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13/09/2016 | CEDH | N°001-166749

CEDH | CEDH, AFFAIRE SIEMASZKO ET OLSZYŃSKI c. POLOGNE, 2016, 001-166749


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRES SIEMASZKO ET OLSZYńSKI c. POLOGNE

(Requêtes nos 60975/08 et 35410/09)

ARRÊT

STRASBOURG

13 septembre 2016

DÉFINITIF

06/03/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Siemaszko et Olszyński c. Pologne,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Nona Tsotsori

a,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus Kūris,
Iulia Motoc, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,
...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRES SIEMASZKO ET OLSZYńSKI c. POLOGNE

(Requêtes nos 60975/08 et 35410/09)

ARRÊT

STRASBOURG

13 septembre 2016

DÉFINITIF

06/03/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Siemaszko et Olszyński c. Pologne,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus Kūris,
Iulia Motoc, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 août 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 60975/08 et 35410/09) dirigées contre la République de Pologne et dont deux ressortissants de cet État, MM. Marek Siemaszko (« le premier requérant ») et Jan Olszyński (« le deuxième requérant »), ont saisi la Cour respectivement le 24 novembre 2008 et le 19 juin 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, ont été représentés respectivement par Me K. Gotkowicz, avocat à Gdańsk, et par Me Z. Wawak, avocat à Bielsko-Biała. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. J. Wołąsiewicz, auquel a succédé Mme J. Chrzanowska, du ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérants se plaignent d’une violation de leur droit au respect des biens : ils allèguent que la valeur de leur pécule de libération a diminué en raison de l’obligation qui leur a été faite de placer les sommes constituant ledit pécule sur un livret présentant un taux d’intérêt faible.

4. Le 13 janvier 2012 et le 15 novembre 2010, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement. En outre, des observations ont été reçues de la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme, que le président avait autorisée à intervenir dans la procédure écrite relative à la requête no 35410/09 (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants, nés respectivement en 1976 et en 1975, résident respectivement à Morąg et à Bielsko-Biała.

A. Le requérant Marek Siemaszko

6. À la date d’introduction de la présente requête, le premier requérant purgeait, depuis une date non précisée, une peine de réclusion criminelle de seize ans.

7. En juin 2000, alors qu’il était incarcéré à la prison de Poznań, l’administration pénitentiaire ouvrit pour le compte et au nom du requérant un livret dénommé « livret à vue » (konto bankowe z książeczką oszczędnościową płatną na żądanie) à la banque PKO BP. Entre le mois d’août 2000 et le mois de mars 2012, dix-neuf versements furent effectués sur ce livret, à la suite de quoi la valeur de son épargne avait atteint 1 600 zlotys polonais (PLN).

8. À plusieurs reprises, le requérant se plaignit aux autorités que le taux d’intérêt du livret dont il était détenteur était le plus bas sur le marché. Il leur demanda de l’autoriser à placer son épargne sur un autre livret, susceptible de lui procurer une rémunération plus intéressante.

9. Par des lettres qu’il fit parvenir au requérant les 4 novembre et 22 décembre 2008, le responsable de la prison de Barczewo informa l’intéressé que, en application de l’article 126 du code d’application des peines (« le CAP » – paragraphe 30 ci-dessous), les sommes accumulées sur son livret constituaient son pécule de libération – dit aussi « fonds d’accumulation » (fundusz akumulacyjny) –, soit une réserve dont il ne pouvait disposer pendant son incarcération. Le responsable de la prison de Barczewo souligna que, en application de l’article 113 § 3 du CAP (paragraphe 28 ci-dessous), le requérant pouvait disposer librement de son argent, à l’exception des sommes accumulées au titre de son pécule de libération dans la limite du salaire mensuel moyen, soit 2 986,55 PLN. Le responsable de la prison informa également le requérant que seule la PKO BP – et non pas l’administration pénitentiaire – était compétente pour fixer les conditions applicables au livret, y compris son taux d’intérêt.

10. Entre-temps, dans une lettre qu’il avait fait parvenir au requérant le 26 novembre 2008, le médiateur l’avait informé que, selon l’article 126 alinéa 1 du CAP (paragraphe 30 ci-dessous), le pécule de libération était une réserve constituée sur les ressources du détenu dans le but de lui permettre de réaliser les dépenses en rapport avec sa libération à venir, telles que l’achat d’un titre de transport pour rejoindre son domicile, et de lui procurer des moyens de subsistance dans un premier temps après sa mise en liberté. Le médiateur indiquait que, dans la mesure où le fonds en question était indisponible pendant l’incarcération du détenu, le requérant ne pouvait transférer les sommes le constituant sur un livret de son choix. Il soulignait que, selon une enquête réalisée par ses services, le livret à vue était le mieux adapté au but du pécule de libération, compte tenu du fait qu’il garantissait la disponibilité continue et immédiate de l’épargne accumulée, y compris en cas de libération anticipée du détenu.

11. En réponse, le 3 décembre 2008, le requérant s’était alors plaint au médiateur que le taux de rémunération du livret sur lequel les sommes constituant son pécule de libération étaient déposées était tellement faible que la valeur de ce pécule diminuait. Le requérant affirmait que, en plus d’être privé de sa liberté, il devait supporter une mesure désavantageuse et préjudiciable pour ses biens. Le requérant priait le médiateur d’intervenir auprès de l’administration pénitentiaire pour qu’il pût se rendre à la banque et ouvrir un autre livret.

12. Par une lettre qu’il fit parvenir au requérant le 23 décembre 2008, le médiateur informa l’intéressé que les droits et libertés des détenus en tant que citoyens pouvaient faire l’objet des restrictions prévues par la loi ou par une décision de justice. Il indiquait que la mesure prévue par l’article 113 du CAP en était un exemple. Il précisait toutefois que cette mesure respectait les intérêts des détenus, étant donné qu’elle visait à la conservation de leur épargne dans l’attente de leur mise en liberté.

13. Par ailleurs, entre le mois de mai 2008 et le mois de janvier 2009, le requérant avait fait parvenir à la PKO BP une série de lettres par lesquelles il lui demandait de le renseigner sur les produits d’épargne disponibles et mieux rémunérés que son livret. En communiquant en retour au requérant les éléments demandés, la PKO BP l’avait informé que la souscription à un livret d’épargne ne pouvait se faire qu’en présence du souscripteur dans l’une de ses agences.

14. En outre, le 19 juin 2008, le requérant avait sollicité du juge d’application des peines une permission de sortie pour pouvoir se rendre à la banque et souscrire à un livret. Indiquant qu’il avait purgé pratiquement les trois quarts de sa peine, le requérant se plaignait du faible taux d’intérêt annuel du livret dont il était détenteur, en l’occurrence de 0,1 %. Il soutenait que le livret en question avait été ouvert par les autorités sans son consentement préalable et que, en outre, non seulement il ne lui procurait aucun bénéfice mais il lui occasionnait une perte financière. À une date non précisée dans la requête, la demande du requérant avait été rejetée. Le 9 septembre 2008, le tribunal régional d’Olsztyn avait confirmé cette décision, relevant que les conditions d’octroi d’une permission de sortie, au regard de l’article 141. a) du CAP (paragraphe 31 ci-dessous), n’étaient pas présentes.

15. Le 9 février 2009, le requérant demanda à la direction de son établissement pénitentiaire de le conduire à la banque pour qu’il déposât un dossier d’ouverture d’un livret de son choix. La demande du requérant serait apparemment restée sans suite.

16. Le 7 février 2012, l’administration pénitentiaire informa le requérant de la nouvelle formulation de l’article 126 du CAP, consécutive à l’amendement de ce code entré en vigueur le 1er janvier 2012 (paragraphe 30 ci-dessous).

17. Le 13 février 2012, le requérant fut transféré à la prison de Kamińsk.

18. Le 16 mars 2012, à la suite d’une demande du requérant similaire à celle formulée par lui le 9 février 2009, l’intéressé fut conduit à l’agence de la PKO BP la plus proche de son lieu d’incarcération. Il clôtura son livret et en ouvrit un autre de son choix sur lequel les sommes accumulées sur l’ancien livret furent transférées. À l’ouverture de ce nouveau livret, le requérant effectua une déclaration selon laquelle il s’engageait à utiliser son épargne uniquement dans le but prévu par l’article 126 § 1 du CAP.

B. Le requérant Jan Olszyński

19. À la date d’introduction de sa requête, le deuxième requérant purgeait une peine d’emprisonnement d’une durée non précisée, et ce depuis environ sept ans.

20. En 2002, alors qu’il était incarcéré à la prison de Strzelce Opolskie, le requérant signa le dossier d’ouverture d’un livret à vue à la PKO BP, apparemment sans avoir été informé de son taux d’intérêt. À cette date, le requérant disposait d’environ 1 700 PLN d’épargne.

Selon le requérant, ce n’est qu’en 2007, soit après son transfèrement à la prison de Cieszyn, qu’il a été informé par les autorités que le taux d’intérêt annuel de son livret était de 0,1 %. Une attestation établie en mars 2008 par la direction de la prison de Cieszyn confirma le taux d’intérêt susmentionné et fit apparaître que les sommes accumulées sur le livret du requérant avaient atteint un montant s’élevant à environ 2 700 PLN.

21. En février et mai 2008, le requérant demanda à l’administration pénitentiaire de lui fournir des renseignements sur les produits d’épargne susceptibles de lui procurer une rémunération plus intéressante que le taux d’intérêt de son livret.

Par une lettre qu’elle fit parvenir au requérant le 27 février 2008, l’administration pénitentiaire l’informa que, en vertu de la loi, les moyens de paiement appartenant à un détenu pouvaient être consignés à son établissement pénitentiaire ou bien être versés sur un livret d’épargne (książeczka oszczędnościowa).

1. La plainte au parquet

22. À une date non précisée dans sa requête, le requérant se plaignit au parquet de Cieszyn d’une mauvaise gestion de ses biens par l’administration pénitentiaire et par la PKO BP et d’un abus de faiblesse commis à son encontre par ces dernières. Il soutenait que, en raison de l’obligation lui ayant été faite de déposer les sommes constituant son pécule de libération sur un livret à la PKO BP, il avait subi un préjudice financier à hauteur de 3 000 PLN.

23. Par une ordonnance du 3 mars 2009, le parquet de Cieszyn refusa d’ouvrir une enquête, considérant que les éléments constitutifs de l’abus de faiblesse puni par l’article 296 § 1 du code pénal (« le CP ») n’étaient pas réunis et qu’aucune infraction à cette disposition ne pouvait être retenue.

Le 12 mai 2009, le tribunal de district de Cieszyn confirma la décision du parquet, en observant que, par leur conduite, les agents de l’État avaient respecté la loi. Le tribunal souligna que les autorités n’étaient pas tenues de faire fructifier l’épargne des détenus mais de veiller à ce qu’elle ne subisse pas de dégradation. Le tribunal releva en outre que l’article 113 § 3 du CAP (paragraphe 29 ci-dessous) ne pouvait être interprété comme impliquant l’obligation pour les autorités de placer l’argent du détenu sur un livret d’un type particulier.

2. La plainte au défenseur des consommateurs (Rzecznik Praw Konsumenta)

24. Dans une plainte qu’il fit parvenir au défenseur des consommateurs de Cieszyn, le requérant déclara qu’il avait été victime d’un abus de la part de la PKO BP en raison, à ses dires, de sa position dominante sur le marché des livrets et de son monopole en matière de gestion des moyens de paiement appartenant aux détenus. Le requérant soutenait que le taux d’intérêt appliqué par la banque en question aux livrets offerts à ces derniers était inférieur au taux d’inflation en vigueur et le plus bas sur le marché.

25. Par une lettre qu’il fit parvenir au requérant le 30 décembre 2008, le défenseur des consommateurs lui transmit les observations présentées par la PKO BP en réponse à sa plainte. Il en ressortait notamment ce qui suit.

La banque concernée ne détenait aucun monopole en matière de livrets d’épargne, étant donné qu’il pouvait être souscrit dans n’importe quelle banque. La rémunération du livret dont le requérant était détenteur était fixée par le conseil d’administration de la PKO BP selon des critères purement économiques, tels que la situation des marchés, le taux d’inflation et les taux de rémunération officiels des livrets. Le faible taux de rémunération du livret du requérant constituait une contrepartie de l’engagement de la banque aux termes duquel elle lui garantissait la disponibilité continue de son épargne, sans pouvoir l’investir. Le taux d’intérêt en question n’était pas imputable au fait que le détenteur du livret était privé de sa liberté. L’administration pénitentiaire était seule compétente en matière des fonds accumulés en application de l’article 126 du CAP. Plus particulièrement, elle seule décidait dans quelle banque et sur quel livret les fonds en question étaient placés. La PKO BP était tenue d’appliquer les instructions données en la matière par l’administration pénitentiaire. Le requérant, comme chaque client de la banque, pouvait lui‑même ou par le biais de son mandataire disposer des sommes accumulées sur son livret sous réserve d’être en possession d’un document que la banque lui avait remis à l’ouverture du livret. La banque elle-même ne pouvait appliquer aucune restriction particulière à l’accès des détenus aux services bancaires, seule l’administration pénitentiaire étant compétente en la matière.

En marge de sa lettre, le défenseur des consommateurs informa le requérant de son intention d’intervenir auprès du ministère de la Justice en vue d’éventuels amendements de l’article 126 du CAP, compte tenu de sa formulation obsolète.

3. L’action civile contre l’État, représenté par le ministre de la Justice

26. Le 12 mars 2009, le requérant engagea une action civile ‑ dont la teneur n’est pas précisée dans sa requête ‑ à l’encontre de l’État, représenté par le ministre de la Justice. Environ trois mois plus tard, le requérant fut informé que son recours n’avait pas été examiné, en raison du défaut de paiement des frais y afférents. Le 5 octobre 2009, un recours subséquent du requérant fut rejeté.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La Constitution polonaise

27. L’article 64 de la Constitution se lit comme suit :

« 1. Toute personne dispose du droit de propriété et des autres droits patrimoniaux, ainsi que du droit de succession.

2. La propriété, les autres droits patrimoniaux et le droit de succession sont juridiquement protégés, dans des conditions d’égalité.

3. La propriété ne peut faire l’objet de restrictions que par la loi, dans la mesure où celle-ci ne porte pas atteinte à la nature du droit de propriété. »

28. L’article 79 § 1 de la Constitution, qui traite des recours constitutionnels, est ainsi libellé :

« Conformément aux principes fixés par la loi, toute personne dont les libertés ou les droits constitutionnels ont été violés peut saisir la Cour constitutionnelle afin d’obtenir une décision sur la conformité à la Constitution d’une loi ou de tout autre texte normatif ayant servi de fondement à une décision définitive rendue par un tribunal ou par un organe administratif au sujet de ses libertés, droits ou obligations tels qu’ils se trouvent définis par la Constitution. »

B. Le code d’application des peines du 6 juin 1997

29. L’article 113 du CAP, en ses dispositions pertinentes en l’espèce, se lit ainsi :

« § 1.Les sommes et les objets de valeur appartenant au détenu sont consignés à son établissement carcéral. Aucun taux de rémunération n’est appliqué auxdites sommes.

§ 2. Le détenu peut librement disposer de l’argent restant à sa disposition à condition qu’il ait satisfait aux obligations lui incombant en application d’une voie d’exécution, et après qu’il aura réuni les fonds dont il est question à l’article 126 § 1 du CAP.

§ 3. Les sommes susmentionnées au paragraphe 2 peuvent être versées sur un compte bancaire du choix du détenu ou sur un livret d’épargne (książeczka oszczędnościowa) ou bien être consignées à son établissement carcéral.

(...)

§ 5. Sur demande écrite du détenu et aux frais de celui-ci, les sommes et les objets de valeur étant à sa disposition peuvent être remis aux personnes, aux institutions et aux organisations définies [comme suit] (...).

§ 6. Ne peuvent faire l’objet d’une saisie-exécution :

1) les aides octroyées au détenu par le responsable de son établissement carcéral,

(...)

3) les sommes affectées au paiement d’amendes converties en une peine d’emprisonnement ou en une mesure privative de liberté,

4) les sommes perçues par le détenu pendant un mois dans la limite de 10 % du salaire mensuel moyen.

§ 7. En cas de permission de sortie accordée au détenu et sur demande écrite de celui-ci, les sommes restant à sa disposition lui sont reversées. »

30. L’article 126 du CAP a fait l’objet de diverses formulations consécutives aux amendements successifs de ce code.

1. L’article 126 du CAP dans sa formulation initiale :

« § 1. La rémunération perçue par le détenu et les sommes qui lui échoient d’un montant équivalant au salaire mensuel moyen sont affectées à la constitution de son pécule de libération qui lui est remis à la fin de son incarcération et qui est destiné à financer son retour au domicile et à lui procurer les moyens de subsistance [dans un premier temps après sa libération] ; les sommes constituant le pécule de libération ne peuvent faire l’objet d’une saisie-exécution.

§ 2. Le ministre de la Justice déterminera par voie d’ordonnance les règles applicables au pécule de libération susmentionné au paragraphe 1. »

2. L’article 126 du CAP dans sa formulation applicable à compter du 1er septembre 2003 :

« § 1. Les sommes qui échoient au détenu ‑ hormis les allocations mentionnées à l’article 113 § 6.1 ‑ sont accumulées dans la limite du salaire mensuel moyen et lui sont reversées à sa libération de sorte qu’il puisse financer son retour au domicile et qu’il dispose de moyens de subsistance [à sa libération] ; les sommes en cause ne peuvent faire l’objet d’une saisie-exécution et, sur demande du détenu, peuvent être versées sur un livret.

§ 2. Sont accumulées :

1) jusqu’à 50 % de leur valeur, et dans la limite du salaire mensuel moyen, les sommes dont le détenu est porteur à sa mise sous écrou,

2) jusqu’à 50 % de leur valeur, et dans la limité de 4 % du salaire mensuel moyen, les sommes qui échoient au détenu au titre de sa rémunération, après soustraction des sommes dont il est redevable au titre de l’impôt sur le revenu des personnes physiques,

3) jusqu’à 50 % de leur valeur, et dans la limite de 4 % du salaire mensuel moyen, toutes les sommes qui échoient au détenu, hormis celles mentionnées aux points 1 et 2.

§ 3. L’accumulation des sommes susmentionnées au paragraphe 2 alinéas 2 et 3 intervient après soustraction de celles qui font l’objet d’une [voie d’]exécution.

§ 4. En cas d’augmentation du salaire mensuel moyen, les sommes accumulées sont complétées (...). »

3. L’article 126 du CAP dans sa formulation applicable à compter du 1er janvier 2012 :

« § 1. Les sommes qui échoient au détenu, hormis les sommes mentionnées à l’article 113 § 6.1-3, sont accumulées dans la limite du salaire mensuel moyen et reversées au détenu à sa libération de sorte qu’il puisse financer son retour au domicile et disposer de moyens de subsistance [à sa libération] ; les sommes concernées ne peuvent faire l’objet d’une saisie-exécution et, sur demande du détenu, peuvent être versées sur un compte bancaire de son choix ou sur un livret d’épargne.

(...) »

4. L’article 126 du CAP dans sa formulation applicable à compter du 1er juillet 2015 :

« § 1. Les sommes qui échoient au détenu, hormis les sommes mentionnées à l’article 113 § 6.1-3, sont accumulées dans la limite du salaire mensuel moyen et reversées au détenu à sa libération de sorte qu’il puisse financer son retour au domicile et disposer de moyens de subsistance [à sa libération] ; les sommes concernées ne peuvent faire l’objet d’une saisie-exécution.

§ 2. Sont accumulées :

1) jusqu’à 50 % de leur valeur, et dans la limite du salaire mensuel moyen, les sommes dont le détenu est porteur à sa mise sous écrou,

2) jusqu’à 50 % de leur valeur, et dans la limité de 4 % du salaire mensuel moyen, les sommes qui échoient au détenu au titre de sa rémunération, après soustraction des sommes dont il est redevable au titre de l’impôt sur le revenu des personnes physiques,

3) jusqu’à 50 % de leur valeur, et dans la limite de 4 % du salaire mensuel moyen, toutes les sommes qui échoient au détenu, autres que celles mentionnées aux points 1 et 2.

§ 3. Les sommes susmentionnées au paragraphe 2 alinéas 2 et 3 sont accumulées après soustraction de celles qui font l’objet d’une [voie d’] exécution.

§ 4. Les sommes accumulées de manière susmentionnée aux paragraphes 1-3 sont versées par les établissements pénitentiaires sur les comptes (rachunkach sum depozytowych) et reversées au détenu en leur valeur nominale majorée d’intérêts dus.

§ 5. Les comptes susmentionnés au paragraphe 4 sont ouverts à la banque Bank Gospodarstwa Krajowego séparément pour chaque établissement pénitentiaire sur la base des contrats conclus avec le responsables respectifs.

§ 6. La Bank Gospodarstwa Krajowego garantit en particulier:

1) la gestion analytique des actifs pour différents dépôts (micro-comptes) liés à chaque compte ;

2) le calcul journalier d’intérêts ainsi que la capitalisation régulière d’intérêts dus au titre des fonds accumulés sur chaque micro-compte ;

3) la possibilité d’échanger les informations avec les titulaires des comptes concernant la situation de chaque micro-compte (capital et intérêts) ainsi que les mouvements sur le compte (dépôts et retraits).

§ 7. Les fonds déposés sur le compte sont rémunérés au taux de la Banque nationale de Pologne (Narodowy Bank Polski). Les intérêts courus sur les sommes en dépôt sur les comptes des établissements pénitentiaires sont soumis à la capitalisation annuelle qui s’effectue au 31 décembre de chaque année civile ainsi qu’à la libération du détenu.

§ 8. En cas de transfèrement du détenu dans un autre établissement pénitentiaire, les actifs de son compte de dépôt, constitué selon la procédure mentionnée aux § 1-3, avec les intérêts y afférents, courus jusqu’à la veille de son transfèrement, sont transférés sur le compte de son nouvel établissement pénitentiaire.

§ 9. Les sommes accumulées sont automatiquement complétées en cas d’augmentation du salaire moyen. Elles sont complétées par les sommes échues au détenu à compter du premier jour du mois suivant la publication de la communication du Président de l’office statistique concernant les salaires moyens.

(...). »

31. L’article 141 a. du CAP prévoit :

« En cas de circonstances particulièrement importantes pour le détenu, celui-ci peut se voir octroyer une permission de quitter son lieu d’incarcération pendant cinq jours au maximum, en cas de besoin sous l’escorte d’un gardien de la prison ou en étant accompagné d’une personne de confiance. »

32. L’article 166 § 3 du CAP dispose :

« Le détenu ne disposant pas de ressources suffisantes à sa libération et dont la subsistance n’est pas assurée peut recevoir du responsable de son établissement pénitentiaire une aide financière dans la limite d’un tiers du salaire mensuel moyen ou une prestation équivalente. »

C. Le code civil (« le CC »)

33. L’article 3581 § 3 du CC dispose que, en cas d’important changement du pouvoir d’achat d’une somme d’argent constituant l’objet d’une créance pécuniaire, le tribunal peut – en tenant compte des règles de vie en société et des intérêts des parties – modifier la valeur ou le mode d’exécution de ladite créance, y compris lorsqu’ils ont été déterminés par une décision de justice ou par une disposition contractuelle.

34. L’article 388 §§ 1 et 2 du CC prévoit que, lorsqu’en abusant de la situation de faiblesse, de l’infirmité ou de l’état d’ignorance d’une personne, une partie au contrat accepte de recevoir ‑ pour elle-même ou pour autrui ‑ une prestation dont la valeur à la conclusion du contrat dépasse de manière flagrante celle de la prestation qu’elle-même offre en contrepartie, l’autre partie peut demander que sa propre prestation soit réduite ou que celle lui étant due soit augmentée, et, dans le cas où l’usage de chacune de ces facultés serait entaché d’une trop grande difficulté, elle peut demander que le contrat soit invalidé. Les droits susmentionnés peuvent être exercés pendant deux ans à compter de la conclusion dudit contrat.

35. L’article 415 du CC dispose que celui qui cause un dommage à autrui par sa faute est tenu de le réparer.

36. Selon l’article 4171 § 1 du CC, si le dommage a été causé par l’adoption d’un acte normatif, il peut être demandé réparation du dommage une fois établi dans la procédure pertinente que cet acte était contraire à la Constitution, à un traité international régulièrement ratifié ou à la loi.

D. La loi du 16 février 2007 sur la concurrence et la protection des consommateurs (Ustawa o ochronie konkurencji i konsumentów)

37. L’article 9 alinéa 1 de la loi du 16 février 2007 sur la concurrence et la protection des consommateurs interdit l’abus de position dominante sur un marché par un ou par plusieurs entrepreneurs.

III. LES RÈGLES PÉNITENTIAIRES EUROPÉENNES

38. Les Règles pénitentiaires européennes pertinentes en l’espèce prévoient ce qui suit:

« Travail

(...)

26.11 Les détenus doivent pouvoir consacrer au moins une partie de leur rémunération à l’achat d’objets autorisés destinés à leur usage personnel et à en envoyer une autre partie à leur famille.

26.12 Les détenus peuvent être incités à économiser une partie de leur rémunération et doivent pouvoir récupérer cette somme à leur sortie de prison ou l’affecter à d’autres usages autorisés.

Objets appartenant aux détenus

31.1 Les objets qui ne peuvent pas rester en possession d’un détenu, en vertu du règlement intérieur, doivent être placés en lieu sûr lors de l’admission dans la prison.

31.2 Tout détenu dont les objets sont placés en lieu sûr doit signer un inventaire dressé en conséquence.

31.3 Des mesures doivent être prises pour conserver ces objets en bon état.

Libération des détenus

(...)

33.4 Lors de sa libération, tout détenu doit récupérer l’argent et les objets dont il a été dépossédé et qui ont été placés en lieu sûr, à l’exception des sommes qu’il a régulièrement prélevées, ainsi que des objets qu’il a été autorisé à envoyer à l’extérieur ou qui ont dû être détruits par mesure d’hygiène.

(...)

33.8 Le détenu doit également être pourvu des moyens immédiatement nécessaires à sa subsistance, doté de vêtements convenables et appropriés au climat et à la saison, et doté des moyens suffisants pour arriver à destination. »

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

39. Les deux requêtes étant similaires en fait et en droit, la Cour décide de les joindre, comme le lui permet l’article 42 § 1 de son règlement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE no 1 À LA CONVENTION

40. Les requérants se plaignent que l’obligation leur ayant été faite de placer les sommes constituant leur pécule de libération sur un livret à vue à la PKO BP a porté atteinte à leur droit au respect des biens. Ils invoquent l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui se lit ainsi:

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

41. Le Gouvernement combat cette thèse.

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’exception du Gouvernement tirée de l’incompatibilité ratione materiae

42. Le Gouvernement soutient que certains aspects du grief, tels que la question du taux d’intérêt des livrets dont les requérants étaient détenteurs et la diminution alléguée de leur épargne du fait de l’inflation, ne relèvent pas du champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Citant les affaires X. c. Allemagne ((déc.), no 8724/79, 6 mars 1980), Rudzinska c. Pologne ((déc.), no 45223/99, 7 septembre 1999), Gayduk c. Ukraine ((déc.), no 45526/99, 2 juillet 2002) ou Ryabykh c. Russie (no 52854/99, 24 juillet 2003), le Gouvernement fait observer que les États ne sont pas responsables pour des sommes déposées dans des banques privées et que l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ne leur impose aucune obligation de maintenir, par une indexation systématique, le pouvoir d’achat des sommes concernées.

43. Les requérants rejettent les dires du Gouvernement.

Le requérant Marek Siemaszko fait observer qu’il ne se plaint pas du taux d’intérêt de son livret en tant que tel, mais d’une impossibilité pour lui de disposer de son épargne d’une manière plus favorable, pendant plusieurs années, en raison de la formulation de la loi interne et de son application par les autorités nationales.

Le requérant Jan Olszyński soutient que sa situation se distingue de celle des clients des banques privées en ce qu’il a été contraint de placer son épargne sur le livret lui ayant imposé par les autorités, sans pouvoir en choisir un qui aurait été mieux adapté à ses besoins personnels. Il ajoute que le livret en question n’a pas été ouvert à la suite d’un accord librement négocié entre lui-même et la PKO BP.

44. La Cour note que les fonds appartenant aux requérants ont été accumulées sur un livret dans le but de constituer leur pécule de libération. Pendant leur incarcération, les requérants ne pouvaient disposer des sommes accumulées au titre de leur pécule de libération. La mesure appliquée à l’encontre des requérants ne cherchait pas à les priver de leurs biens, mais seulement à les empêcher d’en user de façon temporaire, dans l’attente de leur libération (voir, Tendam c. Espagne, no 25720/05, § 47, 13 juillet 2010). Elle relevait de la règlementation de l’usage des biens, au sens du second paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

La Cour observe qu’en l’espèce, les requérants se plaignent que leur épargne a diminué en raison des modalités d’application de la mesure litigeuse. Elle note que la législation pertinente telle qu’appliquée à l’époque en cause par les autorités polonaises a contraint les requérants à placer leur épargne sur le livret à vue dont le taux de rémunération était inférieur au taux de l’inflation. Les tentatives des requérants de placer leur argent sur un livret offrant une rémunération plus intéressante ont échoué, faute d’accord en ce sens des autorités internes. La Cour estime que la violation alléguée du droit des requérants au respect de leurs biens ne résulte pas de l’inflation en tant que telle, mais est imputable au cadre réglementaire que les autorités nationales ont mis en place en matière de gestion des moyens de paiement des détenus.

45. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la situation dénoncée par les requérants engage la responsabilité des autorités nationales au titre de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention et rejette l’exception du Gouvernement.

2. Sur l’exception du Gouvernement tirée de l’incompatibilité ratione personae concernant le requérant Marek Siemaszko

46. Le Gouvernement soutient que le premier requérant n’est plus victime d’une violation de la Convention, dans la mesure où, à la suite de l’amendement de l’article 126 du CAP entré en vigueur en janvier 2012, l’intéressé a pu clôturer son livret à la PKO BP et a transféré son épargne sur un livret de son choix. Ainsi, ses prétentions auraient été satisfaites par les autorités internes.

47. Le premier requérant soutient que l’État n’a pas explicitement reconnu la violation de son droit au respect des biens dont il dit avoir été victime pendant plus de douze années et qu’il ne l’a pas non plus indemnisé pour le préjudice qu’il estime avoir subi de ce fait.

48. La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, par exemple, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 69, série A no 51, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI, et Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001-X).

49. En l’espèce, la Cour considère que le fait qu’à la suite de l’amendement de la loi interne pertinente le premier requérant a pu faire cesser l’ingérence continue dans son droit au respect des biens ne saurait passer pour la reconnaissance officielle par les autorités nationales de la violation alléguée. La Cour observe en outre que ledit requérant se plaint du dommage occasionné par l’application prolongée de la mesure litigieuse consistant en la diminution de la valeur des fonds ayant constitué son pécule de libération. Or, il n’apparaît pas que l’intéressé en ait été indemnisé au niveau interne.

50. Partant, la Cour considère que le requérant Marek Siemaszko peut continuer à se prévaloir de sa qualité de victime et rejette l’exception du Gouvernement.

3. Sur l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes

51. Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours qui étaient à leur disposition en droit interne.

À ce sujet, il fait observer que les requérants auraient pu former un recours constitutionnel contre l’article 126 du CAP sur la base des décisions rendues respectivement au sujet de la plainte pénale du requérant Jan Olszyński et de la demande du requérant Marek Siemaszko tendant à l’octroi d’une permission de sortie. Il ajoute que, sur la base d’un arrêt de la Cour constitutionnelle constatant le caractère contraire à la Constitution de l’article en cause, les requérants auraient pu ensuite demander, en vertu de l’article 4171 § 1 du CC (paragraphe 36 ci-dessus), une réparation du dommage subi du fait de la mesure incriminée.

Le Gouvernement considère que les requérants auraient pu en outre exercer à l’encontre de la banque dépositaire de leur épargne le recours prévu par l’article 415 du CC combiné avec l’article 9 de la loi sur la concurrence et la protection des consommateurs, ainsi que les recours prévus par les articles 3581 § 3 et 388 §§ 1 et 2 du CC (paragraphes 33‑35 et 37 ci-dessus).

Le Gouvernement ajoute que les recours exercés par les requérants en l’espèce n’étaient pas adéquats au regard de la violation alléguée de la Convention et qu’en outre l’action civile du requérant Jan Olszyński n’a pas abouti pour un motif lui étant imputable.

52. Les requérants rejettent les dires du Gouvernement ; ils soutiennent que le recours constitutionnel n’aurait pas pu être exercé en l’espèce, étant donné que, à leurs yeux, la violation de leur droit au respect des biens ne résultait pas du libellé de l’article 126 du CAP en tant que tel mais de l’application de cette disposition par les autorités nationales. Ils précisent que la disposition concernée ne détermine ni la banque dépositaire de l’argent des détenus, ni le livret sur lequel cet argent est déposé, ni le taux d’intérêt dudit livret. Ils ajoutent que l’action indemnitaire prévue par l’article 4171 § 1 du CC n’aurait pas pu être exercée non plus, au motif que le recours constitutionnel aurait été voué à l’échec.

Le requérant Marek Siemaszko fait remarquer que l’effectivité d’autres recours invoqués par le Gouvernement n’a été étayée par aucun exemple de jurisprudence interne pertinente. Il indique que l’indexation judiciaire du pouvoir d’achat des sommes constituant son pécule de libération sur la base de l’article 3581 § 1 du CC ne pouvait intervenir en l’espèce, compte tenu de la formulation de l’article 13 de la loi de 1990 portant amendement de ce code.

Les requérants ajoutent que le recours fondé sur l’article 415 du CC combiné avec l’article 9 de la loi sur la concurrence et la protection des consommateurs n’aurait pas été effectif non plus. Reprenant les observations de la PKO BP figurant dans la lettre du défenseur des consommateurs adressée au requérant Jan Olszyński, ils indiquent que l’absence de possibilité pour eux de placer leur épargne sur un livret de leur choix était imputable non pas à la PKO BP mais à l’administration pénitentiaire.

53. La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 § 1 de la Convention, qui énonce la règle de l’épuisement des voies de recours internes, est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant qu’elle n’en soit saisie (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour qu’un recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (voir, parmi beaucoup d’autres, Vernillo c. France, 20 février 1991, § 27, série A no 198, et Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil 1998-I).

54. La Cour rappelle avoir déterminé, à l’occasion d’autres affaires polonaises, les circonstances dans lesquelles il pouvait être exigé d’un requérant qu’il utilise le recours constitutionnel aux fins de l’épuisement des voies de recours internes. Ainsi, cette voie de recours peut constituer un recours effectif, au sens de la Convention, uniquement lorsque : a) une décision individuelle susceptible d’avoir violé la Convention a été adoptée en application directe d’une disposition de la législation nationale jugée inconstitutionnelle, et b) les dispositions procédurales applicables à la révision d’une telle décision individuelle permettent, à la suite de l’adoption d’un arrêt de la Cour constitutionnelle constatant l’inconstitutionnalité d’une loi, soit d’annuler ladite décision soit de rouvrir la procédure à l’issue de laquelle celle-ci a été adoptée (Szott-Medyńska c. Pologne (déc.), no 47414/99, 9 octobre 2003, Pachla c. Pologne (déc.), no 8812/02, 8 novembre 2005, et Liss c. Pologne (déc.), no 14337/02, 16 mars 2010).

55. En l’espèce, la Cour relève qu’aucune décision parmi celles mentionnées par le Gouvernement au paragraphe 51 ci-dessus n’a été rendue en application directe de l’article 126 du CAP. Plus particulièrement, la décision du 3 mars 2009, par laquelle il a été statué sur la plainte pénale du requérant Jan Olszyński, constatait que les éléments constitutifs de l’abus de faiblesse puni par l’article 296 § 1 du CP n’étaient pas réunis. Quant à la décision rendue le 9 septembre 2008 à l’encontre du requérant Marek Siemaszko, elle se bornait à relever que les conditions d’octroi d’une permission de sortie, au regard de l’article 141. a) du CAP, n’étaient pas présentes.

La Cour constate qu’en l’espèce il n’a pas été démontré que les requérants auraient pu obtenir une décision interne définitive susceptible de leur permettre d’attaquer devant la Cour constitutionnelle l’article 126 du CAP. En effet, la violation alléguée de leurs droits protégés par la Convention semble être le fait de l’application directe de la disposition concernée par les autorités internes, et non d’une décision juridictionnelle ou administrative adoptée en application directe de la disposition en cause.

56. La Cour constate, avec les requérants, que le Gouvernement est resté en défaut d’établir l’effectivité, dans les circonstances particulières de l’espèce, d’autres recours susvisés, et en particulier qu’il n’a produit aucun exemple de jurisprudence interne susceptible de confirmer ce point.

57. Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement.

4. Sur l’exception du Gouvernement tirée de l’absence de préjudice important des requérants

58. Se prévalant de la jurisprudence Bock c. Allemagne ((déc.), no 22051/07, 19 janvier 2010), Ionescu c. Roumanie ((déc.), no 36659/04, 1er juin 2010) et Korolev c. Russie ((déc.), no 25551/05, 1er janvier 2010), le Gouvernement soutient que les requérants n’ont subi aucun préjudice important, au sens de l’article 35 § 3 b) de la Convention.

Il affirme que la mesure incriminée ne cherchait pas à les priver de leurs biens, mais seulement à les empêcher d’en user de façon temporaire, dans l’attente de leur libération. Il ajoute que, à l’exception des seules sommes constituant leur pécule de libération ‑ dont le montant ne pouvait, en tout état de cause, être supérieur au salaire mensuel moyen (soit, au mois de décembre 2011, 955 euros ‑ EUR), les requérants pouvaient librement disposer de leur argent.

59. Le Gouvernement affirme qu’en l’espèce non seulement les requérants n’ont subi aucun dommage mais, au contraire, qu’ils ont perçu une rémunération pour l’épargne accumulée sur leurs livrets. Il soutient que le dommage allégué des requérants est hypothétique et insusceptible d’évaluation, étant donné qu’ils n’ont pas indiqué sur quel livret leur épargne aurait dû, selon eux, être placée et qu’en outre, pendant la période correspondant à la durée de vie de leurs livrets, les taux d’intérêt des livrets ont subi des variations importantes, en particulier en raison de la crise financière.

60. Le Gouvernement expose qu’en Pologne il peut être souscrit au livret à vue seulement à la PKO BP et dans des caisses d’épargne (banki spółdzielcze) dans des conditions similaires. Il précise que le taux d’intérêt annuel du livret concerné, fixé à 0,1 % par la PKO BP, a été ramené en 2010 à 0,01 %. Il ajoute que le taux de rémunération de ce même livret par les caisses d’épargne est légèrement plus élevé, car il constitue une sorte de compensation pour la clientèle desdites caisses au titre d’une accessibilité moindre de leurs prestations par rapport à celles de la PKO BP. À titre d’exemple, il indique que les caisses d’épargne les plus proches des lieux d’incarcération des requérants rémunèrent le livret à vue à hauteur de 0,3 % par an.

Le Gouvernement affirme que, à supposer que les requérants aient pu placer leur argent dans une caisse d’épargne au lieu de la PKO BP, le gain en résultant respectivement pour les requérants aurait été de l’ordre de 13 EUR pour le premier et de 20 EUR pour le deuxième. Le Gouvernement se dit convaincu que de tels montants, qui seraient insusceptibles même de couvrir les frais de conduite des requérants à une agence de la caisse d’épargne la plus proche de leurs lieux d’incarcération, ne représentent pas pour les intéressés un « préjudice important ».

61. Reconnaissant qu’une perte financière modeste peut représenter pour une personne indigente un manque important à gagner, le Gouvernement indique que, durant leur incarcération, les requérants ont été pris en charge par l’administration pénitentiaire sans qu’une contribution quelconque aux frais de leur entretien leur ait été réclamée.

62. Le Gouvernement considère que le respect des droits de l’homme n’exige pas la poursuite des présentes requêtes : à ses yeux, à la suite de l’amendement de l’article 126 du CAP intervenu en 2012, la question soulevée par les présentes affaires ne présente qu’un intérêt historique et, en outre, les prétentions du requérant Marek Siemaszko ont été entièrement satisfaites au niveau interne. Le Gouvernement ajoute que les recours exercés par les requérants ont été dûment examinés par les autorités nationales.

63. Les requérants contestent les dires du Gouvernement.

Le requérant Jan Olszyński soutient qu’à l’ouverture de son livret les autorités ne l’avaient pas informé des conditions y étant applicables.

Le requérant Marek Siemaszko considère que le dommage qu’il a subi du fait de la mesure litigieuse s’élève à 95 EUR, montant obtenu à la suite de l’application aux sommes accumulées sur son livret du taux de 3,5 %, soit le taux d’intérêt annuel moyen des livrets selon la Banque nationale de Pologne (NBP) en vigueur pendant la période comprise entre 2004 et 2010. Il avance que, compte tenu de sa mauvaise situation financière imputable à sa longue détention et à l’absence d’offres d’emploi en milieu carcéral, la somme susmentionnée ‑ bien que modeste ‑ constituait pour lui un manque à gagner certain. Il déclare que, dans ce contexte, en plus de n’avoir disposé d’aucun revenu, il a dû en outre subir une mesure lui occasionnant une perte financière, et ce pendant plus de onze années. Il estime que sa requête n’a été prise en compte par aucun tribunal interne, alors qu’elle aurait révélé une pratique discriminatoire de l’administration pénitentiaire en matière de gestion des moyens de paiement des détenus.

64. La Cour estime qu’en l’espèce l’exception tirée de l’absence de préjudice important des requérants relève du fond de l’affaire. Elle la joint donc à celui-ci.

65. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

a) Les requérants

66. Les requérants soutiennent que l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention a été violé en l’espèce. Ils font observer qu’ils ne remettent pas en cause le pécule de libération en tant que tel mais les modalités de sa constitution, notamment l’obligation leur ayant été faite de placer les sommes constituant leur pécule sur un livret ayant un taux de rémunération tellement faible que, selon eux, la valeur dudit pécule a diminué.

67. Le requérant Marek Siemaszko fait observer que, en l’espèce, il n’a pu décider ni de la banque dépositaire de son épargne ni de la forme de son placement. Selon lui, le fait que les détenus ont été obligés de placer leur épargne sur le livret en question dans une seule banque imposée par les autorités a eu une incidence évidente sur le taux d’intérêt qui leur était offert, en l’occurrence le plus faible sur le marché. Le requérant Jan Olszyński ajoute que sa condamnation pénale ne prévoyait pas de mesure discriminatoire et contraire à son droit au respect des biens.

b) Le Gouvernement

68. Le Gouvernement soutient que l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention n’a pas été violé en l’espèce.

Reconnaissant que la mesure incriminée a constitué une ingérence dans le droit des requérants au respect de leurs biens et qu’elle relevait de la réglementation de l’usage des biens, au sens du second alinéa de l’article 1 précité, le Gouvernement fait observer qu’elle était prévue par la loi, à savoir l’article 126 du CAP, et poursuivait un but légitime, à savoir la protection de l’intérêt des requérants et de celui du contribuable.

Sur ce dernier point, le Gouvernement fait remarquer que la réglementation relative au pécule de libération a pour but de procurer aux personnes incarcérées des ressources leur permettant d’effectuer des dépenses en rapport avec leur libération à venir. Il indique que la réglementation en cause a en outre pour but d’empêcher que les détenus ne disposant d’aucunes ressources sollicitent des autorités, à leur libération, une aide financière selon la faculté offerte par l’article 166 § 3 du CAP (paragraphe 32 ci-dessus). À cet égard, il souligne que, compte tenu du nombre élevé de personnes incarcérées en Pologne, la charge financière susceptible d’en être occasionnée au contribuable pourrait être non négligeable. Il ajoute que, à la différence de certains pays européens, en Pologne, les détenus sont pris en charge par les autorités sans devoir contribuer aux frais de leur entretien pendant leur incarcération.

69. En l’occurrence, le Gouvernement soutient que la mesure incriminée n’a pas fait subir aux requérants une charge excessive ou exorbitante. Il fait observer que l’obligation de constituer le pécule de libération concernait seulement une fraction de leurs ressources et qu’en outre elle était appliquée dans le respect des règles fixées par l’article 126 § 2 du CAP, soit de manière progressive et dans la limite du salaire mensuel moyen. Le Gouvernement ajoute que, à l’exception des sommes constituant leur pécule de libération, les requérants ont pu disposer de leur argent sans aucune difficulté.

70. De plus, le Gouvernement affirme que la législation polonaise relative au pécule de libération respecte les Règles pénitentiaires européennes pertinentes en l’espèce (paragraphe 38 ci-dessus) et que, en outre, il n’existe pas d’approche européenne commune en matière de gestion d’épargne des détenus essentiellement différente de celle appliquée en Pologne. Il ajoute que certains pays européens ne prévoient aucune obligation pour les détenus de constituer une réserve sur leurs ressources en vue de leur libération à venir.

71. En outre, le Gouvernement fait observer que, en cas de consignation de l’épargne d’un détenu à son établissement pénitentiaire, celle-ci ne lui procure aucune rémunération. De ce fait, les autorités ont instauré un cadre réglementaire permettant aux détenus qui le souhaitent de placer leur épargne dans une banque, sur un livret à un taux d’intérêt de marché. Indiquant qu’aucuns frais ni aucune commission ne sont demandés aux détenus en contrepartie de cette prestation, le Gouvernement fait observer que la faculté pour eux de disposer de leur épargne a été étendue par l’amendement de l’article 126 du CAP entré en vigueur en janvier 2012.

72. Le Gouvernement insiste sur le fait que les deux seules formes de consignation des sommes appartenant à un détenu prévues par l’article 126 du CAP garantissent l’indisponibilité certaine des fonds accumulés pendant l’incarcération de celui-ci. Il précise que, plus particulièrement, lorsque les sommes en question sont consignées à l’établissement pénitentiaire du détenu, ce dernier ne peut « physiquement » en prendre possession avant la fin de son incarcération. Il indique que, dans le cas où le détenu décide de placer ces sommes sur un livret à vue, l’intéressé se voit remettre par la banque un document dont le seul détenteur a le droit de disposer des sommes accumulées sur le livret et qui est, durant son incarcération, consigné à son établissement carcéral.

73. Le Gouvernement ajoute que, le livret à vue mis à part, d’autres placements d’épargne actuellement disponibles permettent à leur titulaire ou au mandataire de celui-ci d’accéder aux fonds accumulés, ce qui serait contraire au but du pécule de libération. Selon le Gouvernement, c’est pour cette raison que, jusqu’à l’amendement du CAP intervenu en 2012, la législation applicable au pécule de libération différait de celle concernant les autres ressources des détenus. Le Gouvernement considère que la nouvelle législation, bien que permettant aux détenus de tirer plus de bénéfices de leur épargne, rend en même temps plus problématique sa conservation dans l’attente de la libération des intéressés.

74. Par ailleurs, le Gouvernement rejette les dires des requérants selon lesquels le faible taux d’intérêt de leur livret résultait d’une entente entre les autorités et la PKO BP ou d’un monopole de cette dernière sur les moyens de paiement des détenus. Il expose que le taux d’intérêt en cause constitue une contrepartie de l’engagement de la banque de garantir la disponibilité constante et immédiate de l’épargne accumulée. Le Gouvernement explique que, à la différence d’autres livrets d’épargne, la durée de vie des livrets appartenant aux détenus ne peut être d’avance déterminée. Il indique que les banques tendent à se désintéresser des produits tels que le livret à vue qui ne leur procureraient aucune opportunité d’investissement.

75. Le Gouvernement expose que le fait que les requérants ont dû souscrire à un livret dans la seule PKO BP s’explique par la position solide de cette banque sur le marché des livrets, par sa bonne réputation auprès de sa clientèle et des spécialistes et par son vaste réseau de distribution de ses services. Le Gouvernement précise que ce dernier facteur contribue à faciliter l’accès des détenus à leur épargne en cas de libération anticipée ou de transfèrement vers un autre lieu d’incarcération.

Le Gouvernement insiste sur d’autres avantages du livret à vue, tels que sa gratuité, la sécurité de l’épargne accumulée, la facilité avec laquelle les opérations effectuées sur le compte peuvent être retracées, la faculté pour le détenteur du livret de recevoir les fonds de différentes sources et celle d’effectuer des versements et des retraits dans de nombreuses agences de la banque, y compris dans n’importe quel bureau de poste, et enfin l’accessibilité de l’épargne au seul détenteur du livret. Le Gouvernement ajoute que, à la différence d’autres placements d’épargne, le livret à vue n’implique pas l’obligation pour son détenteur de s’engager à des versements minimaux, ni celle d’informer la banque du montant de son revenu.

2. La tierce intervention de la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme

76. La Fondation Helsinki pour les droits de l’homme (« la Fondation Helsinki »), en qualité de tiers intervenant, a soumis des observations devant la Cour.

La Fondation Helsinki insiste sur le fait que les personnes incarcérées à la suite d’une condamnation pénale ne doivent pas être privées d’accès aux services bancaires. Selon elle, la législation polonaise concernant le pécule de libération telle qu’était appliquée à l’époque par les autorités nationales a rompu le juste équilibre entre l’intérêt général et le droit des détenus au respect de leurs biens. La Fondation Helsinki fait observer, dans ce contexte, que le taux d’intérêt annuel des livrets dont les détenus sont détenteurs est le plus bas sur le marché bancaire et est inférieur au taux d’inflation en vigueur. Elle indique, à titre d’exemple, que pendant la période comprise entre 2005 et 2010 ce dernier taux variait entre 0,7 et 4 %. Elle ajoute que les livrets dont les détenus ont été détenteurs étaient les moins bien rémunérés de tous les produits d’épargne dans l’offre de la PKO BP.

77. La Fondation Helsinki estime que, compte tenu d’un défaut d’exhaustivité de la législation en la matière, la gestion des moyens de paiement des détenus a été confiée de manière arbitraire à la seule PKO BP sans que les principaux intéressés aient pu s’y opposer.

3. L’appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’une ingérence et sur la règle applicable

78. La Cour relève qu’en l’espèce les requérants ne se plaignent pas de l’obligation leur ayant été faite de constituer le pécule de libération mais des modalités d’application de cette mesure. Les intéressés contestent plus particulièrement l’obligation leur ayant été faite de déposer les sommes constituant leur pécule sur un livret dont le taux de rémunération était si faible que, selon eux, la valeur de leur pécule a diminué.

79. La Cour note qu’en l’espèce l’existence d’une ingérence dans le droit des requérants au respect de leurs biens n’a pas prêté à controverse entre les parties. Elle consiste à exclure tout choix de prisonniers quant au placement de leurs avoirs financiers.

80. Elle rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième règles, qui ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété, doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première règle (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 1999-II, et Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, CEDH 1999-V).

81. En l’espèce, les parties s’accordent sur le fait que l’ingérence litigieuse s’analyse en une réglementation de l’usage des biens, au sens du deuxième alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. La Cour n’aperçoit aucune raison d’en décider autrement.

b) Le respect des conditions énoncées au deuxième alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention

82. La Cour observe que la mesure litigieuse visait à la conservation de l’épargne des requérants de manière à leur permettre de prendre en charge les dépenses en rapport avec leur libération à venir. Cette mesure tendait en outre à garantir que l’État et le contribuable ne supportent pas une charge financière injustifiée susceptible de leur être occasionnée par les demandes d’attribution d’une aide financière formulées par les détenus en vertu de l’article 166 § 3 du CAP (paragraphe 32 ci-dessus). La Cour constate donc que l’ingérence poursuivait un but légitime et conforme à l’intérêt général, à savoir la protection des droits des requérants et de ceux d’autrui.

83. La Cour rappelle qu’une mesure d’ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. La recherche de pareil équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention tout entier, donc aussi dans le second alinéa : il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à l’État une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 75, CEDH 1999-III, et Immobiliare Saffi, précité, § 49).

84. La Cour rappelle que, conformément à l’article 35 § 3 b) de la Convention, elle peut déclarer une requête irrecevable lorsque «le requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne».

85. En l’espèce, la Cour estime que, au-delà de son aspect financier, l’affaire a trait à une question de principe, celle de savoir si le dispositif réglementaire mis en place par les autorités polonaises en matière de gestion des moyens de paiement des détenus respectait leur droit au respect de leurs biens (voir, a contrario, Korolev, décision précitée). Elle rappelle avoir dit dans un certain nombre de contextes différents que ce n’est pas parce qu’un détenu condamné est privé de sa liberté qu’il perd la protection des autres droits fondamentaux énoncés dans la Convention, même si la jouissance de ces droits est inévitablement tempérée par les exigences de sa situation (Hirst c. Royaume-Uni [GC], no 74025/01, § 69, 6 octobre 2005). Toute restriction à ces autres droits doit être justifiée, même si pareille justification peut tout à fait reposer sur les considérations de sécurité, notamment la prévention du crime et la défense de l’ordre, qui découlent inévitablement des circonstances de l’emprisonnement (voir, par exemple, Silver et autres c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, §§ 99-105, série A no 61).

86. En l’espèce, la Cour observe que, pendant une période qui s’est étendue sur plusieurs années, les requérants, détenus se trouvant sous le contrôle de l’État, ont été obligés de placer les sommes constituant leur pécule de libération sur un livret dont le taux d’intérêt était inférieur aux taux d’autres instruments bancaires disponibles sur le marché et qu’ils ont été ainsi empêchés par les autorités de souscrire à un livret susceptible de leur offrir un taux d’intérêt plus élevé.

Elle prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel la mesure litigieuse était indispensable pour garantir la conservation des sommes constituant le pécule de libération des requérants, en particulier pour empêcher ces derniers de les débourser avant la fin de leur incarcération.

Elle constate néanmoins que, en application du cadre réglementaire qui était en vigueur jusqu’au 31 décembre 2011, les requérants ont été entièrement privés du choix d’instruments bancaires sur lesquels ils auraient pu placer les sommes constituant leur pécule de libération.

87. Bien que la perte financière occasionnée aux requérants par la mesure litigieuse paraisse insignifiante, la Cour rappelle que l’incidence d’une perte pécuniaire ne doit pas se mesurer de façon abstraite; un préjudice matériel même modeste peut être important eu égard à la situation particulière de l’individu concerné et à la conjoncture économique du pays ou de la région où il vit (Korolev, décision précitée).

88. En l’espèce, la Cour relève que la mesure incriminée a touché les requérants alors qu’ils se trouvaient déjà dans une situation de précarité économique, compte tenu de leurs longues peines et de l’absence d’offres d’emploi en milieu carcéral. Bien que le préjudice occasionné aux requérants par la mesure litigieuse ait été modeste, la Cour estime que les intéressés se trouvaient dans une situation économique telle que ladite mesure a pu avoir des répercussions sur leur vie personnelle (voir, a contrario, Rinck c. France (déc.), no 18774/09, 19 octobre 2010).

89. La Cour souligne que, même si l’existence de solutions de rechange ne rend pas en soi injustifiée la législation litigieuse, elle représente un facteur, parmi d’autres, aidant à déterminer si les moyens employés peuvent passer pour raisonnables et aptes à la réalisation du but légitime poursuivi, eu égard au « juste équilibre » à préserver (James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 51, série A no 98, et Borjonov c. Russie, no 18274/04, § 61, 22 janvier 2009). En l’espèce, la Cour relève que, en procédant à l’amendement de l’article 126 du CAP entré en vigueur en janvier 2012, les autorités polonaises ont elles-mêmes supprimé la mesure litigieuse. Par ailleurs, la disposition susmentionnée du CAP a été de nouveau amendée en juillet 2015 (paragraphe 30 ci‑dessus). Par conséquent, la Cour n’est pas convaincue que celle-ci était indispensable pour atteindre le but susvisé.

90. La Cour relève enfin que le critère de recevabilité posé par l’article 35 § 3 b) de la Convention, qui exige que l’affaire ait été dûment examinée par un tribunal interne, a pour but de garantir que toute affaire fasse l’objet d’un examen juridictionnel soit sur le plan national, soit sur le plan européen (Rinck, décision précitée).

À cet égard, la Cour renvoie à son observation faite aux paragraphes 55‑56 ci-dessus, selon laquelle il n’a pas été démontré que les requérants avaient eu à leur disposition un recours leur permettant de se plaindre de la mesure litigieuse devant les juridictions internes.

91. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère qu’un « juste équilibre », au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde du droit des requérants au respect de leurs biens, a été rompu en l’espèce.

92. Partant, elle rejette l’exception du Gouvernement tirée de l’absence de préjudice important des requérants et conclut à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

93. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommages

94. Le requérant Marek Siemaszko réclame 95 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 2 000 EUR au titre du préjudice moral.

Le requérant Jan Olszyński dit ne pas être en mesure d’évaluer le préjudice matériel qu’il estime avoir subi et s’en remet à la sagesse de la Cour. Au titre du préjudice moral, il demande 25 000 EUR.

95. Le Gouvernement considère que les requérants n’ont subi aucun préjudice matériel et demande à la Cour de rejeter leurs prétentions y afférentes. Il fait observer en outre que la demande du requérant Jan Olszyński n’est pas étayée et que la somme réclamée au titre du préjudice moral est exorbitante. Le Gouvernement soutient aussi que l’affaire ne saurait impliquer de dommage moral, au motif qu’elle ne concerne que des droits à caractère patrimonial. Il prie la Cour, dans l’hypothèse où elle conclurait à une violation, de dire que le constat de violation constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante.

96. La Cour observe qu’en l’espèce les avoirs financiers des requérants n’ont pas apporté les intérêts qu’ils auraient pu obtenir en choisissant librement parmi les instruments bancaires disponibles sur le marché. Sans vouloir spéculer sur l’étendue de leur préjudice financier subi de ce fait, la Cour doit néanmoins tenir compte du fait que les requérants ont subi un tort matériel et moral certain (Luczak c. Pologne, no 77782/01, § 64, 27 novembre 2008). Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle accorde à chacun des requérants 2 000 EUR, tous chefs de préjudice confondus.

B. Frais et dépens

97. Le requérant Marek Siemaszko n’a présenté aucune demande au titre des frais et dépens.

Le requérant Jan Olszyński réclame 1 200 EUR au titre du remboursement des frais et dépens afférents au travail de l’avocat l’ayant représenté devant la Cour. Il indique que les honoraires de son conseil correspondent à vingt-quatre heures de travail consacrées à la préparation des observations et d’autres pièces soumises en la présente affaire, à raison de 50 EUR de l’heure.

98. Le Gouvernement fait observer qu’aucune facture n’a été produite à l’appui de la demande du deuxième requérant et prie la Cour de rejeter cette dernière.

99. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence (Matrakas et autres c. Pologne et Grèce, no47268/06, § 185, 7 février 2014), la Cour estime raisonnable la somme de 850 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant Jan Olszyński.

C. Intérêts moratoires

100. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Joint au fond l’exception du Gouvernement tirée de l’absence de préjudice important et la rejette ;

3. Déclare les requêtes recevables ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 2 000 EUR (deux mille euros) à chacun des requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommages matériel et moral ;

ii. 850 EUR (huit cent cinquante euros) au requérant Jan Olszyński, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par ce requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 septembre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Andrea TamiettiAndrás Sajó
Greffier adjointPrésident


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-166749
Date de la décision : 13/09/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens;article 1 al. 2 du Protocole n° 1 - Réglementer l'usage des biens)

Parties
Demandeurs : SIEMASZKO ET OLSZYŃSKI
Défendeurs : POLOGNE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : GOTKOWICZ K. ; WAWAK Z.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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