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12/07/2016 | CEDH | N°001-164678

CEDH | CEDH, AFFAIRE A.B. ET AUTRES c. FRANCE, 2016, 001-164678


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE A.B. ET AUTRES c. FRANCE

(Requête no 11593/12)

ARRÊT

STRASBOURG

12 juillet 2016

DÉFINITIF

12/10/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire A.B. et autres c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Ganna Yudkivska,
Khanlar Hajiyev,
André Potocki,
Yonko

Grozev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 ju...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE A.B. ET AUTRES c. FRANCE

(Requête no 11593/12)

ARRÊT

STRASBOURG

12 juillet 2016

DÉFINITIF

12/10/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire A.B. et autres c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Ganna Yudkivska,
Khanlar Hajiyev,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 juin 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 11593/12) dirigée contre la République française et dont un couple de ressortissants arméniens, M. A.B. et Mme A.A.B., et leur fils, A.B. (« les requérants »), ont saisi la Cour le 24 février 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non‑divulgation de leur identité formulée par les requérants (article 47 § 4 du règlement).

2. Les requérants ont été représentés par Me F. Tercero, avocat à Toulouse. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérants allèguent que leur rétention administrative au centre de Toulouse-Cornebarrieu dans l’attente de leur expulsion a violé les articles 3, 5, 8 et 13 de la Convention.

4. Le 29 février 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5. Eu égard aux conclusions de la Cour dans l’affaire I c. Suède (no 61204/09, §§ 40-46, 5 septembre 2013), la présente requête n’a pas été communiquée à l’Arménie.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérants sont nés respectivement en 1978, 1980 et 2007.

7. Ils fuirent l’Arménie en raison des craintes de persécution liées à l’activité de journalisme du premier requérant et à son engagement politique.

8. Arrivés en France le 4 octobre 2009, ils déposèrent des demandes d’asile qui furent rejetées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le 21 décembre 2009, puis par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), le 28 février 2011. Les demandes de réexamen qu’ils déposèrent par la suite furent également rejetées.

9. Le 3 mai 2011, le préfet du Loiret prit à l’encontre des requérants des arrêtés rejetant leurs demandes de titres de séjour et leur faisant obligation de quitter le territoire. Le 18 octobre 2011, le tribunal administratif d’Orléans, saisi par les requérants, refusa d’annuler ces arrêtés.

10. Arrêté par la police à l’occasion d’un vol dans la soirée du 16 février 2012, le premier requérant fut placé, le jour même, en garde à vue. Les deuxième et troisième requérants furent interpellés, le lendemain, au centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) de Chaingy où la famille résidait. Les requérants furent conduits, le même jour, au centre de rétention administrative (CRA) de Toulouse-Cornebarrieu. Les arrêtés de placement en rétention pris contre les deux premiers requérants sont ainsi libellés :

« Considérant que la mise en œuvre immédiate de [l’arrêté portant obligation de quitter le territoire] n’est pas possible en raison des modalités d’organisation de [leur] départ vers [leur] pays d’origine ;

Considérant que [les requérants] ne présent[ent] pas de garanties de représentation suffisantes en ce qu’[ils] n’[ont] pas présenté de passeport valide, qu’[ils] ne dispos[ent] ni d’une domiciliation stable, ni de ressources suffisantes, qu’[ils] n’[ont] pas exécuté la précédente mesure d’éloignement prise à [leur] encontre et qu’[ils] s’oppos[ent] formellement dans [leur] procès-verbal d’audition à être reconduit dans [leur] pays d’origine. »

11. Les deux premiers requérants contestèrent leurs arrêtés de placement en rétention et formèrent, en parallèle, un référé suspension. À cette occasion, ils firent valoir qu’ils disposaient d’un domicile fixe dans un CADA, qu’un proche était disposé à les accueillir et qu’en tout état de cause, ce placement méconnaîtrait l’intérêt supérieur de l’enfant. À cet égard, ils signalèrent que leur enfant, trop jeune pour être laissé seul, dut les accompagner dans toutes leurs démarches administratives et qu’il fut ainsi amené à côtoyer des policiers armés en uniforme.

12. Le 21 février 2012, le président du tribunal administratif de Toulouse rejeta sans audience la requête en référé, estimant :

« Il résulte des dispositions [légales internes] que la contestation de la légalité des décisions portant placement en rétention prises en exécution de mesures d’éloignement est entièrement régie par une procédure particulière présentant, elle‑même, le caractère d’une procédure d’urgence et ne relève pas de l’office du juge des référés (...) ; qu’il suit de là que les requérants ne sont pas recevables à solliciter du juge des référés qu’il prononce (...) la suspension de la mise à exécution des décisions de placement en rétention administrative prises en exécution d’obligations de quitter le territoire français, laquelle aurait, en l’occurrence, des effets équivalents à celle de l’annulation au fond de cette même décision. »

13. Le même jour, le tribunal administratif de Toulouse rejeta la requête en annulation du placement en rétention administrative introduite par les deux premiers requérants aux motifs suivants :

« Considérant qu’il est constant que [les requérants] ne peu[vent] présenter ni document d’identité, ni titre de voyage en cours de validité ; que s’[ils] f[ont] valoir qu’[ils] disposent d’un domicile fixe dans un centre d’accueil des demandeurs d’asile, il ressort des pièces du dossier que ce centre [leur] a demandé de quitter les lieux où [ils] se maintien[nent] indûment depuis le mois de juin 2011 ; que [les intéressés] ne justifi[ent] pas davantage de ressources licites ; qu’enfin, depuis la notification du jugement du tribunal administratif d’Orléans du 18 octobre 2011 rejetant sa requête dirigée contre l’arrêté du préfet du Loiret du 2 mai 2011, [les requérants] se soustrai[ent] à cette mesure d’éloignement ; que, dans ces conditions, le choix de l’autorité préfectorale de [les] placer en rétention administrative au lieu de [les] assigner à résidence (...) n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation. »

Répondant plus spécifiquement au moyen soulevé par les requérants tiré de l’intérêt supérieur de l’enfant, le tribunal administratif le jugea inopérant, les décisions attaquées ne se rapportant qu’à la situation personnelle de ses parents.

14. Le préfet ayant saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Toulouse pour obtenir la prolongation de la mesure de rétention, les deux premiers requérants tentèrent de faire intervenir volontairement le troisième requérant à l’instance. Le 22 février 2012, le juge des libertés et de la détention autorisa la prolongation de la rétention des requérants pour une durée de vingt jours, après avoir déclaré irrecevable l’intervention volontaire à l’instance faite au nom du mineur et avoir rejeté le moyen tiré de l’incompatibilité des conditions de rétention avec la présence d’un enfant mineur aux motifs suivants :

« Attendu qu’il n’appartient pas à l’autorité judiciaire d’interférer dans la gestion des centres de rétention administrative. »

15. Cette décision fut confirmée, le 24 février 2012, par le premier président de la cour d’appel de Toulouse qui précisa notamment :

« (...) le centre de rétention administrative de Cornebarrieu où se trouve l’enfant est agréé pour recevoir les familles et comporte toutes les infrastructures nécessaires au confort d’une famille avec enfant.

Ainsi, toute la famille est réunie et dispose, dans un secteur autonome et séparé du reste des retenus, des pièces pour elles seules (sic) et à leur usage exclusif.

De surcroît, il existe une aire de jeu sur le site comme dans les squares.

Enfin, un médecin et une infirmière sont disponibles tous les jours au centre de rétention administrative de Toulouse et les époux A.B. ne justifient pas s’être vu opposer une fin de non-recevoir lorsqu’ils ont demandé à leur présenter leur enfant, demande dont l’existence n’est également pas démontrée.

Les dispositions conventionnelles, spécialement l’article 8, n’apparaissent donc pas avoir été méconnues. »

16. Le 24 février 2012, les requérants saisirent la Cour, en vertu de l’article 39 du règlement, d’une demande de suspension de la mesure de placement en centre de rétention dont ils faisaient l’objet. Le 29 février 2012, la Cour décida de ne pas faire application de la mesure provisoire demandée.

17. Le 5 mars 2012, les requérants furent libérés après avoir manifesté leur volonté de retourner en Arménie et avoir sollicité à cette fin le bénéfice d’une aide au retour volontaire. Ils ne quittèrent cependant pas le territoire français en raison de l’état de santé du troisième requérant. Le 13 juillet 2012, le premier requérant fut d’ailleurs admis au séjour en sa qualité de parent d’enfant malade.

18. Par deux arrêts du 15 novembre 2012, la cour administrative d’appel de Bordeaux annula les arrêtés de placement en rétention administrative du 17 février 2012 prononcés à l’encontre des deux premiers requérants. Elle jugea de manière similaire pour chacun des deux époux :

« 4. Considérant que l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit, par dérogation aux cas dans lesquels un ressortissant étranger est susceptible d’être placé en rétention, la faculté de prendre une mesure d’assignation à résidence lorsque l’étranger présente des garanties propres à prévenir le risque qu’il se soustraie à son obligation de quitter le territoire français ; qu’en vertu des dispositions du 3o du II de l’article L. 511-1 du même code, ce risque doit être notamment regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas où l’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une mesure d’éloignement ; que le constat par l’autorité administrative de faits relevant du 3o du II de l’article L. 511-1, s’il est de nature à faire présumer l’existence d’un risque que le ressortissant étranger se soustraie à son obligation de quitter le territoire, ne dispense pas cette même autorité, avant toute décision de placement en rétention, de l’examen particulier des circonstances propres à l’espèce ; que, s’agissant des étrangers parents d’enfants mineurs ne présentant pas de garanties suffisantes de représentation, visés à l’article L. 562-1 de ce code, et conformément aux objectifs de l’article 17 de la directive 2008/115/CE, le recours au placement en rétention ne doit constituer qu’une mesure d’exception réservée au cas où l’étranger ne disposerait pas, à la date à laquelle l’autorité préfectorale prend les mesures nécessaires à la préparation de l’éloignement, d’un lieu de résidence stable ;

5. Considérant que pour la transposition de la directive précitée, l’article L. 562-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, créé par la loi no 2011‑672 du 16 juin 2011, prévoit que : « Dans les cas prévus à l’article L. 551‑1, lorsque l’étranger est père ou mère d’un enfant mineur résidant en France dont il contribue effectivement à l’entretien et à l’éducation dans les conditions prévues à l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans et lorsque cet étranger ne peut pas être assigné à résidence en application de l’article L. 561-2 du présent code, l’autorité administrative peut prendre une décision d’assignation à résidence avec surveillance électronique, après accord de l’étranger.

La décision d’assignation à résidence avec surveillance électronique est prise par l’autorité administrative pour une durée de cinq jours. La prolongation de la mesure par le juge des libertés et de la détention s’effectue dans les mêmes conditions que la prolongation de la rétention administrative prévue au chapitre II du titre V du présent livre. » ;

6. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la date de la décision attaquée, M. [A.B.] qui était accompagné de son épouse et de leur fils âgé de quatre ans [A.B.], était hébergé depuis plusieurs années au foyer du centre d’accueil des demandeurs d’asile de Chaingy, et que l’enfant était scolarisé ; que Mme [A.A.B.] a été interpellée le 16 février 2012 dans ce foyer, où la famille se maintenait irrégulièrement alors que la direction du centre lui avait demandé de quitter les lieux à la suite du rejet des demandes de réexamen de leur situation au regard de l’asile par décision du 28 juillet 2011 de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ; que pour prononcer la mise en rétention, le préfet du Loiret s’est borné à constater que M. [A.B.] ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes en ce qu’il n’avait pas présenté de passeport valide, ne disposait ni d’une domiciliation stable ni de ressources suffisantes et n’avait pas exécuté la précédente mesure d’éloignement prise à son encontre ; qu’il ne ressort pas de la décision attaquée que le préfet ait recherché, au regard de la présence de l’enfant, si une mesure moins coercitive que la rétention était possible pour la durée nécessairement brève de la procédure d’éloignement ; que dans ces conditions, sa décision est entachée d’une erreur de droit et doit pour ce motif être annulée ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, M. [A.B.] est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision du 17 février 2012 le plaçant en rétention administrative ; ».

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS CONCERNANT LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS, EN PARTICULIER CEUX ACCOMPAGNÉS DE MINEURS

A. Droit et pratique internes pertinents

1. Droit interne pertinent

19. En France, il existe différents types de mesure d’éloignement visant les étrangers. La principale mesure d’éloignement est l’obligation de quitter le territoire français. Conformément à l’article L. 511-4, 1o du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), elle ne peut pas concerner l’étranger mineur de dix-huit ans. En pratique cependant, si les parents du mineur font l’objet d’une obligation de quitter le territoire, il arrive fréquemment que ce dernier soit éloigné avec eux. Un étranger peut également être éloigné du territoire s’il fait l’objet d’une interdiction judiciaire du territoire (Code pénal, art. 131-30, al. 2) ou s’il doit être remis aux autorités compétentes d’un État membre de l’Union européenne en application du règlement CE no 343/2009 du 18 février 2003 dit « Dublin II ». Là encore, même si les parents du mineur sont les seuls à faire l’objet de telles mesures d’éloignement, cette situation conduit fréquemment à ce que celui-ci soit renvoyé avec eux.

20. Si l’étranger frappé d’une mesure d’éloignement ne peut pas être immédiatement renvoyé de France et s’il présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu’il se soustraie à cette obligation, l’autorité administrative peut l’assigner à résidence jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation (CESEDA, art. L. 561-1 à L. 561-3).

21. L’étranger frappé d’une mesure d’éloignement peut également être maintenu dans un centre de rétention le temps pour l’administration d’organiser son éloignement.

22. La décision initiale de placement est prise par le préfet pour une durée qui était de 48 heures jusqu’à la loi no 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, puis de cinq jours après l’entrée en vigueur de cette loi (CESEDA, art. L. 551-1). Cette décision peut être contestée devant le tribunal administratif.

23. Si l’éloignement de l’étranger n’a pu intervenir au cours de cette première période, la décision initiale de placement en rétention peut être prolongée à deux reprises par le juge des libertés et de la détention de quinze jours jusqu’à la loi du 16 juin 2011 et de vingt jours après l’entrée en vigueur de cette loi (CESEDA, art. L. 552-7). Le juge des libertés et de la détention peut, à titre exceptionnel, ordonner l’assignation à résidence de l’étranger lorsque celui-ci dispose de garanties de représentation effectives (CESEDA, art. L. 552-4).

24. Avant la loi du 16 juin 2011, la rétention ne pouvait dépasser trente‑deux jours ; après l’entrée en vigueur de cette loi, la durée maximale de rétention est de quarante-cinq jours. L’article L. 554-1 du CESEDA précise néanmoins :

« Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration doit exercer toute diligence à cet effet. »

25. L’article R. 553-3 du CESEDA précise les normes auxquelles doivent répondre les centres de rétention administrative. S’agissant plus précisément de la rétention des mineurs, le décret no 2005‑617 du 30 mai 2005 relatif à la rétention administrative et aux zones d’attente modifia le CESEDA en ajoutant à cette disposition l’alinéa suivant :

« Les centres de rétention administrative susceptibles d’accueillir des familles disposent en outre de chambres spécialement équipées, et notamment de matériels de puériculture adaptés. »

26. En vertu d’un arrêté du 21 mai 2008 pris en application de l’article R. 553-3 du CESEDA, les centres de rétention administrative (CRA) de Lille‑Lesquin 2, Coquelles, Lyon, Rouen-Oissel, Marseille, Metz‑Queuleu, Nîmes, Saint-Jacques de la Lande (Rennes), Perpignan, Hendaye, Le Mesnil‑Amelot 2 et Toulouse-Cornebarrieu furent ainsi « habilités à recevoir des familles ».

27. La loi précitée du 16 juin 2011 prit en compte la possibilité d’accueillir des mineurs en rétention en introduisant l’alinéa suivant à l’article L. 553-1 du CESEDA :

« Il est tenu, dans tous les lieux recevant des personnes placées ou maintenues au titre du présent titre, un registre mentionnant l’état civil de ces personnes ainsi que les conditions de leur placement ou de leur maintien. Le registre mentionne également l’état civil des enfants mineurs accompagnant ces personnes ainsi que les conditions de leur accueil.

(...) »

28. Le 6 juillet 2012, le ministre de l’Intérieur adopta une circulaire visant à définir les mesures pouvant se substituer au placement des mineurs accompagnant leurs parents en rétention administrative en vue de l’éloignement du territoire français. Cette circulaire indique notamment que les autorités administratives doivent veiller, dans le cas de familles parentes d’enfants mineurs, à appliquer la procédure d’assignation à résidence plutôt que le placement en rétention.

29. Dans un rapport commun intitulé « Centres et locaux de rétention administrative », publié en 2010, l’Assfam, Forum Réfugiés, France terre d’asile, La Cimade et l’Ordre de Malte, des organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées dans l’assistance aux étrangers, rappelèrent que, malgré l’absence de texte autorisant la rétention des mineurs, trois cent dix‑huit enfants « accompagnant » leurs parents furent privés de liberté au cours de l’année 2009. Leur âge moyen est de huit ans. Les ONG soulignent que les enfants ne font pas l’objet d’une mesure administrative de placement en rétention et qu’il s’agit d’une rétention sans aucune base juridique.

30. Elles font également remarquer que les disparités en termes de gestion matérielle de l’accueil des familles sont flagrantes entre les différents CRA habilités à recevoir des familles. L’absence totale de directives sur ce qui est indispensable pour un enfant entraîne un manque d’harmonisation des conditions d’enfermement des familles dans les CRA. Cette tâche est confiée au chef de centre. Il est de sa responsabilité d’adapter la gestion quotidienne de son CRA aux besoins particuliers d’une famille accompagnée d’enfants, sans le soutien de personnels spécifiquement formés à cette fin.

2. Conditions d’accueil du centre de rétention de Toulouse‑Cornebarrieu

a) Attestation de l’adjoint au chef du centre de rétention de Toulouse‑Cornebarrieu

31. Dans une attestation datée du 21 février 2012, l’adjoint au chef du centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu décrit le centre en les termes suivants :

« (...) la zone famille du CRA de Toulouse-Cornebarrieu est équipée des matériels spécifiques suivants :

. 1 maxi cosy

. 1 siège W-C

. 3 réhausseurs pour les repas

. 1 chauffe biberon

. 1 gigoteuse premier âge

. 2 transats repas

. 2 chaises hautes

. 1 table à langer

. 5 lits de camps (enfants + 3 ans)

. 6 lits bébé à barreaux + matelas

. 1 frigo (top) pour conservation des biberons, laitages et lait enfant

. 1 baignoire bébé

. 1 trotteur (jouet)

Par ailleurs, l’OFII présent sur le site tient à disposition des enfants qui séjournent au centre différents types de jeux et notamment des barils de jeux type « LEGO » enfants, crayons de couleurs et supports de dessin ainsi que des peluches.

Les parties communes et les salles de jeux et de détente sont placées sous vidéo surveillance et des interphones permettent de contacter en permanence les effectifs de police.

Accès aux soins : une permanence médicale est assurée tous les jours de la semaine par des infirmières et du lundi au vendredi par des médecins.

La maintenance et le contrôle des jeux extérieurs (jeux type jardin public) est assuré par le titulaire du marché multitechnique.

En ce qui concerne les couches et produits d’hygiène, ils sont fournis par le prestataire du marché Hôtellerie au fur et à mesure des besoins avec un stock sur site permanent.

Pour ce qui est de l’alimentation des enfants, le prestataire restauration fournit le lait et/ou les repas correspondant à l’âge des enfants (sur conseils éventuels du service médical). »

b) Rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté

32. À la suite d’une visite effectuée au centre de rétention administrative de Toulouse-Cornebarrieu du 17 au 20 mars 2009, le contrôleur publia un rapport.

33. Il nota, tout d’abord, que le centre figurait dans une zone non constructible compte tenu des servitudes aéronautiques et de l’exposition au bruit.

34. Il releva, ensuite, que le centre, de construction récente, offrait des conditions matérielles d’hébergement satisfaisantes et décrivit son organisation ainsi :

« La zone de rétention regroupe cinq zones d’hébergement dites zones de vie et une zone collective. Le secteur d’hébergement est composé de cinq ailes distinctes :

• zone A capacité 30 places pour les hommes ;

• zone B capacité 20 places pour les hommes (pour les femmes jusqu’au 11 mars 2009) ;

• zone C capacité 16 places pour les femmes (pour les familles jusqu’au 11 mars 2009) ;

• zone D capacité 30 places pour les hommes ;

• zone E capacité 30 places pour les hommes.

Les cinq zones de vie (sauf la zone C où les chambres peuvent communiquer) sont construites sur le même schéma avec des chambres à deux lits comportant chacune un bloc sanitaire (lavabo, douche, wc) ; dans chaque zone on trouve une salle de détente avec un baby-foot, une salle de télévision et une cour de détente. »

35. Concernant plus spécifiquement les chambres de la zone C destinées à héberger les familles, le contrôleur nota qu’elles avaient une superficie de 26,46 m² avec une salle d’eau de 4,84 m² comprenant une douche identique à celle des autres zones et deux lavabos et un w.-c., et qu’elles disposaient de deux fenêtres mesurant chacune 1,40 mètre sur 1,20 mètre. Le contrôleur observa que « les chambres ne sont pas verrouillées la nuit, ce qui peut créer chez certaines personnes retenues un sentiment d’insécurité ».

36. Quant à l’accès aux soins, le contrôleur constata que :

« (...) l’unité médicale est (...) composée d’un praticien hospitalier à temps plein et de cinq infirmières. Un médecin vient pour remplacer le médecin en poste lors des congés. Il y a tous les jours un médecin disponible. Par ailleurs, une préparatrice en pharmacie vient une demi-journée par mois sous l’autorité d’un pharmacien hospitalier (...). Actuellement le service est ouvert du lundi au vendredi de 7 heures 30 à 18 heures 30 et les samedis, dimanches et jours fériés de 8 heures à 16 heures 30. (...) En dehors des heures d’ouverture du service, il est fait appel au centre 15. »

c) Rapports des ONG

37. Dans leur rapport commun de 2006 sur les centres et locaux de rétention administrative, l’Assfam, Forum Réfugiés, France terre d’asile, La Cimade et l’Ordre de Malte mirent l’accent sur le problème majeur du centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu : son implantation en bord de piste de l’aéroport de Toulouse-Blagnac avec pour conséquence d’importantes nuisances sonores supérieures aux limites légales. Ils notèrent ainsi :

« Un très grand nombre d’avions décollent ou atterrissent chaque heure, à quelques mètres seulement du CRA. Il n’est absolument pas possible pour deux personnes, sauf à hurler, de communiquer entre elles dans les cours de promenade lorsqu’un avion décolle. Quand la température est clémente, les retenus passent de longs moments dans les cours et sont donc régulièrement exposés à des niveaux sonores supérieurs aux limites légales qui régissent d’autres lieux. »

Le rapport précise toutefois que l’isolation phonique est à peu près correcte à l’intérieur des bâtiments et que les conditions de rétention sont relativement bonnes comparées à d’autres centres.

38. Dans le rapport de 2007 sur les centres et locaux de rétention administrative, les ONG relevèrent :

« Les chambres n’excèdent pas deux places hormis pour les chambres réservées aux familles qui sont plus spacieuses et équipées de couchages pour les enfants. Chaque chambre d’environ 12,5 m2 est équipée d’un coin toilette et d’une salle d’eau avec douche et lavabo. Le mobilier dans les chambres se compose de lits métalliques, de tables de nuit et d’un ensemble table-chaise solidaire, le tout étant fixé au sol. Toutes les chambres sont pourvues de fenêtres en verre sécurit donnant sur l’extérieur et laissant entrer une lumière naturelle. La partie supérieure de celles-ci est coulissante et permet d’aérer l’espace. Le système servant à la fois au chauffage et à la climatisation, matérialisé dans chaque chambre par une bouche d’air, est assez bruyant et empêche certains retenus de dormir.

(...)

D’une manière générale même si ce centre de rétention est de facture moderne il reste d’un aspect intérieur et extérieur très froid et clinique. Hormis un petit patio intérieur dans une zone interdite d’accès aux retenus où végètent difficilement quelques plantes le reste est un patchwork de murs blancs, de carrelage blanc et de grillages galvanisés en guise de faux plafond. Les jours de beau temps les rais de soleil entrant par les baies vitrées réchauffent un peu le lieu mais ce dernier reste irradié par une lumière crue augmentant le stress, l’angoisse et accentuant ce sentiment prégnant d’enfermement avant un sort incertain. »

Le rapport précise, en outre, que le secteur famille est un « lieu de drame et d’angoisse », « extrêmement traumatisant pour les jeunes enfants qui après plusieurs jours en rétention s’étiolent, ou au contraire deviennent très énervés et difficilement gérables pour leurs parents ».

39. Le rapport 2010 des mêmes ONG décrit le centre comme suit :

« Le bâtiment, d’un seul tenant, est construit en bordure des pistes de l’aéroport de Toulouse Blagnac. Les bâtiments de béton sont entourés de grillages surmontés de barbelés. L’ensemble est sous étroite surveillance vidéo contrôlée depuis le poste de police à l’entrée du centre.

Cinq secteurs constituent les « unités de vie », dont un est réservé aux femmes et un second aux familles. Chaque secteur est équipé d’une cour dite de promenade faite de murs en béton et de grillages renforcés de barbelés. (...) Bien que le centre de rétention soit de facture récente (2006), il se dégrade rapidement. »

40. Dans le rapport 2011, les ONG expriment l’avis qu’au centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu, « ce ne sont pas les conditions matérielles qui posent problème ». Selon elles, le centre est impersonnel et anxiogène, « la proximité avec l’aéroport et le bruit incessant d’avions en phase de décollage et d’atterrissage ajout[ant] à l’angoisse des personnes qui attendent d’être fixées sur leur sort ». Les ONG affirment que cet environnement est « dévastateur » pour les enfants retenus en rétention qui sont « confrontés à la violence de la rétention même s’ils sont cantonnés dans un secteur spécial », ils « côtoient les autres retenus, les policiers armés et en uniforme [et] sont confrontés à la souffrance de leurs parents ». Les ONG précisent enfin que, pendant la journée, il est difficile pour les enfants de se reposer entre les « haut-parleurs qui annoncent les rendez-vous aux visites, à l’infirmerie ou aux repas, [et] deux décollages d’Airbus A380 ».

3. Jurisprudence

41. Les juridictions internes se sont prononcées à plusieurs reprises sur la pratique du placement en rétention administrative d’enfants accompagnant leurs parents, en vue de leur éloignement.

a) Jurisprudence judiciaire

42. Par une ordonnance du 23 octobre 2007 (no 87/2007), le premier président de la cour d’appel de Rennes statua sur l’appel interjeté par le procureur de la République en vue de l’annulation de l’ordonnance de libération du juge des libertés et de la détention concernant une famille avec un nourrisson. Le procureur faisait valoir que le fait de maintenir les requérants dans « des locaux spécialement aménagés pour recevoir les familles ne constituait pas un traitement inhumain ». La cour d’appel confirma l’ordonnance de première instance au motif suivant :

« même s’il disposait d’un espace réservé à « l’accueil » des familles, le centre de rétention reste un lieu où sont détenus les étrangers, en vue de leur éloignement du territoire français, pour une durée pouvant atteindre trente-deux jours ; que dans le cas particulier de l’espèce, le fait de maintenir, dans un tel lieu, une jeune mère de famille, son mari et leur bébé âgé de trois semaines, constitue un traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme en raison, d’une part, des conditions de vie anormales imposées à ce très jeune enfant, quasiment dès sa naissance, et, d’autre part, de la grande souffrance, morale et psychique, infligée à la mère et au père par cet enfermement avec le nourrisson, souffrance qui, par sa nature et sa durée (...), dépasse le seuil de gravité requis par le texte précité, et qui, en outre, est manifestement disproportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire la reconduite à la frontière des époux (...) »

43. Dans une autre ordonnance, le 29 septembre 2008 (no 271/2008), le premier président de la cour d’appel de Rennes considéra que « même s’il dispose d’un espace réservé à l’accueil des familles, le centre de rétention reste un lieu d’enfermement (...), le fait de maintenir, dans un tel lieu, une très jeune mère de famille, son mari et leur bébé âgé d’un an, constitue un traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ». Ce même président releva notamment que cet enfermement est, pour une famille, source de « grande souffrance morale et psychique » qui « dépasse le seuil de gravité requis par la Convention ».

44. Dans un arrêt du 10 décembre 2009 (Bulletin 2009, I, no 250), la Cour de cassation censura cette ordonnance. Elle considéra que les motifs employés par la cour d’appel étaient impropres à caractériser, en l’espèce, un traitement inhumain ou dégradant.

45. Dans une ordonnance du 21 février 2008, la cour d’appel de Toulouse (no 08/00088) ordonna la libération immédiate des requérants au motif que :

« le fait de maintenir dans un tel lieu une jeune mère de famille, son mari et leur bébé de deux mois et demi constitue un traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme en raison, d’une part, des conditions de vie anormales imposées à ce très jeune enfant quasiment dès sa naissance, après avoir été gardé en garde à vue avec sa mère et, d’autre part, de la grande souffrance morale et psychique infligée à la mère et au père par cet enfermement, souffrance manifestement disproportionnée au but poursuivi, c’est‑à‑dire à la reconduite à la frontière (...) »

46. Cette décision fut censurée par la Cour de cassation qui décida, dans un arrêt du 10 décembre 2009 (Bulletin 2009, I, no 249) que :

« ne constitue pas un traitement inhumain ou dégradant le maintien provisoire en rétention administrative d’une famille composée d’un homme, une femme et leur enfant âgé de quelques mois, dans l’attente d’une reconduite d’office à la frontière légalement prévue dès lors que cette mesure privative de liberté est régulièrement ordonnée par l’autorité judiciaire sous son contrôle et qu’elle s’exécute dans un espace du centre de rétention spécialement réservé aux familles dont il n’est pas démontré que l’aménagement soit incompatible avec les besoins de la vie d’une famille et de la dignité humaine. »

b) Jurisprudence administrative

47. Saisi par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et la Cimade qui demandaient l’annulation du décret du 30 mai 2005 « en tant qu’il organise le placement en rétention administrative de familles, y compris de mineurs », le Conseil d’État, dans un arrêt du 12 juin 2006 (no 282275), rejeta les requêtes des deux associations. Concernant la rétention des familles, il considéra que l’article 14 du décret en cause n’avait pas pour objet ni pour effet de permettre aux autorités préfectorales de prendre des mesures privatives de liberté à l’encontre des familles des personnes placées en rétention mais qu’il visait seulement à organiser l’accueil de ces familles. Le Conseil d’État en conclut que le pouvoir réglementaire était compétent pour édicter de telles dispositions qui n’étaient contraires ni au CESEDA ni à la Convention de New York sur les droits de l’enfant.

48. Dans un jugement du 8 septembre 2011, le tribunal administratif de Lyon annula un arrêté de placement en rétention, après avoir constaté que la famille concernée n’avait visiblement aucune intention de se soustraire à l’obligation de quitter le territoire qui leur avait été notifiée.

49. Dans un jugement du 29 octobre 2011, le tribunal administratif de Melun annula l’arrêté de placement en rétention au motif « qu’aucune disposition légale ou réglementaire du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’autoris[e] le placement en rétention par l’autorité préfectorale d’enfants mineurs d’un étranger, lui-même placé en rétention, sans que ce dernier ait manifesté la volonté de garder ses enfants auprès de lui ».

50. Dans deux jugements des 3 et 4 février 2012, le tribunal administratif de Melun annula comme contraire à l’article 8 de la Convention les placements en rétention de deux familles, estimant qu’une assignation à résidence était possible et partant que les mesures portaient une atteinte disproportionnée au droit des intéressés à une vie familiale normale.

4. Commission nationale de déontologie et de la sécurité (CNDS)

51. La CNDS s’est prononcée à plusieurs reprises contre le placement en rétention administrative de mineurs étrangers.

52. Dans un avis adopté le 13 juin 2005 (saisine no 2004-87), elle observa notamment, à propos d’une famille de ressortissants algériens composée de trois enfants, que les enfants mineurs sont qualifiés d’« accompagnants » de leurs parents qui font l’objet de mesures de reconduite et subissent des conditions de rétention pendant plusieurs jours sans aucune base légale et sans garantie. Dans cette affaire, la famille avait été maintenue dans des locaux qui ne bénéficiaient pas d’espace famille. La CNDS constata que « [l]e souci de ne pas séparer les enfants de leurs parents qui a été mis en avant auprès de la Commission par les responsables administratifs de la décision prise à l’encontre de la famille A.B. a eu pour conséquence de faire subir aux enfants la violence et le traumatisme dus aux conditions (...) de rétention de leurs parents. »

53. La Commission précisa qu’il était attendu du législateur et du pouvoir réglementaire qu’ils rendent effective l’application en France de l’article 2 de la Convention des droits de l’enfant (voir infra), (CNDS – Rapport 2005, pp. 278-305).

54. Le 20 octobre 2008, la CNDS adopta un nouvel avis à la suite de sa saisine concernant la rétention d’une famille avec enfants (saisine no 2007‑121). Dans cette décision, la CNDS affirma que « si l’intérêt supérieur de l’enfant dicte qu’il ne soit pas séparé de ses parents dont l’expulsion est inévitable, la Commission estime que le même intérêt supérieur de l’enfant interdit son placement en rétention. » Elle demanda en conséquence, lorsqu’un tel cas se présente, de recourir à l’assignation à résidence des parents et de leurs enfants ou à leur placement en résidence hôtelière.

55. Dans un avis adopté le 17 novembre 2008 (no 2007-113), la CNDS recommanda que les mineurs ne soient plus placés dans des centres de rétention lorsque les parents font l’objet d’une mesure d’éloignement.

56. Enfin, dans un avis adopté le 14 décembre 2009 (saisine no 2009‑121) concernant la rétention d’une famille de ressortissants russes et de leurs trois enfants mineurs, la CNDS recommanda que, « conformément à l’article 37 de la Convention internationale des droits de l’enfant, lorsque des parents font l’objet d’une mesure d’éloignement et que l’assignation à résidence n’est pas possible, la location de chambres d’hôtel surveillées par les services de police ou de gendarmerie soit privilégiée, à moins que le placement des enfants chez des parents ou amis ne puisse être envisagé. »

5. Défenseure des enfants

57. Dans ses deux derniers rapports d’activité (2008 et 2009), avant son rattachement au Défenseur des droits, la Défenseure des enfants soutint que les enfants qui n’ont pas commis d’infraction ne doivent pas être placés dans un lieu privatif de liberté, tel qu’un centre de rétention. Elle rappela que les conditions de rétention des familles étaient très préjudiciables pour les enfants (amaigrissement, symptômes d’angoisse, troubles du sommeil ...), même si la détention se fait dans un centre de rétention comprenant un espace réservé aux familles. Elle affirma à plusieurs reprises que les centres de rétention administrative sont inadaptés à la vie d’enfants même si des espaces familles ont été créés dans certains d’entre eux : les enfants qui vivent une rupture avec leur milieu scolaire et leur environnement quotidien présentent une grande souffrance psychique.

58. Selon elle, il conviendrait de ne recourir à la rétention qu’à titre tout à fait exceptionnel pour les familles avec enfants et privilégier l’assignation à résidence des parents et de leurs enfants ou à défaut leur placement en résidence hôtelière pendant le temps de la procédure administrative. Cela permettrait aux parents de répondre devant les autorités de leur situation et aux enfants de continuer à avoir la vie la plus équilibrée possible dans un moment délicat de la vie de leur famille et ce, tout en évitant de séparer les enfants de leurs parents.

6. Défenseur des droits

59. À la suite de l’arrêt Popov c. France (nos 39472/07 et 39474/07, 19 janvier 2012), le Défenseur des droits a agi de façon à la fois individuelle et générale s’agissant des familles en centres de rétention administrative. D’une part, à chaque fois que la présence d’enfants en centre de rétention administrative lui était signalée, l’intervention du Défenseur des droits a été systématique et s’est traduite par des visites sur place et des demandes aux préfets afin que soit privilégiée, pour ces familles avec enfants, une assignation à résidence. D’autre part, après plusieurs rencontres avec le ministère de l’Intérieur, une circulaire du 6 juillet 2012 a été adoptée, visant à définir les mesures pouvant se substituer au placement des mineurs accompagnant leurs parents en rétention administrative en vue de l’éloignement du territoire français.

B. Le droit international pertinent

1. Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, ratifiée par la France le 7 août 1990

60. Les dispositions pertinentes de ce traité sont les suivantes :

Article 2

« (...) 2. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille. »

Article 3

« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. (...) »

Article 37

« Les États parties veillent à ce que :

(...)

b) Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. L’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, aussi brève que possible ;

c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l’on estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. (...) »

2. Conseil de l’Europe

a) Comité des Ministres

61. Dans sa recommandation Rec(2003)5 aux États membres sur les mesures de détention des demandeurs d’asile (adoptée le 16 avril 2003, lors de la 837e réunion des Délégués des Ministres), le Comité des ministres recommanda :

« (...)

6. Avant de recourir aux mesures de détention, il faudrait envisager d’autres mesures, non privatives de liberté, applicables au cas particulier. (...)

20. En règle générale, les mineurs ne devraient pas être placés en détention, sauf s’il s’agit d’une mesure de dernier recours et, dans ce cas, pour une durée la plus courte possible. (...)

22. Si des mineurs sont détenus, ils ne doivent pas l’être dans des conditions carcérales. Tout doit être mis en œuvre pour qu’ils soient libérés le plus rapidement possible et placés dans une autre structure. Si cela s’avère impossible, des dispositions spéciales adaptées aux enfants et à leur famille doivent être mises en place. »

62. Le 4 mai 2005, le Comité des Ministres adopta vingt principes directeurs sur le retour forcé des étrangers en situation irrégulière (CM(2005)40add). Le chapitre III notamment traite de la détention préalable à l’éloignement et recommande l’adoption du principe suivant :

« Principe 10. Conditions de la détention préalablement à l’éloignement

4. (...) le principe de l’unité de la famille devrait être respecté et donc les familles installées en conséquence. (...)

Principe 11. Enfants et familles

1. Les enfants ne doivent être placés en détention que s’il s’agit d’une mesure de dernier recours et pour la durée la plus courte possible.

2. Les familles détenues préalablement à leur éloignement devraient bénéficier de lieux d’hébergement séparés afin de préserver leur intimité.

3. Les enfants, qu’ils soient en détention ou non, ont droit à l’éducation et aux loisirs, notamment le droit de jouer et de s’adonner à des activités récréatives appropriées à leur âge. L’éducation offerte pourrait dépendre de la durée de la détention.

4. Les enfants séparés devraient être accueillis dans des institutions dotées d’un personnel et d’installations qui tiennent compte des besoins spécifiques des personnes de leur âge.

5. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans les cas de détention préalable à l’éloignement. »

b) Assemblée parlementaire

63. Dans la recommandation 1985 (2011) du 7 octobre 2011 sur « Les enfants migrants sans-papiers en situation irrégulière : une réelle cause d’inquiétude », l’Assemblée affirma la nécessité pour les États de s’abstenir en principe de placer en rétention des enfants migrants, l’intérêt supérieur de l’enfant devant toujours être pris en considération lorsque la rétention est envisagée. Quand celle-ci, à titre exceptionnel, s’avère nécessaire, elle doit être prévue par la loi et assortie de toutes les mesures de protection juridique et de recours judiciaire nécessaires, et n’intervenir qu’en dernier ressort, seulement après examen de toutes les alternatives à la rétention.

64. L’éventuel placement en rétention doit être de la plus courte durée possible et l’enfant ne doit pas être séparé d’un parent, sauf circonstances exceptionnelles. Les installations doivent être adaptées à l’âge de l’enfant, des activités et une assistance éducative adéquates doivent également être mises à disposition, dans des installations autres que celles des adultes, ou prévues pour recevoir les enfants avec leurs parents ou d’autres membres de leur famille.

c) Commissaire aux droits de l’Homme

65. À la suite de sa visite du 5 au 21 septembre 2005, le commissaire aux droits de l’Homme publia, le 15 février 2006, un rapport sur le respect effectif des droits de l’Homme en France (CommDH(2006)2). Il constata, à propos de l’enfermement des mineurs dans les centres de rétention, que la place des enfants n’était pas dans une structure fermée ne proposant que peu d’activités, peu voire pas de sorties, dans un environnement précaire où leur sécurité ne peut être garantie. Il recommanda que des solutions alternatives soient proposées aux familles avec enfants (paragraphe 196). Il nota à ce sujet que l’assignation à résidence, disposition prévue par la loi, était « peu utilisée » (paragraphe 257).

66. Aussi, le Commissaire rappela que le placement d’enfants en centre de rétention est contraire à la Convention de New York et à la loi française qui prévoit qu’un mineur ne peut faire l’objet d’une mesure de reconduite. Il constata toutefois qu’en France, cela était devenu possible par un vide juridique et justifié par le souci de ne pas séparer les enfants de leurs parents expulsés. Selon lui, les problèmes juridiques et humains que pose la présence d’enfants en rétention paraît totalement sous-évaluée par les autorités françaises (paragraphe 255). Il ajouta enfin qu’en tout état de cause, aucun enfant ne devrait être enfermé au motif que ses parents n’ont pas les papiers nécessaires à leur séjour en France, tout spécialement dans « des lieux où règnent le surpeuplement, le délabrement, la promiscuité et de très fortes tensions » (paragraphe 257).

67. Dans son rapport du 20 novembre 2008 (CommDH2008(34)), le Commissaire remarqua que, « malgré la recommandation du rapport de 2006, la présence d’enfants accompagnant leurs parents en centre de rétention administrative [s’était] accrue. » Il ajouta qu’il était regrettable que les centres de rétention administrative et les zones d’attente à la frontière soient les seuls lieux en France où des mineurs de moins de treize ans sont privés de liberté. Il constata enfin que le problème de la rétention de très jeunes enfants était toujours sous-évalué et il invita les autorités à ne recourir à la rétention administrative de familles que dans des cas d’extrême nécessité afin de ne pas créer un traumatisme irrémédiable pour les enfants.

d) Comité européen pour la prévention de la torture (CPT)

68. Lors de sa visite de nombreux centres de rétention administrative en France (Palaiseau, Vincennes 1 et 2, Marseille, Toulouse-Blagnac 2 et Toulouse-Cornebarrieu), en 2006, le CPT souleva, auprès du gouvernement français, la question de la présence de familles, et en particulier de mineurs dits « accompagnants », dans ces lieux de privation de liberté. Il releva que ce type de situation n’était pas exceptionnel.

69. Ayant été interpellées sur les conditions matérielles d’accueil, les autorités françaises reconnurent que « le mobilier présent à ce jour dans les chambres n’est pas toujours pleinement adapté aux enfants en bas âge (...) ».

3. Union européenne

a) Législation de l’Union européenne

70. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a acquis une force juridique contraignante avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009. Son article 24 se lit comme suit :

Article 24 : Droits de l’enfant

« (...) 2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. (...) »

71. Dans la « directive accueil » du Conseil européen (2003/9/CE), adoptée le 27 janvier 2003, l’Union européenne donna une définition des personnes vulnérables nécessitant particulièrement l’attention des autorités :

« CHAPITRE IV

DISPOSITIONS CONCERNANT LES PERSONNES AYANT DES BESOINS PARTICULIERS

Article 17

« Principe Général

1. (...) les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés de mineurs et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle. (...) »

Article 18

« Mineurs

1. L’intérêt supérieur de l’enfant constitue une considération primordiale pour les États membres lors de la transposition des dispositions de la présente directive relatives aux mineurs. (...) »

72. Le 16 décembre 2008, le Parlement et le Conseil adoptèrent la « directive retour » 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (Journal officiel no L. 348 du 24/12/2008 pp. 0098‑0107).

73. Aux termes de ce texte, le recours à la rétention aux fins d’éloignement doit être limité et subordonné au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis (Considérant 16). Les ressortissants de pays tiers placés en rétention doivent être traités humainement et dignement dans le respect de leurs droits fondamentaux et conformément aux dispositions du droit national et du droit international poursuivis (Considérant 17).

74. L’article 15 § 1 de la directive « retour » permet de placer une personne en rétention afin de préparer le retour ou de procéder à l’éloignement, à moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement. La rétention est autorisée, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement et s’il existe une perspective raisonnable d’éloignement dans un délai raisonnable.

75. L’article 16, paragraphe 3, requiert qu’une attention particulière soit accordée à la situation des personnes vulnérables, parmi lesquelles figurent les mineurs et les mineurs non accompagnés.

76. L’article 17, paragraphe 1, de la même directive prévoit que les mineurs non accompagnés et les familles comportant des mineurs ne sont placés en rétention qu’en dernier ressort et pour la période appropriée la plus brève possible.

77. Quant aux conditions du placement en rétention des mineurs, l’article 17, paragraphes 3 et 4, prévoit que :

« 3. Les mineurs placés en rétention ont la possibilité de pratiquer des activités de loisirs, y compris des jeux et des activités récréatives adaptés à leur âge, et ont, en fonction de la durée de leur séjour, accès à l’éducation.

4. Les mineurs non accompagnés bénéficient, dans la mesure du possible, d’un hébergement dans des institutions disposant d’un personnel et d’installations adaptés aux besoins des personnes de leur âge.

(...) »

78. Cet article fait également référence à la nécessité de tenir compte en premier lieu de l’intérêt supérieur de l’enfant.

79. La directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (également appelée directive « accueil ») abroge, avec effet au 21 juillet 2015, la directive 2003/9/CE. Elle prévoit que les demandeurs ne peuvent être placés en rétention que dans des circonstances exceptionnelles définies de manière très claire et dans le respect des principes de nécessité et de proportionnalité en ce qui concerne tant la forme que la finalité de ce placement en rétention (Considérant 15), et n’autorise la rétention dans des cas particuliers que si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées lorsque cette mesure sera jugée nécessaire sur la base d’un examen au cas par cas (Article 8 § 2).

80. Une disposition spécifique est dédiée, dans cette directive, à la rétention des personnes vulnérables, telles que les mineurs et les mineurs non accompagnés : les États membres doivent s’assurer que ce type de demandeurs bénéficie d’une attention particulière et prévoir pour eux de nombreuses autres garanties juridiques et procédurales. Selon les dispositions de l’article 11, paragraphes 2 et 3 :

« 2. Les mineurs ne peuvent être placés en rétention qu’à titre de mesure de dernier ressort et après qu’il a été établi que d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées efficacement. Ce placement en rétention doit être d’une durée la plus brève possible et tout doit être mis en œuvre pour libérer les mineurs placés en rétention (...)

3. Les mineurs non accompagnés ne peuvent être placés en rétention que dans des circonstances exceptionnelles. Tout doit être mis en œuvre pour libérer le plus rapidement possible le mineur non accompagné placé en rétention. »

81. La directive « accueil » affirme l’obligation de placer les enfants étrangers dans des lieux d’hébergement appropriés pour mineurs. Lorsque ces derniers sont placés en rétention, ils ont la possibilité de pratiquer des activités de loisirs, y compris des jeux et des activités récréatives adaptés à leur âge (Article 11, paragraphe 2).

b) Rapports et résolutions

i. Rapport publié par la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen (LIBE)

82. En décembre 2007, cette commission publia une étude, intitulée « Conditions des ressortissants de pays tiers retenus dans des centres (camps de détention, centres ouverts, ainsi que des zones de transit), avec une attention particulière portée aux services et moyens en faveur des personnes aux besoins spécifiques au sein des 25 États membres de l’Union Européenne » (PE 393.275), analysant la mise en pratique de la directive « accueil ».

83. Les auteurs du rapport mirent en lumière que l’enfermement des mineurs est pratiqué dans une grande majorité d’États (France, Allemagne, Belgique, Grande‑Bretagne, République Tchèque, Slovaquie, Portugal, Luxembourg, Espagne, Lettonie, Estonie, Irlande, Grèce, Malte, Chypre). Le rapport présente une étude exhaustive des conditions d’accueil des personnes vulnérables dans les pays membres de l’Union européenne. Ainsi, l’Autriche apparaît comme le seul État n’ayant jamais recours à la rétention pour les mineurs et la Suède la limite à soixante-douze heures. En revanche, la Belgique, la France et le Royaume-Uni, entre autres, recourent quasiment systématiquement à la rétention pour les mineurs migrants accompagnés.

84. Ils constatèrent par ailleurs que, malgré la séparation d’espaces réservés aux familles avec enfants et des conditions matérielles améliorées (salles de jeux, jouets, etc.), il n’en demeure pas moins que la promiscuité, les conditions de vie stressantes, le régime alimentaire, le rythme de vie, la destruction de l’intimité et l’environnement matériel et humain ne sont pas du tout adaptés à la vie d’enfants. Il ressort de leurs entretiens avec les intervenants des centres de rétention, que l’enfermement des enfants a des conséquences néfastes à court et long terme et que cette expérience s’avère traumatisante sur le plan psychologique dans leurs relations avec leurs parents et l’image qu’ils en reçoivent dans un centre de détention.

85. À propos de la France, le rapport releva que l’atmosphère dans les centres de rétention s’était dégradée avec en particulier un nombre important d’actes de désespoir incluant des atteintes à l’intégrité physique des personnes. Aussi, l’amélioration des conditions d’accueil des familles a entraîné une banalisation du placement en détention de personnes pour lesquelles l’enfermement même peut être remis en cause. Les auteurs du rapport ajoutèrent : « La présence d’enfants dans ces lieux de privation de liberté même si elle se fait dans des zones familles et au nom du principe de non-séparation des familles, est apparue particulièrement choquante. »

ii. Résolution du Parlement européen du 16 janvier 2008 vers une stratégie européenne sur les droits de l’enfant (2007/2093(INI))

86. Le Parlement rappelle, dans sa résolution, que « la détention administrative des enfants migrants doit être une mesure exceptionnelle » tout en soulignant que « les enfants accompagnés de leurs familles seront détenus uniquement en dernier ressort, pour la période la plus courte possible, et si cela est dans leur intérêt supérieur conformément à l’article 37, point b), de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, et que les mineurs non accompagnés ne doivent pas être détenus ou refoulés ».

C. Alternatives à la détention

87. Selon l’organisation non gouvernementale « International Detention Coalition », il a été constaté que cette option n’est envisagée en France que dans 5 % des cas (voir le rapport intitulé : « EU : Survey : Alternatives to Detention of Asylum Seekers in EU Member States »). Nombre d’organisations gouvernementales et non gouvernementales préconisent l’alternative à la détention.

1. Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR)

88. Dès 1999, le HCR adopta les « Principes directeurs sur les critères et les normes applicables quant à la détention des demandeurs d’asile » et recommanda que la détention de tout demandeur d’asile reste une mesure d’exception et que toute alternative à la détention soit envisagée. Concernant plus particulièrement les mineurs accompagnant leurs parents, le HCR précisa :

« Principe directeur 6

(...) Toutes les alternatives à la détention devraient être étudiées dans le cas des enfants accompagnant leurs parents. Les enfants et ceux qui sont directement chargés de leur éducation ne devraient pas être détenus à moins que ce ne soit le seul moyen de maintenir l’unité de la famille. (...) »

2. Autres sources

89. Dans un rapport de décembre 2008 intitulé « Immigration detention report : Summary of observations following visits to Australia’s immigration detention facilities », la Commission australienne des droits de l’Homme (Australian Human Rights Commission) constata qu’aucun enfant n’était plus détenu dans les centres de rétention pour immigrés en Australie mais que certains, les enfants accompagnant leurs parents, notamment, étaient détenus dans des lieux alternatifs à la détention. La Commission recommanda que les autorités appliquent une présomption contre la détention des mineurs en matière d’immigration, la détention ne devant intervenir qu’en mesure de dernier recours et pour la période la plus courte possible. L’intérêt supérieur de l’enfant devrait primer dans la décision de le détenir.

90. Dans un rapport publié le 18 juin 2005 (EUR 45/015/2005), intitulé « United Kingdom – Seeking asylum is not a crime : detention of people who have sought asylum », Amnesty International estima que la détention des familles accompagnées d’enfants n’est pas nécessaire et qu’elle est disproportionnée par rapport au but recherché. L’ONG rappela que Her Majesty’s Inspectorate of Prisons for England and Wales, lors d’une visite de centres de détention en 2003, s’était prononcée contre l’enfermement des familles, recommandant que les détentions d’enfants soient décidées en dernier recours et pour une période la plus brève possible.

91. Le rapport de LIBE précité (paragraphes 64 et 65) préconise que des alternatives au logement en centres collectifs soient privilégiées, la vie en centre de rétention étant considérée néfaste pour les enfants (manque de repères, environnement hostile, dépression des parents). Il a par ailleurs été constaté un risque de « déparentalisation » avec perte d’autorité des parents sur leurs enfants.

EN DROIT

I. SUR L’EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ DU GOUVERNEMENT

92. Dans ses observations écrites du 30 mai 2013, le Gouvernement a, pour la première fois, soulevé une exception d’irrecevabilité fondée sur la perte de qualité de victime à la suite des arrêts du 15 novembre 2012 de la cour administrative d’appel de Bordeaux. Dans ces décisions postérieures à l’introduction de la requête, le juge administratif a, en effet, annulé, les arrêtés de placement en rétention administrative des deux premiers requérants. Selon le Gouvernement, ces décisions emportent reconnaissance, au moins en substance, du bien-fondé des griefs formulés par les requérants et constituent un redressement adéquat et suffisant dans les circonstances de l’espèce.

93. La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, par exemple, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999‑VI).

94. En l’espèce, la Cour observe que les juridictions internes ont annulé la mesure de placement en rétention litigieuse au motif que « le préfet [n’avait pas] recherché, au regard de la présence de l’enfant, si une mesure moins coercitive que la rétention était possible pour la durée nécessairement brève de la mesure d’éloignement ». La Cour peut admettre que, ce faisant, les juridictions internes ont reconnu, en substance, une violation des articles 5 et 8 de la Convention. Elle considère, en revanche, que les juridictions internes n’ont ni reconnu, même en substance, une violation de l’article 3 de la Convention, ni réparé les différentes violations alléguées.

95. Par conséquent, il y a lieu de constater que les requérants disposent toujours de la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention.

96. La Cour constate, par ailleurs, que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

97. Les requérants allèguent que le placement en rétention administrative de leur enfant, alors âgé de quatre ans, dans le centre de Toulouse-Cornebarrieu constitue un traitement contraire aux dispositions de l’article 3. Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Thèses des parties

98. Les requérants tiennent, en premier lieu, à rappeler certains faits antérieurs au placement en rétention : l’enfant, arraché brutalement de son cadre de vie habituel alors qu’il était scolarisé, a subi une arrestation et a été emmené dans un fourgon de police en présence d’une escorte de plusieurs policiers en uniforme pendant un trajet de près de cinq heures.

99. Les requérants se plaignent ensuite des nuisances sonores au centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu. Ce centre se situe dans une zone inconstructible du plan d’occupation des sols en raison des nuisances sonores liées à la proximité de l’aéroport de Toulouse-Blagnac. Selon le plan d’exposition au bruit de 2007, le niveau d’exposition au bruit du centre varie, en moyenne, de 62 à 70 décibels (db). Or, selon l’Organisation mondiale de la santé, une exposition au bruit de 70 db entraîne la perte de l’audition, à 55 db une gêne sérieuse, à 30 db le sommeil des enfants est perturbé et à 35 db la parole n’est plus intelligible. Selon l’avis du 6 mai 2004 du Conseil supérieur d’hygiène publique de France, il convient de ne pas dépasser un niveau de bruit de 60 db en façade des habitations.

100. Les requérants font, en tout état de cause, valoir que la rétention, même si elle se déroule dans un centre comportant une zone pour les familles, est inadaptée pour des enfants en bas âge en raison de la tension et de l’angoisse nécessairement induites par de tels lieux d’enfermement. Les conditions matérielles d’organisation ne sont, en effet, pas adaptées. Leur enfant a ainsi été très choqué par les haut-parleurs qui, en diffusant en permanence des appels, créent un environnement sonore difficile à supporter, exacerbent l’état de désespoir et mettent les retenus sur le qui‑vive. Les requérants soulignent, en outre, qu’un enfant de quatre ans n’est pas censé rester toute une journée dans une même pièce et que la petite cour pourvue d’un toboggan est entourée de grilles de plusieurs mètres de haut et surplombée d’un filet anti-évasion. Ils ajoutent n’avoir pas été préservés de la violence quotidienne liée à la rétention d’autres adultes. Ils côtoyaient en effet ceux-ci dans les zones communes du centre. De plus, leur enfant a dû les suivre dans tous leurs déplacements dans le centre (OFII, CIMADE, visites médicales) puis lors des convocations dans les tribunaux (juge des libertés et de la détention, cour d’appel, tribunal administratif), alors qu’ils étaient toujours escortés de policiers en uniforme et armés et qu’ils côtoyaient parfois d’autres retenus menottés. Les requérants précisent qu’ils ont partagé le secteur famille avec un couple accompagné de quatre enfants âgés de 14 mois à 5 ans et que les enfants de ce couple ont été particulièrement traumatisés car le père s’est violemment tailladé le bras en leur présence avec un couteau, se sectionnant des tendons et des nerfs.

101. Enfin, les requérants soutiennent, certificat médical à l’appui, que l’enfant a subi une expérience traumatisante.

102. Le Gouvernement souhaite distinguer la présente affaire de l’arrêt Popov. Dans cet arrêt, la Cour avait conclu à la violation de l’article 3 de la Convention « compte tenu du bas âge des enfants, de la durée de leur détention et des conditions de leur enfermement dans [le] centre de rétention [considéré] ». Or, dans la présente espèce, si l’âge de l’enfant et la durée de la rétention se rapprochent de l’affaire Popov, le Gouvernement insiste sur le fait que les conditions d’accueil des familles au centre de Toulouse‑Cornebarrieu sont bien supérieures à celles dont la Cour a eu à connaître dans l’affaire précitée. S’appuyant sur des rapports du CPT et du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, il fait valoir que le centre de rétention de Toulouse‑Cornebarrieu, de construction récente (2006) et conçu dès l’origine pour l’accueil des familles, dispose d’installations fonctionnelles et modernes offrant, à l’ensemble des retenus en général et aux familles en particulier, des conditions d’hébergement correspondant aux meilleurs standards. Il poursuit en précisant que la zone d’accueil des familles est dotée d’aires extérieures séparées et adaptées, que des jeux sont mis à la disposition des enfants et que des produits d’hygiène et de l’alimentation appropriés sont fournis.

103. En réponse aux arguments développés par les requérants quant à la proximité de l’installation aéroportuaire, le Gouvernement souligne que ni le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, ni le CPT n’a fait de remarque à ce sujet et notamment n’a indiqué qu’il y aurait un niveau sonore excessif.

104. Il soutient que les requérants invitent la Cour à conclure que la présence d’un enfant dans un centre de rétention constitue par elle-même et sans préjudice des conditions matérielles qui en constituent le cadre, un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Or, ce point de vue va, selon lui, au-delà de la jurisprudence de la Cour, des principes directeurs sur le retour forcé adoptés par le Comité des ministres le 4 mai 2005 et des dispositions de la directive retour.

105. Enfin, le Gouvernement réfute l’argument des requérants selon lequel les troubles constatés chez le jeune garçon seraient entièrement imputables à la présence de celui-ci en rétention. Il fait d’ailleurs valoir que le certificat médical établi trois mois après la libération des requérants conclut uniquement à des « manifestations polymorphes de troubles psychiatriques chez un enfant de 4 ans et 9 mois, en lien avec une déstabilisation de la vie familiale, une précarité des lieux de vie, un déracinement et une perte des repères habituels » sans lier expressément la rétention à ces troubles.

106. Pour ces raisons, le Gouvernement considère que les conditions de rétention des requérants ne peuvent être regardées comme constitutives d’une violation de l’article 3.

B. Appréciation de la Cour

1. Principes applicables

107. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention ne ménage aucune exception. Cette prohibition absolue, par la Convention, de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants montre que l’article 3 consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 88, série A no 161).

108. Pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement, ainsi que de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, entre autres, Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 55, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII).

109. La Cour rappelle qu’elle a conclu à plusieurs reprises à la violation de l’article 3 de la Convention en raison du placement en rétention d’étrangers mineurs accompagnés (voir Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, no 41442/07, 19 janvier 2010 ; Kanagaratnam c. Belgique, no 15297/09, 13 décembre 2011 ; Popov, précité) ou non (voir Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, CEDH 2006‑XI ; Rahimi c. Grèce, no 8687/08, 5 avril 2011). Dans les affaires concernant le placement en rétention d’enfants étrangers mineurs accompagnés, elle a notamment conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison de la conjonction de trois facteurs : le bas âge des enfants, la durée de leur rétention et le caractère inadapté des locaux concernés à la présence d’enfants.

2. Application au cas d’espèce

110. La Cour constate qu’en l’espèce, et à l’instar de l’affaire Muskhadzhiyeva et autres, l’enfant des requérants était accompagné de ses parents durant la période de rétention. Elle estime cependant que cet élément n’est pas de nature à exempter les autorités de leur obligation de protéger l’enfant et d’adopter des mesures adéquates au titre des obligations positives découlant de l’article 3 de la Convention (ibid., § 58) et qu’il convient de garder à l’esprit que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal (voir Popov, pécité, § 91 ; comparer avec Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga, précité, § 55). Elle observe que les directives européennes encadrant la rétention des étrangers considèrent à ce titre que les mineurs, qu’ils soient ou non accompagnés, comptent parmi les populations vulnérables nécessitant l’attention particulière des autorités. En effet, les enfants ont des besoins spécifiques dus notamment à leur âge et leur dépendance.

111. La Cour note que, lors de la rétention en cause, l’enfant des requérants était âgé de quatre ans et qu’il fut retenu avec ses parents pendant dix-huit jours au centre de Toulouse-Cornebarrieu.

112. Concernant les conditions matérielles de rétention, la Cour constate que le centre de Toulouse-Cornebarrieu compte parmi ceux « habilités » à recevoir des familles en vertu du décret du 30 mai 2005 (voir paragraphe 26 ci-dessus). Il ressort des rapports de visite de ce centre (voir les paragraphes 31 à 40 ci-dessus) que les autorités ont pris soin de séparer les familles des autres retenus, de leur fournir des chambres spécialement équipées et de mettre à leur disposition du matériel de puériculture adapté. La Cour relève d’ailleurs que les ONG ont reconnu que, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Popov précitée, les conditions matérielles ne posaient pas problème dans ce centre.

113. La Cour constate cependant que le centre de rétention de Toulouse‑Cornebarrieu, construit en bordure immédiate des pistes de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, est exposé à des nuisances sonores particulièrement importantes qui ont conduit au classement du terrain en « zone inconstructible » (voir paragraphes 33, 37 et 40). La Cour observe que les enfants, pour lesquels des périodes de détente en plein air sont nécessaires, sont ainsi particulièrement soumis à ces bruits d’une intensité excessive. La Cour considère, en outre et sans avoir besoin de se référer au certificat médical produit par les requérants, que les contraintes inhérentes à un lieu privatif de liberté, particulièrement lourdes pour un jeune enfant, ainsi que les conditions d’organisation du centre ont nécessairement eu un effet anxiogène sur l’enfant des requérants. En effet, celui-ci, ne pouvant être laissé seul, a dû assister avec ses parents à tous les entretiens que requérait leur situation, ainsi qu’aux différentes audiences judiciaires et administratives. Lors des déplacements, il a été amené à côtoyer des policiers armés en uniforme. De plus, il a subi en permanence les annonces délivrées par les haut-parleurs du centre. Enfin, il a vécu la souffrance morale et psychique de ses parents dans un lieu d’enfermement ne lui permettant pas de prendre la distance indispensable.

114. La Cour considère que de telles conditions, bien que nécessairement sources importantes de stress et d’angoisse pour un enfant en bas âge, ne sont pas suffisantes, dans le cas d’un enfermement de brève durée et dans les circonstances de l’espèce, pour atteindre le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3. Elle est convaincue, en revanche, qu’au-delà d’une brève période, la répétition et l’accumulation de ces agressions psychiques et émotionnelles ont nécessairement des conséquences néfastes sur un enfant en bas âge, dépassant le seuil de gravité précité. Dès lors, l’écoulement du temps revêt à cet égard une importance primordiale au regard de l’application de ce texte. La Cour estime que cette brève période a été dépassée dans la présente espèce, s’agissant de la rétention d’un enfant de quatre ans qui s’est prolongée pendant dix-huit jours dans les conditions exposées ci-dessus.

115. Ainsi, compte tenu de l’âge de l’enfant des requérants, de la durée et des conditions de son enfermement dans le centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu, la Cour estime que les autorités ont soumis cet enfant à un traitement qui a dépassé le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention. Partant il y a eu violation de cet article à l’égard de l’enfant des requérants.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 1 ET 4 DE LA CONVENTION

116. Les requérants soutiennent que le placement en rétention administrative de leur enfant s’est fait en méconnaissance de l’article 5 §§ 1 et 4. Ces dispositions se lisent comme suit :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur l’article 5 § 1

1. Thèses des parties

117. Les requérants soutiennent que l’article 5 § 1 a été violé, faute pour les autorités d’avoir recherché si une solution alternative à la rétention administrative était envisageable. Ils font valoir qu’ils étaient hébergés, certes précairement, mais de façon stable depuis 2009 dans le centre d’accueil pour demandeurs d’asile de Chaingy et qu’ils avaient même présenté, au cours de la procédure, une attestation d’hébergement d’un de leurs proches proposant de les accueillir.

118. Selon le Gouvernement, il convient de distinguer la présente espèce de l’affaire Popov pour trois raisons. En premier lieu, il considère que les conditions d’hébergement au centre de rétention n’étaient pas inadaptées au placement des requérants et de leur enfant en vue de leur éloignement. En deuxième lieu, il fait valoir que l’article L. 553-1 du CESEDA dans sa rédaction issue de la loi du 16 juin 2011 indique désormais que les mineurs sont accueillis dans les centres où la loi prévoit expressément qu’il leur est possible d’accompagner leurs parents. Enfin, il fait remarquer que l’autorité préfectorale a examiné au préalable la possibilité d’une mesure alternative d’assignation à résidence pour l’écarter cependant au vu de l’absence de garanties de représentation des requérants. Dans l’arrêté de placement en rétention, le préfet a, en effet, noté que les requérants n’offraient pas de garanties de représentation suffisantes « en ce qu’[ils] n’[ont] pas présenté de passeports valides, qu’[ils] ne dispos[ent] ni d’une domiciliation stable ni de ressources suffisantes, qu’[ils] n’[ont] pas exécuté la précédente mesure d’éloignement prise à [leur] encontre et qu’[ils] s’oppos[ent] formellement dans [leur] procès-verbal d’audition à être reconduit[s] dans [leur] pays d’origine ». Le juge des libertés et de la détention a également pris soin d’évaluer le lien entre le motif de la rétention des requérants et les lieu et régime de celle-ci.

2. Appréciation de la Cour

119. Pour être conforme à l’article 5 § 1, toute privation de liberté doit avoir respecté « les voies légales » et été « régulière » (voir, parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33 ; Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000‑III).

120. La Cour rappelle, par ailleurs, que pour qu’une détention se concilie avec l’article 5 § 1 f) de la Convention, il suffit qu’une procédure d’expulsion soit en cours et que celle-ci soit effectuée aux fins de son application. En principe, il n’y a donc pas lieu de rechercher si la décision initiale d’expulsion se justifiait ou non au regard de la législation interne ou de la Convention ou si la rétention pouvait être considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour empêcher un risque de fuite ou d’infraction. La Cour a cependant égard à la situation particulière des personnes privées de liberté. Ainsi, par exception, quand un enfant est présent, elle estime que la privation de liberté doit être nécessaire pour atteindre le but poursuivi, à savoir pour assurer l’expulsion de la famille. Dans l’affaire Popov, elle a conclu à la violation de l’article 5 § 1 après avoir notamment constaté que les autorités n’avaient pas recherché si le placement en rétention administrative était une mesure de dernier ressort à laquelle aucune alternative ne pouvait se substituer (ibid., § 119).

121. La Cour relève que le droit français réglemente certains aspects de la présence des mineurs accompagnant leurs parents placés en rétention (voir les paragraphes 25 à 28 ci-dessus). Il n’existe, en revanche, aucun texte déterminant les conditions dans lesquelles cette présence en rétention est possible. En particulier, l’étranger mineur de dix-huit ans ne pouvant faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire (voir le paragraphe 19 ci‑dessus), aucune disposition interne ne prévoit qu’il puisse être soumis à un arrêté de placement en rétention en vue de son éloignement. Cela explique qu’un tel arrêté n’a été pris en l’espèce qu’à l’encontre des parents requérants et non à l’encontre de l’enfant les accompagnant.

122. Toutefois, la Cour observe que la situation des enfants est intrinsèquement liée à celle de leurs parents, dont il convient, dans toute la mesure du possible, de ne pas les séparer. Ce lien, conforme à l’intérêt des enfants, a pour conséquence que, lorsque leurs parents sont placés en rétention, ils sont eux-mêmes de facto privés de liberté. Cette privation de liberté résulte de la décision légitime des parents, ayant autorité sur eux, de ne pas les confier à une autre personne. La Cour peut accepter qu’une telle situation n’est pas, dans son principe, contraire au droit interne. Elle souligne néanmoins que le cadre dans lequel se trouvent alors les enfants est source d’angoisse et de tensions pouvant leur être gravement préjudiciable.

123. Dans de telles conditions, la Cour juge que la présence en rétention d’un enfant accompagnant ses parents n’est conforme à l’article 5 § 1 f) qu’à la condition que les autorités internes établissent qu’elles ont recouru à cette mesure ultime seulement après avoir vérifié concrètement qu’aucune autre moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre.

124. En l’espèce, la Cour note que les requérants et leur enfant ont été placés en rétention dans l’attente de leur expulsion et, partant, qu’il s’agissait d’une privation de liberté relevant de l’article 5 § 1 f). La Cour retient que la cour administrative d’appel a jugé qu’il ne ressortait pas des arrêtés de placement en rétention que le préfet avait recherché, au regard de la présence de l’enfant, si une mesure moins coercitive que la rétention était possible. Dès lors, tout en ayant égard aux motifs figurant dans la décision préfectorale de placement en rétention, la Cour estime ne pas avoir d’éléments suffisants pour se persuader que les autorités internes ont effectivement recherché si le placement en rétention administrative de la famille était une mesure de dernier ressort à laquelle aucune alternative ne pouvait se substituer.

125. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l’article 5 § 1 de la Convention à l’égard de l’enfant des requérants.

B. Sur l’article 5 § 4

1. Thèses des parties

126. Les requérants se plaignent que la loi française ne prévoit pas que les mineurs puissent faire l’objet d’une mesure de placement en rétention et, partant, qu’ils n’aient pas pu exercer un recours juridictionnel contre le placement en rétention de leur enfant.

127. Rappelant que, dans l’arrêt Popov, la Cour a déduit de l’impossibilité de prendre un arrêté de placement en rétention à l’encontre d’un mineur celle d’exercer un recours conforme à l’article 5 § 4, le Gouvernement n’est pas d’accord avec cette conclusion. Il indique qu’il est toujours possible d’invoquer devant le juge administratif, au nom des enfants accompagnant leurs parents, l’illégalité de leur présence en rétention. Il cite, d’ailleurs, le jugement d’un tribunal administratif qui a annulé la mesure de placement en rétention après avoir relevé que les dispositions du CESEDA ne permettaient pas aux autorités préfectorales de prendre des mesures privatives de liberté à l’encontre des membres mineurs de la famille.

128. Répondant à l’argument des requérants selon lesquels le contrôle dont ils ont bénéficié s’est révélé largement inefficace, aussi bien le juge administratif que le juge judiciaire ayant refusé d’examiner le recours diligenté au nom de l’enfant, le Gouvernement affirme que ceux-ci ne se sont pas adressés au juge compétent. En effet, le seul recours spécifiquement introduit par les requérants au nom de leur enfant et en qualité de représentants légaux de celui-ci l’a été devant le juge des référés du tribunal administratif qui ne pouvait que le rejeter comme étant irrecevable. À l’inverse, devant le juge compétent pour connaître de leur litige, les requérants n’ont introduit que deux requêtes en leurs noms propres et aucune au nom de leur enfant. Selon le Gouvernement, les annulations prononcées par la cour administrative d’appel constituent une illustration supplémentaire de ce que les mineurs accompagnant leurs parents dans un centre de rétention ne sont pas privés d’un examen juridictionnel par le seul fait qu’ils ne font pas, à titre personnel, l’objet d’un arrêté de placement en rétention.

129. Le Gouvernement fait valoir que le juge des libertés et de la détention, sans qu’il lui soit besoin pour cela d’être saisi au nom de l’enfant, a consacré un examen attentif à la situation de ce dernier en vérifiant, non pas simplement que le centre de rétention « est agréé pour recevoir les familles », mais concrètement et précisément qu’il « comporte toutes les infrastructures nécessaires au confort d’une famille avec enfant », dispose pour les familles d’un « secteur autonome et séparé du reste des retenus, de pièces pour elles seules et à leur usage exclusif », est pourvu d’« une aire de jeux sur le site comme dans un square » et enfin bénéficie d’« un médecin et une infirmière [qui] sont disponibles tous les jours. »

130. Pour le Gouvernement, cela démontre que les magistrats administratifs ou judiciaires chargés de contrôler la régularité de la rétention d’une famille avec enfants considèrent celle-ci comme un tout et qu’il n’est pas nécessaire de créer une mesure de privation de liberté spécifique pour les mineurs.

131. Le Gouvernement souligne également qu’en application de l’article 375 du code civil, il est possible de saisir le juge des enfants lorsque la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur sont en danger, ou lorsque les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel ou social sont gravement compromises.

132. Le Gouvernement soutient en conséquence qu’une évolution qui consisterait à autoriser l’édiction de mesures de rétention dans le chef d’enfants mineurs constituerait un simple artifice n’apportant, par rapport à la situation actuelle, aucune garantie substantielle supplémentaire.

2. Appréciation de la Cour

133. La Cour rappelle que le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise le paragraphe 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 127, Recueil 1996‑V ; S.D. c. Grèce, no 53541/07, § 72, 11 juin 2009 ; Rahimi, précité, § 113).

134. Ainsi que rappelé précédemment, la loi française ne prévoit pas que les mineurs puissent faire l’objet d’une mesure de placement en rétention. La Cour en avait déduit, dans l’arrêt Popov (précité, § 124), que les enfants accompagnant leurs parents tombaient dans un vide juridique qui ne leur permettait pas d’exercer le recours en annulation, ouvert à leurs parents, devant le juge administratif et qui ne permettait pas plus au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la légalité de leur présence en rétention.

135. Le Gouvernement conteste ce raisonnement en soutenant, qu’en pratique, les juridictions internes examinent nécessairement la situation des mineurs accompagnants. Il rappelle, qu’en l’espèce, la cour d’appel a pris en compte la présence de l’enfant et que la cour administrative d’appel a fait de même, ce qui l’a d’ailleurs amenée à annuler les arrêtés de placement en rétention des parents.

136. La Cour observe, en premier lieu, que le juge administratif, saisi en première instance contre l’arrêté de placement en rétention des parents, a déclaré inopérant l’argument relatif à la présence de l’enfant en indiquant que la décision litigieuse ne se rapportait qu’à la situation personnelle de ses parents. Répondant au moyen tiré de l’incompatibilité des conditions de rétention avec la présence d’un enfant mineur, le juge des libertés et de la détention a, quant à lui, estimé qu’il n’appartenait pas à l’autorité judiciaire « d’interférer dans la gestion des centres de rétention administrative ».

137. La Cour admet ensuite, avec le Gouvernement, que le premier président de la cour d’appel et la cour administrative d’appel, bien que saisis uniquement par les parents, ont eu égard à la présence de l’enfant. Le premier s’est cependant borné à examiner si les conditions matérielles de rétention étaient adaptées pour une famille avec enfant, sans rechercher si une mesure moins coercitive que la rétention de la famille aurait pu être prise. La cour administrative d’appel s’est, elle, prononcée, non pas « à bref délai » mais plus de huit mois après la libération des requérants. Dans de telles circonstances, la Cour ne peut considérer que l’enfant des requérants a pu bénéficier d’un recours au sens de l’article 5 § 4.

138. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que l’enfant des requérants ne s’est pas vu garantir la protection requise par la Convention. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention du chef de l’enfant des requérants.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

139. Les requérants se plaignent que le placement en rétention de la famille a porté atteinte à leur droit au respect à une vie familiale. Ils invoquent l’article 8 qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Thèses des parties

140. Les requérants se plaignent que le préfet ait choisi de les placer en rétention plutôt que de les assigner à résidence. Ils soutiennent, en effet, qu’ils disposaient de garanties de représentation suffisantes. Ils font valoir qu’ils étaient hébergés depuis 2009 dans un CADA, certes sans droit ni titre mais de façon stable, et qu’ils pouvaient, par ailleurs, bénéficier d’un hébergement chez un de leurs proches.

141. Les requérants se prévalent, à cet égard, des décisions de la cour administrative d’appel du 15 novembre 2012 ayant annulé les arrêtés de placement en rétention après avoir constaté qu’il ne ressortait pas de ces décisions que « le préfet ait recherché, au regard de la présence de l’enfant, si une mesure moins coercitive que la rétention était possible pour la durée nécessairement brève de la procédure d’éloignement ».

142. Le Gouvernement concède qu’il existait bien en l’espèce une vie familiale entre les requérants et que la mesure de placement en rétention a constitué une ingérence dans le déroulement normal de celle-ci. Il soutient, en outre, qu’il n’y a aucune raison pour que la Cour se départe de la conclusion qui était la sienne dans l’affaire Popov, à savoir que cette ingérence a bien été prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime.

143. Le Gouvernement fait cependant valoir que la présente affaire se distingue, sur la question de la proportionnalité, de l’arrêt Popov. En l’espèce, le préfet du Loiret, comme l’a relevé le tribunal administratif, a exploré la possibilité d’une mesure d’assignation à résidence et l’a écartée après avoir estimé, au vu des circonstances, que le risque de soustraction à la mesure d’éloignement était réel. Le Gouvernement fournit plusieurs exemples de décisions de juridictions administratives pour montrer que celles-ci exercent un contrôle de proportionnalité sur le terrain de l’article 8.

B. Appréciation de la Cour

144. La Cour estime que l’existence d’une « vie familiale » au sens de la jurisprudence Marckx c. Belgique (13 juin 1979, série A no 31) ne fait pas de doute en l’espèce, elle n’est d’ailleurs pas contestée par le Gouvernement. Cette disposition est donc applicable à la situation dénoncée par les requérants.

145. La Cour considère ensuite, comme elle l’a fait dans l’affaire Popov précitée (§ 134), que le fait d’enfermer les requérants dans un centre de rétention, pendant dix-huit jours, les soumettant à la privation de liberté et aux contraintes inhérentes à ce type d’établissement s’analyse comme une ingérence dans l’exercice effectif de leur vie familiale.

146. Pareille ingérence enfreint l’article 8 de la Convention, sauf si elle peut se justifier sous l’angle du paragraphe 2 de cet article, c’est-à-dire si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes énumérés dans cette disposition et est « nécessaire, dans une société démocratique », pour le ou les atteindre.

147. La Cour observe que, bien qu’il n’en soit pas de même pour leur enfant dont le sort suivait néanmoins le leur, la base légale de la rétention des deux premiers requérants trouvait son fondement dans l’article L. 554-1 du CESEDA.

148. Concernant le but poursuivi par la mesure litigieuse, la Cour constate qu’elle a été prise dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine et du contrôle de l’entrée et du séjour des étrangers sur le territoire. Cette action peut se rattacher à des objectifs tant de protection de la sécurité nationale, de la défense de l’ordre, de bien-être économique du pays que de prévention des infractions pénales. La Cour parvient par conséquent à la conclusion que l’ingérence dont il est question poursuivait un but légitime au regard de l’article 8 § 2 de la Convention.

149. Elle doit enfin examiner si le placement en rétention de la famille, pour une durée telle qu’en l’espèce, s’avérait nécessaire au sens de l’article 8 § 2 de la Convention, c’est-à-dire justifié par un besoin social impérieux et, notamment, proportionné au but légitime poursuivi (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga, précité, § 80).

150. La Cour rappelle à cet égard que les autorités se doivent de ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble (Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 49, série A no 290). Elle insiste sur le fait que cet équilibre doit être sauvegardé en tenant compte des conventions internationales, notamment de la Convention relative aux droits de l’enfant (mutatis mutandis, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, § 120, 28 juin 2007). Il y a donc nécessité de concilier la protection des droits fondamentaux et les impératifs de la politique d’immigration des États.

151. Ainsi, une mesure d’enfermement doit être proportionnée au but poursuivi par les autorités, à savoir l’éloignement. Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’il s’agit de familles, les autorités doivent, dans leur évaluation de la proportionnalité, tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. À cet égard, la Cour souligne qu’il existe actuellement un large consensus – y compris en droit international – concernant le principe selon lequel, dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer (Rahimi, précité, § 108, et, mutatis mutandis, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 135, CEDH 2010).

152. La Convention internationale relative aux droits de l’enfant préconise que l’intérêt supérieur des enfants soit une considération primordiale dans toute décision les concernant (article 3). De même, les directives européennes (voir les paragraphes 71 et suivants ci-dessus), transposées dans le CESEDA, prévoient expressément que les États membres accordent une place d’importance à la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Il découle par ailleurs des rapports internationaux (voir les paragraphes 82 et suivants) que la sauvegarde de l’intérêt supérieur de l’enfant implique, d’une part, de maintenir, autant que faire se peut, l’unité familiale et, d’autre part, d’envisager des alternatives afin de ne recourir à la détention des mineurs qu’en dernier ressort. Tant la Convention internationale relative aux droits de l’enfant que les directives européennes ainsi que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe prévoient ainsi que le placement en rétention des mineurs ne doit intervenir qu’en dernier ressort, après examen de toutes les alternatives à cette mesure. La Cour note enfin que la CNDS et la Défenseure des enfants se sont prononcées, à plusieurs reprises, contre la privation de liberté d’enfants, accompagnés ou non, n’ayant pas commis d’infraction pénale, au nom du respect de leur intérêt supérieur. Selon elles, lorsque les parents de jeunes mineurs font l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière, l’assignation à résidence ou, si celle-ci s’avère impossible, la location de chambres d’hôtel devrait être envisagée en priorité (voir les paragraphes 51 et suivants ci-dessus).

153. La Cour rappelle que, dans l’arrêt Popov précité, elle avait conclu que les requérants avaient subi une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de leur vie familiale après avoir relevé trois éléments. D’une part, les requérants ne présentaient pas de risque particulier de fuite nécessitant leur détention. D’autre part, aucune alternative à la rétention n’avait été envisagée. Enfin, les autorités n’avaient pas mis en œuvre toutes les diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d’expulsion et limiter le temps d’enfermement.

154. La Cour observe, qu’en l’espèce, les deux parties s’opposent en particulier sur le point de savoir s’il existait un risque particulier de fuite et si une solution alternative avait été recherchée par les autorités. Pour caractériser le risque de fuite et l’impossibilité de recourir à une alternative à la rétention, le Gouvernement s’appuie sur les éléments retenus par le préfet : l’absence de document d’identité ou de titre de voyage en cours de validité, l’absence de domiciliation stable et de ressources suffisantes, et le refus d’exécuter la mesure d’éloignement. Le préfet n’ayant pas estimé nécessaire de se prononcer sur la possibilité pour les requérants de bénéficier d’un hébergement au CADA où ils résidaient avant leur placement en rétention ou chez un proche, la Cour n’est pas convaincue que ces seuls éléments suffisent à caractériser la réalité du risque de fuite et l’impossibilité de trouver une solution alternative à la rétention. Elle retient, à cet égard, que la cour administrative d’appel a estimé qu’il ne ressortait pas de la décision attaquée que le préfet ait recherché, au regard de la présence de l’enfant, si une mesure moins coercitive que la rétention était possible pour la durée nécessairement brève de la procédure d’éloignement. L’enfermement dans un centre n’apparaissait donc pas justifié par un besoin social impérieux. La Cour rappelle à cet égard que la famille était hébergée depuis plusieurs années dans un foyer pour demandeurs d’asile. Elle estime ainsi que les raisons empêchant d’envisager l’assignation dans un hôtel ne sont pas établies.

155. Enfin, il ne ressort pas des faits en présence que les autorités aient mis en œuvre toutes les diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d’expulsion et limiter le temps d’enfermement. En effet, les requérants furent maintenus en rétention pendant dix-huit jours sans qu’aucun vol ne soit organisé et sans que des laissez-passer consulaires ne soient obtenus.

156. Aussi, en l’absence de risque particulier de fuite, la rétention, pour une durée de dix-huit jours, apparaît disproportionnée par rapport au but poursuivi. Partant, la Cour considère que les requérants ont subi une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de leur vie familiale et qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 13 ET 5 COMBINÉS DE LA CONVENTION

157. Invoquant l’article 13 combiné avec l’article 5 de la Convention, les requérants se plaignent de l’ineffectivité des recours contre leur placement en rétention. La première de ces dispositions se lit comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

158. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’article 5 § 4 de la Convention constitue une lex specialis par rapport aux exigences plus générales de l’article 13. En l’occurrence, les faits à l’origine du grief que les requérants tirent de l’article 13 de la Convention sont identiques à ceux étudiés sous l’angle de l’article 5 § 4. Par conséquent, la Cour n’a pas besoin d’examiner l’allégation de violation de l’article 13 puisqu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 5 § 4 (Chahal, précité, §§ 126 et 146).

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

159. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

160. Pour le dommage moral, les requérants estiment qu’il résulte de leur placement en rétention avec leur enfant, une situation génératrice d’inquiétude, d’angoisse, de souffrance et de désarroi ayant entraîné des conséquences désastreuses sur leur vie familiale. Ils réclament à ce titre 10 000 euros (EUR) pour chacun des parents et 20 000 EUR pour l’enfant.

161. Le Gouvernement juge la demande excessive. Se fondant sur l’arrêt Popov dans lequel la Cour a réparé à hauteur de 10 000 EUR le préjudice moral subi par un couple et leurs deux enfants, il estime que l’allocation d’une somme globale de 5 000 EUR constituerait une juste indemnisation du préjudice, eu égard aux conditions matérielles satisfaisantes caractérisant le centre de Toulouse-Cornebarrieu.

162. Au vu des constats de violations des articles 3 et 5 §§ 1 et 4 auxquels elle est parvenue concernant l’enfant des requérants, et de l’article 8 concernant la famille, la Cour, statuant en équité, considère qu’il y a lieu d’attribuer aux requérants la somme globale de 9 000 EUR.

B. Frais et dépens

163. Les requérants demandent également 13 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

164. Le Gouvernement estime, au regard des éléments du dossier, que la somme de 3 000 EUR demeure raisonnable pour couvrir les frais engagés.

165. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des notes d’honoraires fournies et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 10 000 EUR.

C. Intérêts moratoires

166. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard de l’enfant des requérants ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention à l’égard de l’enfant des requérants ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention pour l’ensemble des requérants ;

5. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 combiné avec l’article 5 de la Convention ;

6. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 9 000 EUR (neuf mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 juillet 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente


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