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07/02/2017 | CEDH | N°001-170856

CEDH | CEDH, AFFAIRE PETROIU c. ROUMANIE, 2017, 001-170856


ANCIENNE TROISIÈME SECTION

AFFAIRE PETROIU c. ROUMANIE

(Requête no 33055/09)

ARRÊT

(Révision)

STRASBOURG

7 février 2017

DÉFINITIF

03/07/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Petroiu c. Roumanie (demande en révision des arrêts des 24 novembre 2009 et 25 mars 2014),

La Cour européenne des droits de l’homme (ancienne troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López

Guerra, président,
Kristina Pardalos,
Helen Keller,
Iulia Motoc,
Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanova,
Georgios A. Serghides, juges,
et...

ANCIENNE TROISIÈME SECTION

AFFAIRE PETROIU c. ROUMANIE

(Requête no 33055/09)

ARRÊT

(Révision)

STRASBOURG

7 février 2017

DÉFINITIF

03/07/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Petroiu c. Roumanie (demande en révision des arrêts des 24 novembre 2009 et 25 mars 2014),

La Cour européenne des droits de l’homme (ancienne troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Kristina Pardalos,
Helen Keller,
Iulia Motoc,
Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanova,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 janvier 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33055/09) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Florica‑Maria Petroiu (« la requérante »), a saisi la Cour le 5 août 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le 10 novembre 2006, l’affaire a été communiquée au gouvernement défendeur (« le Gouvernement »), qui a présenté ses observations sur la recevabilité et le bien‑fondé de la requête le 13 avril 2007.

3. Par un arrêt du 24 novembre 2009, la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention à raison de l’absence d’indemnisation pour la privation de propriété subie par la requérante. Elle a en outre réservé la question de la satisfaction équitable, qui ne se trouvait pas en état.

4. Par un arrêt du 25 mars 2014, la Cour a décidé d’allouer à la requérante les sommes de 462 000 euros (EUR) pour dommages matériel et moral et de 2 025 EUR pour frais et dépens et a rejeté la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

5. Le 13 juin 2014, le Gouvernement a demandé la révision des arrêts rendus les 24 novembre 2009 et 25 mars 2014 sur le fondement de l’article 80 du règlement de la Cour (« le règlement »), pour cause de découverte de faits nouveaux. À ses dires, ces faits nouveaux, par leur nature, auraient pu exercer une influence décisive sur l’issue de l’affaire, et, à l’époque des arrêts, ils étaient inconnus de la Cour et ne pouvaient raisonnablement être connus de lui.

6. Le 8 juillet 2014, la Cour a examiné la demande en révision et a décidé d’accorder au représentant de la requérante un délai pour présenter des observations. Celles-ci lui sont parvenues le 31 juillet 2014.

Le 3 octobre 2014, le Gouvernement a présenté des observations supplémentaires. Les 17 octobre et 24 novembre 2014, les parties ont informé la Cour que le Gouvernement s’était acquitté des obligations pécuniaires à sa charge en la présente affaire. Le 18 décembre 2014 et les 19 janvier et 11 décembre 2015, le représentant de la requérante a déposé des observations supplémentaires. Le Gouvernement en a fait de même le 11 mars 2016, et le représentant de la requérante a répondu le 29 mars 2016.

EN DROIT

SUR LA DEMANDE EN RÉVISION

A. Thèses des parties

7. Le Gouvernement demande la révision des arrêts rendus les 24 novembre 2009 et 25 mars 2014. Il indique avoir appris que, par un arrêt définitif du 12 novembre 2007, la cour d’appel de Bucarest aurait fait droit à une action en revendication de l’immeuble litigieux formée par la requérante à l’encontre du conseil général de Bucarest, de la société gérante de l’immeuble et de tiers acheteurs. Il affirme que, le 17 juin 2008, la requérante a pris possession de l’immeuble et a obtenu, avec l’aide d’un huissier de justice, l’expulsion des tiers qui habitaient l’immeuble et que, le 30 juin 2009, elle a fait enregistrer son droit de propriété sur le registre foncier, de sorte qu’elle ne serait plus victime de l’atteinte à son droit de propriété reconnue par la Cour dans son arrêt au principal rendu le 24 novembre 2009.

8. Le Gouvernement estime que la prise de possession alléguée par lui s’analyse en un fait de nature à exercer une influence décisive sur la présente affaire. Il affirme par ailleurs avoir pris connaissance de l’action en revendication susmentionnée, par l’intermédiaire de l’avocat des tiers acheteurs, après le prononcé de l’arrêt de la Cour sur la satisfaction équitable.

9. Le Gouvernement critique, à plusieurs reprises, la requérante et son représentant en ce qu’ils auraient été de mauvaise foi. Il leur reproche de ne pas avoir informé la Cour de la réalité des faits, et il considère que la requête est abusive.

10. Le Gouvernement expose en outre qu’il a exécuté l’arrêt sur la satisfaction équitable et qu’il s’est acquitté de ses obligations pécuniaires dans le délai imparti par l’arrêt de la Cour. Il ajoute qu’il a été indiqué à la requérante que, si la Cour faisait droit à la présente demande en révision, lui-même, représenté par le ministère des Finances publiques, entendrait former une action en répétition de l’indu.

11. Se référant aux dates de prononcé de son arrêt par la cour d’appel de Bucarest et d’inscription du droit litigieux sur le registre foncier – à savoir, respectivement, le 12 novembre 2007 et le 30 juin 2009 –, le représentant de la requérante plaide que la demande en révision du Gouvernement est tardive. Sur le fond, il estime que tant sa cliente que lui-même ont fait preuve de bonne foi, et il se fonde à cet égard sur l’accord de la requérante transmis à la Cour en vue d’un règlement amiable. Il soutient également que le droit de propriété de la requérante est vide de tout contenu, puisque les titres de propriété des tiers acheteurs demeureraient valides : en effet, la cour d’appel n’aurait pas examiné la validité desdits titres en raison de l’autorité de la chose jugée.

12. Dans ses observations supplémentaires, le Gouvernement avance que sa demande en révision n’est pas tardive et qu’il n’est pas raisonnable d’exiger qu’il se renseigne périodiquement sur les enregistrements opérés sur le registre foncier. Selon lui, il incombait à la requérante de tenir la Cour informée de toutes les évolutions de son affaire. Le Gouvernement conteste aussi les allégations de la requérante selon lesquelles le droit de propriété en question est vide de tout contenu, puisque les procès-verbaux versés au dossier prouveraient que l’intéressée a pris possession de l’immeuble litigieux et que le droit de propriété des tiers acheteurs a été rayé du registre foncier. Enfin, le Gouvernement invite la Cour à prendre en considération l’éventualité d’un enrichissement sans cause de la requérante.

13. Dans ses observations supplémentaires, le représentant de la requérante soutient que l’issue de l’action en revendication susmentionnée ne peut pas s’analyser en un fait, au sens de l’article 80 du règlement, mais plutôt en un acte juridictionnel qui aurait été rendu publiquement et dont le Gouvernement aurait pu prendre connaissance avec un minimum de diligence. Il estime que le même raisonnement doit s’appliquer à l’inscription du droit de la requérante sur le registre foncier, qui relèverait d’une autorité publique.

14. Le représentant de la requérante indique en outre que l’immeuble ne peut être ni possédé ni utilisé. À l’appui de ses dires, il affirme que ce bien est dans un état délabré et que la dernière occupante, d’après lui une société commerciale ayant conclu un contrat de commodat avec l’un des tiers acheteurs, n’a été expulsée que le 30 août 2011.

15. Enfin, le représentant de la requérante sollicite le remboursement des frais et dépens occasionnés par la procédure de révision des arrêts de la Cour. Il se réfère aux frais postaux, frais de traduction et honoraires d’avocat, mais ne chiffre pas sa demande et n’envoie pas de documents justificatifs pour l’étayer.

B. Appréciation de la Cour

16. La Cour rappelle que, selon l’article 44 de la Convention, ses arrêts sont définitifs et que, dans la mesure où elle remet en question ce caractère définitif, la procédure de révision, non prévue par la Convention mais instaurée par son règlement, revêt un caractère exceptionnel, d’où l’exigence d’un examen strict de la recevabilité de toute demande en révision d’un de ses arrêts dans le cadre d’une telle procédure (Pardo c. France (révision‑recevabilité), 10 juillet 1996, § 21, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III, Gustafsson c. Suède (révision - bien-fondé), 30 juillet 1998, § 25, Recueil 1998‑V, et Stoicescu c. Roumanie (révision), no 31551/96, § 33, 21 septembre 2004).

17. Elle rappelle également qu’une requête peut être rejetée comme étant abusive, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, si elle a été fondée sciemment sur des faits controuvés (Gross c. Suisse [GC], no 67810/10, § 28, CEDH 2014). Une information incomplète, et donc trompeuse, peut également être qualifiée d’abus du droit de recours individuel, particulièrement lorsqu’elle concerne le noyau de l’affaire et que le requérant n’explique pas de façon suffisante son manquement à divulguer les informations pertinentes (Gardean et S.C. Grup 95 SA c. Roumanie (révision), no 25787/04, § 11, 30 avril 2013).

18. La Cour doit donc se pencher sur la question de savoir si, dans la présente cause, il y a lieu de réviser ses arrêts des 24 novembre 2009 et 25 mars 2014 par application de l’article 80 de son règlement, qui, en ses parties pertinentes en l’espèce, est ainsi libellé :

« En cas de découverte d’un fait qui, par sa nature, aurait pu exercer une influence décisive sur l’issue d’une affaire déjà tranchée et qui, à l’époque de l’arrêt, était inconnu de la Cour et ne pouvait raisonnablement être connu d’une partie, cette dernière peut, dans le délai de six mois à partir du moment où elle a eu connaissance du fait découvert, saisir la Cour d’une demande en révision de l’arrêt dont il s’agit (...) »

19. Il convient ainsi de déterminer si les faits en cause auraient pu exercer une influence décisive sur l’issue de l’affaire déjà tranchée, s’ils ne pouvaient raisonnablement être connus du Gouvernement avant le prononcé des arrêts susmentionnés et si la demande en révision a été formée dans le délai légal (Stoicescu, ibidem, précité).

20. S’agissant de la première condition imposée par l’article 80 du règlement, la Cour rappelle que, pour savoir si les faits à la base d’une demande en révision sont de « nature à exercer une influence décisive », au sens du paragraphe 1 de cette disposition, il faut les considérer par rapport à la décision dont la révision est sollicitée (Pardo, précité, § 22). En l’espèce, la Cour relève que, dans son arrêt du 24 novembre 2009, elle a jugé que la vente par l’État du bien que la requérante avait hérité de son auteur, avant même que la question du droit de propriété fût définitivement tranchée par les tribunaux internes, s’analysait en une privation de propriété et qu’elle a conclu, en l’absence d’une indemnisation en faveur de l’intéressée, à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Petroiu c. Roumanie, no 33055/09, §§ 22 et 25, 24 novembre 2009).

21. La Cour note que, d’après les informations fournies par le Gouvernement – non contestées par la requérante –, à la date du prononcé de l’arrêt du 24 novembre 2009, une décision définitive de justice avait déjà été rendue en faveur de l’intéressée, ce qui a permis à cette dernière de prendre effectivement possession du bien litigieux avant cette date. Elle est d’avis qu’il s’agit bien de faits de « nature à exercer une influence décisive » sur l’issue de l’affaire.

22. À cette étape de son examen, la Cour estime utile de rappeler que, en application de l’article 47 § 6 de son règlement, il incombe au requérant de l’informer « de tout fait pertinent pour l’examen de sa requête ».

23. La Cour observe en l’espèce que la conduite du représentant de la requérante a été inappropriée, puisqu’il n’a pas porté à sa connaissance que sa cliente avait obtenu une décision définitive favorable et qu’elle avait bien pris possession de l’immeuble (voir, mutatis mutandis, Bugajny et autres c. Pologne (révision), no 22531/05, § 24, 15 décembre 2009).

24. Dans ces circonstances, la Cour ne peut que conclure que la requérante a agi en méconnaissance de l’obligation qui lui était faite par les articles 44C § 1 et 47 § 7 de son règlement de l’informer de tout fait pertinent pour l’examen de la requête, ainsi que de son devoir de coopérer avec elle dans le but d’une bonne administration de la justice, énoncé à l’article 44A du même texte (Gardean et S.C. Grup 95 SA, précité, § 20).

25. La Cour souligne également qu’il convient d’éviter que ses arrêts puissent avoir pour effet un enrichissement sans cause. Cela serait le cas en l’espèce si la requérante devait obtenir en plus de la mise en possession de l’immeuble, ultérieurement, une somme au titre de la satisfaction équitable pour préjudice matériel, calculée sur la base de la valeur de cet immeuble : en effet, la requérante obtiendrait alors deux fois la valeur dudit bien (voir, en ce sens, Pennino c. Italie (révision), no 43892/04, § 16, 8 juillet 2014).

26. Dès lors, la Cour est d’avis que la requérante a sciemment omis de porter à sa connaissance l’existence de la nouvelle situation, ce qui représente un abus de sa part dans la conduite de sa procédure devant elle.

27. Pour ce qui est de la deuxième condition imposée par l’article 80 du règlement – à savoir « l’absence de connaissance des faits découverts » –, la Cour observe que la décision définitive de justice en question a été rendue contradictoirement, entre autres, à l’égard du conseil général de Bucarest et que la requérante a ensuite fait enregistrer son droit de propriété sur le registre foncier, qui relève d’une autorité publique (paragraphe 7 ci-dessus). À cet égard, elle rappelle qu’il incombe en principe au gouvernement défendeur de se renseigner auprès des autorités publiques pour obtenir toute information pertinente ou encore de demander à celles-ci de lui faire connaître dans les meilleurs délais tout développement significatif de l’affaire (idem, § 17, et De Luca c. Italie (révision), no 43870/04, § 17, 8 juillet 2014). En l’espèce, la Cour note que les faits en cause sont intervenus après le 13 avril 2007, date du dépôt par le Gouvernement de ses observations sur la recevabilité et le bien‑fondé de la requête (paragraphe 2 ci-dessus ; voir, également Gardean et S.C. Grup 95 SA, précité, § 17). Elle attache aussi une grande importance au comportement de la requérante, qui a sciemment omis de l’informer de ces faits (idem, § 18). Dans ces conditions et compte tenu de la spécificité de l’affaire, la Cour conclut qu’on ne saurait « raisonnablement » reprocher au Gouvernement d’être resté dans l’ignorance des faits en question.

28. La Cour relève enfin que le Gouvernement indique avoir pris connaissance de l’action en revendication susmentionnée, par l’intermédiaire de l’avocat des tiers acheteurs de l’immeuble, après le prononcé de son arrêt sur la satisfaction équitable, c’est-à-dire après le 25 mars 2014 (paragraphe 8 ci-dessus), et qu’il a présenté sa demande en révision le 13 juin 2014. Elle estime donc que le Gouvernement a formulé sa demande dans le délai de six mois requis par l’article 80 de son règlement et qu’il a ainsi respecté la troisième condition requise par cette disposition.

29. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a lieu de réviser, dans leur intégralité, les arrêts prononcés les 24 novembre 2009 et 25 mars 2014, en application de l’article 80 de son règlement.

30. Il convient, dès lors, de déclarer la requête irrecevable comme étant abusive au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

Décide d’accueillir la demande en révision des arrêts prononcés par elle les 24 novembre 2009 et 25 mars 2014.

en conséquence

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 février 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsLuis López Guerra
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (ancienne troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-170856
Date de la décision : 07/02/2017
Type d'affaire : révision
Type de recours : Irrecevable (Article 35-3-a - Requête abusive)

Parties
Demandeurs : PETROIU
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : RADESCU D.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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