QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE KANALAS c. ROUMANIE
(Requête no 20323/14)
ARRÊT
STRASBOURG
6 décembre 2016
DÉFINITIF
06/03/2017
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kanalas c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
András Sajó, président,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Egidijus Kūris,
Iulia Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Marko Bošnjak, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 novembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 20323/14) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Florian Kanalas (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 mars 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me A. Mos, avocat à Oradea. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant dénonce les conditions matérielles de détention subies dans la prison de Oradea et celle de Rahova, ainsi que le refus des autorités pénitentiaires de l’autoriser à sortir de prison afin d’assister aux obsèques de sa mère. Il invoque les articles 3 et 8 de la Convention.
4. Le 10 juillet 2015, les griefs susmentionnés ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1969 et est détenu à Satu Mare.
6. Le requérant fut placé en garde à vue le 20 août 2010. Il fut ensuite placé en détention provisoire. Par un arrêt définitif du 14 mars 2011, le tribunal départemental de Bihor le condamna à douze ans et demi de prison ferme du chef de tentative de meurtre aggravé. Après application des dispositions plus favorables du nouveau code pénal, entré en vigueur en 2014, cette peine fut réduite à dix ans.
7. Par ailleurs, par une décision définitive du 11 septembre 2014, le tribunal de première instance d’Oradea condamna le requérant à huit mois de prison ferme du chef de menaces, après avoir constaté que l’intéressé avait proféré des menaces de mort, en mars 2013, à l’encontre de son
ex-partenaire dans une lettre envoyée depuis la prison.
A. Les conditions matérielles de détention du requérant
8. Du 23 septembre 2010 au 4 août 2011, le requérant fut incarcéré à la prison d’Oradea, à l’exception de deux courtes périodes (du 24 janvier au 1er février 2011 et du 22 février au 7 mars 2011) pendant lesquelles il fut hospitalisé.
9. Du 5 août au 28 novembre 2011, le requérant fut incarcéré à la prison de Rahova.
10. Du 29 novembre 2011 au 25 avril 2016, le requérant fut incarcéré à la prison d’Oradea. Dans l’intervalle, il a été hospitalisé pour deux courtes périodes (du 27 novembre au 9 décembre 2014 et du 30 juillet au 14 août 2015). Depuis le 25 avril 2016, il est incarcéré à la prison de Satu Mare.
1. Les conditions de détention telles que décrites par le requérant
11. Le requérant décrit ses conditions de détention comme suit.
Au cours de sa détention, il a été placé dans des cellules de 9 m² avec trois autres détenus. Les cellules étaient pourvues de toilettes d’une superficie de 1 m² et ne disposaient d’aucune aération. Elles étaient éclairées en continu par des tubes à néon, ce qui aurait provoqué chez le requérant une dégradation de la vue et l’apparition d’une calvitie.
12. En mars 2014, le requérant a été incarcéré dans une cellule de 20 m² avec onze autres détenus. La cellule ne bénéficiait pas d’éclairage naturel ni d’un système d’aération et elle était pourvue de toilettes d’une superficie de 1 m².
13. La nourriture était de très mauvaise qualité, ce qui aurait causé des problèmes digestifs au requérant.
14. Depuis son incarcération, le requérant bénéficie d’une heure de promenade par jour.
2. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement
15. Se référant à une lettre envoyée par l’Administration nationale des prisons (« l’ANP »), le Gouvernement indique que, à la prison d’Oradea, le requérant a été incarcéré dans différentes cellules au sein desquelles le nombre de détenus n’aurait jamais dépassé celui de lits installés. Il précise que la surface et le nombre de lits étaient les suivants : les cellules de 16,60 m² étaient dotées de 8 lits, celles de 8,66 m² de 4 lits, celles de 40,32 m² de 14 ou 16 lits, celles de 36,16 m² de 18 lits et celles mesurant environ 26 m² de 11 ou 12 lits. Le Gouvernement ajoute que les cellules bénéficient d’une à plusieurs fenêtres, qui assureraient un éclairage et une aération naturels. Dans plusieurs des cellules susmentionnées, les toilettes ne seraient pas pourvues d’une fenêtre et l’aération s’y ferait après ouverture de la porte de cette pièce.
16. S’agissant des conditions de détention à la prison de Rahova, le Gouvernement indique que le requérant a été incarcéré dans des cellules mesurant 19,58 m² et dotées 8 lits et que ces cellules bénéficiaient d’une aération et d’un éclairage naturels ainsi que d’un éclairage artificiel.
17. La nourriture aurait été de bonne qualité et vérifiée quotidiennement par les responsables de la prison et des représentants des détenus.
18. Le Gouvernement ajoute que le requérant bénéficie d’une heure de promenade à la prison d’Oradea et que le temps de promenade qui lui était accordé à la prison de Rahova était d’au moins deux heures.
B. La demande de sortie pour les obsèques de la mère du requérant
19. Le 21 mars 2014, le requérant demanda à la direction de la prison d’Oradea, par l’intermédiaire d’un proche, l’autorisation de sortir afin de pouvoir assister aux obsèques de sa mère, prévues le 24 mars 2014, à 12 heures.
20. Le 24 mars 2014, à 9 heures, la « commission des récompenses » de la prison, se fondant sur les articles 98 § 1 e) et 99 § 1 e) de la loi no 254/2013 sur l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté ordonnées par les autorités judiciaires au cours du procès pénal (« la loi no 254/2013 ») ainsi que sur les normes d’application de ces dispositions, rejeta la demande du requérant pour les motifs suivants : celui-ci était en train de purger une peine de douze ans et demi de prison ferme pour tentative de meurtre aggravé sous le régime du « milieu fermé » ; le restant de la peine à exécuter était trop important ; et l’intéressé avait déjà bénéficié d’une récompense au cours du même mois. La commission estima que le requérant pouvait en revanche bénéficier d’un droit supplémentaire de visite sans paroi de séparation.
Il ressortait de la décision de la commission que, jusqu’à cette date-là, le requérant avait reçu de nombreuses récompenses pour bon comportement et que le chef de la section de la prison où il était incarcéré avait donné un avis favorable à la demande.
21. Le 4 avril 2014, le requérant déposa une plainte pénale du chef d’abus d’autorité contre le directeur de la prison d’Oradea. Par une décision du 3 octobre 2014, le parquet près le tribunal de première instance d’Oradea prononça un non-lieu.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
22. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 254/2013 sont ainsi libellées :
Chapitre V
Les droits des personnes condamnées
Article 56 (L’exercice des droits des personnes condamnées)
« 1. L’exercice des droits de la personne condamnée ne peut être entravé que dans les limites et les conditions prévues par la Constitution et la loi.
2. La personne condamnée peut déposer une plainte [pour contester] les mesures relatives à l’exercice des droits prévus par la présente loi prises par l’administration de la prison, devant le juge chargé du contrôle de la privation de liberté, dans un délai de 10 jours à compter de la date à laquelle elle a pris connaissance de la mesure.
(...)
6. Le juge chargé du contrôle de la privation de liberté statue sur la plainte par une décision motivée, dans un délai de 15 jours, [en décidant, parmi les solutions suivantes,] :
a) [d’accueillir] la contestation, entièrement ou partiellement, et [d’ordonner] l’annulation ou la modification de la mesure prise par l’administration de la prison ou [de condamner] cette dernière à prendre les mesures légales qui s’imposent ;
b) [de rejeter] la contestation si elle est mal fondée, sans objet, tardive ou irrecevable, selon le cas ;
c) [de prendre] acte de la renonciation à la contestation.
7. La décision du juge chargé du contrôle de la privation de liberté est notifiée à la personne condamnée et à l’administration de la prison dans un délai de 3 jours à compter du prononcé.
8. La plainte est examinée par le juge chargé du contrôle de la privation de liberté près la prison qui a pris les mesures relatives à l’exercice des droits [de la personne condamnée].
9. La personne condamnée et l’administration de la prison peuvent former une contestation contre la décision du juge chargé du contrôle de la privation de liberté devant le tribunal de première instance sis dans l’arrondissement dans lequel se trouve la prison, dans un délai de 5 jours à compter de la notification de la décision. »
Article 57 § 1 (Le respect des droits des personnes condamnées)
« 1. Le respect des droits des personnes condamnées prévus par la loi est assuré par le juge chargé du contrôle de la privation de liberté. »
Chapitre IX
Récompenses, fautes disciplinaires et sanctions
Article 98 §§ 1 et 2 (Les récompenses)
« 1. Les personnes condamnées ayant une bonne conduite et qui ont fait preuve d’assiduité dans le travail ou dans le cadre des activités éducatives, morales et religieuses, culturelles, thérapeutiques, de conciliation psychologique ou d’assistance sociale, d’enseignement ou de formation professionnelle peuvent se voir accorder les récompenses suivantes : (...)
e) l’autorisation de sortie de la prison pour un jour, mais pas plus de quinze jours par an ;
f) l’autorisation de sortie de la prison pendant une période de cinq jours au maximum, mais pas plus de vingt-cinq jours par an ;
g) l’autorisation de sortie de la prison pour une période de dix jours au maximum, mais pas plus de trente jours par an.
2. Les récompenses énumérées [au point] e) [du premier alinéa] peuvent être accordées par une commission comprenant le directeur [de la prison], qui est aussi le président de la commission, le directeur adjoint pour la sécurité de la détention et le régime pénitentiaire ainsi que le directeur adjoint pour l’éducation et l’assistance psychosociale, sur proposition du personnel qui mène des activités directes avec les personnes condamnées et après obtention de l’avis du chef de la section de la prison où est incarcéré l’intéressé (...). »
Article 99 §§ 1, 5 et 6 (L’autorisation de sortie de la prison)
« 1. L’autorisation de sortie de la prison peut être accordée, sur la base de l’article 98, dans les cas suivants : (...)
c) pour le maintien des relations de famille de la personne condamnée ; (...)
e) pour la participation de la personne condamnée aux obsèques de son mari, de sa femme, de l’enfant, du parent, du frère, de la sœur, du grand-père ou de la
grand-mère. (...)
5. L’autorisation de sortie de la prison pour le cas prévu au point e) du premier alinéa peut être accordée pour une durée maximale de cinq jours à toute personne condamnée, à l’exception de[s personnes qui purgent leur] peine sous le régime de haute sécurité, si elle remplit les conditions prévues à l’article 98 § 1.
6. À l’occasion de sa demande d’autorisation de sortie de la prison, la personne détenue précise son lieu de destination, l’itinéraire [qui sera] emprunté, ainsi que les moyens financiers dont elle disposera au cours de sa sortie de prison. »
23. À l’époque des faits, en l’absence d’un règlement d’application de la loi no 254/2013, les normes d’application de l’ancienne loi (la loi no 275/2006 relative à l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté ordonnées par les autorités judiciaires au cours du procès pénal), approuvées par l’arrêté du Gouvernement no 1897/2006, étaient toujours en vigueur. L’article 147 de ces normes était ainsi libellé :
Article 147
L’octroi de la récompense consistant en l’autorisation de sortie du centre de détention
« L’autorisation de sortie du centre de détention prévue à l’article 68 § 1 e) -g) de la loi [dispositions correspondant à l’article 98 § 1 e)-g) de la loi no 254/2013] peut être accordée uniquement aux personnes privées de liberté qui ont eu une conduite constamment positive et à qui l’on peut accorder, de manière suffisante, le crédit qu’elles ne commettront pas une nouvelle infraction.
2. La commission prévue à l’article 68 § 2 de la loi [actuellement l’article 98 § 2] octroie la récompense prévue à l’article 68 § 1 e) [actuellement l’article 98 § 1 e)] de la loi ou propose l’octroi des récompenses prévues à l’article 68 § 1 f) et g) [actuellement l’article 98 § 1 f) et g)] de la même loi, après examen approfondi, selon la procédure fixée par une décision du directeur général de l’Administration nationale des prisons. »
24. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la « procédure relative à l’octroi des récompenses sur la base d’un système de crédits », adoptée par l’ANP, en vigueur du 14 juin 2013 au 10 avril 2016, étaient ainsi libellées :
Article 2
« Le détenu se voit octroyer une seule récompense au cours d’un mois, à l’exception des situations prévues à l’article 69 § 1 (...) et e) [actuellement l’article 99 § 1 e) de la loi no 254/2013] (...). »
Article 4
« 1. Lors de l’examen des propositions d’octroi de la récompense consistant en l’autorisation de sortie de la prison, il est pris en compte dans quelle mesure les détenus :
a) ont une conduite constamment positive ;
b) démontrent de l’assiduité dans leur travail ;
c) participent activement aux activités éducatives, culturelles, thérapeutiques, de conciliation psychologique ou d’assistance sociale, d’enseignement ou de formation professionnelle.
2. Afin d’établir si les conditions et critères cumulatifs prévus par la loi sont réunis, les éléments suivants concernant la personne du détenu seront pris en compte également :
a) la nature de l’infraction ;
b) la durée de la peine ;
c) le régime d’exécution ;
d) le nombre et la nature des récompenses déjà accordées ;
e) la durée de la peine déjà purgée par rapport au restant à purger jusqu’à l’examen par la commission de la libération conditionnelle ;
f) les antécédents pénaux ;
g) l’appartenance à des groupes de crime organisé ;
h) le comportement lors de la réincarcération après une autorisation de sortie de la prison accordée antérieurement ;
i) le comportement avant l’arrestation et l’image du détenu dans la communauté ; seront prises en compte notamment les données inscrites dans le dossier personnel de la personne privée de liberté ;
j) le maintien des liens familiaux ;
k) l’existence de soupçons quant à la possession, la consommation ou le trafic d’objets ou de substances interdits. »
25. Selon le règlement relatif à la sécurité des centres de détention relevant de l’ANP, adopté le 24 juin 2010, les personnes privées de liberté peuvent faire l’objet d’une escorte aux fins de leur présentation devant les autorités judiciaires, sur leur lieu de travail, aux cliniques, hôpitaux ou à d’autres endroits extérieurs au centre de détention, établis par le directeur du centre (article 146).
26. Dans ses observations soumises à la Cour le 5 décembre 2015, le Gouvernement se réfère à plusieurs décisions de justice relatives à l’autorisation de sortie de la prison de détenus, et notamment en vue d’assister aux obsèques de proches (points b)-e)), présentées ci-après.
a) Par une décision du 27 mai 2014, le juge chargé du contrôle de la privation de liberté de la prison de Brăila accueillit la plainte introduite par un détenu contre une décision de la « commission des récompenses » qui octroyait à ce dernier un droit supplémentaire de recevoir des visites et des paquets de l’extérieur. Le détenu soutenait qu’il était en droit de recevoir une récompense sous la forme d’une autorisation de sortie de la prison. Précisant que, selon la loi, la récompense ne constituait pas un droit pour la personne condamnée, le juge considérait toutefois que tout acte d’une autorité publique devait être soumis au contrôle d’un juge.
Par un jugement définitif du tribunal de première instance de Brăila du 26 août 2014, la décision précitée fut annulée et la demande de l’intéressé fut rejetée comme étant mal fondée. Le tribunal jugeait que la loi n’instaurait pas un droit pour les détenus à être récompensé, mais une simple possibilité, qu’en outre elle ne prévoyait aucune voie de recours contre la décision, souveraine à ses yeux, de la « commission des récompenses » et que le juge chargé du contrôle de la privation de liberté n’avait aucune attribution à cet égard.
b) Par une décision du 22 janvier 2014, le juge chargé du contrôle de la privation de liberté de la prison de Jilava rejeta comme étant mal fondée la plainte d’un détenu qui dénonçait le refus des autorités pénitentiaires de l’autoriser à participer aux obsèques de sa mère, au motif que l’on ne pouvait pas accorder à l’intéressé, de manière suffisante, le crédit qu’il ne commettrait pas une nouvelle infraction. Le juge notait à cet égard que le détenu en question avait été condamné à une peine de vingt ans de prison ferme du chef de meurtre aggravé et que la loi ne prévoyait pas un droit pour le détenu à être récompensé, mais une simple possibilité. Cette décision fut confirmée par un jugement définitif du tribunal de première instance du 4e arrondissement de Bucarest, qui ajouta que le choix de la récompense à accorder à un détenu appartenait, bien que de manière non discrétionnaire, à la commission compétente de la prison.
c) Par un jugement définitif du 25 juin 2014, le tribunal de première instance d’Iaşi rejeta comme étant mal fondée la plainte d’un détenu qui dénonçait l’omission de la prison où il était incarcéré temporairement de l’informer du décès de sa mère et de l’autoriser à participer aux obsèques de celle-ci. Le tribunal constatait qu’aucun document justificatif attestant le décès n’avait été produit auprès des autorités pénitentiaires et que la loi ne prévoyait pas de procédure d’urgence en vue de l’octroi d’une autorisation de sortie pour une personne qui, à l’instar du détenu en question, était détenue temporairement dans une autre prison.
d) Par une décision définitive du 17 novembre 2014, le juge chargé du contrôle de la privation de liberté de la prison de Brăila rejeta comme étant irrecevable la plainte d’un détenu qui contestait le refus des autorités pénitentiaires de l’autoriser à sortir pour assister aux obsèques de son père au motif que l’octroi des récompenses ne constituait pas un droit pour les détenus. De plus, d’après ce juge, la décision de la « commission des récompenses » constituait un acte administratif qui ne faisait pas partie des actes qui, selon la loi, pouvaient être soumis au contrôle d’un juge.
e) Par une décision définitive du 11 juin 2015, le juge chargé du contrôle de la privation de liberté de la prison de Giurgiu rejeta comme étant mal fondée, pour des motifs similaires, la plainte d’un détenu qui contestait le refus des autorités pénitentiaires de l’autoriser à sortir pour assister aux obsèques de son épouse.
III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT
27. La Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes (adoptée le 11 janvier 2006) indique notamment ceci :
Règle 24.7
« Lorsque les circonstances le permettent, le détenu doit être autorisé à quitter la prison – soit sous escorte, soit librement – pour rendre visite à un parent malade, assister à des obsèques ou pour d’autres raisons humanitaires. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
28. Le requérant se plaint de ses conditions matérielles de détention dans les prisons d’Oradea et de Rahova, qu’il qualifie de contraires aux exigences de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
29. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
30. Le requérant se plaint des conditions matérielles de sa détention dans les prisons d’Oradea et de Rahova, dénonçant plus particulièrement un état de surpopulation carcérale, une absence d’aération et d’éclairage naturels adéquats et une mauvaise qualité de la nourriture. Il affirme que ces conditions ont constitué un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il indique que tous ces aspects ont déjà déterminé la Cour à conclure à une violation de l’article 3 de la Convention dans l’affaire Oprea et autres c. Roumanie [comité] (no 54966/09, 18 juin 2015) pour ce qui est de la prison d’Oradea.
31. Le Gouvernement soutient que les autorités roumaines ont fait preuve d’une diligence raisonnable afin d’offrir au requérant des conditions de détention conformes à la jurisprudence de la Cour et qu’elles continuent à déployer des efforts pour améliorer les conditions de détention.
32. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine et que les modalités d’exécution de la mesure en cause ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000‑XI, et Enășoaie c. Roumanie, no 36513/12, § 46, 4 novembre 2014).
33. La Cour a récemment réitéré les principes pertinents, notamment ceux relatifs à la surpopulation carcérale et aux facteurs susceptibles de compenser le manque d’espace personnel, dans l’arrêt Muršić c. Croatie [GC] (no 7334/13, §§ 96-141, 20 octobre 2016). En particulier, lorsque la surface au sol dont dispose un détenu en cellule collective est inférieure à 3 m², le manque d’espace personnel est considéré comme étant à ce point grave qu’il donne lieu à une forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention. Cette forte présomption ne peut normalement être réfutée par le Gouvernement que si tous les facteurs suivants sont réunis : a) les réductions de l’espace personnel par rapport au minimum requis de 3 m² sont courtes, occasionnelles et mineures ; b) elles s’accompagnent d’une liberté de circulation suffisante hors de la cellule et d’activités hors cellule adéquates, et c) le requérant est incarcéré dans un établissement offrant, de manière générale, des conditions de détention décentes, et il n’est pas soumis à d’autres éléments considérés comme des circonstances aggravantes de mauvaises conditions de détention (idem, §§ 137-138).
34. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que le requérant allègue surtout avoir été confronté à des situations de surpopulation dans les prisons d’Oradea et de Rahova. À cet égard, elle rappelle qu’elle a déjà constaté que les conditions de détention dans les prisons roumaines, eu égard notamment à la surpopulation et à la précarité observée en matière d’hygiène, relèvent d’un problème de nature structurelle (Iacov Stanciu c. Roumanie, no 35972/05, § 195, 24 juillet 2012). Les allégations du requérant tirées d’un état de surpopulation carcérale, que le Gouvernement ne conteste pas expressément, sont donc plausibles. En effet, les informations que le gouvernement défendeur fournit au sujet des deux prisons susmentionnées confirment ces assertions (paragraphes 15-16 ci-dessus). Qui plus est, la Cour relève qu’elle a déjà observé des situations de surpopulation pour des périodes qui coïncident avec celles de la détention du requérant dans la présente affaire à la prison d’Oradea (Ardelean c. Roumanie, no 28766/04, §§ 52-54, 30 octobre 2012, et Hadade c. Roumanie, no 11871/05, §§ 75-77, 24 septembre 2013) ou à la prison de Rahova (Constantin Aurelian Burlacu c. Roumanie, no 51318/12, § 27, 10 juin 2014).
35. De surcroît, la Cour observe que les allégations du requérant relatives à une absence d’éclairage et d’aération appropriés et à une mauvaise qualité de la nourriture reflètent des réalités qu’elle-même a déjà constatées par le passé pour les prisons en question (Drăgan c. Roumanie, no 65158/09, § 78, 2 février 2016, et Oprea et autres, précité).
36. Eu égard aux éléments qui précèdent, et notamment au fait que le requérant a bénéficié d’un espace personnel inférieur à 3 m² et à la durée de la privation de liberté du requérant, les conditions de détention subies par ce dernier ont dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention, le soumettant à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.
37. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
38. Le requérant se plaint du refus des autorités pénitentiaires de l’autoriser à sortir de la prison pour assister aux obsèques de sa mère, en mars 2014. Il invoque en substance l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
1. Arguments des parties
39. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Mentionnant le recours prévu par la loi no 254/2013, il considère que le requérant aurait dû contester la décision de la « commission des récompenses » du 24 mars 2014 devant le juge chargé du contrôle de la privation de liberté, et, le cas échéant, devant le tribunal de première instance. Il estime que ce recours était propre à remédier à la violation alléguée de la Convention, et ce, selon lui, même si les détenus disposent non pas d’un droit mais d’une simple possibilité de sortir de prison, qui serait concrétisée uniquement en cas d’octroi d’une récompense dans les conditions prévues par la loi. Il se réfère à cet égard aux décisions des autorités judiciaires internes qu’il produit (paragraphe 26 ci-dessus), desquelles il ressortirait que les autorités judiciaires examinent bien le fond de pareil recours. Le Gouvernement allègue par ailleurs que le requérant ne peut se plaindre d’une ineffectivité de cette voie de recours au motif d’une imprévisibilité de la loi puisqu’il appartiendrait aux tribunaux nationaux d’interpréter et d’appliquer cette loi. Enfin, il reconnaît que le nombre de décisions internes prononcées en la matière est réduit, mais il explique cela par une absence de plaintes déposées par des détenus.
40. Le requérant estime qu’il n’avait à sa disposition aucune voie de recours effective pour contester la décision de la « commission des récompenses ». Il indique que cette commission s’était réunie très tard, à savoir trois jours après le dépôt de sa demande et moins de trois heures avant l’heure à laquelle les obsèques étaient programmées. Dans ces conditions, tout dépôt de plainte devant le juge chargé du contrôle de la privation de liberté aurait été effectué en vain.
De plus, d’après le requérant, les exemples de jurisprudence produits par le Gouvernement, et notamment le jugement définitif du tribunal de première instance de Brăila du 26 août 2014, démontrent que les décisions des « commissions des récompenses » prévues par l’article 98 § 2 de la loi no 254/2013 ne sont pas susceptibles d’être contrôlées par les autorités judiciaires.
2. Appréciation de la Cour
41. La Cour rappelle que l’article 35 de la Convention n’exige l’épuisement que des recours accessibles, adéquats et relatifs aux violations incriminées (Tsomtsos et autres c. Grèce, 15 novembre 1996, § 32, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 140, CEDH 2012).
42. Elle rappelle aussi qu’il incombe au gouvernement excipant du
non-épuisement de la convaincre qu’un recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant la réparation de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 57, CEDH 1999‑IX, et D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 115, CEDH 2007‑IV).
43. La Cour prend note de la position du Gouvernement dans la présente affaire, lequel reproche au requérant de ne pas avoir introduit une plainte devant le juge chargé du contrôle de la privation de liberté. Le Gouvernement soutient ainsi que ce recours était propre à remédier au grief du requérant, tout en indiquant que l’autorisation de sortie de la prison ne constitue pas un droit parmi ceux dont le respect doit être assuré par ce juge (voir l’article 57 § 1 de la loi no 254/2013, paragraphe 22 ci-dessus), et il renvoie à cet effet aux exemples de jurisprudence qu’il produit.
44. La Cour observe en premier lieu que le Gouvernement lui-même admet que le texte de la loi no 254/2013 ne réglemente pas formellement une voie de recours contre les décisions des « commissions des récompenses ». En deuxième lieu, il ressort de la jurisprudence fournie par le Gouvernement que la majorité des instances nationales ont considéré que les décisions des « commissions des récompenses » n’étaient pas susceptibles d’être soumises à un contrôle juridictionnel (voir les décisions énumérées aux points a) et c) – e) du paragraphe 26 ci-dessus), et ce, que les actions des détenus concernés aient été rejetées comme étant mal fondées ou comme étant irrecevables. En effet, dans une seule affaire, le tribunal saisi a examiné la manière dont la commission en cause avait fait application de la loi (voir la décision présentée au paragraphe 26 ci-dessus, point b)).
Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’une plainte fondée sur les dispositions de la loi no 254/2013 ne saurait être considérée avec un degré suffisant de certitude comme un recours effectif.
45. Qui plus est, la Cour relève que, en l’espèce, la décision de la « commission des récompenses » a été rendue et notifiée au requérant quelques heures avant les obsèques de sa mère. Il est donc difficile d’admettre que le recours évoqué par le Gouvernement était un recours effectif capable de remédier au grief du requérant dans les circonstances de la présente affaire (voir, pour une situation similaire, Czarnowski c. Pologne, no 28586/03, § 20, 20 janvier 2009).
46. Dès lors, la Cour estime que le requérant n’avait pas de voie de recours à sa disposition au sens de l’article 35 § 1 de la Convention et qu’il convient de rejeter l’exception du Gouvernement.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
47. Indiquant que le système des récompenses était la seule voie permettant d’obtenir une autorisation de sortie, le requérant estime qu’il était totalement inadéquat par rapport à l’objet de sa demande, qui visait la participation aux obsèques de sa mère, et non celle à un événement heureux dans sa famille. Il considère que ce système enfreint ce qu’il qualifie de principe d’humanité du droit pénal.
48. Il argue en outre qu’il venait de se voir octroyer une récompense, ce qui lui aurait été reproché par la commission, et que cette circonstance aurait dû jouer en sa faveur puisque, à ses dires, elle démontrait son comportement adéquat. De même, la lourdeur de la peine qu’il devait purger sans contacts familiaux aurait dû constituer un motif supplémentaire pour autoriser sa sortie.
49. Le Gouvernement avance que l’article 8 de la Convention ne garantit pas un droit absolu pour les personnes incarcérées à obtenir une autorisation de sortie pour participer aux obsèques de leurs proches et que les États disposent d’une grande marge d’appréciation en la matière. Il indique que, en droit roumain, l’autorisation de sortie pour les personnes condamnées n’est pas un droit et que celles-ci ont la simple possibilité de bénéficier de cette récompense.
50. Il soutient que, à supposer même qu’il y ait eu une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale du requérant dans la présente affaire, cette ingérence était prévue par la loi, poursuivait un but légitime et était proportionnée par rapport à ce but.
51. Pour ce qui est de la légalité de la mesure litigieuse, le Gouvernement indique que l’autorisation de sortie était régie par un cadre législatif spécifique, à savoir les articles 98 et 99 de la loi no 254/2013 et leurs normes d’application, et que ce cadre ne peut poser problème en
lui-même au regard de la Convention. Il ajoute que le refus opposé au requérant par les autorités pénitentiaires visait à la préservation de la sécurité publique et à la prévention de nouveaux actes illicites.
52. S’agissant de la nécessité de la mesure en cause dans une société démocratique, le Gouvernement insiste sur la prise en compte des besoins de réintégration sociale des détenus à l’approche du terme de la peine, tout en mettant en avant le caractère punitif du but poursuivi par les peines de prison ferme. Il indique toutefois qu’une autorisation de sortie de la prison doit prendre en compte le comportement du détenu concerné, les faits pour lesquels celui-ci a été condamné ainsi que le temps déjà passé dans le centre de détention. Or, d’après le Gouvernement, dans la présente affaire, tous ces éléments ont été examinés par la « commission des récompenses » et
celle-ci a également observé que le requérant venait de se voir octroyer une récompense le même mois. Le Gouvernement indique en outre que, à la date de sa demande, le requérant était renvoyé en jugement du chef d’une nouvelle infraction, pour menaces (paragraphe 7 ci-dessus). Enfin, il considère que la « commission des récompenses » a fait preuve d’une bonne volonté puisqu’elle n’aurait pas rejeté la demande du requérant
sur-le-champ, au motif qu’il appartenait aux autorités de proposer une telle récompense, alors que, à ses dires, elle aurait dû procéder à un tel rejet. En somme, le Gouvernement estime que la décision de la « commission des récompenses » n’a pas été arbitraire.
2. Appréciation de la Cour
53. La Cour rappelle que la détention, comme toute autre mesure privative de liberté, entraîne par nature des restrictions à la vie privée et familiale de l’intéressé. Il est cependant essentiel au respect de la vie familiale que l’administration pénitentiaire autorise le détenu et l’aide au besoin à maintenir le contact avec sa famille proche (Messina c. Italie (no 2), no 25498/94, § 61, CEDH 2000‑X, et Khoroshenko c. Russie [GC], no 41418/04, § 106, CEDH 2015). La Cour reconnaît en même temps qu’un certain contrôle des contacts des détenus avec le monde extérieur est recommandé et qu’il ne se heurte pas en soi à la Convention (Schemkamper c. France, no 75833/01, § 30, 18 octobre 2005).
54. La Cour estime que le refus opposé au requérant de sortir du monde carcéral pour assister aux obsèques de sa mère doit s’analyser en une ingérence dans le droit de l’intéressé au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention (Płoski c. Pologne, no 26761/95, § 32, 12 novembre 2002).
55. Pareille ingérence n’enfreint pas la Convention, si elle est « prévue par la loi », vise au moins un but légitime au regard du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention et peut passer pour une mesure « nécessaire dans une société démocratique » (idem, § 30).
56. Dans la présente affaire, la Cour relève que l’ingérence en cause était prévue par la loi, à savoir les articles 98 § 1 et 99 § 1 de la loi no 254/2013 et leurs normes d’application.
57. De plus, compte tenu en particulier de la gravité du crime commis en l’espèce, puni par une lourde peine privative de liberté, il apparaît que cette ingérence avait pour but d’empêcher le requérant d’utiliser la sortie afin de commettre des délits ou de troubler l’ordre ou la sécurité́ publics. Cette ingérence poursuivait donc un but légitime, sous l’angle du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention, à savoir la défense de l’ordre et de la sûreté publics, ainsi que la prévention des infractions pénales.
58. Il reste à savoir si la mesure en question était nécessaire dans une société démocratique.
59. La Cour rappelle que, pour préciser les obligations que les États contractants assument en vertu de l’article 8 de la Convention en la matière, il faut avoir égard aux exigences normales et raisonnables de l’emprisonnement et à l’étendue de la marge d’appréciation à réserver en conséquence aux autorités nationales lorsqu’elles réglementent les contacts d’un détenu avec sa famille (Lavents c. Lettonie, no 58442/00, § 141, 28 novembre 2002). Il appartient néanmoins à l’État de démontrer que les restrictions inhérentes aux droits et libertés du détenu sont nécessaires dans une société démocratique et qu’elles se fondent sur un besoin social impérieux (Ploski, précité, § 35).
60. En l’espèce, la Cour note que la demande d’autorisation de sortie de la prison a été rejetée pour les motifs suivants : le requérant était en train de purger une peine de douze ans et demi de prison ferme pour tentative de meurtre aggravé sous le régime du « milieu fermé » ; le restant de la peine à exécuter était trop important ; et le requérant avait déjà bénéficié d’une récompense au cours du même mois (paragraphe 20 ci-dessus).
61. S’agissant du crime pour lequel le requérant a été condamné et du terme prétendument lointain de sa peine, la Cour rappelle que, sous l’angle d’une autre disposition, elle a reconnu le but légitime d’une politique de réinsertion sociale progressive des personnes condamnées à des peines d’emprisonnement et a, dans cette optique, considéré que des mesures de sorties temporaires pouvaient contribuer à la réinsertion sociale du détenu, même lorsque celui-ci a été condamné pour des crimes violents (Mastromattéo c. Italie [GC], no 37703/97, § 72, CEDH 2002-VIII). De plus, elle rappelle ne pas avoir attaché une importance primordiale au crime pour lequel les requérants avaient été condamnés dans des affaires portant sur la question de l’autorisation de sortie de la prison pour des raisons familiales (Schemkamper, précité, §§ 33-36 – affaire dans laquelle le requérant, coupable d’homicide, purgeait une peine de vingt ans de réclusion criminelle –, et Giszczak c. Pologne, no 40195/08, §§ 36-39, 29 novembre 2011 – affaire dans laquelle le requérant, coupable d’incitation au meurtre, purgeait une peine de treize ans de prison ferme). Par ailleurs, en l’espèce, la Cour relève qu’il ressortait de la décision de la commission compétente que, au cours de ses trois ans et demi de détention, le requérant avait déjà reçu de nombreuses récompenses en raison de son bon comportement et que le chef de la section de la prison où il était incarcéré avait donné un avis favorable à sa demande (paragraphe 20 in fine
ci-dessus).
62. En outre, la Cour observe que, selon la « procédure relative à l’octroi des récompenses sur la base d’un système de crédits » établie par l’ANP, le principe de la limitation à une seule récompense par mois ne s’appliquait pas en cas d’autorisation de sortie de prison pour assister aux obsèques d’un membre de la famille (paragraphe 24 ci-dessus). Dans ces conditions, d’après la législation nationale, le fait que le requérant venait de se voir octroyer une récompense en mars 2014 n’aurait pas dû jouer en sa défaveur.
63. Pour ce qui est de l’argument du Gouvernement fondé sur le renvoi en jugement du requérant du chef d’une nouvelle infraction, la Cour constate que celui-ci ne figurait pas parmi les motifs énumérés par la « commission des récompenses » et que, de ce fait, il n’appelle pas davantage de considération de sa part.
64. Enfin, la Cour note que les autorités pénitentiaires n’ont nullement examiné la possibilité d’avoir recours à une escorte pour le transfert du requérant sur le lieu des obsèques (Ploski, précité, § 37, Czarnowski, précité, § 32, et Császy c. Hongrie, no 14447/11, § 19, 21 octobre 2014 ; voir également, a contrario, Sannino c. Italie (déc.), no 72639/01, 3 mai 2005).
65. La Cour ne peut que conclure que les autorités nationales n’ont pas procédé à une mise en balance des intérêts en jeu, à savoir, d’une part, le droit du requérant au respect de sa vie familiale, et, d’autre part, la défense de l’ordre et de la sûreté publics et la prévention des infractions pénales (voir, mutatis mutandis, Császy, précité, § 20).
66. La Cour rappelle que le droit de bénéficier d’autorisations de sortie n’est pas garanti en tant que tel par la Convention (Marinicola c. Italie (déc.) no 42662/98, 25 novembre 1999). Il incombe aux autorités nationales d’examiner le bien-fondé de chaque demande. Le contrôle de la Cour se limite à la vérification des mesures prises sous l’angle des droits garantis par la Convention, tout en tenant compte de la marge d’appréciation dont bénéficient les États contractants (Płoski, précité, § 38).
67. Dans les circonstances de l’espèce et nonobstant la marge d’appréciation de l’État défendeur, la Cour estime que les raisons invoquées par les autorités nationales pour refuser au requérant l’autorisation de sortie afin d’assister aux obsèques de sa mère ne suffisent pas à démontrer que l’ingérence dénoncée était « nécessaire dans une société démocratique ».
Dès lors, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
68. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
69. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi en raison de ses conditions de détention, qu’il qualifie de mauvaises. Il demande également 20 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi en raison de son impossibilité d’assister aux obsèques de sa mère et du stress qui lui aurait été causé par le fait que sa demande a été rejetée le jour même de ces obsèques. Il précise à cet égard qu’il ne disposait d’aucune voie de recours.
70. Le Gouvernement soutient qu’un constat de violation constituerait une satisfaction équitable en l’espèce et qu’en tout état de cause les montants sollicités sont excessifs par rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière.
71. La Cour estime que le requérant a subi un dommage moral certain, qui ne se trouve pas suffisamment réparé par le constat de violation des articles 3 et 8 de la Convention. Statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 15 000 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
72. Le requérant ne formule aucune demande à ce titre.
C. Intérêts moratoires
73. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions matérielles de détention du requérant ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 décembre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Marialena TsirliAndrás Sajó
GreffièrePrésident