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16/03/2017 | CEDH | N°001-171973

CEDH | CEDH, AFFAIRE MODESTOU c. GRÈCE, 2017, 001-171973


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MODESTOU c. GRÈCE

(Requête no 51693/13)

ARRÊT

STRASBOURG

16 mars 2017

DÉFINITIF

18/09/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Modestou c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ledi Bianku, président,
Mirjana Lazarova Trajkovska,

Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Robert S

pano,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 févr...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MODESTOU c. GRÈCE

(Requête no 51693/13)

ARRÊT

STRASBOURG

16 mars 2017

DÉFINITIF

18/09/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Modestou c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ledi Bianku, président,
Mirjana Lazarova Trajkovska,

Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Robert Spano,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 février 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 51693/13) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant chypriote, M. Mamas Modestou (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 août 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me H. Mylonas, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’État. Le gouvernement chypriote n’a pas usé de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).

3. Le requérant alléguait une violation de l’article 8 de la Convention, en raison notamment des conditions dans lesquelles se serait déroulée une perquisition effectuée à son domicile privé et professionnel dans le cadre d’une enquête préliminaire.

4. Le 22 février 2016, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1976 et réside à Athènes.

6. Le requérant est un homme d’affaires, président d’une société anonyme.

7. Le 23 septembre 2010, le procureur près la cour d’appel d’Athènes ordonna à la Direction de la police de l’Attique, dans le cadre d’une enquête préliminaire conduite dans une affaire concernant S.G. et I.G. ainsi que d’autres personnes qui n’étaient pas nommées, de procéder à des perquisitions à l’adresse de quinze résidences et bureaux situés dans différents endroits à Athènes et dans l’Attique, dont celle du requérant. Le requérant n’était pas nommément mentionné comme étant suspecté d’avoir commis les infractions précitées. L’ordre du procureur était ainsi libellé :

« Sur le fondement de la décision no 2940/29-7-2010 du procureur près la Cour de cassation, nous effectuons une enquête pour vérifier si des infractions criminelles ont été commises, notamment celle de constitution d’une organisation criminelle (article 187 du code pénal) par S.G. et I.G. ainsi que par d’autres personnes liées à eux et agissant de pair avec eux.

Au vu des éléments rassemblés jusqu’à présent et afin de ne pas risquer de perdre des éléments de preuve déterminants, nous ordonnons des perquisitions, en application des articles 253-259 du code de procédure pénale, aux domiciles et aux bureaux sis dans les rues suivantes :

28-30 rue Meletopoulou, Palaio Psychiko ;

(...)

En outre, si vous l’estimez nécessaire, effectuez des fouilles corporelles des personnes qui se trouveront dans ces domiciles et bureaux.

Dans tous les cas, saisissez tout objet ou document qui s’y trouve et qui, à votre avis, a un lien avec l’affaire sous examen, et rédigez les rapports y relatifs que vous nous soumettrez par la suite dans les meilleurs délais (...) »

8. Le 24 septembre 2010, un officier de police, accompagné d’un procureur adjoint, se rendit au domicile du requérant. Comme ce dernier était absent, l’officier et le procureur firent appel à un serrurier qui ouvrit la porte d’entrée. En présence d’un témoin (une voisine, ressortissante néerlandaise), ils procédèrent à la perquisition et à la saisie de plusieurs objets (deux ordinateurs et des centaines de documents). La perquisition dura douze heures et demie. Une liste des pièces et documents, longue de 41 pages, fut dressée.

9. En mai 2012, après la fin de l’enquête préliminaire, le procureur près la cour d’appel d’Athènes engagea des poursuites contre plusieurs personnes, dont le requérant, pour participation à une organisation criminelle.

10. Le 8 novembre 2012, le requérant saisit la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes d’une requête tendant à faire constater la nullité de la perquisition, et à faire ordonner la levée de la saisie et la restitution des objets saisis.

11. Le 13 février 2013, la chambre d’accusation rejeta la requête. La question principale qu’elle examina était celle de savoir s’il était possible de procéder à une perquisition et à une saisie dans le cadre d’une enquête préliminaire.

12. Elle releva que l’enquête préliminaire (προκαταρκτική εξέταση) et l’instruction préparatoire (προανάκριση) poursuivaient un but commun : la recherche de la vérité. Elle indiqua que la seule différence entre elles résidait dans le fait que, lors de la deuxième, il y avait un « accusé » alors que, lors de la première, il y avait un « suspect », lequel, selon elle, bénéficiait néanmoins de tous les droits accordés à l’accusé. Elle estima que cette différence ne pouvait priver les organes chargés de l’examen d’une affaire d’une arme importante pour la découverte des éléments de preuve déterminants, sinon il y aurait un risque sérieux d’aboutir à un non-lieu sans que les autorités eussent épuisé toutes les possibilités d’enquête qu’elles avaient à leur disposition. Se référant à un avis juridique des professeurs D. Tsatsos, A. Papadima et K. Chrysogonos (publié dans la revue Poiniki Dikaiosyni 7/2003, pp. 813 et suivantes), la chambre d’accusation indiqua que l’enquête préliminaire avait un caractère judiciaire et non administratif et qu’elle constituait une étape de la procédure pénale. La chambre d’accusation nota encore que l’enquête préliminaire s’effectuait selon la procédure de l’instruction préparatoire, une référence expresse étant d’ailleurs faite aux articles 240 et 241 du code de procédure pénale (CPP). Pour la chambre, cela signifiait que, pour décider s’il devait y avoir engagement des poursuites, le ministère public devait utiliser tous les moyens lui permettant de recueillir des preuves, selon l’article 178 du CPP et la procédure applicable à l’instruction préparatoire, à l’exception des preuves incompatibles avec la nature de l’enquête préliminaire (entre autres plaidoyer de l’accusé et émission d’un mandat d’arrêt).

13. La chambre d’accusation considéra que l’article 256 du CPP, prévoyant le droit de l’occupant du lieu perquisitionné d’être présent, ne consacrait pas l’obligation pour celui qui menait la perquisition d’attendre ou d’inviter l’occupant à être présent, et que, en cas d’absence de l’occupant, la présence d’un voisin était suffisante.

14. Quant au refus des autorités de restituer les objets saisis, la chambre d’accusation indiqua que, lors des perquisitions effectuées au domicile du requérant, mais aussi au domicile des autres personnes concernées, un grand nombre d’éléments de preuve avaient été découverts et que ceux-ci fournissaient suffisamment d’indices relatifs à l’existence d’une organisation criminelle à laquelle auraient participé plusieurs personnes ayant commis des infractions graves, pour la plupart des crimes, pour lesquels des poursuites auraient été engagées. Elle exposa que toute procédure ultérieure aurait été impossible si ces éléments de preuve n’avaient pas été rassemblés, et que, ces éléments étant particulièrement déterminants et indispensables à l’instruction de l’affaire, ils devaient rester conservés dans le dossier.

15. Le 12 mars 2013, le requérant invita le procureur près la Cour de cassation à se pourvoir contre la décision de la chambre d’accusation. Le 13 mars 2013, le procureur rejeta la demande. Il estima que les conditions pour former un pourvoi n’étaient pas remplies au motif que la décision attaquée de la chambre d’accusation était pleinement motivée et que, dès lors qu’il n’y aurait pas eu d’autres actes d’instruction, une décision de la chambre d’accusation de la cour d’appel n’était pas nécessaire pour les approuver.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

16. Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP, telles qu’amendées, énoncent :

Article 178

« Les moyens de preuve principaux dans la procédure pénale sont les suivants : a) les indices ; b) l’inspection des lieux ; c) l’expertise ; d) l’aveu ; e) les témoins et f) les documents. »

Article 240

« Il n’y a aucune limite concernant le lieu et le moment de l’instruction. Toutefois, celle-ci ne peut pas s’effectuer dans un lieu et à un moment inapproprié. Elle peut être effectuée pendant la nuit, le dimanche et les jours fériés. »

Article 241

« L’instruction est toujours effectuée par écrit et sans publicité, en présence d’un greffier ou d’un deuxième instructeur, ou, si ceux-ci ne sont pas disponibles, en présence des deux témoins qui remplissent les conditions de l’article 150. (...) Pour chaque acte d’instruction, un rapport est rédigé conformément aux formalités légales. »

Article 243 § 2

« Lorsqu’un retard risque de créer un danger immédiat, ou lorsqu’il s’agit d’un crime ou d’un délit à juger en comparution immédiate, tous les enquêteurs sont tenus d’accomplir les actes nécessaires pour vérifier la commission de l’infraction et en découvrir l’auteur, et ce même en l’absence de décision préalable du procureur (...). »

Article 253

« Pendant l’instruction d’un crime ou d’un délit, une perquisition est effectuée lorsqu’il est présumé de manière fondée que la constatation du crime ainsi que la découverte ou l’arrestation des auteurs de celui-ci (...) peuvent être réalisées ou facilitées uniquement au moyen de cette perquisition. »

Article 253A

« 1. Spécialement en ce qui concerne les infractions prévues aux articles 187 §§ 1 et 2 (...), l’enquête préliminaire peut inclure :

a) l’utilisation de mesures d’instruction intrusives [ανακριτική διείσδυση] (...) ;

b) le contrôle de transports (...) ;

c) la levée du secret (...) ;

d) l’enregistrement au moyen d’appareils auditifs ou photographiques d’activités ou de faits ayant lieu en dehors du domicile (...) ;

e) la corrélation ou la combinaison des données personnelles (...).

3. La chambre d’accusation compétente décide, sur proposition du procureur, de la nécessité d’effectuer les actes d’instruction mentionnés au paragraphe 1 ainsi que de la durée indispensable de mise en œuvre requise pour atteindre le but poursuivi. Dans des cas particulièrement urgents, le procureur ou l’enquêteur peut ordonner ces actes, mais, dans ce cas, il est tenu d’informer la chambre d’accusation dans un délai de trois jours. Autrement, la validité de sa décision expire d’office à l’échéance dudit délai. »

Article 256

« (...) Celui qui mène la perquisition doit inviter l’occupant des appartements perquisitionnés à être présent lors du déroulement de celle-ci. S’il est absent, un voisin est invité à y assister. »

17. En outre, l’article 31 §§ 1 et 2 du même code, tel qu’amendé par les lois no 3160/2003 et 3346/2005, dispose :

« 1. Le procureur près le tribunal correctionnel a le droit d’effectuer : a) une enquête préliminaire afin de vérifier s’il y a lieu d’engager des poursuites ; b) une instruction préparatoire afin de constater qu’une infraction a été commise. (...)

2. L’enquête préliminaire est menée conformément aux articles 240 et 241. Si l’enquête a lieu à la suite d’une plainte ou si pendant l’enquête la commission d’une infraction est attribuable à une personne déterminée, cette personne est convoquée pour s’expliquer dans un délai de quarante-huit heures et elle est entendue sans avoir prêté serment. Elle a le droit d’être accompagnée d’un avocat, de refuser totalement ou partiellement de s’expliquer et de bénéficier d’un délai de quarante-huit heures pour le faire, délai qui peut être prolongé. En outre, elle a le droit de demander copie du dossier, de proposer des témoins et de déposer des preuves pour réfuter les accusations émises contre elle. Elle peut exercer les droits précités soit personnellement soit par l’intermédiaire d’un avocat (...), sauf si celui qui mène l’enquête considère que la comparution personnelle est nécessaire. »

18. Dans un avis juridique au sujet de « La légalité de la perquisition à domicile et de la saisie dans le cadre de l’enquête préliminaire et leurs conséquences dans le procès pénal », publié dans la revue Poiniki Dikaiosyni (7/2003, pp. 813 et suivantes), les professeurs D. Tsatsos, A. Papadimas et K. Chrysogonos concluaient que « la perquisition à domicile dans le cadre de l’enquête préliminaire [était] inadmissible sur le plan juridique et procédural », que « la perquisition à domicile dans le cadre de l’enquête préliminaire n’[était] pas prévue » et que « si par hasard elle [était] effectuée, elle serait un acte d’instruction illégal et nul sur le plan de la procédure ».

19. Dans un arrêt no 1328/2003 du 16 mai 2003, la Cour de cassation a considéré que la perquisition effectuée pendant l’enquête préliminaire pour permettre au procureur de décider s’il doit engager des poursuites n’était pas permise et que, si elle avait été effectuée, elle était illégale et nulle. Elle a indiqué que l’enquête préliminaire ne figurait pas parmi les cas dans lesquels, selon l’article 251 du CPP, la perquisition était prévue et qu’il n’existait aucune disposition prévoyant que la perquisition fût permise pendant l’enquête préliminaire. Elle a ajouté que, dès lors que la perquisition portait atteinte à des droits individuels, il devait être admis qu’elle n’était pas permise à cette étape de la procédure. Selon la Cour de cassation, une approche différente se heurterait au principe de la spécialité imposant que les atteintes procédurales aux droits individuels, telles que l’inviolabilité du domicile et de la vie privée et familiale, ainsi que les droits de la défense de l’accusé et leurs modalités d’exercice, fassent l’objet de dispositions expresses et spécifiques.

20. Le 5 février 2009, le procureur près la Cour de cassation a envoyé aux parquets auprès toutes les cours d’appel et tous les tribunaux de première instance une circulaire ayant trait notamment aux perquisitions menées lors de l’enquête préliminaire. Le procureur passait en revue les dispositions législatives pertinentes et en particulier l’article 31 du code pénal et certains autres articles du code de procédure pénale. Il soulignait qu’il ressortait de ces dispositions que l’enquête préliminaire et l’instruction préparatoire s’identifiaient du point de vue du but et de la manière d’agir. Se fondant sur la loi no 3346/2005 et son rapport explicatif, il précisait qu’aux fins du bon déroulement de l’enquête préliminaire, le « suspect » bénéficiait des mêmes droits que l’accusé et que l’instruction devait être accélérée afin d’éviter de répéter des actes d’instruction surtout lorsqu’il y a eu un examen approfondi des accusations au stade de l’enquête préliminaire. Il n’y avait plus aucun doute que l’enquête préliminaire revêtait un caractère judiciaire et non administratif et constituait une étape de la procédure pénale.

21. Le procureur ajoutait qu’à la suite de la réforme législative, pour engager une procédure pénale en matière criminelle, il fallait dorénavant non seulement de simples suppositions, mais l’existence d’indices suffisants qui résulteraient de l’enquête préliminaire qui devenait obligatoire. Comme il existait une référence directe aux articles 240 et 241 du code de procédure pénale, cette enquête était effectuée selon la procédure applicable à l’instruction préparatoire et notamment avec l’utilisation des moyens prévus aux articles 178 et 251 et s. du code de procédure pénale, y compris donc la perquisition.

22. La thèse soutenue sous le régime législatif antérieur à la réforme et selon laquelle une perquisition ne pouvait pas être effectuée pendant l’enquête préliminaire car elle constituait une ingérence à la vie privée de l’individu, ne pouvait plus être maintenue. Compte tenu du fait qu’à la suite de la loi no 3346/2005, le « suspect » était autorisé à prendre connaissance du dossier à un stade si précoce, et, par conséquent, réfuter toutes les accusations à son encontre avant que celle-ci soient formulées, il serait contraire au principe de la recherche de la vérité de ne pas permettre à la personne chargée de l’enquête de ne pas faire usage de tous les moyens d’instruction.

23. L’approche décrite dans cette circulaire a été reprise par la Cour de cassation (statuant en chambre du conseil) dans une décision (no 1575/2012) du 12 décembre 2012. La Cour de cassation a indiqué que, à la suite des réformes législatives de 2003, 2005 et 2010 et après l’entrée en vigueur de la loi no 4055/2012, l’enquête préliminaire avait été rendue obligatoire en matière de crime et aux fins de la mise en œuvre de l’action publique, avait été revalorisée et était effectuée, tout comme l’instruction, avant l’engagement des poursuites, conformément aux articles 240 et 241 du CPP. Elle a précisé que cette enquête constituait une étape fondamentale de l’instruction, pendant laquelle étaient utilisés tous les moyens de preuve prévus à l’article 178 du CPP, et qu’elle tendait à vérifier si les conditions d’engagement des poursuites se trouvaient ou non réunies. Elle a ajouté que, compte tenu des modalités d’exécution et du but poursuivi, il n’y avait plus désormais de distinctions importantes entre l’enquête préliminaire et l’instruction préparatoire.

24. La Cour de cassation a encore indiqué que, lors de l’enquête préliminaire, les suspects bénéficiaient de tous les droits des accusés, par exemple comparaître assistés d’un avocat ou être représentés par un avocat, recevoir copies de la plainte et de tous les documents du dossier, bénéficier d’un délai de quarante-huit heures pour préparer leur défense, proposer des témoins, etc. Elle a exposé que, au cours de l’enquête, dont la nature était judiciaire et pas seulement administrative, le procureur ou l’enquêteur pouvait avoir recours à tous les moyens de preuve mentionnés aux articles 178 et 253 du CPP et effectuer tous les actes d’instruction prévus par le CPP, tels que la perquisition, la saisie, l’expertise, la communication des demandes de coopération judiciaire, à l’exception des actes non compatibles avec la nature de l’enquête préliminaire, comme l’arrestation d’un suspect et l’invitation faite au suspect de présenter son plaidoyer.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

25. Le requérant allègue que la perquisition effectuée à son domicile privé et professionnel dans le cadre d’une enquête préliminaire a entraîné une violation de l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

26. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

27. Le requérant soutient que, en l’espèce, la méconnaissance selon lui du droit interne par les autorités, le contenu de l’ordre de perquisition et les modalités de réalisation de celle-ci s’analysent en neuf violations de l’article 8 de la Convention, qu’il argumente comme suit :

– non-respect du droit interne qui, d’après le requérant, ne permet pas la perquisition au cours de l’enquête préliminaire ;

– non-respect des articles 253A et 256 du CPP ;

– caractère global du mandat de perquisition qui n’aurait pas été individualisé, mais aurait concerné quinze adresses différentes, et absence de la mention de l’objet de la perquisition ;

– absence de mention des accusations pénales et des motivations du mandat ;

– caractère vague de l’objet de la perquisition ;

– caractère vague du libellé du mandat, qui aurait ainsi donné aux policiers toute latitude pour saisir – ce qu’ils auraient d’ailleurs fait – « tout ce qu’il y avait » dans son bureau ;

– absence, lors de la perquisition, de témoins ayant des connaissances juridiques ;

– non-respect du principe de la proportionnalité en raison des conséquences de la perquisition sur la confidentialité des données professionnelles ;

– refus des autorités de justifier les raisons pour lesquelles elles auraient conservé les objets saisis.

28. En premier lieu, le Gouvernement allègue que la perquisition en cause ne constituait pas une ingérence des autorités dans le droit au respect de la vie privée du requérant. En effet, il ne peut, selon lui, être soutenu qu’un acte d’instruction, tel que la perquisition et la saisie litigieuses à l’égard du requérant – dont la qualité « d’accusé » aurait été sujette à doute –, n’était pas permis au cours de l’enquête préliminaire. Le Gouvernement indique que, depuis l’entrée en vigueur de la loi no 3346/2005 (paragraphe 17 ci-dessus), il est désormais permis d’effectuer toutes sortes d’actes d’instruction pendant une enquête préliminaire, tels que la perquisition et la saisie, à l’exception d’actes non compatibles avec la nature de cette enquête, par exemple le plaidoyer de l’accusé.

2. Appréciation de la Cour

a) Existence d’une ingérence

29. La Cour note que, en l’espèce, lors d’une vaste opération, des enquêteurs ont perquisitionné les locaux privé et professionnel du requérant et ont procédé à la saisie de plusieurs documents et ordinateurs lui appartenant. Il est donc incontestable qu’il y a eu ingérence dans le droit au respect du domicile du requérant. Pareille ingérence enfreint l’article 8, sauf si elle satisfait aux conditions du paragraphe 2 de cette disposition : elle doit être prévue par la loi, poursuivre un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique. La Cour considère alors que les arguments du Gouvernement relatifs à l’absence d’ingérence relèvent plutôt du respect de la condition « prévue par la loi » et elle les examinera sous cet angle.

b) Justification de l’ingérence

i. Prévue par la loi

30. Le requérant indique que la chambre d’accusation a admis qu’une perquisition pouvait être effectuée au cours d’une enquête préliminaire, mais qu’elle ne se fondait à cet égard sur aucune disposition législative et sur aucune décision judiciaire. Il indique encore qu’elle s’est référée seulement à l’avis juridique de trois professeurs d’université, mais qu’elle en a déformé le contenu, car, selon lui, cet avis concluait expressément que la perquisition et la saisie n’étaient pas permises dans le cadre de l’enquête préliminaire. Il ajoute que la chambre d’accusation a entièrement ignoré les arrêts nos 1328/2003 (paragraphe 18 ci-dessus) et 1904/2010 (non publié) de la Cour de cassation qui, à ses dires, aboutissaient à la même conclusion que l’avis précité. Enfin, il joint à ses observations trois articles de doctrine de juristes réputés confirmant la thèse selon laquelle la perquisition et la saisie ne sont pas permises au cours de l’enquête préliminaire.

31. Le Gouvernement soutient que, depuis la réforme opérée par les lois nos 3160/2003 et 3346/2005, l’enquête préliminaire fait partie de la procédure pénale et revêt un caractère judiciaire et non administratif. Il se prévaut aussi de la décision no 1575/2012 de la Cour de cassation (paragraphes 19-22 ci-dessus). Plus particulièrement, il argue que le but d’une telle enquête ne consiste plus à repérer certains éléments qui feraient paraître comme possible la commission d’une infraction, mais à découvrir des indices suffisants pour que des poursuites puissent être engagées. Il ajoute que, depuis cette réforme, le suspect bénéficie de tous les droits d’un accusé et ses dépositions constituent des éléments de preuve pris en compte par les tribunaux. Le suspect serait autorisé à prendre connaissance de tous les éléments du dossier à un stade précoce et à réfuter les accusations avant même que celles-ci fussent formellement exprimées. Les actes d’instruction comme la perquisition et la saisie feraient partie de ceux permettant de vérifier si des actes criminels ont été commis par des personnes déterminées. Le Gouvernement argue que, s’il y avait un obstacle à effectuer de tels actes d’instruction, l’investigation d’un crime resterait inefficace. Enfin, il estime que les actes de perquisition et de saisie ont un caractère urgent. En effet, à ses yeux, si, lors d’une enquête préliminaire, il s’avère que des éléments de preuve risquent de disparaître, les enquêteurs, dont le procureur, ont le droit d’effectuer une perquisition pour saisir à temps ces éléments.

32. La Cour rappelle que dans un domaine couvert par le droit écrit, la « loi » est le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l’ont interprété (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 88, CEDH 2005-XI).

33. La Cour note d’abord que, en droit interne, à la suite des amendements successifs de l’article 31 §§ 1 et 2 du CPP, le procureur près le tribunal correctionnel peut ordonner une enquête préliminaire, laquelle est menée selon les articles 240 et 241 du CPP relatifs à l’instruction. Le paragraphe 2 de l’article 31 prévoit notamment : que la personne visée par l’enquête est convoquée pour s’expliquer dans un délai de quarante-huit heures et qu’elle est entendue sans avoir prêté serment ; qu’elle a le droit d’être accompagnée d’un avocat, de refuser totalement ou partiellement de s’expliquer et de bénéficier d’un délai de quarante-huit heures pour le faire, délai qui peut être prolongé ; qu’elle a le droit de demander copie du dossier, de proposer des témoins et de déposer des preuves pour réfuter les accusations émises contre elle. En outre, selon l’article 243 § 2 du CPP, relatif à l’instruction préparatoire, lorsqu’un retard risque de créer un danger immédiat, tous les enquêteurs sont tenus d’accomplir les actes nécessaires pour vérifier la commission de l’infraction et en découvrir l’auteur, et ce même en l’absence de décision préalable du procureur.

34. La Cour note ensuite que l’article de doctrine mentionné par le requérant, et auquel la chambre d’accusation s’est aussi référée, concluait que la perquisition à domicile dans le cadre de l’enquête préliminaire n’était pas prévue et que, si par hasard elle était effectuée, elle devait être vue comme un acte d’instruction illégal et nul sur le plan de la procédure. L’arrêt no 1328/2003, cité par le requérant à l’appui de ses thèses, contenait une conclusion similaire à celle précitée. Toutefois, la Cour observe que tant l’article de doctrine, paru en 2003, que l’arrêt no 1328/2003 sont antérieurs aux réformes législatives de 2003 et 2005, lesquelles, comme le Gouvernement le souligne, ont modifié à la fois l’objet de l’enquête préliminaire et la procédure la régissant. Par ailleurs, le 5 février 2009, donc avant les faits de la présente affaire, le procureur près la Cour de cassation a envoyé aux parquets près toutes les cours d’appel et tous les tribunaux de première instance une circulaire précisant la procédure à suivre lors des perquisitions menées dans le cadre d’une enquête préliminaire. En effet, le procureur analysait la nouvelle législation en vigueur et donnait des indications précises sur la façon de mener les perquisitions à ce stade de la procédure (paragraphe 19 ci-dessus).

35. En outre, la Cour constate que la décision no 1575/2012 du 12 décembre 2012 de la Cour de cassation, statuant en chambre du conseil, reprend pour l’essentiel l’analyse du procureur susmentionnée et que la décision de la chambre d’accusation statuant dans le cas du requérant en l’espèce reprend pratiquement la motivation de la décision no 1575/2012.

36. Ainsi, la Cour relève que, dans la décision en question, la Cour de cassation affirmait que, à la suite des réformes législatives de 2003, 2005 et 2010 et après l’entrée en vigueur de la loi no 4055/2012, l’enquête préliminaire avait été rendue obligatoire en matière de crime et aux fins de la mise en œuvre de l’action publique, qu’elle avait été revalorisée et qu’elle était effectuée, tout comme l’instruction, avant l’engagement des poursuites, conformément aux articles 240 et 241 du CPP. Selon la Cour de cassation, cette enquête constituait une étape fondamentale de l’instruction, pendant laquelle étaient utilisés tous les moyens de preuve prévus à l’article 178 du CPP, et elle tendait à vérifier si les conditions pour engager ou non des poursuites se trouvaient réunies. Toujours selon la Cour de cassation, compte tenu des modalités d’exécution et du but poursuivi, il n’y avait plus désormais de distinctions importantes entre l’enquête préliminaire et l’instruction préparatoire. Cette interprétation était donc claire au moment où la chambre d’accusation s’est prononcée sur la demande du requérant.

37. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que l’ingérence était « prévue par la loi ».

38. Cela dit, la manière dont ces dispositions ont été appliquées en l’espèce peut jouer dans l’appréciation par la Cour du caractère nécessaire de la mesure.

ii. But légitime

39. La Cour observe que la perquisition a été effectuée dans le cadre d’une enquête préliminaire, en amont de l’ouverture des poursuites pénales contre le requérant. Elle tendait à la recherche d’indices et de preuves de participation à une organisation criminelle opérant dans le domaine du blanchiment d’argent. De toute évidence, elle poursuivait à la fois la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, buts énumérés au paragraphe 2 de l’article 8 et légitimes au regard de cet article.

iii. Nécessaire dans une société démocratique

α) Les arguments des parties

40. Le requérant se réfère aux neuf violations distinctes de l’article 8 qu’il estime avoir subies (paragraphe 27 ci-dessus). Il se prévaut des arrêts de la Cour rendus en matière de perquisition et soutient qu’aucun des critères de conformité d’une perquisition aux exigences de l’article 8 posés par la Cour dans sa jurisprudence n’a été rempli dans son cas. Il ajoute que le Gouvernement n’a présenté aucun argument pour contrer huit des neuf violations en question.

41. Estimant que les objets trouvés et saisis avaient un lien direct avec les crimes sous investigation, le Gouvernement indique que la perquisition litigieuse était ainsi directement liée aux besoins de l’enquête préliminaire et qu’elle a abouti aux poursuites pénales ouvertes contre le requérant pour participation à une organisation criminelle. Il soutient que la perquisition a eu lieu de manière légale, en présence d’un témoin – la voisine du requérant –, sans qu’il fût nécessaire pour les autorités, eu égard à l’urgence de la situation, d’attendre le retour de l’intéressé. Il ajoute que l’ordre de perquisition préparé par le procureur était suffisamment spécifique et individualisé. Il précise à cet égard que, en ce qui concernait les infractions, référence était faite à l’article 187 (organisation criminelle) du code pénal ainsi qu’aux dispositions relatives aux perquisitions (articles 253 et suiv. du CPP) et que les autorités étaient invitées à saisir tout objet ayant, selon elles, une relation avec l’affaire.

β) Appréciation de la Cour

Principes applicables

42. La Cour rappelle avoir toujours jugé que les États contractants pouvaient estimer nécessaire de recourir à des mesures telles que des perquisitions et des saisies pour établir la preuve matérielle de certaines infractions. Il lui revient alors de contrôler le caractère pertinent et suffisant des motifs invoqués pour justifier pareilles mesures, ainsi que le respect du principe de proportionnalité. En ce qui concerne ce dernier point, la Cour doit d’abord veiller à ce que la législation et la pratique pertinentes apportent aux individus des garanties adéquates et effectives contre les abus. Elle doit ensuite examiner les circonstances particulières de l’espèce afin de déterminer si, in concreto, l’ingérence litigieuse était proportionnée au but recherché. Les critères que la Cour prend en compte pour trancher cette dernière question sont notamment les circonstances dans lesquelles le mandat a été émis, en particulier les autres éléments de preuve disponibles à l’époque, le contenu et l’étendue du mandat, la façon dont la perquisition a été menée, y compris la présence ou non d’observateurs indépendants, et l’étendue des répercussions possibles sur le travail et la réputation de la personne visée par la perquisition (voir, parmi beaucoup d’autres, Van Rossem c. Belgique, no 41872/98, §§ 42-43, 9 décembre 2004, Smirnov c. Russie, no71362/01, § 44, 7 juin 2007, Mancevschi c. Moldova, no 33066/04, § 45, 7 octobre 2008, Misan c. Russie, no 4261/04, § 55, 2 octobre 2014 et K.S. et M.S. c. Allemagne, no 33696/11, § 44, 6 octobre 2016).

43. Dans le contexte des saisies et perquisitions, la Cour exige également que le droit interne offre des garanties adéquates et suffisantes contre l’arbitraire (Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, § 220, CEDH 2013 (extraits) ; Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services c. France, nos 63629/10 et 60567/10, § 66, 2 avril 2015). La Cour rappelle également que figure parmi ces garanties l’existence d’un « contrôle efficace » des mesures attentatoires à l’article 8 de la Convention (Lambert c. France, 24 août 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V).

Application des principes au cas d’espèce

44. La Cour relève d’abord que la perquisition en question a eu lieu au stade de l’enquête préliminaire, un stade antérieur à l’instruction préparatoire et donc particulièrement précoce de la procédure pénale. La Cour considère qu’une perquisition effectuée à un tel stade doit s’entourer des garanties adéquates et suffisantes afin d’éviter qu’elle ne serve à fournir aux autorités de police des éléments compromettants sur des personnes qui n’ont pas encore été identifiées comme étant suspectes d’avoir commis une infraction. La Cour estime aussi opportun de distinguer la présente affaire de certains arrêts de la Cour cités par le requérant et qui concernent des cas de perquisition dans des cabinets d’avocats ; les garanties devant entourer les perquisitions dans ce type de lieu pouvant être plus strictes que celles dans un appartement privé ou un local professionnel, compte tenu de la confidentialité des communications entre les avocats et leurs clients.

45. En application de sa jurisprudence, la Cour se doit d’examiner les modalités d’émission et les termes mêmes du mandat de perquisition pour vérifier si des précautions suffisantes ont été prises pour garantir que celle-ci ne dépassât pas le but de prévention et de répression des infractions envisagées par la mesure. Un mandat de perquisition doit être assorti de certaines limites pour que l’ingérence qu’il autorise dans les droits garantis par l’article 8, et en particulier le droit au respect du domicile, ne soit pas potentiellement illimitée et, partant, disproportionnée. Par conséquent, un mandat de perquisition doit comporter des mentions minimales permettant qu’un contrôle s’exerce sur le respect, par les agents qui l’ont exécuté, du champ d’investigation qu’il détermine. En outre, la personne visée doit disposer d’informations suffisantes sur les poursuites se trouvant à l’origine de l’acte en cause pour lui permettre d’en déceler, prévenir et dénoncer les abus (Van Rossem c. Belgique, précité, §§ 45 et 47).

46. La Cour constate que le mandat litigieux était rédigé dans des termes généraux. En effet, le 23 septembre 2010, le procureur près la cour d’appel ordonnait la perquisition litigieuse afin de « vérifier si des infractions criminelles [avaient] été commises, notamment celle de la constitution d’une organisation criminelle (article 187 du code pénal) par S.G. et I.G. ainsi que par d’autres personnes liées à eux et agissant de pair avec eux ». Il invitait aussi les enquêteurs à saisir « tout objet ou document qui s’y trouv[ait] et qui, à [leur] avis, a[vait] un lien avec l’affaire sous examen ». Il en ressort que le procureur ne donnait aucune information sur l’instruction en cause et sur les objets à saisir, octroyant ainsi de larges pouvoirs à l’enquêteur. Le mandat ne comportait aucune liste des pièces et des documents ayant un rapport avec la nature de l’infraction et les locaux désignés concernaient des domiciles privés et professionnels sans indication des noms de leurs propriétaires ou occupants. En outre, le procureur ne désignait pas nommément le requérant, ni ne décrivait quel pouvait être son lien avec l’affaire à élucider.

47. La Cour admet qu’il puisse y avoir des situations où il est impossible de rédiger des mandats de perquisition avec un degré avancé de précision. En particulier, dans de cas comme celui de l’espèce, où la perquisition a été ordonnée dans le but de recueillir des éléments de preuve concernant des soupçons sur des activités criminelles s’étalant sur de longues périodes et impliquant plusieurs personnes, il serait illusoire d’exiger que le mandat contienne des informations précises, telles une liste des objets ou des documents à saisir.

48. Toutefois, dans de tels cas, et en particulier lorsque la législation nationale ne prévoit pas de contrôle judiciaire ex ante factum sur la légalité et la nécessité de cette mesure d’instruction, il devrait exister d’autres garanties, notamment sur le plan de l’exécution du mandat, de nature à contrebalancer les imperfections liées à l’émission et au contenu du mandat de perquisition. En l’espèce, la Cour note que la législation interne grecque ne prévoit pas un tel contrôle ex ante : l’obligation faite par l’article 253A du CPP au procureur d’informer la chambre d’accusation dans un délai de trois jours à compter de la décision d’effectuer en cas d’urgence certains actes d’instruction au stade de l’enquête préliminaire, ne s’applique pas aux perquisitions.

49. La Cour rappelle qu’elle a déjà eu l’occasion d’affirmer que, par exemple, l’absence d’un mandat de perquisition peut être contrebalancée par un contrôle judiciaire ex post factum (Heino c. Finlande, no 56720/09, § 45, 15 février 2011). Encore faut-il que ce contrôle soit efficace dans les circonstances particulières de l’affaire en cause (Smirnov c. Russie, précité, § 45 in fine).

50. En premier lieu, la Cour note que la perquisition opérée en l’espèce s’est accompagnée de certaines garanties de procédure. D’une part, elle a été ordonnée par le procureur près la cour d’appel, qui a émis un mandat de perquisition (voir, a contrario, l’arrêt Gutsanovi précité) et a délégué cette tâche à la Direction de la police de l’Attique. D’autre part, la perquisition litigieuse a été menée par un officier de police accompagné d’un procureur adjoint.

51. La Cour constate que le requérant n’était présent à aucun moment de la perquisition, laquelle a duré douze heures et demie, et que le dossier ne permet pas de savoir si les enquêteurs ont tenté de l’informer de leur présence ou de leur action, alors que l’article 256 du CPP fait obligation à celui qui mène la perquisition d’inviter l’occupant des lieux à être présent. À supposer même que les autorités aient voulu obtenir un effet de surprise en évitant de prévenir à l’avance le requérant, rien ne les empêchaient, afin de se conformer à la lettre de l’article précité, de chercher à prendre contact avec lui pendant le déroulement de la perquisition en question qui s’est prolongée sur quelques heures. Quant à la voisine néerlandaise que les enquêteurs ont appelée pour qu’elle agît comme témoin, le Gouvernement n’a pas démontré qu’elle avait une maîtrise de la langue grecque lui permettant de recevoir des informations suffisantes sur les poursuites à l’origine de l’opération ou sur la nature des objets et documents recherchés.

52. À l’absence d’un contrôle judiciaire ex ante, à l’imprécision du mandat et à l’absence physique du requérant, se rajoute l’absence d’un contrôle judiciaire ex post factum immédiat. En effet, la perquisition a abouti à la saisie de deux ordinateurs et de centaines des documents dont il n’a jamais été élucidé si tous avaient un rapport direct avec l’infraction sous examen. Au vu du texte du mandat, l’on peut aussi se demander si le requérant avait été informé du cadre dans lequel la perquisition s’inscrivait, ce qui lui aurait permis de vérifier que la perquisition se limitait à la recherche de l’infraction mentionnée dans le mandat et d’en dénoncer d’éventuels abus (voir, mutatis mutandis, Van Rossem, précité, § 48). La chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes, saisie par le requérant, a rendu sa décision plus de deux ans après la perquisition en question et a consacré la plus grande partie de sa décision à la question de savoir s’il était possible de procéder à une perquisition et à une saisie dans le cadre d’une enquête préliminaire. Les autorités internes ont donc manqué à l’obligation qu’elles avaient de justifier par des motifs « pertinents et suffisants » l’émission du mandat de perquisition (voir aussi Smirnov, précité, § 47).

53. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure à l’absence de proportionnalité de l’ingérence avec le but poursuivi. Cela la dispense par ailleurs d’examiner les autres allégations du requérant, notamment celles relatives à l’absence, lors de la perquisition, de témoins ayant des connaissances juridiques et aux conséquences de la perquisition sur la confidentialité des données professionnelles du requérant.

54. La Cour estime dès lors que le Gouvernement n’a pas démontré qu’une balance équitable des intérêts en présence a été préservée en l’espèce. Elle en conclut que les mesures litigieuses ne représentaient pas des moyens raisonnablement proportionnés à la poursuite des buts légitimes visés compte tenu de l’intérêt de la société démocratique à assurer le respect du domicile. Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

55. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

56. Le requérant demande 15 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

57. Le Gouvernement soutient que la somme réclamée est excessive. Selon lui, le constat de violation constituerait le cas échéant une satisfaction suffisante.

58. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 2 000 EUR pour préjudice moral.

B. Frais et dépens

59. Le requérant demande également 2 096 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

60. Le Gouvernement considère que la somme demandée est excessive et non nécessaire, la procédure ayant revêtu un caractère strictement écrit. Il estime que, si la Cour allouait une somme à ce titre, le montant de celle-ci ne devrait pas dépasser 500 EUR.

61. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 2 000 EUR pour la procédure menée devant elle.

C. Intérêts moratoires

62. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 mars 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Renata DegenerLedi Bianku
Greffière adjointePrésident en exercice


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-171973
Date de la décision : 16/03/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect du domicile);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : MODESTOU
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MYLONAS H.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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