La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/05/2016 | CEDH | N°001-163342

CEDH | CEDH, AFFAIRE OLGA NAZARENKO c. RUSSIE, 2016, 001-163342


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE OLGA NAZARENKO c. RUSSIE

(Requête no 3189/07)

ARRÊT

STRASBOURG

31 mai 2016

DÉFINITIF

31/08/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Olga Nazarenko c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanov

a,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE OLGA NAZARENKO c. RUSSIE

(Requête no 3189/07)

ARRÊT

STRASBOURG

31 mai 2016

DÉFINITIF

31/08/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Olga Nazarenko c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 mai 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 3189/07) dirigée contre la Fédération de Russie et dont une ressortissante de cet État, Mme Olga Grigoryevna Nazarenko (« la requérante »), a saisi la Cour le 20 novembre 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matiouchkine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3. La requérante allègue en particulier que son droit à un procès équitable a été méconnu.

4. Le 18 février 2013, le grief susmentionné a été communiqué au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1954 et réside à Orekhovo-Zouïevo (région de Moscou).

A. Le licenciement de la requérante et l’action en justice correspondante

1. La situation géographique

6. La région de Sakhaline est une région frontalière située sur l’archipel des Kouriles, baigné par l’océan Pacifique, qui comprend les îles Kouriles, au sud desquelles est située la frontière entre la Russie et le Japon.

7. La chaîne des îles Kouriles comprend plusieurs îles, dont celle de Shikotan – lieu de résidence de la requérante (village de Malokurilskoïe) – et celle de Kounashir – lieu du siège du tribunal de district de Youjno‑Kurilski. Ces deux îles sont séparées par un détroit large de cinquante milles marins. La liaison entre ces îles est assurée par le transport maritime civil, notamment par le ferry, ainsi que par le transport militaire (garde-frontière).

2. La procédure civile relative au licenciement de la requérante

8. Le 13 mars 2006, la requérante fut licenciée de l’école publique secondaire où elle enseignait pour faute disciplinaire : il lui était reproché d’avoir fait usage de la violence à l’égard d’un élève. L’intéressée intenta, à l’encontre de son ancien employeur, une action judiciaire visant à sa réintégration dans son poste d’enseignante.

9. Le 14 avril 2006, la greffière du tribunal de district remit à la requérante une décision avant dire droit datée du 6 avril 2006 fixant l’audience préliminaire au 13 avril 2006 et, en même temps, elle informa l’intéressée que le tribunal de district tiendrait une audience foraine sur l’île de Shikotan. Cette décision n’a pas été versée au dossier constitué devant la Cour, car, selon les informations fournies par le Gouvernement, tous les documents concernant la présente affaire ont été détruits par le tribunal le 4 octobre 2012.

10. Le 20 avril 2006, la requérante reçut un télégramme par lequel le tribunal l’informait que l’audience avait été reportée au 6 mai 2006, sans toutefois préciser en quel lieu.

11. Le 4 mai 2006, n’ayant pas reçu les mémoires du défendeur, la requérante téléphona au tribunal pour demander leur envoi, ainsi que pour savoir où se tiendrait l’audience. Le greffe l’informa verbalement que celle‑ci aurait lieu sur l’île de Kounashir et que les documents lui seraient envoyés dans les meilleurs délais.

12. Le même jour, la requérante, qui aurait appris qu’il n’y aurait pas de ferry entre les deux îles susmentionnées dans les jours suivants, envoya un télégramme au tribunal pour lui demander le report de l’audience au motif d’une absence de transport.

13. Le 6 mai 2006, le tribunal tint audience en présence de la représentante du défendeur, Mme S., mais en l’absence de la requérante. Tout d’abord, le tribunal rejeta la demande de celle-ci visant au report de l’audience car, à ses yeux, le fait que Mme S. était arrivée au palais de justice contredisait l’allégation de la requérante quant à une non‑circulation des transports entre les deux îles.

14. Ensuite, le tribunal se prononça sur le fond de l’affaire. Pour cela, il entendit la représentante du défendeur et le procureur, lequel avait conclu à un défaut manifeste de fondement de la demande.

15. De même, le tribunal examina le dossier de l’enquête interne menée à l’école à la suite de l’incident. Ce dossier comprenait une plainte des parents de l’élève qui aurait été brutalisé, des témoignages d’autres élèves présents dans la classe au moment de l’incident, ainsi qu’une explication de la requérante contestant les allégations portées à son encontre.

16. À l’issue de l’audience, le tribunal prononça une décision déboutant la requérante de son action. Il estimait que les documents qu’il avait examinés étaient suffisamment clairs, cohérents et concordants avec la thèse des élèves et du personnel de l’école. En outre, il notait que ces documents n’avaient pas été contestés par la requérante.

17. Le 17 mai 2006, le tribunal envoya par la poste le mémoire du défendeur à la requérante, que celle-ci reçut le 30 mai 2006.

18. Entretemps, le 13 mai 2006, la requérante s’était pourvue en cassation, se plaignant d’une rupture du principe de l’égalité des armes. Elle alléguait que son absence à l’audience s’expliquait par une non-circulation des transports en commun. Elle arguait également que le mémoire de la partie défenderesse ne lui était pas parvenu avant le déroulement de l’audience.

19. Le 20 juin 2006, statuant en l’absence de la requérante, la cour régionale de Sakhaline (« la cour régionale ») confirma, en cassation, la décision attaquée. En ce qui concernait l’absence de la requérante à l’audience du tribunal de district, la cour régionale estimait que l’intéressée n’avait pas présenté de preuves suffisantes à l’appui de son argument fondé sur une non-circulation des transports. Selon elle, cet argument était réfuté par le fait que Mme S., qui résidait au même endroit que la requérante, était bien arrivée à ladite audience en temps voulu. La cour régionale ne relevait par ailleurs aucun motif justifiant l’annulation du jugement attaqué.

3. Les plaintes de la requérante relatives à l’organisation du tribunal de district

20. La requérante porta plainte devant les juridictions du district de Youjno‑Kurilski et de la région de Sakhaline pour dénoncer des dysfonctionnements dans l’organisation du tribunal de district.

21. Par des lettres datées du 14 août 2006 et du 10 janvier 2007, la présidente de la cour régionale informa la requérante que le tribunal de district était situé dans le village de Youjno‑Kurilsk et que des audiences foraines étaient organisées sur l’île de Shikotan afin d’assurer l’accès des justiciables à la justice. D’après elle, ces audiences se déroulaient tous les mois depuis avril 2006. Par ailleurs, dans une lettre du 17 août 2007, la présidente de la cour régionale indiqua ce qui suit :

« (...) compte tenu des conditions climatiques, de l’absence de transports réguliers avec l’île de Shikotan et d’autres circonstances, il n’y a pas toujours de possibilité effective d’organiser des audiences foraines. En outre, les textes législatifs en vigueur ne prévoient pas [l’obligation] de tenir des audiences foraines pour examiner les affaires dont les [parties] résident dans des lieux éloignés. »

B. Les autres procédures judiciaires

22. La requérante faisait partie d’un certain nombre de litiges civils concernant le recouvrement de sommes en dépôt dans une banque privée et d’arriérés de salaires, ainsi que la perception de dommages et intérêts. Elle ne fut pas présente lors des audiences des tribunaux pour diverses raisons.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

23. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure civile relatives à la comparution devant les tribunaux sont exposées dans l’arrêt Yevdokimov et autres c. Russie (nos 27236/05 et 10 autres, § 9, 16 février 2016).

24. Selon l’article 71 § 3 dudit code, une copie des preuves écrites présentées par une partie doit être envoyée à toutes les autres parties à la procédure.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

25. La requérante allègue que son droit à un procès équitable a été méconnu au motif que son action civile a été examinée en son absence et en la présence de la partie défenderesse. Elle reproche aux autorités judiciaires nationales de l’avoir privée de la possibilité de présenter sa cause dans des conditions égales à celles offertes à son adversaire : il lui aurait été impossible d’être représentée ou de présenter sa cause en personne. La requérante invoque à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention qui, dans sa partie pertinente en l’espèce, est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Thèses des parties

26. Le Gouvernement conteste cette thèse. En premier lieu, il affirme que le dossier relatif à l’infraction disciplinaire ayant abouti au licenciement de la requérante a été porté à la connaissance de cette dernière au moment de la procédure disciplinaire. Il indique que les éléments contenus dans ce dossier disciplinaire ont ensuite été repris dans la décision du tribunal et que celui‑ci a également été porté à la connaissance de la requérante.

27. En second lieu, se référant à l’arrêt Moumladze c. Géorgie (no 30097/03, § 62, 8 janvier 2008), le Gouvernement soutient que la requérante avait la possibilité de prendre connaissance du dossier constitué par le défendeur devant le tribunal bien avant l’audience du 6 mai 2006, ce qu’elle aurait omis de faire. Il indique aussi que les témoins n’avaient pas été entendus car aucune demande tendant à leur comparution n’avait été formulée. En outre, se référant à l’arrêt Kukkonen c. Finlande (no 57793/00, §§ 22-26, 7 juin 2007), le Gouvernement affirme que seule l’impossibilité de prendre connaissance de documents fondamentaux porte atteinte à l’article 6 de la Convention.

28. S’agissant des possibilités de bénéficier de l’assistance juridictionnelle, le Gouvernement affirme que six avocats exerçaient au sein du barreau régional à l’époque des faits. Ainsi, selon lui, la requérante était libre d’engager un avocat aux fins de sa représentation.

29. Ensuite, le Gouvernement, qui indique qu’il n’y avait pas eu d’audience préliminaire en l’espèce, estime que la tenue de celle-ci ne s’imposait pas au tribunal de district au motif que la fixation d’une telle audience était une prérogative des tribunaux.

30. Enfin, en ce qui concerne l’absence de la requérante à l’audience du tribunal du 6 mai 2006, le Gouvernement affirme que les transports en commun (ferry) circulaient conformément aux horaires prévus. Il est d’avis que la présence de la représentante de la partie adverse permettait de réfuter l’argument de la requérante. À cet effet, le Gouvernement a versé au dossier les horaires des transports en commun – selon lesquels un ferry devait arriver à Kounashir à 18 heures et quitter l’île à 22 heures –, ainsi que le livre de bord du bateau où figurait le passage de celui-ci entre le village de Malokurilskoïe (Shikotan) et la ville de Youjno‑Kurilsk (Kounashir) le 6 mai 2006. Le Gouvernement conclut ainsi que le principe de l’égalité des armes n’a pas été méconnu.

31. La requérante soutient que le principe de l’égalité des armes a été méconnu à son égard puisqu’elle n’avait pas été en mesure de présenter sa cause dans les mêmes conditions que le défendeur. Elle allègue en premier lieu qu’il lui était impossible de prendre connaissance des observations présentées par la partie adverse avant l’audience du tribunal, et ce en raison d’une méconnaissance de l’article 71 § 3 du code de procédure civile qui dispose que les copies des preuves écrites présentées par une partie doivent être envoyées aux autres parties. Selon la requérante, cette obligation n’avait pas été remplie, et elle a ainsi été empêchée de formuler des observations sur les documents présentés par le défendeur. De même, l’intéressée aurait été privée de la possibilité de demander la convocation des témoins et d’interroger ceux-ci.

32. En second lieu, la requérante soutient qu’elle n’était pas en mesure de bénéficier de l’assistance d’un avocat, en raison des tarifs pratiqués par la profession, qu’elle qualifie de prohibitifs. En effet, elle affirme que le coût d’une représentation d’après les tarifs officiels du barreau régional équivaut à cinq fois son salaire mensuel.

33. S’agissant de la possibilité pour elle de présenter sa cause en personne, la requérante argue que les transports en commun étaient inaccessibles. Elle affirme ainsi que, le jour de l’audience, le ferry n’avait pas circulé. À l’appui de ses dires, elle fournit un certificat signé par le comptable de la compagnie de transport maritime.

34. La requérante soutient que la circulation du ferry – le seul moyen de transport qui lui aurait été accessible – avait été annulée le jour de l’audience en raison de conditions météorologiques empêchant la navigation. Elle indique que Mme S. a fait usage d’un moyen de transport personnel (à savoir un bateau de pêcheur). Elle ajoute que les militaires et les pêcheurs refusent systématiquement de prendre des passagers civils à bord et que, par conséquent, elle-même n’aurait pas pu bénéficier d’un tel moyen.

35. À l’appui de sa thèse, la requérante cite la lettre de la présidente de la cour régionale datée du 17 août 2007 (paragraphe 21 ci‑dessus), selon laquelle il n’y avait pas toujours de possibilité effective d’organiser des audiences foraines, prévues tous les mois sur l’île de Shikotan depuis avril 2006, en raison, entre autres, des conditions climatiques difficiles et de l’absence de transports réguliers.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

36. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

37. La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention ne garantit pas le droit à une comparution personnelle à l’audience d’un tribunal civil et qu’il consacre le droit plus général de l’égalité des armes avec la partie adverse. Ce principe – l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable – requiert que chaque partie se voit offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, § 53, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I, et Krčmář et autres c. République tchèque, no 35376/97, § 39, 3 mars 2000).

38. Par ailleurs, le droit à une procédure contradictoire implique la faculté pour les parties à un procès, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision et de la discuter (voir, notamment, Van Orshoven c. Belgique, 25 juin 1997, Recueil 1997‑III, J.J. c. Pays-Bas, 27 mars 1998, § 24, Recueil 1998‑II, et Krčmář et autres, précité, § 40).

39. L’article 6 § 1 de la Convention laisse aux États le choix des moyens à employer pour garantir aux plaideurs les droits susmentionnés (Khoujine et autres c. Russie, no 13470/02, 23 octobre 2008, § 104, et Steel et Morris c. Royaume-Uni, no 68416/01, §§ 59-60, CEDH 2005‑II). Par conséquent, le rôle de la Cour consiste à analyser les différentes formes de participation d’une partie à la procédure civile – par le biais, entre autres, de la comparution personnelle à l’audience publique, de l’échange des dossiers écrits et du recours à une assistance juridictionnelle – au regard de la notion de procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention (Larin c. Russie, no 15034/02, § 36, 20 mai 2010).

40. En l’espèce, la Cour note d’emblée que la requérante a choisi de présenter sa cause en personne.

41. Elle relève que, avant l’audience du 6 mai 2006, l’intéressée n’a jamais reçu les observations écrites de la partie adverse (paragraphe 17 ci‑dessus), malgré sa demande expresse (paragraphe 11 ci-dessus).

42. Elle relève également que la requérante était dans l’impossibilité de prendre connaissance de ces observations lors de l’audience préliminaire du 13 avril 2006, puisque la convocation à celle-ci lui fut communiquée le lendemain (paragraphe 9 ci‑dessus).

43. En outre, la Cour ne partage pas la position du Gouvernement selon laquelle la position de la partie défenderesse était connue de l’intéressée avant l’audience (paragraphe 26 ci‑dessus). Elle est d’avis que l’échange des observations a précisément pour finalité de permettre de prendre connaissance de toute pièce ou observation telles que présentées par la partie adverse au juge : une simple présomption de connaissance du contenu du dossier constitué par celle-ci ne saurait suffire.

44. La Cour n’est pas convaincue, non plus, par l’argument du Gouvernement consistant à reprocher à la requérante une inertie dans la prise de connaissance du dossier (paragraphe 27 ci-dessus). Elle estime qu’il convient de distinguer la présente cause de l’affaire Moumladze (précitée), mentionnée par le Gouvernement. En effet, dans cette dernière affaire, il était question d’un échange d’observations complémentaires, dans le cadre d’une procédure devant la Cour suprême de Géorgie, alors que chacune des parties avait déjà pris connaissance des positions de l’autre partie (ibidem, § 61). En revanche, dans la présente espèce, la requérante, qui ignorait totalement la position de la partie adverse avant le déroulement de l’audience, s’est adressée au tribunal compétent pour lui demander la communication des observations de cette dernière (paragraphe 11 ci‑dessus). Elle les a reçues a posteriori, soit le 30 mai 2006 (paragraphe 17 ci‑dessus).

45. La Cour note, également, que, lors de l’audience du tribunal de district, la représentante du défendeur et le procureur étaient présents (paragraphe 14 ci-dessus), alors que la requérante, qui contestait la base factuelle de l’enquête interne (paragraphe 15 ci-dessus) et souhaitait la remettre en question à l’audience (paragraphe 31 ci-dessus), était absente.

46. La Cour constate que le Gouvernement n’a pas fourni d’informations sur les moyens offerts par le droit national, autres que la tenue d’une audience publique, pour assurer le respect de l’égalité des armes (tel l’échange des mémoires et des observations). Par conséquent, eu égard aux circonstances particulières de l’affaire, la comparution personnelle de la requérante à l’audience était indispensable pour permettre à l’intéressée de connaître les arguments de la partie adverse et d’y répondre.

47. La Cour note, par ailleurs, que deux jours avant l’audience, le 4 mai 2006, la requérante a demandé le report de celle-ci au motif d’une non-circulation des transports en commun (paragraphe 12 ci-dessus).

48. La Cour relève qu’il y a une controverse entre les parties au sujet de la possibilité d’arriver au palais de justice, situé sur l’île de Kounashir, le jour de l’audience. Les parties ont fourni des preuves opposées à l’appui de leurs thèses.

49. À cet égard, la Cour rappelle que c’est d’abord aux autorités nationales, et spécialement aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter et d’appliquer le droit interne. La Cour a néanmoins pour tâche de rechercher si la procédure, considérée dans son ensemble, a revêtu le caractère équitable voulu par l’article 6 § 1 (Van Kück c. Allemagne, no 35968/97, §§ 46, 47, CEDH 2003‑VII).

50. En l’espèce, eu égard à l’importance de la comparution personnelle de la requérante (paragraphe 46 ci-dessus), au malentendu quant au lieu de l’audience (paragraphes 9 - 11 ci-dessus), à la situation géographique très particulière du siège du tribunal de district (paragraphe 7 ci-dessus), aux difficultés avérées de liaison entre les deux îles (paragraphe 21 ci-dessus), ainsi qu’à l’impossibilité pour la requérante d’assister à l’audience préliminaire (paragraphes 9, 29, 42 ci-dessus), la Cour considère que le report de l’audience du 6 mai 2006 s’imposait afin d’assurer l’équité du procès.

51. La Cour observe pourtant que le Gouvernement n’a pas invoqué des motifs impérieux justifiant le rejet de la demande de report – et ce, d’autant plus qu’une seule demande de report a été formulée par la requérante.

52. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que la requérante a été privée de la possibilité de connaître les arguments de la partie adverse et de présenter les siens en réponse, ce qui a méconnu son droit à un procès équitable.

53. Dès lors, la Cour conclut qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

54. Impliquée dans d’autres procès civils relatifs, notamment, à la perception de dommages et intérêts et au recouvrement de sommes déposées dans une banque privée, la requérante se plaint de sa non-comparution à des audiences tenues par les juridictions, ainsi que de l’appréciation des faits et de l’application des lois opérées par ces dernières.

55. Eu égard au contenu du dossier, la Cour estime que ces griefs ne révèlent pas de violations des droits consacrés par la Convention et ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

56. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

57. La requérante réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle dit avoir subi.

58. Le Gouvernement estime que cette somme est excessive et qu’elle ne correspond pas à la jurisprudence de la Cour. Il est d’avis que la somme de 1 000 EUR accordée dans l’affaire Yakovlev c. Russie (no 72701/01, § 27, 15 mars 2005) pour violation du droit à un procès équitable pourrait servir de référence dans l’attribution d’une compensation dans la présente cause.

59. La Cour considère que l’intéressée a subi un préjudice moral qui ne saurait être réparé par le seul constat de violation. Elle estime toutefois que la somme réclamée est excessive. Eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose, la Cour alloue à la requérante la somme forfaitaire de 4 000 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

60. La requérante demande également 125 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

61. Le Gouvernement estime que cette somme est raisonnable.

62. Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour accorde à la requérante la somme de 125 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure suivie devant elle.

C. Intérêts moratoires

63. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention relatif à la procédure judiciaire concernant le licenciement de la requérante, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur :

i) 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 125 EUR (cent vingt-cinq euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 mai 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsLuis López Guerra
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-163342
Date de la décision : 31/05/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Procès équitable;Egalité des armes)

Parties
Demandeurs : OLGA NAZARENKO
Défendeurs : RUSSIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award