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13/12/2016 | CEDH | N°001-169471

CEDH | CEDH, AFFAIRE KOLOMENSKIY c. RUSSIE, 2016, 001-169471


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE KOLOMENSKIY c. RUSSIE

(Requête no 27297/07)

ARRÊT

STRASBOURG

13 décembre 2016

DÉFINITIF

13/03/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Kolomenskiy c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Helena Jäderblom,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vil

anova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le ...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE KOLOMENSKIY c. RUSSIE

(Requête no 27297/07)

ARRÊT

STRASBOURG

13 décembre 2016

DÉFINITIF

13/03/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Kolomenskiy c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Helena Jäderblom,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 novembre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 27297/07) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Denis Borisovich Kolomenskiy (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 mai 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mme O.V. Preobrazhenskaya, conseillère juridique à Strasbourg. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matyushkin, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3. Le requérant allègue en particulier qu’il a été détenu dans de mauvaises conditions, que son placement en détention n’a pas été régulier, que la durée de sa détention provisoire n’a pas été raisonnable, que ses appels contre les décisions autorisant la prolongation de sa détention n’ont pas été examinés rapidement, qu’ils l’ont finalement été en son absence et que le principe de la présomption d’innocence n’a pas été respecté à son égard.

4. Le 10 février 2014, les griefs tirés des articles 3, 5 §§ 1, 3 et 4 et 6 § 2 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1973 et réside à Kirov (Russie).

6. En septembre 2001, le requérant, juriste de profession, fut nommé administrateur d’une société en procédure de redressement judiciaire.

A. Les poursuites pénales, la détention provisoire et la condamnation du requérant

1. Les poursuites pénales

7. Le 18 janvier 2006, le requérant fut mis en examen car il était soupçonné de détournement de fonds à hauteur de 429 264 roubles russes (RUB) (environ 10 750 euros (EUR) aux moments des faits), dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire de la société dont il avait été nommé administrateur.

8. Le 2 février 2006, l’enquêteur chargé de l’instruction rédigea une note de procédure ainsi formulée :

« (...) aujourd’hui à neuf heures du matin, Mme K. m’a téléphoné pour m’informer qu’elle venait d’être contactée par téléphone par [le requérant] qui lui avait demandé de lui parler des déclarations qu’elle avait faites lors de l’interrogatoire du 1er février 2006. Selon les dires [de Mme K.], [le requérant] s’était également montré préoccupé par le fait que Mme K. serait dorénavant amenée à participer à plusieurs interrogatoires et confrontations et [à se rendre] au tribunal. »

9. Le requérant et son avocat, convoqués pour être entendus par l’enquêteur les 17, 22 et 26 février 2006, ne se rendirent pas à ces convocations. Le 28 février 2008, l’avocat du requérant adressa à l’enquêteur une lettre dans laquelle il affirmait que la convocation pour le 17 février 2006 à 9 heures ne lui était parvenue qu’à 15 heures le même jour et qu’il n’avait reçu celle pour le 26 février 2006 que le 1er mars. Enfin, il alléguait avoir prévenu par téléphone le jour même l’enquêteur de l’impossibilité de comparaître le 22 février 2006.

10. Le 31 mai 2006, une autre procédure pénale fut engagée contre le requérant, qui fut mis en cause pour « actes illicites arbitraires » (самоуправство). Selon l’acte d’accusation, le requérant aurait refusé de payer les mensualités pour la location d’un véhicule loué à une société privée et de lui restituer ledit véhicule.

11. Toujours le 31 mai 2006, les deux affaires pénales furent jointes et les autorités chargées de l’enquête demandèrent que le requérant fût placé en détention provisoire.

2. La détention provisoire et la première condamnation du requérant

12. Le 1er juin 2006, le tribunal du district Pervomayski de la ville de Kirov (« le tribunal du district »), autorisa la mise en détention du requérant. Le passage pertinent en l’espèce de cette décision se lit comme suit :

« Il ressort de l’attestation de l’enquêteur du 2 février 2006 (...) et du procès-verbal de l’audition du témoin [Mme. K.] (...) que [le requérant] exerce une pression sur [elle] en exigeant [qu’elle lui fasse] part de ses déclarations à l’enquêteur. Cette circonstance est suffisante pour [considérer] que [le requérant] peut entraver l’enquête pénale si sa mise en détention n’était pas autorisée.

Il ressort des pièces soumises (...) qu’à plusieurs reprises [le requérant] (...) ne s’est pas présenté à l’enquêteur. »

13. Le 2 juin 2006, le requérant fut formellement notifié des accusations portées contre lui en présence d’un avocat choisi par l’enquêteur.

14. À une date non spécifiée, le requérant fit appel contre la décision du 1er juin 2006. Il allégua, entre autres, que le but de son appel téléphonique à Mme K. était de savoir comment s’était passé l’entretien avec l’enquêteur et non de faire pression sur elle. Il indiqua qu’il ne s’était pas présenté à l’enquêteur car il avait reçu les convocations trop tardivement et qu’il avait à chaque fois téléphoné à l’enquêteur pour convenir d’une autre date.

15. Le 13 juin 2006, la cour régionale de Kirov (« la cour régionale »), confirma la décision du 1er juin 2006 ayant rejeté les arguments du requérant comme étant mal fondés.

16. Le 19 juillet 2006, le requérant fut traduit en justice. Mme K. ne figurait pas sur la liste des témoins à charge de l’acte d’accusation.

17. Le 31 juillet 2006, le tribunal du district tint une audience préliminaire et décida de prolonger la détention provisoire du requérant en s’exprimant ainsi :

« Au moment où la mesure provisoire a été prise [à l’encontre du requérant], le tribunal a pris en compte que [celui-ci] était accusé de deux infractions dont une grave et que, compte tenu de son comportement lors de l’instruction, il pouvait entraver l’enquête pénale une fois en liberté. Eu égard à ce qui précède, il n’y pas lieu de changer la mesure provisoire prise à l’encontre du [requérant]. »

18. Le requérant interjeta appel contre la décision du 31 juillet 2006. Il alléguait que le tribunal du district n’avait pas donné de motifs suffisants pour justifier la reconduction de sa détention provisoire.

19. Le 22 août 2006, la cour régionale confirma la décision du 31 juillet 2006 en rejetant l’appel du requérant de manière succincte.

20. Le 26 septembre 2006, le requérant demanda au tribunal du district de substituer à sa détention provisoire une obligation de ne pas quitter Kirov et de comparaître au procès. En se référant à la jurisprudence de la Cour, il indiquait que le tribunal du district n’avait pas examiné la possibilité de choisir une autre mesure préventive. Il réitérait ses arguments quant à l’absence de pression exercée sur Mme K et au caractère tardif des convocations de l’enquêteur et soulignait que l’enquête était déjà terminée. Il arguait également que, étant en détention, il ne pouvait pas subvenir aux besoins de sa femme et de ses trois enfants à charge. Enfin, il déclarait souffrir du tabagisme passif en détention et soumit au tribunal une lettre dans laquelle l’administration de la maison d’arrêt indiquait ne pas pouvoir le placer dans une cellule pour non‑fumeurs.

21. Le même jour, le tribunal du district rejeta la demande du requérant en ces termes :

« Les raisons pour lesquelles le tribunal avait ordonné le placement en détention [du requérant] n’ont pas changé. Il n’a pas été soumis à l’attention du tribunal d’éléments qui auraient démontré le besoin de [changer la mesure préventive] choisie. Le tribunal ne dispose pas d’informations [lui permettant de juger] que l’état de santé du requérant ne lui permet pas de rester en détention. Le tribunal n’a pas terminé l’examen de l’affaire pénale. Le requérant [n’a pas plaidé] coupable [et] les documents soumis à l’attention du tribunal n’ont pas été présentés lors de l’instruction préliminaire, c’est pourquoi [ce dernier] considère que l’accusé peut [entraver l’enquête] une fois en liberté. »

22. Le requérant affirme que la décision du 26 septembre 2006 lui a été signifiée un mois après son émission. Il fit appel de ladite décision.

23. Entre-temps, le 23 octobre 2006, le tribunal du district reconnut le requérant coupable de blanchiment d’argent à hauteur de 247 000 RUB (environ 6 200 EUR) et l’acquitta des autres charges. Mme K. ne faisait pas partie des témoins dont les déclarations ont été examinées par le tribunal.

24. Le 28 novembre 2006, la cour régionale confirma en appel le jugement du 23 octobre 2006. Dans la même décision, elle rejeta l’appel du requérant contre la décision du 26 septembre 2006 portant sur la prolongation de sa détention provisoire.

3. L’annulation des jugements des 23 octobre et 28 novembre 2006, la prolongation de la détention provisoire du requérant et sa nouvelle condamnation

25. Le 31 janvier 2007, le présidium de la cour régionale, statuant en instance de révision, annula les jugements des 23 octobre et 28 novembre 2006 au motif que le requérant n’avait pas été assisté de l’avocat de son choix lors de la notification des charges pénales (paragraphe 13 ci-dessus), et qu’il avait émis des réserves quant à la nomination de l’avocat choisi par l’enquêteur. Le présidium renvoya l’affaire pénale au parquet et ordonna, en même temps, que « le requérant soit maintenu en détention provisoire » sans motiver sa décision ni assortir de délais la mesure prononcée.

26. À une date non spécifiée, le requérant contesta, par voie de révision, l’ordre de son maintien en détention incorporé dans la décision du 31 janvier 2007.

27. Le 19 février 2007, le tribunal du district prorogea la détention provisoire du requérant. Il rappela les motifs précédemment retenus dans les décisions des 31 juillet et 26 septembre 2006 et évoqua la gravité des charges portées contre l’intéressé.

28. Le 13 mars 2007, la cour régionale confirma en appel la décision du 19 février 2007 en faisant siens les motifs invoqués par le tribunal du district.

29. Le 14 mars 2007, le tribunal du district prolongea la détention provisoire du requérant jusqu’au 27 avril 2007 et tint les propos suivants :

« Pendant l’audience, [le tribunal] a établi que [le requérant] [était] accusé d’une infraction grave, qu’il [avait] entravé à plusieurs reprises [la mise en œuvre] de mesures de l’instruction préliminaire [en tentant de] retarder [celle-ci], qu’il [avait] fait pression sur un témoin. [Le tribunal] n’a pas identifié de nouvelles circonstances qui auraient appelé à modifier la mesure restrictive [de liberté]. »

30. Le 27 mars 2007, la cour régionale rejeta l’appel du requérant contre la décision du 14 mars 2007. Elle reprenait les conclusions du tribunal du district et invoquait, en outre, le besoin pour l’accusation de mener à bien certaines mesures d’instruction et notamment de dresser l’acte d’accusation, de laisser l’accusé prendre connaissance du dossier pénal et de transmettre le dossier au tribunal.

31. Le 13 avril 2007, le dossier pénal du requérant fut transmis au tribunal du district pour examen judiciaire.

32. Le 20 avril 2007, le tribunal du district ordonna le maintien du requérant en détention provisoire pendant l’examen judiciaire de l’affaire. Le requérant fit appel de cette décision en invoquant, entre autres, une aggravation de son état de santé en détention provisoire et ses souffrances à cause du tabagisme passif. Il demanda également à bénéficier d’une libération sous caution.

33. Par une décision du 24 avril 2007, le tribunal du district fixa la date de la prochaine audience. Il indiqua, entre autres, que la détention provisoire du requérant était dûment ordonnée par la décision du 20 avril 2007 et qu’il convenait de laisser cette dernière en vigueur.

34. Par une décision du 7 mai 2007, le tribunal du district renvoya l’affaire pénale devant le parquet pour défaut de procédure. Par la même décision, il rejeta la demande du requérant tendant à son élargissement en invoquant les mêmes motifs que ceux contenus dans la décision du 14 mars 2007.

35. Le 14 mai 2007, la Cour suprême russe, siégeant en formation de juge unique, rejeta la demande de réexamen par voie de révision de la décision du 31 janvier 2007 adoptée par le présidium de la cour régionale. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, la décision se lisait ainsi :

« Après examen, je considère qu’il n’y a pas de [raisons] de faire droit à la demande de révision introduite par le condamné [nom du requérant].

Ainsi qu’il ressort des éléments fournis, la mesure préventive choisie à l’égard [du requérant], est légale, bien fondée et répond aux intérêts de la justice. »

36. Le 15 mai 2007, la cour régionale confirma la décision du 20 avril 2007. Elle considéra que les arguments du requérant, y compris ceux relatifs à son état de santé, n’étaient pas fondés.

37. Par une décision du 24 mai 2007, le tribunal du district fixa la date de la prochaine audience en précisant que le procureur avait remédié au défaut de procédure constatée dans la décision du 7 mai 2007 et que l’affaire pénale était renvoyée devant ce tribunal pour examen judiciaire. Il indiqua, entre autres, que la détention provisoire du requérant était dûment fondée par la décision du 20 avril 2007 et qu’il convenait de laisser cette dernière en vigueur.

38. Le 29 mai 2007, la cour régionale examina l’appel du requérant contre la décision du 7 mai 2007. Elle rejeta la demande de comparution de l’intéressé devant cette même cour en considérant que les motifs de l’appel étaient suffisamment exposés dans l’acte d’appel. Aucun des avocats du requérant n’était présent à l’audience ; il ne ressort pas de la décision, adoptée à cette même date, que le tribunal ait examiné les raisons de leur absence. Le procureur, présent à l’audience, s’opposa à la demande de comparution du requérant. À la fin de l’audience, le tribunal confirma la décision du 7 mai 2007.

39. Le 30 mai 2007, la cour régionale, siégeant en formation de juge unique, rejeta les demandes introduites par le requérant en vue du réexamen, par voie de révision, des décisions des 20 avril et 15 mai 2007 du tribunal du district et de la cour régionale respectivement. La décision, dans ses parties pertinentes en l’espèce, se lit ainsi :

« Le tribunal a vérifié le bien-fondé et la légalité de la mesure préventive choisie en tenant compte de la gravité de l’infraction imputée [et] de la personnalité du coupable (...)

[Le juge] décide de rejeter la demande du condamné [nom du requérant] (...) »

40. Le 5 juin 2007, la cour régionale examina, en présence du requérant, son appel contre la décision du 24 avril 2007 et décida de ne pas examiner le fond. Elle expliqua que ladite décision n’était pas susceptible d’appel dans sa partie concernant le maintien de l’intéressé en détention provisoire, étant donné que celle-ci avait été dûment ordonnée par la décision du 20 avril 2007 et confirmée en appel le 15 mai 2007.

41. Le 7 juin 2007, la cour régionale examina l’appel du requérant contre la décision du 24 mai 2007. La demande de comparution personnelle du requérant fut rejetée pour les mêmes motifs que ceux ayant été évoqués pendant l’audience du 29 mai 2007. Le procureur et l’avocat du requérant furent absents à l’audience. La cour régionale n’examina pas l’appel sur le fond, pour les mêmes motifs que ceux ayant été évoqués dans sa décision du 29 mai 2007.

42. Le 3 juillet 2007, le tribunal du district reconnut le requérant coupable de détournement de fonds à hauteur de 247 000 RUB (environ 6 200 EUR) et le condamna à un an et six mois d’emprisonnement.

43. Le 18 septembre 2007, la cour régionale confirma en appel le jugement du 3 juillet 2007.

B. Les conditions de détention à la maison d’arrêt no IZ-43/1 et au tribunal du district

44. Entre le 1er juin 2006 et le 30 novembre 2007, le requérant fut détenu dans la maison d’arrêt no IZ-43/1 de Kirov (« la maison d’arrêt »). Le requérant soutient avoir séjourné dans différentes cellules surpeuplées. Selon lui, la plupart de ses codétenus fumaient dans les cellules.

45. Pendant sa détention, le requérant fut conduit vingt-huit fois de la maison d’arrêt au tribunal du district pour assister à des audiences qui portaient soit sur la prolongation de sa détention provisoire soit sur les accusations dirigées contre lui.

46. Le requérant indique que les cellules du bâtiment du tribunal du district dans lesquelles il avait été détenu étaient dépourvues de fenêtres et de ventilation et qu’il aurait partagé ces cellules avec des fumeurs. Les jours où il était transféré, il aurait reçu une ration alimentaire lyophilisée dont la préparation nécessitait de l’eau chaude. Toutefois, selon une lettre du service de la police chargé du transport de détenus du 27 juin 2007, la distribution d’eau chaude n’était pas possible faute d’équipements nécessaires. Le requérant allègue que l’absence de repas le faisait souffrir puisqu’il était atteint d’un ulcère du duodénum.

C. Les soins dentaires à la maison d’arrêt

47. Le requérant soutient qu’il ne pouvait pas faire soigner ses dents dans la maison d’arrêt puisque le dentiste n’était pas disponible pendant une longue période. Un dentiste externe aurait été invité à se rendre une fois par semaine à la maison d’arrêt, mais ce dernier n’aurait proposé que l’extraction des dents. Le requérant a soumis les déclarations de trois codétenus, MM. K., T. et Kr., qui ont confirmé l’absence de soins dentaires à la maison d’arrêt.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

48. Le droit et la pratique internes pertinents concernant les conditions de détention sont résumés dans l’arrêt Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, §§ 25-54, 10 janvier 2012).

49. Le droit interne pertinent concernant la durée de la détention provisoire est résumé dans l’arrêt Lind c. Russie (no 25664/05, §§ 47-52, 6 décembre 2007).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION, SEUL ET COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

50. Le requérant allègue que ses conditions de détention à la maison d’arrêt no IZ-43/1 ont constitué un traitement inhumain et dégradant en raison du faible espace individuel disponible, du tabagisme passif dont il avait souffert et d’un manque de soins médicaux. Il dénonce, en outre, les conditions de sa détention au tribunal du district, en particulier l’exiguïté des cellules et l’impossibilité de se nourrir. Il invoque l’article 3 de la Convention, seul et combiné avec l’article 13 de la Convention. Ces deux articles sont ainsi libellés dans leurs parties pertinentes en l’espèce :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la violation alléguée de l’article 3 de la Convention

1. Sur la surpopulation à la maison d’arrêt

a) Thèses des parties

51. Le 5 juin 2014, le Gouvernement a soumis une déclaration unilatérale dont les parties pertinentes se lisent ainsi :

« Je soussigné ..., représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, déclare par la présente que les autorités russes reconnaissent que, entre le 1er juin 2006 et le 30 novembre 2007, Denis Borisovitch Kolomenskiy a été détenu dans [la maison d’arrêt] IZ 43/1 de la région de Kirov dans des conditions qui ne répondaient pas aux normes fixées par l’article 3 de la Convention.

Le Gouvernement est prêt à verser la somme de 6 500 EUR au requérant à titre de satisfaction équitable.

En conséquence, [il] invite la Cour à rayer du rôle la présente requête. Il suggère à la Cour de considérer cette déclaration comme un « autre motif » justifiant de rayer la requête du rôle, aux termes de l’article 37 § 1 c) de la Convention.

La somme susmentionnée, destinée à couvrir tout dommage matériel et moral ainsi que les frais et dépens, ne sera soumise à aucun impôt. Elle sera payable dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification de la décision de la Cour, en application de l’article 37 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et convertie en roubles russes au taux applicable à la date du paiement. Si elle n’était pas versée dans ce délai, le Gouvernement s’engage à la majorer, jusqu’au règlement, d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage. Le paiement vaudra règlement définitif des affaires. »

52. Les observations du requérant parvinrent à la Cour le 27 août 2014. Le requérant y acceptait les termes de la déclaration unilatérale seulement en ce qui concernait le surpeuplement dans la maison d’arrêt et invitait la Cour à examiner séparément ses griefs tirés de l’article 3 de la Convention relatifs aux conditions de détention dans le tribunal du district ainsi qu’au manque de soins dentaires à la maison d’arrêt no IZ-43/1.

b) Appréciation de la Cour

53. Eu égard à la nature des concessions que renferme la déclaration du Gouvernement, ainsi qu’au montant de l’indemnisation proposée, la Cour estime qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de cette partie de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention).

54. En outre, à la lumière des considérations qui précèdent et, en particulier, de sa jurisprudence constante à ce sujet, la Cour estime que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine de la Convention).

55. Enfin, la Cour souligne que, dans le cas où le Gouvernement ne respecterait pas les termes de sa déclaration unilatérale, la requête pourrait être réinscrite au rôle en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention (Josipović c. Serbie (déc.), nº 18369/07, 4 mars 2008).

2. Sur les conditions de détention au tribunal du district

a) Thèses des parties

56. Le Gouvernement indique qu’il y avait six cellules dans le sous-sol du bâtiment du tribunal du district, que la superficie moyenne des cellules était de 4,5 m2 et que l’une d’elles était équipée d’un système de ventilation. Selon le Gouvernement, il n’était pas possible d’établir dans quelle cellule le requérant avait été placé lors de sa présence au tribunal puisque les registres correspondants avaient été détruits après expiration du délai de conservation. En ce qui concerne les repas, le Gouvernement confirme que le requérant recevait des rations lyophilisées sans pour autant préciser s’il disposait d’eau chaude pour les préparer.

57. Le requérant maintient son grief.

b) Appréciation de la Cour

i. Sur la recevabilité

58. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

ii. Sur le fond

59. La Cour note que le requérant n’a pas soumis de commencement de preuve pour étayer sa thèse selon laquelle les cellules dans lesquelles il avait été détenu au tribunal du district étaient surpeuplées. Par contre, il ressort de la lettre du service de la police chargé du transport de détenus datée du 27 juin 2007 que la distribution d’eau chaude pour la préparation des repas était impossible faute d’équipements nécessaires (paragraphe 46 ci-dessus). Le Gouvernement n’ayant pas contesté cet élément, la Cour considère par conséquent comme étant établi que le requérant n’a pas été nourri les jours où il devait assister aux audiences relatives à la procédure pénale engagée à son encontre, c’est-à-dire à un moment où il avait besoin de toutes ses facultés mentales (Kovaleva c. Russie, no 7782/04, §§ 64‑65, 2 décembre 2010). La Cour relève que le Gouvernement a par ailleurs reconnu que le requérant avait souffert d’un manque d’espace personnel lors de sa détention dans la maison d’arrêt. Elle considère que l’impossibilité pour l’intéressé de prendre des repas les jours où il était transféré au tribunal du district et l’exiguïté de la maison d’arrêt, prises cumulativement, ont constitué une épreuve qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention.

3. Sur les soins dentaires à la maison d’arrêt

a) Thèses des parties

60. Le Gouvernement indique que lorsque le dentiste de service était absent de la maison d’arrêt (du 31 juillet au 12 août et du 21 novembre au 4 décembre 2006, du 7 décembre 2006 au 17 mars 2007 et du 30 juillet au 17 septembre 2007), les soins dentaires étaient assurés par un dentiste externe, présent un jour par semaine. S’appuyant sur un extrait du registre des consultations du dentiste à la maison d’arrêt, le Gouvernement affirme que le requérant avait bénéficié d’une consultation le 30 mai 2007 et qu’il avait refusé les soins. Le Gouvernement soumet, en outre, un extrait du dossier médical du requérant portant mention des dates de consultations par différents médecins de la maison d’arrêt, les raisons de ces consultations et le diagnostic établi à leur issue.

61. Le requérant maintient son grief et ajoute qu’il avait refusé les soins car le dentiste ne lui avait proposé qu’une extraction.

b) Appréciation de la Cour

62. La Cour note que les parties divergent sur le point de savoir si les soins dentaires étaient accessibles en pratique dans la maison d’arrêt. Cependant, elle n’estime pas nécessaire de se pencher sur cette question puisqu’elle trouve le grief manifestement mal fondé pour les raisons exposées ci-dessous.

63. La Cour rappelle qu’une allégation quant à l’absence ou l’insuffisance de soins ou toute autre carence de traitement médical doit être suffisamment étayée (Yevgeniy Bogdanov c. Russie, no 22405/04, § 93, 26 février 2015). En l’espèce, la Cour estime que l’allégation du requérant selon laquelle il avait besoin de soins dentaires n’est pas fondée. Elle tire du dossier médical du requérant, dont l’exactitude n’est pas contestée par ce dernier, que l’état de santé de l’intéressé était régulièrement surveillé par un médecin généraliste et par un neurologue. Il ne ressort pas de ce document que le requérant se soit plaint de problèmes dentaires ou ait demandé à voir un dentiste (voir, a contrario, Drăgan c. Roumanie, no 65158/09, § 89, 2 février 2016). En outre, rien ne démontre que cette déficience ait été portée à la connaissance des autorités pénitentiaires ou de l’avocat de l’intéressé. En ce qui concerne la consultation du 30 mai 2007, le requérant n’a pas précisé de quelle dent il s’agissait ni le type de traitement qui aurait dû lui être administré. La Cour note ensuite que les déclarations écrites de MM. K., T. et Kr. concernent la question de la disponibilité d’un dentiste dans la maison d’arrêt et des capacités professionnelles de ce dernier. Ces affirmations sont trop vagues et, en tout état de cause, insuffisantes pour évaluer les besoins concrets du requérant. Par ailleurs, la Cour observe que le requérant n’a soumis aucun document susceptible de démontrer une dégradation de son état général de santé consécutive à ses problèmes dentaires allégués (Axinte c. Roumanie, no 24044/12, § 42, 22 avril 2014). La Cour trouve par conséquent que le requérant n’a pas présenté d’arguments suffisants et convaincants pour démontrer que le manque de soins dentaires allégué était tel pour constituer une violation de l’article 3 de la Convention (Vladimir Vassilyev c. Russie, no 28370/05, § 66, 10 janvier 2012). Il s’ensuit que cette partie du grief est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

B. Sur la violation alléguée de l’article 13 de la Convention

a) Thèses des parties

64. Le Gouvernement indique que le requérant ne s’est pas plaint de ses conditions de détention auprès de l’administration pénitentiaire ni du service du procureur de la région de Kirov. Il avance par conséquent qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 13 de la Convention.

65. Le requérant maintient ses griefs.

b) Appréciation de la Cour

i. Sur la recevabilité

66. La Cour note qu’elle a rejeté comme manifestement mal fondée la partie du grief tiré de l’article 3 de la Convention relatif au caractère inadéquat des soins dentaires dispensés à la maison d’arrêt. Il s’ensuit que le requérant ne dispose pas d’un grief défendable au sens de l’article 13 de la Convention. La Cour considère donc que cette partie du grief est manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

67. La Cour constate ensuite que le grief, pour autant qu’il concerne l’absence de recours effectif pour se plaindre des autres conditions de détention à la maison d’arrêt et au tribunal du district, n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

ii. Sur le fond

68. Eu égard à la déclaration unilatérale du Gouvernement et à ses conclusions quant à la violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions de détention du requérant dans le tribunal du district, la Cour estime que cette partie du grief est « défendable ». Dans son arrêt Ananyev et autres précité, la Cour a conclu que le système juridique russe n’offrait pas de voies de recours interne effectives pour faire valoir un grief relatif aux conditions de détention dans des maisons d’arrêt (idem, § 119). Elle ne voit aucune raison d’arriver à une conclusion différente de celle qu’elle a formulée dans l’arrêt Ananyev et autres précité concernant l’absence de voies de recours internes effectives. En ce qui concerne les conditions de détention dans le tribunal du district, la Cour ne trouve pas que les voies de recours proposées par le Gouvernement, à savoir le dépôt d’une plainte auprès de l’administration pénitentiaire ou du service du procureur de la région de Kirov, soient en substance différentes des celles qu’elle a déjà examinées dans l’arrêt Ananyev et autres précité (§§ 100‑104) et qu’elle avait trouvées incompatibles avec l’exigence d’effectivité au sens de la disposition invoquée. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas démontré, en l’espèce, que le requérant disposait d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention, recours qui lui aurait permis de soulever devant les instances nationales un grief fondé sur ses mauvaises conditions de détention à la maison d’arrêt et au tribunal du district.

69. Partant, il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

70. Le requérant se plaint également que sa détention du 31 janvier au 19 février 2007, ordonnée par le présidium de la cour régionale le 31 janvier 2007 (paragraphe 25 ci-dessus), n’était pas « régulière ». Il invoque l’article 5 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales (...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ; (...)»

A. Thèses des parties

71. Le Gouvernement argue que la décision du présidium de la cour régionale de maintenir le requérant en détention était bien fondée puisque la condamnation pénale de ce dernier n’avait été annulée qu’en raison d’irrégularités procédurales. Il ajoute que le requérant, assisté de trois avocats, ne pouvait ignorer le sens de l’article 109 du code de procédure pénale (le CPP) selon lequel le délai maximal de sa détention ne pouvait dépasser deux mois.

72. Le requérant maintient son grief en indiquant que l’absence d’indication de durée de sa détention dans la décision du 31 janvier 2007 a rendu sa détention « arbitraire » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

73. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

74. La Cour note que, dans sa décision du 31 janvier 2007, le présidium de la cour régionale a ordonné le maintien en détention du requérant sans indiquer les motifs de cette décision et sans fixer la durée de la mesure appliquée.

75. La Cour rappelle avoir conclu à la violation de l’article 5 § 1 de la Convention dans plusieurs affaires contre la Russie dans lesquelles les tribunaux russes avaient ordonné le maintien en détention provisoire des requérants sans indiquer les motifs de leur décision ou sans fixer la durée de la mesure (Eduard Shabalin c. Russie, no 1937/05, §§ 36‑37, 16 octobre 2014, Strelets c. Russie, no 28018/05, §§ 72-75, 6 novembre 2012, et les affaires qui y sont citées).

76. En l’espèce, le Gouvernement argue que même si la durée de la détention provisoire n’était pas précisée dans la décision du 31 janvier 2007, elle ne pouvait pas dépasser deux mois, conformément à l’article 109 du CPP. La Cour note cependant que la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie exige aux juridictions ordinaires de préciser explicitement la durée pour laquelle elles appliquent la mesure en question (Rakhmonov c. Russie, no 50031/11, §§ 30 et 53, 16 octobre 2012). Eu égard aux éléments dont elle dispose et aux arguments des parties, la Cour ne peut que parvenir à la même conclusion que celle à laquelle elle a abouti dans les arrêts mentionnés au paragraphe 75 ci-dessus et conclut que la détention du requérant du 31 janvier au 19 février 2007 n’était pas « légale » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

77. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

78. Le requérant se plaint également que la durée de sa détention provisoire n’a pas été raisonnable au sens de l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

A. Thèses des parties

79. Le Gouvernement soutient que la durée de la détention provisoire du requérant a été raisonnable, au motif que celui-ci était accusé de deux infractions dont une grave, qu’il avait fait pression sur un témoin et qu’il avait retardé la procédure en ne comparaissant pas devant l’enquêteur. Selon le Gouvernement, les juridictions internes ont établi que les circonstances n’exigeaient pas une modification de la mesure préventive à l’égard de l’intéressé.

80. Le requérant allègue que les autorités ont prolongé sa détention provisoire à plusieurs reprises, en invoquant à chaque fois la gravité des charges retenues contre lui et les risques d’entrave à la justice. Pour lui, elles n’ont ni fait preuve d’une diligence particulière, ni démontré que ces raisons suffisaient à justifier chacun de ses maintiens en détention répétés, ni envisagé la possibilité d’ordonner à son encontre une autre mesure préventive propre à garantir sa comparution devant le tribunal.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

81. La Cour rappelle que, eu égard au lien essentiel entre le paragraphe 3 et le paragraphe 1 c) de l’article 5 de la Convention, un individu condamné en première instance ne peut être considéré comme détenu « en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction » au sens de cette dernière disposition mais doit être regardé comme se trouvant dans la situation prévue à l’article 5 § 1 a de la Convention), qui autorise une privation de liberté « après condamnation par un tribunal compétent » (Svetlana Kazmina c. Russie, no 8609/04, § 84, 2 décembre 2010).

82. En l’espèce, la détention provisoire du requérant se décompose en deux périodes : du 1er juin au 23 octobre 2006, date à laquelle l’intéressé a été condamné en première instance, et du 31 janvier 2007, date de l’annulation de sa condamnation, au 3 juillet 2007, date de sa nouvelle condamnation par le tribunal du district. Par conséquent, la détention du requérant entre le 23 octobre 2006 et le 31 janvier 2007 doit être exclue du délai à examiner sous l’angle de l’article 5 § 3 de la Convention. La durée totale de la détention provisoire de l’intéressé s’élève donc à 9 mois et 24 jours.

83. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

84. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante sur l’article 5 § 3 de la Convention, la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Toutefois, au bout d’un certain temps, cela ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle recherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, parmi d’autres, Buzadji c. République de Moldova [GC], no 23755/07, § 87, CEDH 2016, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, §§ 152‑153, CEDH 2000‑IV).

85. En l’espèce, la Cour note d’emblée que le requérant a été mis en examen le 18 janvier 2006 et qu’il est resté en liberté jusqu’au 1er juin 2006 : ce n’est qu’à cette dernière date que les autorités chargées de l’enquête ont demandé sa mise en détention en se basant sur les charges retenues dans le cadre des deux affaires pénales à son encontre. Elle constate ensuite que les tribunaux internes, en ordonnant le placement du requérant en détention, se sont surtout appuyés sur les événements du mois de février 2006, à savoir la pression alléguée de l’intéressé sur Mme K. et la non‑comparution de celui-ci devant l’enquêteur, qu’ils ont interprétés comme une entrave à l’enquête pénale. Si la Cour a des doutes quant à la pertinence de ces événements, vu le laps du temps d’environ trois mois qui les séparait de la date de l’application de la mesure provisoire, elle est néanmoins prête à accepter qu’ils pouvaient initialement justifier le placement du requérant en détention et que les nouvelles charges dirigées contre lui le 31 mai 2006 étaient un élément à prendre en compte. Quoi qu’il en soit, une fois le dossier pénal du requérant renvoyé en jugement, le 19 juillet 2006, ces éléments n’avaient plus leur pertinence initiale, étant donné que l’investigation était déjà terminée et que Mme K. ne figurait pas sur la liste des témoins à charge (paragraphe 16 ci-dessus). Or, la Cour constate que les tribunaux internes ont maintenu le requérant en détention provisoire après le 19 juillet 2006 en se référant principalement aux mêmes éléments que ceux retenus initialement ainsi qu’à la gravité des charges dirigées à son encontre. La Cour rappelle que la gravité des charges ne peut, à elle seule, être le motif de la prolongation de la détention d’une personne à un stade avancé de la procédure (Kučera c. Slovaquie, no 48666/99, § 94, 17 juillet 2007). Or force est de constater que, en l’espèce, ce motif a occupé une place prépondérante dans toutes les décisions des tribunaux internes, y compris après l’annulation de la condamnation du requérant, le 31 janvier 2007. Aux yeux de la Cour, il n’était pas suffisant pour justifier la prolongation de la détention du requérant.

86. La Cour constate que les décisions du 31 juillet et du 26 septembre 2006 ainsi que celles du 19 février, 14 mars, 20 avril, 7 et 24 mai 2007 étaient rédigées en des termes stéréotypés et étaient dépourvues d’une analyse de la situation personnelle du requérant. Elle note que ni le tribunal du district ni la cour régionale n’ont examiné la possibilité d’élargissement du requérant sous caution alors que le requérant l’avait demandé le 20 avril 2007 (paragraphe 32 ci-dessus). Elle rappelle avoir souvent conclu à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention dans des affaires où les tribunaux internes avaient maintenu le requérant en détention en se fondant essentiellement sur la gravité des charges et sans envisager d’autres mesures préventives (Khoudobine c. Russie, no 59696/00, CEDH 2006‑XII, Dolgova c. Russie, no 11886/05, 2 mars 2006, Michketkoul et autres c. Russie, no 36911/02, 24 mai 2007, Choukhardine c. Russie, no 65734/01, 28 juin 2007, Belov c. Russie, no 22053/02, 3 juillet 2008, Lamazhyk c. Russie, no 20571/04, 30 juillet 2009, Sutyagin c. Russie, no 30024/02, 3 mai 2011, Romanova c. Russie, no 23215/02, 11 octobre 2011, et Dirdizov c. Russie, no 41461/10, 27 novembre 2012). Dans la présente affaire, rien ne lui permet de se départir de cette conclusion.

87. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que, en s’appuyant essentiellement et systématiquement sur la gravité des charges à l’encontre du requérant, les autorités ont maintenu ce dernier en détention provisoire pendant plus de neuf mois pour des motifs qui ne sauraient être considérés comme « suffisants » pour justifier la durée de cette détention.

88. Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de rechercher si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Dolgova, précité, § 50). Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

89. Le requérant se plaint que ses appels contre les décisions du 26 septembre 2006 et du 19 février 2007, par lesquelles sa détention provisoire a été reconduite, n’ont pas été examinés « à bref délai ». Il dénonce ensuite la tenue des audiences des 29 mai et 7 juin 2007 devant la cour régionale, au motif que celles-ci ont eu lieu en son absence et en celle de ses avocats. Il se plaint enfin du refus de la cour régionale d’examiner sur le fond, le 5 juin 2007, son appel contre la décision du 24 avril 2007. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Thèses des parties

90. En ce qui concerne la première partie du grief, le Gouvernement estime que les appels contre les décisions du 26 septembre 2006 et du 19 février 2007 ont été examinés en conformité avec la législation nationale. Il soutient que, en vertu de l’article 355 du CPP, la décision du 26 septembre 2006 du tribunal du district n’était pas susceptible d’appel dans une procédure séparée. Le Gouvernement argue que le requérant a pu contester cette décision en interjetant appel contre sa condamnation et que l’instance d’appel, dans son jugement du 28 novembre 2006, a rejeté ses arguments ainsi que ceux relatifs à sa condamnation. Le Gouvernement ajoute que la législation en vigueur au moment des faits ne fixait pas de délai de transmission d’un dossier pénal pour l’examen en appel d’une condamnation prononcée en première instance. Quant à la partie du grief concernant l’absence du requérant aux audiences devant la cour régionale, le Gouvernement assure que l’intéressé avait eu la possibilité de présenter ses arguments dans ses actes d’appel, arguments que la cour régionale avait considérés amplement suffisants pour se prononcer sur la légalité et le bien‑fondé des décisions attaquées. Il avance que les avocats du requérant avaient dûment été notifiés de la tenue des audiences mais qu’ils avaient failli à y assister. Enfin, le Gouvernement indique que la cour régionale a refusé d’examiner sur le fond l’appel du requérant contre la décision du 24 avril 2007 puisque celle-ci n’avait pas pour objet la question du maintien de l’intéressé en détention provisoire mais d’autres questions procédurales.

91. Le requérant allègue que l’examen de ses appels n’a pas été effectué à bref délai, et ce sans aucune raison objective. Il soutient avoir introduit ses appels dans les trois jours suivant la réception des décisions en question. Il assure n’avoir reçu copie de la décision du 26 septembre 2006 qu’un mois plus tard, le 26 octobre. Pour lui, l’impossibilité de faire appel de la décision du 26 septembre 2006 avant sa condamnation par le tribunal du district était contraire à l’article 5 § 4 de la Convention. En ce qui concerne la question de son absence aux audiences des 29 mai et 7 juin 2007, il argue que sa présence était nécessaire puisque les décisions contre lesquelles il avait formé un appel, à savoir celles des 7 et 24 mai 2007, avaient été adoptées après le transfert de l’affaire pénale au procureur et son renvoi au tribunal pour jugement. Selon lui, le bien-fondé de ces décisions nécessitait un contrôle par l’instance d’appel au vu de l’avancement de la procédure pénale. Enfin, il soutient que l’allégation du Gouvernement selon laquelle ses avocats avaient été dûment notifiés des audiences en question n’est pas étayée.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

92. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

a) Quant à savoir s’il a été statué à bref délai sur les appels formés par le requérant contre les décisions du 26 septembre 2006 et du 19 février 2007 relatives à la détention provisoire

93. Premièrement, la Cour note que le Gouvernement n’a pas contesté l’allégation du requérant selon laquelle il avait interjeté appel des décisions en question dans les trois jours après en avoir été notifié, soit au plus tard le 29 octobre 2006 pour la première décision et le 21 février 2007 pour la deuxième. Ces appels ont été examinés par la cour régionale le 28 novembre 2006 et le 13 mars 2007, soit respectivement trente et vingt jours après leur introduction. Rien ne démontre que ces délais aient pu être le fait du requérant ou de ses avocats ni que les questions à examiner par l’instance d’appel aient été très complexes. Le Gouvernement n’a présenté aucun motif susceptible de justifier de tels délais. Au vu de ces éléments, la Cour n’a pas besoin de rechercher pourquoi le requérant n’a reçu une copie de la décision du 26 septembre 2006 qu’un mois après son adoption. Deuxièmement, quant à l’argument du Gouvernement selon lequel cette décision n’était pas susceptible d’appel dans une procédure séparée, la Cour rappelle avoir trouvé, dans un contexte similaire, que cette interprétation du droit interne n’était pas compatible avec l’article 5 § 4 de la Convention (Manerov c. Russie, no 49848/10, §§ 35-38, 5 janvier 2016).

94. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les délais écoulés entre l’introduction des appels et leur examen ne sont pas compatibles avec l’exigence d’un contrôle à bref délai. À titre de comparaison, elle rappelle que, dans les arrêts Shcherbakov c. Russie (no 2) (no 34959/07, § 101, 24 octobre 2013) et Butusov c. Russie (no 7923/04, § 34, 22 décembre 2009), elle a conclu à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention pour des durées de trente-quatre jours et de vingt jours respectivement. Partant, elle juge qu’il y a eu violation de cette même disposition en l’espèce.

b) Quant à l’absence du requérant aux audiences d’appel des 29 mai et 7 juin 2007 consacrées à la question de la régularité de sa détention provisoire

95. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 de la Convention confère à toute personne arrêtée ou détenue le droit d’introduire un recours au sujet du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité » – au sens de l’article 5 § 1 de la Convention – de sa privation de liberté. Si la procédure au titre de l’article 5 § 4 de la Convention ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles exigées par l’article 6 pour les procès civils et pénaux – les deux dispositions poursuivant des buts différents (Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 39, CEDH 2005‑XII) –, il faut qu’elle revête un caractère judiciaire et qu’elle offre des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté en question (D.N. c. Suisse [GC], no 27154/95, § 41, CEDH 2001‑III). En particulier, un procès portant sur un recours formé contre une détention doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties, à savoir le procureur et la personne détenue (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II).

96. La Cour a déjà admis que, dans certaines circonstances, notamment lorsque l’intéressé a pu comparaître devant le tribunal statuant sur sa demande d’élargissement en premier ressort, le respect des exigences procédurales inhérentes à l’article 5 § 4 de la Convention n’exigeait pas qu’il comparaisse de nouveau devant la juridiction de recours (Saghinadze et autres c. Géorgie, no 18768/05, § 150, 27 mai 2010, Rahbar-Pagard c. Bulgarie, nos 45466/99 et 29903/02, § 67, 6 avril 2006, et Depa c Pologne, no 62324/00, §§ 48‑49, 12 décembre 2006). Dans ces affaires, la procédure devant la juridiction de recours ne donnait pas lieu à une atteinte au principe du contradictoire et de l’égalité des armes, soit parce qu’aucune des parties n’avait participé à la procédure en appel, soit parce que la présence du seul avocat suffisait à satisfaire à ces exigences. Dans l’arrêt Altınok c. Turquie (no 31610/08, §§ 54‑56, 29 novembre 2011), la Cour a conclu que le défaut de comparution en appel n’enfreignait pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention dans la mesure où le requérant avait comparu, quelques jours auparavant, devant le juge appelé à se prononcer sur sa détention en première instance, tout en précisant néanmoins que cette circonstance n’a pas porté atteinte au respect des principes de l’égalité des armes et du contradictoire dans la mesure où aucune des parties n’a participé oralement à la procédure d’opposition.

97. En l’espèce, la Cour relève que le requérant et l’un de ses avocats étaient présents lors de l’audience du 7 mai 2007 au cours de laquelle le tribunal du district s’est prononcé sur le maintien du requérant en détention provisoire (paragraphe 34 ci-dessus). Elle constate ensuite que, lors de l’audience du 29 mai 2007, la cour régionale a examiné l’appel du requérant contre la décision du 7 mai 2007, tout en rejetant sa demande de comparution personnelle (paragraphe 38 ci-dessus). Alors que les avocats de ce dernier étaient absents à l’audience, la cour régionale a néanmoins entendu le procureur, qui s’est opposé à la demande de l’intéressé. De l’avis de la Cour, cette circonstance a porté atteinte au principe d’égalité des armes et a entraîné la violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

98. En ce qui concerne l’audience du 7 juin 2007, la Cour observe d’abord qu’elle portait sur l’appel interjeté par le requérant contre la décision du tribunal du district du 24 mai 2007, qui l’avait adoptée sans tenir d’audience et en l’absence des parties à la procédure. La Cour constate ensuite que l’audience du 7 juin 2007 devant la cour régionale s’est déroulée en l’absence tant du procureur que du requérant et de ses avocats. Il en ressort que le requérant n’a pas pu comparaître personnellement ni devant le tribunal de district ni devant la cour régionale alors que la question portée à l’attention des tribunaux internes concernait le caractère raisonnable de sa détention provisoire. La Cour note que la dernière comparution personnelle du requérant devant le tribunal du district a eu lieu le 7 mai 2007, soit dix‑sept jours avant la prise de la décision du 24 mai 2007 et un mois avant l’audience d’appel faisant objet du présent grief. Pendant cette période, de nouveaux éléments sont apparus dans la procédure pénale à l’encontre du requérant, à savoir le renvoi du dossier pénal au procureur pour défaut de procédure et un nouveau jugement de l’affaire (paragraphe 37 ci-dessus). La Cour ne partage donc pas l’avis du Gouvernement selon lequel il n’y avait pas lieu pour l’instance d’appel de se prononcer sur la détention provisoire du requérant étant donné qu’elle avait été dûment ordonnée par la décision du 20 avril 2007. Bien au contraire, elle estime que, au vu des avancements de la procédure ainsi que de la durée de la détention du requérant, sa comparution personnelle devant l’instance d’appel lors de l’audience du 7 juin 2007 était nécessaire pour respecter son droit à faire contrôler la légalité de sa détention à « des intervalles raisonnables ».

99. Eu égard à ces circonstances, la Cour estime que l’absence du requérant à l’audience du 7 juin 2007 devant la cour régionale a porté atteinte à l’article 5 § 4 de la Convention.

100. Eu égard aux constats de violation de l’article 5 § 4 de la Convention auxquels elle est parvenue aux paragraphes 94 et 99 ci-dessus, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief du requérant relatif à l’absence d’examen sur le fond de son appel contre la décision du 24 avril 2007.

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

101. Le requérant allègue que l’emploi des termes « condamné » et «coupable » dans les décisions des 14 et 30 mai 2007 de la Cour suprême russe et de la cour régionale respectivement a porté atteinte à la présomption d’innocence dont il bénéficiait. Il invoque l’article 6 § 2 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

A. Thèses des parties

102. Le Gouvernement allègue que les deux décisions en question n’ont pas porté atteinte au principe de la présomption d’innocence. Il soutient que l’emploi des mots « condamné » et « coupable » par les juges était erroné et n’était qu’un choix malencontreux de termes. Le Gouvernement argue qu’aucune de ces décisions ne pouvait influencer l’issue de la procédure pénale. Il indique que la Cour suprême russe, par sa décision du 14 mai 2007, n’a fait que confirmer la légalité de celle du 31 janvier 2007 portant sur l’annulation de la condamnation du requérant, et que la cour régionale, par sa décision du 30 mai 2007, a rejeté la demande de l’intéressé tendant à un réexamen par voie de révision de la décision du 20 avril 2007 portant sur le maintien du requérant en détention provisoire. Enfin, le Gouvernement indique qu’une nouvelle condamnation du requérant a été prononcée le 3 juillet 2007 et confirmée en appel le 18 septembre 2007.

103. Le requérant soutient que les termes litigieux constituaient des constatations selon lesquelles il était coupable et condamné, alors que sa condamnation a été annulée et l’affaire pénale était pendante devant les juridictions internes. Selon lui, ces termes n’étaient ni nuancés ni assortis de commentaires et ont clairement porté atteinte au principe de la présomption d’innocence.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

104. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

105. La Cour rappelle que la présomption d’innocence consacrée par le deuxième paragraphe de l’article 6 de la Convention figure parmi les éléments d’un procès pénal équitable (voir, entre autres, Allen c. Royaume‑Uni [GC], no 25424/09, § 93, 12 juillet 2013). Ce principe se trouve méconnu si une déclaration officielle concernant un prévenu reflète le sentiment qu’il est coupable, alors que sa culpabilité n’a pas été légalement établie au préalable. Il suffit, même en l’absence de constat formel, d’une motivation donnant à penser que le magistrat considère l’intéressé comme coupable. Dans ce contexte, le choix des termes employés par les agents de l’État dans les déclarations qu’ils formulent avant qu’une personne n’ait été jugée et reconnue coupable d’une infraction revêt une importance particulière (voir, parmi beaucoup d’autres, Daktaras c. Lituanie, no 42095/98, § 41, CEDH 2000‑X). Lorsque l’on tient compte de la nature et du contexte de la procédure en question, même l’usage de termes malencontreux peut ne pas être déterminant (Allen, précité, § 126). Ce qui importe, néanmoins, c’est le sens réel des déclarations litigieuses, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles elles ont été formulées (Y.B. et autres c. Turquie, nos 48173/99 et 48319/99, § 44, 28 octobre 2004).

106. En l’espèce, la Cour observe que, par une décision du 31 janvier 2007, le présidium de la cour régionale, statuant en instance de révision, a annulé les jugements des 23 octobre et 28 novembre 2006 et a remis l’affaire pénale au procureur. La Cour note ensuite que les juges, en adoptant les décisions des 14 et 30 mai 2007, ont utilisé les termes « condamné » ou « coupable » à l’égard du requérant (paragraphes 35 et 39 ci-dessus). Les termes litigieux émanaient donc de magistrats en leur qualité officielle et concernaient les demandes introduites par le requérant pour contester des décisions prises dans le cadre de l’affaire pénale à son encontre. Pour la Cour, le contexte et la nature des déclarations reflètent clairement que les juges considéraient le requérant comme coupable de l’infraction dont il était accusé. Même s’il s’agissait, comme le soutient le Gouvernement, d’un choix malencontreux et erroné des termes par les juridictions, la Cour estime que, eu égard à leur fonction et au contexte de l’affaire, il était d’autant plus important pour les juges de faire preuve de plus de prudence dans le choix des termes afin d’éviter de donner l’impression de considérer l’intéressé comme étant coupable.

107. Enfin, la Cour souligne que le fait pour le requérant d’avoir finalement été reconnu coupable et condamné à une peine de prison ne saurait effacer son droit initial d’être présumé innocent jusqu’à l’établissement légal de sa culpabilité. La Cour a rappelé à maintes reprises que l’article 6 § 2 de la Convention régissait l’ensemble de la procédure pénale, « indépendamment de l’issue des poursuites » (Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, § 30, série A no 62, et Matijašević c. Serbie, no 23037/04, § 49, CEDH 2006‑X).

108. Partant, il a eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

109. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

110. Le requérant réclame 39 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

111. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive.

112. La Cour considère que le requérant a dû subir un dommage moral en raison de l’atteinte aux droits garantis par les dispositions précitées. Statuant en équité et tenant compte de la somme que le Gouvernement a proposé de payer au requérant dans sa déclaration unilatérale (paragraphe 51 ci-dessus), la Cour accorde au requérant 19 500 EUR au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

113. Le requérant demande également 3 300 EUR des frais de conseil et de représentation devant la Cour par Mme O.V. Preobrazhenskaya pour un total de vingt-deux heures du travail à raison de 150 EUR l’heure et soumet un décompte horaire établi par celle-ci. Il demande, par ailleurs, que le montant octroyé par la Cour soit versé directement sur le compte bancaire de Mme O.V. Preobrazhenskaya.

114. Le Gouvernement ne remet pas en cause le taux horaire indiqué par la requérante, mais il estime que le nombre d’heures facturées est excessif. Il considère, en outre, que le requérant n’a soumis à la Cour aucune preuve démontrant l’existence d’une convention d’assistance juridique conclue avec sa représentante et le paiement effectif des sommes réclamées par elle, et invite la Cour à rejeter la demande comme infondée.

115. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, le requérant n’a effectivement soumis ni une convention écrite d’assistance conclue avec sa représentante ni des notes d’honoraires ou factures attestant le paiement effectif des sommes réclamées. Il apparaît cependant qu’en droit interne russe les honoraires d’une personne qui a effectué des prestations de conseil juridique sont recouvrables même en cas de conclusion orale d’un accord d’assistance (Fadeïeva c. Russie, no 55723/00, § 147, CEDH 2005‑IV). Quant à l’absence de preuve d’un paiement préalable des sommes réclamées, la Cour rappelle qu’on ne saurait limiter le remboursement d’honoraires aux seules sommes déjà versées par l’intéressé à l’avocat (I.M. c. France, no 9152/09, § 170, 2 février 2012). Une telle approche pourrait en effet dissuader beaucoup d’avocats de représenter devant la Cour les requérants les moins prospères (Flux c. Moldova (no 3), no 32558/03, § 38, 12 juin 2007). Toutefois, un accord conclu sous forme écrite ou orale et engageant contractuellement l’avocat et son client ne saurait lier la Cour, qui doit évaluer le niveau des frais et dépens à rembourser non seulement par rapport à la réalité des frais allégués, mais aussi par rapport à leur caractère raisonnable (voir, mutatis mutandis, Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 2000‑XI). Dans ce cas, la Cour tient compte des éléments fournis à l’appui des prétentions de remboursement des frais et dépens, et, notamment, du nombre d’heures de travail que l’affaire soumise à son examen a nécessité et du tarif horaire indiqué (ibidem). En l’espèce, eu égard au décompte horaire produit par le requérant, des critères exposés ci‑dessus, la Cour estime raisonnable et accorde au requérant la somme de 3 000 EUR, tous frais confondus, à verser sur le compte bancaire de Mme O.V. Preobrazhenskaya.

C. Intérêts moratoires

116. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide, eu égard aux termes de la déclaration du gouvernement défendeur concernant l’article 3 de la Convention et des modalités prévues pour assurer le respect des engagements, de rayer du rôle la requête en ce qui concerne le grief relatif aux conditions de détention du requérant dans la maison d’arrêt no IZ‑43/1 entre le 1er juin 2006 et le 30 novembre 2007 ;

2. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 seul et combiné avec l’article 13 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention du requérant dans le tribunal du district et en ce qui concerne l’absence de voies de recours internes effectives à cet égard et quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 1, 3 et 4 et de l’article 6 § 2 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13, combiné avec l’article 3 de la Convention ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

6. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

7. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

8. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention ;

9. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i) 19 500 EUR (dix-neuf mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser sur le compte de Mme O.V. Preobrazhenskaya ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

10. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 décembre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsLuis López Guerra
GreffierPrésident


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