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21/06/2016 | CEDH | N°001-164501

CEDH | CEDH, AFFAIRE RAMADAN c. MALTE [Extraits], 2016, 001-164501


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE RAMADAN c. MALTE

(Requête no 76136/12)

ARRÊT

[Extraits]

STRASBOURG

21 juin 2016

DÉFINITIF

17/10/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ramadan c. Malte,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Boštjan M. Zupančič,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtycz

ek,
Egidijus Kūris,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
David Scicluna, juge ad hoc,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibé...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE RAMADAN c. MALTE

(Requête no 76136/12)

ARRÊT

[Extraits]

STRASBOURG

21 juin 2016

DÉFINITIF

17/10/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ramadan c. Malte,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Boštjan M. Zupančič,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus Kūris,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
David Scicluna, juge ad hoc,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 mai 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 76136/12) dirigée contre la République de Malte et dont M. Louay Ramadan (« le requérant ») a saisi la Cour le 21 novembre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Il apparaît que le requérant est actuellement apatride. Il était initialement ressortissant égyptien. Il a obtenu l’autorisation de renoncer à sa nationalité égyptienne après avoir acquis la nationalité maltaise à la suite de son mariage avec une ressortissante maltaise.

2. Le requérant a été représenté par Mes I. Refalo et S. Grech, avocats à La Valette. Le gouvernement maltais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, P. Grech, Attorney General.

3. Le requérant alléguait que le décret portant déchéance de la nationalité maltaise qui avait été pris à son encontre était contraire à ses droits garantis par l’article 8.

4. Le 6 novembre 2014, le grief soulevé sur le terrain de l’article 8 a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

5. M. Vincent A. De Gaetano, juge élu au titre de Malte, s’étant trouvé empêché de siéger dans l’affaire (article 28 du règlement de la Cour), le président de la chambre a décidé de désigner M. David Scicluna pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 29 § 1b) du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1964 en Égypte et réside à Hamrun, à Malte.

A. La genèse de l’affaire

7. En 1991, la République de Malte avait délivré au requérant un visa de tourisme d’une validité de trois mois. Après la date d’expiration de son visa, l’intéressé resta à Malte de manière illégale.

8. En 1993, alors qu’il avait vingt-neuf ans et vivait toujours en situation irrégulière à Malte, il rencontra MP, une ressortissante maltaise qui avait alors dix-sept ans. Trois mois plus tard, le 13 octobre 1993, ils se marièrent dans le cadre d’une cérémonie civile. Le 26 février 1994, ils se marièrent également selon le rite catholique.

9. Le 18 novembre 1993 le requérant s’enquit de son statut de personne exemptée de l’obligation de détenir un titre de séjour (le « statut de personne exemptée » (paragraphe 34 ci-dessous)), et le 23 novembre 1993 il engagea des démarches en vue d’obtenir la nationalité maltaise sur le fondement de son mariage avec une ressortissante maltaise.

10. Son statut de personne exemptée fut confirmé le 2 mars 1994. Le 19 avril 1994, à la suite du traitement de sa demande et en conséquence de son mariage, il fut enregistré comme citoyen maltais. Le 12 septembre 1994, il demanda donc à renoncer à sa nationalité égyptienne (la Cour n’a pas reçu copie de son formulaire de demande). Il ressort d’une lettre émanant du consul de l’ambassade de la République arabe d’Égypte à Malte que le 29 septembre 1994, on avisa le requérant que sa demande avait été accueillie et on lui retira son passeport égyptien. À l’époque des faits, ni le droit égyptien ni le droit maltais n’autorisaient la double nationalité.

11. Selon le Gouvernement, le requérant et MP connurent en 1994 divers problèmes de couple, qui conduisirent le premier à quitter le domicile conjugal à deux reprises. Le Gouvernement explique que le requérant avait fait preuve d’agressivité et qu’en particulier, le 5 juin 1994, il avait agressé physiquement son épouse enceinte, lui causant une incapacité permanente. MP aurait ensuite quitté le domicile conjugal.

12. Le requérant fut inculpé, placé en détention provisoire, puis jugé et déclaré coupable de coups et blessures et condamné à une peine assortie d’un sursis.

13. Dans l’intervalle, le 13 décembre 1994, le couple avait eu un enfant, LR. LR a la nationalité maltaise. Le couple continua de se quereller pour diverses raisons.

14. Le 8 février 1995, MP engagea auprès des tribunaux une démarche visant à faire annuler le mariage. À l’issue d’une procédure contradictoire lors de laquelle les deux parties furent représentées par un avocat, le mariage du requérant fut annulé par un jugement daté du 19 janvier 1998. Le tribunal qui rendit le jugement se dit convaincu (au degré de conviction nécessaire dans les procédures civiles, c’est-à-dire selon le critère de la plus forte probabilité) que la seule raison qui avait conduit le requérant à se marier était sa volonté de rester à Malte et d’acquérir la nationalité maltaise, que l’intéressé ne s’était pas sincèrement engagé et qu’il y avait eu simulacre de mariage. Non frappé d’appel, ce jugement devint définitif.

15. Le requérant n’informa pas les autorités du jugement qui avait annulé son mariage, mais il continua de résider à Malte et conserva sa nationalité maltaise.

16. Le 30 juin 2003, le requérant épousa VA, une ressortissante russe qu’il avait rencontrée quatre mois plus tôt. Il s’enquit du statut de personne exemptée de son épouse russe et il lui fut alors demandé de produire une copie du jugement d’annulation de son premier mariage. Le 4 juillet 2003, le requérant produisit une copie de ce jugement et ce n’est qu’à ce moment‑là que les autorités prirent connaissance du motif de l’annulation de son premier mariage.

17. Le 27 septembre 2004, VA, qui avait formé une demande à cet effet, obtint le statut de personne exemptée ; elle bénéficia dès lors d’une liberté complète de circulation (...) Selon les dires du Gouvernement, qui sont toutefois contestés par le requérant, il fut précisé que la perte de la nationalité maltaise par le requérant entraînerait la perte du bénéfice de ce statut. Le couple eut deux fils, VR et VL, nés respectivement en 2004 et 2005. Tous deux sont citoyens maltais.

18. Le 8 mai 2006, le requérant apprit qu’en vertu de l’article 14 § 1 de la loi sur la nationalité maltaise (« la loi sur la nationalité » – voir la section « Le droit et la pratique internes pertinents » ci-dessous) il allait faire l’objet d’un décret destiné à le priver de sa nationalité maltaise, qui suivant le jugement du 19 janvier 1998 apparaissait avoir été acquise par des moyens frauduleux. Le requérant fut également informé de son droit à une enquête.

19. Le requérant contesta cette décision, soutenant qu’il était faux qu’il eût obtenu ce mariage par des manœuvres frauduleuses et soulignant qu’il avait trois enfants maltais.

20. Une procédure destinée à éclaircir la situation du requérant et, si nécessaire, à le déchoir de sa nationalité maltaise fut alors engagée. Une commission d’enquête fut mise en place à cette fin, conformément à l’article 14 § 4 de la loi sur la nationalité. Un certain nombre d’auditions eurent lieu devant la commission, durant lesquelles le requérant fut assisté d’un avocat. L’intéressé fut autorisé à faire des observations orales et écrites et à présenter des éléments de preuve, notamment des témoignages. Il ressort des documents disponibles que le requérant contesta le fondement sur lequel avait reposé la décision d’annuler son mariage et soutint qu’il n’avait pas su qu’il lui était possible de faire appel de cette décision. Il récusa également les conclusions rendues par une juridiction pénale qui l’avait déclaré coupable, à l’endroit de son épouse, de coups et blessures ayant valu à celle-ci une incapacité permanente.

21. L’ex-épouse du requérant, un fonctionnaire du service de la citoyenneté et des expatriés ainsi qu’un prêtre témoignèrent également.

22. La recommandation finale adressée par la commission au ministre de la Justice et des Affaires intérieures ne fut pas communiquée au requérant. L’avocat de celui-ci demanda à plusieurs reprises mais en vain une copie du procès-verbal de la procédure.

23. Le 31 juillet 2007, le ministre ordonna que la nationalité maltaise fût retirée au requérant, avec effet immédiat, conformément à l’article 14 § 1 de la loi sur la nationalité.

24. Une lettre datée du 2 août 2007 et signée du directeur du service de la citoyenneté et des expatriés informa le requérant que le ministre de la Justice et des Affaires intérieures avait conclu qu’il avait obtenu la nationalité par des moyens frauduleux et avait en conséquence ordonné le 31 juillet 2007 qu’il fût immédiatement déchu de sa nationalité, comme le prévoyait l’article 14 § 1 de la loi sur la nationalité. La lettre lui demandait également de restituer son certificat d’enregistrement en tant que citoyen maltais ainsi que son passeport.

B. La procédure de recours constitutionnel

25. Le requérant forma un recours constitutionnel, dans lequel il invoquait les articles 6, 8 et 14 de la Convention. Il soutenait qu’il n’avait bénéficié ni d’un procès équitable ni d’un accès approprié à un tribunal pour faire statuer sur son droit à la nationalité. Il exposait que la déchéance de nationalité qui avait été prononcée à son encontre n’était pas prévue par la loi, que son premier mariage n’avait pas été un mariage de complaisance et que la mesure litigieuse avait été prise sans que les conditions auxquelles elle était subordonnée fussent réunies.

26. Par un jugement du 12 juillet 2011, le tribunal civil (première chambre), siégeant au titre de sa compétence constitutionnelle, rejeta le grief formulé par le requérant sur le terrain de l’article 6, concluant que la commission qui avait été instaurée n’était pas un tribunal mais uniquement un organe d’enquête habilité à émettre des recommandations mais pas à rendre des décisions définitives. Le tribunal estima toutefois qu’il y aurait violation des droits découlant pour le requérant de l’article 8 si, du fait de la déchéance de nationalité, l’intéressé devenait un étranger. Il ajouta que sa famille de jure (résultant du second mariage) serait irrémédiablement perturbée si, en tant que père (des deux enfants maltais nés de ce mariage), il devait aller vivre dans un autre pays. Ainsi, le tribunal considéra que le retrait de nationalité litigieux emportait violation de l’article 8. Par conséquent, il annula la décision du 31 juillet 2007 et estima qu’il n’était pas nécessaire de statuer sur les autres griefs.

27. Saisie d’un recours, la Cour constitutionnelle rendit le 25 mai 2012 un arrêt infirmant en partie le jugement de première instance. Elle écarta le grief formulé sur le terrain de l’article 6 au motif que, faute d’un droit de caractère civil, cette disposition ne pouvait s’appliquer en l’espèce. À cet égard, elle rejeta la thèse du requérant selon laquelle le retrait de sa nationalité portait atteinte à son droit à une vie familiale et revêtait donc un caractère civil, considérant que la nationalité était une question de droit public qui relevait de ce fait des prérogatives de l’État. Elle réforma également la partie du jugement relative à l’article 8, précisant qu’il n’avait pas été établi que le requérant eût une vie de famille à Malte et que même si tel était le cas, la déchéance de nationalité ne le contraindrait pas nécessairement à quitter Malte. Elle ajouta que rien ne permettait d’ailleurs de dire que le requérant se verrait refuser l’autorisation de résider à Malte ni qu’il l’avait demandée et qu’elle lui avait été refusée, ni qu’une décision d’éloignement avait été prise.

(...)

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le droit interne

(...)

2. La loi sur la nationalité

32. En ses dispositions pertinentes, la loi sur la nationalité maltaise (la « loi sur la nationalité »), chapitre 188 du droit maltais, se lit ainsi :

Article 14 – anciennement article 9 (avant les modifications adoptées en 2000)

« 1) Sous réserve des dispositions du présent article, le ministre peut, par décret, déchoir de la nationalité maltaise tout citoyen maltais qui l’est devenu par enregistrement ou par naturalisation s’il est convaincu que l’enregistrement ou le certificat de naturalisation ont été obtenus par des moyens frauduleux, par de fausses déclarations ou par la dissimulation d’un fait matériel.

2) Sous réserve des dispositions du présent article, le ministre peut, par décret, déchoir de la nationalité maltaise tout citoyen maltais qui l’est devenu par enregistrement ou par naturalisation s’il est convaincu que ledit citoyen -

a) s’est, en actes ou en paroles, montré déloyal ou mal disposé à l’égard du président ou du gouvernement maltais ;

b) s’est, pendant un conflit armé dans lequel Malte était engagé, livré à des échanges ou à des communications illégaux avec un ennemi ou a pris part ou a été associé à une activité dont il savait qu’elle était menée dans le but de prêter assistance à un ennemi dans le cadre dudit conflit ;

c) a, dans les sept années à compter de sa naturalisation ou de son enregistrement en tant que citoyen maltais, été condamné dans n’importe quel pays à une peine restrictive de liberté personnelle d’une durée non inférieure à douze mois ; ou

d) a été résident ordinaire de pays étrangers pendant une période continue de sept ans et n’a pendant cette période -

i) ni été à un quelconque moment au service de la République ou d’une organisation internationale dont l’État maltais était membre ;

ii) ni fait part par écrit au ministre de son intention de conserver la nationalité maltaise.

3) Le ministre ne déchoit une personne de sa nationalité en vertu du présent article que s’il est convaincu qu’il est contraire à l’intérêt général que ladite personne conserve sa nationalité maltaise et, dans le cas visé au paragraphe 2c), que s’il lui apparaît que ladite personne ne deviendra pas apatride de ce fait.

4) Avant d’adopter un décret en vertu du présent article, le ministre doit informer par écrit la personne concernée du motif pour lequel il est envisagé de prendre ledit décret à son encontre ainsi que de son droit à une enquête en vertu du présent article ; si ladite personne demande une enquête selon les modalités prescrites, le ministre transmet le dossier à une commission d’enquête composée d’un président, qui doit avoir déjà exercé une fonction judiciaire et est désigné par le ministre, ainsi que des autres membres que le ministre juge opportun de désigner.

5) Le ministre est en droit d’édicter des règles de pratique et de procédure à l’intention de la commission d’enquête formée en vertu du présent article, et ces règles peuvent, en particulier, prévoir l’attribution à ladite commission des pouvoirs, droits ou privilèges d’un tribunal et permettre que les pouvoirs ainsi attribués soient exercés par un ou plusieurs membres de la commission. »

Article 15

« 1) Un ressortissant maltais qui est déchu de sa nationalité par un décret pris par le ministre en vertu de l’article 14 cesse d’être citoyen maltais dès l’adoption dudit décret. »

Article 19

« Le ministre n’est pas tenu de motiver l’acceptation ou le rejet d’une demande introduite en vertu de la présente loi, et la décision rendue par le ministre à la suite de pareille demande n’est pas susceptible d’appel ou de contrôle juridictionnel. »

Article 27

« 1) Les dispositions de la loi de 2000 portant modification de la loi sur la nationalité sont sans effet sur l’acquisition ou la conservation de la nationalité maltaise qui a été obtenue en vertu de la Constitution maltaise ou de toute autre loi antérieurement à l’adoption de la loi de 2000.

2) La présente loi ne s’applique pas aux demandes d’enregistrement en qualité de citoyen maltais qui ont été déposées avant le 15 août 1999. »

33. La commission d’enquête susmentionnée est régie par le règlement no 188.02 relatif à la commission d’enquête chargée de statuer sur les déchéances de la nationalité maltaise.

34. Ce texte prévoit notamment que le conjoint non maltais d’un ressortissant maltais est éligible au « statut de personne exemptée », dont il peut bénéficier tant qu’il reste marié et qu’il vit avec ledit ressortissant. Conformément aux dispositions de la loi sur l’immigration (chapitre 217 du droit maltais), une personne exemptée bénéficie de la liberté de circulation. En vertu de la Constitution maltaise, cela signifie le droit de circuler librement sur tout le territoire maltais, le droit de résider en tout point du territoire maltais ainsi que le droit de quitter Malte et d’y rentrer. En 2004, Malte a adhéré à l’Union européenne, et les directives pertinentes y sont devenues applicables, notamment la Directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

35. En vertu de l’article 5 de la loi sur la nationalité, toute personne née à Malte devient ressortissante maltaise le jour de sa naissance. La loi prévoit toutefois aussi qu’une personne née à Malte le 1er août 1989 ou après cette date ne devient ressortissante maltaise que si le jour où elle est née, son père ou sa mère avait la nationalité maltaise ou avait été un citoyen maltais qui avait émigré de Malte (article 44 § 4a) et b) de la Constitution). Par souci d’éviter l’apatridie, ces deux conditions ne s’appliquent pas dans le cas d’un nouveau-né qui a été trouvé abandonné où que ce soit sur le territoire maltais. Pareil nouveau-né reste ressortissant maltais jusqu’à ce que soit établi son droit à une autre nationalité.

(...)

4. La réglementation sur l’immigration

37. Le règlement no 217.04, en ses parties pertinentes, énonce les règles suivantes :

« 12. 1) Un ressortissant d’un pays tiers n’est autorisé à résider à Malte que si un titre de séjour uniforme à des fins spécifiques lui a été délivré.

2) Les dispositions du paragraphe 1) ne s’appliquent pas au ressortissant d’un pays tiers qui a reçu l’autorisation temporaire de séjourner à Malte le temps que soit traitée une demande d’asile ou une demande de titre de séjour uniforme.

3)* Sans préjudice de l’article 7.3), les dispositions des articles 5, 6, 8, 9 et 10 s’appliquent mutatis mutandis à cette partie, de manière toutefois à ce qu’un ressortissant d’un pays tiers ne puisse pas demander d’autorisation ou de titre de séjour uniforme aux fins de chercher ou de prendre un emploi ; un ressortissant d’un pays tiers n’est pas non plus en droit de demander à faire modifier la nature de son titre de séjour uniforme afin qu’il lui donne le droit de chercher ou de prendre un emploi alors qu’il se trouve déjà à Malte, sauf sur instructions du ministre dans des circonstances exceptionnelles.

*Pas encore en vigueur. »

38. Les articles 5, 6, 8, 9 et 10 ont trait au séjour et à l’emploi de ressortissants de l’Union européenne.

39. L’article 12.3) n’est pas encore entré en vigueur. Il prendra effet à la date ou aux dates que le ministre fera publier au Journal officiel.

(...)

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

40. Le requérant soutient que la décision de le déchoir de la nationalité maltaise n’était pas prévue par la loi. Il ajoute qu’elle a porté atteinte à son droit à la vie privée et familiale et qu’elle l’a exposé au risque d’être séparé de sa famille. Selon lui, cette décision ne s’est pas accompagnée des garanties procédurales requises par l’article 8 de la Convention et l’État n’a pas honoré son obligation positive de protéger ses droits garantis par cette disposition. Au surplus, cette décision aurait fait de lui un apatride. Il aurait ainsi dû vivre dans l’incertitude, sans même pouvoir quitter le pays de crainte de ne pas y être réadmis. L’article 8 est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

41. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

(...)

3. Conclusions relatives à la recevabilité

64. Concernant le grief relatif à l’éventualité de l’éloignement du requérant du territoire maltais, la Cour considère que le requérant ne peut pas se prétendre victime, au sens de l’article 34 de la Convention, de la violation alléguée de son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

65. Pour autant que la requête porte sur la déchéance de nationalité et ses conséquences, la Cour considère qu’elle n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Constatant qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Observations des parties

a) Le requérant

66. Le requérant soutient que ce n’est pas dans le but d’obtenir la nationalité de manière frauduleuse qu’il s’est marié la première fois. Il en veut pour preuves la naissance de son fils et un rapport établi par un psychologue dont il ressortirait que ses problèmes conjugaux lui avaient causé de l’anxiété. Il estime que les autorités n’auraient simplement pas dû s’appuyer sur le jugement qui avait été rendu en 1998 et que la question aurait mérité une appréciation indépendante distincte. Il plaide également qu’on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir informé les autorités de l’annulation de son mariage puisque les mentions de ce type d’annulations étaient portées sur les certificats de mariage concernés, lesquels étaient conservés dans les archives du registre public, qui était une administration publique. À ses yeux, les autorités ont donc été au courant de la situation depuis le début et elles n’en ont pas moins agi en partant du postulat que la nationalité du requérant demeurait valide, finissant même par accorder à sa seconde épouse le « statut de personne exemptée » sur cette base.

67. Le requérant expose que la déchéance de nationalité est une décision plus délicate que la restriction du droit à la nationalité et qu’elle ne devrait pas être laissée à la discrétion d’un État. De plus, selon lui, pareille décision devrait s’accompagner des garanties appropriées et de la possibilité pour la personne concernée de se défendre.

68. Le requérant allègue qu’au moment où le décret le privant de sa nationalité a été pris, à savoir en 2007, il avait une vie privée et familiale à Malte. Il précise qu’il travaillait à Malte, qu’il était marié à son épouse depuis plus de cinq ans et qu’il avait deux enfants, ainsi qu’un lien de filiation avec un fils né de son premier mariage. De son point de vue, au moment de son second mariage, il n’était pas menacé d’une déchéance de nationalité. On ne pourrait donc pas dire que sa vie familiale se soit mise en place à un moment où les personnes concernées savaient que la situation de l’une d’entre elles au regard du droit des étrangers était de nature à mettre d’emblée en péril la pérennité de cette vie familiale au sein du pays d’accueil.

69. Le requérant indique que la nationalité ouvre la porte à plusieurs droits, notamment à un droit de séjour exempt de restrictions, au droit de fonder une famille à Malte, au droit d’y travailler, de percevoir une pension, etc. Reconnaissant n’avoir sollicité ni permis de travail ni titre de séjour, il soutient qu’il n’avait aucune garantie d’obtenir ces permis ou titre ou de pouvoir y prétendre. Il invoque l’article 12.3) de la réglementation sur l’immigration (avis juridique no 205 de 2004 – paragraphe 37 ci‑dessus). De plus, ces permis et titre n’auraient d’après lui pas apporté de solution à ses problèmes d’apatridie et de liberté de circulation restreinte car il n’était pas en possession d’un passeport valide, ce qui aurait aussi entravé sa capacité à gagner sa vie, étant donné sa profession commerciale. Il n’aurait pas non plus eu les moyens de payer les droits exorbitants qu’il aurait dû verser s’il avait voulu acquérir la nationalité maltaise au titre du règlement de la République de Malte de 2014 sur le programme pour les particuliers investisseurs. Tandis que le Gouvernement aurait vendu la nationalité maltaise à des ressortissants de pays tiers qui n’auraient eu que peu, voire pas du tout, de liens avec Malte, lui aurait été déchu de sa nationalité alors que Malte aurait été le seul pays auquel il aurait été lié.

70. La mesure litigieuse (comme du reste la procédure devant la commission d’enquête) n’aurait pas été prévue par la loi. Comme indiqué dans la lettre pertinente (paragraphe 24 ci-dessus), la déchéance aurait été fondée sur l’article 14 § 1 de la loi sur la nationalité. Or, en vertu de son article 27, cette loi n’aurait pas été applicable aux demandes de nationalité déposées avant le 15 août 1999, et le requérant aurait sollicité la nationalité maltaise en 1993. La loi sur la nationalité telle qu’en vigueur en 2007 ne se serait donc pas appliquée aux circonstances de son affaire et il n’aurait pas non plus existé de clause d’exception précisant que les situations comparables à la sienne continuaient d’être régies par la loi sur la nationalité dans sa version antérieure aux modifications adoptées en 2000.

71. L’ordre public n’aurait pas été mentionné dans l’article 8 de la Convention et aucun autre but légitime n’aurait été invoqué. Bien qu’il eût été jugé coupable de coups et blessures sur la personne de son épouse, la peine avec sursis n’aurait eu aucune incidence sur la décision du ministre.

72. De plus, les autorités auraient tellement tardé à agir (en ouvrant une enquête cinq années après l’annulation et en prenant trois ans pour enquêter et pour statuer sur sa situation) que l’on ne pourrait considérer que la mesure était justifiée ou nécessaire. Un tel retard attesterait que le requérant ne représentait aucune menace ; par ailleurs, il n’aurait pas été donné de motivation à la soudaine nécessité de changer cet état de fait. De plus, dans l’intervalle, ses liens avec Malte se seraient encore resserrés.

73. Le Gouvernement ne l’aurait pas protégé du risque de devenir apatride, ce qui aurait concouru au caractère draconien de la mesure et aurait été disproportionné par rapport au but poursuivi.

74. Lorsqu’il aurait fondé sa seconde famille, la perspective d’une résidence conjointe aurait été non seulement extrêmement probable, mais certaine, et la Cour devrait en tenir compte lors de la mise en balance des intérêts individuels et de ceux de l’État. Le requérant n’aurait pas entretenu des liens solides avec les membres de sa famille en Égypte et, vivant à Malte depuis plus de vingt ans, il parlerait le maltais et serait parfaitement intégré dans la culture et dans la société maltaises. Son renvoi vers un autre pays serait extrêmement préjudiciable pour lui sur le plan économique. De plus, si ses enfants devaient être privés de leur nationalité maltaise parce que lui-même a été déchu de la sienne, eux aussi deviendraient apatrides.

b) Le Gouvernement

75. Le Gouvernement soutient que la Convention ne garantit pas un droit à acquérir une nationalité donnée et qu’en principe c’est sur la base du droit de l’État concerné qu’il convient de définir si un requérant dispose d’un droit défendable à acquérir la nationalité dudit État. Il invoque l’arrêt Petropavlovskis c. Lettonie (no 44230/06, § 83, CEDH 2015).

76. Selon le Gouvernement, la mesure en cause en l’espèce était prévue par la loi, en l’occurrence la loi sur la nationalité maltaise, chapitre 188 du droit maltais. La disposition pertinente à l’époque des faits aurait été l’article 9 de la loi, qui aurait été identique à l’article 14 de la version modifiée de la loi (voir la section « Le droit et la pratique internes pertinents » ci-dessus). Contrairement à ce que prétendrait le requérant (paragraphe 70 ci‑dessus), l’article 27 § 2 de la loi sur la nationalité maltaise dans sa version modifiée en 2000, qui aurait été une disposition transitoire, aurait concerné les « demandes » d’enregistrement qui avaient été déposées avant le 15 août 1999 et qui étaient encore pendantes. En l’espèce, la nationalité aurait été accordée au requérant avant le 15 août 1999, et au moment des modifications à la loi sur la nationalité maltaise, sa demande aurait déjà été traitée. Il n’aurait en conséquence pas pu être considéré comme un « demandeur » au sens de la disposition nationale invoquée.

77. Le Gouvernement explique que contracter un mariage de complaisance, c’était accomplir un acte frauduleux. La décision rendue dans le cas du requérant l’aurait été sur cette base. La mesure n’aurait donc pas été arbitraire : la décision aurait été prise après que le requérant avait plaidé sa cause devant la commission, produit des éléments de preuve et présenté des arguments, ce qui aurait constitué une garantie procédurale propre à protéger l’intéressé de tout arbitraire. Quant à la déchéance, elle n’aurait pas davantage été arbitraire : le service de la citoyenneté et des expatriés aurait eu pour pratique systématique de prendre des mesures visant à la privation de la nationalité maltaise lorsqu’il avait connaissance d’un cas où la nationalité avait été obtenue par des moyens frauduleux.

78. Le ministre aurait déchu le requérant de sa nationalité maltaise au motif que cette nationalité aurait été obtenue par des moyens frauduleux, ce qui aurait constitué un acte grave et attentatoire à l’ordre public. Cette mesure aurait donc été destinée à la protection de l’ordre public, qui aurait formé partie intégrante de l’intérêt général. Le Gouvernement fait référence à cet égard aux arrêts rendus par la Cour dans les affaires Antwi et autres c. Norvège (no 26940/10, § 104, 14 février 2012) et Boujlifa c. France (21 octobre 1997, § 43, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VI). Considéré sous cet angle, le décret pris par le ministre aurait été justifié et nécessaire dans une société démocratique. De plus, bien que la décision ne fût pas fondée sur cet élément, le requérant aurait eu des antécédents judiciaires puisqu’il aurait été reconnu coupable de coups et blessures sur la personne de son épouse.

79. En outre, la décision de déchoir de le requérant de sa nationalité maltaise, qui aurait été appliquée sans délai, n’aurait pas eu d’incidence négative sur l’intéressé, qui aurait vu ses licences commerciales constamment renouvelées et qui aurait continué d’utiliser son passeport maltais. Le Gouvernement fait référence à cet égard aux conclusions adoptées par la Cour, entre autres, dans l’affaire Riener c. Bulgarie (no 46343/99, § 155, 23 mai 2006). En l’espèce (jusqu’à la date du dépôt des observations), rien n’indiquerait que le requérant ait été gêné dans ses déplacements sur le territoire maltais et vers l’étranger. Il aurait d’ailleurs continué de travailler à Malte et d’y résider avec sa nouvelle famille. Ainsi, compte tenu de ce qui précède, il n’y aurait pas eu d’atteinte à ses droits. Par ailleurs, le requérant aurait la possibilité de solliciter un permis de travail temporaire et renouvelable sur demande, puis d’obtenir sur cette base une autorisation de résidence. Qui plus est, une fois sa situation au regard du droit des étrangers régularisée, il pourrait, au terme de cinq années de séjour régulier, prétendre à un statut de résident de longue durée. Il n’aurait toutefois rien fait pour saisir ces opportunités. Il n’aurait pas non plus donné la moindre information sur la possibilité pour lui de recouvrer la nationalité égyptienne, ni prouvé qu’il lui serait impossible de la recouvrer. De plus, s’il craignait de rentrer en Égypte, il aurait pu demander à bénéficier du statut de réfugié ou d’une protection humanitaire.

80. Pour autant que son grief porte sur les obligations positives incombant à l’État, le requérant serait tenu de prouver qu’il avait une vie privée et familiale au moment où la mesure litigieuse a été adoptée (le Gouvernement invoque l’arrêt Boujlifa, précité, § 36). Ainsi, la date à prendre en compte à cette fin serait celle du 16 janvier 1998, à savoir la date à laquelle les motifs de la déchéance de nationalité se seraient matérialisés.

81. La commission d’enquête aurait toutefois conclu que le requérant n’avait pas entretenu de relation avec son premier fils, et qu’il n’en avait pas davantage entretenu, en 1998, avec la femme qui allait devenir sa seconde épouse. Le requérant ne pourrait donc pas prétendre qu’il avait une « vie familiale » en 1998. Comme dans l’affaire Adeishvili (Mazmishvili) c. Russie (no 43553/10, §§ 82-83, 16 octobre 2014), la relation du requérant avec sa seconde épouse se serait développée à une époque où les deux intéressés auraient su que le requérant se trouvait dans une situation précaire au regard de sa nationalité.

82. Il serait donc justifié de reprocher au requérant de ne pas avoir, à l’époque des faits, informé le service de la citoyenneté et des expatriés du jugement qui avait annulé son premier mariage. Il n’aurait pas incombé au Gouvernement de se tenir informé de ce type d’évolutions, lesquelles auraient relevé de la compétence de diverses autorités, et l’omission par le requérant d’informer les autorités ne ferait que mettre en évidence la mauvaise foi de l’intéressé. Les autorités compétentes auraient lancé des investigations dès lors qu’elles auraient eu connaissance de cette information. Le processus se serait certes heurté à des difficultés et aurait pris du retard, mais uniquement parce qu’il aurait eu trait à des événements qui s’étaient produits dix ans plus tôt.

83. Opérant une distinction entre une décision d’éloignement et une déchéance de nationalité dépourvue d’incidence négative pour la personne concernée, le Gouvernement estime que les autorités maltaises n’étaient pas tenues par une obligation positive de régulariser la situation du requérant lorsqu’elles l’ont privé de sa nationalité maltaise.

2. Appréciation de la Cour

84. La Cour observe que les organes de la Convention ont pendant longtemps systématiquement rejeté comme étant incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention les requêtes portant sur des cas de perte de la nationalité, que celle-ci fût acquise ou de naissance, au motif que la Convention ne garantissait pas pareil droit (voir, par exemple, X c. Autriche, no 5212/71, décision de la Commission du 5 octobre 1972). Ces dernières années, toutefois, (...) la Cour a dit que bien que le droit à la nationalité ne soit pas en tant que tel garanti par la Convention ou par ses Protocoles, il n’est pas exclu qu’un refus arbitraire de la nationalité puisse dans certaines conditions poser un problème au regard de l’article 8 de la Convention à raison de l’impact que pareil refus peut avoir sur la vie privée de la personne concernée (...)

85. À la vérité, la plupart des affaires de nationalité qui ont été portées devant la Cour depuis l’évolution susmentionnée de la jurisprudence concernaient des requérants qui revendiquaient le droit d’acquérir une nationalité et se plaignaient d’un refus de reconnaissance de cette nationalité (voir, par exemple, Karassev (déc.), précitée) et non des requérants qui se plaignaient d’avoir été déchus d’une nationalité acquise ou de naissance. Néanmoins, la Cour estime que la perte d’une nationalité acquise ou de naissance peut produire un effet identique (voire un effet plus important encore) sur la vie privée et familiale de la personne concernée. Il s’ensuit que rien ne justifie d’opérer une distinction entre les deux situations et que c’est le même critère qui doit s’appliquer. Ainsi, une déchéance arbitraire de nationalité pourrait dans certaines circonstances poser un problème au regard de l’article 8 de la Convention du fait de son impact sur la vie privée de l’intéressé. Par conséquent, il y a lieu en l’espèce de rechercher si les décisions prises par les autorités maltaises présentaient pareil caractère arbitraire et si elles ont produit des conséquences de nature à soulever des questions au regard de l’article 8 de la Convention.

86. La Cour note que la décision de déchoir le requérant de sa nationalité était prévue par la loi, en l’occurrence l’article 14 (précédemment article 9) de la loi sur la nationalité maltaise (« la loi sur la nationalité »), lequel prévoit que « le ministre peut (...) déchoir de la nationalité maltaise tout citoyen maltais qui l’est devenu par enregistrement ou par naturalisation s’il est convaincu que l’enregistrement ou le certificat de naturalisation ont été obtenus par des moyens frauduleux, par de fausses déclarations ou par la dissimulation d’un fait matériel ». La Cour note que l’article 27 § 1 se borne à préciser que les modifications apportées à la loi sont sans effet sur l’acquisition ou la conservation de la nationalité maltaise qui a été obtenue antérieurement à l’adoption de ces modifications et qu’il n’a donc aucune incidence sur l’application de l’article 14 (précédemment article 9), lequel n’a pas été modifié. La Cour admet en outre l’argument du Gouvernement selon lequel la disposition transitoire de l’article 27 § 2 de la loi sur la nationalité (paragraphe 32 ci-dessus) ne s’applique pas au requérant, dont la demande avait déjà été traitée et tranchée. L’intéressé ayant ainsi obtenu sa nationalité avant l’adoption des modifications à la loi en 2000, la déchéance de nationalité était dans son cas « prévue par la loi ».

87. La Cour observe par ailleurs que conformément au paragraphe 4 de l’article 14 de la loi sur la nationalité (qui s’appliquait en 2006 lorsque le requérant apprit qu’un décret visant à le déchoir de sa nationalité maltaise allait être adopté), le requérant fut informé avant que le ministre ne rendît sa décision de la possibilité qu’il avait de solliciter une enquête, ce qu’il choisit de faire. Ainsi, le requérant a eu la possibilité, qu’il a saisie, de se défendre dans le cadre d’une procédure qui a nécessité un certain nombre d’auditions, pendant lesquelles l’intéressé a bénéficié de l’assistance d’un avocat, des observations orales et écrites ont été soumises et des éléments de preuve, notamment des dépositions de témoins, ont été présentés devant la commission compétente. Le requérant a ensuite eu la possibilité de contester cette décision devant des tribunaux dotés d’une compétence constitutionnelle qui offraient les garanties requises. Il s’ensuit que la décision de déchoir le requérant de sa nationalité s’est accompagnée des garanties procédurales nécessaires.

88. Même s’il est permis de se demander si, en l’espèce, les autorités ont agi avec diligence et promptitude (voir, mutatis mutandis, Nunez c. Norvège, no 55597/09, § 82, 28 juin 2011, et Borisov c. Lituanie, no 9958/04, § 112, 14 juin), la Cour note qu’à supposer qu’il y ait eu un retard, celui-ci n’a pas pénalisé le requérant, qui a continué de tirer parti de la situation (comparer avec Kaftaïlova c. Lettonie (radiation) [GC], no 59643/00, § 53, 7 décembre 2007).

89. La Cour conclut donc que la décision prise par les autorités maltaises de déchoir le requérant de sa nationalité maltaise n’était pas arbitraire. Au demeurant, dès lors que son mariage avait été annulé, le requérant savait que sa nationalité pouvait lui être retirée à tout moment par le ministre et qu’il se trouvait donc dans une situation précaire. En outre, la Cour ne peut ignorer que la situation dénoncée par le requérant était la conséquence de son comportement frauduleux (paragraphes 14 et 24 ci-dessus) et que les effets dont il se plaint sont dans une large mesure imputables à ses propres choix et actes (comparer avec Chevanova c. Lettonie (radiation) [GC], no 58822/00, § 49, 7 décembre 2007).

90. En ce qui concerne les conséquences de la déchéance de la nationalité maltaise du requérant, la Cour note que (...) l’intéressé n’est pas menacé d’être expulsé de Malte. Par ailleurs, chose importante, bien que l’épouse russe du requérant ait perdu son statut de personne exemptée, les fils du requérant, VR et VL, n’ont pas été privés de leur nationalité maltaise et les autorités n’ont engagé aucune démarche dans ce sens pendant les neuf années qui se sont écoulées depuis que le requérant a été déchu de sa nationalité maltaise. De plus, comme il l’admet lui‑même, le requérant a pu jusqu’ici poursuivre ses activités professionnelles et continuer de résider à Malte.

91. La Cour rappelle que ni l’article 8 ni aucune autre disposition de la Convention ne peuvent être interprétés comme garantissant, en tant que tel, le droit à un type particulier de titre de séjour (Kaftaïlova, précité, § 51). S’il permet à la personne qui en bénéficie de résider sur le territoire de l’État d’accueil et d’y exercer librement son droit au respect de la vie privée et familiale, l’octroi d’un tel titre de séjour constitue en principe une mesure suffisante pour que les exigences de l’article 8 soient remplies. En pareil cas, la Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur l’opportunité d’accorder à l’étranger concerné tel statut légal plutôt que tel autre, ce choix relevant de l’appréciation souveraine des autorités nationales (Syssoyeva et autres c. Lettonie (radiation) [GC], no 60654/00, § 91, CEDH 2007‑I, Aristimuño Mendizabal c. France, no 51431/99, § 66, 17 janvier 2006, Dremlyuga c. Lettonie (déc.), no 66729/01, 29 avril 2003, et Gribenko c. Lettonie (déc.), no 76878/01, 15 mai 2003). À cet égard, la Cour note qu’il apparaît que diverses possibilités s’offrent au requérant (paragraphes 37 et 79 ci-dessus), lequel peut par exemple demander un permis de travail, puis un titre de séjour, ce qui pourrait à terme lui permettre de recouvrer la nationalité. Or le requérant n’a engagé aucune démarche en ce sens, alors que cela aurait pu prévenir toute conséquence négative sur sa vie privée et familiale (comparer avec Savoia et Bounegru c. Italie (...) [(déc.) no, 8407/05, 11 juillet 2006]), et aucune explication valable n’a été invoquée pour son inaction. La Cour observe que le seul obstacle allégué par le requérant réside dans une disposition législative qui n’est pas encore en vigueur (paragraphes 37 et 39 ci-dessus).

92. De même, en ce qui concerne la doléance du requérant selon laquelle il est actuellement apatride, la Cour note que s’il ressort effectivement d’une lettre du consul de l’ambassade de la République arabe d’Égypte que la demande de renonciation à la nationalité égyptienne déposée par le requérant a été accueillie et que son passeport égyptien lui a été retiré (paragraphe 10 ci-dessus), le requérant n’a pas fourni à la Cour de document officiel (tel que le décret présidentiel apparemment pris en pareilles circonstances) confirmant cette renonciation. Le requérant n’a pas non plus donné d’informations concernant le point de savoir s’il lui serait possible de recouvrer la nationalité égyptienne (dans le cas où il aurait véritablement renoncé à cette nationalité). En tout état de cause, le fait qu’un ressortissant étranger ait renoncé à la nationalité d’un État n’implique pas en principe qu’un autre État soit dans l’obligation de régulariser son séjour sur son territoire (voir, par exemple, le cas de ressortissants roumains qui avaient renoncé à leur nationalité et souhaitaient rester en Allemagne dans l’affaire Dragan et autres c. Allemagne (déc.), no 33743/03, 7 octobre 2004).

93. Quant au grief du requérant consistant à dire que sa liberté de circulation se trouve restreinte, qu’il serait du reste plus approprié d’examiner sous l’angle de l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention, la Cour relève qu’il n’a pas été porté devant les autorités nationales, alors même que le requérant était censé restituer son passeport en 2007, année au cours de laquelle la décision de le déchoir de sa nationalité fut rendue. La circonstance que l’intéressé n’a jamais remis son passeport aux autorités et qu’il a continué à s’en servir jusqu’en 2014, c’est-à-dire jusqu’à l’expiration de sa validité, ne change rien au fait que l’intéressé avait l’obligation d’épuiser les voies de recours internes disponibles. Force est pour la Cour de constater chez le requérant une tendance à l’inaction.

94. Compte tenu des considérations qui précèdent, une appréciation des obligations négatives de l’État sous l’angle de l’article 8 de la Convention ne se justifie pas en l’espèce. La Cour peut également se dispenser d’aborder la question des éventuelles obligations positives de l’État étant donné qu’en l’état actuel des choses le requérant ne court pas le risque d’être expulsé (paragraphes 54 et 56 [de l’arrêt]).

95. Eu égard à la situation telle qu’elle se présente actuellement, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

(...)

2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y n’a pas eu violation de l’article 8 de la Convention ;

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 21 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Marialena TsirliAndrás Sajó
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouvent joints, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement :

- l’exposé de l’opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque ;

- une déclaration de dissentiment du juge Zupančič.

A.S.
M.T.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE
PINTO DE ALBUQUERQUE

Traduction

1. Je suis en désaccord avec les constats dressés par la chambre sur le fond. À mon avis, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (la Convention) étant donné le caractère injustifié et draconien de la mesure prise par les autorités nationales à l’encontre du requérant. Cette affaire présente des caractéristiques uniques dans l’histoire de la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour). Le requérant a été déchu de la nationalité qu’il avait obtenue le 19 avril 1994 à la suite de son mariage avec une ressortissante maltaise. Cette déchéance a été décidée après plus de treize années, au motif qu’une juridiction nationale avait annulé ledit mariage parce qu’elle considérait que la seule raison qui avait poussé le requérant à se marier était la volonté de rester à Malte et d’obtenir la nationalité maltaise. Outre que je nourris de sérieux doutes à propos du bien-fondé de la décision d’annulation, j’émets des réserves de principe quant à l’appréciation que fait la majorité de l’équité de la procédure de déchéance ainsi que de la proportionnalité du décret de déchéance, étant donné la situation d’apatridie, le risque d’une expulsion imminente hors de Malte et les conséquences sur la vie familiale qui en sont résultés pour le requérant[1]. Bien que cette affaire renferme tous les éléments propres à inciter la Cour à revoir sa jurisprudence, encore insuffisante, sur le droit à la nationalité, la chambre n’a malheureusement pas saisi l’opportunité qui lui était ainsi offerte. Espérons que la Grande Chambre y remédiera à la demande du requérant et finira par affirmer l’existence d’un droit conventionnel autonome à la nationalité.

Le droit à la nationalité dans le droit international des droits de l’homme

2. L’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dispose que « [t]out individu a droit à une nationalité » et que « [n]ul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité ». On trouvera pareille reconnaissance de la nationalité comme droit fondamental dans d’autres instruments juridiques universels et régionaux, comme les articles 1 à 3 de Convention sur la nationalité de la femme mariée (adoptée en 1957 et entrée en vigueur en 1958)[2], l’article 24 § 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) (adopté en 1966 et entré en vigueur en 1976)[3], l’article 9 de la Convention sur 1’é1imination de toutes les formes de discrimination à 1’égard des femmes (adoptée en 1979 et entrée en vigueur en 1981)[4], l’article 29 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (adoptée en 1990 et entrée en vigueur en 2003)[5], les articles 7 et 8 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (adoptée en 1989 et entrée en vigueur en 1990)[6], l’article 19 de la Charte de sécurité européenne de 1999 de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe[7], l’article 18 §§ 1) a, b et 2) de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (adoptée en 2006 et entrée en vigueur en 2008)[8] et, au niveau régional, l’article XIX de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme de 1948, l’article 20 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme (adoptée en 1969 et entrée en vigueur en 1978)[9], l’article 6 §§ 3 et 4 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (adoptée en 1990 et entrée en vigueur en 1999)[10], l’article 24 de la Convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales de la Communauté des États indépendants (adoptée en 1995 et entrée en vigueur en 1998)[11], l’article 6 §§ g et h du Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (adopté en 2003 et entré en vigueur en 2005)[12], l’article 7 du Pacte des droits de l’enfant dans l’Islam (adopté en 2005)[13], l’article 29 de la Charte arabe des droits de l’homme dans sa version révisée (adoptée en 2005 et entrée en vigueur en 2008)[14] et l’article 18 de la Déclaration des droits de l’Homme de 2012 de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est.

D’autres dispositions générales relatives au droit à une égale protection de la loi, au droit à la reconnaissance de son statut juridique, au droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État et au droit de revenir dans son pays, comme l’article 5 § d) iii) de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (adoptée en 1965 et entrée en vigueur en 1969)[15], les articles 12 § 4, 23 § 4 et 26 du PIDCP[16] et les articles 3 § 2, 5 et 12 § 1 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (adoptée en 1981 et entrée en vigueur en 1986)[17], ont donné lieu à une interprétation allant dans le sens de la protection d’un droit à la nationalité et de l’interdiction de la déchéance arbitraire de nationalité.

Le droit d’avoir une nationalité implique le droit pour chaque individu d’acquérir une nationalité, de la conserver ou d’en changer[18]. De plus, eu égard aux principes d’interdiction de la discrimination, refuser la nationalité à des personnes pour des motifs liés à leur sexe, à leurs origines ethniques, à leur religion ou à toute autre situation est manifestement arbitraire, et donc inadmissible. S’agissant de l’essence même du droit, un État ne peut opérer de discrimination entre ses ressortissants selon que ceux-ci possèdent leur nationalité depuis la naissance ou l’ont acquise ultérieurement. Comme l’indique un rapport récent du Secrétaire général des Nations Unies sur la privation arbitraire de la nationalité des enfants :

« Priver arbitrairement un enfant de la nationalité est en soi une violation des droits de l’homme, dont une conséquence extrême peut être l’apatridie. Le droit international des droits de l’homme ne se fonde pas sur la nationalité de la personne mais plutôt sur la dignité inhérente à tout être humain. Dans la pratique, cependant, ceux qui jouissent du droit à une nationalité ont plus largement accès à la jouissance des divers autres droits de l’homme.[19] »

3. Les États n’ont donc pas le pouvoir absolu de refuser la nationalité à une personne pour n’importe quelle raison, comme le révèle clairement aussi une lecture téléologique de la Convention de 1954 relative au statut des apatrides (la Convention de 1954)[20] et de la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie (la Convention de 1961)[21].

La Convention de 1954 a été adoptée le 28 septembre 1954 et elle est entrée en vigueur le 6 juin 1960. Elle n’instaure pas le droit pour un apatride d’acquérir la nationalité d’un État. Toutefois, son article 32 demande aux États de faciliter l’assimilation et la naturalisation des apatrides et notamment de s’efforcer d’accélérer la procédure de naturalisation et de réduire les taxes et les frais de cette procédure. L’acte final de la Convention de 1954 recommande que, lorsqu’ils reconnaissent comme valables les raisons pour lesquelles une personne a renoncé à la protection de l’État dont elle est le ressortissant, les États contractants envisagent favorablement la possibilité d’accorder à cette personne le traitement que la Convention accorde aux apatrides. Cette déclaration prévoit la possibilité d’accorder la protection garantie par la Convention de 1954 à une certaine catégorie d’apatrides de facto.

La principale faiblesse de la Convention de 1954 réside dans le fait qu’elle n’accorde de protection qu’aux apatrides de jure et ne contient pas de disposition exhaustive interdisant la discrimination. Qui plus est, cette Convention ne donne pas d’indication quant aux procédures à utiliser pour identifier les apatrides, ce qui peut se traduire par une non-reconnaissance de certains apatrides, qui seront alors dans l’impossibilité de jouir de manière effective des droits découlant de ce texte.

Bien qu’elle offre certaines garanties contre l’expulsion et reconnaisse le droit de revenir sur le territoire de l’État aux personnes munies d’un titre de voyage tel que prévu par la Convention à condition qu’elles résident légalement dans le pays, la Convention de 1954 ne régit pas le droit d’entrer sur le territoire d’un État, ce qui laisse toute latitude aux États contractants pour refuser, détenir ou expulser tout apatride cherchant à entrer sur leur territoire sans autorisation valide.

Enfin, faute d’une procédure formalisée pour la supervision de la mise en œuvre complète de la Convention de 1954 ou pour la réception des requêtes individuelles émanant des apatrides, la protection accordée à ces personnes s’en trouve encore amoindrie. À cet égard, il y a lieu de mentionner qu’une série de résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies ont confié au HCR un mandat officiel sur la question de l’apatridie[22]. Le HCR a mis en place des directives détaillées sur divers aspects de l’apatridie, y compris la définition d’un apatride, les procédures permettant de déterminer si une personne est apatride et la prévention de l’apatridie à la naissance[23], et a également élaboré un « Plan d’action global 2014-24 visant à mettre fin à l’apatridie » en concertation avec les États, la société civile et les organisations internationales. Ce plan propose un cadre d’intervention composé de dix actions à engager si l’on veut faire disparaitre l’apatridie en l’espace de dix ans. Ces actions sont les suivantes : mettre fin aux principales situations actuelles d’apatridie ; veiller à ce qu’aucun enfant ne naisse apatride ; supprimer des lois sur la nationalité toute discrimination fondée sur le sexe ; prévenir le refus, la perte ou la privation de nationalité pour des motifs discriminatoires ; prévenir l’apatridie en cas de succession d’États ; accorder un statut de protection aux migrants apatrides et faciliter leur naturalisation ; veiller à l’enregistrement des naissances pour prévenir l’apatridie ; délivrer des documents relatifs à la nationalité aux personnes qui y ont droit ; adhérer aux Conventions des Nations Unies relatives à l’apatridie ; et améliorer les données quantitatives et qualitatives relatives aux populations apatrides. Les États parties devraient introduire des garanties propres à empêcher l’apatridie en accordant leur nationalité aux personnes qui seraient sinon apatrides et qui sont soit nées sur leur territoire soit nées à l’étranger de l’un de leurs ressortissants. Les États parties devraient inscrire dans leur législation sur la nationalité une disposition accordant la nationalité aux enfants d’origine inconnue qui ont été trouvés sur leur territoire (nouveau-nés trouvés).

4. La Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, adoptée le 30 août 1961 et entrée en vigueur le 13 décembre 1975, vise à prévenir, à réduire et à éviter les cas d’apatridie par des mesures concrètes et détaillées que devront prendre les États parties. Elle s’attache aux quatre principales causes de l’apatridie. Les articles 1 à 4 exposent des mesures destinées à éviter l’apatridie des enfants. Les articles 5 à 7 traitent de l’apatridie due à la perte de la nationalité ou à la renonciation à la nationalité. Les articles 8 § 1 et 9 énoncent des mesures visant à éviter l’apatridie résultant d’une déchéance de nationalité. L’article 8 § 2 de la Convention de 1961 prévoit cependant un ensemble de circonstances dans lesquelles une déchéance de nationalité entraînant une apatridie sera autorisée. Cet article n’exclut pas la possibilité de priver un individu de sa nationalité dans certaines circonstances et ne traite pas non plus la question de l’attribution rétroactive de la nationalité à toutes les personnes qui sont actuellement apatrides.

Les apatrides devraient pouvoir prendre la nationalité de leur lieu de naissance ou du lieu où ils ont été trouvés (s’il s’agit de nouveau-nés trouvés abandonnés), ou la nationalité de l’un de leurs parents[24]. Les États contractants ne doivent priver de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride, sauf dans les cas où cette nationalité a été acquise au moyen d’une fausse déclaration ou de tout autre acte frauduleux, et sauf si l’individu fait preuve d’un « manque de loyalisme » envers l’État contractant en question.

5. Soucieux de la précarité à laquelle sont exposés les apatrides et de la persistance de l’apatridie dans diverses régions du monde, le Comité exécutif du HCR n’a de cesse, dans ses nombreuses conclusions, d’exhorter les États à ratifier les Conventions de 1954 et de 1961[25]. Il a également consacré deux conclusions exclusivement au sujet de l’apatridie : la Conclusion no 78 (XLVI) de 1995 sur la prévention et la réduction des cas d’apatridie et la protection des apatrides, et la Conclusion no 106 (LVII) de 2006 sur l’identification, la prévention et la réduction des cas d’apatridie ainsi que la protection des apatrides. La conclusion no 106 du Comité exécutif couvre les quatre axes de la lutte contre l’apatridie engagée par le HCR, à savoir l’identification, la prévention et la réduction des cas d’apatridie ainsi que la protection des apatrides. Au titre de la protection des apatrides, le Comité exécutif invite les États à « envisager d’adhérer à la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et, pour les États parties, à envisager de lever leurs réserves » et les États qui ne sont pas encore parties à la Convention de 1954 à « traiter les apatrides résidant légalement sur leur territoire conformément aux droits humains universels, et à envisager, autant que faire se peut, de faciliter la naturalisation des apatrides y résidant de façon habituelle et légale conformément à la législation nationale ». Il demande en outre aux États « de ne pas détenir des apatrides du seul fait de leur apatridie et de les traiter conformément aux droits humains universels » et demande également aux États parties à la Convention de 1954 d’appliquer strictement ses dispositions.

6. Si le droit international pose clairement le principe selon lequel il relève de la souveraineté de chaque État de déterminer, en conformité avec son droit national, qui sont ses ressortissants, ce rôle est également régi par des principes internationaux. Dans son document intitulé Projet d’articles sur la nationalité des personnes physiques en relation avec la succession d’États, la Commission du droit international (ILC) a indiqué que « la compétence des États dans ce domaine ne peut s’exercer que dans les limites fixées par le droit international »[26]. La nationalité peut s’acquérir automatiquement de droit, à la naissance ou ultérieurement, ou sous l’effet d’un acte des autorités administratives. Les États disposent certes d’une certaine latitude pour définir les critères qui régissent l’acquisition de la nationalité, mais ces critères ne doivent pas être arbitraires. En particulier, il découle clairement du droit international des droits de l’homme que les États doivent s’abstenir de mettre en œuvre des politiques de la nationalité susceptibles de contribuer à créer ou à perpétuer des cas d’apatridie. Outre le droit à la nationalité, deux éléments essentiels du droit international des droits de l’homme présentent une pertinence particulière pour les questions de l’apatridie et de la protection des apatrides : le droit à une égale protection de la loi et le droit à la non-discrimination.

Le droit à la nationalité dans le droit européen des droits de l’homme

7. Ni la Convention ni ses Protocoles n’énoncent de droit à une nationalité. Le comité qui a rédigé le Protocole no 4 à la CEDH avait envisagé d’insérer une disposition précisant qu’« il serait interdit à l’État de priver un ressortissant de sa nationalité afin de pouvoir l’expulser »[27]. Bien que le principe qui présidait à cette proposition ait été approuvé par le Comité, la majorité des experts a estimé inopportun d’aborder la délicate question de la légitimité des privations de nationalité. Elle a constaté au surplus qu’il serait très difficile en fait de vérifier si, lorsqu’un État prive un ressortissant de sa nationalité et expulse ce dernier tout aussitôt après, la privation de nationalité est ou non inspirée par l’intention d’expulser la personne en question. En 1988, le comité d’experts du Conseil de l’Europe pour le développement des droits de l’homme a commencé à examiner le droit à une nationalité comme s’il s’agissait de l’un des droits de l’homme et à étudier la possibilité d’intégrer ce droit à la Convention européenne des droits de l’homme par le biais d’un protocole additionnel à la Convention. Cependant, les États n’étaient pas prêts à adopter un nouveau protocole sur le droit à une nationalité. En 1992, un comité d’experts sur la nationalité a lancé une étude de faisabilité dans l’optique de la rédaction d’une nouvelle convention portant exclusivement sur la nationalité.

C’est ainsi que la Convention européenne sur la nationalité a été adoptée en 1997[28].

Les principes énoncés à l’article 4 de la Convention européenne sur la nationalité, selon lesquels chaque individu a droit à une nationalité, l’apatridie doit être évitée et nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, revêtent une telle importance pour l’interaction sociale entre êtres humains dans une société démocratique qu’ils doivent être perçus comme des principes bien établis du droit international. Au-delà de l’existence d’éléments clairs et incontestés montrant une tendance continue dans le droit international général[29], ces principes font désormais partie du droit international coutumier[30].

Au regard des articles 4 et 7 §§ 1 et 3 de la Convention européenne sur la nationalité de 1997, disposant que l’apatridie doit être évitée, un État donné a l’obligation de faciliter l’acquisition de sa nationalité par les apatrides et doit s’abstenir de prévoir la perte de sa nationalité si la personne concernée devait de ce fait devenir apatride, sauf dans les cas d’acquisition de la nationalité de l’État partie à la suite d’une conduite frauduleuse, par fausse information ou par dissimulation d’un fait pertinent de la part du requérant[31]. Ce principe devrait être lu à la lumière de la Recommandation R (99) 18 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur la prévention et la réduction des cas d’apatridie, qui précise qu’un État ne devrait pas nécessairement priver de sa nationalité les personnes qui ont acquis cette nationalité à la suite d’une conduite frauduleuse, par fausse information ou par dissimulation d’un fait pertinent et qu’à cet effet, la gravité des faits ainsi que d’autres circonstances pertinentes telles que le lien véritable et effectif de ces personnes avec l’État concerné devraient être prises en considération[32]. Soucieux d’éviter et de réduire les cas d’apatridie, concernant en particulier les enfants, le Comité des ministres a adopté la Recommandation CM/Rec(2009)13 sur la nationalité des enfants. Il a été recommandé aux États membres de suivre dans l’élaboration de leur législation relative à la nationalité l’intégralité des principes contenus dans l’annexe à la recommandation.

8. Les organes de la Convention n’ont de cesse de répéter que ni la Convention ni ses protocoles ne garantissent un « droit à la nationalité » semblable à celui énoncé à l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, pas plus qu’ils ne garantissent un droit d’acquérir une nationalité donnée, ce qui les a conduits à déclarer les griefs relatifs à ce droit incompatibles ratione materiae[33]. Cela vaut aussi pour les non‑ressortissants et les apatrides qui ont été empêchés d’acquérir la nationalité d’un État dans le cas d’une succession d’États[34]. Cependant, dans l’affaire Karassev, la Cour n’a pas exclu « qu’un refus arbitraire de nationalité puisse, dans certaines conditions, poser un problème sous l’angle de l’article 8 de la Convention en raison de l’impact d’un tel refus sur la vie privée de l’intéressé »[35]. Rien n’indique que le principe susmentionné ne puisse s’appliquer à des affaires de déchéance ou de perte de nationalité ou au droit de renoncer à sa nationalité.

9. La question du refus arbitraire de la nationalité peut également se poser sous l’angle de l’article 3 du Protocole no 4, si le refus en cause a pour objectif de permettre à un État de contourner l’interdiction d’expulser ses ressortissants. Dans l’affaire Slivenko c. Lettonie[36], la Cour a été appelée à décider si l’expulsion de l’épouse et de la fille d’un militaire de l’armée russe en application du traité conclu par la Lettonie et la Russie sur le retrait des forces armées russes emportait violation de l’article 3 du Protocole no 4.

10. Enfin, il y a lieu d’indiquer que la Commission européenne des droits de l’homme n’a pas exclu que le refus de la nationalité pour des motifs liés à la race ou à l’origine ethnique puisse également constituer un traitement dégradant tel que défini à l’article 3 de la Convention[37].

11. En résumé, l’interdiction, désormais bien établie dans la jurisprudence de la Cour, du refus ou de la déchéance arbitraires de nationalité présuppose, en toute logique, l’existence d’un droit à la nationalité découlant de l’article 8 de la Convention, combiné avec l’article 3 du Protocole no 4[38].

De plus, une interprétation systémique de ces deux dispositions conformément aux normes édictées par le Conseil de l’Europe relativement à l’apatridie conduit à la conclusion que la nationalité constitue un élément central de l’identité de l’individu[39].

Bien que les questions de nationalité fussent traditionnellement considérées comme relevant de la compétence de chaque État, comme l’a établi l’article 1 de la Convention de la Haye de 1930 concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité et rappelé l’article 3 de la Convention européenne sur la nationalité, le droit international impose des limites au pouvoir discrétionnaire de chaque État. Aujourd’hui, on ne peut plus voir dans la réglementation des questions ayant une incidence sur la nationalité une compétence exclusive des États.

Étant donné le droit à une identité et à une nationalité découlant de l’article 8 de la Convention, les États parties sont tenues par deux obligations. À la lumière de l’interprétation de la Convention exposée ci‑dessus, eu égard aux conditions de l’époque actuelle, conformément au droit international et sans considération de la ratification ou non par l’État défendeur des traités internationaux pertinents susmentionnés[40], les États parties à la Convention sont tenus par l’obligation négative de ne pas déchoir une personne de sa nationalité si ladite personne deviendrait ainsi apatride, ainsi que par l’obligation positive d’accorder leur nationalité aux apatrides, du moins lorsque ceux-ci sont nés ou ont été trouvés (dans le cas de nouveau-nés trouvés) sur leur territoire respectif, ou lorsqu’ils sont nés de l’un de leurs ressortissants[41]. Dans une Europe civilisée, la création et la perpétuation de situations d’apatridie devrait être évitée à tout prix.

L’annulation du mariage en 1998

12. Le Gouvernement avance que le requérant devait prouver qu’il avait une vie privée et familiale au moment où les motifs ayant justifié sa déchéance de nationalité se sont matérialisés, à savoir le 16 janvier 1998[42]. Le requérant rétorque que le moment pertinent est celui de l’atteinte à son droit découlant de l’article 8, à savoir le 31 juillet 2007, date du décret ministériel prononçant sa déchéance de nationalité[43]. En tout état de cause, il argue avec insistance que son premier mariage n’était pas frauduleux et qu’il n’aurait pas fallu s’appuyer sur le jugement de 1998[44].

La majorité ne traite pas explicitement la question de la dimension temporelle de cette affaire, mais s’autorise implicitement plusieurs considérations qui établissent une corrélation entre les deux décisions, allant jusqu’à affirmer que « la situation dont le requérant tire grief est résultée du comportement frauduleux de ce dernier »[45].

13. Je trouve cette approche inopportune, puisque l’atteinte dans le chef du requérant au droit à la vie privée et familiale garanti par l’article 8 ne s’est matérialisée qu’avec l’adoption du décret ministériel privant celui-ci de sa nationalité. En tout état de cause, je nourris les plus sérieux doutes quant au bien-fondé juridique et logique de la décision d’annulation, tout simplement parce que des enfants naissent rarement des mariages de complaisance[46]. Lorsqu’une personne n’est pas sincèrement prête à accepter un compromis pour la vie entière, comme dans un mariage, mais ne conclut une relation maritale contractuelle que dans l’optique d’en tirer un avantage juridique, comme l’obtention de la nationalité, elle ne souhaite normalement pas qu’un enfant naisse de cette relation et qu’il instaure un lien pour la vie entre les deux parents concernés. La naissance d’un enfant dans le mariage témoigne très clairement de la sincérité du compromis auquel les partenaires ont consenti de leur plein gré. Aucun élément de nature à réfuter cette présomption n’a été fourni à la Cour.

Bien que le jugement du 19 janvier 1998 n’ait pas été contesté et soit devenu définitif, cela n’empêche pas la Cour de tirer toutes les conclusions logiques qui s’imposent aux fins d’apprécier la conduite qui fut celle des autorités nationales pendant la période qui s’est écoulée entre l’annulation du mariage et la date du décret qui a privé le requérant de sa nationalité.

La conduite des autorités nationales de 1998 à 2007

14. Le jugement de 1998 annulant le mariage a été inscrit au registre des mariages qui est conservé dans les archives du registre public, qui est une administration publique. Il apparaît donc évident que les autorités nationales ont forcément connaissance de la situation juridique du requérant depuis cette date, et qu’on ne peut pas reprocher à celui-ci de ne pas les avoir informées de l’annulation. L’argument avancé par le Gouvernement, selon lequel le service de la citoyenneté et des expatriés, les tribunaux et le registre public sont des autorités différentes[47] est manifestement dénué de fondement sous l’angle du droit international, puisqu’il s’agit d’entités qui relèvent toutes de l’État défendeur et qu’un défaut de communication entre elles pourrait engager la responsabilité internationale de celui-ci.

15. De plus, après le prononcé de la décision d’annulation, les autorités nationales ont mis plusieurs années à réagir. Du 19 janvier 1998, date du jugement d’annulation, au 8 mai 2006, date à laquelle il a été signifié au requérant qu’il allait être déchu de sa nationalité maltaise sur le fondement de ce jugement, le requérant a mené une vie normale sans être inquiété par les autorités nationales. Qui plus est, ses licences commerciales ont toujours été renouvelées[48]. La conduite qui a été celle des autorités nationales compétentes pendant plus de huit années a amené le requérant, comme elle aurait en fait amené toute personne raisonnable, à considérer qu’aucune menace ne pesait sur sa nationalité. Et en l’absence de pareille menace, le requérant pouvait sincèrement aspirer à créer une seconde famille à Malte, après l’échec de son premier mariage. Dès lors, on ne peut avancer, comme l’a fait le Gouvernement, que lorsque le requérant s’est marié pour la seconde fois, cette fois-ci à une ressortissante étrangère, il savait que la pérennité de sa nouvelle famille à Malte serait d’emblée précaire[49].

16. Lorsque le Gouvernement assure qu’en omettant d’informer les autorités nationales, le requérant a mis en évidence sa mauvaise foi, on pourrait lui rétorquer qu’en réalité, en prononçant sa déchéance de nationalité tant d’années après que la justice avait statué dans son affaire, les autorités nationales ont choisi de venire contra factum proprium, étant donné qu’elles avaient dans l’intervalle eu à maintes reprises un comportement tendant à confirmer la légalité du statut de ressortissant et d’homme d’affaires maltais du requérant. S’il convient de déplorer de la mauvaise foi en l’espèce, ce n’est certainement pas au requérant qu’il faut la reprocher, mais plutôt aux autorités nationales.

17. Le Gouvernement indique que pareille mesure se justifiait aux fins la protection de l’ordre public[50], argument qui n’aide pas beaucoup à comprendre la décision ministérielle, puisqu’il est impossible de saisir pourquoi le requérant, qui n’avait jamais constitué de menace pour l’ordre public pendant huit ans, aurait représenté pareille menace le 31 juillet 2007. Il y a également lieu de noter que la décision ministérielle de déchéance de nationalité prise en 2007 ne se fondait pas sur le casier judiciaire du requérant. Ce désintérêt pour ses antécédents judicaires est parfaitement logique puisque l’acte d’agression avait été perpétré en 1994 dans le contexte d’un épisode de violence domestique, qu’il n’a pas été suivi d’incidents similaires et qu’il n’a valu qu’une peine avec sursis au requérant, ce qui montre en définitive que le tribunal compétent n’a pas jugé l’infraction suffisamment grave pour justifier une peine d’emprisonnement, et qu’il a au contraire estimé que l’auteur de l’infraction était apte à mener une vie exempte de crime dans la société maltaise. Je trouve très regrettable, à tout le moins, que le gouvernement défendeur invoque aujourd’hui cet argument[51] alors que le ministre compétent lui-même n’a pas jugé nécessaire, ni même approprié, de le faire en 2007. En fait, comme cela sera démontré, le décret qu’il a pris était exempt de toute considération relative à l’ordre public.

La déchéance de nationalité du requérant en 2007 et ses conséquences

18. La déchéance de nationalité du requérant a été prononcée dans les termes suivants :

« DÉCRET DU VICE PREMIER-MINISTRE ET

MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES AFFAIRES INTÉRIEURES

En application du paragraphe 1) de l’article 14 de la loi sur la nationalité maltaise (chapitre 188), il est par la présente décidé que M. Louay Ramadan Wahba Mabrouk (titulaire de la carte d’identité maltaise no 438094M), fils de Ramadan Wahbah Mabrouk et Aziza Self El‑Batanony, né au Caire, en Égypte, le 17 juin 1964 et résidant actuellement au 14, appartement 3, Triq Barth, Hamrun, est déchu de sa nationalité maltaise, avec effet immédiat. »

Ce décret a été communiqué au requérant par la lettre suivante :

« Monsieur,

Eu égard à votre demande d’obtention de la nationalité maltaise et à votre enregistrement ultérieur en qualité de citoyen maltais le 19 avril 1994, nous vous informons par la présente que le vice Premier-ministre et ministre de la Justice et des Affaires intérieures, convaincu que ledit enregistrement a été obtenu par des moyens frauduleux, a pris en application du paragraphe 1) de l’article 14 de la loi sur la nationalité maltaise (chapitre 188) le décret qui est joint à la présente.

Vous êtes invité à vous présenter immédiatement dans les bureaux de ce ministère au sujet de votre statut d’étranger à Malte et à restituer votre certificat d’enregistrement de citoyen maltais (no 5735).

Nous vous prions, Monsieur, (...) »

19. La décision, prise le 31 juillet 2007, de priver le requérant de sa nationalité maltaise ne tenait pas compte du fait que l’intéressé n’avait pas conservé de lien avec son pays d’origine et avec sa famille en Égypte, qu’il vivait à Malte depuis plus de vingt ans, qu’il parlait maltais et qu’il était parfaitement intégré à la société maltaise, dont il avait adopté la culture, puisqu’il avait trois enfants de nationalité maltaise vivant à Malte. Cette décision ne tenait pas non plus compte du fait que cette décision allait faire du requérant un apatride, et qu’au moment où celui-ci avait demandé la nationalité maltaise, il avait préalablement été contraint de renoncer à sa nationalité égyptienne, ce qu’il avait fait car l’Égypte n’autorisait pas la double nationalité.

En résumé, la décision ministérielle n’a pas procédé à l’exercice de mise en balance opéré dans l’affaire Karassev. Comme le montre littéralement son libellé ainsi que la lettre de notification qui l’accompagne, ce décret résultait d’une application automatique de la disposition légale pertinente, à savoir l’article 14 § 1 de la loi sur la nationalité maltaise. Pourtant, le ministre devait être convaincu que la déchéance de nationalité servait l’intérêt général. La formulation négative de l’article 14 § 3 de cette même loi, selon lequel le ministre ne déchoit pas une personne de sa nationalité à moins d’être convaincu qu’il est contraire à l’intérêt général que ladite personne conserve sa nationalité maltaise, n’empêche pas de conclure que l’intérêt général devait être pris en compte dans la décision ministérielle. Cependant, cette question n’a pas été explicitement mentionnée dans le décret ministériel puisque, de manière assez paradoxale, l’article 19 de cette même loi n’impose même pas que la décision ministérielle soit motivée[52]. L’absence de motivation s’est en outre conjuguée au caractère confidentiel de la procédure décisionnelle. La recommandation finale adressée par la commission au ministre de la Justice et des Affaires intérieures n’a pas été communiquée au requérant et les nombreuses demandes déposées par les avocats de celui-ci afin d’obtenir une copie du procès-verbal de la procédure n’ont jamais abouti[53]. Pire encore, l’article 14 § 3 ne protège la position de l’apatride que dans le cas visé au paragraphe 2c, ce qui est manifestement insuffisant.

Une conclusion évidente découle de ce qui précède : dans le cas des décrets ministériels de ce type, les garanties procédurales offertes par le droit maltais sont très insuffisantes par comparaison avec ce que prévoient les textes internationaux relatifs à la protection des apatrides[54].

Ces graves lacunes de la procédure de déchéance de nationalité appellent une réforme urgente du droit mais remettent également en question l’équité et la proportionnalité de la mesure prise en l’espèce[55].

20. Non sans hésitation, la majorité concède que le requérant est actuellement apatride, que rien ne garantit que les autorités égyptiennes l’admettraient et qu’il n’est guère probable qu’il puisse être envoyé dans un autre pays[56]. Pareille situation juridique a déjà entraîné pour lui et sa famille de nombreuses conséquences pratiques négatives que les parties ne contestent pas : le requérant a notamment perdu son droit de séjour illimité et son droit de travailler à Malte, il s’est vu confisquer son passeport maltais et son épouse a été privée de son « statut de personne exemptée »[57].

21. Néanmoins, la majorité avance que le requérant n’est pas menacé d’être expulsé de Malte, que les deux fils qu’il a eus de son second mariage n’ont pas perdu leur nationalité maltaise et que les autorités nationales n’ont pas fait la moindre tentative pour les en déchoir[58]. Non contente d’inviter les autorités nationales à ne pas remettre en question la nationalité maltaise des deux fils que le requérant a eus de son second mariage et à ne pas menacer celui-ci d’expulsion, cette argumentation esquisse la suite des événements telle que l’envisage la majorité : le requérant pourrait demander un permis de travail, puis un titre de séjour, ce qui pourrait à terme lui permettre de recouvrer le droit à la nationalité[59]. Les obiter dicta de la majorité parlent haut et fort en faveur du gel de la situation juridique du requérant jusqu’à ce que Malte régularise le statut de celui-ci.

22. Je formule une réserve de principe concernant ce raisonnement alambiqué. Comme dans d’autres affaires, la Cour cède à la tentation d’un argumentum ad ignorantiam : l’incertitude entourant une expulsion future sert à justifier la privation actuelle d’un droit garanti par la Convention[60]. Même si le Gouvernement a littéralement jeté le requérant aux oubliettes et a mis en suspens toute sa vie privée, familiale et professionnelle, la chambre a fait preuve d’un degré de tolérance inadmissible à l’égard de cette situation d’incertitude juridique.

La nationalité constituant un élément central de l’identité d’une personne, l’appréciation d’une décision relative à l’acquisition, au changement, au refus ou à la déchéance de nationalité ne devrait pas dépendre du degré de probabilité d’une expulsion, et encore moins des spéculations de la Cour concernant ce risque et la confirmation ou au contraire le retrait d’un titre de séjour ou d’un permis de travail. Même si le travail et le lieu de résidence peuvent influer sur l’identité d’un individu, ils ne l’épuisent pas. Il en faut beaucoup plus que son lieu de résidence ou de travail pour déterminer l’identité d’un individu. La question quintessentielle de l’identité d’une personne ne devrait pas être tranchée sur la base d’une prévision de risques futurs incertains mais sur la relation que la personne en question a entretenue et entretient toujours avec l’État concerné et sa population.

23. Qui plus est, l’appréciation d’une décision relative à l’acquisition, au changement, au refus ou à la déchéance de nationalité ne devrait pas non plus se faire à l’aune de la vie familiale de la personne en question. Pour être liés en pratique, ces deux aspects juridiques n’en demeurent pas moins par essence très différents et il convient de se garder de les confondre. Cet amalgame de problématiques par essence différentes compromet une évaluation objective de l’affaire.

Par principe, le droit à la nationalité d’une personne dépourvue de famille ne mérite pas d’être moins protégé que le droit à la nationalité d’une personne qui a une famille[61].

Conclusion

24. Comme l’affirmait António Guterres, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, « l’apatridie est une grave violation des droits humains »[62]. Il est grand temps que la Cour reconnaisse explicitement que la nationalité occupe une place centrale dans l’identité d’une personne, laquelle est protégée par l’article 8 de la Convention. Il s’agit là d’un droit de l’homme autonome garanti par la Convention. Ce droit à la nationalité ne devrait ni être amalgamé avec le droit pour un étranger d’entrer, de résider ou de travailler dans un pays donné, ni avec le droit d’un étranger à la vie familiale. Le droit des États de décider qui sont leurs ressortissants n’est pas un droit absolu, car les États doivent honorer leurs obligations internationales au regard des droits de l’homme lorsqu’ils adoptent des pratiques ou des lois qui concernent la nationalité. À cet égard, trois droits se révèlent particulièrement pertinents : le droit à la nationalité, le droit à une protection égale de la loi et le droit à la non-discrimination. En particulier, tout refus ou toute déchéance de nationalité répondant à des motifs arbitraires ou discriminatoires sera contraire au droit international des droits de l’homme et à la Convention.

25. Compte tenu de ce qui précède, le décret de déchéance de nationalité pris par les autorités maltaises va à l’encontre non seulement du droit du requérant à une vie familiale, mais aussi de son droit à une nationalité, découlant de la Convention. Les graves insuffisances procédurales de la procédure de déchéance, par exemple le fait que le ministre n’a pas effectué de mise en balance motivée qui lui aurait permis de soupeser les droits individuels et les intérêts collectifs en jeu, ainsi que les conséquences négatives actuelles de la décision prise par celui-ci, révèlent bien davantage qu’une décision injuste et disproportionnée. Elles démontrent que Malte doit de toute urgence réformer sa procédure de déchéance de nationalité afin de consacrer ouvertement le principe élémentaire de l’interdiction de l’apatridie et de mettre en place les garanties procédurales nécessaires.

DÉCLARATION DE DISSENTIMENT DU JUGE ZUPANČIČ

Je regrette de ne pouvoir me rallier à la majorité qui a conclu à la non‑violation de l’article 8 de la Convention.

* * *

[1]. À des fins de précision terminologique, il y a lieu de noter que les notions de citoyenneté et de nationalité sont considérées comme équivalentes dans la présente opinion, conformément à la pratique en usage à la Cour et au Conseil de l’Europe. Comme précisé dans une note de bas de page du Rapport explicatif de la Convention européenne sur la nationalité : « La plupart des pays d’Europe centrale et orientale emploient le terme « citoyenneté », qui a la même signification que le terme « nationalité » employé dans la Convention européenne sur la nationalité et par la plupart des États d’Europe occidentale. » De plus, je conçois comme apatride « une personne qu'aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation », conformément à la définition donnée à l’article premier de la Convention de 1954 des Nations Unies relative au statut des apatrides. Cette définition, qui concerne les apatrides de jure, relève du droit international coutumier. Il n’existe à l’heure actuelle aucune définition commune d’un apatride de facto. Lors de la réunion d’experts de 2010 organisée par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) sur la notion d’apatride, les apatrides de facto ont été définis comme des « personnes qui se trouvent hors du pays dont elles ont la nationalité et qui ne peuvent ou, pour des raisons valables, ne veulent se prévaloir de la protection de ce pays ». Voir HCR, Principes directeurs relatifs à l'apatridie no 1 : Définition du terme « apatride » inscrite à l'Article 1 § 1 de la Convention de 1954 relative au statut des apatrides, HCR/GS/12/01, 20 février 2012, et « UNHCR and De Facto Statelessness », Hugh Massey, LPPR/2010/01, avril 2010.

[2]. Cette Convention a été ratifiée par 74 États, dont Malte.

[3]. Ce Pacte a été ratifié par 168 États, dont Malte. Concernant le droit à la nationalité considéré comme un droit de l’homme, voir la décision 2/111 (27 novembre 2006) et les résolutions 7/10 (27 mars 2008), 10/13 (26 mars 2009) et 13/2 (24 mars 2010) du Conseil des droits de l’homme, les résolutions 1998/48 (17 avril 1998), 1999/28 (26 avril 1999), 2005/45 (19 avril 2005) de la Commission des droits de l’homme et l’Observation générale no 17 du Comité des droits de l’homme : article 24 (droits de l’enfant), 7 avril 1989, §§ 7 et 8.

[4]. Cette Convention a été ratifiée par 189 États, dont Malte. Voir le paragraphe 6 du commentaire de l’article 9 formulé par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes dans sa recommandation générale no 21 sur l’égalité dans le mariage et les rapports familiaux (Equality in Marriage and Family Relations), 1994.

[5]. Cette Convention a été ratifiée par 48 États.

[6]. Cette Convention a été ratifiée par 196 États, dont Malte. La question de savoir quel État est responsable dans un cas donné d’apatridie a été tranchée par référence à la situation des enfants qui sont nés sur le territoire d’un État et qui seraient sinon apatrides (voir Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), « Je suis là, j’existe : l’urgente nécessité de mettre fin à l’apatridie », 3 novembre 2015, et I. Ziemele, « Article 7: The Right to Birth Registration, Name and Nationality and the Right to Know and Be Cared for by Parents », in Alen, A. et al. (eds.), A Commentary on the United Nations Convention on the Rights of the Child, Martinus Nijhoff Publishers, 2007). Dans son Observation générale no 7, § 25, son Observation générale no 9, §§ 35-36, et son Observation générale no 11, § 41, le Comité des droits de l’enfant accorde une grande importance à l’enregistrement des naissances comme moyen de prévenir l’apatridie des enfants.

[7]. Malte est un État participant de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Les États participants non seulement reconnaissent « que tout individu a droit à une nationalité et que personne ne devrait être privé arbitrairement de sa nationalité », mais ils s’engagent également « à poursuivre [leurs] efforts pour garantir que tout le monde puisse exercer ce droit » et à « contribuer à assurer la protection internationale des personnes apatrides ».

[8]. Cette Convention a été ratifiée par 164 États, dont Malte.

[9]. Cette Convention a été ratifiée par 22 États. Dans son avis consultatif OC-4/84 sur les propositions d’amendement concernant les dispositions de la Constitution du Costa Rica relatives à la naturalisation (Advisory Opinion on Proposed Amendments to the Naturalization Provision of the Constitution of Costa Rica), la Cour interaméricaine des droits de l'homme a dit le 19 janvier 1984 que deux aspects ressortaient de l’article 20 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme : « premièrement, le droit à une nationalité qui y est établi fournit à l’individu un minimum de protection juridique dans les relations internationales à travers le lien que la nationalité établit entre lui et l’État en question ; et, deuxièmement, la protection accordée à l’individu contre la privation arbitraire de la nationalité, sans laquelle il serait privé à toutes fins pratiques de l’ensemble de ses droits politiques ainsi que des droits civils liés à la nationalité ». Voir également les arrêts rendus par la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans les affaires Castillo Petruzzi et al., 30 mai 1999, § 101 et Ivcher Bronstein (Baruch Ivcher Bronstein vs. Peru), 6 février 2001, § 88, et en particulier, Yean and Bosico Girls v. the Dominican Republic, 8 septembre 2005, §§ 140-142, 154-158, Expelled Dominicans and Haitians v. Dominican Republic, 28 août 2014, §§ 253-264, ainsi que la Résolution de l’assemblée générale de l’Organisation des États américains sur la prévention et la réduction des cas d’apatridie et la protection des apatrides dans les Amériques, (AG/RES. 2826 (XLIV‑O/14), du 4 juin 2014.

[10]. Cette Convention a été ratifiée par 47 États. Voir l’Observation générale sur l’article 6 du Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant, CAEDBE/OG/02 (2014), adopté par le Comité pendant sa vingt-troisième Session ordinaire (07 - 16 avril 2014), et IHRDA et OSJI (au nom des enfants d’origine nubienne au Kenya) contre Kenya, Communication no 002/2009, 22 mars 2011. Comme le rappelle le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant dans son Observation générale sur l’article 6 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, « [e]n somme, être apatride pour un enfant est généralement l’antithèse de l’intérêt supérieur de l’enfant ».

[11]. Cette Convention a été ratifiée par 4 États.

[12]. Cette Convention a été ratifiée par 36 États.

[13]. Il n’existe aucune information officielle sur l’état de ratification du Pacte.

[14]. Cette Convention a été ratifiée par 13 États.

[15]. Cette Convention a été ratifiée par 177 États, dont Malte. Voir les paragraphes 13-17 de la recommandation générale XXX (2004) du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) concernant la discrimination contre les non-ressortissants, 1er octobre 2002.

[16]. Dans l’affaire Borzov c. Estonie, Communication no 1136/2002, 26 juillet 2004, le Comité des droits de l’homme a estimé que le refus, motivé par les autorités estoniennes par des raisons de sécurité nationale, d’accorder la nationalité à l’auteur qui se disait apatride n’emportait pas violation de l’article 26 du Pacte. L’intéressé était titulaire d’un titre de séjour et continuait de percevoir sa pension pendant qu’il vivait en Estonie. Dans cette décision, l’accent a été mis sur le fait que la requête de l’auteur avait dûment été examinée par les juridictions nationales. Dans l’affaire Stewart c. Canada, Communication no 538/1993, 1er novembre 1996, le Comité a dit que « [l]e libellé du paragraphe 4 de l'article 12 se prête à une interprétation plus large et ses dispositions pourraient viser d'autres catégories de résidents de longue durée, en particulier les apatrides qui ont été privés arbitrairement du droit d'acquérir la nationalité de leur pays de résidence. » Cette même interprétation a été confirmée au paragraphe 20 de l’Observation générale no 27 : article 12 (liberté de circulation), 2 novembre 1999, CCPR/C/21/Rev.1/Add.9. Concernant l’obligation incombant aux États parties, en vertu de l’article 23 § 4, de veiller à ce que le régime matrimonial prévoie les mêmes droits et obligations pour les deux époux s’agissant de la capacité de transmettre à l’enfant sa nationalité et à ce qu’aucune discrimination fondée sur le sexe ne soit exercée en ce qui concerne l’acquisition ou la perte de la nationalité en raison du mariage, voir le paragraphe 25 de l’Observation générale no 28 : article 3 (Égalité des droits entre hommes et femmes), 29 mars 2000, CCPR/C/21/Rev.1/Add.10.

[17]. Cette Convention a été ratifiée par 53 États. Voir Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Malawi African Association, Amnesty International, Ms Sarr Diop, Collectif des Veuves et Ayant-droit et Association Mauritanienne des droits de l’homme c. Mauritanie, nos 54/91, 61/91, 98/93,164/97 – 196/97 et 210/98, 11 mai 2000, § 126, et John K. Modise c. Botswana (no 97/93) (2000), 6 novembre 2000, § 88.

[18]. Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Droits de l’homme et privation arbitraire de la nationalité : Rapport du Secrétaire général, 14 décembre 2009, A/HRC/13/34, para. 21, p. 6.

[19]. Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Impact de la privation arbitraire de nationalité sur la jouissance des droits des enfants concernés, et lois et pratiques en vigueur permettant aux enfants qui, autrement, seraient apatrides d’acquérir la nationalité, entre autres, du pays dans lequel ils sont nés, 16 décembre 2015, A/HRC/31/29, para. 27.

[20]. Cette Convention a été ratifiée par 88 États, au rang desquels Malte ne figure pas.

[21]. Cette Convention a été ratifiée par 67 États, au rang desquels Malte ne figure pas.

[22]. Par exemple, la résolution 61/137 adoptée par l’Assemblée générale le 25 janvier 2007.

[23]. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), « Principes directeurs relatifs à l’apatridie n° 1 : Définition du terme « apatride » inscrite à l’article 1 § 1 de la Convention de 1954 relative au statut des apatrides », précitée ; « Principes directeurs relatifs à l’apatridie n° 2 : Principes directeurs relatifs aux procédures permettant de déterminer si une personne est un apatride », HCR/GS/12/02, 5 avril 2012 ; « Principes directeurs relatifs à l’apatridie n° 3 : Statut des apatrides au niveau national », 17 juillet 2012, HCR/GS/12/03 ; « Principes directeurs relatifs à l’apatridie n° 4 : Garantir le droit de tout enfant d’acquérir une nationalité en vertu des articles 1 à 4 de la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie », HCR/GS/12/04, 21 décembre 2012. Guide de 2013 du Réseau européen sur l’apatridie (ENS) consacré aux « bonnes pratiques » en matière d’identification et de protection des apatrides intitulé « Statelessness, determination and the protection status of stateless persons ».

[24]. Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, « Impact de la privation arbitraire de nationalité », précité, paras. 10 à 15.

[25]. Pour une sélection d’extraits pertinents, voir les Conclusions du Comité exécutif du HCR relatives à l’apatridie, juillet 2010.

[26]. Annuaire de la Commission du droit international, 1999, vol. II(2), p. 25.

[27]. Rapport explicatif du Protocole no 4, § 23.

[28]. Le rapport explicatif de la Convention indique que « (b)ien que la CEDH et ses protocoles ne contiennent, hormis l’article 3 du Protocole no 4 (interdiction d’expulser ses ressortissants), aucune disposition qui se réfère directement à des questions de nationalité, certaines dispositions peuvent s’appliquer aussi à des questions liées à la nationalité (…) Les personnes qui ont leur vie de famille dans un certain pays, par exemple si elles y habitent depuis de nombreuses années avec leur famille, même si elles n’ont pas pu obtenir la nationalité de ce pays, peuvent avoir le droit d’y rester si elles peuvent démontrer qu’elles ont droit au respect de la vie familiale conformément à l’article 8 de la CEDH. Ce droit est particulièrement important lorsqu’à la suite d’une succession d’États un grand nombre de personnes n’ont pas acquis la nationalité de l’État dans lequel elles résident. En ce qui concerne l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants (article 3 de la CEDH), des actes qui diminuent le statut, la position ou la réputation d’un ressortissant ou d’un étranger et qui visent à discréditer ou à humilier peuvent constituer une violation de l’article 3. L’article 3 du Protocole n° 4 à la CEDH prévoit le droit pour les nationaux d’entrer sur le territoire de l’État dont ils sont les ressortissants et de ne pas en être expulsés. En outre, l’article 4 du même protocole interdit les expulsions collectives d’étrangers. »

[29]. L’« existence d'éléments clairs et incontestés montrant une tendance internationale continue » a constitué le critère pertinent utilisé par la Cour dans l'arrêt Christine Goodwin c. Royaume-Uni ([GC], no 28957/95, § 85, CEDH 2002‑VI). Au paragraphe 29 du rapport explicatif de la Convention européenne sur la nationalité, il est indiqué que « [a]vec le développement de la branche du droit relative aux droits de l’homme depuis la seconde guerre mondiale, il est de plus en plus largement admis que le pouvoir discrétionnaire dont disposent les États en la matière doit aussi tenir compte des droits fondamentaux des individus ».

[30]. Article 33 du rapport explicatif de la Convention européenne sur la nationalité.

[31]. STE no 166. La Convention a été ratifiée par 20 États. Malte l’a signée mais pas encore ratifiée.

[32]. Il importe de rappeler la position prise par la Cour de justice de l’Union européenne dans l'arrêt Rottman c. Freistaat Bayern, 2 mars 2010, §§ 55, 56 et 59, dans lequel elle concluait que « [l]e droit de l’Union, notamment l’article 17 CE, ne s’oppose pas à ce qu’un État membre retire à un citoyen de l’Union européenne la nationalité de cet État membre acquise par naturalisation lorsque celle-ci a été obtenue de manière frauduleuse à condition que cette décision de retrait respecte le principe de proportionnalité. »

[33]. X c. Autriche, no 5212/71, décision de la Commission du 5 octobre 1972, Décisions et rapports 43, p. 69, Famille K. et W. c. Pays-Bas, no 11278/84, décision de la Commission du 1er juillet 1985, DR 43, p. 216, et Poenaru c. Roumanie (déc.), no 51864/99, 13 novembre 2001.

[34]. Voir, par exemple, Fedorova et autres c. Lettonie (déc.), no 69405/01, 9 octobre 2003.

[35]. Voir Karassev c. Finlande (déc.), no 31414/96, CEDH 1999‑II, et la jurisprudence mentionnée au paragraphe 61 du présent arrêt, de même que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Malte (Tarek Mohammed Ibrahim v. Vici Prim Ministru, décision du 28 mai 2012). M. Karassev est né en Finlande, de parents qui étaient le jour de sa naissance des ressortissants de la Fédération de Russie. La Cour a conclu que la décision des autorités finlandaises de ne pas reconnaître au requérant la nationalité finlandaise n’était pas arbitraire et n’était donc pas susceptible de soulever des questions sous l’angle de l’article 8 de la Convention. Concernant les conséquences du refus de considérer le requérant comme ressortissant finlandais, la Cour a observé que l’intéressé n’était pas menacé d’expulsion de Finlande, que ce fût seul ou avec ses parents. Ceux-ci avaient des autorisations de séjour et des documents analogues pouvaient être délivrés au requérant à leur demande. L’intéressé bénéficiait également de prestations sociales et d’avantages similaires en Finlande. Dans ce contexte, la Cour a estimé que les conséquences du refus de lui reconnaître la nationalité finlandaise, vues isolément ou combinées avec le refus lui-même, ne pouvaient pas être considérées comme suffisamment graves pour poser un problème sous l’angle de l’article 8 de la Convention. La requête a donc été déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement.

[36]. Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, CEDH 2003‑X.

[37]. Slepcik c. Pays-Bas et République tchèque (déc.), no 30913/96, 2 septembre 1996.

[38]. La Cour interaméricaine des droits de l'homme est parvenue à une conclusion identique. Dans un avis consultatif rendu en 1984, elle a affirmé que le droit à la nationalité était un droit inhérent à l’homme, reconnu par le droit international, et que les pouvoirs des États en matière de nationalité étaient circonscrits par l’obligation qui leur incombe d’assurer pleinement la protection des droits de l’homme (propositions d’amendement concernant les dispositions de la Constitution du Costa Rica relatives à la naturalisation, précité). Voir, entre autres, Ludovic Hennebel et Hélène Tigroudja, Traité de droit international des droits de l’homme, Paris, 2016, pp. 1181-1187 ; Alessandra Annoni et Serena Follati (éds.), The changing role of nationality in international law, Londres, 2013 ; Societé Française de Droit International, Droit international et nationalité, Paris, 2012 ; Emmanuel Decaux, « Le droit à une nationalité en tant que droit de l’homme », in Revue trimestrielle des droits de l’homme, 89/2011 ; Mark Manly et Laura Van Waas, « The value of the human security framework in addressing statelessness », in Alice Edwards et Carla Ferstman (éds.), Human Security and Non-citizens, Law, Policy and International affairs, Cambridge University Press, 2009, pp 549-81 ; Katherine Southwick et M. Lynch, « Nationality Rights for All, a progress report and global survey on statelessness », in Refugees International, mars 2009 ; Eva Ersboll, « The Right to a Nationality and the European Convention on Human Rights », in Human Rights in Turmoil. Facing Threats, Consolidating Achievements, Martinus Nijhoff Publishers, Leiden, 2007 ; et Ineta Ziemele, State Continuity and Nationality: The Baltic States and Russia. Past, Present and Future as Defined by International Law, Martinus Nijhoff Publishers, Leiden, Boston 2005.

[39]. À cet égard, il y a lieu de préciser que la Cour a récemment dit que l’identité ethnique d’un individu devait aussi être considérée comme un élément important de sa vie privée et de son identité, au même titre que des aspects tels que le nom, le sexe, la religion et l’orientation sexuelle (S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 66, CEDH 2008, et Ciubotaru c. Moldova, no 27138/04, § 53, 27 avril 2010). Elle a également établi que l’article 8 couvrait de nombreux aspects de l’identité physique et sociale d’une personne, comme la reconnaissance de l’état civil d’un individu (l’enregistrement du mariage dans l’affaire Dadouch c. Malte, no 38816/07, § 48, 20 juillet 2010, et le refus de la nationalité dans l’affaire Genovese c. Malte, no 53124/09, §§ 30 et 33, 11 octobre 2011).

[40]. Il convient de répéter haut et fort le message de l’arrêt Genovese, précité, § 44 : « La Cour rappelle à cet égard que dans la recherche de dénominateurs communs parmi les normes de droit international, elle n’a jamais distingué entre les sources de droit selon qu’elles avaient ou non été signées et ratifiées par le gouvernement défendeur (Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, § 78, CEDH 2008). »

[41]. L’obligation faite aux États d’accorder leur nationalité aux enfants nés sur leur territoire et qui, autrement, seraient apatrides est également énoncée à l’article 1 de la Convention sur la réduction des cas d'apatridie, à l’article 20 § 2 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, à l’article 6 § 4 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, à l’article 7 du Pacte des droits de l'enfant dans l'Islam et à l’article 6 § 2 de la Convention européenne sur la nationalité. Des dispositions analogues contenues dans l’article 2 de la Convention sur la réduction des cas d'apatridie, l’article 7 § 3 du Pacte des droits de l'enfant dans l'Islam et l’article 6 § 1b de la Convention européenne sur la nationalité garantissent aussi le droit à une nationalité aux enfants nés de parents inconnus.

[42]. Paragraphe 80 de l’arrêt.

[43]. Paragraphe 68 de l’arrêt.

[44]. Paragraphe 66 de l’arrêt.

[45]. Paragraphe 89 de l’arrêt.

[46]. À ce stade, il pourrait également se révéler pertinent de prendre en compte le rapport établi par le psychologue, lequel relève l’anxiété du requérant au moment où celui-ci avait des problèmes conjugaux. La majorité ne cite aucune raison justifiant d’écarter ce rapport.

[47]. Paragraphe 82 de l’arrêt.

[48]. Paragraphe 79 de l’arrêt. Au paragraphe 88, la majorité affirme qu’à supposer qu’il y ait eu un retard, celui-ci n’a pas pénalisé le requérant, qui a continué de tirer parti de la situation. Or ce retard en lui-même ainsi que les avantages concomitants qu’il a entraînés pour le requérant ont également eu pour effet de renforcer les espoirs que celui-ci nourrissait sur le plan juridique, ce dont la majorité ne tient nullement compte.

[49]. Je ne puis donc me joindre à la majorité lorsqu’elle décèle « chez le requérant une tendance à l’inaction » (paragraphe 93 de l’arrêt). Si inaction il y a eu, c’est certainement de la part des autorités maltaises. Le Gouvernement ne peut pas imputer sa propre lenteur au requérant.

[50]. Paragraphe 78 de l’arrêt.

[51]. Ibidem.

[52]. Le caractère automatique la décision ministérielle, laquelle fait l’impasse sur la mise en balance des facteurs pertinents, transparaît très clairement aux paragraphes 23 et 24 de l’arrêt.

[53]. Paragraphe 22 de l’arrêt.

[54]. Comparer avec le document du HCR intitulé « Principes directeurs relatifs à l’apatridie n° 2 : Principes directeurs relatifs aux procédures permettant de déterminer si une personne est un apatride », précité, et l’excellent guide du Réseau européen sur l'apatridie (European Network on Statelessness, ENS) relatifs aux bonnes pratiques en matière d’identification et de protection des apatrides intitulé « Statelessness, determination and the protection status of stateless persons », 2013.

[55]. Je ne puis donc me rallier à la conclusion qu’expose la majorité à la fin du paragraphe 87. Il y a lieu de rappeler que conformément à l’article 17 du projet d’articles sur la nationalité des personnes physiques en relation avec la succession d’États de la Commission du droit international (ILC), (précité), les décisions relatives à l’acquisition, à la conservation de la nationalité ou à la renonciation à celle-ci sont signifiées par écrit et peuvent faire l’objet d’un recours administratif ou judiciaire effectif. L’ILC indique également dans son commentaire sur le projet d’articles que ce contrôle peut être exercé par une juridiction compétente de caractère administratif ou judiciaire conformément au droit interne de chaque État. L’ILC précise que l’adjectif « effectif » est censé souligner le fait qu’il doit être ménagé une possibilité d’autoriser un examen effectif des questions de fond pertinentes, ce qui requiert de motiver toute décision négative relative à la nationalité. La Convention européenne sur la nationalité contient elle aussi des normes procédurales importantes sur la déchéance de nationalité, par exemple la nécessité que les décisions soient motivées par écrit (article 11) et puissent faire l'objet d'un recours administratif ou judiciaire conformément au droit interne (article 12). Le droit au contrôle d’une décision de déchéance de nationalité est également garanti par l’article 8 § 4 de la Convention sur la réduction des cas d'apatridie et par l’article 8 § 2 de la Convention relative aux droits de l'enfant.

[56]. Paragraphe 56 de l’arrêt. Il existe une incohérence manifeste entre ce paragraphe et le paragraphe 92.

[57]. Comme l’indique le requérant lui-même dans sa requête, lui et sa famille vivent dans la terreur constante que le Gouvernement n’engage une démarche pour les expulser du pays. De plus, cette situation entraîne également pour lui un préjudice financier car son travail s’en trouve gravement affecté. Il effectuait autrefois de nombreux déplacements professionnels à l’étranger mais ne peut plus désormais voyager aussi librement, car il n’est pas certain qu’une fois sorti du pays, il sera autorisé à y rentrer librement. Par ailleurs, on ne peut pas attendre de la famille du requérant, qui compte deux enfants de nationalité maltaise, qu’elle abandonne son pays d’origine et qu’elle quitte Malte pour s’installer à l’étranger pour la simple raison que le père a été déchu de sa nationalité maltaise.

[58]. Paragraphe 90 de l’arrêt. Dans l’affaire Hendrick Winata et Mme Li So Lan et leur fils, Barry Winata c. Australie, Communication no 930/2000, 26 juillet 2001, le Comité des droits de l’homme a dit que la décision de l’État partie d'expulser deux parents et d'obliger la famille à choisir entre laisser un enfant [mineur qui est ressortissant de cet État] seul (…) ou le prendre avec eux, doit être considérée comme une « immixtion » dans la famille.

[59]. Paragraphe 91 de l’arrêt.

[60]. La Cour a occasionnellement recouru à cet argument fallacieux : voir mes opinions séparées dans les affaires Biao c. Danemark [GC], no 38590/10, CEDH 2016, Chiragov et autres c. Arménie [GC], no 13216/05, CEDH 2015, et S.J. c. Belgique (radiation) [GC], no 70055/10, 19 mars 2015.

[61]. Ou, pour reprendre les mots employés par la Cour elle-même dans Genovese (précité, §§ 30 et 33) : « même en l’absence d’une vie de famille, le refus de la nationalité peut soulever un problème sous l’angle de l’article 8 du fait de son impact sur la vie privée d’une personne, notion suffisamment large pour englober les aspects de l’identité sociale d’une personne. Si le droit à la nationalité ne constitue pas en lui-même un droit garanti par la Convention et si, en l’espèce, le refus de ce droit n’était pas en lui-même de nature à donner lieu à une violation de l’article 8, la Cour considère que son impact sur l’identité sociale du requérant était tel qu’il faisait entrer ce refus dans le champ d’application général de cet article et le faisait tomber sous l’empire de celui-ci. »

[62]. « Plan d’action global 2014-24 visant à mettre fin à l’apatridie ».


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-164501
Date de la décision : 21/06/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie privée)

Parties
Demandeurs : RAMADAN
Défendeurs : MALTE [Extraits]

Composition du Tribunal
Avocat(s) : REFALO I. ; GRECH S.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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