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06/10/2016 | CEDH | N°001-167573

CEDH | CEDH, AFFAIRE K.S. ET M.S. c. ALLEMAGNE, 2016, 001-167573


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE K.S. ET M.S. c. ALLEMAGNE

(Requête no 33696/11)

ARRÊT

STRASBOURG

6 octobre 2016

DÉFINITIF

06/01/2017

Cet arrêt est devenu définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire K.S. et M.S. c. Allemagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Angelika Nußberger,
André Potocki,
Faris

Vehabović,
Síofra O’Leary,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chamb...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE K.S. ET M.S. c. ALLEMAGNE

(Requête no 33696/11)

ARRÊT

STRASBOURG

6 octobre 2016

DÉFINITIF

06/01/2017

Cet arrêt est devenu définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire K.S. et M.S. c. Allemagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Angelika Nußberger,
André Potocki,
Faris Vehabović,
Síofra O’Leary,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 septembre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33696/11) dirigée contre la République fédérale d’Allemagne et dont deux ressortissants de cet État, M. K.S. et Mme M.S. (« les requérants »), ont saisi la Cour le 27 mai 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de leur identité formulée par les requérants (article 47 § 4 du règlement).

2. Les requérants ont été représentés par Me F. Bielefeld, avocat à Munich. Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme K. Behr, du ministère fédéral de la Justice et de la Protection du consommateur.

3. Dans leur requête, les requérants se plaignaient d’une perquisition qui avait été menée à leur domicile. Ils soutenaient que le mandat en vertu duquel elle avait eu lieu reposait sur des preuves obtenues en violation du droit interne et du droit international et que la mesure avait donc emporté violation de l’article 8 de la Convention.

4. Le 3 décembre 2014, le grief tiré de l’article 8 de la Convention a été communiqué au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants, M. K.S. et sa femme, Mme M.S., sont nés respectivement en 1939 et en 1942 ; ils résident à Lauf.

A. La genèse de l’affaire

6. En 2006, les services secrets allemands (Bundesnachrichtendienst) achetèrent à un certain K., pour une importante somme d’argent, un support de données qui contenait des informations financières provenant de la Liechtenstein L. Bank et relatives à 800 personnes. Ces données avaient été illégalement copiées par K., ancien employé de la L. Bank. Le support de données fut ensuite remis aux autorités fiscales allemandes, qui ouvrirent alors, notamment contre les requérants, des poursuites pour évasion fiscale.

B. Le mandat de perquisition et la perquisition du domicile

7. Le 10 avril 2008, le tribunal de district de Bochum (« le tribunal de district »), sur demande du parquet de Bochum, délivra un mandat de perquisition du domicile des requérants, qui étaient soupçonnés de s’être rendus coupables d’évasion fiscale entre 2002 et 2006. Le mandat autorisait la saisie de papiers et autres documents concernant le patrimoine des requérants en Allemagne et à l’étranger, en particulier de documents contenant des informations relatives à des fondations et de tous autres documents susceptibles d’aider à déterminer le véritable montant de l’impôt qui aurait dû être acquitté depuis 2002.

8. Le mandat de perquisition indiquait qu’au cours de ses enquêtes dirigées contre un autre suspect, le parquet avait été informé que les requérants avaient constitué la « K. Foundation » le 17 janvier 2000 et la « T.U. S.A. » le 14 juin 2000. Le mandat précisait qu’ils étaient soupçonnés d’avoir réalisé, par l’intermédiaire de ces deux sociétés, des placements financiers auprès de la L. Bank au Liechtenstein, pour lesquels ils étaient assujettis à l’impôt en Allemagne. Il ajoutait que, dans leurs déclarations de revenus de 2002 à 2006, les requérants avaient omis de déclarer environ 50 000 (EUR) euros d’intérêts annuels, ainsi que le capital de la K. Foundation et de la T.U. S.A., faits constitutifs de fraude fiscale pour des montants de 16 360 EUR en 2002, 24 270 EUR en 2003, 22 500 EUR en 2004, 18 512 EUR en 2005 et 18 000 EUR en 2006. Le mandat exposait enfin que la perquisition du domicile était requise compte tenu de l’urgente nécessité de recueillir d’autres preuves et qu’elle était proportionnée au regard de la mise en balance de la gravité des infractions reprochées et des droits constitutionnels des requérants.

9. Le 23 septembre 2008, l’appartement des requérants fut perquisitionné et une enveloppe contenant des documents de la L. Bank ainsi que cinq dossiers informatiques furent saisis.

C. La procédure devant le tribunal de district de Bochum

10. Les requérants contestèrent le mandat de perquisition, arguant qu’il n’avait pas été délivré conformément au droit. Ils estimaient en effet qu’il était fondé sur des éléments de preuve qui avaient été obtenus en violation du droit international, en particulier de la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 et de la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime du 8 novembre 1990, les données en question ayant été dérobées à la L. Bank et achetées par les services secrets. Ils considéraient par ailleurs que l’acquisition de ces données avait également violé le droit interne en ce que les services secrets n’étaient pas habilités à recueillir des données fiscales. Un tel acte était en effet, selon eux, contraire aux articles 17(1) et 17(2)(2) de la loi sur la concurrence déloyale (« divulgation de secrets officiels » (Geheimnisverrat)) et donc constitutif d’une infraction en vertu du droit allemand. Invoquant enfin le principe de droit allemand consacrant la séparation des services secrets et des autorités de police et de poursuite (Trennungsprinzip), les requérants soutenaient que les services secrets n’étaient pas autorisés à transmettre des données fiscales aux autorités financières ou de poursuite.

11. Le 8 avril 2009, le tribunal de district de Bochum rejeta le recours. Il confirma la légalité de la perquisition du domicile, qu’il estima avoir été effectuée sur le fondement d’un mandat de perquisition conforme au droit. Il ne vit aucune illégalité dans le fait que le mandat avait été basé sur les informations contenues dans le support de données provenant du Liechtenstein, considérant que les données n’avaient été saisies ni en violation directe du droit international ni au prix d’un contournement des traités internationaux.

12. Le tribunal de district de Bochum estima également que les services secrets n’avaient joué qu’un rôle passif dans l’acquisition des informations contenues dans le support de données et que la délivrance du mandat litigieux sur la base de celles-ci était donc justifiée. Il considéra que rien n’indiquait que les services secrets eussent incité un tiers à dérober des données : ils les avaient simplement acceptées lorsqu’elles leur avaient été offertes par le tiers concerné, et le fait qu’ils avaient pu rétribuer le vendeur ne changeait en rien le caractère passif du rôle qu’ils avaient joué. Pour le tribunal, en acquérant le support de données selon les règles prescrites et en remettant les informations aux autorités de poursuite les services secrets n’avaient pas méconnu leurs attributions, étant donné que le support de données contenait 9 600 séries de données concernant des flux financiers internationaux.

D. La procédure devant le tribunal régional de Bochum

13. Le 7 août 2009, le tribunal régional de Bochum rejeta le recours des requérants. Il estima que le mandat de perquisition était légal, indépendamment du point de savoir si les autorités allemandes avaient enfreint le droit pénal interne pour obtenir les preuves. Il considéra en effet que, à supposer même que les autorités allemandes se fussent rendues coupables de « complicité » (Begünstigung, article 257 § 1 du code pénal allemand) et d’« d’assistance à la divulgation de secrets officiels » (Beihilfe zum Geheimnisverrat, articles 17(1) et 17(2)(2) de la loi sur la concurrence déloyale, combinés avec l’article 27 du code pénal allemand) en achetant à K. les données provenant du Liechtenstein et que K. eût commis une infraction d’« espionnage industriel » (Betriebsspionage, article 17(2)(1) de la loi sur la concurrence déloyale), cela ne remettait pas en cause la légalité du mandat. Il se déclara sceptique quant à l’allégation des requérants selon laquelle les données avaient été obtenues en violation du droit international.

14. Concernant la question de savoir si des preuves obtenues illégalement pouvaient être utilisées dans une procédure pénale, le tribunal régional renvoya à une décision qu’il avait rendue le 22 avril 2008 dans une affaire similaire et relativement au même support de données et dans laquelle il avait déclaré que l’intérêt de poursuivre les suspects prévalait sur les possibles violations du droit pénal dès lors que l’acte criminel principal du « vol de données » avait été commis par un tiers et non pas par les autorités allemandes. Il rappela que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour fédérale de justice, des preuves recueillies illégalement par un tiers pouvaient généralement être produites dans un procès pénal, sauf si elles avaient été obtenues par la contrainte ou par la force. Il considéra également que l’utilisation des données « dérobées » concernait non pas un domaine essentiel de la vie privée des requérants mais leurs activités commerciales et que le « vol de données » n’avait pas porté atteinte au premier chef aux droits des requérants, mais au droit à la protection des données de la banque à laquelle elles avaient été « dérobées ». Il estima donc que les données provenant du Liechtenstein pouvaient être admises en tant que preuves et fondement du mandat de perquisition. Quant à la présumée violation du droit international, il déclara qu’une telle violation ne pouvait entraîner l’illégalité du mandat de perquisition, d’une part parce que le droit international ne reconnaissait aucun droit subjectif aux requérants, et, d’autre part, parce que l’utilisation des preuves ne constituait pas en elle‑même une violation du droit international.

E. La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale

15. Le 11 septembre 2009, les requérants introduisirent un recours devant la Cour constitutionnelle fédérale. Ils estimaient que le tribunal régional et le tribunal de district auraient dû juger que le mandat de perquisition était illégal au motif que l’utilisation des données provenant du Liechtenstein comme fondement d’un mandat de perquisition avait violé des traités internationaux et la souveraineté du Liechtenstein, qui avait protesté contre l’utilisation de ces données.

16. Ils soutenaient également que, fondé sur des preuves obtenues par les services secrets et transmises aux autorités de poursuite en violation du droit interne, le mandat de perquisition avait porté atteinte à leur droit au respect de leur domicile garanti par l’article 13 de la Loi fondamentale. Ils plaidaient que l’achat des données à K. s’analysait en une infraction et que le droit allemand n’habilitait pas les services secrets à acheter de telles données. Ils estimaient par ailleurs qu’en transférant les données provenant du Liechtenstein aux autorités financières et de poursuite les services secrets avaient violé le principe de séparation des services secrets et des autorités de poursuite qui était en vigueur en Allemagne. Selon eux, la violation du droit interne était si grave que les juridictions pénales auraient dû conclure que les données provenant du Liechtenstein ne pouvaient servir de fondement à un mandat de perquisition et déclarer le mandat litigieux illégal.

17. Le 9 novembre 2010, la Cour constitutionnelle fédérale déclara le recours constitutionnel manifestement mal fondé et conclut que le fait que le mandat de perquisition eût été fondé sur les données provenant du Liechtenstein n’avait pas porté atteinte à l’article 13 de la Loi fondamentale.

18. La Cour constitutionnelle fédérale rappela qu’aucune règle absolue n’interdisait l’utilisation dans un procès pénal de preuves recueillies en violation des règles procédurales (comparer avec le paragraphe 28 ci‑dessous). Elle souligna également qu’il convenait de garder à l’esprit qu’il ne s’agissait pas, en l’espèce, de savoir si des preuves pouvaient être admises dans un procès pé nal, mais seulement si des preuves qui avaient pu être obtenues en violation des règles procédurales pouvaient servir de fondement à un mandat de perquisition dans le cadre d’une enquête pénale. Elle ajouta que l’irrecevabilité d’une preuve au procès pénal n’emportait pas automatiquement son irrecevabilité à tous les stades de l’enquête pénale.

19. La Cour rappela également qu’il ne lui appartenait pas de se substituer aux autorités dans l’interprétation et l’application du droit interne, mais qu’il lui revenait d’examiner, au regard de la Loi fondamentale, les décisions prises par les autorités dans l’exercice de leur marge d’appréciation.

20. Appliquant ces principes généraux au cas d’espèce, la Cour constitutionnelle fédérale jugea d’emblée qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si les données avaient été obtenues en violation du droit interne ou international, ou du principe de séparation des services secrets et des autorités de poursuite en Allemagne, puisque le tribunal régional avait précisé dans sa décision qu’il avait pour statuer supposé correcte l’allégation des requérants selon laquelle ces preuves avaient été recueillies en violation du droit interne et du droit international, y compris du droit pénal.

21. La Cour constitutionnelle fédérale conclut que le fait pour le tribunal régional d’avoir fondé son appréciation juridique sur la supposition selon laquelle les données avaient été obtenues en violation du droit interne et/ou international ne pouvait être considéré comme arbitraire et ne portait donc pas atteinte à l’article 13 de la Loi fondamentale. Selon elle, la conclusion du tribunal régional selon laquelle les requérants ne pouvaient invoquer le droit international en leur faveur ne faisait qu’exprimer une opinion juridique différente, sans méconnaître les droits fondamentaux des requérants. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle fédérale jugea raisonnable l’appréciation juridique faite par le tribunal de district et le tribunal régional quant à la non-violation du principe de séparation des services secrets et des autorités de poursuite, dans la mesure où il ressortait des faits de l’espèce que c’était K. qui, de sa propre initiative, avait offert les données aux services secrets et que rien n’indiquait que ces derniers eussent ordonné ou coordonné le « vol de données ». Pour la haute juridiction, recueillir des données de cette manière et les transmettre aux autorités de poursuite ne pouvait violer le principe de séparation ni, par conséquent, emporter inconstitutionnalité du mandat de perquisition pour la délivrance duquel elles avaient servi de fondement.

22. La Cour constitutionnelle fédérale jugea également que l’appréciation juridique du tribunal régional, qui avait abouti à la conclusion selon laquelle le mandat de perquisition pouvait se fonder sur les données provenant du Liechtenstein, avait suffisamment tenu compte des droits fondamentaux des requérants dès lors que, pour y parvenir, le tribunal était parti de la supposition la plus favorable aux requérants, à savoir que ces preuves avaient été recueillies en violation du droit interne.

23. La Cour constitutionnelle fédérale considéra enfin que le tribunal régional avait ménagé un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu. Selon elle, la violation alléguée du droit interne et/ou international n’emportait pas une interdiction impérative d’utiliser les preuves dans la procédure litigieuse. La haute juridiction estima par ailleurs que le tribunal régional avait souligné à juste titre que les données ne relevaient pas d’un domaine essentiel de la vie privée des requérants mais de leurs activités commerciales. Elle jugea que, ce faisant, il avait reconnu l’intérêt déterminant en jeu, à savoir le droit des requérants à l’inviolabilité de leur domicile, et en avait suffisamment tenu compte, rien n’indiquant que les autorités allemandes eussent volontairement et systématiquement méconnu le droit international ou le droit interne pour obtenir le support de données.

F. La procédure pénale devant le tribunal de district de Nuremberg

24. Le 2 août 2012, le tribunal de district de Nuremberg relaxa les requérants de l’infraction d’évasion fiscale, estimant qu’il n’avait pas été prouvé au-delà de tout doute raisonnable que le capital de la fondation constituée par ces derniers eût été investi de manière à rapporter des intérêts.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Les dispositions de la Constitution allemande (« la Loi fondamentale »)

25. L’article 13 de la Loi fondamentale, qui garantit l’inviolabilité du domicile, est ainsi libellé :

Article 13 de la Loi fondamentale

« (1) Le domicile est inviolable.

(2) Des perquisitions ne peuvent être ordonnées que par le juge ainsi que, s’il y a péril en la demeure, par les autres organes prévus par les lois ; elles ne peuvent être effectuées que dans la forme y prescrite (...) »

B. Les dispositions du code de procédure pénale

26. Les règles et garanties relatives à la perquisition du domicile d’une personne et la saisie des objets trouvés pendant la perquisition sont exposées dans les articles 102 à 108 du code de procédure pénale, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

Article 102

« Il peut être procédé à la perquisition du domicile ainsi qu’à la fouille à corps et à la fouille des effets de la personne soupçonnée d’être l’auteur d’une infraction, d’y avoir pris part, de l’avoir facilitée ou d’être l’auteur d’un recel, s’il s’agit d’arrêter cette personne ou s’il y a lieu de présumer que la perquisition pourra conduire à la découverte de preuves. »

Article 105

« (1) Les perquisitions ne peuvent être ordonnées que par le juge, et en cas de grande urgence par le ministère public et ses auxiliaires (...) »

C. Les règles et pratiques sur la recevabilité des preuves

27. La seule règle générale que contienne le code allemand concernant la recevabilité des preuves est l’article 136a, qui prévoit que les aveux obtenus par la torture, par des traitements inhumains ou dégradants ou par une contrainte illégale ne peuvent être utilisés comme moyen de preuve contre l’accusé.

28. En dehors de l’interdiction consacrée par l’article 136a, en revanche, selon une jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle fédérale (voir, entre autres, les arrêts nos 2 BvR 2017/94 et 2 BvR 2039/94 du 1er mars 2000, et no 2 BvR 784/08 du 28 juillet 2008) et de la Cour fédérale de justice (voir, entre autres, l’arrêt no 5 StR 190/91 du 27 février 1992), aucune règle absolue n’interdit l’utilisation dans un procès pénal de preuves recueillies en violation des règles procédurales (Beweisverwertungsverbot). Les juridictions doivent en principe tenir compte de toutes les preuves disponibles pour établir objectivement si un accusé est coupable ou non, car un État ne peut fonctionner s’il ne garantit pas que les auteurs d’infraction seront poursuivis et condamnés (Cour constitutionnelle fédérale, no 2 BvL 7/71 du 19 juillet 1972). L’interdiction d’utiliser une preuve doit donc demeurer une exception (Cour constitutionnelle fédérale, no 3 StR 181/98 du 11 novembre 1998). Pareille interdiction est toutefois impérative lorsque l’on est en présence d’une violation grave, délibérée ou arbitraire des règles procédurales qui a systématiquement ignoré les garanties constitutionnelles, ou lorsque la preuve a été obtenue en violation de droits constitutionnels qui relèvent d’un domaine essentiel de la vie privée (voir, entre autres, l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale, no 2 BvR 1027/02 du 12 avril 2005). La question de savoir si l’utilisation d’une preuve doit être interdite ne peut être tranchée de manière générale mais doit être déterminée au cas par cas.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

29. Les requérants soutiennent que le mandat de perquisition reposait sur des preuves obtenues en violation du droit international et du droit interne et que la perquisition de leur domicile a donc emporté violation de l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

Article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

30. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

31. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Sur l’existence d’une ingérence

32. Nul ne conteste que la perquisition litigieuse a constitué une ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de leur domicile, et la Cour ne voit aucune raison d’en juger autrement.

2. Sur la justification de l’ingérence

33. Il convient donc de déterminer si cette ingérence pouvait se justifier sous l’angle du paragraphe 2 de l’article 8 ou, en d’autres termes, si elle était « prévue par la loi », si elle poursuivait un ou plusieurs des buts énumérés dans cette disposition et si elle était « nécessaire, dans une société démocratique » à l’accomplissement de l’un de ces buts.

a) Sur le point de savoir si l’ingérence était « prévue par la loi »

34. Concernant la question de savoir si la mesure était prévue par la loi, la jurisprudence de la Cour a établi qu’une mesure doit avoir une base en droit interne, le terme « loi » devant être entendu dans son acception « matérielle » et non « formelle ». Dans un domaine régi par le droit écrit, la « loi » est le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l’ont interprété (Robathin c. Autriche, no 30457/06, § 40, 3 juillet 2012). Le droit interne doit également être compatible avec la prééminence du droit et accessible à la personne concernée, qui doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle (voir, parmi beaucoup d’autres, Robathin, précité, § 40 ; et Kennedy c. Royaume-Uni, no 26839/05, § 151, 18 mai 2010).

35. En l’espèce, la Cour note que la perquisition du domicile des requérants était fondée sur les dispositions pertinentes du code allemand de procédure pénale, plus précisément sur ses articles 102 et 105 (paragraphe 26 ci-dessus). En ce qui concerne la prévisibilité de leur application au cas d’espèce, la Cour prend note de la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle fédérale selon laquelle aucune règle absolue n’interdit l’utilisation dans un procès pénal de preuves recueillies en violation des règles procédurales (paragraphe 28 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour estime que les requérants étaient à même de prévoir – au besoin après avoir pris conseil auprès d’un juriste – que les autorités nationales s’estimeraient en droit de fonder le mandat de perquisition sur les données provenant du Liechtenstein, même si elles avaient pu être recueillies en violation de la loi. Dès lors, la Cour considère que la mesure litigieuse était « prévue par la loi ».

b) Sur le point de savoir si l’ingérence poursuivait un but légitime

36. La Cour observe également que la perquisition litigieuse fut ordonnée dans le contexte d’une enquête pénale relative à des soupçons d’évasion fiscale, qui avait été ouverte après l’achat du support de données provenant du Liechtenstein. Elle poursuivait donc un but légitime, à savoir la prévention des infractions pénales (comparer avec Camenzind c. Suisse, 16 décembre 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII).

c) Sur le point de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique »

i. Thèses des parties

37. Les requérants arguent que le mandat de perquisition reposait sur des preuves obtenues en violation du droit allemand et du droit international et que leur droit au respect de leur domicile a donc été violé. Ils soutiennent que l’achat des données à K. était constitutif d’une infraction et que les services secrets n’étaient pas habilités par le droit allemand à acheter de telles données.

38. Ils considèrent que la violation du droit allemand était si grave que les données provenant du Liechtenstein n’auraient pas dû servir de fondement au mandat de perquisition. Ils estiment en conséquence que l’atteinte portée à leur droit au respect de leur domicile n’était pas proportionnée au but recherché. Ils plaident enfin que la perquisition a revêtu un caractère excessif dans la mesure où elle s’est étendue à l’examen de leur testament.

39. Le Gouvernement soutient quant à lui que le mandat de perquisition était conforme à l’article 8 § 2 de la Convention. Il considère que la décision d’effectuer une perquisition s’appuyait sur des raisons plausibles de soupçonner les requérants de s’être rendus coupables d’évasion fiscale entre 2002 et 2006. Il ajoute que le mandat de perquisition avait été soumis à un contrôle juridictionnel préalable et qu’il indiquait les motifs justifiant sa délivrance. Il estime donc que les requérants ont bénéficié de garanties suffisantes contre les abus.

40. Il considère également que la décision du tribunal régional ménageait un juste équilibre entre le droit des requérants au respect de leur domicile et l’intérêt général à poursuivre les infractions. Il relève que le tribunal avait envisagé la possibilité que les données provenant du Liechtenstein eussent été recueillies par le biais d’une infraction, mais qu’il avait néanmoins jugé que ces données étaient de nature à justifier un mandat de perquisition visant, dans le cadre de l’enquête, à la découverte d’autres preuves, de manière à ce que des poursuites pénales effectives pussent être menées.

41. Il ressort des observations du Gouvernement et des documents qui s’y trouvaient annexés que la série de données litigieuse était la première série de données fiscales à avoir été acquise par les autorités allemandes. Par ailleurs, les décisions du tribunal régional de Bochum mentionnées ci‑dessus figuraient parmi les premières à avoir été rendues sur la question de savoir si des données recueillies illégalement pouvaient servir de fondement à un mandat de perquisition.

ii. Appréciation de la Cour

42. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, la notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime recherché. Pour déterminer si une ingérence est « nécessaire dans une société démocratique », la Cour prend en compte la marge d’appréciation laissée aux États contractants (Keegan c. Royaume-Uni, no 28867/03, § 31, CEDH 2006‑X). Toutefois, les exceptions prévues au paragraphe 2 de l’article 8 doivent être interprétées de manière restrictive et la nécessité de recourir dans un cas donné à certaines mesures doit se trouver établie de manière convaincante (Mastepan c. Russie, no 3708/03, § 40, 14 janvier 2010, et les affaires qui y sont citées : Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 43, 7 juin 2007, et Miailhe c. France (no 1), 25 février 1993, § 36, série A no 256‑C).

43. La Cour a toujours jugé que les États contractants peuvent estimer nécessaire de recourir à des mesures telles que des perquisitions et des saisies pour établir la preuve matérielle de certaines infractions (Vasylchuk c. Ukraine, no 24402/07, § 79, 13 juin 2013). Elle contrôle alors le caractère pertinent et suffisant des motifs invoqués pour justifier pareilles mesures, ainsi que le respect du principe de proportionnalité susmentionné (Smirnov, précité, § 44).

44. En ce qui concerne ce dernier point, la Cour doit d’abord veiller à ce que la législation et la pratique pertinentes apportent aux individus des garanties adéquates et effectives contre les abus (Société Colas Est et autres c. France, no 37971/97, § 48, CEDH 2002‑III, et Funke c. France, 25 février 1993, § 56, série A no 256‑A). Elle doit ensuite examiner les circonstances particulières de l’espèce afin de déterminer si, in concreto, l’ingérence litigieuse était proportionnée au but recherché. Les critères que la Cour prend en compte pour trancher cette dernière question sont notamment la gravité de l’infraction qui a motivé la perquisition et la saisie, les circonstances dans lesquelles le mandat a été émis et la façon dont il l’a été, en particulier les autres éléments de preuve qui étaient disponibles à l’époque, le contenu et l’étendue du mandat, eu égard en particulier à la nature des lieux perquisitionnés et aux garanties prises pour que la mesure n’ait pas d’effets déraisonnables, et l’étendue des répercussions possibles sur la réputation de la personne visée par la perquisition (Buck c. Allemagne, no 41604/98, § 45, CEDH 2005‑IV, et Smirnov, précité, § 44).

45. S’agissant des garanties contre les abus ménagées par la législation et la pratique allemandes pour les cas de perquisition tels que celui de l’espèce, la Cour note que de telles mesures ne peuvent, sauf urgence, être ordonnées que par un juge et moyennant les conditions limitatives énoncées par le code de procédure pénale (paragraphe 26 ci-dessus). Toutefois, s’il est vrai qu’il s’agit là d’une considération extrêmement importante, le fait qu’une demande de mandat ait fait l’objet d’un contrôle juridictionnel ne sera pas forcément considéré comme constituant en soi une garantie suffisante contre les abus. La Cour doit examiner les circonstances particulières de l’espèce et évaluer si le cadre juridique et les limites appliquées aux compétences exercées constituaient une protection adéquate contre le risque d’ingérences arbitraires des autorités (Cronin c. Royaume-Uni (déc.), no 15848/03, 6 janvier 2004).

46. La Cour observe qu’aux termes de l’article 102 du code de procédure pénale il ne peut être procédé à la perquisition du domicile d’un individu qu’à condition qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner l’intéressé d’avoir commis une infraction et qu’il y ait lieu de présumer que la perquisition pourra conduire à la découverte de preuves (paragraphe 26 ci-dessus). En outre, la personne concernée peut contester la légalité d’un mandat de perquisition même lorsque celui-ci a déjà été exécuté (comparer avec Buck, précité, § 46). La Cour relève enfin que, d’après la jurisprudence nationale constante, même si aucune règle absolue n’interdit l’utilisation dans un procès pénal de preuves recueillies en violation des règles procédurales, la Cour constitutionnelle fédérale estime que l’utilisation de preuves est interdite lorsque l’on est en présence d’une violation grave, délibérée ou arbitraire des règles procédurales qui a systématiquement ignoré les garanties constitutionnelles (paragraphe 28 ci-dessus).

47. En l’espèce, les requérants ont d’abord saisi le tribunal de district de Bochum, qui a examiné la légalité du mandat de perquisition. Après le rejet de leur recours, ils ont fait appel devant le tribunal régional de Bochum, qui s’est à son tour prononcé sur la légalité du mandat (paragraphes 13 et 14 ci‑dessus). La Cour note en outre que le tribunal régional ne s’est pas limité à apprécier si le mandat de perquisition était conforme aux dispositions nationales, mais qu’il a également examiné si l’utilisation des données provenant du Liechtenstein pour justifier le mandat de perquisition était conforme à la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle fédérale concernant l’utilisation des preuves dans les procédures pénales. Il y a donc lieu de considérer que les garanties prévues par la législation et la jurisprudence allemandes contre les abus dans le cadre des perquisitions en général sont adéquates et effectives et qu’elles ont été respectées en l’espèce.

48. Quant à la proportionnalité entre le mandat de perquisition et le but légitime recherché dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour, au regard des critères pertinents établis dans sa jurisprudence, observe en premier lieu que le mandat de perquisition fut délivré dans le cadre d’une enquête portant sur des soupçons d’évasion fiscale, une infraction qui a des répercussions sur les ressources de l’État et la capacité de celui-ci à agir dans l’intérêt collectif. L’évasion fiscale est en tant que telle une infraction grave. Ce fait a été souligné dans une affaire analogue au cas d’espèce, dans laquelle les soupçons d’évasion fiscale concernaient un montant d’environ 100 000 EUR (voir, à cet égard, la Convention de l’OCDE concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, élaborée en 1988 et amendée en 2010, selon laquelle la lutte contre l’évasion fiscale est une priorité pour tous les pays membres). Assurément, dans le domaine considéré ‑ la lutte contre l’évasion des capitaux et contre la fuite devant l’impôt ‑ les États rencontrent de sérieuses difficultés résultant de l’étendue et de la complexité des réseaux bancaires et des circuits financiers ainsi que des multiples possibilités de placements internationaux, facilitées par la relative perméabilité des frontières (comparer avec Crémieux c. France, 25 février 1993, § 39, série A no 256‑B, et Funke, précité, § 56).

49. Concernant les modalités et circonstances de l’émission du mandat, la Cour observe que la perquisition fut ordonnée aux fins d’obtention d’autres preuves. Les données provenant du Liechtenstein étaient à l’époque les seules preuves disponibles suggérant que les requérants pouvaient s’être rendus coupables d’évasion fiscale. Il apparaît ainsi que le mandat de perquisition était à l’époque le seul moyen d’établir la réalité de l’infraction dans leur chef (comparer avec Buck, précité, § 49). L’essentiel du grief des requérants dans ce contexte consiste à soutenir que le mandat de perquisition était basé sur des preuves qui avaient été obtenues en violation flagrante du droit international et du droit interne et qui auraient donc dû être exclues comme fondement du mandat (paragraphes 37 et 38 ci-dessus).

50. À cet égard, la Cour relève que la Cour constitutionnelle fédérale n’a pas jugé nécessaire de statuer sur la question de savoir si le support de données avait été obtenu en violation du droit international et du droit interne, considérant que le tribunal régional avait fondé sa décision sur ce qui était la supposition la plus favorable aux requérants, à savoir que les preuves pouvaient effectivement avoir été recueillies illégalement. La Cour juge donc qu’il n’est pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce, mais elle s’appuiera sur la même supposition.

51. La Cour attache une importance particulière au fait qu’il est incontesté qu’au moment où le mandat de perquisition fut délivré, la série de données litigieuse était l’une des rares à avoir jamais été achetées par les autorités allemandes, voire la seule. En outre, seules quelques procédures pénales avaient été ouvertes sur la base de données fiscales recueillies illégalement (comparer avec le paragraphe 41 ci-dessus), et toutes s’appuyaient sur la série de données qui se trouve au cœur de la présente espèce (paragraphe 14 ci-dessus). Par conséquent, aucune pièce produite par les parties n’indique qu’à l’époque les autorités fiscales nationales aient délibérément agi à la lumière d’une jurisprudence nationale constante qui aurait confirmé que les données fiscales recueillies illégalement pouvaient être utilisées pour justifier un mandat de perquisition. De même, le simple fait que, selon la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle fédérale (paragraphe 28 ci-dessus), aucune règle absolue n’interdise l’utilisation dans un procès pénal de preuves recueillies en violation des règles procédurales ne signifie pas que les autorités aient délibérément recueilli les données en violation du droit international et du droit interne.

52. En outre, rien dans le dossier dont la Cour dispose n’indique que les autorités allemandes eussent à l’époque une pratique de violation délibérée et systématique du droit interne et du droit international pour recueillir des informations en vue de poursuivre des infractions fiscales. La conclusion de la Cour constitutionnelle fédérale sur ce point (paragraphe 23 ci-dessus) n’a pas été contestée par les requérants.

53. La Cour relève par ailleurs qu’en achetant le support de données à K., les autorités allemandes pourraient tout au plus s’être rendues coupables de complicité de divulgation de secrets officiels, et que K. pourrait avoir commis une infraction d’espionnage industriel (comparer avec le paragraphe 13 ci-dessus). Par conséquent, pour délivrer le mandat de perquisition, les autorités allemandes ne se sont pas appuyées sur des preuves matérielles directement obtenues par la violation de l’un des droits essentiels de la Convention. En outre, le support de données contenait seulement des informations relatives à la situation financière des requérants que ceux-ci étaient tenus de remettre aux autorités fiscales nationales, mais aucune information étroitement liée à leur identité (comparer avec G.S.B. c. Suisse, no 28601/11, § 93, 22 décembre 2015).

54. S’agissant de la teneur et de l’étendue du mandat de perquisition, la Cour relève qu’il indiquait les motifs sur lesquels il était fondé, à savoir que les requérants étaient soupçonnés d’avoir réalisé des placements financiers au Liechtenstein pour lesquels ils étaient assujettis à l’impôt en Allemagne, mais qu’ils avaient omis de déclarer environ 50 000 EUR d’intérêts annuels dans leurs déclarations de revenus pour les années 2002 à 2006. Le mandat précisait en outre que la perquisition du domicile était requise compte tenu de l’urgente nécessité de recueillir d’autres preuves (paragraphe 8 ci‑dessus). Quant à l’étendue du mandat, la Cour observe qu’il autorisait la saisie de papiers et autres documents concernant le patrimoine des requérants en Allemagne et à l’étranger et, en particulier, de documents contenant des informations relatives à des fondations et de tous autres documents susceptibles d’aider à déterminer le véritable montant de l’impôt qui aurait dû être acquitté depuis 2002. La Cour considère donc que le mandat de perquisition avait une teneur et une étendue plutôt précises puisqu’il contenait une référence expresse et détaillée à l’infraction d’évasion fiscale visée par l’enquête et qu’il indiquait les pièces recherchées comme éléments de preuve (comparer avec Roemen et Schmit c. Luxembourg, no 51772/99, § 70, CEDH 2003‑IV, et Robathin c. Autriche, no 30457/06, § 47, 3 juillet 2012). Rien n’indique donc que le mandat ne fût pas limité au strict nécessaire dans les circonstances de l’espèce.

55. En ce qui concerne l’étendue du mandat de perquisition, la Cour prend également note de l’allégation des requérants selon laquelle la perquisition s’est étendue à l’examen de leur testament. La Cour attache du poids au fait que s’il constitue un document très privé, un testament peut contenir des informations sur l’étendue du patrimoine de son auteur. Dans la mesure où l’officier enquêteur n’a pas saisi le testament des requérants, mais seulement une enveloppe contenant des documents de la L. Bank et cinq dossiers informatiques (paragraphe 9 ci-dessus), la Cour considère que la seule inspection du testament n’a pas porté une atteinte disproportionnée à la sphère privée des requérants (comparer avec Smirnov, précité, § 48).

56. Concernant enfin les répercussions qu’une perquisition peut avoir sur la réputation de la personne visée, la Cour observe qu’en l’espèce les requérants n’ont pas allégué que la perquisition effectuée à leur domicile ait eu la moindre retombée négative sur leur réputation personnelle.

57. Compte tenu de ce que les États contractants disposent d’une marge d’appréciation relativement au droit et aux pratiques internes régissant les conditions dans lesquelles des locaux d’habitation peuvent être perquisitionnés (paragraphe 42 ci-dessus), on ne peut dire qu’en fondant le mandat de perquisition litigieux sur les données provenant du Liechtenstein et en considérant que l’atteinte portée au droit des requérants au respect de leur domicile était proportionnée au but légitime recherché, les juridictions nationales aient outrepassé leur marge de manœuvre. L’ingérence litigieuse était donc nécessaire dans une société démocratique.

58. Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

59. Invoquant l’article 6 de la Convention, et spécialement le principe de l’égalité des armes, les requérants se plaignent de s’être vu refuser, dans le cadre de la procédure au travers de laquelle ils ont contesté la perquisition de leur domicile, tout accès aux informations relatives au rôle des services secrets, aux procès-verbaux des interrogatoires de K. et au support de données original.

60. Les requérants reprochent également aux juridictions nationales de ne pas avoir pris en compte tous leurs arguments concernant les questions de savoir si le droit international avait ou non été respecté et si les services secrets avaient légitimement pu remettre les données recueillies aux autorités de poursuite. Ils y voient une violation de leur droit à être entendu.

61. Ils estiment en outre que de nombreux éléments indiquent que les autorités allemandes auraient joué un rôle actif dans l’achat des données provenant du Liechtenstein et que les services secrets allemands auraient incité K. à les dérober.

62. Pour autant que les faits litigieux relèvent de sa compétence, la Cour considère quant à elle que les pièces du dossier ne font apparaître aucune violation de l’article 6 de la Convention.

63. Il en découle que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 6 octobre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Milan BlaškoGanna Yudkivska
Greffier adjoint de sectionPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Vehabović.

G.Y.
M.B.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE VEHABOVIĆ

Malgré quelque hésitation, j’ai voté avec mes collègues dans cette affaire, compte tenu des particularités de la cause des requérants et de la situation générale qui existe en Allemagne concernant les règles et pratiques en matière de recevabilité des preuves.

À mon sens, la chambre aurait dû accorder plus d’attention au principe de subsidiarité et à la marge d’appréciation dans ce cas particulier. L’un et l’autre transparaissent dans l’arrêt, mais ils auraient dû prévaloir dans les considérations qui ont abouti à la conclusion de la Cour dans cette affaire.

Les juridictions internes qui ont eu à connaître de la présente affaire ont examiné les allégations des requérants selon lesquelles la décision de délivrer le mandat de perquisition avait été fondée sur des preuves recueillies illégalement, ce qui emportait, selon eux, non-conformité de l’ingérence au droit interne et au droit international – question abordée aux paragraphes 34-35 de l’arrêt. La Cour aurait donc dû développer et traiter dans son arrêt les principes susmentionnés, tels qu’ils sont illustrés ci‑dessous. Dans l’affaire Goranova-Karaeneva c. Bulgarie (no 12739/05, § 46, 8 mars 2011), la Cour a ainsi conclu : « Il incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et appliquer le droit interne (...) Lorsque la Cour doit exercer un certain contrôle en la matière parce que l’inobservation du droit interne est susceptible d’emporter violation de l’article 8, l’ampleur de la tâche dont elle s’acquitte trouve des limites inhérentes à la nature subsidiaire de la Convention et elle ne peut remettre en cause la manière dont les juridictions nationales ont interprété et appliqué le droit interne, sauf en cas d’inobservation flagrante ou d’application arbitraire » (Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 29, série A no 176‑A, Huvig c. France, 24 avril 1990, § 28, série A no 176‑B, et, mutatis mutandis, Galovic c. Croatie (déc.), no 54388/09, 5 mars 2013, §§ 58-61). En l’espèce (comme dans n’importe quelle autre affaire), le rôle de la Cour se limitait à déterminer si les décisions des juridictions nationales (paragraphes 10-23 de l’arrêt) avaient été arbitraires ou non, l’arbitraire emportant illégalité de l’ingérence (voir, mutatis mutandis, Slivenko c. Lettonie (déc.) [GC], no 48321/99, §§ 105-06, CEDH 2002-II).

Plus généralement, cet arrêt aurait dû réfléchir à la question de savoir si la condition de « prévisibilité » inhérente à la notion de légalité était satisfaite en l’espèce : un individu, même après avoir pris conseil auprès d’un juriste, peut-il prévoir que son domicile pourrait être perquisitionné et ses biens saisis sur la base d’un mandat obtenu grâce à des informations financières le concernant qui sont couvertes par le secret bancaire et qui ont été « dérobées » par un tiers ?

Dans l’affaire G.S.B. c. Suisse (no 28601/11, 22 décembre 2015), la Cour s’est exprimée comme suit :

« 89. Les organes de la Convention ont eu l’occasion d’établir certains principes régissant la divulgation de données de nature sensible, en particulier médicale (Z. c. Finlande, 25 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I ; et M.S. c. Suède, 27 août 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑IV), concernant la situation financière d’un homme politique (Wypych c. Pologne (déc.), no 2428/05, 25 octobre 2005) ou des données fiscales (Lundvall c. Suède, no 10473/83, décision de la Commission du 1er décembre 1985, Décisions et rapports (DR) 45, p. 121).

90. Il découle des principes posés par ces affaires que la Cour tient compte, en cette matière, du rôle fondamental que joue la protection des données à caractère personnel pour l’exercice du droit au respect de la vie privée garantie par l’article 8. Ainsi, la législation interne doit ménager des garanties appropriées pour empêcher toute communication ou divulgation de données à caractère personnel qui ne serait pas conforme aux exigences de l’article 8. Par ailleurs, la Cour admet que la protection de la confidentialité de certaines données personnelles peut parfois s’effacer devant la nécessité d’enquêter sur des infractions pénales, d’en poursuivre les auteurs et de protéger la publicité des procédures judiciaires lorsqu’il s’avère que ces derniers intérêts revêtent une importance encore plus grande. Enfin, la Cour reconnaît qu’il convient d’accorder aux autorités nationales compétentes une certaine latitude pour établir un juste équilibre entre la protection des intérêts publics poursuivis, d’une part, et celle des intérêts d’une partie ou d’une tierce personne à voir certaines données rester confidentielles, d’autre part (voir notamment Z. c. Finlande, précité, §§ 94, 95 et 97-99).

91. Ces principes concernant la divulgation de certaines informations ont largement été confirmés et développés par la Cour dans des affaires relatives à la conservation d’informations à caractère personnel (voir, en particulier, les affaires S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, CEDH 2008 ; et Khelili c. Suisse, no 16188/07, §§ 61 et suiv., 18 octobre 2011). C’est dans ce cadre que la Cour étudiera l’ingérence litigieuse dans le droit du requérant au respect de sa vie privée. »

Le raisonnement développé dans le présent arrêt aurait dû être plus étroit et davantage fondé sur les principes établis dans G.S.B. c. Suisse.

D’une manière générale, dans la majeure partie des systèmes juridiques européens, la doctrine dite du fruit de l’arbre empoisonné constitue un obstacle absolu à l’utilisation dans une procédure pénale de preuves telles que celles incriminées en l’espèce comme à la possibilité pour la juridiction de fonder ses conclusions (ou une condamnation) sur pareilles preuves, mais ce n’est pas le cas en Allemagne. Je ne doute absolument pas que la procédure pénale ici en cause ait commencé au moment où les autorités compétentes ont pris les premières mesures dans le cadre de l’enquête pénale dont les requérants faisaient l’objet. Dans de nombreux systèmes juridiques européens, si le dossier constitué dans le cadre d’une procédure pénale comporte des preuves recueillies en violation du droit applicable à la procédure pénale ou des droits fondamentaux, il en est expurgé lorsque l’affaire passe en jugement. En Allemagne, les dispositions qui contiennent une interdiction d’utiliser certaines preuves sont très peu nombreuses. Par conséquent, semblable interdiction doit être explicitement prévue par la loi ou résulter de la mise en balance de l’intérêt général à poursuivre les auteurs d’infractions et des intérêts juridiques de l’accusé. En tant que juges de la Cour européenne, nous devons être conscients de certaines limitations, même lorsque nous venons d’un contexte juridique différent, mais dans de tels cas l’accent devrait être mis sur deux principes fondamentaux de la Convention européenne : la subsidiarité et la marge d’appréciation.


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-167573
Date de la décision : 06/10/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect du domicile)

Parties
Demandeurs : K.S. ET M.S.
Défendeurs : ALLEMAGNE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BIELEFELD F.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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