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26/01/2017 | CEDH | N°001-170882

CEDH | CEDH, AFFAIRE IVANOVA ET IVASHOVA c. RUSSIE, 2017, 001-170882


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE IVANOVA ET IVASHOVA c. RUSSIE

(Requêtes nos 797/14 et 67755/14)

ARRÊT

STRASBOURG

26 janvier 2017

DÉFINITIF

26/04/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ivanova et Ivashova c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Helena Jäderblom,
Helen Keller,
Dmitry D

edov,
Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanova,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir dél...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE IVANOVA ET IVASHOVA c. RUSSIE

(Requêtes nos 797/14 et 67755/14)

ARRÊT

STRASBOURG

26 janvier 2017

DÉFINITIF

26/04/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ivanova et Ivashova c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Helena Jäderblom,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanova,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 janvier 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 797/14 et 67755/14) dirigées contre la Fédération de Russie et dont deux ressortissantes de cet État, Mmes Mira Vasilyevna Ivanova et Valentina Ilyinichna Ivashova (« les requérantes »), ont saisi la Cour les 6 décembre 2013 et 24 septembre 2014 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matiouchkine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3. Les requérantes allèguent, en particulier, que leur droit d’accès à un tribunal a été méconnu.

4. Le 3 février 2015, ce grief a été communiqué au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les deux requérantes sont nées en 1929 et résident respectivement à Ijevsk (République d’Oudmourtie) et à Saint-Pétersbourg.

A. La requête no 797/14 introduite par Mme Ivanova

6. Le 17 avril 2013, la requérante introduisit un recours en justice tendant à faire reconnaître son ancienneté au travail, ancienneté qui lui ouvrait droit à des allocations sociales plus élevées.

7. Par une décision avant dire droit du 22 avril 2013, le tribunal du district Oktiabrski de Ijevsk, constatant que le dossier n’était pas en état, invita la requérante à corriger les irrégularités constatées avant le 17 mai 2013, sous peine d’irrecevabilité de la demande ; il lui enjoignit notamment de payer la taxe judiciaire et de préciser le type d’allocation sociale demandée.

8. La requérante reçut une copie de cette décision le 22 mai 2013.

9. Par une décision avant dire droit du 22 mai 2013, constatant la réception tardive par la requérante de la décision du 22 avril, le tribunal de district fixa au 27 mai 2013 le nouveau délai pour remédier aux irrégularités du dossier.

10. Par une décision du 28 mai 2013, le tribunal de district, constatant que la partie demanderesse n’avait pas régularisé sa demande dans le délai imparti, déclara celle-ci irrecevable et prononça l’extinction de l’instance.

11. Le 10 juin 2013, la requérante forma un recours contre cette décision, arguant qu’elle n’avait jamais reçu celle du 22 mai 2013.

12. Par un arrêt du 3 juillet 2013, la cour suprême d’Oudmourtie considéra comme établi que la requérante avait reçu la décision du 22 mai 2013 le jour même. Elle confirma en appel la décision du 28 mai 2013.

B. La requête no 67755/14 introduite par Mme Ivashova

13. À une date non précisée, la requérante introduisit une action civile contre une société privée. Le 18 février 2014, le tribunal du district Vassileostrovski de Saint‑Pétersbourg accueillit en partie la demande de la requérante. Lors de l’audience, le tribunal ne lut que le dispositif de la décision.

14. Selon le Gouvernement, le texte intégral de la décision comprenant les considérants fut finalisé le 25 février 2014.

15. La requérante indique que, les 20, 24, 25 février et 3 mars 2014, sa représentante demanda par écrit au greffe du tribunal de mettre le dossier à sa disposition pour qu’elle en prenne connaissance. Selon la requérante, ces demandes furent rejetées.

16. Le 3 mars 2014, la représentante déposa une plainte écrite auprès du président du tribunal. Elle lui demandait de prendre les mesures nécessaires afin que sa demande fût mise à exécution.

17. Par une lettre du 5 mars 2014, le président du tribunal de district informa la requérante que le procès-verbal de l’audience avait été finalisé le 18 février 2014, que le texte intégral de la décision avait été rédigé le 25 février 2014 et qu’il avait ensuite été envoyé par courrier à la requérante le 3 mars 2014. Selon le président, le dossier entier avait été disponible au greffe du tribunal à compter du 4 mars 2014.

18. Se référant au site internet de la poste, la requérante affirme qu’une copie de la décision lui a été envoyée le 7 mars 2014 et qu’elle lui est parvenue le 25 mars 2014.

19. Le 18 mars 2014, la requérante interjeta appel. Cet appel était succinct : l’intéressée indiquait qu’elle n’était pas en mesure d’expliciter les motifs de son recours car elle n’aurait toujours pas été en possession du texte intégral de la décision. Elle précisait qu’elle présenterait ses conclusions d’appel après réception du texte intégral du jugement.

20. Par une décision avant dire droit du 21 mars 2014, le tribunal de district invita la requérante à remédier aux irrégularités du recours : il lui demanda de présenter les moyens d’appel et de les communiquer au défendeur avant le 12 avril 2014. Le tribunal précisait que, à défaut, le recours serait déclaré irrecevable. La requérante n’ayant pas satisfait à cette demande, le 23 avril 2014, le tribunal déclara le recours irrecevable pour ce motif.

21. Le 25 avril 2014, la requérante interjeta appel. Elle joignit à son dossier d’appel une demande de relevé de forclusion au motif qu’elle avait reçu tardivement (le 25 mars 2014) le texte intégral de la décision du tribunal. Elle argua en outre que la décision du 21 mars 2014 lui enjoignant de remédier aux irrégularités de son appel ne lui était parvenue que le 9 avril 2014 et que le délai imparti par cette décision, à savoir le 12 avril 2014, était manifestement insuffisant pour qu’elle pût s’y conformer.

22. Par une décision avant dire droit du 20 mai 2014, le tribunal de district déclara l’appel irrecevable pour tardiveté. La requérante forma un recours contre cette décision. Elle alléguait qu’elle avait agi conformément à la loi qui lui permettait d’interjeter appel dans un délai de 30 jours à partir de la réception du texte intégral de la décision. Elle ajoutait que le tribunal n’avait pas le droit de réduire ce délai et concluait que, ayant déposé l’appel le 25 avril 2014, elle avait respecté le délai imparti.

23. Par un arrêt du 23 juillet 2014, la cour de la ville de Saint‑Pétersbourg confirma, en appel, la décision du 20 mai. Elle jugea que, en effet, la requérante avait reçu le texte intégral de la décision par la poste le 25 mars 2014. Elle estima toutefois que cette circonstance n’était pas de nature à ébranler la conclusion de tardiveté établie par le tribunal de district car, d’une part, la représentante de la requérante avait pris connaissance du dossier le 11 mars 2014 et avait ainsi été informée que le délai imparti pour interjeter appel avait déjà commencé à courir et, d’autre part, la requérante avait été avertie de la nécessité de compléter son appel par la décision du 21 mars 2014, qu’elle avait reçue le 9 avril.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

24. Selon l’article 136 (paragraphe 2) du code de procédure civile, si le demandeur ne se conforme pas aux instructions données par le tribunal visant à remédier aux irrégularités de sa demande, ce dernier prononce l’extinction de l’instance. Aux termes de l’article 135 (paragraphe 3) du code précité, cette extinction ne fait pas obstacle à la réintroduction de la même demande une fois les irrégularités corrigées. Selon les articles 135 (paragraphe 3) et 136 (paragraphe 3) du même code, les deux décisions susmentionnées peuvent faire l’objet d’un recours.

25. Selon l’article 199 du code de procédure civile, le jugement du tribunal doit être rendu immédiatement après l’examen de l’affaire. Le tribunal doit prononcer le dispositif lors de la même audience, mais il peut reporter jusqu’à cinq jours maximum la rédaction des considérants du jugement. Une fois le dispositif du jugement prononcé, celui-ci doit être signé par tous les juges et versé au dossier.

26. Conformément à l’article 321 (paragraphe 2) du code de procédure civile, une partie peut interjeter appel dans un délai d’un mois après que le jugement a été rendu par le tribunal de première instance dans sa forme intégrale. Interprétant cette disposition, la Cour suprême de Russie précisait dans sa directive no 13 du 19 juin 2012 que ce délai commençait à courir le jour suivant celui où le jugement avait été rendu en sa forme définitive (ledit jugement comprenant ainsi les considérants) et expirait un mois plus tard (paragraphe 6 de la directive).

27. Aux termes de l’article 322 dudit code, l’appelant doit, entre autres, formuler dans sa déclaration d’appel sa demande ainsi que les motifs pour lesquels il estime que la décision de justice était incorrecte.

28. Selon l’article 214 du même code, le tribunal doit, si les parties n’étaient pas présentes à l’audience, leur envoyer une copie du jugement dans un délai de cinq jours après avoir finalisé le texte intégral.

29. L’instruction no 36 sur l’organisation du travail du greffe d’un tribunal de district (adoptée par le Service de l’administration des juridictions auprès de la Cour suprême de la Fédération de Russie le 29 avril 2003), prévoit que, en cas de déclaration de dossier incomplet, le greffe envoie cette décision au demandeur au plus tard le lendemain de la date où elle a été rendue (paragraphe 3.24 de l’instruction).

30. Selon le paragraphe 7.6 de cette instruction, le greffe est tenu d’envoyer une copie de la décision sur le fond aux parties absentes à l’audience dans un délai n’excédant pas cinq jours après la rédaction du texte intégral de la décision par lettre simple (paragraphe 7.6 de la même instruction).

31. Selon l’article 112 (paragraphe 1) du code de procédure civile, le tribunal compétent peut relever l’appelant de sa forclusion s’il estime que ce dernier a une raison valable justifiant le retard. Interprétant cette disposition, la Cour suprême, dans sa directive no 13 précitée, précisait que ces raisons valables pouvaient être les suivantes : a) pour les plaignants ayant pris part à l’audience, les circonstances liées à la personne de l’appelant, comme une maladie grave, un handicap, l’analphabétisme ; b) la réception par le plaignant n’ayant pas participé à l’audience d’une copie du jugement après l’expiration du délai imparti pour l’introduction de l’appel ou bien, lorsque le temps restant jusqu’à l’expiration de ce délai était insuffisant, pour étudier le dossier et rédiger un recours motivé ; c) le non-respect par le tribunal de première instance de son obligation prévue par l’article 193 et du paragraphe 5 de l’article 198 du code de procédure civile de renseigner les parties sur les modalités et le délai imparti pour interjeter appel du jugement ; d) le non‑respect par le tribunal du délai imparti par l’article 199 du même code pour rédiger le texte intégral de la décision ou bien du délai imparti par l’article 214 du même code pour envoyer les copies du jugement aux parties absentes à l’audience, à condition que cette violation ait conduit à l’impossibilité pour les parties de préparer et de présenter leurs conclusions d’appel dans le délai prévu à cet effet (paragraphe 8 de la directive).

32. La demande de relevé de forclusion doit être introduite devant le tribunal compétent et examinée en audience. Les parties reçoivent notification de la date et du lieu de cette audience, mais leur absence n’empêche pas le tribunal d’examiner la demande (paragraphe 2 de l’article 112 du code). Selon l’article 112 (paragraphe 3), en déposant la demande de relevé de forclusion, l’appelant doit en même temps accomplir l’acte de procédure dont il est forclos, à savoir déposer le recours ou présenter les documents). Aux termes de l’article 112 (paragraphe 5) du même code, les parties peuvent former un recours contre la décision accueillant ou rejetant cette demande.

EN DROIT

I. JONCTION DES REQUÊTES

33. Compte tenu de la similitude de deux présentes requêtes quant aux faits et aux questions qu’elles posent, la Cour juge approprié de les joindre, en application de l’article 42 § 1 de son règlement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

34. Les requérantes se plaignent d’une violation de leur droit d’accès à un tribunal puisque leur recours, par une application qu’elles jugent erronée des règles de procédure, ont été déclarés irrecevables pour tardiveté. Les requérantes invoquent à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention qui, dans sa partie pertinente en l’espèce, est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Thèses des parties

1. En ce qui concerne la requête no 797/14 introduite par Mme Ivanova

35. Le Gouvernement affirme que, faute pour la requérante de se conformer à la décision du tribunal du 22 mai 2013 lui ordonnant de remédier aux irrégularités de sa demande dans le délai imparti, le tribunal a ordonné, le 28 mai 2013, l’extinction de l’instance. Se référant à l’article 135 (paragraphe 3) du code de procédure civile, il souligne que l’extinction de l’instance n’empêchait pas la requérante de saisir à nouveau le tribunal après avoir corrigé les irrégularités de sa demande. À cet égard, il indique à la Cour que la requérante n’a pas fait usage de ce droit.

36. La requérante argue que, si elle a réceptionné tardivement la décision du 22 avril 2013, à savoir le 22 mai 2013, la décision du 22 mai 2013 ne lui est jamais parvenue. Elle ajoute que le Gouvernement n’a pas présenté de preuves de la réception par elle de la décision du 22 mai 2013 fixant le nouveau délai pour corriger les irrégularités de sa demande.

2. En ce qui concerne la requête no 67755/14 introduite par Mme Ivashova

37. Le Gouvernement estime que la requérante a manqué à son obligation d’introduire un appel dans le délai imparti. Il soutient que le tribunal de district a correctement rejeté la demande de relever de forclusion, aucune raison plausible à cet effet n’étant citée par la requérante. En effet, le Gouvernement affirme que celle-ci avait une possibilité d’obtenir une copie du texte intégral du jugement le 11 mars 2014, lors de la lecture de son dossier au greffe du tribunal. Le Gouvernement a versé au dossier une copie du dossier civil, dont il ressort que la décision intégrale avait été rédigée le 25 février 2014 et que le dossier avait été déposé au greffe du tribunal le 4 mars 2014.

38. Mme Ivashova objecte qu’elle n’a pris connaissance du procès-verbal de l’audience que le 11 mars 2014, alors que le texte de la décision n’était pas versé au dossier à cette date. Elle combat la thèse du Gouvernement selon lequel elle avait une possibilité d’obtenir à cette date une copie intégrale de la décision auprès du greffe car celui-ci lui a refusé de le faire au motif que la décision lui avait été déjà envoyée par la poste. Se référant au site internet de la poste, la requérante affirme que le courrier, qui aurait été posté le 7 mars 2014, lui est parvenu le 25 mars 2014.

39. La requérante estime que c’est précisément la date de la réception de la décision et non le prononcé de celle-ci qui doit être considérée comme dies a quo pour calculer le délai de 30 jours dans lequel elle devait présenter ses conclusions d’appel.

B. L’appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

40. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

a) Principes généraux

41. La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, lorsque de telles juridictions sont instituées, la procédure qui s’y déroule doit présenter les garanties prévues à l’article 6 (Chatellier c. France, no 34658/07, § 35, 31 mars 2011).

42. Par ailleurs, le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi beaucoup d’autres, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, Mikulová c. Slovaquie, no 64001/00, § 52, 6 décembre 2005, et Kemp et autres c. Luxembourg, no 17140/05, § 47, 24 avril 2008).

43. En outre, le droit à un tribunal implique celui de recevoir une notification adéquate des décisions judiciaires, en particulier dans les cas où un appel doit être introduit dans un certain délai (Zavodnik c. Slovénie, no 53723/13, § 71, 21 mai 2015).

44. La réglementation relative aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent s’attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, la réglementation en question, ou l’application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d’une voie de recours disponible (Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil 1998‑VIII, et Georgiy Nikolayevich Mikhaylov c. Russie, no 4543/04, § 52, 1er avril 2010).

45. Le droit d’action ou de recours doit s’exercer à partir du moment où les intéressés peuvent effectivement connaître les décisions judiciaires qui leur imposent une charge ou pourraient porter atteinte à leurs droits ou intérêts légitimes. S’il en allait autrement, les cours et tribunaux pourraient, en retardant la notification de leurs décisions, écourter substantiellement les délais de recours, voire rendre tout recours impossible. La notification, en tant qu’acte de communication entre l’organe juridictionnel et les parties, sert à faire connaître la décision du tribunal, ainsi que les fondements qui la motivent, le cas échéant pour permettre aux parties de recourir (Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 37, CEDH 2000‑I).

46. L’article 6 de la Convention ne saurait être entendu comme comprenant une garantie pour les parties d’être notifiées d’une manière particulière, par exemple, par une lettre recommandée (Bogonos c. Russie (déc.), no 68798/01, 5 février 2004). Toutefois, la manière dont la décision de justice est portée à la connaissance d’une partie doit permettre de vérifier la remise de la décision à la partie ainsi que la date de cette remise (Soukhoroubtchenko c. Russie, no 69315/01, §§ 49-50, 10 février 2005, et Strijak c. Ukraine, no 72269/01, § 39, 8 novembre 2005).

b) Application de ces principes aux cas d’espèce

47. La Cour note que respectivement la demande de la première requérante et l’appel de la seconde requérante n’ont pas été examinés au motif que les intéressées ne les avaient pas introduit dans les délais impartis. Il n’incombe pas à la Cour de se substituer aux juridictions nationales dans l’interprétation de la loi nationale. Son rôle est limité à rechercher si cette interprétation est compatible avec la Convention (Georgiy Nikolayevich Mikhaylov, précité, § 53).

i. En ce qui concerne la première requérante, Mme Ivanova

48. La Cour constate que le tribunal ayant examiné la recevabilité de la demande introduite par la requérante a invité cette dernière à corriger les irrégularités de sa demande (paragraphe 7 ci-dessus). Elle observe que la requérante déclare n’avoir reçu cette décision du 22 avril 2013 que le 22 mai 2013, c’est-à-dire cinq jours après l’expiration du délai imparti à cet effet (paragraphe 8 ci‑dessus) et que le 22 mai 2013, le tribunal de district, constatant la réception tardive, avait fixé un nouveau délai, à savoir le 27 mai 2013 (paragraphe 9 ci-dessus). La requérante indique qu’elle n’a jamais reçu cette dernière décision du 22 mai 2013 (paragraphe 11 ci‑dessus). Le tribunal de district a alors prononcé l’extinction de l’instance (paragraphe 10 ci-dessus).

49. Même si la requérante conteste avoir reçu la décision du 22 mai 2013, la Cour estime néanmoins qu’elle en a eu connaissance. En effet, le juge national ne pouvait être informé de la réception tardive de sa décision du 22 avril 2013 ni proroger le délai imparti sans l’intervention de la requérante elle-même. Aux yeux de la Cour, la requérante avait nécessairement pris connaissance de ladite décision si elle a contacté le juge à ce sujet. En effet, la cour d’appel a relevé (paragraphe 12 ci-dessus) que la requérante en avait eu connaissance le jour même, le 22 mai 2013. La Cour ne voit aucun élément lui permettant de s’écarter de cette conclusion.

50. La Cour rappelle qu’il incombe au premier chef aux intéressés de faire toute diligence pour la défense de leurs intérêts (Teuschler c. Allemagne (déc.), no 47636/99, 4 octobre 2001). Elle estime que, en l’espèce, la requérante n’a pas fait preuve d’une telle diligence en laissant s’écouler le délai fixé par le juge pour remédier aux irrégularités de sa demande. Au demeurant, la requérante ne prétend pas que les instructions du juge étaient arbitraires, incompréhensibles ou déraisonnables (Shishkov c. Russie, no 26746/05, § 139, 20 février 2014).

51. La Cour considère dès lors que la décision prononçant l’extinction de l’instance, n’étant pas manifestement arbitraire, n’a pas atteint le droit à un tribunal dans sa substance. Partant, elle conclut à la non-violation de l’article 6 § 1 de la Convention à l’endroit de Mme Ivanova.

ii. En ce qui concerne la seconde requérante, Mme Ivashova

52. La Cour relève tout d’abord que, pour interjeter appel, la loi nationale, telle qu’interprétée par la Cour suprême (paragraphe 26 ci‑dessus), accorde aux parties un délai d’un mois à partir de la rédaction du texte intégral de la décision.

53. La Cour constate que, en l’espèce, la date de la rédaction du texte intégral est sujette à controverse entre les parties. D’une part, le Gouvernement affirme que celui-ci a été finalisé le 25 février 2014, déposé au greffe du tribunal le 4 mars 2014 et que la requérante avait donc pu y avoir accès lors de son passage au greffe le 11 mars 2014 (paragraphes 14 et 37 ci-dessus). D’autre part, la requérante, qui s’est enquise à maintes reprises, notamment le 25 février, les 3 et 11 mars 2014, auprès du greffe du tribunal de la disponibilité du texte intégral, affirme qu’à chacune de ses visites le texte n’était toujours pas versé au dossier (paragraphes 15-17 et 36 ci-dessus). Elle ajoute que, à cette dernière date, le 11 mars 2014, le greffe avait refusé de lui fournir une copie intégrale de la décision au motif que celle-ci lui avait déjà été envoyée par la poste.

54. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas d’interpréter et d’appliquer le droit interne ni de trancher la question de savoir à quel moment une copie intégrale de la décision a été disponible au greffe du tribunal. Elle relève toutefois que la requérante a présenté un document concernant l’envoi postal de la décision selon lequel le greffe avait envoyé celle-ci le 7 mars 2014 et selon lequel cet envoi lui était parvenu le 25 mars 2014 (paragraphe 18 ci-dessus). Cette date de réception a en outre été confirmée par la cour d’appel (paragraphe 23 ci-dessus). La Cour constate que, de son côté, le Gouvernement n’a pas réfuté cette thèse de la requérante en présentant, par exemple, un élément prouvant que la décision avait été mise à la disposition de la requérante à une date différente. Les modes d’envoi des décisions, tels que présentés par le Gouvernement (paragraphes 28 et 30 ci-dessus), ne permettent pas à la Cour de vérifier la date de réception desdites décisions.

55. La Cour note en outre que le Gouvernement n’a pas fourni d’informations quant à un éventuel système de notification aux parties visant à les informer que le texte finalisé était disponible au greffe. En l’espèce, la requérante a dû se renseigner à des intervalles réguliers auprès du greffe quant à la disponibilité de ce texte et, essuyant à chaque fois un refus, elle a formulé des demandes écrites, adressées au président du tribunal en vue d’avoir accès à son dossier civil (paragraphes 15 et 16 ci‑dessus). En outre, à défaut d’avoir obtenu le texte intégral un mois après l’audience du tribunal, le 18 mars 2014, la requérante a déposé une déclaration d’appel succincte afin de ne pas dépasser le délai imparti pour faire appel (paragraphe 19 ci-dessus).

56. La Cour considère dès lors que la requérante a entrepris toutes les démarches raisonnables pour obtenir le texte intégral de la décision et pour interjeter appel dans les délais impartis (voir, a contrario, Trukh c. Ukraine, no 50966/99, 14 octobre 2003, affaire dans laquelle le requérant n’a formulé aucune demande de copie intégrale de la décision, et Muscat c. Malte, no 24197/10, § 53, 17 juillet 2012, affaire dans laquelle le requérant n’a manifesté aucun intérêt pour le progrès de son recours pendant deux ans).

57. La Cour est d’avis que, en rejetant l’appel de la requérante pour tardiveté, les juridictions internes ont procédé à une interprétation rigide du droit interne qui a eu pour conséquence de mettre à la charge de la requérante une obligation que celle-ci n’était pas en mesure de respecter, même faisant preuve d’une diligence particulière. Exiger l’introduction d’un recours dans un délai d’un mois à compter de la date d’établissement d’une copie intégrale de la décision par le greffe du tribunal revient à faire dépendre l’écoulement de ce délai d’un élément qui échappe complètement au pouvoir du justiciable. Elle considère dès lors que le droit de recours devait s’exercer à partir du moment où l’intéressée pouvait effectivement connaître la décision de justice en sa forme intégrale (Aepi S.A. c. Grèce, no 48679/99, § 26, 11 avril 2002, et Georgiy Nikolayevich Mikhaylov, précité, § 55).

58. Compte tenu de la gravité de la sanction qui a frappé la requérante pour non-respect du délai ainsi calculé, la Cour estime que la mesure contestée n’a pas été proportionnée au but de garantir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention au regard du droit de la requérante d’avoir accès à un tribunal.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

59. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, Mme Ivanova se plaint en outre que le refus de lui payer les allocations sociales, auxquelles elle estime avoir droit, s’analyse en une privation des biens au sens de cette disposition.

60. Eu égard au contenu du dossier, la Cour estime que ce grief ne révèle pas de violations des droits consacrés par la Convention et ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

61. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

62. La seconde requérante demande 4 500 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi.

63. Le Gouvernement estime que ce montant est excessif et déraisonnable et qu’il ne correspond pas à la jurisprudence pertinente de la Cour. Il se réfère notamment aux arrêts Rozhin c. Russie, no 50098/07, § 39, 6 décembre 2011, Sokur c. Russie, no 23243/03, § 44, 15 octobre 2009, et Larin c. Russie, no 15034/02, § 62, 20 mai 2010, dans lesquels, respectivement, des sommes de 1 000 EUR, de 2 000 EUR et de 500 EUR avaient été accordées.

64. La Cour considère que l’intéressée a en effet connu une frustration et un sentiment d’injustice qui ne sauraient être réparés par le seul constat de violation. Elle estime toutefois que la somme réclamée est excessive. Eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose, elle considère qu’il y a d’allouer à Mme Ivashova 2 500 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

65. La seconde requérante demande 3 671,50 roubles russes (RUB) pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

66. Le Gouvernement estime que ces frais et dépens sont dûment confirmés par la requérante et ne s’oppose pas à ce que cette somme lui soit accordée.

67. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 50 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde à la requérante.

C. Intérêts moratoires

68. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes nos 797/14 et 67755/14 ;

2. Déclare les requêtes recevables quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et irrecevables pour le surplus ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à l’endroit de Mme Mira Vasilyevna Ivanova ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à l’endroit de Mme Valentina Ilyinichna Ivashova ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à Mme Valentina Ilyinichna Ivashova, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement) :

i) 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 50 EUR (cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 janvier 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Fatoş AracıLuis López Guerra
Greffière adjointePrésident


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