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30/08/2016 | CEDH | N°001-166483

CEDH | CEDH, AFFAIRE MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA c. PORTUGAL, 2016, 001-166483


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA,

LDA c. PORTUGAL

(Requête no 55442/12)

ARRÊT

STRASBOURG

30 août 2016

DÉFINITIF

30/11/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Medipress-Sociedade Jornalística, Lda c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano

,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Egidijus Kūris,
Iulia Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Marialena Tsirli, greffièr...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA,

LDA c. PORTUGAL

(Requête no 55442/12)

ARRÊT

STRASBOURG

30 août 2016

DÉFINITIF

30/11/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Medipress-Sociedade Jornalística, Lda c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Egidijus Kūris,
Iulia Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 juillet 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 55442/12) dirigée contre la République portugaise et dont une société anonyme de droit portugais, Medipress-Sociedade Jornalística e Editorial, Lda (« la requérante »), a saisi la Cour le 16 août 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me R. Gil Santos, avocate à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

3. La requérante dénonçait une atteinte à sa liberté d’expression en raison de sa condamnation à verser des dommages-intérêts pour la publication d’un article d’opinion.

4. Le 2 septembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est une société de droit portugais dont le siège social se trouve à Paço de Arcos.

6. Le magazine « Visão », dont la société requérante est propriétaire depuis le 10 décembre 2008, publia le 7 octobre 2004 un article d’opinion sous le titre « L’éveil du président ? ».

7. Dans cet article, le journaliste affirmait ce qui suit :

« (...) M. fait preuve d’une grande précision lorsqu’il se borne à travailler sur les actes et les erreurs du gouvernement et de l’opposition. II est vrai qu’il a un problème avec P.S.L. [le Premier ministre], ou P.S.L. avec lui. C’est pourquoi, peut-être, le Premier ministre a sommé un peu lâchement son plus fidèle serviteur, R.G.S., le ministre des Affaires parlementaires, d’accuser M. d’être un menteur et un manipulateur et de le menacer de porter plainte contre lui devant la Haute autorité [pour la communication sociale]. Pour la simple raison qu’il n’est pas possible de revenir à l’époque de la censure, il propose désormais que dans la réglementation future des médias soit prévu le principe du contradictoire pour (...) le commentaire politique ! C’est-à-dire que l’opinion cesse d’être subjective pour être soumise à ces nouvelles règles du journalisme ! Une loi taillée sur mesure pour M. ! S’agirait-il d’un délire provoqué par la consommation de drogues dures ? D’une nouvelle originalité portugaise ? Ou tout simplement d’une bavure innommable ? ».

8. Le 25 septembre 2007, P.S.L., Premier ministre du Portugal du 12 juillet 2004 au 12 mars 2005, saisit le tribunal d’Oeiras d’une action en responsabilité civile contre la société Edimpresa-Editora, Lda, ancienne propriétaire du magazine « Visão », et contre l’auteur de l’article. Il alléguait que l’article litigieux lui imputait la consommation de drogues dures et portait atteinte à sa réputation.

9. D’après les dépositions de quatre des témoins indiqués par le demandeur, interrogés au cours des audiences tenues au tribunal d’Oeiras, l’article litigieux entretenait la confusion sur la consommation de drogues dures par celui-ci, d’autant plus que cette rumeur circulait à l’époque dans le milieu politique et social.

Le tribunal d’Oeiras conclut comme suit son verdict du 28 mai 2010 sur les faits de la cause :

« (...)

Comme l’ont dit plusieurs témoins avec connaissance de cause en raison de leurs fonctions, une rumeur circulait [attribuant] au demandeur la consommation de drogues dures. L’article visait ainsi à faire écho à cette rumeur, la propager ou, pour ceux qui n’en étaient pas au courant, éveiller le doute des lecteurs. »

10. Par un jugement prononcé le 22 septembre 2010, le tribunal d’Oeiras, faisant partiellement droit aux prétentions du demandeur, conclut que celui-ci avait subi une atteinte à sa réputation et condamna la société requérante, solidairement avec l’auteur de l’article, à payer 30 000 euros (EUR) au demandeur pour le préjudice moral causé par ladite atteinte, en application des articles 484 et 70 du code civil.

Le tribunal d’Oeiras se prononça comme suit :

« L) Le texte élaboré par la [requérante] créait un doute au sujet de la consommation de drogues dures par le demandeur, et il visait à communiquer cette allégation à l’opinion publique de façon à discréditer et à désavouer celui qui venait de prendre ses fonctions en tant que Premier ministre (...).

M) Et il avait pour but de démontrer l’incapacité du demandeur à assumer les responsabilités de l’État ou à gérer les affaires étatiques, diminuant la confiance du public en sa capacité pour l’exercice de fonctions publiques.

N) Et il visait à humilier et à ruiner l’image du demandeur.

(...) »

11. Le 4 octobre 2010, la société requérante interjeta appel de cette condamnation devant la cour d’appel de Lisbonne. Le 25 octobre 2010, le demandeur interjeta également appel du jugement : il considérait que le montant de la réparation était insuffisant eu égard au préjudice qu’il estimait avoir subi.

12. Par un arrêt du 21 juin 2011, la cour d’appel de Lisbonne confirma le jugement du tribunal d’Oeiras, considérant que l’atteinte à la réputation de l’intéressé avait été commise avec dol. Elle releva notamment :

– que l’article litigieux imputait indirectement au Premier ministre la consommation de drogues dures ;

– que la partie de l’article correspondant à cette imputation ne relevait pas de l’exercice du droit d’informer et était, par conséquent, illicite ;

– que l’article faisait naître un doute sur la consommation de drogues dures par le Premier ministre et qu’il ne se bornait pas à émettre une critique objective de la politique du gouvernement.

La cour d’appel de Lisbonne s’exprima comme suit :

« L) Le texte élaboré par la [requérante] créait un doute au sujet de la consommation de drogues dures par le demandeur, et il visait à communiquer cette allégation à l’opinion publique de façon à discréditer et à désavouer celui qui venait de prendre ses fonctions en tant que Premier ministre (...).

M) Et il avait pour but de démontrer l’incapacité du demandeur à assumer les responsabilités de l’État ou à gérer les affaires étatiques, diminuant la confiance du public en sa capacité pour l’exercice de fonctions publiques.

N) Et il visait à humilier et à ruiner l’image du demandeur. »

« (...)

En fait, étant établi que l’article litigieux soulevait un doute au sujet de la consommation de drogues dures par le demandeur force est de constater que [la requérante] porta atteinte à la réputation du demandeur se plaçant sous l’empire de la loi de la presse, du statut du journaliste et de l’article 484 du code civil.

(...) »

« (...)

Compte tenu des faits établis en l’espèce, force est de constater que l’allégation [par la requérante] d’une simple critique objective à l’activité politique du pays manque d’appui factuel.

(...) »

13. La cour d’appel considéra en outre, en se référant aux dépositions de plusieurs témoins entendus au cours du procès, que des rumeurs sur la consommation de drogues dures par le Premier ministre, P. S. L., circulaient à l’époque de la publication de l’article précité.

À cet égard, la cour d’appel s’exprima comme suit :

« La question de l’existence ou non de rumeurs sur la consommation de drogues dures par [le demandeur], bien qu’elle ne figure pas dans la décision spécifiant les faits à établir (base instrutória), fut largement discutée tout au long de l’interrogatoire des témoins, car les conseils des parties les ont interpellés à ce sujet (...) ce qui signifie que les deux parties ont voulu clarifier cet aspect (...) »

14. Le 29 juin 2011, la requérante et l’auteur de l’article se pourvurent en cassation devant la Cour suprême de justice.

15. Par un arrêt du 14 février 2012, la Cour suprême de justice confirma l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne, considérant que l’article publié le 7 octobre 2004 avait constitué une attaque de nature personnelle à l’encontre du demandeur et qu’elle devait, dès lors, être qualifiée d’illicite. La Cour suprême de justice souligna que la société requérante, en publiant l’article litigieux, avait fait naître un doute inacceptable à l’égard du Premier ministre, puisque l’article laissait penser au public que ce dernier était un consommateur de drogues dures. Recherchant si la société requérante avait agi de bonne foi, la Cour suprême de justice estima que celle-ci ne s’était pas bornée à publier une critique politique sur un sujet d’intérêt général mais qu’elle avait dirigé une attaque personnelle et gratuite contre le Premier ministre. La Cour suprême de justice expliqua que, d’une part, l’affirmation litigieuse était dénuée de toute base factuelle puisque l’auteur de l’article n’avait pas dûment vérifié ses informations avant de le rédiger, et que, d’autre part, sous prétexte de critiquer le projet de modification législative proposé par le Premier ministre, l’article s’était mué en un commentaire visant directement l’intéressé.

16. La Cour suprême de justice considéra ainsi comme établi que l’imputation de consommation de drogues dures dirigée contre le Premier ministre était injuste et que l’article litigieux n’avait pas été rédigé en conformité avec les règles déontologiques auxquelles sont soumis les journalistes. Par conséquent, alors qu’il n’existait pas de hiérarchie entre le droit de l’intéressé à la protection de l’honneur et le droit de la requérante à la liberté d’expression, elle décida en l’occurrence de faire prévaloir le premier sur le second. À cet égard, elle s’exprima comme suit :

« (...)

Les citoyens en général, et les journalistes en particulier, doivent pouvoir débattre ouvertement des questions d’intérêt général, sous peine de transformer la critique publique en [activité à] risque. Ils doivent pouvoir le faire sans considération du choc, de l’amertume, des traumatismes ou des troubles émotionnels que la critique peut engendrer. En effet, la protection du droit au respect de la réputation d’autrui est réduite de façon automatique lorsqu’il s’agit d’hommes politiques. (...) Les journalistes doivent pouvoir jouir d’une plus grande latitude pour des exagérations et (...) des provocations (...). L’activité journalistique doit cependant observer les principes déontologiques qui la régissent, dans le respect de la bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de confiance. (...) L’article examiné ici, dans la partie portant sur (...) le « délire provoqué par la consommation de drogues dures », ne se place pas dans le champ de la critique objective et sérieuse (...). L’imputation n’étant pas (...) légitime, le conflit de droits entre les droits de la personnalité (direitos de personalidade), d’une part, et le droit à la liberté d’expression, d’autre part, se résout en l’espèce au détriment de la liberté d’expression (...) ».

« (...)

Le texte litigieux avait pour but de créer dans l’opinion un doute au sujet de la consommation de drogues dures par le demandeur, de façon à soulever des réserves sur celui qui venait de prendre ses fonctions en tant que Premier ministre, sur sa capacité à prendre les responsabilités de l’État, et en mettant en cause l’image et le prestige du demandeur et attaquant sa respectabilité d’homme politique (...) ».

« Les déclarations de fait sont vraies ou fausses et elles supposent la nécessité de leur preuve. En revanche, les jugements de valeur ne pouvant certes être dénués d’une base factuelle n’imposent pas, en principe, la recherche de leur véracité, de leur caractère faux, ou de leur motivation émotionnelle ou rationnelle, pourvu que leur origine subjective soit immédiatement perceptible pour les destinataires. »

« Le devoir de démonstration ne correspond pas au fait historique raconté ni à sa démonstration scientifique ou même judiciaire. Il sera satisfait par les exigences déontologiques des journalistes, qui ne devront pas se contenter de leur impression subjective, et observer des exigences qui imposent une base objective de laquelle puisse découler une croyance basée sur la vérité et dotée du même effet que celle-ci.

(...) »

Dans la mise en balance effectuée en l’espèce, la Cour suprême de justice a cité la jurisprudence de la Cour, notamment l’affaire Oberschlick c. Autriche, De Haes et Gijsels c. Belgique, Colombani et autres c. France, et Radio France et autres c. France.

17. En exécution de l’arrêt de la Cour suprême de justice, la société requérante versa le 5 mars 2012 au demandeur l’intégralité du montant des dommages et intérêts auxquels elle avait été condamnée, soit 30 000 EUR.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

18. Les dispositions pertinentes de la Constitution sont les suivantes :

Article 26

« 1. Toute personne a droit (...) à l’honneur et à la réputation (...) et au respect de l’intimité de sa vie privée et familiale (...) ».

Article 37

« 1. Toute personne dispose du droit (...) d’informer, de s’informer et d’être informée, sans interdictions ni discriminations ».

Article 38

« 1. La liberté de la presse est garantie.

2. La liberté de la presse implique :

a) la liberté d’expression (...) pour les journalistes (...) ».

19. Au moment des faits, les dispositions pertinentes du code civil se lisaient ainsi :

Article 70
Protection générale de la personne

« 1. La loi protège les individus contre les atteintes ou les menaces d’atteintes illicites envers leur personnalité physique ou morale.

2. Sans préjudice à la responsabilité civile qu’engagerait l’atteinte, la personne visée peut demander des mesures adaptées aux circonstances de l’affaire dans le but d’éviter l’exécution d’une menace ou d’atténuer les conséquences d’une atteinte. »

Article 335
Conflit de droits

« 1. En cas de conflit entre les mêmes droits ou entre des droits de même nature, leurs titulaires devront faire des concessions dans la mesure du nécessaire pour que tous les droits produisent également leurs effets, sans défavoriser aucune des parties. »

Article 483
Principe général

« Quiconque, par un dol ou une faute simple, porte atteinte de manière illicite à un droit d’autrui ou à une quelconque disposition légale ayant pour but la protection des intérêts d’autrui doit indemniser la personne lésée pour les dommages résultant d’un tel acte.

(...) »

Article 484
Atteinte au respect et à la réputation

« Quiconque énonce ou fait connaître un fait susceptible de porter atteinte au respect et à la réputation d’une personne physique ou morale répondra des dommages causés. »

Article 487
Faute

« (...)

2. La faute est appréciée, à défaut d’autre critère prévu par la loi, selon le critère de la diligence d’un bon père de famille, en fonction des circonstances de chaque espèce. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

20. La requérante allègue que sa condamnation au civil pour atteinte à l’honneur et à la réputation du Premier ministre de l’époque a violé son droit à la liberté d’expression tel que protégé par l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...).

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

A. Sur la recevabilité

21. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

22. La requérante dénonce une atteinte à son droit à la liberté d’expression. Elle allègue que l’article litigieux ne visait pas le Premier ministre en poste à l’époque des faits et qu’il n’insinuait rien concernant la prétendue consommation de drogues dures de celui-ci. Elle reconnaît que cet article contenait un jugement critique sévère du projet de changement des normes juridiques régissant les articles d’opinion politique, mais sans attaquer, directement ou indirectement, le Premier ministre. Selon elle, l’article en question, au moyen d’une image forte, se bornait à souligner la nature inadéquate, déraisonnable et même absurde de ce projet législatif.

23. La requérante estime que, en faisant valoir que l’article litigieux contenait une attaque personnelle dirigée contre le Premier ministre, la Cour suprême de justice a sorti l’article de son contexte, et que les raisons qu’elle a mises en avant pour confirmer la décision des instances inférieures ne suffisaient pas à établir la nécessité d’une telle ingérence dans une société démocratique. Elle conclut que la Cour suprême de justice n’a pas ménagé un juste équilibre entre, d’une part, son droit à la liberté d’expression et, d’autre part, le droit du Premier ministre de l’époque à la protection de son honneur et de sa réputation.

24. Le Gouvernement admet que la condamnation de la requérante au civil constitue une ingérence dans l’exercice par l’intéressée de son droit à la liberté d’expression.

25. S’agissant du contexte particulier de l’affaire, le Gouvernement note cependant que, d’après les dépositions de certains témoins au cours du procès, des rumeurs associant la personne du Premier ministre à la consommation de drogues dures circulaient à l’époque des faits. Il ajoute que le magazine de la requérante fait partie de la presse dite sérieuse et jouit d’une crédibilité certaine à la fois au Portugal et en dehors du pays. Par conséquent, le Gouvernement conclut que l’article litigieux était susceptible d’avoir fait naître au moins un doute sur la consommation de drogues dures par le Premier ministre.

26. Se référant à l’arrêt Axel Springer AG c. Allemagne [GC], (no 39954/08, § 93, 7 février 2012), le Gouvernement estime que la requérante a diffusé une information dénuée de la moindre base factuelle et a agi de mauvaise foi. Selon lui, les juridictions ont procédé à une pondération adéquate des intérêts en jeu et ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le droit de l’ancien Premier ministre au respect de sa réputation et de son honneur et, d’autre part, l’intérêt public et la liberté d’expression.

27. S’agissant du montant versé par la requérante pour dommage moral, soit 30 000 EUR, il reconnaît que la somme en cause n’est pas négligeable. Néanmoins, il ajoute que les juridictions ont pris en compte, pour la fixer, les dommages causés à l’image du Premier ministre, le dol de l’auteur de l’article litigieux et l’importance de la diffusion du magazine de la requérante.

2. Appréciation de la Cour

28. La Cour a déjà examiné sur le terrain de l’article 10 des condamnations au civil pour diffamation (De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I, et Bergens Tidende et autres c. Norvège, 2 mai 2000, Recueil 2000-IV). La Cour examinera la présente affaire, à la lumière des principes bien établis en la matière rappelés dans l’arrêt Amorim Giestas et Jesus Costa Bordalo c. Portugal (no 37840/10, §§ 24-27, 3 avril 2014).

a) Sur l’existence d’une ingérence

29. Les parties s’accordent à considérer que les décisions judiciaires rendues en l’espèce ont constitué une ingérence dans l’exercice par la requérante du droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention. La Cour souscrit à cette analyse.

b) Sur la justification de l’ingérence

30. Une ingérence est contraire à la Convention si elle ne respecte pas les exigences prévues au paragraphe 2 de l’article 10. Il y a donc lieu de déterminer si la présente ingérence était « prévue par la loi », si elle visait un ou plusieurs des buts légitimes énoncés dans ce paragraphe et si elle était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts.

i. Prévue par la loi

31. En l’espèce, la Cour constate que l’ingérence était prévue par les articles 70 et 484 du code civil.

ii. But légitime

32. La Cour note que l’ingérence visait un but légitime, à savoir la protection de la réputation ou des droits d’autrui au sens de l’article 10 § 2 de la Convention, ce qui peut englober, selon la jurisprudence de la Cour, le droit des personnes concernées au respect de leur vie privée protégé par l’article 8 de la Convention (Chauvy et autres c. France, no 64915/01, § 70, CEDH 2004‑VI, Pfeifer c. Autriche, no 12556/03, § 35, 15 novembre 2007, et Almeida Leitão Bento Fernandes c. Portugal, no 25790/11, § 45, 12 mars 2015).

33. La question qui se pose est donc celle de savoir si l’ingérence était « nécessaire, dans une société démocratique ». Il s’agit plus particulièrement d’examiner si les autorités ont ménagé un juste équilibre entre le droit de la requérante à la liberté d’expression et le droit de l’homme politique visé par l’article de presse au respect de sa vie privée.

iii. Nécessaire dans une société démocratique

α) Principes généraux

34. La Cour rappelle que sur le terrain de l’article 10 de la Convention les États contractants disposent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de la nécessité et de l’ampleur d’une ingérence dans la liberté d’expression protégée par cette disposition (Tammer c. Estonie, no 41205/98, § 60, CEDH 2001-I, et Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 68, CEDH 2004‑XI). Toutefois, cette marge d’appréciation va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui en font application, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante (voir, mutatis mutandis, Peck c. Royaume-Uni, no 44647/98, § 77, CEDH 2003‑I, et Karhuvaara et Iltalehti c. Finlande, no 53678/00, § 38, CEDH 2004-X).

35. La Cour rappelle avoir dit dans son arrêt Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France ([GC], nos 21279/02 et 36448/02, § 46, CEDH 2007-IV) que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours et du débat politiques – dans lequel la liberté d’expression revêt la plus haute importance (Brasilier c. France, no 71343/01, § 41, 11 avril 2006) – ou des questions d’intérêt général (voir notamment Sürek c. Turquie (no 1) [GC], no 26682/95, § 61, CEDH 1999-IV, et Brasilier, précité, idem).

36. La Cour rappelle en outre que les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (voir, par exemple, Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103, Vides Aizsardzības Klubs c. Lettonie, no 57829/00, § 40, 27 mai 2004, et Brasilier, précité, § 41). Par ailleurs, la liberté journalistique comprend aussi le recours possible à une certaine dose d’exagération, voire même de provocation (Prager et Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995, § 38, série A no 313, Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, §§ 45-46, CEDH 2001‑III, Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 39, CEDH 2003‑V, et Riolo c. Italie, no 42211/07, § 70, 17 juillet 2008).

37. Si la presse ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et des droits d’autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général. Ainsi, la mission d’information comporte nécessairement des « devoirs et des responsabilités » ainsi que des limites que les organes de presse doivent s’imposer spontanément (Mater c. Turquie, no 54997/08, § 55, 16 juillet 2013, et Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France [GC], no 40454/07, § 89, CEDH 2015 (extraits)). La Cour rappelle également que la protection que l’article 10 offre aux journalistes est subordonnée à la condition qu’ils agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect des principes d’un journalisme responsable.

38. Lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur un conflit entre deux droits également protégés par la Convention, la Cour doit effectuer une mise en balance des intérêts en jeu. L’issue de la requête ne saurait en principe varier selon qu’elle a été portée devant elle, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, par la personne faisant l’objet de la publication ou, sous l’angle de l’article 10, par son auteur. En effet, ces droits méritent a priori un égal respect (Hachette Filipacchi Associés (ICI PARIS) c. France, no 12268/03, § 41, 23 juillet 2009, Timciuc c. Roumanie (déc.), no 28999/03, § 144, 12 octobre 2010, et Mosley c. Royaume-Uni, no 48009/08, § 111, 10 mai 2011). Dès lors, la marge d’appréciation devrait en principe être la même dans les deux cas (Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, § 106, CEDH 2012, Axel Springer AG, précité, § 87, et Almeida Leitão Bento Fernandes, précité, § 49).

39. En outre, dans les arrêts Lingens (précité, § 46) et Oberschlick (Oberschlick c. Autriche (no 1), 23 mai 1991, § 63, série A no 204), la Cour a distingué entre déclarations de fait et jugements de valeur. La matérialité des déclarations de fait peut se prouver ; en revanche, les jugements de valeur ne se prêtant pas à une démonstration de leur exactitude, l’obligation de preuve est donc impossible à remplir et porte atteinte à la liberté d’opinion elle-même, élément fondamental du droit garanti par l’article 10 (De Haes et Gijsels, précité, § 42, et Bargão et Domingos Correia c. Portugal, nos 53579/09 et 53582/09, § 37, 15 novembre 2012). Cependant, en cas de jugement de valeur, la proportionnalité de l’ingérence dépend de l’existence d’une « base factuelle » suffisante sur laquelle reposent les propos litigieux : à défaut, ce jugement de valeur pourrait se révéler excessif (De Haes et Gijsels, précité, § 47, Oberschlick c. Autriche (no 2), 1er juillet 1997, § 33, Recueil 1997‑IV, Brasilier, précité, § 36, et Lindon, Otchakovsky-Laurens et July, précité, § 55). Pour distinguer une imputation de fait d’un jugement de valeur, il faut tenir compte des circonstances de l’espèce et de la tonalité générale des propos (Brasilier, précité, § 37), étant entendu que des assertions sur des questions d’intérêt public peuvent constituer à ce titre des jugements de valeur plutôt que des déclarations de fait (Paturel c. France, no 54968/00, § 37, 22 décembre 2005, et Morice c. France [GC], no 29369/10, § 126, 23 avril 2015).

40. Si la mise en balance par les autorités nationales s’est faite dans le respect des critères établis par la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que celle-ci substitue son avis à celui des juridictions internes (MGN Limited c. Royaume-Uni, no 39401/04, §§ 150 et 155, 18 janvier 2011, Palomo Sánchez et autres c. Espagne [GC], nos 28955/06, 28957/06, 28959/06 et 28964/06, § 57, CEDH 2011, Jelševar et autres c. Slovénie (déc.), no 47318/07, § 32, 11 mars 2014, et Almeida Leitão Bento Fernandes, précité, § 50).

β) Application des principes précités à la présente espèce

41. En l’espèce, la Cour constate que l’article litigieux a été publié dans un magazine jouissant d’une certaine crédibilité auprès du public et qu’il portait sur un sujet d’intérêt général relevant de la vie politique et sociale du pays. La marge d’appréciation dont disposaient les autorités pour juger de la nécessité de la condamnation prononcée contre la requérante au civil était, en conséquence, étroite.

42. Cela étant, la Cour rappelle que l’article 10 de la Convention ne garantit pas une liberté d’expression sans aucune restriction même quand il s’agit de rendre compte dans la presse de questions sérieuses d’intérêt général. Le paragraphe 2 de cet article précise que l’exercice de cette liberté comporte des « devoirs et responsabilités » qui peuvent revêtir de l’importance lorsque, comme en l’espèce, l’on risque de porter atteinte à la réputation de particuliers et de mettre en péril les « droits d’autrui ». Ainsi, l’information rapportée sur des questions d’intérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit (Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 54, CEDH 1999‑I, Brunet-Lecomte et autres c. France, no 42117/04, § 47, 5 février 2009, et Barata Monteiro da Costa Nogueira et Patrício Pereira c. Portugal, no 4035/08, § 31, 11 janvier 2011). La Cour rappelle que, s’il est vrai que les adversaires des idées et positions officielles doivent pouvoir trouver leur place dans l’arène politique, discutant au besoin des actions menées par des responsables dans le cadre de l’exercice de leurs mandats publics, ils sont également tenus de ne pas dépasser certaines limites quant au respect – notamment – de la réputation et des droits d’autrui (Fleury c. France, no 29784/06, § 45, 11 mai 2010, et Barata Monteiro da Costa Nogueira et Patrício Pereira, précité, § 37).

43. La Cour a examiné l’article incriminé sans y trouver d’expressions déclarant que le demandeur avait commis des actes illicites punis d’une amende administrative (coima), comme, en l’espèce, la consommation de drogues dures au Portugal (voir, mutatis mutandis, Gouveia Gomes Fernandes et Freitas e Costa c. Portugal, no 1529/08, § 51, 29 mars 2011). Par ailleurs, même si l’on interprète les mots pertinents comme une allusion à l’existence de rumeurs sur ce sujet, dont l’article litigieux ferait l’écho, la Cour estime qu’elle n’a été utilisée par la requérante que pour appuyer sa virulente critique de la proposition législative du gouvernement dirigé à l’époque des faits par le demandeur (voir, mutatis mutandis, Riolo, précité, § 67). Contrairement aux juridictions portugaises, la Cour interprète les déclarations incriminées dans la présente affaire comme faisant partie des assertions critiques sur des questions d’intérêt public par un journaliste et constituant à ce titre des jugements de valeur plutôt que des déclarations de fait (voir, mutatis mutandis, Jerusalem c. Autriche, no 26958/95, §§ 42 et 44, CEDH 2001‑II, et Brasilier, précité, § 37). En effet, la Cour note que les cours nationales n’ont pas pris en considération la nature ironique des assertions du journaliste dans le contexte de sa critique sur les « nouvelles règles du journalisme » proposées par le gouvernement (Lepojic c. Serbie, no 13909/05, § 77, 6 novembre 2007, et Sokolowski c. Pologne, no 75955/01, 46, 29 mars 2005). Pour la Cour, il est évident que le journaliste ne voulait pas imputer la consommation de drogues dures au Premier ministre, ni répandre une telle rumeur, mais au contraire utiliser l’ironie pour contester une proposition politique qui faisait débat dans la société portugaise. Enfin, les cours nationales n’ont pas examiné, comme elles auraient dû le faire, l’existence d’une base factuelle pour la critique des « nouvelles règles du journalisme » faite par le journaliste dans l’article incriminé.

44. Dans ces conditions, la Cour estime que, tout en contenant une certaine dose de provocation, l’article de la requérante ne saurait s’analyser en une attaque personnelle gratuite à l’encontre de l’ex-Premier ministre (voir, mutatis mutandis, Kwiecień c. Pologne, no 51744/99, § 54, 9 janvier 2007, Ormanni c. Italie, no 30278/04, § 73, 17 juillet 2007, et Chalabi c. France, no 35916/04, §§ 45-46, 18 septembre 2008).

45. Les considérations qui précèdent suffisent pour conduire la Cour à conclure que l’ingérence dans la liberté d’expression de la requérante n’a pas été conforme à la Convention. Au demeurant, elle considère également que le montant des dommages moraux et de la compensation que la requérante a été condamnée à payer (30 000 EUR au total) est de nature à altérer le juste équilibre requis en la matière (voir Riolo, précité, § 71). La Cour rappelle que la nature et la lourdeur des sanctions infligées sont des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité d’une ingérence (voir, par exemple, Sürek, précité, § 64, deuxième alinéa, et Chauvy et autres, précité).

iv. Conclusion

46. À la lumière de ce qui précède, les motifs avancés à l’appui de la condamnation de la requérante ne suffisent pas pour convaincre la Cour que l’ingérence dans l’exercice du droit de l’intéressée à la liberté d’expression était « nécessaire dans une société démocratique » ; en particulier, les moyens employés étaient disproportionnés par rapport au but visé, à savoir « la protection de la réputation ou des droits d’autrui ».

En conséquence, ladite condamnation a enfreint l’article 10 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

47. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

48. La requérante ne réclame aucune somme au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi. Quant au préjudice matériel, il s’élèverait à 30 000 EUR, au titre de la somme déjà versée au demandeur dans la procédure nationale.

49. Le Gouvernement conteste le droit de la requérante à une réparation pour dommage matériel, réitérant sa thèse de la non violation de l’article 10 de la Convention. À titre subsidiaire, une violation de l’article 10 de la Convention étant reconnue par la Cour, il allègue que la requérante aura la possibilité de former un recours en révision afin de redresser la violation de son droit par un arrêt passé en force de chose jugée.

50. La Cour considère qu’il y a un lien de causalité entre la violation constatée en la présente affaire et les sanctions, pénalités et frais de justice de la partie civile que la requérante a été condamnée à payer (voir, mutatis mutandis, Tønsbergs Blad AS and Haukom c. Norvège, no 510/04, § 107, 1er mars 2007, et Ormanni, précité, § 83). En particulier, le tribunal d’Oeiras a condamné la requérante à verser au demandeur 30 000 EUR pour dommages moraux. La cour d’appel de Lisbonne et la Cour suprême de justice ont confirmé ce jugement. La Cour souligne à cet égard qu’on ne saurait reprocher à la requérante de ne pas avoir accepté le jugement de première instance, la recevabilité de sa requête dépendant de l’épuisement des voies de recours internes (voir Riolo, précité, § 79).

51. A la lumière de ce qui précède, la Cour octroie à la requérante la somme totale de 30 000 EUR pour préjudice matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

52. Se fondant sur des notes d’honoraires de ses avocats, la requérante demande également 10 875,56 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et 1 918,98 EUR pour ceux encourus devant la Cour.

53. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

54. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour relève que la requérante, avant de s’adresser à elle, a dû faire face à une procédure civile en diffamation dans le cadre de laquelle elle a dû assurer sa défense à travers trois degrés de juridiction, invoquant des arguments similaires à ceux qu’elle a utilisés pour étayer son grief tiré de l’article 10 de la Convention. La Cour admet par conséquent que l’intéressée a encouru des dépens pour prévenir la violation de la Convention dans l’ordre juridique interne (voir, mutatis mutandis, Rojas Morales c. Italie, no 39676/98, § 42, 16 novembre 2000, Sannino c. Italie, no 30961/03, § 75, 27 avril 2006, Ormanni, précité, § 88, et Riolo, précité, § 79). Compte tenu des éléments en sa possession, ainsi que de sa pratique en la matière, elle considère comme équitable d’accorder à la requérante à ce titre la somme forfaitaire de 7 000 EUR.

55. Par ailleurs, la Cour juge raisonnable le montant sollicité pour les frais et dépens afférents à la procédure devant elle (1 918,98 EUR) et décide d’octroyer 1 919 EUR de ce chef.

56. A la lumière de ce qui précède, la Cour octroie à la requérante la somme totale de 8 919 EUR pour frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

57. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 30 000 EUR (trente mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

ii. 8 919 EUR (huit mille neuf cent dix-neuf euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 août 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Marialena TsirliAndrás Sajó
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-166483
Date de la décision : 30/08/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 10 - Liberté d'expression-{Générale} (Article 10-1 - Liberté d'expression);Dommage matériel - réparation (Article 41 - Dommage matériel;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : MEDIPRESS-SOCIEDADE JORNALÍSTICA, LDA
Défendeurs : PORTUGAL

Composition du Tribunal
Avocat(s) : GIL SANTOS R.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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