La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/10/2016 | CEDH | N°001-167748

CEDH | CEDH, AFFAIRE ZUBAC c. CROATIE, 2016, 001-167748


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ZUBAC c. CROATIE

(Requête no 40160/12)

ARRÊT

STRASBOURG

11 octobre 2016

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 05/04/2018

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Zubac c. Croatie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kj

ølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 septembre 2016,

Ren...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ZUBAC c. CROATIE

(Requête no 40160/12)

ARRÊT

STRASBOURG

11 octobre 2016

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 05/04/2018

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Zubac c. Croatie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 septembre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 40160/12) dirigée contre la République de Croatie et dont une ressortissante de Bosnie‑Herzégovine, Mme Vesna Zubac (« la requérante »), a saisi la Cour le 30 mai 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me I. Ban, avocat à Dubrovnik. Le gouvernement croate (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Š. Stažnik.

3. Contestant la manière dont la Cour suprême avait appliqué les dispositions de la loi sur la procédure civile pour conclure à l’irrecevabilité de son pourvoi, la requérante se plaignait en particulier de s’être vu refuser l’accès à cette juridiction.

4. Le 24 mars 2015, ce grief a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

5. Le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine a été informé qu’il pouvait intervenir dans la présente affaire (article 36 § 1 de la Convention et article 44 § 2 a) du règlement de la Cour), mais il n’a pas fait usage de ce droit.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. La requérante est née en 1959 et réside à Bijela (République du Monténégro).

7. Le 29 septembre 1992, le beau-père de la requérante, Vu.Z, représenté par sa femme, K.Z., conclut un contrat prévoyant l’échange de sa maison sise à Dubrovnik (République de Croatie) pour une autre sise à Trebinje (Republika Sprska, Bosnie-Herzégovine), dont F.O. était propriétaire.

8. En 2001, Vu.Z saisit le tribunal municipal de Trebinje (Osnovni sud u Trebinju) d’une action au civil dirigée contre les héritiers de F.O. et au travers de laquelle il souhaitait obtenir l’autorisation de se faire inscrire comme propriétaire (clausula intabulandi) de la maison sise à Trebinje.

9. Le 20 avril 2001, le tribunal municipal de Trebinje ordonna aux héritiers de F.O. de délivrer une clausula intabulandi à Vu.Z. Les intéressés obtempérèrent.

10. Vu.Z décéda à une date inconnue en 2001 ou 2002.

11. Le 14 août 2002, M.Z., fils de Vu.Z et mari de la requérante, intenta devant le tribunal municipal de Dubrovnik (Općinski sud u Dubrovniku) une action au civil tendant à l’annulation du contrat d’échange des maisons. Invoquant la situation de guerre en Croatie, il soutenait que le contrat avait été signé sous la contrainte. Il alléguait également que la signature de son père, Vu.Z, qui figurait sur la procuration que sa mère (la femme de Vu.Z) avait utilisée pour conclure le contrat litigieux au nom de celui-ci, avait été falsifiée. Dans l’acte introductif d’instance, M.Z. indiquait que la valeur de l’objet du litige (vrijednost predmeta spora) s’élevait à 10 000 kunas croates (HRK) (environ 1 300 euros (EUR) à l’époque). Par la suite, au cours d’une audience tenue le 6 avril 2005, il affirma que la valeur de l’objet du litige était de 105 000 HRK (ce qui équivalait alors à environ 14 160 EUR). Les défendeurs s’opposèrent à cette augmentation

12. Le 25 avril 2005, le tribunal municipal de Dubrovnik ordonna à M.Z. de payer un montant de 1 400 HRK (ce qui correspondait alors à environ 180 EUR) au titre des frais d’enregistrement de sa demande au civil. Le tribunal calcula ces frais sur la base du montant de 105 000 HRK indiqué pour la valeur du litige.

13. Dans un jugement rendu le 27 septembre 2005, le tribunal municipal de Dubrovnik débouta M.Z. et le condamna à supporter tous les frais et dépens exposés par les parties adverses, à savoir 25 931,10 HRK (environ 3 480 EUR à l’époque). Il calcula le montant des frais sur la base de la valeur de l’objet du litige qui avait été indiquée lors de l’audience du 6 avril 2005, à savoir 105 000 HRK. La partie pertinente du jugement se lit ainsi :

« (...) le remboursement des frais de justice a été accordé aux défendeurs [et le montant de ces frais a été évalué] en fonction (...) de la valeur du litige que le demandeur a indiquée (105 000 HRK – (page 58 [du dossier]) et que le tribunal [de première instance] a acceptée. »

14. Le 12 décembre 2005, le tribunal de première instance condamna le demandeur à payer 1 400 HRK au titre du prononcé du jugement. Il fixa ce montant en se fondant là aussi sur le chiffre de 105 000 HRK qui avait été indiqué pour la valeur du litige.

15. Le 1er octobre 2009, le tribunal de comté de Dubrovnik (Županijski sud u Dubrovniku) rejeta l’appel du demandeur et confirma le jugement de première instance. Le passage pertinent de l’arrêt d’appel dit ceci :

« (...) la décision relative aux frais de justice est fondée sur le droit applicable et des motifs appropriés ont été fournis. »

16. Le 24 mai 2010, M.Z. forma un pourvoi (revizija) devant la Cour suprême.

17. Le 17 octobre 2010, M.Z. décéda. La procédure fut poursuivie par sa femme, Vesna Zubac, en qualité d’héritière (elle est aussi la requérante en l’espèce).

18. Le 30 mars 2011, la Cour suprême déclara le pourvoi irrecevable au motif qu’il présentait une demande d’un montant inférieur à celui de 100 000 HRK qui déterminait le taux du ressort. Elle considéra que la valeur dont il fallait tenir compte pour l’objet du litige était celle que M.Z. avait indiquée dans sa demande initiale. La partie pertinente de l’arrêt de la Cour suprême se lit comme suit :

« Selon l’article 40 § 3 de la loi sur la procédure civile, si, dans la situation décrite au paragraphe 2 [du même article], il est évident que la valeur de l’objet du litige indiquée par le demandeur est trop élevée ou trop faible, de telle sorte qu’une question se pose quant à la compétence à l’égard de l’objet du litige, quant à la composition de la juridiction, quant à la nature de la procédure, ou quant au droit de former un pourvoi, la juridiction vérifie de manière rapide et appropriée l’exactitude de la valeur indiquée, au plus tard lors de l’audience préparatoire ou, en l’absence d’une audience préparatoire, lors de l’audience principale, avant l’examen au fond.

Il s’ensuit que, lorsque l’action ne concerne pas une somme d’argent, le demandeur doit indiquer la valeur de l’objet du litige civil et, une fois qu’il l’a fait, il n’est pas autorisé à modifier cette valeur. Au plus tard lors de l’audience préparatoire ou bien, si aucune audience préparatoire n’a été tenue, lors de l’audience principale dans le cadre d’un examen ayant lieu avant celui au fond, seule une juridiction peut fixer la valeur de l’objet du litige, d’office ou en cas d’objection soulevée par le défendeur, si elle constate que la valeur indiquée dans la demande civile est trop élevée ou trop faible.

En l’espèce, la valeur de l’objet du litige qui était indiquée dans la demande initiale était de 10 000 kunas croates.

Par la suite, lors de l’audience tenue le 6 avril 2005, le représentant du demandeur a indiqué que la valeur de l’objet du litige était de 105 000 kunas croates (...). Le demandeur n’a toutefois pas modifié sa demande en même temps. [Par conséquent,] le tribunal de première instance n’a pas pris une décision fixant une nouvelle valeur du litige, car les conditions procédurales énoncées à l’article 40 § 3 de la loi sur la procédure civile n’étaient pas remplies.

Il en résulte que la valeur de l’objet du litige à prendre en compte est celle qui était indiquée dans la demande initiale, à savoir 10 000 kunas croates, parce que le demandeur ne pouvait modifier la valeur initialement indiquée que s’il modifiait sa demande en même temps. »

19. Le 10 novembre 2011, la Cour constitutionnelle, considérant que l’affaire ne soulevait aucune question de constitutionnalité, déclara irrecevable le recours introduit par la requérante devant elle. Le 30 novembre 2011, elle notifia son arrêt au représentant de la requérante.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La loi sur la procédure civile

20. Les dispositions pertinentes de la loi sur la procédure civile (Zakon o parničnom postupku, Journal officiel nos 53/1991, 91/1992, 112/1999, 81/2001, 117/2003, 88/2005, 84/2008, 96/2008 et 123/2008), en vigueur au moment des faits, étaient ainsi libellées :

Article 40

« (...)

2) (...) lorsque l’action ne concerne pas une somme d’argent, la valeur à prendre en compte est celle de l’objet du litige (vrijednost predmeta spora) que le demandeur a indiquée dans la demande civile (u tužbi).

3) Si, dans la situation décrite au paragraphe 2, il est évident que la valeur de l’objet du litige indiquée par le demandeur est trop élevée ou trop faible, de telle sorte qu’une question se pose quant à la compétence à l’égard de l’objet du litige, quant à la composition de la juridiction, quant à la nature de la procédure, ou quant au droit de former un pourvoi, la juridiction vérifie de manière rapide et appropriée l’exactitude de la valeur indiquée, au plus tard lors de l’audience préparatoire ou, en l’absence d’une audience préparatoire, lors de l’audience principale, avant l’examen au fond.

4) Si, après que le défendeur a commencé à se défendre au fond, il est établi que le demandeur n’a pas indiqué la valeur de l’objet du litige, la juridiction de première instance, de manière rapide et appropriée mais après avoir donné aux parties la possibilité de s’exprimer à cet égard, fixe cette valeur par une décision contre laquelle aucun recours distinct n’est permis.

5) La juridiction suit également la procédure décrite au paragraphe 4 lorsqu’un appel a été interjeté ou un pourvoi formé, avant que l’affaire ne soit transmise à la juridiction supérieure qui statuera sur cet appel ou ce pourvoi, selon le cas.

(...) »

Article 382

« 1) Les parties peuvent former un pourvoi contre une décision rendue en deuxième instance :

1 si la valeur du litige telle qu’elle ressort de la partie contestée de la décision est supérieure à 100 000 HRK (...) »

21. Un autre passage pertinent de la loi sur la procédure civile (Zakon o parničnom postupku, Journal officiel nos 53/1991, 91/1992, 112/1999, 81/2001, 117/2003, 88/2005, 84/2008, 96/2008 , 23/2008, 57/2011, 148/2011 – texte consolidé –, et 25/2013), est rédigé comme suit :

Article 428a

« 1) Lorsque la Cour européenne des droits de l’homme a constaté la violation d’une liberté ou d’un droit garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou ses Protocoles additionnels que la République de Croatie a ratifiés, une partie peut, dans les trente jours suivant la date à laquelle l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme devient définitif, introduire une demande devant la juridiction de la République de Croatie ayant statué en première instance dans le cadre de la procédure dans laquelle la décision ayant violé la liberté fondamentale ou le droit de l’homme en question a été rendue ; cette demande tend à l’annulation de la décision ayant violé la liberté ou le droit en question.

2) La procédure décrite au paragraphe 1 du présent article se déroule mutatis mutandis suivant les dispositions relatives à la réouverture d’une procédure.

3) Dans le cadre de la procédure rouverte, les juridictions se conforment aux éléments de droit établis dans l’arrêt définitif de la Cour européenne des droits de l’homme ayant constaté une violation d’une liberté ou d’un droit fondamentaux. »

B. La jurisprudence de la Cour suprême

22. Le Gouvernement se réfère aux arrêts nos Rev 62/1994-2 du 23 février 1994, Rev 226/05-2 du 18 mai 2005, Rev 20/06-2 du 11 avril 2006, Rev 865/06-2 du 30 novembre 2006, Rev 694/07-2 du 19 septembre 2007, Rev 798/07-2 du 5 février 2008, Rev 1525/09-2 du 8 juin 2011, Rev 320/2010-2 du 8 septembre 2011, Rev 287/11-2 du 14 décembre 2011 et Rev 648/10-2 du 23 janvier 2013, rendus par la Cour suprême et déclarant des pourvois irrecevables au motif qu’ils présentaient des demandes d’un montant inférieur au taux du ressort. Dans chacune de ces affaires, la Cour suprême, relevant que la valeur de l’objet du litige ne pouvait pas être modifiée passé le stade de l’audience préparatoire ou, en l’absence d’une audience préparatoire, passé la phase préliminaire, avant l’examen au fond, de l’audience principale, a considéré que la valeur du litige dont il fallait tenir compte était celle qui avait été indiquée dans la demande initiale (dans les affaires en question, les valeurs initialement indiquées étaient inférieures au seuil légal).

C. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

23. La requérante se réfère à l’arrêt no U-III-1041/2007 du 24 juin 2008, par lequel la Cour constitutionnelle a annulé une décision de la Cour suprême qui avait déclaré un pourvoi irrecevable au motif qu’il présentait une demande d’un montant inférieur au taux du ressort. Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle a considéré que la Cour suprême avait abusivement appliqué les règles de la procédure de pourvoi en matière commerciale à une procédure qui s’était déroulée devant des juridictions non commerciales.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §1 DE LA CONVENTION

24. La requérante se plaint d’avoir été privée d’accès à la Cour suprême. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont le passage pertinent est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

25. Le Gouvernement conteste ce grief.

A. Recevabilité

26. La Cour relève que ce grief n’est pas manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention, et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B. Fond

1. Thèses des parties

a) La requérante

27. La requérante relève qu’à l’audience du 6 avril 2005 son prédécesseur a porté la valeur de l’objet du litige à 105 000 HRK. Elle souligne que le tribunal de première instance a calculé les frais et dépens en fonction de cette valeur et que la juridiction de deuxième instance a confirmé le jugement rendu en première instance. Elle en déduit que son prédécesseur pouvait raisonnablement escompter que les conditions légales relatives au taux du ressort en cas de pourvoi seraient considérées comme remplies.

28. Selon la requérante, le fait que le tribunal de première instance n’ait pas adopté une décision formelle sur la valeur de l’objet du litige est dépourvu de pertinence, car, d’après elle, les règles procédurales pertinentes n’autorisaient de toute façon aucun recours contre une telle décision. De plus, la requérante cite l’arrêt Šimecki c. Croatie (no 15253/10, 30 avril 2014) pour soutenir que les parties ne devraient pas avoir à supporter les conséquences négatives découlant des erreurs commises par les tribunaux.

29. Quant à la jurisprudence de la Cour suprême à laquelle le Gouvernement se réfère (paragraphe 22 ci-dessus), la requérante note qu’aucun des arrêts cités, à l’exception de celui prononcé le 5 février 2008 dans l’affaire Rev 798/07-2, ne concerne une situation comparable à la sienne.

b) Le Gouvernement

30. Le Gouvernement explique que lorsque la Cour examine des griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention, elle cherche d’ordinaire à déterminer si la procédure considérée dans son ensemble a répondu aux exigences découlant de cette disposition. Il en déduit qu’en l’espèce la Cour ne doit pas se contenter d’apprécier si, en troisième instance, la requérante a ou non bénéficié d’un droit d’accès à une juridiction précise, à savoir la Cour suprême, mais doit également déterminer si le prédécesseur de la requérante a eu accès aux juridictions de première et deuxième instance. Or l’action introduite par le demandeur aurait été examinée au fond à deux niveaux de juridiction, devant les tribunaux de première et de deuxième instance.

31. Le Gouvernement soutient qu’en l’espèce la valeur de l’objet du litige avait été indiquée par le mari de la requérante dans sa demande initiale. Il estime que l’intéressé, qui était représenté par un avocat qualifié, aurait dû connaître la condition légale relative au taux du ressort en cas de pourvoi et se rendre compte que la valeur qu’il avait indiquée dans sa demande était inférieure au seuil requis. Il ajoute que le demandeur a augmenté la valeur de l’objet du litige à un stade de la procédure où cela n’était pas permis par les règles applicables. Le but légitime de cette interdiction procédurale serait d’empêcher une éventuelle manipulation de la part d’un demandeur, d’assurer la protection des droits procéduraux de la partie adverse et de garantir à cette dernière une position procédurale égale. L’unique exception à cette règle serait la situation où un demandeur modifie ses prétentions. Or, d’une part, le tribunal de première instance n’aurait jamais formellement statué sur la valeur de l’objet du litige, et, d’autre part, le demandeur n’aurait jamais modifié ses prétentions. Le Gouvernement en conclut que le demandeur aurait dû savoir que les exigences procédurales en matière de pourvoi n’étaient pas satisfaites.

32. Enfin, non seulement l’arrêt de la Cour suprême aurait été fondé sur le droit interne pertinent, mais il aurait aussi été rendu conformément à une jurisprudence ancienne et constante de cette juridiction.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

33. En matière civile, la Convention n’oblige pas les États contractants à instituer des cours d’appel ou de cassation. Toutefois, si de telles juridictions sont instituées, les procédures menées devant elles doivent respecter les garanties de l’article 6, notamment en ce qu’il assure aux plaideurs un droit effectif d’accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs « droits et obligations de caractère civil » (voir, parmi beaucoup d’autres, Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 97, CEDH 2009, Egić c. Croatie, no 32806/09, § 46, 5 juin 2014, et Shamoyan c. Arménie, no 18499/08, § 29, 7 juillet 2015).

34. Vu la spécificité du rôle joué par les juridictions de cassation, leur contrôle étant limité au respect du droit, un formalisme plus grand peut être admis à cet égard (Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96 et 2 autres, § 41, CEDH 2002‑VII).

35. Le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (voir, par exemple, García Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 36, CEDH 2000‑II, Mortier c. France, no 42195/98, § 33, 31 juillet 2001, et Vo c. France [GC], no 53924/00, § 92, CEDH 2004‑VIII). Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre ou réduire l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même ; en particulier, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Guérin c. France, 29 juillet 1998, § 37, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V).

36. Il appartient au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux tribunaux, d’interpréter le droit interne. Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareilles interprétations. Ce principe s’applique en particulier à l’interprétation par les tribunaux des règles de nature procédurale (Tejedor García c. Espagne, 16 décembre 1997, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII). La Cour doit, dans chaque cas, se livrer à sa propre appréciation à la lumière des particularités de la procédure dont il s’agit et en fonction du but et de l’objet de l’article 6 § 1 (voir, mutatis mutandis, Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97 et 9 autres, § 36, CEDH 2000‑I).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

37. En l’espèce, la Cour suprême a déclaré le pourvoi formé par le prédécesseur de la requérante irrecevable au motif qu’il présentait une demande d’un montant inférieur au taux du ressort. Elle a considéré que la valeur dont il fallait tenir compte pour l’objet du litige était celle que le demandeur avait indiquée dans sa demande initiale, à savoir 10 000 HRK, montant inférieur au seuil légal de 100 000 HRK (paragraphe 18 ci-dessus). Pour apprécier la recevabilité du pourvoi sous l’angle du taux du ressort, la Cour suprême s’est fondée sur l’article 40 § 3 de la loi sur la procédure civile, selon lequel, s’il est évident que la valeur de l’objet du litige indiquée par le demandeur est trop élevée ou trop faible, la juridiction vérifie de manière rapide et appropriée l’exactitude de la valeur indiquée, au plus tard lors de l’audience préparatoire ou, en l’absence d’une audience préparatoire, lors de l’audience principale, avant l’examen au fond (paragraphe 18 ci-dessus).

38. À cet égard, la Cour observe que, à l’audience du 6 avril 2005, le demandeur a porté la valeur de l’objet du litige à 105 000 HRK et que les défendeurs ont soulevé une objection sur ce point (paragraphe 11 ci-dessus). Elle relève aussi que le tribunal de première instance n’a pas rendu une décision distincte sur la valeur de l’objet du litige. Toutefois, dans la motivation qu’il a fournie sur le fond de l’affaire, ce tribunal a précisé qu’il avait calculé le montant des frais de justice en fonction, entre autres, de la valeur du litige indiquée par le demandeur à l’audience du 6 avril 2005 (paragraphe 13 ci-dessus). La juridiction de deuxième instance a confirmé les conclusions du tribunal de première instance dans leur intégralité (paragraphe 16 ci-dessus). Il s’ensuit que les juridictions de première et deuxième instance ont accepté la valeur du litige indiquée par le demandeur lors de l’audience du 6 avril 2005. De plus, elles l’ont condamné à payer les frais de justice et les dépens en les calculant sur la base de cette valeur considérablement plus élevée (paragraphes 12-15 ci-dessus).

39. En conséquence, même si l’on suppose que les juridictions inférieures ont commis une erreur en autorisant le demandeur à modifier la valeur de l’objet du litige à un stade avancé de la procédure, c’est-à-dire à un moment où les conditions procédurales d’une telle modification n’étaient pas remplies (paragraphe 20 ci-dessus), la Cour estime que le prédécesseur de la requérante a agi d’une manière raisonnable en formant son pourvoi et en escomptant une décision au fond de la Cour suprême.

40. La Cour rappelle que les risques liés aux erreurs pouvant être commises par les autorités publiques doivent être supportés par l’État et que pareilles erreurs ne doivent pas être corrigées au détriment des personnes concernées (Platakou c. Grèce, no 38460/97, § 39, CEDH 2001‑I, Freitag c. Allemagne, no 71440/01, §§ 37-42, 19 juillet 2007, et Šimecki, précité, § 46). En l’espèce, la Cour suprême, qui était parfaitement au courant de l’ensemble des circonstances de la cause et de l’erreur qu’avaient pu commettre les juridictions inférieures, a interprété les règles procédurales relatives à la valeur de l’objet du litige en faisant preuve d’un formalisme excessif, qui a eu pour conséquence de faire subir à la requérante les conséquences des erreurs commises par les juridictions inférieures alors qu’à ce stade de la procédure l’intéressée n’était apparemment plus en mesure de contester les frais de justice et les dépens qu’elle avait été condamnée à payer. En faisant peser les conséquences de ces erreurs sur la requérante, la Cour suprême a enfreint le principe général de l’équité procédurale inhérent à l’article 6 § 1 de la Convention et porté atteinte au droit d’accès à un tribunal qui était garanti à la requérante, et l’argument que le Gouvernement tire d’une jurisprudence de la Cour suprême qui serait ancienne et constante (paragraphes 22 et 32 ci-dessus) ne saurait modifier en rien la conclusion de la Cour sur ce point.

41. Il en résulte qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

42. Sans invoquer aucun article de la Convention, la requérante soutient pour la première fois dans son mémoire du 10 septembre 2015 déposé en réponse aux observations formulées par le Gouvernement qu’il y a eu violation de son droit à un procès équitable dans la mesure où son prédécesseur aurait été représenté par un avocat du Monténégro qui n’aurait pas eu une parfaite connaissance des règles procédurales pertinentes du droit interne et auquel il n’aurait pas été permis, du fait de l’application de ces mêmes règles, de représenter les parties devant les tribunaux croates. Le tribunal de première instance avait donc été obligé d’avertir le prédécesseur de la requérante des conséquences préjudiciables d’une telle représentation en justice.

43. La Cour note que la décision interne définitive qui est contestée, à savoir celle rendue par la Cour constitutionnelle le 10 novembre 2011, a été notifiée au représentant de la requérante le 21 novembre 2011 (paragraphe 19 ci-dessus) et que celle-ci a soulevé son grief le 10 septembre 2015, dans sa réponse aux observations du Gouvernement, c’est-à-dire presque quatre ans plus tard.

44. Il s’ensuit que cette partie de la requête a été introduite tardivement et qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

45. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

46. La requérante sollicite 30 000 EUR pour dommage moral.

47. Le Gouvernement considère que la demande de la requérante est excessive, infondée et non étayée.

48. La Cour considère que la requérante a dû éprouver un dommage moral. À cet égard, elle rappelle d’abord que, lorsqu’elle conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention pour défaut d’accès à un tribunal, le redressement le plus approprié est, en principe, la réouverture de la procédure en temps utile et le réexamen de l’affaire dans le respect de toutes les exigences du procès équitable (voir, par exemple, Lungoci c. Roumanie, no 62710/00, § 56, 26 janvier 2006, Yanakiev c. Bulgarie, no 40476/98, § 90, 10 août 2006, et Lesjak c. Croatie, no 25904/06, § 54, 18 février 2010). Sur ce point, la Cour relève que la requérante peut désormais introduire sur le fondement de l’article 428a de la loi sur la procédure civile (paragraphe 21 ci-dessus) une demande, tendant à la réouverture de la procédure qui a été décrite ci-dessus et au sujet de laquelle la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Dans ces circonstances, la Cour, statuant en équité, alloue à la requérante 2 500 EUR pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû par elle à titre d’impôt sur cette somme.

B. Frais et dépens

49. La requérante sollicite également 1 740 EUR pour les frais et dépens exposés par elle devant les tribunaux internes et 4 144 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

50. Le Gouvernement s’oppose à ces demandes.

51. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères formulés ci-dessus, la Cour juge raisonnable d’octroyer à la requérante 850 EUR pour les frais et dépens exposés devant la Cour constitutionnelle et 2 600 euros pour ceux engagés devant la Cour, plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt sur ces sommes.

C. Intérêts moratoires

52. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, le grief relatif au droit d’accès à un tribunal recevable et la requête irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, par quatre voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit, par quatre voix contre trois,

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en kunas croates au taux applicable à la date du règlement de la Cour :

i. 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;

ii. 3 450 EUR (trois mille quatre cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 11 octobre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement de la Cour, l’exposé de l’opinion séparée des juges Lemmens, Griţco et Ravarani.

A.I.K.
S.H.N.

OPINION DISSIDENTE COMMUNE DES JUGES Lemmens, Griţco et Ravarani

(Traduction)

1. À notre grand regret, nous ne pouvons souscrire au constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention auquel la majorité est parvenue en l’espèce.

2. Selon la majorité, la Cour suprême a violé le droit d’accès à un tribunal qui était garanti à la requérante en déclarant irrecevable le pourvoi en cassation (recours limité aux points de droit) formé par celle-ci.

La première et en réalité la seule question qui se posait à la Cour suprême était celle de savoir si le jugement du tribunal de comté était susceptible de pourvoi. D’après nous, la réponse à cette question dépendait de la nature intrinsèque de ce jugement, et non de la qualification que le tribunal de comté lui-même avait pu lui donner. Par conséquent, il nous paraît tout à fait normal que la Cour suprême ait cherché à déterminer si la demande avait une valeur supérieure ou inférieure au seuil légal de 100 000 HRK, sans que la haute juridiction fût aucunement liée par ce que le tribunal de comté avait (implicitement) décidé sur ce point.

En outre, eu égard au libellé de l’article 40 de la loi sur la procédure civile, l’approche retenue par la Cour suprême ne semble pas arbitraire ou manifestement déraisonnable. La Cour suprême a appliqué l’article 40 § 2, qui se réfère à la valeur indiquée par le demandeur dans l’acte introductif d’instance. Elle a constaté que les conditions de modification de cette valeur, énoncées à l’article 40 § 3, n’avaient pas été remplies et elle a donc refusé de baser sa détermination de la valeur de l’objet du litige sur le chiffre plus élevé que M.Z. avait indiqué à l’audience du 6 avril 2005. Selon nous, il est d’autant moins justifié de critiquer le raisonnement de la Cour suprême qu’il semble être conforme à sa jurisprudence bien établie (voir la jurisprudence citée au paragraphe 22 de l’arrêt). Nous ne voyons pas non plus comment l’interprétation adoptée par la Cour suprême peut être considérée comme traduisant « un formalisme excessif » (paragraphe 40 de l’arrêt).

Il n’appartient pas à la Cour d’interpréter le droit interne. Si l’on fait exception des situations dans lesquelles l’interprétation du droit interne par les juridictions nationales est arbitraire ou manifestement déraisonnable, la Cour doit, comme elle l’a rappelé au paragraphe 36 de l’arrêt, se limiter à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de l’interprétation retenue. En l’espèce, cela signifie que la Cour aurait dû apprécier si la déclaration d’irrecevabilité du pourvoi formé devant la Cour suprême était compatible avec le droit d’accès à un tribunal. Nous avons du mal à admettre que la valeur plancher de 100 000 HRK (environ 13 000 EUR) applicable aux demandes en justice fût dépourvue de tout but légitime ou disproportionnée. Sur ce point, nous partageons l’avis du Gouvernement selon lequel il convient de considérer la procédure dans son ensemble et, en particulier, de tenir compte du fait que la requérante a pu faire examiner sa demande en fait et en droit à deux niveaux de juridiction (paragraphe 30 de l’arrêt).

En résumé, nous estimons que la restriction mise au droit pour la requérante d’accéder à la Cour suprême n’a pas violé l’article 6 § 1 de la Convention.

3. Pour parvenir à une conclusion différente, la majorité explique que la Cour suprême « a enfreint le principe général de l’équité procédurale inhérent à l’article 6 § 1 de la Convention ». Selon la majorité, la haute juridiction a « fait subir à la requérante les conséquences des erreurs commises par les juridictions inférieures » (paragraphe 40 de l’arrêt).

À notre connaissance, c’est la première fois que la notion de « principe général de l’équité procédurale » apparaît dans la jurisprudence de la Cour. Il est loin d’être clair à nos yeux que ce principe, « inhérent » à l’article 6 § 1, soit en quoi que ce soit différent du droit à un procès équitable, qui, lui, est explicitement garanti par cette disposition. Nous ne voyons pas non plus ce que serait la relation exacte entre ce droit et le droit d’accès à un tribunal, qui est le seul droit protégé par l’article 6 § 1 que la requérante a invoqué.

Quoi qu’il en soit, nous ne comprenons pas comment il peut être reproché à la Cour suprême d’avoir fait subir à la requérante « les conséquences des erreurs commises par les juridictions inférieures ».

La majorité cite trois arrêts dans lesquels la Cour aurait jugé que les risques liés aux erreurs pouvant être commises par les autorités publiques devaient être supportés par l’État et que pareilles erreurs ne devaient pas être corrigées au détriment des personnes concernées. Ces arrêts concernaient les situations suivantes : la décision de déclarer une demande irrecevable au motif qu’elle avait été signifiée tardivement à la partie défenderesse, alors que la responsabilité de la signification incombait à l’huissier de justice (Platakou c. Grèce, no 38460/97, § 39, CEDH 2001‑I), la décision de déclarer irrecevable pour tardiveté une demande introduite par une partie devant un tribunal, alors que le retard avait été principalement causé par un autre tribunal à l’occasion du transfert de la demande au tribunal compétent (Freitag c. Allemagne, no 71440/01, § 41, 19 juillet 2007), le fait qu’un tribunal n’avait pas correctement signifié une ordonnance, si bien que celle-ci était devenue définitive sans jamais être parvenue à la requérante, et la décision de déclarer irrecevable pour tardiveté un recours formé contre une autre ordonnance, alors que le tribunal avait commis une erreur sur la date à laquelle le recours avait été introduit (Šimecki c. Croatie, no 15253/10, § 46, 30 avril 2014). Dans toutes ces affaires, les requérants ont été sanctionnés sur le plan procédural pour des erreurs commises par des organes de l’État dont ils n’auraient jamais dû être tenus pour responsables.

À notre avis, la présente affaire est d’une nature très différente. La requérante a dû payer les frais de justice afférents aux procédures suivies devant les juridictions inférieures, et si ces frais ont été évalués sur la base d’une valeur de l’objet du litige évaluée à 105 000 HRK, c’est parce que M.Z., le prédécesseur de la requérante, avait indiqué lors de l’audience du 6 avril 2005 que ce montant correspondait à la valeur correcte. Il est vrai que le droit interne n’autorisait pas M.Z. à modifier la valeur de l’objet du litige au cours de la procédure, que les juridictions inférieures n’ont apparemment pas constaté l’illégalité du comportement de M.Z. mais ont, au contraire, accepté la position de ce dernier, et que seule la Cour suprême a relevé que M.Z. avait agi en violation de l’article 40 de la loi sur la procédure civile. Il n’en demeure toutefois pas moins que, dans cette affaire, l’erreur initiale a été commise par le prédécesseur de la requérante et non par un organe de l’État.

Selon nous, le fait que les juridictions inférieures n’aient pas corrigé l’erreur commise par M.Z. n’a pas suscité chez lui une « attente » qui aurait été protégée par l’article 6 § 1 de la Convention et qui lui aurait permis de penser que la Cour suprême déclarerait son pourvoi recevable (comparer avec paragraphe 39 de l’arrêt).

4. Avec le recul, on pourrait dire que la requérante n’a pas été en mesure de profiter de l’erreur commise par son prédécesseur (puisque son pourvoi a été déclaré irrecevable par la Cour suprême sur la base de la valeur initiale de l’objet du litige), même si elle a dû en subir les conséquences défavorables (parce que les frais de justice afférents aux deux niveaux de juridiction qu’elle a été obligée de payer ont été évalués sur la base de la valeur augmentée de l’objet du litige).

Même s’il est compréhensible que la requérante ne soit pas satisfaite d’une telle issue, nous ne considérons pas qu’il s’ensuive que la restriction litigieuse du droit de former un pourvoi devant la Cour suprême était incompatible avec l’article 6 § 1 de la Convention.


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-167748
Date de la décision : 11/10/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Accès à un tribunal)

Parties
Demandeurs : ZUBAC
Défendeurs : CROATIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BAN I.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award