CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE A.M. c. FRANCE
(Requête no 56324/13)
ARRÊT
STRASBOURG
12 juillet 2016
DÉFINITIF
12/10/2016
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire A.M. c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Angelika Nußberger, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Erik Møse,
André Potocki,
Faris Vehabović,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 juin 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 56324/13) dirigée contre la République française et dont un ressortissant tunisien, A.M. (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 septembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me E. Mauriac-Lapalisse, avocat à Bayonne. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue que sa rétention administrative a méconnu l’article 5 de la Convention.
4. Le 4 août 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1976 et réside à Kairouan (Tunisie)
6. Il quitta son pays au moment de la « révolution tunisienne » et entra irrégulièrement en France au mois de février 2011.
7. Interpellé par les services de police français le 4 mars 2011, il fit l’objet, le lendemain, de deux arrêtés, l’un prévoyant sa reconduite à la frontière et fixant la Tunisie comme pays de destination, et l’autre ordonnant son placement en rétention administrative. Par un jugement du 9 mars 2011, devenu définitif faute d’appel, le tribunal administratif de Pau confirma la légalité de ces décisions. Pour des raisons qui n’ont pas été communiquées à la Cour, la mesure d’éloignement ne fut jamais mise à exécution et le requérant fut remis en liberté.
8. Le 7 octobre 2011, à une heure inconnue dans l’après-midi, le requérant fut à nouveau interpellé. Il fit l’objet, à 17 heures, d’un second arrêté de placement en rétention en vue de l’exécution de l’arrêté de reconduite à la frontière du 5 mars 2011.
9. Le 9 octobre 2011, il contesta la légalité de l’arrêté de placement en rétention devant le tribunal administratif de Bordeaux. L’audience fut fixée au 11 octobre suivant à 13 heures. À 4 heures du matin le 11 octobre, le requérant fut renvoyé vers la Tunisie et ne put donc assister à l’audience. Le tribunal administratif rejeta néanmoins sa requête, le même jour, aux motifs suivants :
« Considérant (...) que [le requérant] soutient que le recours contre la décision de placement en rétention a nécessairement un effet suspensif de l’exécution de la mesure de reconduite à la frontière ; que, cependant, pour regrettable que soit l’exécution par le préfet de la mesure de reconduite préalablement au jugement de la légalité de l’arrêté de placement en rétention, en tout état de cause cette circonstance n’entache pas d’illégalité la décision attaquée de rétention, en l’absence de texte législatif ou réglementaire prévoyant le caractère suspensif de ce recours. »
10. Saisie par le requérant par l’intermédiaire de son avocat, la cour administrative d’appel de Bordeaux, le 20 mars 2012, annula l’arrêté du 7 octobre 2011 en tant qu’il prévoit que « le recours juridictionnel contre la décision de placement en rétention administrative ne suspend pas l’exécution de la mesure d’éloignement ». La cour administrative d’appel jugea notamment :
« Considérant qu’aux termes de l’article 5-4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. » ;
Considérant que ces stipulations impliquent qu’un étranger faisant l’objet d’un placement en rétention ne puisse être effectivement éloigné avant que le juge n’ait statué sur le recours qu’il a, le cas échéant, introduit contre la mesure de placement ; que, dès lors, en ne prévoyant pas, en dehors du cas visé à l’article L. 512-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans lequel le placement en rétention est contesté devant le juge en même temps que l’obligation de quitter le territoire français, que le recours devant le juge contre une mesure de placement en rétention administrative suspend l’exécution de la mesure d’éloignement tant que le juge n’a pas statué, ledit code, dans sa rédaction issue de la loi no 2011-672 du 16 juin 2011, est incompatible avec ces stipulations ; qu’il s’ensuit qu’en tant qu’il précise que « le recours juridictionnel contre la décision de placement en rétention administrative ne suspend pas l’exécution de la mesure d’éloignement », l’arrêté litigieux est entaché d’illégalité et doit être annulé ; (...) »
11. Le 4 mars 2013, le Conseil d’État annula l’arrêt de la cour administrative d’appel et, réglant l’affaire au fond, rejeta la requête présentée par le requérant devant la juridiction d’appel. Il motiva sa décision en ces termes :
« (...) 4. Considérant qu’il ressort des dispositions du paragraphe III de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que le législateur a organisé une procédure spéciale permettant au juge administratif de statuer rapidement sur la légalité des mesures relatives à l’éloignement des étrangers, hors la décision refusant le séjour, lorsque ces derniers sont placés en rétention ou assignés à résidence, ainsi que sur la légalité des décisions de placement en rétention ou d’assignation à résidence elles-mêmes ; que le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin statue alors au plus tard soixante-douze heures à compter de sa saisine ; qu’en vertu de l’article L. 512-3 du même code, lorsque le tribunal administratif est saisi d’une demande d’annulation d’une obligation de quitter le territoire français, cette mesure ne peut être exécutée d’office avant que le tribunal n’ait statué ; que les stipulations de l’article 5, paragraphe 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantissent le droit d’une personne privée de liberté de former un recours devant un tribunal qui statue rapidement sur la légalité de la détention, n’ont ni pour objet ni pour effet de conduire à reconnaître un caractère suspensif aux recours susceptibles d’être exercés contre les mesures de placement en rétention administrative prises pour assurer l’exécution des décisions, distinctes, qui ont ordonné l’éloignement des étrangers placés en rétention ; qu’il résulte de ce qui précède que la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit et que le ministre est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque en tant que cet arrêt a annulé l’arrêté du 7 octobre 2011 du préfet de la Gironde en tant qu’il indique que « le recours juridictionnel contre la décision de placement en rétention administrative ne suspend pas l’exécution de la mesure d’éloignement » et a réformé dans cette mesure le jugement du 11 octobre 2011 ;
(...)
7. Considérant, ainsi qu’il a été dit, que les stipulations de l’article 5 paragraphe 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’ont ni pour objet ni pour effet de conduire à reconnaître un caractère suspensif au recours exercé par M. [M.] contre la décision le plaçant en rétention administrative ; qu’elles n’impliquent pas davantage la suspension de l’exécution de la décision distincte qui avait ordonné sa reconduite à la frontière, dont, au demeurant, il ne demande pas l’annulation et qui était devenue définitive après le rejet du recours qu’il avait formé contre elle devant le tribunal administratif de Bordeaux ; (...) »
II. LE DROIT PERTINENT
A. Le droit de l’Union européenne
12. L’article 15 de la Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dispose :
« 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque :
a) il existe un risque de fuite, ou
b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.
Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.
2. La rétention est ordonnée par les autorités administratives ou judiciaires.
La rétention est ordonnée par écrit, en indiquant les motifs de fait et de droit.
Si la rétention a été ordonnée par des autorités administratives, les États membres :
a)soit prévoient qu’un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention,
b)soit accordent au ressortissant concerné d’un pays tiers le droit d’engager une procédure par laquelle la légalité de la rétention fait l’objet d’un contrôle juridictionnel accéléré qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question. Dans ce cas, les États membres informent immédiatement le ressortissant concerné d’un pays tiers de la possibilité d’engager cette procédure.
Le ressortissant concerné d’un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n’est pas légale.
3. Dans chaque cas, la rétention fait l’objet d’un réexamen à intervalles raisonnables soit à la demande du ressortissant concerné d’un pays tiers, soit d’office. En cas de périodes de rétention prolongées, les réexamens font l’objet d’un contrôle par une autorité judiciaire.
4. Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté.
5. La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut pas dépasser six mois.
6. Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n’excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison :
a)du manque de coopération du ressortissant concerné d’un pays tiers, ou
b)des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires.
B. Le droit interne pertinent
13. Outre l’existence d’une mesure d’éloignement, le renvoi d’un étranger suppose, dans la plupart des cas, un placement en centre de rétention administrative dans l’attente de la mise en œuvre de la mesure d’éloignement. En France, le placement en rétention administrative est décidé par une autorité administrative, puis il est éventuellement prolongé par un juge judiciaire, le juge des libertés et de la détention (JLD).
14. Le contentieux de l’éloignement et celui de la rétention administrative sont distincts. Le contentieux de l’éloignement relève de la compétence des juridictions administratives (sauf exceptions sans pertinence dans le cadre de la présente affaire) : la mesure d’éloignement étant décidée par une autorité administrative, l’examen de la légalité de la décision relève du juge administratif. Le contentieux de la rétention administrative ressortit actuellement à la compétence des juridictions administratives et des juridictions judiciaires, les juges de ces différents ordres intervenant de façon combinée.
1. L’imbrication des compétences des juridictions administratives et judiciaires
15. Le juge administratif n’intervient que s’il est saisi d’un recours de l’étranger contre l’arrêté de placement en rétention. Il exerce un contrôle sur la légalité interne et externe de l’arrêté de placement en rétention. Dans le cadre de la légalité externe, il s’assure de la compétence de l’auteur de la décision, de la motivation de celle-ci et de la régularité de la procédure ayant conduit à son adoption. Au titre de la légalité interne, il effectue essentiellement un contrôle de la nécessité du placement en rétention, qui s’apprécie au regard de raisons objectives : l’impossibilité de trouver immédiatement un moyen de transport vers le pays de renvoi et l’absence de garanties de représentation suffisantes de l’intéressé. Il peut également rechercher si le placement en rétention constitue une atteinte disproportionnée au droit de l’intéressé à mener une vie personnelle et familiale normale. Il est également compétent pour tout litige relatif aux conditions matérielles d’exécution.
16. La rétention administrative étant une privation de liberté et le juge judiciaire étant le garant de la liberté individuelle (art. 66 de la Constitution), le JLD est également compétent (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), art. L. 552-1). Il intervient lorsqu’il est saisi par le préfet aux fins de statuer sur la demande de prolongation du maintien en rétention. Il vérifie notamment la régularité des actes antérieurs au placement en rétention (par exemple, la régularité de l’interpellation, de la garde à vue, de l’acheminement au lieu de rétention ou de la notification des droits). Il est incompétent pour se prononcer sur la mesure d’éloignement qui a fondé la rétention administrative mais il s’assure que l’étranger est effectivement susceptible de faire l’objet d’une mesure d’éloignement et il contrôle la nécessité du maintien en rétention compte tenu des diligences de l’administration.
2. Ordre d’intervention des juridictions administratives et judiciaires
17. De 1998 à 2011, le JLD intervenait à l’issue de 48 heures de privation de liberté, saisi par l’administration elle-même, qui sollicitait le prolongement du placement en rétention. Le juge administratif pouvait être saisi de la légalité de l’arrêté de placement en rétention, dans un délai de deux mois, et n’avait pas de terme précis pour statuer. Il pouvait, par contre, être saisi par la voie de la procédure d’urgence en référé. Aucun de ces recours n’était suspensif de la mesure d’éloignement.
18. La loi no 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, applicable lors des faits de la présente requête et toujours en vigueur, a inversé l’ordre d’intervention des juges administratif et judiciaire. Ainsi, le juge administratif, que la personne concernée peut saisir d’un recours en annulation dans un délai de 48 heures, intervient pour contrôler la légalité de la mesure de placement en rétention. Il est contraint de rendre sa décision dans un délai de 72 heures. Ce n’est qu’à l’issue de cinq jours, à compter de la décision de placement en rétention, que le JLD est désormais saisi par l’administration aux fins de prolongation de la rétention. À cette occasion, il peut contrôler les conditions de privation de liberté et ordonner ou non une prolongation de cette privation pour un délai de vingt jours, renouvelable une fois. Le juge administratif ne peut plus être saisi par la voie du référé, les dispositions relatives à la contestation de l’arrêté de placement étant exclusives de toute autre procédure.
19. Cette modification législative avait notamment pour objet de mettre fin à des situations où une mesure d’éloignement, déclarée légale par le juge administratif, ne pouvait être exécutée du fait de la libération de l’étranger par le JLD en raison d’une irrégularité liée à la procédure civile ou pénale (rapport no 2814 de M. Mariani, fait au nom de la commission des lois, déposée le 16 septembre 2010).
20. L’interversion de l’ordre d’intervention des juges administratif et judiciaire a eu pour conséquence qu’une part non négligeable d’étrangers ont été éloignés avant même qu’un juge ait pu examiner les conditions de leur interpellation. Le juge administratif, saisi le premier, refuse effectivement de connaître des conditions d’interpellation de l’étranger, qu’il estime au cœur de la compétence judiciaire.
21. Le 7 mars 2016, la loi no 2016-274 relative au droit des étrangers en France a été adoptée. Dans un souci de mieux coordonner l’action des deux ordres de juridiction, l’article 33 de cette loi confie au JLD la compétence exclusive pour apprécier la légalité de la décision de placement en rétention et avance à 48 heures au lieu de cinq jours son intervention pour prolonger la mesure de rétention. Ce texte s’appliquera aux décisions prises à compter du 1er novembre 2016 (art. 67).
3. Dispositions internes pertinentes
22. Les dispositions pertinentes du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) sont ainsi libellées :
Article L. 512-1
« I. ― L’étranger qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II de l’article L. 511-1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif l’annulation de cette décision, ainsi que l’annulation de la décision relative au séjour, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d’interdiction de retour sur le territoire français qui l’accompagnent le cas échéant. L’étranger qui fait l’objet de l’interdiction de retour prévue au troisième alinéa du III du même article L. 511-1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander l’annulation de cette décision.
L’étranger peut demander le bénéfice de l’aide juridictionnelle au plus tard lors de l’introduction de sa requête en annulation. Le tribunal administratif statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine.
Toutefois, si l’étranger est placé en rétention en application de l’article L. 551-1 ou assigné à résidence en application de l’article L. 561-2, il est statué selon la procédure et dans le délai prévus au III du présent article.
II. ― L’étranger qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l’annulation de cette décision, ainsi que l’annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d’interdiction de retour sur le territoire français qui l’accompagnent le cas échéant.
Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans les délais prévus au I.
Toutefois, si l’étranger est placé en rétention en application de l’article L. 551-1 ou assigné à résidence en application de l’article L. 561-2, il est statué selon la procédure et dans le délai prévus au III du présent article.
III. ― En cas de décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence en application de l’article L. 561-2, l’étranger peut demander au président du tribunal administratif l’annulation de cette décision dans les quarante-huit heures suivant sa notification. Lorsque l’étranger a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, le même recours en annulation peut être également dirigé contre l’obligation de quitter le territoire français et contre la décision refusant un délai de départ volontaire, la décision mentionnant le pays de destination et la décision d’interdiction de retour sur le territoire français qui l’accompagnent le cas échéant, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention ou d’assignation. Toutefois, si l’étranger est assigné à résidence en application du même article L. 561-2, son recours en annulation peut porter directement sur l’obligation de quitter le territoire ainsi que, le cas échéant, sur la décision refusant un délai de départ volontaire, la décision mentionnant le pays de destination et la décision d’interdiction de retour sur le territoire français.
Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l’article L. 222-2-1 du code de justice administrative statue au plus tard soixante-douze heures à compter de sa saisine. Il peut se transporter au siège de la juridiction judiciaire la plus proche du lieu où se trouve l’étranger si celui-ci est retenu en application de l’article L. 551-1 du présent code. Si une salle d’audience attribuée au ministère de la justice lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée à proximité immédiate de ce lieu de rétention, il peut statuer dans cette salle.
L’étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin le concours d’un interprète et la communication du dossier contenant les pièces sur la base desquelles la décision contestée a été prise.
L’audience est publique. Elle se déroule sans conclusions du rapporteur public, en présence de l’intéressé, sauf si celui-ci, dûment convoqué, ne se présente pas. L’étranger est assisté de son conseil s’il en a un. Il peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin qu’il lui en soit désigné un d’office.
Il est également statué selon la procédure prévue au présent III sur le recours dirigé contre l’obligation de quitter le territoire français par un étranger qui est l’objet en cours d’instance d’une décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence en application de l’article L. 561-2. Le délai de soixante-douze heures pour statuer court à compter de la notification par l’administration au tribunal de la décision de placement en rétention ou d’assignation. »
Article L. 512-3
« Les articles L. 551-1 et L. 561-2 sont applicables à l’étranger faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français dès l’expiration du délai de départ volontaire qui lui a été accordé ou, si aucun délai n’a été accordé, dès la notification de l’obligation de quitter le territoire français.
L’obligation de quitter le territoire français ne peut faire l’objet d’une exécution d’office ni avant l’expiration du délai de départ volontaire ou, si aucun délai n’a été accordé, avant l’expiration d’un délai de quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, ni avant que le tribunal administratif n’ait statué s’il a été saisi. L’étranger en est informé par la notification écrite de l’obligation de quitter le territoire français. »
Article L. 551-1
« À moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article L. 561-2, l’étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l’autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger :
1o Doit être remis aux autorités compétentes d’un État membre de l’Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ;
2o Fait l’objet d’un arrêté d’expulsion ;
3o Doit être reconduit à la frontière en exécution d’une interdiction judiciaire du territoire prévue au deuxième alinéa de l’article 131-30 du code pénal ;
4o Fait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission ou d’une décision d’éloignement exécutoire mentionnée à l’article L. 531-3 du présent code ;
5o Fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière pris moins de trois années auparavant en application de l’article L. 533-1 ;
6o Fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français prise moins d’un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n’a pas été accordé ;
7o Doit être reconduit d’office à la frontière en exécution d’une interdiction de retour ;
8o Ayant fait l’objet d’une décision de placement en rétention au titre des 1o à 7o, n’a pas déféré à la mesure d’éloignement dont il est l’objet dans un délai de sept jours suivant le terme de son précédent placement en rétention ou, y ayant déféré, est revenu en France alors que cette mesure est toujours exécutoire. »
Article L. 552-1
« Quand un délai de cinq jours s’est écoulé depuis la décision de placement en rétention, le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation de la rétention. Le juge statue dans les vingt-quatre heures de sa saisine par ordonnance au siège du tribunal de grande instance dans le ressort duquel se situe le lieu de placement en rétention de l’étranger, sauf exception prévue par voie réglementaire, après audition du représentant de l’administration, si celui-ci, dûment convoqué, est présent, et de l’intéressé ou de son conseil, s’il en a un. L’étranger peut demander au juge des libertés et de la détention qu’il lui soit désigné un conseil d’office. Toutefois, si une salle d’audience attribuée au ministère de la justice lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée à proximité immédiate de ce lieu de rétention, il statue dans cette salle. »
Article R. 552-17
« L’étranger en rétention qui demande, hors des audiences prévues aux articles R. 552-9 et R. 552-15, qu’il soit mis fin à sa rétention saisit le juge des libertés et de la détention par simple requête adressée par tout moyen au juge. À peine d’irrecevabilité, la requête est motivée et signée de l’étranger ou de son représentant, et accompagnée de toutes les pièces justificatives.
Il est procédé comme il est dit à la section 1 du présent chapitre. Toutefois, le juge peut rejeter la requête sans avoir préalablement convoqué les parties s’il apparaît qu’aucune circonstance nouvelle de fait ou de droit n’est intervenue depuis le placement en rétention administrative ou son renouvellement, ou que les éléments fournis à l’appui de la demande ne permettent manifestement pas de justifier qu’il soit mis fin à la rétention. »
23. L’article L. 521-2 du code de la justice administrative prévoit :
« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
24. Le requérant considère qu’il a été privé de tout accès effectif à un juge contrôlant la légalité de sa détention. Il rappelle, en effet, qu’il a été renvoyé vers la Tunisie avant la saisine du juge des libertés et de la détention et avant que le tribunal administratif ne se prononce sur la légalité de la mesure de placement en rétention. Il souligne également le caractère partiel du contrôle exercé par le juge administratif, celui-ci n’ayant aucun pouvoir pour apprécier les conditions de son interpellation. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
A. Sur la recevabilité
25. Le Gouvernement reproche au requérant de n’avoir pas épuisé les voies de recours internes s’agissant de l’un des volets de son grief. En effet, s’il a critiqué devant les juridictions administratives l’absence d’effet suspensif de la mesure d’éloignement de son recours, il ne s’est pas plaint devant elles des conditions de son interpellation.
26. Le requérant fait valoir que le juge administratif ne se prononce que sur la légalité de l’arrêté de placement en rétention et qu’il ne peut contrôler les conditions de l’interpellation ayant abouti à la rétention. Le requérant explique, par ailleurs, que le seul juge compétent pour examiner un tel grief, le juge des libertés et de la détention, ne peut être saisi avant l’expiration d’un délai de cinq jours.
27. La Cour rappelle que c’est au Gouvernement qui excipe du non-épuisement des voies de recours internes qu’il appartient de prouver que le requérant n’a pas utilisé une voie de recours qui était à la fois effective et disponible (Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010). Il n’est contesté par aucune des parties que le juge administratif n’a pas compétence pour statuer sur les irrégularités de la procédure antérieure au placement en rétention administrative. Le Gouvernement ne produit d’ailleurs devant la Cour aucune jurisprudence tendant à démontrer que l’invocation d’un tel grief aurait eu une chance de prospérer devant le juge administratif. La Cour observe, par ailleurs, avec le requérant qu’un recours devant le juge des libertés et de la détention n’était pas envisageable, la privation de liberté ayant duré moins de cinq jours. Il convient donc d’écarter l’exception d’irrecevabilité du Gouvernement.
28. La Cour constate, en outre, que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. En conséquence, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
29. Le requérant soutient que l’interversion de l’ordre d’intervention du juge des libertés et de la détention et du juge administratif dans la procédure de contrôle de la rétention administrative conduit à une absence totale de contrôle juridictionnel de la privation de liberté pour une durée pouvant aller jusqu’à cinq jours.
30. Il rappelle que le juge des libertés et de la détention ne peut se prononcer sur le maintien de la rétention administrative qu’à l’issue de l’écoulement du délai de cinq jours. Sa rétention ayant duré moins de cinq jours, le requérant n’a donc pas pu saisir le juge des libertés et de la détention, pourtant seul compétent, selon lui, pour contrôler la légalité de la privation de liberté.
31. Le requérant explique que le contrôle du juge administratif est partiel : il ne porte que sur la légalité de la décision fondant le placement en rétention et non sur les conditions de son interpellation et sur les conditions du déroulement de la privation de liberté. De plus, il argue de l’ineffectivité de ce contrôle en raison de son absence d’effet suspensif. Il fait ainsi valoir qu’il a été expulsé avant même que le juge administratif ne se soit prononcé sur son recours.
32. Le requérant soutient enfin avoir épuisé toutes les voies de droit utiles à sa disposition. Se fondant sur un avis du Conseil d’État, il affirme que le recours formé contre l’arrêté de placement en rétention est exclusif de toute autre procédure. Il rappelle que la Cour a considéré que la procédure de référé-liberté, qui n’a pas d’effet suspensif, n’était pas une voie de droit utile (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, CEDH 2007-II).
33. Le Gouvernement fait valoir que l’article 5 § 4 exige uniquement que soit rendu dans un bref délai un jugement qui permette une libération. Citant plusieurs arrêts de la Cour, il rappelle que celle-ci vérifie seulement que la privation de liberté puisse faire l’objet d’un contrôle par un tribunal disposant d’une plénitude de juridiction et soutient, qu’en l’espèce, le contrôle juridictionnel existant en droit français à l’égard des mesures de placement en rétention est conforme aux exigences conventionnelles. Il souligne que le requérant a pu contester dans de brefs délais tant l’arrêté de reconduite à la frontière du 5 mars 2011 que l’arrêté de placement en rétention du 7 octobre 2011.
34. Le Gouvernement soutient que la Cour ne requiert nullement que le recours au sens de l’article 5 § 4 présente un caractère suspensif. Il en déduit que le recours contre la décision de placement en rétention administrative n’avait pas à être suspensif. Il souligne qu’en tout état de cause, le requérant avait la possibilité d’obtenir la suspension de la décision litigieuse en formant un référé-liberté.
35. Répondant à l’argument du requérant selon lequel le contrôle exercé par le juge administratif serait partiel, le Gouvernement rappelle que le Conseil constitutionnel français a validé le dispositif mis en place par la loi du 16 juillet 2011 qui a procédé à une interversion de l’ordre d’intervention des juges. S’appuyant sur les arrêts Jėčius c. Lituanie (no 34578/97, § 100, CEDH 2000‑IX), Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique (no 13178/03, §§ 95 et suiv., CEDH 2006‑XI) et S.D. c. Grèce (no 53541/07, § 72, 11 juin 2009), il soutient que le juge saisi dans le cadre d’un recours conforme à l’article 5 § 4 ne se prononce pas nécessairement sur les conditions de la détention et qu’il suffit qu’il puisse exercer un contrôle de légalité sur la mesure de privation de liberté. Or, le juge administratif exerce un contrôle aussi bien sur la légalité externe de la mesure de placement en rétention, c’est-à-dire sa motivation, la compétence de l’auteur de la décision, la régularité de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision, que sur la légalité interne. À cet égard, la circonstance que le juge administratif ne contrôle pas les conditions d’interpellation du requérant et de son placement en garde à vue n’a pas pour conséquence une violation de l’article 5 § 4 de la Convention dès lors qu’il se prononce dans un bref délai de 72 heures et exerce un contrôle particulièrement étendu sur la mesure de placement en rétention administrative.
2. Appréciation de la Cour
36. La Cour a pu estimer qu’il était superflu de se prononcer sur le grief formé sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention dans le cas de privations de liberté de brève durée (voir, notamment, Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, §§ 158-159, CEDH 2003-X). Elle rappelle cependant qu’en l’espèce, la privation de liberté du requérant a débuté avec son interpellation, le 7 octobre 2011, et s’est achevée avec son expulsion, le 11 octobre 2011. Compte tenu de la durée de cette privation de liberté, elle doit statuer sur le grief du requérant selon lequel il n’aurait pu bénéficier, pendant ces trois jours et demi, d’un recours au sens de l’article 5 § 4 de la Convention (voir, en ce sens, Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 55, CEDH 2002‑I ; Sadaïkov c. Bulgarie, no 75157/01, § 33, 22 mai 2008).
37. En l’espèce, en saisissant le juge administratif, le requérant a utilisé le seul recours dont il disposait. C’est donc l’effectivité de ce recours que la Cour se doit d’examiner.
38. Le requérant se plaint, en premier lieu, que ce recours n’a pas d’effet suspensif de la mesure d’éloignement. La Cour rappelle qu’elle n’a, en l’état de sa jurisprudence, jamais exigé que les recours prévus dans le cadre de l’article 5 § 4 aient un tel effet à l’égard de privations de liberté relevant de l’article 5 § 1 f). De plus, dans la mesure où l’étranger demeure privé de sa liberté dans l’attente de la décision du juge administratif, une telle exigence aboutirait, paradoxalement, à prolonger la situation qu’il souhaite faire cesser en contestant l’arrêté de placement en rétention. Elle conduirait, en outre, à retarder l’exécution d’une décision définitive d’éloignement, dont, au surplus, la légalité peut, comme en l’espèce, avoir été déjà vérifiée.
39. Le requérant critique ensuite le domaine du contrôle exercé par le juge administratif sur sa privation de liberté. Ce contrôle est, selon lui, trop restrictif pour satisfaire aux exigences de l’article 5 § 4, de nombreux griefs relatifs à la privation de liberté ne pouvant être examinés que par le juge judiciaire.
40. L’article 5 § 4 ne va pas jusqu’à exiger une forme particulière de recours et il n’appartient donc pas à la Cour d’affirmer quelle voie de recours interne serait plus opportune qu’une autre, ni, a fortiori, de porter une appréciation sur la répartition des compétences opérée par les autorités internes entre les juges judiciaires et administratifs. Au regard de l’article 5 § 4, seule importe en effet l’ampleur du contrôle exercé. La Cour rappelle qu’en vertu de cette disposition, toute personne arrêtée ou détenue a le droit de faire examiner par le juge le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité », au sens de l’article 5 § 1 de la Convention, de sa privation de liberté (Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 161, 22 mai 2012 ; Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 65, série A no 145‑B). Cela signifie notamment que toute personne arrêtée ou détenue a le droit de faire contrôler la régularité de sa détention à la lumière non seulement des exigences du droit interne mais aussi de la Convention, des principes généraux qui y sont consacrés et de la finalité des restrictions permises par l’article 5 § 1 (voir, entre autres, Suso Musa c. Malte, no 42337/12, § 50, 23 juillet 2013 ; Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II). L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 127, Recueil 1996‑V ; Dougoz, précité, § 61).
41. Ainsi, dans le cadre d’une privation de liberté relevant de l’article 5 § 1 f), le contrôle judiciaire exigé par l’article 5 § 4 suppose que le juge puisse notamment contrôler qu’elle est légale au regard du droit interne, qu’elle est conforme aux principes généraux consacrés par la Convention et qu’elle respecte la finalité de l’article 5 § 1 f), c’est-à-dire qu’elle a bien lieu en vue de l’expulsion de l’intéressé. N’offre donc pas la possibilité d’obtenir une décision sur la légalité de la détention au sens de l’article 5 § 4 l’ordre juridique interne qui ne permet pas au juge d’examiner la légalité du renvoi qui constitue le fondement juridique de sa détention (Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009) ou qui ne l’autorise pas à contrôler séparément la légalité de la détention d’un étranger dont la décision d’expulsion qui le frappe est suspendue (S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009). De même, le requérant qui ne peut faire examiner par le juge ses griefs relatifs à ses conditions de détention ne bénéficie pas d’un contrôle d’une ampleur suffisante pour satisfaire les exigences de l’article 5 § 4 (R.T. c. Grèce, no 5124/11, 11 février 2016).
42. En l’espèce, la privation de liberté du requérant a débuté au moment où ce dernier a été interpellé par les forces de l’ordre et s’est poursuivie par son placement en rétention pour s’achever lorsqu’il a été renvoyé. La Cour observe cependant que le juge administratif saisi, comme en l’espèce, d’un recours contre un arrêté de placement en rétention, n’a le pouvoir que de vérifier la compétence de l’auteur de cette décision ainsi que la motivation de celle-ci, et de s’assurer de la nécessité du placement en rétention. Il n’a, en revanche, pas compétence pour contrôler la régularité des actes accomplis avant la rétention et ayant mené à celle-ci (voir la partie « Droit interne pertinent »). Notamment, il ne peut contrôler les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’interpellation de l’étranger. Ce faisant, il n’est pas en mesure de contrôler que les modalités de l’interpellation ayant conduit à la rétention sont conformes au droit interne ainsi qu’au but de l’article 5 qui est de protéger l’individu contre l’arbitraire (voir Čonka, précité). La Cour estime en conséquence qu’un tel contrôle est trop limité au regard des exigences de l’article 5 § 4 dans le cadre d’une privation de liberté relevant de l’article 5 § 1 f).
43. Eu égard à ce qui précède, elle considère que le requérant n’a pas bénéficié d’un recours au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Partant, il y a eu violation de cette disposition.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
44. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
45. Le requérant n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;
2. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 juillet 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la Juge S. O’Leary.
A.N.
C.W.
OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE O’LEARY
(Traduction)
1. Pour autant que l’arrêt confirme que l’article 5 § 4 de la Convention n’exige pas que le contrôle de la légalité de la rétention administrative infligée à un individu au titre de l’article 5 § 1 f) produise un effet suspensif sur l’exécution d’une décision d’expulsion concernant ledit individu, je souscris sans difficulté à l’avis de la majorité.
2. En revanche, à la lumière des informations dont dispose la chambre et de la jurisprudence de la Cour, rien ne m’autorise à conclure que le contrôle juridictionnel qui a été effectué par le juge administratif en vertu des dispositions de la législation en vigueur en France en 2011 était indûment restreint et n’a pas satisfait aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention.
Remarques préliminaires
3. Compte tenu de la complexité des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile applicables en l’espèce[1] et de la distinction qu’opère le droit français entre le rôle et la compétence du juge administratif et ceux du juge judiciaire ou juge des libertés et de la détention (« JLD »), la tâche d’un juge non français n’a rien d’enviable dans une affaire telle que celle-ci.
4. S’ajoute à la complexité du cadre légal et judiciaire national le fait, souvent ignoré dans les affaires relatives à l’immigration ou à l’asile provenant d’États membres de l’Union européenne (UE), que les dispositions du droit national, le CESEDA en l’occurrence, transposent elles-mêmes en détail les dispositions du droit de l’UE, en l’espèce, la directive 2008/115[2]. Il va sans dire que ce n’est pas parce que le droit de l’UE sous-tend la législation interne permettant l’adoption de la décision d’expulser le requérant et de le placer en rétention dans l’attente de l’exécution de ladite décision d’expulsion qu’il faut présumer que les dispositions du droit interne sont compatibles avec la Convention, comme le montre clairement la jurisprudence des cours de Strasbourg et de Luxembourg[3]. Néanmoins, dans l’exercice de son pouvoir de contrôle externe, et dans le contexte spécifique de l’article 5 §, 4 de la Convention, pour lequel elle est tenue d’évaluer la légalité de la détention d’un individu et le contrôle dont cette détention peut faire l’objet à l’aune non seulement des exigences du droit interne mais aussi du texte de la Convention, la Cour doit cerner exactement quelles sont les exigences du droit interne et, si nécessaire, comment s’articulent les dispositions et le fonctionnement du droit interne avec le droit de l’UE.
Les exigences de l’article 5 § 4
5. Les principes généraux énoncés ci-dessous, qui concernent à la fois la portée et les exigences générales d’un recours prévu à l’article 5 § 4, sont établis dans la jurisprudence :
– L’article 5 § 4 n’est applicable qu’aux personnes privées de leur liberté et ne peut pas être invoqué par une personne en liberté pour faire constater l’éventuelle illégalité d’une détention ou d’une arrestation antérieure. Par conséquent, l’article 5 § 4 ne peut pas, en principe, être invoqué par une personne qui a été remise en liberté de manière régulière[4].
– L’article 5 § 4 vise à garantir aux personnes arrêtées et détenues le droit à un contrôle juridictionnel de la légalité de la mesure de détention qui leur est ainsi imposée. Des voies de recours doivent être disponibles durant la détention d’un individu, afin que celui-ci puisse obtenir au sujet de la légalité de sa détention un contrôle juridictionnel rapide susceptible de conduire, le cas échéant, à sa remise en liberté[5].
– Le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») a le même sens à l’article 5 § 4 qu’à l’article 5 § 1, de sorte qu’une personne détenue a droit à faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1[6].
– La portée des obligations découlant de l’article 5 § 4 peut varier selon le type de privation de liberté en cause et cela vaut en particulier pour l’étendue du contrôle juridictionnel prévu. Il n’appartient pas à la Cour de se demander quel pourrait être le système le plus approprié dans le domaine examiné[7]. L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Le contrôle de la légalité de la détention d’un individu devrait couvrir l’obligation de respecter les normes de fond comme de procédure de la législation nationale et l’exigence de conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5[8]. Le « tribunal » effectuant ce contrôle doit avoir compétence pour statuer sur la légalité de la détention et ordonner la libération en cas de détention illégale[9].
En ce qui concerne spécifiquement la portée du contrôle d’une détention relevant de l’article 5 § 1 f), dans l’arrêt Chahal c. Royaume-Uni, la Cour s’est exprimée en ces termes :
« La Cour renvoie à nouveau aux exigences de l’article 5 [§ 1 f)] en cas de détention dans le cadre d’une procédure d’expulsion. Il en découle que l’article 5 [§ 4] n’exige pas que les tribunaux internes soient habilités à examiner si la décision d’expulsion initiale se justifie au regard de la législation interne ou de la Convention. »[10]
Application de ces principes au cas d’espèce
En fait
6. Même si elles ne sont pas déterminantes pour la portée du contrôle requis par l’article 5 § 4, il n’est pas inutile d’éclaircir les circonstances de l’espèce. Le 7 octobre 2011, le requérant, conformément au droit français, faisait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière (décision d’éloignement) et d’un arrêté de placement en rétention administrative. Cependant, ces arrêtés constituaient pour l’un le prolongement et pour l’autre la reproduction de deux arrêtés identiques qui avaient été pris le 5 mars 2011. Par un jugement du 9 mars 2011, devenu définitif faute d’appel de la part du requérant, le tribunal administratif de Pau avait confirmé la légalité de ces deux premières décisions. Pour des raisons qui n’ont pas été communiquées, l’arrêté de reconduite à la frontière de mars 2011 ne fut pas exécuté et le requérant fut remis en liberté à une date inconnue. Selon le gouvernement défendeur, lorsque le requérant fut interpellé le 7 octobre 2011, il fut de nouveau placé en rétention sur le fondement de l’arrêté de reconduite à la frontière de mars 2011 et au motif qu’il n’avait ni passeport, ni ressources ni domicile. L’arrêté de placement en rétention, qui était l’objet du contrôle litigieux au titre de l’article 5 § 4, n’était donc pas un arrêté pris de manière isolée immédiatement après l’interpellation du requérant par la police, contrairement à ce que semble suggérer le texte de l’arrêt. Comme l’indiquent clairement les dispositions du CESEDA, un arrêté de reconduite à la frontière ou une décision d’éloignement constituent une condition préalable nécessaire à un placement en rétention administrative, et cette dernière n’est imposée que lorsqu’aucune autre mesure moins stricte ne peut être appliquée. Il faut offrir aux ressortissants de pays tiers un recours effectif pour qu’ils puissent contester une décision d’éloignement ou en faire contrôler la légalité[11]. En l’espèce, le requérant a exercé pareille voie de recours. Le tribunal administratif de Pau a examiné l’arrêté de reconduite à la frontière qui avait été pris contre lui et en a confirmé la légalité ; dans sa décision du 11 octobre 2011, le tribunal administratif de Bordeaux a également confirmé la légalité de cet arrêté (le nouveau recours formé par le requérant contre l’arrêté de reconduite à la frontière de mars 2011 était, en outre, tardif compte tenu de la décision, devenue entre-temps définitive, rendue par le tribunal de Pau le 9 mars 2011)[12] et aussi confirmé la légalité et la proportionnalité de l’arrêté de placement en rétention administrative visant le requérant parce que celui-ci ne possédait ni passeport ni ressources et que son placement en rétention provisoire avait été décidé en vue de son expulsion.
Recevabilité
7. Concernant la recevabilité du grief formulé par le requérant, le gouvernement défendeur soulève deux points. D’une part, il assure que, devant le juge national, le requérant a essentiellement déploré que le recours qu’il avait formé devant le juge administratif contre sa rétention n’avait pas eu d’effet suspensif sur la décision d’éloignement, précisant que l’intéressé ne s’est en revanche pas plaint des conditions dans lesquelles il avait été appréhendé ou interpellé. D’autre part, le Gouvernement soutient que le droit français offrait au requérant la possibilité de saisir le juge administratif habilité à prononcer des mesures provisoires (le juge des référés) et que, une fois saisi par le requérant, ce juge aurait pu suspendre l’exécution d’une décision administrative.
8. Sur le premier point, la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité au motif qu’il n’est pas contesté que le juge administratif saisi en vue du contrôle de la légalité du placement en rétention du requérant n’avait pas compétence pour statuer sur les irrégularités de la procédure antérieure au placement en rétention administrative[13]. Or, étant donné que le paragraphe 15 de l’arrêt indique clairement que le juge administratif en question peut, entre autres, contrôler la légalité de la procédure qui a abouti à l’adoption de l’arrêté de placement en rétention, ce point est loin d’être évident. Une chose est claire, toutefois. À aucun moment, que ce fût devant les tribunaux administratifs en première instance, devant la cour administrative d’appel ou devant le Conseil d’État, le requérant, qui est un ressortissant tunisien, n’a remis en question les circonstances de son interpellation ou contesté qu’il était entré en France illégalement, depuis l’Italie, sans papiers d’identité.
9. Concernant le second point, l’arrêt ne fait aucune mention de la procédure de référé, une procédure d’urgence, dont le Gouvernement assure qu’elle constitue une voie de recours effective, et il est par conséquent difficile de savoir en quoi consiste cette procédure, si elle est effective et, si non, les raisons pour lesquelles elle ne n’est pas[14].
10. Une autre question se pose sous l’angle de la recevabilité du grief, question qui tient au fait que le requérant a été libéré, bien qu’en vertu d’une décision d’expulsion exécutée le 11 octobre 2011, avant que le juge administratif n’ait statué sur la légalité de sa rétention. Concernant l’application ratione materiae de l’article 5 § 4 de la Convention, cet article est réputé ne pas pouvoir être invoqué par une personne en liberté pour faire constater l’illégalité d’une détention antérieure. L’arrêt explique certes, quoique brièvement, pourquoi ce principe énoncé dans les arrêts Slivenko et Fox, Campbell et Hartley ne s’applique pas en l’espèce. Le requérant a été privé de sa liberté pendant 83 heures et la durée de sa rétention constitue donc le fondement et la raison qui ont conduit la Cour à procéder à un examen sous l’angle de l’article 5 § 4[15]. Néanmoins, si la durée de la privation de liberté infligée à un requérant constitue le critère déterminant l’applicabilité de l’article 5 § 4 bien que le requérant ait été remis en liberté, il importe d’indiquer d’une manière ou d’une autre où se situe le seuil. La Cour n’a clairement précisé ce point ni dans le présent arrêt ni dans les arrêts rendus précédemment qui sont cités au premier alinéa du paragraphe 5 de la présente opinion.
Fond
11. Comme indiqué ci-dessus, je souscris à l’avis de la majorité selon lequel, en pareilles circonstances, un recours conforme à l’article 5 § 4 ne suspend pas l’exécution de l’arrêté de reconduite à la frontière. Il faut souligner que, en l’espèce, le requérant n’était pas un demandeur d’asile[16]. Je me rallie également à la déclaration préliminaire exposée au paragraphe 41 de l’arrêt, selon laquelle la privation de liberté doit respecter la finalité de l’article 5 § 1 f). En d’autres termes, le requérant doit avoir été placé en rétention dans l’attente de son expulsion. Compte tenu des circonstances de l’affaire et sachant que l’arrêté de reconduite à la frontière a été exécuté pendant que le tribunal administratif était en train d’examiner sa demande de contrôle de la légalité de sa rétention, nul ne songerait à mettre en doute la promptitude du contrôle ou le respect de ce but ou de cette finalité. La procédure d’expulsion a bien été menée avec toute la diligence requise.
12. J’en viens maintenant à mon principal point de désaccord avec la majorité : la portée restreinte du contrôle exercé par le juge administratif français. Le paragraphe 41 de l’arrêt cite un ensemble d’arrêts de la Cour, principalement rendus contre la Grèce, qui ont conclu à une violation de l’article 5 § 4. Ces arrêts se fondaient soit sur le fait que les dispositions du droit national alors en vigueur ne dissociaient pas l’arrêté de placement en rétention de l’arrêté d’expulsion, alors même qu’il arrivait qu’une issue favorable pour le requérant du contrôle de la légalité de l’arrêté d’expulsion n’entraînât pas automatiquement la levée de la mesure de rétention administrative (Tabesh c. Grèce et S.D. c. Grèce, précités), soit sur la circonstance que, même après avoir été amendées, ces dispositions ne permettaient toujours pas l’examen d’un grief formulé sur le terrain de l’article 3 et portant sur des conditions de détention (R.T. c. Grèce, no 5124/11, 11 février 2016). Concluant que le système en vigueur en France entre 2011 et 2016 contrevenait à l’article 5 § 4, le paragraphe 42 de l’arrêt rejette la portée du contrôle opéré par le juge administratif et établit que le juge exerçant un contrôle au regard de l’article 5 § 4 devrait être habilité à examiner les circonstances dans lesquelles le ressortissant d’un pays tiers a été interpellé par la police ainsi que la régularité, ou la légalité, de tous les actes qui ont précédé la mise en détention de l’intéressé et qui ont conduit à son expulsion. Les moyens déployés pour l’interpellation qui a abouti au placement d’un individu en rétention administrative doivent être conformes au but de l’article 5 § 1, qui est de protéger les individus contre l’arbitraire. À mon avis, en déclarant que le contrôle opéré par le juge administratif était indûment restreint, la Cour s’écarte de sa jurisprudence et propose du droit interne une interprétation qui diffère de celle qui a été donnée dans d’autres affaires similaires.
13. Concernant les dispositions du droit interne, l’arrêt explique de manière assez détaillée les compétences différentes, liées mais distinctes, du juge administratif et du juge judiciaire en droit français[17] :
– Le juge administratif est habilité à examiner la légalité interne et externe de l’arrêté de placement en rétention. Il intervient rapidement pour vérifier la compétence des auteurs de la décision, la motivation de celle-ci et la régularité de la procédure ayant conduit à son adoption. Il contrôle la nécessité du placement en rétention et détermine si celui-ci constitue une atteinte disproportionnée au droit de l’intéressé de mener une vie personnelle et familiale normale. Il semble qu’il soit compétent pour tout litige relatif aux conditions matérielles d’exécution de l’arrêté de placement en rétention (paragraphe 15 de l’arrêt)[18].
– Le JLD, en revanche, n’intervient que s’il est saisi par le préfet lorsque, après cinq jours de rétention, les autorités souhaitent prolonger celle-ci. Il s’assure de la régularité de l’interpellation du ressortissant d’un pays tiers, de sa garde à vue, de son acheminement au lieu de rétention et de la notification de ses droits. Il semble qu’il ne soit pas compétent pour se prononcer sur la mesure d’éloignement qui a fondé la rétention administrative mais il s’assure que l’étranger est effectivement susceptible de faire l’objet d’une mesure d’éloignement, et il contrôle la nécessité du maintien en rétention (paragraphe 16 de l’arrêt).
14. Dans de nombreuses affaires dirigées contre la France examinées sur le terrain de l’article 5 §§ 1 f) et 4 et portant sur les mêmes dispositions que celles qui s’appliquent en l’espèce, la Cour n’a exprimé aucune critique au sujet de cette interaction entre le juge administratif et le JLD, le premier intervenant rapidement, dans les 72 heures suivant le placement en rétention, et le second en cas de maintien en rétention après cinq jours. La compétence du juge administratif français et la portée du contrôle exercé par lui n’ont pas non plus en tant que telles été jugées poser problème[19].
15. Concernant la cohérence du présent arrêt avec la jurisprudence existante relative à l’article 5 § 4, comme on l’a déjà dit, dans l’arrêt Chahal c. Royaume-Uni, la Cour a bien précisé qu’en cas de rétention en vue d’un éloignement, « l’article 5 [§ 1 f)] ne prévoit pas la même protection que l’article 5 [§ 1 c)]. (...) L’article 5 § 4 n’exige pas que les tribunaux internes soient habilités à examiner si la décision d’expulsion initiale se justifie au regard de la législation interne ou de la Convention[20] ». Comme le révèle la description donnée au paragraphe 13 ci-dessus de la compétence et des pouvoirs du juge administratif, le système qui était en vigueur en France en 2011 était exempt des problèmes qui ont conduit à un constat de violation dans les affaires grecques. Certes, le droit français a été réformé depuis lors et le JLD détient désormais la compétence exclusive pour apprécier la légalité des arrêtés de placement en rétention et statuer sur une éventuelle prolongation de celle-ci dans un délai de 48 heures. Cela ne suffit pas à exiger, sur la base de la Convention, l’élargissement de la portée du contrôle juridictionnel ainsi qu’indiqué aux paragraphes 41 et 42 de l’arrêt.
Conclusion
16. Du fait de la complexité du cadre légal et judiciaire français en cause dans la présente affaire, il se peut que la présentation du droit interne qui précède, laquelle s’appuie sur les informations contenues dans le dossier et sur les observations des parties, contienne des erreurs. De plus, le libellé du paragraphe 42 de l’arrêt pourrait être lu comme s’appliquant uniquement à la France. Dans ce cas, cet arrêt met au jour ce qui constitue une violation de la Convention revêtant un caractère historique, puisque le droit français a été entre-temps réformé.
17. Cependant, si, comme le suggère le libellé de l’arrêt, celui-ci définit la portée du contrôle juridictionnel qu’il convient désormais d’effectuer relativement aux arrêtés de placement en rétention administrative en vertu de l’article 5 § 4, il faut alors réfléchir à l’impact plus large de cet arrêt. Il existe en effet un risque que le paragraphe 42 de l’arrêt, qui reflète le choix qu’a fait en 2016 le législateur français de confier au JLD la compétence de ce contrôle, devienne le minimum requis dans tous les États membres du Conseil de l’Europe, y compris ceux qui sont soumis à la directive 2008/115[21]. Une telle situation pourrait se révéler préoccupante. Il se peut que la Cour doive revoir attentivement sa jurisprudence relative à l’article 5 § 4 afin de déterminer si la nature et la portée du contrôle effectué par un juge qui a l’obligation d’intervenir rapidement afin de vérifier la légalité d’une rétention administrative devraient être plus vastes que précédemment. Il n’est que trop facile d’oublier que les personnes qui sont détenues en pareilles circonstances n’ont souvent aucune infraction à se reprocher si ce n’est celle de séjourner illégalement sur le territoire d’un État membre donné sans posséder les documents de voyage requis et alors qu’elles se trouvent dans bien des cas dans le plus complet dénuement. De plus, si, en théorie, ces personnes doivent être placées dans des établissements spécialisés, la jurisprudence de la Cour montre à quel point théorie et pratique peuvent diverger[22]. Toutefois, des problèmes de cette nature ne sont pas en cause en l’espèce ; que ce soit devant les juridictions nationales ou devant la Cour, le requérant n’a pas non plus expliqué par quelle logique son interpellation par les autorités françaises aurait dû conduire le juge administratif, qui avait déjà confirmé la légalité de l’arrêté d’expulsion le concernant, à apprécier différemment la légalité de sa rétention administrative provisoire. Abstraction faite de la dure condition des immigrants clandestins, il n’est aussi que trop facile d’oublier les chiffres en jeu et la charge imposée aux systèmes judiciaires nationaux appelés à appliquer le droit des étrangers ainsi qu’une politique du retour du type de celle qui est en cause en l’espèce[23]. Les évolutions de la jurisprudence dans ce domaine, si et quand elles interviennent, doivent être sous-tendues par un raisonnement solide et soigneusement calibrées.
18. Le cas du requérant ne va pas sans soulever de problèmes. Il a été privé de sa liberté le 7 octobre 2011, sa demande de contrôle de sa rétention a été introduite le 9 octobre et examinée le 11 octobre, alors que l’arrêté de reconduite à la frontière le concernant avait déjà été exécuté. Toutefois, dès lors que l’on concède i) qu’une action tendant à l’obtention d’un contrôle de la légalité de la rétention au regard de l’article 5 § 4 de la Convention n’a pas à produire d’effet suspensif, ii) que l’article 5 § 1 f) impose un niveau de protection différent de celui exigé par l’article 5 § 1 c), ce qui induit une portée différente pour le contrôle à opérer au titre de l’article 5 § 4, et iii) que le contrôle juridictionnel a été effectué dans de brefs délais, il me semble que la cause est entendue. Le grief essentiel formulé par le requérant apparaît voué à l’échec dès lors que l’on admet une absence d’effet suspensif ; or on ne saurait accepter un effet suspensif parce que pareil effet reviendrait à prolonger la rétention même que le requérant conteste. Le contrôle juridictionnel de la légalité de sa rétention et la promptitude avec laquelle le requérant fut remis en liberté vident ainsi de toute substance le grief formulé sur le terrain de l’article 5 § 4, même si la remise en liberté en question a été suivie de l’expulsion du requérant hors de l’État défendeur, expulsion à laquelle il s’oppose à l’évidence. Curieusement, le seul point sur lequel le contrôle exercé par le juge administratif français apparaît avoir fait l’impasse dans cette affaire, la question de l’octroi de l’aide judiciaire, est passé sous silence.
* * *
[1]. Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (« CESEDA »).
[2]. Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (la directive dite retour), JO L 348/98.
[3]. Voir, pour la première, l’arrêt Avotiņs c. Lettonie [GC], no 17502/07, du 23 mai 2016 et, pour la seconde, l’examen de la compatibilité des décisions de retour et de rétention administrative avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et, indirectement, la Convention dans, entre autres, les affaires Mahdi, C-146/14 PPU, EU:C:2014:1320 ; J. N. contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, C-601/15 PPU, EU:C:2016:84 et Celaj, C-290/14, EU:C:2015:640.
[4]. X. c. Suède, no 10230/82, décision de la Commission du 11 mai 1983, Décisions et rapports (DR) 32, p. 304 ; A.K. c. Autriche, n° 20832/92, décision de la Commission du 1er décembre 1993, non publiée ; Stephens c. Malte (no 1), no 11956/07, § 102, 21 avril 2009 ; Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 45, série A no 182, et Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 157, CEDH 2003.
[5]. Voir, entre autres, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 112 CEDH 2006‑XI.
[6]. Voir, entre autres, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 127, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V.
[7]. Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 123, CEDH 2008.
[8]. Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, § 60, série A no 129 ; Chahal, précité, §§ 127-129 ; Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II ; Tabesh c. Grèce, no 8256/07, § 61, 26 novembre 2009, et S.D. c. Grèce, no 53541/07, § 72, 11 juin 2009.
[9]. Chahal, précité, § 130.
[10]. Ibidem, § 128.
[11]. Concernant l’interprétation du CESEDA, voir le dossier thématique du Conseil d’État intitulé Le juge administratif et le droit des étrangers, 15 juin 2015, ainsi que l’article 13 de la directive 2008/115.
[12]. Voir également les dispositions de l’article L. 511-1 du CESEDA qui précisent dans quelles situations il est possible d’imposer une obligation de quitter le territoire français. Parmi les situations citées figure la non-exécution d’un arrêté antérieur de même nature.
[13]. Voir le paragraphe 27 de l’arrêt.
[14]. Voir l’article L. 521-2 du code de la justice administrative, cité au paragraphe 23 de l’arrêt.
[15]. Voir également l’affaire Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 55, CEDH 2002, dans laquelle la privation de liberté a duré cinq jours.
[16]. La qualité de demandeur d’asile empêcherait, du moins jusqu’au prononcé de la première décision concernant une demande d’asile, qu’une décision de retour ou de reconduite à la frontière ne soit exécutée. Voir les dispositions pertinentes du CESEDA, l’article 2(1) et le neuvième considérant de la directive « retour » ainsi que le paragraphe 49 de l’arrêt de la CJUE dans l’affaire Arslan, C‑534/11, EU:C:2013:343.
[17]. Il importe de rappeler que cette description vaut pour le régime qui était en vigueur de 2011 à 2016, c’est-à-dire avant que la loi n° 2016-274 ne confie au JLD la compétence exclusive pour apprécier la légalité de décisions de placement en rétention (voir les paragraphes 18-21 de l’arrêt).
[18]. Voir également le paragraphe 11 de l’arrêt et la décision rendue par le Conseil d’État en l’espèce, qui explique que l’article L. 512-1 du CESEDA a instauré une procédure spéciale autorisant le juge administratif à statuer rapidement sur la « légalité des mesures relatives à l’éloignement des étrangers (…) lorsque ces derniers sont placés en rétention ou assignés à résidence, ainsi que sur la légalité des décisions de placement en rétention ou d’assignation à résidence elles-mêmes. »
[19]. Voir, à divers titres, les arrêts R.M. et autres c. France, no 33201/11, 12 juillet 2016 ; A.M. et autres c. France, no 24587/12, 12 juillet 2016 ; A.B. et autres c. France, no 11593/12, 12 juillet 2016 ; R.K. et autres c. France, no 68264/14, 12 juillet 2016 et R.C. et V.C. c. France, no 76491/14, 12 juillet 2016, tous prononcés à la même date. Dans aucun de ces arrêts la Cour ne voit de problème dans la répartition de la compétence entre le juge administratif et le JLD, ni dans la manière dont le premier doit, en principe, exercer sa compétence. Lorsqu’elle constate une violation de l’article 5 § 4 dans ces affaires, c’est parce que les autorités n’ont pas recherché, quand c’était possible, une mesure moins stricte que le placement en rétention pendant la période durant laquelle les familles en question, qui comptaient des enfants mineurs, attendaient l’exécution d’une décision d’éloignement. Le caractère de mesure de dernier ressort que revêtait le placement en rétention administrative du requérant dans la présente affaire a toutefois fait l’objet d’une évaluation. Voir également Popov c. France (nos 39472/07 et 39474/07, §§ 122-123, 19 janvier 2012) pour un autre exemple d’examen ne prêtant pas à controverse des contrôles distincts mais liés exercés respectivement par le juge administratif et par le JLD.
[20]. Voir Chahal, précité, §§ 112 et 128. S’agissant de l’article 5 § 4, deux affaires se démarquent : Čonka et Mubilanzila Mayeka et Kaniki, toutes deux précitées. Au paragraphe 53 de l’arrêt Čonka, la Cour dit que le recours devant la chambre du conseil en droit belge ne satisfait pas aux exigences de l’article 5 § 4 car cette instance n’exerce sur la détention qu’un contrôle très marginal, de légalité formelle, sans s’interroger sur la proportionnalité de la privation au cas par cas. Cependant, les circonstances de cette affaire, qui ont abouti à la reconnaissance de la première expulsion collective, étaient très particulières, et la portée du contrôle différait largement de celui effectué par le juge administratif français, qui a expressément effectué un contrôle de proportionnalité. Le paragraphe 113 de l’arrêt Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga explique que les autorités belges ont programmé le refoulement de la seconde requérante le lendemain de l’introduction par elle du recours de remise en liberté auprès de la chambre du conseil, soit avant même que cette juridiction ne statue. Cependant, dans cette affaire, la personne détenue était une enfant de cinq ans qui n’était pas accompagnée. De plus, en droit belge, un délai suspensif s’appliquait et n’était pas écoulé lorsque le refoulement a été mis à exécution. En outre, la Cour a observé qu’il n’existait aucun lien entre le refoulement et l’exercice du recours ou le fait que celui-ci a été accueilli. Ni le contrôle exercé par le juge administratif français en l’espèce, ni les circonstances de la cause ne sont comparables.
[21]. L’article 15, paragraphe 2, points a et b, de la directive 2008/115 semble laisser un choix aux États membres tenus par cette directive. À titre de digression, il n’est pas inutile de rappeler la raison d’être et le fonctionnement de la directive « retour », récemment décrits par la CJUE dans les termes suivants : « [U]n ressortissant d’un pays tiers qui (…) est entré irrégulièrement sur le territoire d’un État membre et qui, de ce fait, est considéré comme y séjournant de manière irrégulière (…), doit faire l’objet d’une procédure de retour, dont l’ordre de déroulement des étapes correspond à une gradation des mesures à prendre en vue de l’exécution de la décision de retour, et qui permet, s’agissant d’une privation de liberté, tout au plus la rétention dans un centre spécialisé, laquelle est toutefois strictement encadrée, en application des articles 15 et 16 de cette directive, dans le but d’assurer le respect des droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers concernés » (voir l’arrêt de la CJUE du 7 juin 2016, Affum contre Préfet du Pas-de-Calais, C-47/15, EU:C:2016:408, paragraphes 61-62). Pour une analyse détaillée du contrôle juridictionnel de la rétention administrative dans les États membres de l’UE, voir la section 2.3 du rapport de la Commission européenne intitulé Evaluation on the application of the Return Directive, 22 octobre 2013. Voir également le rapport intitulé Rétention des ressortissants de pays tiers dans le cadre des procédures de retour publié en 2010 par l’Agence des droits fondamentaux de l’UE.
[22]. L’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, CEDH 2011, constitue l’un des exemples les plus extrêmes de cette divergence.
[23]. Voir Commission européenne, Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur la politique de l’Union européenne en matière de retour, COM (2014) 199 final, p. 3, qui fait état d’un écart considérable entre le nombre de personnes qui se sont vu notifier une décision de retour (environ 484 000 personnes en 2012, 491 000 en 2011 et 540 000 en 2010) et le nombre de celles qui, en conséquence, ont effectivement quitté l’UE (environ 178 000 en 2012, 167 000 en 2011 et 199 000 en 2010). Voir également le rapport publié en 2015 par le Conseil d’État français, qui estime que le contentieux relatif aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France représente plus de 32 % des affaires portées devant les tribunaux administratifs, 44 % de celles portées devant les cours administratives d’appel et 15 % de celles portées devant le Conseil d’État.