trouve réduite à une simple pratique judiciaire, à laquelle il peut être dérogé ou que l’on peut renverser en fonction de ce que requiert une affaire.

32. La spécificité de l’article 41 en tant que lex specialis par rapport aux règles et principes généraux du droit international[57], ne signifie pas que la Cour européenne soit dispensée, en tant que juridiction des droits de l’homme, de respecter le principe non ultra petita. Ce serait une proposition extraordinaire, mais c’est une proposition qui sous-tend, implicitement, le raisonnement de la majorité.

IV – Examen des circonstances exceptionnelles dans lesquelles une somme peut être allouée en l’absence de demande

33. Ayant décidé de s’écarter de la jurisprudence dominante et du règlement de la Cour, la majorité cherche ensuite à s’assurer que, « [l]orsqu’une « demande » n’a pas été formée de manière appropriée dans le respect de son règlement, la Cour reste (...) compétente pour octroyer, de façon raisonnable et mesurée, une satisfaction équitable pour un préjudice moral découlant des circonstances exceptionnelles d’une affaire donnée »[58]. Elle procède en s’efforçant d’énoncer, d’une part, les conditions préalables à l’exercice de ce pouvoir et, d’autre part, les considérations impérieuses devant permettre de déterminer s’il convient qu’elle alloue effectivement une somme en l’absence de demande dûment formée.

Conditions préalables à l’application de l’exception

i. Nécessité d’un souhait exprès d’être indemnisé

34. Selon la première condition préalable, « [l]a Cour attachera (...) une importance particulière aux indications montrant sans équivoque qu’un requérant a exprimé le souhait d’obtenir une réparation pécuniaire en sus de la reconnaissance de la violation de la Convention »[59]. En d’autres termes, il est préférable que le requérant indique, probablement dans sa requête, comme le requérant en l’espèce, qu’il souhaite obtenir une réparation pécuniaire. Cependant, tel qu’il est formulé le paragraphe 79 ne précise ni où et à quel stade de la procédure ce souhait doit être exprimé, ni, au cas où il n’est pas exprimé, si cela va empêcher ou dissuader la Cour d’allouer une réparation. Peut-être que oui ; cependant, la nature et la portée du pouvoir d’appréciation que la majorité attribue à la Cour en matière de satisfaction équitable implique aussi la possibilité d’une réponse négative.

ii. Nécessité d’établir un lien de causalité

35. La seconde condition préalable est la nécessité d’établir en tout état de cause l’existence d’un lien de causalité entre la violation et le préjudice moral découlant de la violation de la Convention[60]. Cette condition n’est pas seulement logique ; elle reflète aussi le règlement de la Cour et la jurisprudence constante[61]. Cependant, comme nous l’avons souligné ci‑dessus, il est difficile – si l’on contourne les règles procédurales qui tendent précisément à permettre l’établissement et la vérification de ce lien de causalité crucial – d’envisager la manière de procéder[62].

iii. Nécessité d’une procédure contradictoire

36. Cela nous amène au point suivant, qui n’est ni une condition préalable ni une considération impérieuse : la nécessité d’une procédure contradictoire et les difficultés qu’engendre à cet égard l’absence d’une demande dûment formée[63].

37. Au paragraphe 77 de l’arrêt de la Grande Chambre, la majorité indique que l’exercice du pouvoir d’appréciation dont dispose la Cour au regard de l’article 41 doit toujours tenir dûment compte de l’exigence fondamentale qu’est l’examen contradictoire. Là aussi, ce qu’elle dit est tout à fait correct ; mais, encore une fois, le respect des exigences liées à un examen contradictoire est précisément ce que les dispositions de l’article 60 tendent à garantir – une demande expresse et détaillée, dûment formée par le requérant conformément aux règles procédurales pertinentes et dans le délai fixé (quoique prorogeable), avec possibilité pour l’État défendeur de livrer ses observations sur les prétentions et transmission au requérant desdites observations[64].

38. En créant une dérogation à l’article 60 du règlement dans des cas exceptionnels, la Grande Chambre risque de faire deux choses. D’une part, la durée d’une procédure devant la Cour va encore s’accroître, de même que la charge de travail de la Cour. Un arrêt au fond devra être suivi d’un arrêt séparé traitant la question de la satisfaction équitable parce que celle-ci ne se trouvera pas en état, pour reprendre les mots de l’article 75 § 1 du règlement. Un échange d’observations devra avoir lieu pour garantir le caractère contradictoire de l’examen et éviter que l’octroi d’une somme pour préjudice moral soit – selon le terme employé par l’État défendeur en l’espèce – arbitraire[65]. En moyenne, il faut douze à dix-huit mois de plus pour que soit prononcé un arrêt séparé sur l’article 41. Compte tenu du nombre d’affaires dont la Cour se trouve saisie et de son budget limité, cela implique du temps et des ressources qu’elle ne peut pas se permettre. En l’espèce, comme il n’y a eu de demande ni au niveau de la chambre ni au niveau de la Grande Chambre[66], on peut difficilement soutenir que la procédure a été véritablement contradictoire.

39. D’autre part, la série « divergente » d’affaires sur laquelle s’appuient la chambre et la Grande Chambre pour justifier l’octroi d’une somme dans des circonstances exceptionnelles ne concerne que certains États. Cette approche différenciée de l’octroi exceptionnel d’une somme sera-t-elle maintenue après l’arrêt de la Grande Chambre dans la présente affaire ? Si le précédent Nagmetov signifie que ce qui était divergent devient simplement exceptionnel mais peut être généralisé, sera-t-il appliqué de manière cohérente ou bien est-ce que les principes mal définis d’équité, de souplesse et de nécessité sur lesquels repose le pouvoir d’appréciation de la Cour conduiront à des différences dans le montant de l’indemnité en fonction de l’État défendeur concerné ?

Considérations impérieuses relatives à l’exception

i. Gravité et impact particuliers de la violation et contexte global de l’affaire

40. La première considération impérieuse qui permettra de décider si la Cour alloue une somme en l’absence d’une demande dûment formée concerne la gravité et l’impact particuliers de la violation de la Convention et le contexte global de l’affaire. Il s’agit de déterminer si la violation a pu, par exemple, porter une atteinte grave au bien-être moral du requérant, avoir d’une autre manière des répercussions sérieuses sur sa vie ou ses moyens de subsistance ou lui causer un autre type de préjudice particulièrement important[67].

41. Cette considération impérieuse est intéressante à plusieurs titres. Premièrement, la Grande Chambre prévoit trois conditions cumulatives mais associe à ces conditions, à titre d’illustration, non pas une mais deux listes d’exemples. Le caractère cumulatif des conditions vise sans doute à restreindre les circonstances dans lesquelles s’applique l’exception créée judiciairement. Or l’emploi du terme « par exemple » est susceptible d’avoir l’effet opposé. Deuxièmement, la teneur de cette condition impérieuse est assez floue et indéfinie – des violations d’articles très divers de la Convention survenant dans des circonstances très diverses sont susceptibles d’en relever. Troisièmement, il y a lieu de noter que la Grande Chambre n’a pas accepté l’invitation du requérant à rattacher l’exception au caractère absolu du droit violé. C’est à la fois sage et inquiétant. C’est sage parce que, comme la majorité elle-même l’indique, évoquant la violation de l’article 8 de la Convention qui est découlée de la procédure ayant abouti à l’adoption de la fille de la requérante dans l’affaire X. c. Croatie[68], la violation de droits non absolus peut aussi avoir un impact énorme et tragique – comme la perte de son propre enfant dans une affaire d’adoption ou de garde (une forme de calvaire pour certains parents). Dans le petit nombre d’affaires où elle a alloué une somme en l’absence d’une demande dûment formée, la Cour a le plus souvent justifié sa dérogation au règlement en se référant au caractère absolu de l’article de la Convention qui avait été violé[69] ou à l’importance fondamentale du droit qui se trouvait en jeu[70]. Dans d’autres affaires, par contre, elle n’a pas fourni pareille justification à l’octroi d’une somme, cette mesure ayant simplement été liée aux circonstances particulières de l’affaire[71]. La portée des termes employés par la Grande Chambre révèle l’aspect inquiétant, à savoir la difficulté qu’aura la Cour à limiter les paramètres de l’exception qu’elle a elle-même créée judiciairement. Que fera-t-elle lorsque, par exemple, elle sera confrontée à une affaire concernant l’article 6 et résultant d’une procédure relative à la garde d’un enfant, et que sera en jeu le droit à une procédure équitable avec toutefois, en toile de fond, la perte bien réelle et tragique du droit de visite sur un enfant dans le cadre d’un litige transnational en matière de garde[72] ? Il n’est guère difficile d’imaginer une exception qui s’élargirait au point de miner encore un peu plus la règle dont elle ne visait à s’écarter qu’à titre exceptionnel.

42. Aux paragraphes 79 à 82 de l’arrêt, la majorité s’efforce de circonscrire l’exception judiciaire créée, et il faut l’en féliciter. Hélas, bien qu’elle essaie de le faire en tirant un schéma de la jurisprudence divergente, nous estimons qu’il sera difficile de garantir la clarté, la transparence et la cohérence de la jurisprudence lorsque la dérogation sera appliquée par la suite. En outre, on remarque l’absence de certains facteurs qui pourraient entrer dans la délimitation de la portée de l’exception. On pourrait considérer comme pertinents le fait qu’un requérant n’a pas été représenté par un avocat[73], le fait qu’il a été estimé particulièrement vulnérable[74] ou le fait qu’il a été victime d’une double violation d’un article revêtant un caractère absolu ou fondamental[75]. Le critère de vulnérabilité risque d’être excessivement flou et subjectif, mais les deux autres critères sont en revanche objectifs et aisément vérifiables.

ii. Possibilité de réparation en droit interne

43. Nous avons déjà examiné cette considération impérieuse (paragraphe 30 ci-dessus), lorsque nous nous sommes demandé si un facteur qui permet de déterminer tout d’abord si l’article 41 entre en jeu peut aussi être un facteur qui délimite le moment où s’applique l’exception créée judiciairement à la règle sur la satisfaction équitable.

V – Conséquences de la décision de la Grande Chambre et autres solutions

44. La première conséquence qui risque de découler de l’arrêt de la Grande Chambre est, comme nous l’avons indiqué, une aggravation de l’insécurité juridique. Même si la Cour confirme aujourd’hui la ligne de jurisprudence divergente qui a permis l’octroi d’une satisfaction équitable dans des cas exceptionnels en l’absence de demande spécifique, les conditions délimitant la portée et l’application de cette exception créée judiciairement risquent de ne pas être suffisamment claires et prévisibles, pour les raisons exposées ci-dessus. On peut s’attendre à des divergences quant à l’invocation de l’exception, quant au montant de l’indemnité résultant de son application, et même quant aux États défendeurs auxquels il sera dit qu’elle s’applique dans les circonstances de telle ou telle affaire. Il est également frappant que l’arrêt soit articulé autour de l’octroi exceptionnel par la Cour d’une « satisfaction équitable » en l’absence d’une demande spécifique, mais qu’il n’y ait pas de discussion sur le point de savoir si cette exception vaut exclusivement pour le préjudice moral, volet en cause dans la présente affaire. Les paragraphes 69, 72-73, 79-80, 81, 83 et 92 de l’arrêt semblent limiter l’exception à l’octroi d’une satisfaction équitable sous ce volet, mais le raisonnement de la majorité dans le reste de l’arrêt renvoie à la satisfaction équitable en général et, à ce titre, aux trois volets. Alors que le requérant n’a demandé ni indemnité pour préjudice moral ni remboursement des frais et dépens, l’application des prescriptions du règlement de la Cour a été suspendue en ce qui concerne la première omission mais non la seconde[76].

45. La seconde conséquence a une portée plus large encore. Elle a trait au respect du règlement de la Cour et aux circonstances dans lesquelles ce texte, ainsi que les instructions pratiques qui le clarifient, peuvent être court‑circuités par les parties. Selon un principe essentiel de la jurisprudence de la Cour concernant l’article 6 de la Convention, les normes internes relatives aux formalités et aux délais à respecter pour le dépôt de documents judiciaires visent à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de sécurité juridique. La Cour a maintes fois indiqué aux intéressés qu’ils devaient s’attendre à ce que ces règles soient appliquées[77]. Pourquoi, compte tenu de cette jurisprudence, la Cour choisirait-elle de porter atteinte à ses propres règles procédurales de la manière évoquée plus haut ? Ce que la Cour a jugé insuffisant au regard de l’article 6, ce sont les règles internes qui en elles-mêmes sont excessivement formalistes ou qui sont appliquées par les autorités avec un formalisme excessif[78]. Cependant, on ne peut guère plaider en l’espèce que le règlement de la Cour a été appliqué de manière excessivement formaliste. Le requérant, qui était représenté par une avocate, a été informé que le souhait d’obtenir réparation exprimé dans son formulaire d’appréciation ne suffisait pas et qu’il lui fallait soumettre une demande spécifique. La procédure de dépôt d’une demande a été expliquée et un délai a été fixé. Ce délai n’ayant pas été respecté, il a été prolongé par le président de la section mais, à nouveau, non respecté.

46. Il y a lieu également de réfléchir au fait que la Grande Chambre, qui en l’espèce s’est trouvée face à une abondante jurisprudence défavorable à l’octroi d’une indemnité et à une série minoritaire et divergente d’affaires favorables à un tel octroi, disposait d’une autre solution. Elle aurait pu confirmer sa jurisprudence dominante, en redisant et en expliquant pour l’avenir que son règlement exigeait le dépôt d’une demande spécifique pour l’obtention d’une somme au titre de l’article 41, tout en soulignant pourquoi, dans certaines affaires exceptionnelles, le règlement tel qu’en vigueur actuellement ne répond pas à ce que requiert le système de la Convention. Puisque la Cour – cas sans doute unique parmi les juridictions internationales – possède en vertu de l’article 25 d) de la Convention une compétence exclusive pour adopter et amender son règlement, la plénière aurait pu par la suite amender ce règlement, en particulier le problématique article 60 § 3 si nécessaire. Tout porte à croire qu’une telle voie – supposant que des règles procédurales soient rédigées par un comité de la Cour spécialisé en la matière, qu’elles soient soumises pour observations aux Hautes Parties contractantes et autres parties prenantes, et qu’elles soient approuvées par la Cour plénière et non par une formation de la Grande Chambre qui représente une fraction de la Cour – aurait permis d’établir des règles procédurales plus claires tout en préservant plus généralement l’intégrité du règlement de la Cour. Ainsi, une question de politique judiciaire et procédurale aurait été traitée dans le cadre approprié et non pas en référence aux circonstances d’une affaire donnée[79].

47. Les circonstances de la présente espèce sont indiscutablement tragiques. La responsabilité de l’État défendeur quant à la mort d’un jeune homme et le manquement de cet État à l’obligation de mener une enquête effective sur les circonstances du décès ont fait l’objet d’un arrêt unanime de la chambre, confirmé à l’unanimité par la Grande Chambre. Il appartenait toutefois à cette dernière d’apporter de la sécurité là où elle manque actuellement et de regarder au-delà de la situation propre à cette affaire et à ce requérant. Pour les raisons juridiques précisées ci-dessus, nous sommes au regret de ne pouvoir souscrire aux conclusions de la Grande Chambre sur la satisfaction équitable, aussi humain que puisse paraître l’octroi d’une réparation pécuniaire dans les circonstances tragiques d’une affaire comme celle-ci.

* * *

[1]. Voir l’article 60 § 1 du règlement : « (...) doit formuler une demande spécifique à cet effet ».

[2]. Voir le paragraphe 52 de l’arrêt : « Je n’ (...) avais pas précisé le montant [de l’indemnité] parce que je ne pouvais pas à cette époque, et ne peux toujours pas, « mettre un prix » sur la vie de mon fils parce qu’elle n’a pas de prix ».

[3]. Voir la jurisprudence citée au paragraphe 59 de l’arrêt. Comme indiqué ci-dessous, nous ne souscrivons pas forcément au constat qu’aucune demande n’avait été soumise dans ces affaires ; nous sommes toutefois d’accord avec la conclusion que, lorsqu’aucune demande n’a été faite, aucune somme ne peut être allouée.

[4]. Pour des applications de ce principe dans la jurisprudence relative à l’article 41 de la Convention, voir, entre autres, Ilyushkin et autres c. Russie, nos 5734/08 et 28 autres, § 76, 17 avril 2012, Pacifico et autres c. Italie, nos 34389/02, 34390/02, 34392/02 et 34458/02, § 44, 15 novembre 2012, Neshkov et autres c. Bulgarie, nos 36925/10, 21487/12, 72893/12, 73196/12, 77718/12 et 9717/13, § 301, 27 janvier 2015, Identoba et autres c. Géorgie, no 73235/12, § 110, 12 mai 2015, et Kavaklıoğlu et autres c. Turquie, no 15397/02, § 301, 6 octobre 2015.

[5]. Voir aussi l’article 75 § 1 du règlement : « Lorsque la chambre ou le comité constatent une violation de la Convention ou de ses Protocoles, ils statuent par le même arrêt sur l’application de l’article 41 de la Convention si une demande spécifique a été soumise conformément à l’article 60 du (...) règlement (...) ».

[6]. Sur ce point, voir aussi l’opinion dissidente commune, § 20.

[7]. Notons que cette idée était claire dans la formulation initiale de l’article 60 § 2, adopté en 1998 et en vigueur jusqu’à la modification (du 13 décembre 2004) de l’article 60 : « La Partie contractante requérante ou le requérant doivent chiffrer et ventiler par rubrique toutes leurs prétentions, auxquelles ils doivent joindre les justificatifs nécessaires, faute de quoi la chambre peut rejeter la demande, en tout ou en partie ».

[8]. Il est vrai que l’article 60 § 3 du règlement évoque les « paragraphes qui précèdent », notamment le paragraphe 1 ; mais à notre avis cela ne signifie pas qu’il s’applique aussi à la situation où aucune demande n’a été formée. Il peut en effet s’appliquer à une situation où une demande a été faite mais où celle-ci, par exemple, n’est pas suffisamment « spécifique » (et les précisions n’ont pas été fournies par la suite).

[9]. Voir, entre autres, X c. Lettonie [GC], no 27853/09, § 122, CEDH 2013, et Nusret Kaya et autres c. Turquie, nos 43750/06, 43752/06, 32054/08, 37753/08 et 60915/08, § 91, CEDH 2014 (extraits).

[10]. Voir, entre autres, K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, §§ 140-141, CEDH 2001‑VII, Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 32, CEDH 2004‑III, Kovačić et autres c. Slovénie [GC], nos 44574/98, 45133/98 et 48316/99, § 194, 3 octobre 2008, et Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, § 88, CEDH 2016.

[11]. V.M. et autres c. Belgique [GC], no 60125/11, § 39, 17 novembre 2016.

[12]. La jurisprudence citée par la majorité ne prouve pas l’existence d’une telle pratique. Dans l’affaire Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie ([GC], no 76943/11, § 176, CEDH 2016 (extraits)), il est fait référence à une lettre envoyée aux requérants leur indiquant « qu’il n’y avait pas lieu de modifier les demandes ». Bien entendu, cela ne signifie pas qu’ils n’étaient pas autorisés à modifier les demandes. Dans Schatschaschwili c. Allemagne ([GC], no 9154/10, § 167, CEDH 2015), il est simplement relevé que le requérant « n’a pas présenté de demande de satisfaction équitable dans ses observations ». Dans Khan c. Allemagne ([GC], no 38030/12, § 45, 21 septembre 2016), il est observé que « la requérante a été informée que les prétentions formulées par elle devant la chambre au titre de la satisfaction équitable seraient prises en compte ».

[13]. Opinion dissidente commune, § 46.

[14]. Opinion dissidente commune, §§ 33-43.

[15]. La majorité identifie comme des « considérations impérieuses » la « gravité et [l’]impact particuliers de la violation, et [le] contexte global de l’affaire » et l’« impossibilité totale ou partielle d’obtenir une réparation adéquate au niveau interne ». Ce sont ces circonstances qui, selon la majorité, justifient d’écarter les règles normalement obligatoires. Si le premier critère doit être pris en compte dans la fixation du montant à allouer pour préjudice moral, le second est une condition préalable essentielle à l’octroi d’une somme, comme l’article 41 l’indique déjà explicitement.

[16]. Voir le paragraphe 47 et le point 1 du dispositif de l’arrêt de la Grande Chambre.

[17]. Une demande qui n’a pas été dûment soumise renvoie à différents cas de figure : un requérant ne dépose pas de demande du tout, n’en dépose pas alors qu’il a indiqué dans son formulaire de requête son souhait d’être indemnisé, ou bien ne respecte pas le délai établi par le règlement de la Cour.

[18]. Voir, à cet égard, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 176, CEDH 2006, et Salah c. Pays-Bas, no 8196/02, § 70, CEDH 2006-IX (extraits).

[19]. Pour un examen général de l’article 41, voir O. Ichim, Just Satisfaction under the European Convention on Human Rights, CUP, 2015, en particulier pp. 173-175 ; J. Laffranque, « Can’t Get Just Satisfaction », Judgments of the European Court of Human Rights – Effects and Implementation, A. Seibert-Fohr et M. E. Villiger (éd.), 2014, p. 82 ; K. Reid, A Practitioner’s Guide to the European Convention on Human Rights, Thomson, Sweet & Maxwell, 2e éd. 2002, p. 546.

[20]. Voir le paragraphe 46 de la présente opinion.

[21]. Voir les paragraphes 41 et 42 de l’arrêt.

[22]. Pour plus de précisions sur ces conditions, voir De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique (article 50), 10 mars 1972, § 21, série A no 14.

[23]. À noter, aussi, l’emploi du terme « habilite » au paragraphe 57 du présent arrêt et dans des arrêts de Grande Chambre tels que Karácsony et autres c. Hongrie [GC], nos 42461/13 et 44357/13, § 179, CEDH 2016 (extraits), et O’Keeffe c. Irlande [GC], no 35810/09, § 199, CEDH 2014 (extraits). Voir également le point 1 de l’instruction pratique sur les demandes de satisfaction équitable, édictée par le président de la Cour au titre de l’article 32 du règlement le 28 mars 2007 : « 1. L’octroi d’une satisfaction équitable ne découle pas automatiquement du constat par la Cour (...) qu’il y a eu violation d’un droit garanti par la Convention (...) ou ses Protocoles. Cela ressort clairement du libellé de l’article 41 de la Convention, qui dispose que la Cour n’accorde une satisfaction équitable que si le droit interne ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences d’une violation et, même en pareil cas, que « s’il y a lieu » (if necessary dans le texte anglais) de le faire. »

[24]. L’article 41 de la Convention tire son origine de l’article 10 du traité germano-suisse d’arbitrage et de conciliation de 1921 et de l’article 32 de l’Acte général de Genève pour le règlement pacifique des différends internationaux de 1928. Noter que les articles 24 § 1 et 25 d) de la Convention indiquent que la Cour dispose d’un greffe dont les tâches et l’organisation sont fixées par le règlement de la Cour et que l’Assemblée plénière est compétente pour adopter celui-ci (De Wilde, Ooms et Versyp, précité, § 16). Concernant la compétence exclusive de la Cour pour adopter et amender ses propres règles procédurales et l’autre voie que cela offrait à la Cour pour résoudre une affaire comme l’espèce, voir le paragraphe 46 de la présente opinion.

[25]. En vertu de l’article 34 de la Convention, la Cour peut être saisie de requêtes individuelles et, selon l’article 35, elle écarte certains types de requêtes ou des requêtes dans certaines circonstances. Ces grandes règles sont explicitées, et assorties de conditions, par le règlement de la Cour – en particulier les articles 38 et 47 – et par les instructions pratiques sur l’introduction de l’instance et sur les observations écrites. La Cour applique ces règles de manière stricte et formaliste et leur inobservation conduit au rejet de milliers de requêtes chaque année.

[26]. Voir aussi, par exemple, l’analyse des différents volets dans Neumeister c. Autriche (article 50), 7 mai 1974, §§ 40-43, série A no 17, et, concernant l’article 41, Lechoisne et autres c. France, no 61173/00, § 28, 17 juin 2003 : « Aux termes de l’article 60 § 2 du règlement de la Cour, les requérants doivent chiffrer et ventiler par rubrique leurs prétentions au titre de l’article 41 de la Convention et y joindre les justificatifs nécessaires, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie » (italiques ajoutés).

[27]. Voir l’article 75 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, adopté le17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002, 2187 RTNU 90.

[28]. Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) [GC], no 25781/94, § 42, CEDH 2014.

[29]. Voir le paragraphe 46 de la présente opinion.

[30]. Andrea Corsi c. Italie (révision), no 42210/98, § 12, 2 octobre 2003 ; italiques ajoutés. Voir aussi Sykora c. Slovaquie, no 26077/03, §§ 31-32, 18 janvier 2011, Fadıl Yılmaz c. Turquie, no 28171/02, §§ 26-27, 21 juillet 2005, et Chiorean c. Roumanie, no 20535/03, §§ 31-34, 21 octobre 2008. La nécessité de respecter les délais est soulignée par les articles 38 § 1 et 60 du règlement et par l’instruction pratique.

[31]. Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1) (article 50), 6 novembre 1980, § 14, série A no 38. Voir aussi Francesco Lombardo c. Italie, 26 novembre 1992, § 25, série A no 249‑B, ou Nasri c. France, 13 juillet 1995, § 49, série A no 320‑B.

[32]. Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, §§ 166-170, CEDH 2015. Le requérant avait précisé le montant de l’indemnité souhaitée tant dans son formulaire de requête qu’oralement devant la Grande Chambre. Le fait qu’il n’ait pas respecté les exigences de l’article 60 du règlement bien que, comme en l’espèce, il eût été représenté par un avocat et eût reçu des instructions claires du greffe, a conduit la Cour à ne pas allouer de somme.

[33]. Concernant l’exigence d’une procédure contradictoire, voir, par exemple, Brandstetter c. Autriche, 28 août 1991, § 67, série A no 211, et Vermeulen c. Belgique, 20 février 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I.

[34]. La lettre que la représentante du requérant a reçue en l’espèce correspond à la pratique courante et établie qui repose sur le règlement de la Cour. Voir Willekens c. Belgique, no 50859/99, § 27, 24 avril 2003. À noter également que, selon l’article 37 § 1 du règlement, les communications et notifications adressées aux agents ou conseils des parties sont réputées adressées aux parties.

[35]. Ce langage équivoque ne réapparaît qu’à un autre endroit, au point 5 de l’instruction pratique, qui énonce que « [l]a Cour exige donc des demandes précises, pièces justificatives à l’appui, sans quoi elle n’alloue aucune indemnité », mais se poursuit ainsi : « Elle écarte les demandes présentées dans les formulaires de requête mais non réitérées au stade approprié de la procédure. Elle rejette aussi les demandes tardives ». Le contraste entre ces deux phrases peut signifier que l’omission visée dans la première phrase consiste à ne pas soumettre les pièces justificatives. Autrement dit, on distingue le fait de ne pas ventiler la demande (éventuellement fatal) du fait de ne pas soumettre de demande (fatal).

[36]. Voir les paragraphes 67 (sur l’emploi du terme « peut » dans l’article 60 § 3 du règlement), 74 (sur l’emploi du terme « accorde » dans l’article 41 de la Convention) et 76 de l’arrêt (sur le fait que l’article 41 est une norme ayant une valeur supérieure à celle du règlement de la Cour).

[37]. Voir aussi O. Ichim, qui, dans l’ouvrage précité (pp. 52 et 77), observe respectivement qu’ « [i]l y a relativement peu d’affaires où l’on a une approche axée sur la victime, étayée par l’octroi d’une indemnité ultra petita » et que « la Cour s’abstient non seulement d’allouer des sommes d’office, mais aussi de statuer ultra petita », mais poursuit (p.77) en détaillant quelques exemples issus de la série divergente de précédents sur laquelle la majorité s’appuie et qu’elle confirme aujourd’hui.

[38]. Dans l’instruction pratique, voir les paragraphes 10-12 sur le dommage matériel, 13-15 sur le dommage moral, et 16-21 sur les frais et dépens.

[39]. Concernant par exemple le non-octroi d’une somme pour dommage matériel lorsque le lien de causalité n’a pu être établi, voir, parmi d’autres, Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, § 86, Recueil 1996‑VI, Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 155, CEDH 2000-VII, et Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, §187, CEDH 2008.

[40]. Voir, par exemple, Sunday Times c. Royaume-Uni (article 50), précité, § 23, et Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 133, CEDH 2006-IX.

[41]. L’instruction pratique le reconnaît – tout requérant qui demande réparation d’un dommage moral est « invité » à préciser le montant de l’indemnité qu’il estime équitable de se voir allouer –, tout comme la jurisprudence de la Cour. Il arrive que la Cour octroie une indemnité lorsque le requérant n’a pas chiffré le montant, « s’en remet[tant] à l’appréciation de la Cour ». Cela est également reconnu par la jurisprudence de la Cour. Voir, par exemple, les précédents cités au paragraphe 72 du présent arrêt. Il importe toutefois de souligner qu’à l’exception du requérant dans Blesa Rodríguez c. Espagne (no 61131/12, 1er décembre 2015), qui avait indiqué son souhait d’être indemnisé uniquement dans le formulaire de requête, tous les autres requérants visés avaient soumis une demande mais laissé le montant à l’appréciation de la Cour.

[42]. Voir les paragraphes 59 et 75 du présent arrêt.

[43]. Ibidem, § 64.

[44]. Ibidem, § 65.

[45]. Ibidem, § 66.

[46]. Ibidem, §§ 67 et 74.

[47]. Ibidem, § 69.

[48]. Ibidem, §§ 70 et 72.

[49]. Ibidem, § 73.

[50]. Ibidem, § 71.

[51]. La Cour a généralement rappelé qu’elle jouissait d’une « certaine latitude dans l’exercice du pouvoir dont l’investit l’article 50 Article 41 », comme en témoignaient les termes « équitable » et « s’il y a lieu » – voir, par exemple, Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 114, série A no 39, et Perdigão c. Portugal [GC], no 24768/06, § 85, 16 novembre 2010. De plus, elle a reconnu que sa compétence découlant de l’article 41 de la Convention était limité : voir, diversement, Velikova c. Bulgarie, no 41488/98 § 96, CEDH 2000-VI, Philis c. Grèce (no 1), 27 août 1991, § 79, série A no 209, et Allenet de Ribemont c. France (interprétation), 7 août 1996, §§ 18-19, Recueil 1996‑III (où la Cour a rappelé à la Commission non seulement les bornes établies par le règlement de la Cour mais aussi les limites de sa propre compétence contentieuse au regard de la Convention).

[52]. Pour une analyse des origines de cette condition liminaire et de certaines des difficultés qu’elle soulève, voir l’opinion en partie concordante du juge Zupančič dans Lucà c. Italie, no 33354/96, CEDH 2001-II.

[53]. Voir les paragraphes 88-91 de l’arrêt.

[54]. Ibidem, § 82.

[55]. Sur la notion mal définie de nécessité, voir Ringeisen c. Autriche (article 50), 22 juin 1972, § 22, série A no 15, arrêt dans lequel la Cour a indiqué qu’une satisfaction équitable est nécessaire lorsque le gouvernement défendeur refuse au requérant la réparation que celui-ci juge légitime.

[56]. À l’appui de notre interprétation, voir le paragraphe 14 de l’instruction pratique. Sur ce même point de divergence fondamentale, voir aussi l’opinion concordante commune aux juges Nußberger et Lemmens, § 4.

[57]. Chypre c. Turquie (satisfaction équitable), précité, § 42.

[58]. Voir le paragraphe 76 de l’arrêt ; italiques ajoutés.

[59]. Ibidem, § 79.

[60]. Ibidem, § 79.

[61]. Voir Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 111, CEDH 2009 : « la condition sine qua non à l’octroi d’une réparation d’un dommage matériel est l’existence d’un lien de causalité (...), et il en va de même du dommage moral ».

[62]. Voir les paragraphes 1, 2 et 4 de l’article 60 du règlement, tels qu’expliqués dans l’instruction pratique.

[63]. Pour les commentaires sur l’article 60 § 4 du règlement, voir le paragraphe 18 ci‑dessus.

[64]. Pour la description des dispositions et du fonctionnement de l’article 60 du règlement, voir les paragraphes 15 à 20 ci-dessus.

[65]. Paragraphe 55 de l’arrêt.

[66]. Paragraphes 60-63 de l’arrêt. La représentante du requérant, devant la Grande Chambre, a simplement invité celle-ci à confirmer l’arrêt de la chambre mais, comme l’indique le paragraphe 52 de l’arrêt de la Grande Chambre, n’a pas davantage soumis de demande de satisfaction équitable, pour l’un quelconque des trois volets.

[67]. Paragraphe 81 de l’arrêt.

[68]. X c. Croatie, no 11223/04, §§ 61-63, 17 juillet 2008.

[69]. Voir, par exemple, Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 88, 20 janvier 2005, Igor Ivanov c. Russie, no 34000/02, § 50, 7 juin 2007, Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 62, 18 octobre 2007, Tchember c. Russie, no 7188/03, § 77, CEDH 2008, Chudun c. Russie, no 20641/04, § 129, 21 juin 2011, et Borodin c. Russie, no 41867/04, § 166, 6 novembre 2012, affaires qui concernaient toutes des violations de l’article 3 de la Convention par la Fédération de Russie.

[70]. Voir, par exemple, Rusu c. Autriche, no 34082/02, § 62, 2 octobre 2008, Crabtree c. République tchèque, no 41116/04, § 60, 25 février 2010, affaires ayant mis en avant l’importance fondamentale des droits consacrés par l’article 5 qui avaient été violés. Voir aussi Kats et autres c. Ukraine, no 29971/04, 18 décembre 2008, affaire concernant l’article 2 dans laquelle une demande avait été soumise, quoique tardivement ; la Cour a alloué une somme pour préjudice moral en raison du « caractère fondamental » du droit découlant de l’article 2.

[71]. Voir, par exemple, Davtian c. Géorgie, no 73241/01, § 71, 27 juillet 2006.

[72]. Voir, par exemple, Henrioud c. France, no 21444/11, 5 novembre 2015, affaire relative à la perte de la garde et du droit de visite sur les enfants du requérant, dans laquelle la Cour a simplement constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du formalisme excessif des juridictions françaises. Voir aussi, dans le contexte de l’article 8, Yusupova c. Russie, no 66157/14, 20 décembre 2016.

[73]. Voir, par exemple, Dorogaykin c. Russie, no 1066/05, §§ 48-49, 10 février 2011.

[74]. Voir, par exemple, Neshkov et autres c. Bulgarie, nos 36925/10, 21487/12, 72893/12, 73196/12, 77718/12 et 9717/13, § 84, 27 janvier 2015.

[75]. Voir, par exemple, Bursuc c. Roumanie, no 42066/98, 12 octobre 2004, et Tchember, précité, bien que la Cour n’ait pas dit explicitement que cet élément entrait en ligne de compte dans sa décision d’allouer une indemnité en l’absence d’une demande dûment soumise.

[76]. En l’absence de demande pour frais et dépens, la Cour écarte d’elle-même l’octroi du remboursement – voir paragraphe 93 du présent arrêt.

[77]. Voir, parmi d’autres, Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97 et 9 autres, § 33, CEDH 2000‑I, Tricard c. France, no 40472/98, § 29, 10 juillet 2001, et Marc Brauer c. Allemagne, no 24062/13, §§ 34 et 42, 1er septembre 2016. Voir aussi le récent arrêt de la Grande Chambre dans V.M. et autres c. Belgique [GC] (radiation), no 60125/11, § 35, 17 novembre 2016, qui renvoie au règlement de la Cour et à l’exigence selon laquelle, dans l’intérêt de la bonne administration de la justice, les contacts entre le requérant et son représentant doivent être maintenus tout au long de la procédure devant la Cour.

[78]. Voir, par exemple, Marc Brauer, précité, § 43.

[79]. Voir aussi l’opinion concordante commune aux juges Nußberger et Lemmens, § 18.


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 001-172766
Date de la décision : 30/03/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 2 - Droit à la vie (Article 2-1 - Vie) (Volet matériel);Violation de l'article 2 - Droit à la vie (Article 2-1 - Enquête effective) (Volet procédural);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : NAGMETOV
Défendeurs : RUSSIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MOSKALENKO K. ; KOSTROMINA K. ; MARALYAN A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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