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12/07/2016 | CEDH | N°001-164685

CEDH | CEDH, AFFAIRE R.C. ET V.C. c. FRANCE, 2016, 001-164685


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE R.C. ET V.C. c. FRANCE

(Requête no 76491/14)

ARRÊT

STRASBOURG

12 juillet 2016

DÉFINITIF

12/10/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire R.C. et V.C. c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Ganna Yudkivska,
Khanlar Hajiyev,
André Potocki,
Yonko Groz

ev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 juin 2...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE R.C. ET V.C. c. FRANCE

(Requête no 76491/14)

ARRÊT

STRASBOURG

12 juillet 2016

DÉFINITIF

12/10/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire R.C. et V.C. c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Ganna Yudkivska,
Khanlar Hajiyev,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 juin 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 76491/14) dirigée contre la République française et dont une ressortissante roumaine, Mme R.C. (« la requérante ») et son enfant (« le requérant »), ont saisi la Cour le 10 décembre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par la requérante (article 47 § 4 du règlement).

2. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représentée par Me B. Francos, avocat à Toulouse. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. La requérante allègue que sa rétention administrative et celle de son fils au centre de Toulouse-Cornebarrieu dans l’attente de son expulsion ont violé les articles 3, 5 et 8 de la Convention.

4. Le 11 décembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5. Des observations ont également été reçues du Groupe d’information et de soutien des immigrés (« GISTI »), des Avocats pour la défense des droits des étrangers (« ADDE ») et de la Ligue des droits de l’Homme (« LDH »), que le président avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite en tant que tierces parties (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 a) du règlement).

6. Ayant été informé, le 16 mars 2016, de la possibilité de présenter des observations écrites en vertu des articles 36 § 1 de la Convention et 44 du règlement de la Cour, le gouvernement roumain a fait savoir, le 15 avril 2016, qu’il n’entendait pas se prévaloir de son droit à cet égard.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7. La requérante est née en 1980 et réside à Toulouse.

8. La requérante arriva en France en 2012 et résida à Marseille chez sa belle-famille.

9. Le 21 octobre 2012, la requérante fut arrêtée et placée en détention provisoire au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses pour des faits de provocation directe de mineur à commettre habituellement des crimes ou des délits, participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime et recel en bande organisée de biens provenant d’un délit. L’enfant de la requérante, le second requérant, naquit au centre de détention le 11 décembre 2012.

10. Le 19 novembre 2014, le tribunal correctionnel de Nîmes condamna l’intéressée à trois ans d’emprisonnement dont six mois avec sursis ainsi qu’à une peine d’interdiction du territoire français de dix ans.

11. Par arrêté du 2 décembre 2014 notifié le même jour, le préfet ordonna le placement en rétention de la requérante au centre de rétention administrative de Toulouse-Cornebarrieu. Il motiva sa décision de ne pas recourir à une mesure moins coercitive par les circonstances que la requérante avait déclaré ne pas vouloir retourner immédiatement dans son pays d’origine, qu’elle avait été condamnée pénalement, qu’elle ne disposait pas de ressources licites et qu’elle n’avait pas indiqué le lieu de sa résidence auprès de l’autorité préfectorale puisqu’elle n’avait jamais effectué de démarche en vue de sa régularisation. Elle fut placée le jour même en rétention, accompagnée de son enfant.

12. La requérante contesta la décision préfectorale devant le tribunal administratif de Toulouse qui rejeta sa requête par un jugement en date du 5 décembre 2014.

13. Saisi par le préfet de Haute-Garonne, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Toulouse ordonna la prolongation de la rétention de la requérante, toujours accompagnée de son enfant.

14. Le 10 décembre 2014 le premier président de la cour d’appel de Toulouse confirma cette ordonnance aux motifs notamment que :

« V.C. âgé de deux ans pour être né le 11 décembre 2012, ne peut eu égard à son âge, qu’accompagner sa mère qui fait l’objet seule, de l’arrêté de placement en rétention et pour laquelle seule, se justifie donc la requête en prolongation du maintien en rétention, formée par l’autorité administrative devant le juge des libertés et de la détention. La procédure sur ce point n’encourt pas de critique. (...) R.C. n’a pas d’attaches en France, où selon ses propres déclarations, elle n’était entrée venant du Portugal que quelques semaines avant d’être interpellée pour les faits qui lui ont valu la condamnation à trois ans d’emprisonnement et à la peine d’interdiction du territoire français pendant dix ans. (...)

D’autre part, l’essentiel de sa proche famille, en l’espèce ses deux parents, deux de ses enfants mineurs, ses frères, sœur et oncles vivent en Roumanie et il s’avère également qu’elle-même est très mobile, puisqu’avant son arrestation en 2012, elle circulait en Europe, notamment au Portugal et en France, ses trois enfants étant confiés à des membres de la famille, en Roumanie et en France.

En outre, elle a déclaré au juge des libertés et de la détention qu’elle ne souhaitait pas repartir en Roumanie, faisant état notamment de son concubin toujours incarcéré en France.

Au regard de ces éléments, l’attestation d’hébergement à Marseille établie au nom de [M.C.] pour lequel il n’est d’ailleurs fait état d’aucune activité professionnelle ni ressources licites en France, n’est pas suffisante à garantir sa représentation dans le cadre d’une assignation à résidence et un placement sous surveillance électronique ne permettrait pas d’empêcher le risque de fuite, ni de garantir sa présence à tous les actes de la procédure, alors dans ce cas précis, ces mesures, quelles qu’en soient leurs modalités, ne présentent pas un degré de coercition suffisant pour atteindre ces finalités. (...) »

15. Le 10 décembre 2014, la requérante saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour. Le 11 décembre 2014, la présidente de la section a décidé d’indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 du règlement de la Cour « de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que la détention de la requérante et de son enfant, si elle se poursuit, est compatible avec les critères posés dans l’arrêt Popov c. France (nos 39472/07 et 39474/07, 19 janvier 2012). »

16. En exécution de cette mesure provisoire, le préfet de Haute-Garonne par arrêté du 12 décembre 2014, mit fin à la rétention de la requérante et l’assigna à résidence dans un hôtel pour une durée maximale de quarante‑cinq jours.

17. Le consulat de Roumanie délivra le 19 décembre 2014 un laissez-passer consulaire pour la requérante et son enfant.

18. Le 20 décembre 2014, la requérante et son enfant furent éloignés vers la Roumanie.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS CONCERNANT LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS, EN PARTICULIER CEUX ACCOMPAGNÉS DE MINEURS

A. Le droit français

19. La rétention des étrangers en vue de leur expulsion est encadrée principalement, en droit interne, par les dispositions du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Les dispositions pertinentes du CESEDA, la jurisprudence y afférente et les avis de plusieurs autorités administratives indépendantes sont résumés dans l’exposé du droit interne fait dans l’arrêt A.B. et autres c. France (no 11593/12, §§ 19-30 et 41-59).

20. S’agissant plus précisément des conditions d’accueil au centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu, il est renvoyé aux paragraphes 31 à 40 de l’arrêt A.B. et autres précité.

B. Droit international pertinent et éléments de droit comparé

21. Le droit international pertinent et les éléments de droit comparé relatifs à la rétention des mineurs étrangers sont présentés dans les paragraphes 60 à 91 de l’arrêt A.B. et autres précité.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

22. La requérante allègue que le placement en rétention administrative de son enfant, alors âgé de deux ans, dans le centre de Toulouse‑Cornebarrieu constitue un traitement contraire aux dispositions de l’article 3. Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

23. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

24. La requérante soutient que son placement en rétention ainsi que celui de son enfant n’étaient pas nécessaires, dès lors qu’elle pouvait faire l’objet d’une assignation à résidence. De surcroît, le Gouvernement aurait pu mettre à profit son incarcération pour solliciter un laissez-passer consulaire.

25. La requérante affirme de plus que si le centre de rétention administrative de Toulouse-Cornebarrieu était habilité à recevoir des familles, ses infrastructures n’étaient pas adaptées à l’accueil des enfants. La requérante souligne que le centre de rétention est dépourvu de véritable espace de loisirs ou d’éducation à destination des enfants qui doivent se contenter d’une petite cour comprenant uniquement un petit toboggan. Les enfants ne peuvent donc guère quitter la pièce dédiée aux familles qui est de surcroît inadaptée à sa destination.

26. L’enfant court un risque d’atteinte psychologique et physique en raison d’une exposition à de fortes nuisances sonores générées d’une part par les appels incessants des haut-parleurs du centre mais également par le trafic des pistes de l’aéroport de Toulouse situé à proximité immédiate du centre.

27. Le Gouvernement fait valoir que, ni la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ni le CESEDA alors en vigueur n’excluent par principe le placement en rétention administrative de familles accompagnées d’enfants mineurs. Une telle mesure ne peut toutefois être mise en œuvre qu’en dernier recours. En l’espèce, la requérante n’était présente que depuis quelques semaines sur le territoire français sur lequel elle avait déclaré ne pas avoir d’attaches. La requérante avait de surcroît informé le juge des libertés et de la détention qu’elle ne souhaitait pas repartir en Roumanie.

28. Le Gouvernement estime que la présente espèce se distingue de l’affaire Popov c. France, tant en raison de la durée de la rétention que des conditions dans lesquelles elle s’est déroulée.

29. S’agissant de la durée, le Gouvernement fait valoir que le placement en rétention de la requérante qui ne dura que neuf jours était conditionné par le rendez-vous avec les autorités consulaires roumaines.

30. Pour ce qui est des conditions matérielles d’accueil des familles au centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu, le Gouvernement note que celles-ci sont supérieures à celles dont la Cour a eu à connaître dans l’affaire Popov. Il cite à l’appui de ses dires le rapport du Comité pour la prévention de la torture du 10 décembre 2007 indiquant dans son paragraphe 62 que le centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu « offrait les meilleures conditions de séjour de tous les centres visités ». Le Gouvernement se prévaut également du rapport de visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui ne formula aucune critique particulière sur les conditions d’accueil des familles et salua l’encadrement médical offert aux personnes retenues. Le Gouvernement constate que le centre de détention de Toulouse‑Cornebarrieu comporte une zone dédiée à l’accueil des familles, distincte de la zone de rétention. Elle comporte plusieurs chambres individuelles ou collectives équipées de sanitaires particuliers. Des lits pour enfants y sont installés et adaptés en considération de la composition des familles accueillies. L’administration fournit également aux familles retenues du matériel de puériculture, des produits d’hygiène et des aliments adaptés.

31. Le Gouvernement ne conteste pas l’existence de nuisances sonores générées par l’aéroport de Toulouse situé à proximité du centre de rétention. Il fait valoir néanmoins que la requérante et son enfant n’y furent exposés que peu de temps. De surcroît, le niveau de ces nuisances est faible dès lors que le Contrôleur général n’en fit pas état dans son rapport susmentionné. Par ailleurs, la commission consultative de l’environnement approuva en 2010 un plan d’action destiné à baisser le niveau desdites nuisances sonores. Un plan de prévention du bruit dans l’environnement de Toulouse fut adopté par arrêté préfectoral du 12 mars 2013.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes applicables

32. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention ne ménage aucune exception. Cette prohibition absolue, par la Convention, de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants montre que l’article 3 consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 88, série A no 161).

33. Pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement, ainsi que de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, entre autres, Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 55, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII).

34. La Cour rappelle qu’elle a conclu à plusieurs reprises à la violation de l’article 3 de la Convention en raison du placement en rétention d’étrangers mineurs accompagnés (voir Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, no 41442/07, 19 janvier 2010 ; Kanagaratnam c. Belgique, no 15297/09, 13 décembre 2011 ; Popov, précité) ou non (voir Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, CEDH 2006‑XI ; Rahimi c. Grèce, no 8687/08, 5 avril 2011). Dans les affaires concernant le placement en rétention d’enfants étrangers mineurs accompagnés, elle a notamment conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison de la conjonction de trois facteurs : le bas âge des enfants, la durée de leur rétention et le caractère inadapté des locaux concernés à la présence d’enfants.

b) Application au cas d’espèce

35. La Cour observe qu’en l’espèce, et à l’instar de l’affaire Muskhadzhiyeva et autres, l’enfant de la requérante était accompagné de sa mère durant la période de rétention. Elle estime cependant que cet élément n’est pas de nature à exempter les autorités de leur obligation de protéger l’enfant et d’adopter des mesures adéquates au titre des obligations positives découlant de l’article 3 de la Convention (ibid., § 58) et qu’il convient de garder à l’esprit que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal (voir Popov, précité, § 91 ; comparer avec Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga, précité, § 55). Les directives européennes encadrant la rétention des étrangers considèrent à ce titre que les mineurs, qu’ils soient ou non accompagnés, comptent parmi les populations vulnérables nécessitant l’attention particulière des autorités. En effet, les enfants ont des besoins spécifiques dus notamment à leur âge et leur dépendance.

36. La Cour note que, lors de la rétention en cause, l’enfant de la requérante était âgé de deux ans et qu’il fut retenu avec sa mère pendant dix jours au centre de Toulouse-Cornebarrieu.

37. Concernant les conditions matérielles de rétention, la Cour constate que le centre de Toulouse-Cornebarrieu compte parmi ceux « habilités » à recevoir des familles en vertu du décret du 30 mai 2005 (voir paragraphe 26 de l’arrêt A.B. et autres précité). Il ressort des rapports de visite de ce centre (voir paragraphes 31 à 40 de l’arrêt A.B. et autres précité) que les autorités ont pris soin de séparer les familles des autres retenus, de leur fournir des chambres spécialement équipées et de mettre à leur disposition du matériel de puériculture adapté. La Cour relève d’ailleurs que les ONG ont reconnu que, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Popov précitée, les conditions matérielles ne posaient pas problème dans ce centre.

38. La Cour constate cependant que le centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu, construit en bordure immédiate des pistes de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, est exposé à des nuisances sonores particulièrement importantes qui ont conduit au classement du terrain en « zone inconstructible » (voir paragraphes 33, 37 et 40 de l’affaire A.B. et autres précitée). La Cour observe que les enfants, pour lesquels des périodes de détente en plein air sont nécessaires, sont ainsi particulièrement soumis à ces bruits d’une intensité excessive. La Cour considère, en outre, que les conditions d’organisation du centre ont pu avoir un effet anxiogène sur l’enfant de la requérante.

39. La Cour considère que de telles conditions, bien que nécessairement sources importantes de stress et d’angoisse pour un enfant en bas âge, ne sont pas suffisantes, dans le cas d’un enfermement de brève durée et dans les circonstances de l’espèce, pour atteindre le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3. Elle est convaincue, en revanche, qu’au‑delà d’une brève période, la répétition et l’accumulation de ces agressions psychiques et émotionnelles ont nécessairement des conséquences néfastes sur un enfant en bas âge, dépassant le seuil de gravité précité. Dès lors, l’écoulement du temps revêt à cet égard une importance primordiale au regard de l’application de ce texte. La Cour estime que cette brève période a été dépassée dans la présente espèce, s’agissant de la rétention d’un enfant de deux ans qui s’est prolongée pendant dix jours dans les conditions exposées ci-dessus.

40. Ainsi, compte tenu de l’âge de l’enfant de la requérante, de la durée et des conditions de son enfermement dans le centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu, la Cour estime que les autorités ont soumis cet enfant à un traitement qui a dépassé le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention. Partant il y a eu violation de cet article à l’égard de l’enfant de la requérante.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 et 5 § 4 DE LA CONVENTION

41. La requérante soutient que le placement en rétention administrative de son enfant a eu lieu dans des conditions contraires à l’article 5 § 1 f) de la Convention et que le recours pour le contester est ineffectif au regard de l’article 5 § 4. Ces dispositions se lisent comme suit :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

42. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Sur l’article 5 § 1

a) Thèses des parties

43. La requérante rappelle que le droit français interdit les mesures d’éloignement contre les mineurs. Elle en déduit qu’une décision de placement en rétention ne peut être prise contre les mineurs et, partant, que la rétention des enfants n’a aucune base légale en France.

44. La requérante soutient qu’aucun effort n’a été fait pour trouver des mesures alternatives à la rétention.

45. Le Gouvernement souhaite distinguer la présente affaire de l’arrêt Popov, pour trois raisons.

46. Il soutient, en premier lieu, que la Convention pas plus que la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier n’interdit le placement en rétention d’enfant.

Le Gouvernement fait valoir que ni l’article 5 § 1 f) de la Convention, ni la directive 2008/115/CE n’interdisent le placement des enfants en rétention. Il rappelle, par ailleurs, que l’article L. 553-1 du CESEDA, issu de la loi du 16 juin 2011, prévoit la possibilité d’accueillir, en centre de rétention administrative, des familles accompagnées d’enfants et offre désormais des garanties suffisantes pour autoriser cette rétention.

47. Le Gouvernement s’appuie également sur une circulaire du 6 juillet 2012 du ministère de l’Intérieur, dont la légalité a été validée par le Conseil d’État le 13 février 2013. Cette circulaire recommande aux préfets de département en charge de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière de privilégier l’assignation à résidence. Elle précise cependant qu’en cas de non-respect des conditions de l’assignation à résidence, en cas de fuite d’un ou plusieurs membres de la famille ou en cas de refus d’embarquement, la famille pourra être placée en rétention administrative. Dans une telle hypothèse, le placement devra être limité dans le temps. Le Gouvernement explique qu’à la suite de cette circulaire, le nombre de mineurs placés en rétention au niveau national a beaucoup diminué.

48. En troisième lieu, le Gouvernement insiste sur le fait que l’autorité préfectorale a examiné au préalable la possibilité d’une mesure alternative d’assignation à résidence pour l’écarter cependant, au vu de l’absence de garanties de représentation de la requérante, conformément à la circulaire du 6 juillet 2012.

49. Par conséquent, le Gouvernement en déduit que les autorités ont placé la requérante et son enfant au centre de rétention après avoir constaté qu’il n’existait aucune solution alternative et eu égard tant à la faible durée initiale de la mesure de rétention qu’au caractère adapté à l’accueil des familles du centre de Toulouse-Cornebarrieu.

50. D’après les observations présentées par le GISTI, ADDE et la LDH, le droit français interdit les mesures d’éloignement contre les enfants qui ne peuvent être considérés en situation irrégulière. Il ne saurait donc y avoir de base légale fondant leur présence dans un centre de rétention.

b) Appréciation de la Cour

51. Pour être conforme à l’article 5 § 1, toute privation de liberté doit avoir respecté « les voies légales » et été « régulière » (voir, parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33 ; Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000‑III).

52. La Cour rappelle, par ailleurs, que pour qu’une détention se concilie avec l’article 5 § 1 f) de la Convention, il suffit qu’une procédure d’expulsion soit en cours et que celle-ci soit effectuée aux fins de son application. En principe, il n’y a donc pas lieu de rechercher si la décision initiale d’expulsion se justifiait ou non au regard de la législation interne ou de la Convention ou si la rétention pouvait être considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour empêcher un risque de fuite ou d’infraction. La Cour a cependant égard à la situation particulière des personnes privées de liberté. Ainsi, par exception, quand un enfant est présent, elle estime que la privation de liberté doit être nécessaire pour atteindre le but poursuivi, à savoir pour assurer l’expulsion de la famille. Dans l’affaire Popov, elle a conclu à la violation de l’article 5 § 1 après avoir notamment constaté que les autorités n’avaient pas recherché si le placement en rétention administrative était une mesure de dernier ressort à laquelle aucune alternative ne pouvait se substituer (ibid., § 119).

53. La Cour relève que le droit français réglemente certains aspects de la présence des mineurs accompagnant leurs parents placés en rétention (voir les paragraphes 25 à 28 de l’affaire A.B. et autres précitée). Il n’existe, en revanche, aucun texte déterminant les conditions dans lesquelles cette présence en rétention est possible. Ainsi, en l’espèce, seule la requérante faisait l’objet d’une mesure d’éloignement prenant la forme d’une interdiction judiciaire du territoire et d’un arrêté ordonnant son placement en rétention.

54. Toutefois, la Cour observe que la situation des enfants est intrinsèquement liée à celle de leurs parents, dont il convient, dans toute la mesure du possible, de ne pas les séparer. Ce lien, conforme à l’intérêt des enfants, a pour conséquence que, lorsque leurs parents sont placés en rétention, ils sont eux-mêmes de facto privés de liberté. Cette privation de liberté résulte de la décision légitime des parents, ayant autorité sur eux, de ne pas les confier à une autre personne. La Cour peut accepter qu’une telle situation n’est pas, dans son principe, contraire au droit interne. Elle souligne néanmoins que le cadre dans lequel se trouvent alors les enfants est source d’angoisse et de tensions pouvant leur être gravement préjudiciable.

55. Dans de telles conditions, la Cour juge que la présence en rétention d’un enfant accompagnant ses parents n’est conforme à l’article 5 § 1 f) qu’à la condition que les autorités internes établissent qu’elles ont recouru à cette mesure ultime seulement après avoir vérifié concrètement qu’aucune autre moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre.

56. En l’espèce, la Cour note que la requérante et son enfant ont été placés en rétention dans l’attente de leur expulsion et, partant, qu’il s’agissait d’une privation de liberté relevant de l’article 5 § 1 f). Elle relève que, dans son arrêté ordonnant le placement en rétention de la requérante, le préfet a écarté la possibilité de recourir à une mesure moins coercitive en raison de la conjonction de plusieurs facteurs, dont la condamnation pénale de la requérante pour des faits graves, sa volonté affichée de ne pas retourner dans son pays d’origine et son absence d’adresse connue. Dans ces circonstances, la Cour estime que les autorités internes, comme elles en avaient l’obligation, ont examiné la possibilité de prendre une mesure moins coercitive avant de décider le placement en rétention de la famille.

57. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut à la non-violation de l’article 5 § 1 de la Convention à l’égard de l’enfant de la requérante.

2. Sur l’article 5 § 4

a) Thèses des parties

58. La requérante expose qu’à l’instar de l’affaire Popov, l’enfant ne faisait l’objet ni d’un arrêté d’expulsion, ni d’un arrêté de placement en rétention et qu’elle n’avait à sa disposition aucun recours pour contester cette deuxième décision.

59. Le Gouvernement considère, contrairement à l’approche adoptée par la Cour dans l’arrêt Popov, que l’on ne saurait déduire du fait que les enfants ne peuvent faire l’objet ni d’un arrêté d’expulsion, ni d’un arrêté de placement en rétention qu’ils tombent dans un vide juridique ne leur permettant pas d’exercer le recours garanti à leurs parents. Le Gouvernement explique en effet qu’il est possible d’invoquer devant le juge administratif, au nom des enfants accompagnant leurs parents, l’illégalité de leur présence en rétention. Il cite ainsi une décision d’une juridiction administrative ayant, selon lui, anticipé les conséquences des exigences soulignées par la Cour dans l’arrêt Popov au regard de l’article 5 § 4 en sanctionnant la présence illégale de mineurs accompagnant leurs parents dans un centre de rétention.

60. D’après les observations du GISTI, d’ADDE et de la LDH, les mineurs ne font l’objet d’aucune décision de placement en rétention mais sont simplement considérés comme accompagnant leurs parents. Ils ne peuvent dès lors contester cette mesure devant un juge.

b) Appréciation de la Cour

61. La Cour rappelle que le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise le paragraphe 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 127, Recueil 1996‑V ; S.D. c. Grèce, no 53541/07, § 72, 11 juin 2009 ; Rahimi, précité, § 113).

62. Ainsi que rappelé précédemment, la loi française ne prévoit pas que les mineurs puissent faire l’objet d’une mesure de placement en rétention. La Cour en avait déduit, dans l’arrêt Popov (précité, § 124), que les enfants accompagnant leurs parents tombaient dans un vide juridique qui ne leur permettait pas d’exercer le recours en annulation, ouvert à leurs parents, devant le juge administratif et qui ne permettait pas non plus au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la légalité de leur présence en rétention.

63. La Cour observe qu’en l’espèce, le premier président de la cour d’appel a eu égard à la présence de l’enfant et a recherché s’il était possible de recourir à une mesure alternative à la rétention. Constatant que la requérante avait été condamnée pénalement, qu’elle était très mobile et qu’elle avait toujours déclaré ne pas souhaiter repartir en Roumanie, il en a conclu qu’une assignation à résidence et un placement sous surveillance électronique ne permettraient pas d’empêcher le risque de fuite. Dans de telles circonstances, la Cour est convaincue que les juridictions internes ont effectivement recherché si une mesure moins coercitive que la rétention de la famille aurait pu être prise et, partant, que l’enfant de la requérante a pu bénéficier d’un recours au sens de l’article 5 § 4.

64. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que l’enfant de la requérante s’est vu garantir la protection requise par la Convention. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention du chef de l’enfant de la requérante.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

65. La requérante se plaint que son placement en rétention ainsi que celui de son fils a constitué une ingérence disproportionnée dans leur droit au respect de la vie familiale au regard du très jeune âge de l’enfant. Elle invoque l’article 8 qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

66. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

67. La requérante soutient que le placement en rétention dont elle a fait l’objet avec son fils n’était pas nécessaire au sens de l’article 8 § 2 de la Convention. Elle affirme, en effet, qu’il n’existait aucun risque de fuite et qu’une assignation à résidence aurait été parfaitement adaptée à leur situation.

68. La requérante soutient en particulier que le Gouvernement aurait manqué de diligence en n’anticipant pas sa levée d’écrou.

69. Le Gouvernement concède qu’il existait bien en l’espèce une vie familiale entre la requérante et son fils et qu’ainsi la mesure de placement en rétention a constitué une ingérence dans le déroulement normal de celle‑ci. Il soutient, en outre, qu’il n’y a aucune raison pour que la Cour se départe de la conclusion qui était la sienne dans l’affaire Popov, à savoir que ladite ingérence a bien été prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime.

70. Le Gouvernement fait cependant valoir que la présente affaire se distingue, sur la question de la proportionnalité, de l’arrêt Popov. En l’espèce, les autorités ont fait toute diligence pour limiter autant qu’il était possible la durée de rétention administrative de la requérante et de son enfant. Elles ne pouvaient ainsi sans méconnaître les droits de la défense solliciter de laissez-passer consulaire dans le cadre d’une interdiction judiciaire du territoire français avant l’expiration du délai d’appel contre ladite interdiction.

2. Appréciation de la Cour

71. La Cour estime que l’existence d’une « vie familiale » au sens de la jurisprudence Marckx c. Belgique (13 juin 1979, série A no 31) ne fait pas de doute en l’espèce, elle n’est d’ailleurs pas contestée par le Gouvernement. Cette disposition est donc applicable à la situation dénoncée par les requérants.

72. La Cour considère ensuite, comme elle l’a fait dans l’affaire Popov précitée (§ 134), que le fait d’enfermer la requérante et son enfant dans un centre de rétention, pendant dix jours, les soumettant à la privation de liberté et aux contraintes inhérentes à ce type d’établissement peut s’analyser comme une ingérence dans l’exercice effectif de leur vie familiale.

73. Pareille ingérence enfreint l’article 8 de la Convention, sauf si elle peut se justifier sous l’angle du paragraphe 2 de cet article, c’est-à-dire si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes énumérés dans cette disposition et est « nécessaire, dans une société démocratique », pour le ou les atteindre.

74. La Cour observe que, bien qu’il n’en soit pas de même pour l’enfant dont le sort suivait néanmoins le sien, la base légale de la rétention de la requérante trouvait son fondement dans l’article L. 554-1 du CESEDA.

75. Concernant le but poursuivi par la mesure litigieuse, la Cour constate qu’elle a été prise dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine et du contrôle de l’entrée et du séjour des étrangers sur le territoire. Cette action peut se rattacher à des objectifs tant de protection de la sécurité nationale, de défense de l’ordre, de bien-être économique du pays que de la prévention des infractions pénales. En effet, la requérante a été reconnue coupable et condamnée pour des faits de provocation directe de mineur à commettre des crimes ou des délits, participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime et recel en bande organisée de biens provenant d’un délit (voir paragraphes 9 et 10 ci-dessus). La Cour parvient par conséquent à la conclusion que l’ingérence dont il est question poursuivait un but légitime au regard de l’article 8 § 2 de la Convention.

76. Elle doit enfin examiner si le placement en rétention de la famille, pour une durée telle qu’en l’espèce, s’avérait nécessaire au sens de l’article 8 § 2 de la Convention, c’est-à-dire justifié par un besoin social impérieux et, notamment, proportionné au but légitime poursuivi (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga, précité, § 80).

77. La Cour rappelle à cet égard que les autorités se doivent de ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble (Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 49, série A no 290).

Elle insiste sur le fait que cet équilibre doit être sauvegardé en tenant compte des conventions internationales, notamment de la Convention relative aux droits de l’enfant (mutatis mutandis, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, § 120, 28 juin 2007). Il y a donc nécessité de concilier la protection des droits fondamentaux et les impératifs de la politique d’immigration des États.

78. Ainsi, une mesure d’enfermement doit être proportionnée au but poursuivi par les autorités, à savoir l’éloignement. Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’il s’agit de familles, les autorités doivent, dans leur évaluation de la proportionnalité, tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. À cet égard, la Cour souligne qu’il existe actuellement un large consensus – y compris en droit international – autour de l’idée que dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer (Rahimi, précité, § 108, et, mutatis mutandis, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 135, CEDH 2010).

79. La Convention internationale relative aux droits de l’enfant préconise que l’intérêt supérieur des enfants soit une considération primordiale dans toute décision les concernant (article 3). De même, les directives européennes (voir les paragraphes 71 et suivants de l’affaire A.B. et autres précitée), transposées dans le CESEDA, prévoient expressément que les États membres accordent une place d’importance à la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Il découle par ailleurs des rapports internationaux (voir les paragraphes 82 et suivants de l’affaire A.B. et autres précitée) que la sauvegarde de l’intérêt supérieur de l’enfant implique, d’une part, de maintenir, autant que faire se peut, l’unité familiale et, d’autre part, d’envisager des alternatives afin de ne recourir à la rétention des mineurs qu’en dernier ressort. Tant la Convention internationale relative aux droits de l’enfant que les directives européennes ainsi que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe prévoient ainsi que le placement en rétention des mineurs ne doit intervenir qu’en dernier ressort, après examen de toutes les alternatives à cette mesure. La Cour note enfin que la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et la Défenseure des enfants se sont prononcées, à plusieurs reprises, contre la privation de liberté d’enfants, accompagnés ou non, n’ayant pas commis d’infraction pénale, au nom du respect de leur intérêt supérieur. Selon elles, lorsque les parents de jeunes mineurs font l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière, l’assignation à résidence ou, si celle-ci s’avère impossible, la location de chambres d’hôtel devrait être envisagée en priorité (voir les paragraphes 51 et suivants de l’affaire A.B. et autres précitée).

80. La Cour rappelle que, dans l’arrêt Popov précité, elle avait conclu que les requérants avaient subi une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de leur vie familiale après avoir relevé trois éléments. D’une part, les requérants ne présentaient pas de risque particulier de fuite nécessitant leur détention. D’autre part, aucune alternative à la rétention n’avait été envisagée. Enfin, les autorités n’avaient pas mis en œuvre toutes les diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d’expulsion et limiter le temps d’enfermement.

81. La Cour observe qu’en l’espèce, les deux parties s’opposent sur le point de savoir s’il existait un risque particulier de fuite et si une solution alternative avait été recherchée par les autorités. Pour caractériser le risque de fuite et l’impossibilité de recourir à une solution de remplacement, le Gouvernement s’appuie sur les éléments suivants relevés par les juridictions internes : l’interdiction judiciaire du territoire français dont la requérante fait l’objet, la circonstance que l’enfant de la requérante l’accompagnait dans son incarcération depuis sa naissance, l’intention de rester en France que la requérante avait indiquée au juge des libertés et de la détention, les faits graves qu’elle avait commis, nécessitant la préservation de l’ordre public, le fait que la requérante avait circulé et résidé en France après avoir confié l’entretien et l’éducation de ses enfants à des tiers. La Cour observe que, sur la base de ces éléments, les autorités internes et notamment la cour d’appel de Toulouse (voir paragraphe 14) ont jugé que ni l’assignation à résidence, ni un placement sous surveillance électronique ne permettraient d’empêcher le risque de fuite. Au vu des éléments à sa disposition, la Cour estime ne pas pouvoir remettre en cause l’appréciation portée par les autorités nationales sur ce risque et sur la possibilité de recourir à une mesure alternative à la rétention.

82. La Cour observe, par ailleurs, que la requérante a été condamnée le 19 novembre 2014 à trois ans d’emprisonnement dont six mois avec sursis ainsi qu’à une peine d’interdiction du territoire français de dix ans et qu’elle a été placée en rétention le 2 décembre suivant, le lendemain de la date d’expiration du délai d’appel contre ce jugement. Il n’est pas contesté par les parties que le préfet de Haute-Garonne a sollicité un laissez-passer consulaire auprès des autorités roumaines le jour même du placement en rétention et que celles-ci n’ont délivré ce document que le 19 décembre 2014, empêchant, en conséquence, les autorités françaises de procéder à l’éloignement des requérants avant cette date. La Cour en déduit qu’aucun retard dans la mise à exécution de la mesure d’expulsion n’est à imputer aux autorités françaises.

83. Dans de telles circonstances, la rétention de la famille pour une durée de dix jours n’apparaît pas disproportionnée par rapport au but poursuivi. Partant, la Cour considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

84. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

85. La requérante réclame 5 000 euros (EUR) pour elle et 5 000 EUR pour son enfant au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi. Elle ne présente aucune demande au titre des frais et dépens.

86. Le Gouvernement estime que l’allocation d’une somme globale de 1 500 EUR constituerait une juste indemnisation du préjudice, eu égard aux conditions matérielles satisfaisantes caractérisant le centre de Toulouse-Cornebarrieu.

87. Au vu du constat de violation de l’article 3 auquel elle est parvenue concernant l’enfant de la requérante, la Cour, statuant en équité, considère qu’il y a lieu d’attribuer à ce dernier la somme de 1 500 EUR.

B. Frais et dépens

88. La requérante n’a présenté aucune demande au titre des frais et dépens. Partant la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

89. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard de l’enfant de la requérante ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention à l’égard de l’enfant de la requérante ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention pour les requérants ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à l’enfant de la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 juillet 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente


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