La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/06/2016 | CEDH | N°001-164207

CEDH | CEDH, AFFAIRE KAGIA c. GRÈCE, 2016, 001-164207


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KAGIA c. GRÈCE

(Requête no 26442/15)

ARRÊT

STRASBOURG

30 juin 2016

DÉFINITIF

30/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Kagia c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ledi Bianku, président,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Robert Spano,
Armen H

arutyunyan,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 juin 2016,

Rend l’arrêt ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KAGIA c. GRÈCE

(Requête no 26442/15)

ARRÊT

STRASBOURG

30 juin 2016

DÉFINITIF

30/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Kagia c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ledi Bianku, président,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 juin 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 26442/15) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant albanais, M. Ali Kagia (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 mai 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes K. Tsitselikis et A. Spathis, avocats à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme K. Nasopoulou, assesseure au Conseil juridique de l’Etat, et Mme S. Papaïoannou, auditrice au Conseil juridique de l’Etat. Le gouvernement albanais n’a pas usé de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).

3. Le requérant allègue une violation des articles 3 et 13 en raison de ses conditions de détention dans les prisons d’Ioannina et de Trikala.

4. Le 7 septembre 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1980.

6. Le requérant fut incarcéré à la prison d’Ioannina le 25 février 2014. Le 26 février 2014, il fut transféré à la prison de Komotini pour assister à une procédure judiciaire le concernant, où il séjourna jusqu’au 11 mars 2014, date à laquelle il retourna à la prison d’Ioannina. Le 20 juin 2014, il fut transféré à la prison de Trikala où il resta jusqu’à sa libération le 24 novembre 2015.

A. Les conditions de détention selon la version du requérant

7. À la prison d’Ioannina, le requérant fut placé dans la chambrée 4, d’une surface de 45 m², qui comprenait 22 lits en son sein et 8 lits dans le couloir attenant (30 détenus au total). Il séjourna aussi dans la chambrée 5, d’une surface de 24 m², qui comprenait 18 lits mais où certains détenus étaient obligés de dormir par terre (22 détenus au total). Le requérant dormit par terre pendant plusieurs jours. En ce qui concerne les conditions de détention dans cette prison, le requérant se prévaut des constats de la Cour dans les arrêts Nisiotis c. Grèce (no 34704/08, 10 février 2011), Taggatidis et autres c. Grèce (no 2889/09, 11 octobre 2011), Samaras et autres c. Grèce (no 11463/09, 28 février 2012), Tzamalis et autres c. Grèce (no 15894/09, 4 décembre 2012), Niazai et autres c. Grèce (no 36673/13, 29 octobre 2015) et Koutsospyros et autres c. Grèce (no 36688/13, 12 novembre 2015).

8. Le 20 juin 2014, le requérant fut transféré à la prison de Trikala. Il fut placé dans une cellule de 11,30 m² accueillant trois à quatre détenus et équipée de trois lits, d’une table, de trois chaises et d’une poubelle occupant une surface de 3 m². Il séjourna aussi pendant onze mois dans une chambrée de la nouvelle extension de la prison mesurant 32,80 m², accueillant entre six et onze détenus et équipée de cinq lits doubles superposés, de trois tables et dix chaises.

9. Le requérant souligne qu’il devait passer seize heures par jour dans ces cellules ou ces chambrées. Selon le règlement de la prison, les détenus devaient rester dans leurs cellules, ou plutôt sur leurs lits, de 11 h 30 à 14 h 45, puis de 18 h 30 à 8 h 30 le lendemain.

10. Le requérant affirme que le chauffage central de la prison ne fonctionnait que deux heures par jour et que l’eau chaude n’était fournie que pendant une heure, ce qui était insuffisant pour couvrir les besoins d’un si grand nombre de détenus. Le nettoyage des cellules et des espaces communs incombait aux détenus qui devaient acheter les produits nettoyants avec leurs propres deniers. Il n’y avait pas de réfectoire et les détenus étaient obligés de prendre leurs repas sur leurs lits. La nourriture était pauvre en quantité et en qualité.

11. Enfin, la prison manquait d’assistant social et d’effectifs suffisants d’agents pénitentiaires pour assurer la sécurité des détenus.

B. Les conditions de détention selon la version du Gouvernement

12. La prison d’Ioannina, d’une capacité officielle de 60 personnes, en accueillait 201 pendant la période de détention du requérant qui fut logé dans les chambrées 1 et 4, mesurant chacune 5 m x 10,20 m et d’une capacité de 28 détenus. Toutefois, pendant la période précitée, chaque chambrée accueillait entre 35 et 37 détenus.

13. La prison de Trikala fut construite en 2007. Le requérant fut placé dans les cellules 9 et 10 mesurant chacune 13,6 m², toilette incluse, (11,29 m² sans toilette) et dans une chambrée de l’aile C2, mesurant 32,10 m² (les toilettes étant situées à l’extérieur des chambres). Pendant toute la durée de sa détention, le nombre des détenus ne dépassa pas trois par cellule et dix par chambrée. À de rares occasions, pendant une période non spécifiée en 2014, la cellule accueillit un détenu supplémentaire et, du 8 octobre au 31 décembre 2014, il y eu un ou deux détenus supplémentaires dans la chambrée. Dans un document fourni par la prison, il est indiqué que du 1er janvier au 24 novembre 2015, le nombre de détenus dans la chambrée de l’aile C2 n’avait pas dépassé dix personnes et, à partir du 5 mai 2015, elle était occupée par six à neuf détenus.

14. Le requérant travailla au sein de la prison du 23 juillet au 14 septembre 2015 et suivit des cours à « l’école de la deuxième chance » du 8 octobre 2014 à la fin de l’année scolaire, puis du 14 septembre 2015 jusqu’à la date de sa libération.

15. Chaque chambrée avait trois fenêtres et était équipée de quatre tables, dix chaises, dix lits, six à dix téléviseurs, des étagères et trois poubelles. En dehors de chaque chambrée, il existait des toilettes (de 14,30 m²) équipées de deux éviers et deux douches. Les chambrées et les toilettes étaient suffisamment éclairées et l’eau chaude était fourni quotidiennement. Le nettoyage était assuré par les détenus eux-mêmes sous la surveillance d’agents pénitentiaires et était soumis au contrôle trimestriel des services compétents de la Santé publique de la région de Trikala. Tous les quatre mois, il y avait des travaux de désinfection.

16. Les cellules dans lesquelles le requérant avait séjourné étaient équipées d’une fenêtre, d’une table, de trois chaises, de trois lits, d’un à deux téléviseurs et d’une toilette incluant un évier et une douche. La demande du requérant de changer de cellule fut accueillie. En revanche, il ne demanda jamais à changer de chambrée.

17. Les détenus pouvaient prendre leurs repas soit à la cantine, soit dans leurs cellules et chambrées, qui étaient équipées de tables et de chaises en nombre suffisant.

18. Le chauffage était allumé quatre heures par jour avec possibilité de prolongation en fonction des conditions météorologiques et l’eau chaude n’avait jamais manqué. Les détenus pouvaient aussi obtenir, à leur demande, des couvertures supplémentaires.

19. Le requérant ne visita que rarement le dispensaire de la prison et n’eut pas besoin de prescription pharmaceutique.

20. Pour l’exercice physique des détenus toutes les ailes de la prison étaient équipées de téléviseurs diffusant des programmes sportifs et des films, d’appareils de musculation et de ballons de football et de basketball. Enfin, il y avait une bibliothèque pourvue de livres grecs et étrangers. Les détenus disposaient de neuf heures par jour pour faire du sport, travailler pour ceux qui avaient des postes de travail, suivre des cours à « l’école de la deuxième chance » ou participer à différents programmes éducatifs. Les chambrées et les cellules restaient ouvertes pendant onze à douze heures par jour.

21. Le 24 novembre 2015, date de la libération du requérant, la prison accueillait 581 détenus et 623 au 31 décembre 2015.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

22. Pour le droit et la pratique internes pertinents voir l’arrêt Kanakis c. Grèce (no 2) (no 40146/11, §§ 62-67, 12 décembre 2013).

23. Dans un rapport, relatif à la situation économique et pénitentiaire de la prison de Trikala en 2013, soumis au ministère de la Justice et établi par le directeur de la prison, ce dernier relevait que les bâtiments de cette nouvelle prison étaient modernes et bien équipés. La prison avait une capacité de 600 détenus, mais avec la construction de dix chambrées supplémentaires (pouvant accueillir chacune dix détenus), ladite capacité s’est étendue à 700 personnes. Cette capacité a été périodiquement dépassée entraînant de sérieux problèmes. Les chambrées pour dix personnes ne remplissaient plus les conditions d’hygiène et de sécurité nécessaires et devraient être supprimées dès que possible. Au 31 décembre 2013, le nombre de détenus s’élevait à 752.

24. Dans un document adressé par le ministère de la Justice au Parlement dans le cadre du contrôle parlementaire et portant sur la capacité de toutes les prisons sur le territoire grec et le nombre de détenus au 1er avril 2014, il est indiqué que la prison de Trikala, d’une capacité de 700 détenus, en accueillait à cette date 733. Dans un document établi par le directeur de la prison de Trikala, ce nombre s’élevait à 581 à la date de la libération du requérant et à 623 au 21 décembre 2015.

III. LES CONSTATS DU COMITE EUROPEEN POUR LA PREVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DEGRADANTS (CPT)

25. Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le CPT relevait ce qui suit en ce qui concerne la prison d’Ioannina.

26. Il existe quatre grandes chambrées dans la prison d’Ioannina, chacune d’une surface de 50 m² et accueillant 30 personnes environ. Cinq chambrées plus petites, situées au rez-de-chaussée et mesurant entre 15 m² et 32 m², accueillaient entre 8 et 18 détenus. Au total, 176 détenus séjournaient dans ces neuf chambrées, tandis que 56 autres détenus devaient dormir dans les couloirs, certains sur des lits superposés (parfois deux par lit), d’autres par terre sur des matelas. Il y avait une absence totale d’intimité pour les détenus placés dans les couloirs.

27. En bref, selon le CPT, les conditions de détention étaient essentiellement les mêmes que celles décrites par la Cour dans son arrêt Samaras et autres c. Grèce (précité).

EN DROIT

I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION

28. Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans les prisons d’Ioannina et de Trikala. Il allègue une violation de l’article 3 de la Convention. Invoquant l’article 13, il se plaint également de l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de ses conditions de détention. Ces articles sont ainsi libellés :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

29. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour non-épuisement des voies de recours internes : le requérant n’a pas introduit une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, combiné avec l’article 3 de la Convention ou avec les articles pertinents du code pénitentiaire.

30. Le Gouvernement souligne qu’à la date de l’introduction de sa requête à la Cour, le requérant n’était plus détenu à la prison d’Ioannina mais avait été transféré à la prison de Trikala. Il n’était plus alors détenu dans les conditions dont il se plaint dans sa requête et il n’y a pas « situation continue » au sens de la jurisprudence de la Cour. Se prévalant de la décision Chatzivasiliadis c. Grèce (no 51618/12, 26 novembre 2013), le Gouvernement affirme qu’en saisissant la Cour à cette date, le requérant ne visait pas à faire arrêter sa détention dans des conditions inhumaines ou dégradantes, qui était d’ailleurs interrompue par son transfert, mais à obtenir une indemnité pour dommage moral.

31. Le requérant affirme que les conditions de détention dans les deux prisons étaient similaires et non conformes aux standards établis par la Cour dans sa jurisprudence concernant des affaires du même type que la présente. Il s’agissait d’une situation continue qui a pris fin le 24 novembre 2015. Il se prévaut de l’arrêt Niazai et autres (précité, § 37), dans lequel la Cour a estimé que la question de la situation continue de la détention des requérants était étroitement liée à la substance du grief soulevé par eux sur le terrain de l’article 3 de la Convention, et elle a décidé de joindre au fond la question de savoir s’il y a eu une modification dans leurs conditions de détention lorsqu’ils ont été transférés vers une autre prison.

32. La Cour rappelle qu’elle a déjà eu à se prononcer à plusieurs reprises sur ce type d’exception de non-épuisement des voies de recours internes présentée par le Gouvernement dans des affaires similaires. Quant à l’action en dommages-intérêts de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, s’agissant de l’épuisement des voies de recours internes pour un grief visant des conditions générales de détention prévalant au sein d’un établissement pénitentiaire, la situation peut être différente entre une personne qui a été détenue dans des conditions qu’elle estime contraires à l’article 3 de la Convention et qui saisit la Cour après sa mise en liberté et un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce (Chatzivasiliadis, précitée, § 30). Elle rappelle aussi que le transfert d’un détenu d’un lieu de détention à un autre interrompt, en principe, la continuité de la détention en ce qui concerne les conditions de celle-ci et le délai de six mois, prévu à l’article 35 § 1 de la Convention, commence à courir à partir de la date du transfert au nouveau lieu de détention (Novinskiy c. Russie (déc.), no 11982/02, § 96, 6 décembre 2007 ; Maltabar et Maltabar c. Russie, no 6954/02, § 83, 29 janvier 2009 et Kanakis, précité, § 92,). Toutefois, si les conditions de détention dans la nouvelle prison sont essentiellement les mêmes que celles dans la prison précédente, la Cour considère qu’il y a une situation continue (Bouros et autres c. Grèce, no 51653/12, 50753/11, 25032/12, 66616/12 et 67930/12, §§ 64-70, 12 mars 2015 ; Niazai et autres, précité, § 34).

33. En l’espèce, le requérant a saisi la Cour le 26 mai 2015 alors qu’il avait déjà été transféré de la prison d’Ioannina à celle de Trikala depuis le 20 juin 2014. La Cour doit donc examiner si ce transfert a rompu la situation continue de la détention du requérant et devrait être pris en compte pour conclure qu’il aurait dû introduire l’action sur le fondement de l’article 105 pour tenter d’obtenir une indemnisation pour conditions de détention contraires à l’article 3 dans la prison d’Ioannina.

34. Or, la Cour note que, selon l’aveu même du Gouvernement, pendant la période de détention du requérant, la prison d’Ioannina accueillait 201 personnes au lieu de 60 qui était sa capacité officielle et que le requérant était détenu dans une chambrée de 50 m² qui, quoique prévue pour 28 personnes, en accueillait entre 35 et 37. En revanche, dans la prison de Trikala, le requérant a été placé dans une cellule de 13,6 m² et dans une chambrée de 32,8 m² avec respectivement deux et neuf autres détenus. En outre, dans cette prison, le requérant a travaillé et suivi des cours à « l’école de la deuxième chance ». La Cour considère qu’en l’espèce, la situation du requérant se rapproche plus de celle décrite dans l’arrêt Lutanyuk c. Grèce (no 60362/13, 25 juin 2015) que celle de l’arrêt Niazai et autres invoqué par le requérant. Dans cette dernière le transfert avait eu lieu de la prison d’Ioannina à celle de Corfou où les conditions de surpopulation, seul élément déterminant dans cette affaire, étaient similaires.

35. Aucune circonstance particulière ne lui permet de considérer que la détention du requérant dans la prison d’Ioannina et sa détention ultérieure dans la prison de Trikala constituent une « situation continue » justifiant un examen de la totalité de la période de détention dont se plaint le requérant. À supposer même que les conditions de détention du requérant dans la prison d’Ioannina puissent être considérées comme sensiblement similaires à celles prévalant à Trikala, la détention dans cette prison marque une interruption claire par rapport à la situation carcérale du requérant, rien que par l’ampleur de la surpopulation carcérale et par le fait que le requérant y a travaillé et y a suivi des cours à « l’école de la deuxième chance » (voir, mutatis mutandis, Kanakis, précité, §§ 91-92, et Lutanyuk, précité, § 31).

36. Il s’ensuit que la requête, pour autant qu’elle concerne les conditions de détention antérieures à son transfert à Trikala, doit être rejetée pour non-respect du délai de six mois, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

37. En l’espèce, la Cour relève qu’à la date de sa saisine, le requérant était détenu à la prison de Trikala. Partant, l’action en dommages-intérêts fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil ne peut à son égard être considérée comme effective aux fins de l’épuisement des voies de recours, car il manque à cette action le caractère préventif au sens de la jurisprudence de la Cour

38. Par conséquent, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes visant les conditions de détention du requérant à la prison de Trikala. Elle constate, en outre, que la requête n’est à cet égard pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Article 3

39. Le requérant renvoie à sa version des conditions de détention et souligne notamment le manque total d’espace personnel (limité à la surface de son lit et d’une étroite bande de sol devant le lit, soit 2 m² environ), le chauffage insuffisant et le manque de personnel spécialisé.

40. Le Gouvernement renvoie à sa propre version et souligne que le requérant se plaint de manière vague et abstraite en ce qui concerne certaines carences dans la prison sans cependant préciser si ces carences l’affectaient personnellement.

41. En ce qui concerne les principes généraux de l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, parmi beaucoup d’autres, Filippopoulos c. Grèce, no41800/13, §§ 64-67, 12 novembre 2015).

42. En l’espèce, la Cour note d’emblée que le requérant a été détenu à la prison de Trikala, prison construite en 2007 et d’une capacité officielle de 700 personnes, pour une durée de dix-sept mois environ, soit du 20 juin 2014 au 24 novembre 2015. Il ressort d’un document adressé par le ministère de la Justice au Parlement dans le cadre du contrôle parlementaire, que le nombre de détenus au 1er avril 2014 dans cette prison s’élevait à 733. Dans un document établi par le directeur de la prison de Trikala, ce nombre s’élevait à 581 à la date de la libération du requérant et à 623 au 21 décembre 2015. Il est donc évident que si le nombre des détenus varie dans le temps, la capacité de la prison n’a pas été dépassée de manière significative. Quant à l’affirmation du requérant selon laquelle il devait passer seize heures par jour dans sa cellule ou sa chambrée, la Cour considère que ce fait ne constitue pas en soi un traitement contraire à l’article 3.

43. Le requérant y séjourna dans deux cellules différentes mais du même type : mesurant 13,6 m² avec toilette (ou 11,29 m² sans toilette), et dotées de trois lits (dont deux superposés), trois chaises et une table ; elles accueillaient trois détenus dont le requérant. Il séjourna aussi dans une chambrée de l’aile C2 de 32,10 m² (les toilettes étant situées à l’extérieur) d’une capacité de dix détenus.

44. Il apparaît dans un document fourni par le directeur de la prison qu’occasionnellement, pendant un certain temps en 2014, la cellule avait hébergé un détenu supplémentaire et, du 8 octobre au 31 décembre 2014, la chambrée avait accueilli un ou deux détenus supplémentaires. Dans ce document, il est également indiqué que du 1er janvier au 24 novembre 2015, le nombre de détenus dans la chambrée n’avait pas dépassé dix personnes et, à partir du 5 mai 2015, cette chambrée avait accueilli de six à neuf détenus.

45. Le requérant a travaillé au sein de la prison du 23 juillet au 14 septembre 2015 et a suivi des cours à « l’école de la deuxième chance » du 8 octobre 2014 à la fin de l’année scolaire, puis du 14 septembre 2015 jusqu’à la date de sa libération, impliquant qu’il était hors de sa cellule ou de la chambrée la plus grande partie de la journée. La Cour relève aussi que la prison ne disposait pas de réfectoire. Toutefois, à la différence d’autres prisons en Grèce où les détenus étaient obligés de prendre leurs repas assis sur leurs lits, à la prison de Trikala, les détenus pouvaient les prendre à la cantine ou dans les cellules ou les chambrées qui étaient équipées de chaises et de tables en nombre suffisant.

46. La Cour note aussi que le Gouvernement souligne que le chauffage fonctionnait quatre heures par jour, deux le matin et deux le soir, avec possibilité de prolongation en cas de mauvaises conditions météorologiques. Par ailleurs, des couvertures supplémentaires étaient distribuées à la demande.

47. Enfin, elle relève que les détenus recevaient trois repas par jours.

48. Quant aux autres carences dénoncées par le requérant, notamment celles ayant trait aux soins médicaux insuffisants, à l’absence d’effectifs suffisants d’agents pénitentiaires et d’assistant social, la Cour constate qu’elles ont un caractère général, n’ont pas concerné directement le requérant et que celui-ci n’a pas spécifié de quelle façon ces carences l’auraient affecté personnellement.

49. Eu égard à ce qui précède, la Cour n’est pas en mesure de considérer que le requérant a été détenu dans des conditions qui auraient constitué à son égard un traitement dégradant.

50. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 3 de la Convention.

2. Article 13

51. Invoquant les articles 3 et 13 combinés de la Convention, le requérant se plaint qu’il ne disposait pas d’un recours effectif pour se plaindre de ses conditions de détention. À cet égard, il se prévaut de la jurisprudence de la Cour en la matière et notamment des arrêts Niazai et autres (précité, § 36), Filippopoulos (précité, § 53) et Konstantinopoulos et autres c. Grèce (no 69781/13, § 57, 28 janvier 2016).

52. Le Gouvernement soutient que le requérant avait à sa disposition les recours prévus par les articles 6 du code pénitentiaire (saisine du procureur superviseur de la prison et saisine du conseil disciplinaire de la prison) et 572 du code de procédure pénale (saisine du procureur chargé de l’exécution des peines et de l’application des mesures de sécurité), mais aussi par l’article 25 § 1 de la loi no 1756/1988 portant code des tribunaux qui investit le procureur adjoint près la cour d’appel détaché à la prison de Trikala de veiller au respect des règles concernant le traitement des détenus et des conditions de détention dans la prison.

53. La Cour rappelle que le constat de violation d’une autre disposition de la Convention n’est pas une condition préalable pour l’application de l’article 13 (Sergey Denisov c. Russie, no 21556/13, § 88, 8 octobre 2015, et jurisprudence citée). Dans la présente affaire, même si la Cour a finalement conclu à la non-violation de l’article 3 de la Convention (paragraphe 49 ci-dessus), elle n’a pas estimé que le grief du requérant à cet égard était à première vue indéfendable (paragraphes 39 et suivants ci-dessus). La Cour est parvenue à cette conclusion seulement après avoir examiné le bien-fondé de l’affaire. Elle considère alors que le requérant a soulevé un grief défendable aux fins de l’article 13 de la Convention.

54. La Cour rappelle aussi que l’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit, en ce sens qu’il aurait pu empêcher la survenance de la violation alléguée ou remédier à la situation incriminée, ou aurait pu fournir à l’intéressé un redressement approprié pour toute violation s’étant déjà produite (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 157-158, CEDH 2000‑XI).

55. Dans certaines affaires (Vaden c. Grèce, no 35115/03, §§ 30-33, 29 mars 2007 et Tsivis c. Grèce, no 11553/05, §§ 18-20, 6 décembre 2007), la Cour a effectivement conclu que les requérants n’avaient pas épuisé les voies de recours internes, faute d’avoir utilisé les recours prévus à l’article 572 du code de procédure pénale et à l’article 6 du code pénitentiaire. Toutefois, dans ces affaires, les requérants se plaignaient de circonstances particulières qui les affectaient personnellement en tant qu’individus et auxquelles ils estimaient que les autorités pénitentiaires pouvaient mettre un terme en prenant les mesures appropriées. En revanche, elle a affirmé à plusieurs reprises que, dans la mesure où le requérant allègue être personnellement affecté par les conditions générales de détention dans la prison, comme en l’occurrence, les recours prévus aux articles 6 et 572 précités ne seraient d’aucune utilité (voir, parmi beaucoup d’autres, Papakonstantinou c. Grèce, no 50765/11, § 51, 13 novembre 2014 et Konstantinopoulos et autres, précité, § 57).

56. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter dans la présente affaire de sa jurisprudence constante à cet égard.

57. Il y a donc eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

58. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

59. Le requérant réclame 8 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi, somme à verser sur le compte bancaire de ses avocats.

60. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive et que le constat de violation constituerait une satisfaction suffisante. Il précise que si la Cour considère nécessaire l’octroi d’une indemnité, celle-ci ne devrait pas dépasser la somme de 6 000 EUR pour la durée totale de sa détention dans les prisons d’Ioannina et de Trikala.

61. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 2 000 EUR au titre du préjudice moral, somme à verser directement sur le compte bancaire indiqué par ses représentants (voir, parmi beaucoup d’autres, Niazai et autres, précité, § 53).

B. Frais et dépens

62. Le requérant demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, à verser sur le compte bancaire de ses avocats.

63. La Cour constate que le requérant ne produit aucune facture en ce qui concerne les frais engagés devant la Cour. Il convient donc de rejeter ses prétentions au titre des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

64. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention, en ce qui concerne les conditions de détention du requérant dans la prison de Trikala, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposLedi Bianku
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-164207
Date de la décision : 30/06/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel);Violation de l'article 13+3 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) (Article 3 - Interdiction de la torture;Traitement dégradant)

Parties
Demandeurs : KAGIA
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TSITSELIKIS K. ; SPATHIS A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award