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26/04/2016 | CEDH | N°001-162205

CEDH | CEDH, AFFAIRE AMARANDEI ET AUTRES c. ROUMANIE, 2016, 001-162205


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE AMARANDEI ET AUTRES c. ROUMANIE

(Requête no 1443/10)

ARRÊT

STRASBOURG

26 avril 2016

DÉFINITIF

26/07/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.
Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Amarandei et autres c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Boštjan M. Zupančič,
Paul

o Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek, juge ad hoc,
Egidijus Kūris,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de sec...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE AMARANDEI ET AUTRES c. ROUMANIE

(Requête no 1443/10)

ARRÊT

STRASBOURG

26 avril 2016

DÉFINITIF

26/07/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.
Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Amarandei et autres c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Boštjan M. Zupančič,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek, juge ad hoc,
Egidijus Kūris,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 mars 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 1443/10) dirigée contre la Roumanie et dont vingt-six ressortissants de cet État (« les requérants »), ont saisi la Cour le 23 décembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants, dont les noms figurent en annexe, ont été représentés par Me M.-C. Mîţu, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérants allèguent en particulier avoir été victimes de mauvais traitements, d’une privation de liberté illégale et de violations de leur droit au respect de leur domicile et de leur vie privée.

4. Le 17 septembre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5. À la suite du déport de Mme Iulia Antoanella Motoc, juge élue au titre de la Roumanie (article 28 du règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné M. Krzysztof Wojtyczek pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérants sont des adhérents ou des sympathisants du « Mouvement pour l’intégration spirituelle dans l’Absolu » (MISA), association de droit roumain à but non-lucratif.

A. Le contexte de l’affaire

7. L’asociation MISA a été créée en 1990 par G.B. et d’autres personnes pratiquant le yoga. Une partie des membres vivent dans des communautés dénommées « ashrams ». Chaque année, des reunions publiques rassemblent de nombreux membres et sympathisants du MISA.

8. Soupçonnant G.B. et d’autres membres du MISA de propager des idées hostiles à l’intégration de la Roumanie dans l’Union européenne et dans l’Organisation du traité de l’Atlantique nord («OTAN ») et de disséminer de fausses informations concernant l’appartenance alléguée de certains hommes politiques à la franc-maçonnerie, l’activité du MISA fit l’objet d’une étroite surveillance de la part du Service roumain des renseignements (SRI).

9. En 2000, le parquet près de la cour d’appel de Bucarest rendit un non-lieu estimant que les propos litigieux relevaient de la liberté d’expression.

10. A la suite de plusieurs signalements du SRI concernant des réunions publiques où des actes obscènes auraient été commis et des substances illicites auraient été consommées, le parquet rouvrit l’enquête.

11. Le 7 avril 2003, le parquet rendit un nouveau non-lieu pour la majorité des faits reprochés à MISA et à certains de ses membres.

12. S’appuyant sur les pièces du dossier et en particulier sur les résultats des examens de laboratoire, le parquet conclut que rien ne justifiait l’accusation de trafic et de consommation de substances illicites. S’agissant des manifestations du MISA, le parquet interrogea plusieurs témoins et examina les enregistrements vidéo disponibles. Il estima que ces manifestations avaient été légalement organisées et que leur thématique et les objets utilisés correspondaient à la pratique du yoga. Le parquet réitéra que les idées propagées par certains membres du MISA ne pouvaient pas être assimilées à de la propagande raciste ou en faveur d’un état totalitaire.

13. Toutefois, le parquet releva que l’association utilisait frauduleusement des logiciels informatiques et qu’elle ne déclarait pas une partie de ses revenus. Il soupçonna également certains membres de produire des images pornographiques et de les diffuser sur internet, ainsi que d’inciter d’autres membres à pratiquer la prostitution à l’étranger. A l’égard de ces faits, le parquet décida la poursuite de l’enquête.

14. Le 12 février 2004, le procureur D.B. du parquet près la cour d’appel de Bucarest ordonna la réouverture de l’enquête concernant la propagande en faveur d’un état totalitaire et des actes de perversion sexuelle. Il estima que les membres du MISA ne pouvaient pas se prévaloir du droit à la liberté d’expression pour propager des opinions hostiles aux choix de l’État en matière de politique étrangère. Il considéra également que les manifestations de MISA étaient « profondément obscènes » et que l’enquête avait été superficielle.

15. Le 16 mars 2004, le parquet près la cour d’appel de Bucarest demanda au tribunal départemental de Bucarest l’autorisation de perquisitionner seize immeubles occupés par des membres du MISA afin de saisir les supports informatiques qui s’y trouvaient. Le parquet exposa qu’il y avait des indices que, sous la direction de G.B., des membres de l’association utilisaient frauduleusement des logiciels informatiques pour produire et diffuser sur internet des images pornographiques. Le parquet ajouta que des membres du MISA seraient envoyés à l’étranger à des fins de prostitution. L’argent ainsi obtenu aurait été transféré en Roumanie et soumis à des opérations de blanchiment au profit du MISA et de ses dirigeants.

16. Le même jour, le tribunal autorisa la perquisition des immeubles susmentionnés et la saisie des supports informatiques contenant des informations relatives aux échanges internationaux des données et à leurs utilisateurs. Le tribunal indiqua que l’autorisation était délivrée en vertu de l’article 55 de la loi no 161/2003 concernant la lutte contre la criminalité informatique. Cet article précise qu’en présence d’indices de commission d’une infraction par des systèmes informatiques et en cas de danger de destruction des données informatiques, le tribunal peut autoriser le parquet à procéder à la saisie des supports concernés.

17. Le 17 mars 2004, le parquet demanda au ministère de l’Intérieur la mise à disposition d’agents spéciaux pour la perquisition. Il indiqua qu’il s’agissait d’une opération de « lutte contre le trafic de drogues et la prostitution ».

B. L’opération policière du 18 mars 2004

18. Le 18 mars 2004, à 9 heures du matin, les autorités déclenchèrent un vaste coup de filet reposant sur l’intervention d’environ 130 militaires, membres d’une unité d’élite de la Gendarmerie, spécialisée dans le combat antiterroriste, sous la coordination des procureurs du parquet près la cour d’appel. Plusieurs témoins, recrutés parmi les étudiants de la faculté de droit de Bucarest, accompagnaient les équipes formées par les gendarmes et les procureurs.

19. Les requérants, à l’exception de MM Monete et Tănase et de Mme Pelin, habitaient dans sept des immeubles perquisitionnés, de manière permanente ou temporaire.

20. Les requérants Pelin et Tănase ont été interpellés dans la rue, à proximité d’un des immeubles perquisitionnés où ils s’étaient rendus pour photographier l’opération. Ils firent l’objet d’une fouille et ils furent conduits et retenus à l’intérieur de l’immeuble pendant la perquisition. Leurs caméras furent saisies et, à la fin de la perquisition, ils furent emmenés, avec les autres occupants de l’immeuble, au siège du parquet.

21. Le requérant Monete a été également interpellé dans la rue, à proximité d’un des immeubles perquisitionnés. Il était arrivé sur les lieux en voiture, accompagné d’un ami qui possédait une caméra vidéo. La voiture et le requérant furent fouillés et il fut conduit directement au siège du parquet.

1. La version des requérants

22. Les requérants, à l’exception des requérantes Butum et Motocel qui étaient absentes, se trouvaient dans les sept immeubles perquisitionnés. Ils décrivent le même scénario de l’intervention simultanée des forces de l’ordre dans ces immeubles.

23. L’opération aurait débuté par la destruction des portes et des fenêtres. Alors que la majorité des requérants dormait encore, les militaires, lourdement armés et cagoulés, surgirent dans leurs chambres. Sous la menace des armes, ils furent violemment contraints de s’allonger par terre, le visage contre le sol. Certaines requérantes, sorties directement du lit, étaient sommairement habillées ou partiellement nues. Les militaires criaient et menaçaient de les abattre au moindre mouvement : « Personne ne bouge ! » (Nu mişcă nimeni !), « A terre !» (Culcat !), « A plat ventre ! » (Pe burtă !), « Arrête-toi ou je tire ! » (Stai că trag !), « Bouge-pas ou je tire ! » (Nu mişca că te împuşc !), « Je vous explose la cervelle ! » (Vă zbor creierii !).

24. Les requérants furent maintenus dans cette position jusqu’à l’arrivée des procureurs qui refusèrent de leur présenter le mandat de perquisition et de leur indiquer les raisons de l’opération. Ils furent ensuite conduits dans différentes pièces des immeubles, où, sous la surveillances des militaires, il leur fut interdit de se parler ou de communiquer avec des personnes de l’extérieur. Leurs téléphones portables, ainsi que de nombreux objets personnels, furent confisqués.

25. Ils décrivirent avoir été victimes d’insultes, de propos obscènes et d’humiliations. Au cours des premières heures de l’opération, ils auraient été privés d’eau, de nourriture et d’accès aux toilettes. Ensuite, l’accès aux toilettes ne leur aurait été permis qu’en compagnie des représentants des forces de l’ordre et en gardant la porte des toilettes ouverte, malgré la présence de nombreuses personnes à proximité.

26. Certains militaires auraient manifesté leur étonnement de se retrouver devant des jeunes gens non-violents, alors que, selon leurs dires, au cours du briefing qui avait précédé l’opération ils avaient été informés qu’ils risquaient de rencontrer une forte opposition et s’étaient, par conséquent, préparés à une opération de combat.

27. L’opération fut filmée et des extraits de ces films furent diffusés dans la presse écrite et audio-visuelle qui en fit une large couverture médiatique.

28. Au cours de l’après-midi et en début de soirée, les requérants furent conduits, sous escorte armée, au siège du parquet où ils furent interrogés au sujet de leurs activités dans l’association MISA. Ils y furent privés de nourriture, d’eau, insultés et menacés pour faire des déclarations, en partie dictées par les procureurs, sur leur vie intime et accusant le leader de MISA d’agissements illégaux.

29. Ils ne furent pas informés des raisons de leur privation de liberté et l’accès à un avocat leur fut refusé.

30. Les requérants ne furent libérés qu’en fin de soirée, après environ dix heures de détention. Aucune charge ne fut retenue à leur encontre.

2. La version du Gouvernement

31. Le Gouvernement affirme qu’avant de pénétrer dans les immeubles visés, les forces de l’ordre auraient systématiquement demandé aux occupants de leur permettre l’accès. Selon le Gouvernement, la force n’aurait été employée que lorsqu’ils se sont heurtés à un refus.

32. Le Gouvernement nie toute violence physique ou verbale qui aurait été exercée sur les requérants pendant la perquisition, le transport au siège du parquet et pendant leur interrogatoire.

33. Il affirme que les perquisitions ont eu lieu en présence des témoins et que l’interdiction de communiquer entre eux et avec l’extérieur était nécessaire pour assurer l’efficacité de l’opération.

34. Il ajoute que Me Mîţu, l’avocate des requérants, a été autorisée à assister à la perquisition d’un des immeubles et qu’elle a signé le procès‑verbal dressé à l’issue de cette perquisition.

35. Le Gouvernement soutient que les forces de l’ordre disposaient d’informations selon lesquelles une résistance physique de la part des membres du MISA était à craindre. Il ajoute que la présence dans certains immeubles d’objets dangereux, par exemple, du matériel de transmission et d’interception des communications, un spray au poivre, un pistolet et une paire de menottes justifiait les précautions prises par les forces de l’ordre pour sécuriser les lieux.

3. Les procès-verbaux dressés à l’issue des perquisitions et les déclarations des requérants au parquet

36. Chacune des perquisitions donna lieu à un procès-verbal mentionnant l’identité des occupants des immeubles. Dans chaque immeuble de nombreux objets furent saisis. Pour certains objets, un inventaire fut dressé, alors que d’autres objets furent emportés en vrac dans des cartons scellés. Plusieurs milliers d’objets furent ainsi saisis, parmi lesquels, du matériel informatique, audio et vidéo, des cassettes audio, vidéo et des DVD, des téléphones portables, des livres, des photographies, des agendas, des documents administratifs, des pièces d’identité, des lettres, de l’argent, des bijoux, des objets décoratifs et des pierres ornementales, des vêtements, divers récipients contenant des substances solides ou liquides.

37. Des témoins, choisis par le parquet, assistèrent aux perquisitions et signèrent les procès-verbaux. En ce qui concerne les sept immeubles occupés par les requérants, il était fait état de ce qui suit :

. l’immeuble sis au no 123 de la rue S. Turturică était occupé, entre autres, par les requérants Amarandei, Avădănii, Doldor et Enăchescu qui firent également l’objet d’une fouille. Me Mîţu assista à la perquisition et signa le procès-verbal ;

. l’immeuble sis au no 5 de la rue Peleaga était occupé, entre autres, par les requérants Cojocaru, Frînculeasă, Lupescu, Mîndru, Opreapopa, Petre et Tanasă. Il était mentionné que la perquisition avait eu lieu en présence et avec l’accord de l’administrateur de l’immeuble. La perquisition prit fin à 18h30 et l’administrateur signa le procès-verbal ;

. l’immeuble sis au no 64 de la rue Veseliei était occupé, entre autres, par les requérants Lucachi, Obreja, Stoenescu, Stanciu et Ţuţu. Il était indiqué que les militaires avaient escaladé la clôture et les murs pour pénétrer dans la cour de l’immeuble. La perquisition prit fin à 20h45. Le procès-verbal était signé par les témoins et un membre de l’association ;

. l’immeuble sis au no 49 de la rue Veseliei était occupé, entre autres, par la requérante Lazăr. Elle fit également l’objet d’une fouille. Il était mentionné qu’elle avait été autorisée à contacter plusieurs avocats, mais que ces derniers n’étaient pas joignables. La perquisition prit fin à 20h00. La requérante signa le procès-verbal ;

. l’immeuble sis au no 21 de la rue Teliţa était occupé, entre autres, par les requérants Pănescu et Sima. En l’absence de réponse des occupants de l’immeuble, les militaires forcèrent la porte d’entrée. La perquisition prit fin à 19h50. La requérante Sima et les témoins et signèrent le procès-verbal ;

. l’immeuble sis au no 18 de la rue Peleaga était occupé par la requérante Radu qui refusa de signer le procès-verbal. La perquisition prit fin le lendemain à 04h30 ;

. l’immeuble sis au no 50 de la rue Plevnei était occupé, entre autres, par le requérant Szanto. En l’absence de réponse des occupants de l’immeuble, les militaires forcèrent la porte d’entrée. A partir de 21h45, un avocat assista à la perquisition qui prit fin le lendemain à 01h45. L’avocat, le requérant et les témoins signèrent le procès-verbal. Le premier contesta la legalité de la perquisition, alors que le requérant mentionna la destruction de la porte d’entrée.

38. Dans un autre immeuble perquisitionné, les personnes résidant à cette adresse livrèrent aux gendarmes un pistolet et une paire de menottes. Elles affirmèrent qu’il s’agissait d’une arme qui ne nécessitait pas un permis de port d’arme.

39. Le procès-verbal dressé à l’issue de la fouille du requérant Monete, interpellé dans la rue, indiqua qu’elle avait eu lieu en vertu de l’article 219 du code de procédure pénale et que les militaires avaient saisi une enveloppe contenant une poudre constituée, selon le requérant, de plantes médicinales.

40. Selon les informations fournies par le Gouvernement, 73 membres du MISA, dont les requérants, à l’exception des requérantes Motocel et Butum, furent emmenés au parquet près la cour d’appel de Bucarest pour être interrogés.

41. Ils y furent entendus par des officiers de police et des procureurs. Il ne ressort pas de la transcription de leurs déclarations si les enquêteurs leur ont posé des questions et, le cas échéant, lesquelles. Toutes ces déclarations évoquaient les circonstances dans lesquelles les requérants avaient commencé la pratique du yoga, leur participation à des évènements organisés par MISA et leurs rapports avec G.B. Certains requérants déclarèrent qu’ils habitaient de manière permanente dans les immeubles perquisitionnés, alors que d’autres affirmèrent qu’ils y résidaient temporairement. Tous nièrent des pratiques sexuelles en groupe ou la commission d’infractions de nature sexuelle.

C. Les plaintes pénales des requérants

42. Par plusieurs plaintes pénales avec constitution de partie civile introduites entre les 19 mars et 19 mai 2004, les requérants dénoncèrent les mauvais traitements dont ils auraient été victimes le 18 mars 2004, le comportement abusif des procureurs et des militaires et leur privation de liberté illégale. Ils contestèrent la saisie des objets personnels, alléguant que les forces de l’ordre avaient omis d’en faire mention sur les procès-verbaux et que ces objets (livres, photographies personnelles, cahiers et agendas personnels, divers documents officiels, argent, téléphones portables, appareils photos, bijoux, vêtements, etc.) n’avaient pas de lien avec l’enquête pénale.

43. Ils décrivirent une intervention des forces de l’ordre d’une grande violence qui avait eu lieu dans une atmosphère de terreur et d’humiliation et affirmèrent que l’opération policière était discriminatoire et avait pour but la destruction du mouvement yoga représenté par MISA.

44. De surcroit, les requérantes Lucachi, Mîndru, Obreja, Pănescu, Petre et Sima indiquèrent que les représentants des forces de l’ordre les auraient traitées de « prostituées » et qu’ils les auraient accusées de se prostituer.

45. Le requérant Stanciu affirma qu’il avait été frappé violement au bras gauche et que les militaires l’auraient immobilisé et maintenu au sol, en lui collant le fusil dans le dos et en le menaçant de mort.

46. Le requérant Ţuţu soutint que les militaires l’auraient frappé avec les pieds plusieurs fois, alors qu’il était allongé sur le sol et l’auraient menacé de mort.

47. La requérante Radu déclara qu’elle avait subi des violences de la part des militaires qui l’auraient plaquée au sol, ensuite cognée contre divers meubles et enfin immobilisée sur une chaise avec les bras dans son dos. Elle aurait fait un malaise et aurait vomi plusieurs fois, sans recevoir le moindre soin de la part des enquêteurs. Au contraire, elle aurait été menacée et accusée de simuler le malaise. Les violences dont elle aurait été victime auraient provoqué des ecchymoses, mais elle aurait été dans l’impossibilité d’obtenir un certificat médical dès lors que toutes ses pièces d’identité avaient été saisies.

48. La requérante Obreja décrivit une mise en scène effectuée par un procureur qui aurait apporté une seringue qu’il aurait posée sur un meuble et ensuite filmée comme « preuve » de l’utilisation par les requérants de drogues.

49. Les requérantes Butum et Motocel, absentes lors de l’opération, dénoncèrent les dégradations commises et la saisie des biens personnels.

50. Les requérants Pelin, Tănase et Monete dénoncèrent leur interpellation dans la rue, leur fouille, leur privation de liberté et la saisie de plusieurs objets personnels. Le requérant Monete ajouta qu’il avait fait l’objet de menaces au siège du parquet.

51. Le 16 mai 2005, le parquet près la Haute Cour de cassation et de justice rendit un non-lieu.

52. Le parquet releva que les autorités étaient en possession d’indices concernant des faits graves qui auraient été commis par l’association et ses membres. Compte tenu du fait qu’elles disposaient de peu de données concernant le mode de vie à l’intérieur des « ashrams » et les activités qui s’y déroulaient, le parquet considéra que, pour la collecte des preuves, une opération policière impliquant la perquisition simultanée de ces immeubles était nécessaire.

53. Le parquet précisa qu’en raison de la grande quantité d’objets saisis, il n’avait pas été possible de dresser un inventaire précis, mais qu’ils avaient été mis sous scellés pour les besoins de l’enquête et que plusieurs objets avaient déjà été restitués à leurs propriétaires. Le parquet estima que certains objets saisis intéressaient l’enquête en cours et que les requérants avaient la possibilité de demander leur restitution et, le cas échéant, contester devant un juge, le refus du parquet d’accéder à leurs demandes.

54. Concernant l’attitude des procureurs, le parquet considéra qu’ils n’avaient commis aucun excès dans la planification et la coordination de l’opération. Il estima que la peur et l’angoisse ressenties par les requérants n’ont pas atteint le seuil de gravité requis pour être qualifiées de « mauvais traitements ». Le parquet rappela que les perquisitions avaient eu lieu en présence des témoins, que certains occupants des immeubles avaient signé les procès-verbaux et que Me Mîţu avait assisté à l’une de ces perquisitions.

55. Quant aux interrogatoires au siège du parquet, les procureurs estimèrent qu’il n’y avait eu ni pressions ni menaces, les requérants ayant consenti de faire des déclarations dans lesquelles ils avaient nié la participation à des activités illégales.

56. Le parquet estima que le consentement des requérants à l’enregistrement de l’opération n’était pas requis dès lors qu’il était justifié par les besoins de l’enquête, notamment par l’impossibilité de consigner par écrit tous les détails de l’opération. Quant à la mise à la disposition de la presse des images filmées de l’opération, le parquet estima que l’opinion publique avait le droit d’être informée sur les sujets d’intérêt général.

57. Le parquet écarta les allégations de discrimination dont les requérants auraient fait l’objet en raison de leur appartenance à MISA. Il considéra que l’opération policière n’avait pas d’autre but que la collecte des preuves concernant les activités illicites auxquelles certains membres de l’association se seraient livrés.

58. Enfin, s’agissant des violences qui auraient été commises par les militaires, il estima que l’enquête relevait du parquet militaire.

59. Les requérants contestèrent le non-lieu devant le procureur général près de la Haute Cour de cassation et de Justice. Ils se plaignaient du caractère superficiel de l’enquête et exposaient qu’aucun plaignant et témoin n’avaient été entendus par le parquet. Ils estimèrent que la transmission à la presse d’images filmées de l’opération portait atteinte à leur droit à l’image et au droit au respect du domicile et de leur vie privée. Ils affirmèrent qu’au cours des perquisitions et des interrogatoires, les procureurs leur auraient systématiquement dénié l’accès à un avocat. Quant à la présence de Me Mîţu à une perquisition, ils exposèrent qu’elle n’y avait pas assisté dès le début et que l’accès à une partie des locaux perquisitionnés lui avait été refusé. Enfin, ils dénoncèrent la saisie d’objets personnels.

60. Le 14 juillet 2005, le parquet près la Haute Cour de cassation et de Justice rejeta la plainte au motif que les faits dénoncés n’existaient pas ou ne relevaient pas du domaine pénal.

61. Les requérants réitérèrent leur plainte devant la cour d’appel de Bucarest qui renvoya le dossier à la Haute Cour de cassation et de Justice.

62. Aux audiences des 8 mai, 16 octobre et 24 novembre 2006 et 29 janvier 2007, les requérants demandèrent l’audition des témoins et des personnes mises en cause dans leurs plaintes, ainsi que le versement au dossier de plusieurs documents concernant l’organisation et la préparation de l’opération du 18 mars 2004.

63. Qualifiant l’opération policière d’« abusive et disproportionnée », ils estimèrent avoir fait l’objet d’une discrimination en raison de leurs convictions. Ils critiquèrent la préparation de l’opération et en particulier le déploiement d’une force armée excessive alors que les autorités, qui surveillaient étroitement l’activité de MISA depuis plusieurs années, étaient au courant de leur comportement non-violent.

64. A cet égard, ils affirmèrent que le procureur D.B. aurait sciemment détourné l’objet de l’autorisation de perquisition qui visait la saisie du matériel informatique, en demandant la mise à disposition du parquet des agents des forces spéciales pour une opération de lutte contre « la prostitution et le trafic de drogues » et en indiquant à ces derniers qu’ils pouvaient s’attendre à une réaction violente de la part des occupants des immeubles. Dans ce contexte, ils dénoncèrent la saisie illégale de nombreux objets personnels et affirmèrent que le parquet refusait toujours de les leur restituer. Ils réitérèrent également leurs arguments concernant l’atteinte à leur droit à l’image, au domicile et à la vie privée.

65. S’agissant de la signature de certains procès-verbaux de perquisition par les occupants des immeubles, les requérants alléguèrent y avoir été contraints, l’opération ayant eu lieu dans une atmosphère de terreur et sous la menace des armes.

66. Ils exposèrent que les militaires agissaient sous la coordination et la supervision directe des procureurs et, par conséquent, ils estimèrent que la responsabilité de ces derniers pour les violences commises ne pouvait pas être écartée.

67. Invoquant les dispositions du code pénal concernant la privation de liberté arbitraire, ils accusèrent les procureurs de les avoir arbitrairement détenus pendant plus de dix heures dans les immeubles perquisitionnés et au siège du parquet sous prétexte d’être interrogés au sujet des activités de MISA. Ils dénoncèrent l’absence de base légale de cette privation de liberté, le parquet ayant omis de délivrer un mandat d’amener ou d’ordonner leur placement en garde à vue.

68. A l’audience du 26 février 2007, les requérants soulevèrent une exception d’inconstitutionnalité de l’article 2781 du code de procédure pénale qui les empêchait de faire citer des témoins devant le tribunal pour démontrer le bien-fondé de leur plainte. Ils alléguèrent une atteinte aux droits de la défense exposant que le parquet avait refusé d’entendre des témoins et que de nombreuses pièces étaient classifiées et donc inaccessibles.

69. Par une décision du 7 juin 2007, la Cour constitutionnelle rejeta l’exception au motif que la limitation de la possibilité d’administrer de nouvelles preuves devant un tribunal était justifiée dès lors que les juridictions ne réexaminaient pas l’affaire sous tous les aspects, mais seulement la légalité de la décision du parquet sur la base des pièces du dossier du parquet.

70. Par une lettre du 18 septembre 2007, le ministère de l’Intérieur informa l’avocat des requérants que les documents concernant l’intervention des agents des forces spéciales, dont l’ordre de mission et le plan d’action, étaient classifiés et par conséquent inaccessibles aux plaignants.

71. Par un arrêt du 18 février 2008, la Haute Cour de cassation et de Justice rejeta la contestation. Elle jugea que les requérants n’avaient été soumis ni à des violences physiques ni psychologiques, la peur et le stress engendrés par l’opération policière ne pouvant pas être qualifiés d’actes de « torture » au sens de la loi pénale. Quant aux autres plaintes, la Haute Cour estima que pour conclure au non-lieu, le parquet avait procédé à un examen complet et convainquant des allégations des requérants.

72. Les requérants formèrent un pourvoi. Ils réitérèrent leurs griefs, critiquèrent les défaillances et la superficialité de l’enquête, en demandant sa réouverture.

73. En outre, ils exposèrent qu’au cours d’une émission télévisée, l’ancien premier ministre A.N. avait déclaré à l’égard de l’opération policière du 18 mars 2004 : « je n’étais pas au courant de cette opération, je l’ai appris seulement ultérieurement et je crois qu’une grande erreur a été commise (...) il s’agit d’une chose absolument stupide, telle qu’elle a été construite (...) et elle n’aurait pas dû avoir lieu. ». Ils estimèrent que ces propos démontraient l’implication des hommes politiques et en particulier de l’ancien premier ministre dans la tentative de destruction et de dénigrement de MISA.

74. Par un arrêt définitif du 6 juillet 2009, la Haute Cour, dans une formation de jugement composée de neuf juges, rejeta le pourvoi au motif que les faits dénoncés n’existaient pas.

75. La Haute Cour estima qu’en vertu de la loi pénale, dans le cadre du contrôle de la legalité des ordonnances de non-lieu, les juridictions ne pouvaient pas censurer les actes du parquet effectuées dans le cadre de l’enquête. Selon la Haute Cour, dès lors que le parquet avait motivé son ordonnance, le seul refus d’administrer les preuves sollicitées par les plaignants ne pouvait pas conduire à un constat d’illégalité de cette ordonnance.

76. S’agissant de l’examen de la plainte en première instance, la Haute Cour nota que les garanties procédurales ont été respectées et que les requérants ont eu la possibilité de verser au dossier les pièces qu’ils estimaient pertinentes pour la défense de leur cause.

D. Autres faits pertinents

1. Autres procédures concernant l’opération policière du 18 mars 2004

77. Le 19 février 2008, le parquet militaire près le tribunal militaire de Bucarest, qui avait été saisi par le parquet près la cour d’appel (voir paragraphe 58 ci-dessus), ordonna le classement sans suite de la plainte, estimant que les militaires avaient agi conformément aux dispositions légales.

78. Le 28 septembre 2009, la Haute Cour de cassation et de Justice rejeta définitivement la plainte de MISA contre l’ordonnance de classement, estimant qu’elle était tardive (voir Mouvement pour l’intégration spirituelle dans l’absolu c. Roumanie (déc.), no 18916/10, §§ 33-38, 2 septembre 2014).

79. En juin et juillet 2007, certains membres du MISA, dont les requérants Avădănii, Pelin, Petre, Stanciu, Stoenescu et Tănase, introduisirent une nouvelle plainte concernant les abus dont ils auraient été victimes au cours de l’opération policière.

80. Par un arrêt définitif du 15 février 2011, la Haute Cour rejeta la plainte au motif que les faits dénoncés n’existaient pas (voir Avădănii et autres c. Roumanie (déc.), no 50432/11, § 28, 17 février 2015).

81. A partir de juin 2005, le procureur D.M. mit en accusation du chef de trafic d’êtres humains et d’association de malfaiteurs plusieurs membres du MISA. Renvoyés en jugement, ils furent relaxés par un jugement du 11 février 2015 du tribunal départemental de Cluj.

82. Les personnes poursuivies portèrent plainte contre le procureur qu’ils accusaient d’abus de pouvoir. Par un arrêt définitif du 15 février 2011, la Haute Cour rejeta la plainte au motif que les faits dénoncés n’existaient pas (voir Rosu et autres c. Roumanie (déc.), no 37609/12, § 20, 15 septembre 2015).

2. Plaintes des requérants concernant la saisie des objets personnels

83. Entre mars et novembre 2004, le parquet restitua à certains requérants plusieurs documents administratifs personnels.

84. Les requérants Mîndru, Frînculeasă, Motocel et Cojocaru, demandèrent au parquet la restitution de tous les objets personnels saisis. Ils contestèrent le refus du parquet d’accéder à leur demande devant le tribunal départemental de Bucarest, alléguant que la saisie avait été arbitraire et qu’elle concernait des objets sans lien avec l’enquête.

85. Par des décisions rendues entre le 4 et 18 août 2004, le tribunal rejeta les plaintes au motif que l’enquête était en cours et qu’en vertu du droit interne, le tribunal n’était pas compétent pour ordonner la restitution de ces objets.

3. La procédure pénale concernant G.B., le leader du MISA

86. Le 26 mars 2004, le parquet près la cour d’appel de Bucarest engagea des poursuites à l’encontre de G.B. des chefs de rapports sexuels avec une mineure et de perversion sexuelle.

87. Le 29 mars 2004, il fut placé en garde à vue. Son pourvoi fut accueilli par la cour d’appel de Bucarest qui ordonna sa remise en liberté.

88. Il se rendit à l’étranger et, le 24 mars 2005, il déposa une demande d’asile politique en Suède qui fut accueillie. Les autorités suédoises estimèrent qu’il risquait de subir en Roumanie des persécutions en raison de ses convictions.

89. Les autorités roumaines formulèrent deux demandes d’extradition qui furent rejetées par la Cour suprême suédoise. Depuis 2006, G.B. a bénéficié d’un permis de séjour en Suède. Le 26 février 2016, il a été arrêté à Paris par les autorités françaises et placé en détention en attendant l’examen d’une demande d’extradition formulée par les autorités roumaines.

90. Par un arrêt définitif du 14 juin 2013, la Haute Cour condamna G.B. à une peine de six ans de prison du chef de rapport sexuel avec un mineur et constata que les autres infractions étaient prescrites.

91. En 2007, le parquet renvoya en jugement G.B. et vingt autres membres de l’association pour répondre de plusieurs accusations, dont notamment trafic de personnes, fondées sur des pièces et des documents saisis au cours de la perquisition. Par un jugement du 11 février 2015, le tribunal départemental de Cluj relaxa l’ensemble des inculpés au motif que les faits reprochés n’existaient pas. L’appel interjeté par le parquet contre ce jugement est en cours d’examen devant la cour d’appel de Cluj-Napoca.

4. Le rapport de l’inspection judicaire du Conseil supérieur de la magistrature

92. Le 13 février 2006, après le rejet par les autorités suédoises de la demande d’extradition de G.B., le ministre de la justice demanda au Conseil supérieur de la magistrature un rapport concernant les poursuites dont G.B. faisait l’objet et les circonstances de l’opération policière.

93. L’inspection judiciaire du Conseil supérieur conclut dans son rapport que les poursuites susmentionnées étaient conformes aux normes internes et aux exigences de la Convention et que le risque de discrimination encouru en Roumanie n’était pas réel. En outre, elle estima que des responsables du ministère de l’Intérieur étaient à l’origine de la transmission à la presse des images filmées de l’opération policière.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

94. Les dispositions du droit interne sont résumées dans les décisions Bretean et autres c. Roumanie (déc.), no 22765/09, §§ 36-41, 10 septembre 2013 ; Mouvement pour l’intégration spirituelle dans l’absolu c. Roumanie (déc.), no 18916/10, §§ 33-38, 2 septembre 2014) et Avădănii et autres c. Roumanie (déc.), no 50432/11, § 28, 17 février 2015.

95. Les dispositions des articles 100-108 du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits et qui réglementaient la procédure de la perquisition sont résumées dans l’arrêt Varga c. Roumanie (no 73957/01, §§ 21-25, 1er avril 2008).

96. En vertu de ces dispositions, la perquisition au domicile d’une personne pouvait s’effectuer en vertu d’un mandat délivré par un juge à la demande du parquet après l’ouverture des poursuites. La perquisition pouvait être réalisée par le procureur accompagné, le cas échéant, par des agents des forces de l’ordre.

97. Avant de procéder à la perquisition, l’autorité judiciaire chargée de la réaliser était obligée de décliner son identité et de présenter le mandat judiciaire. La perquisition et la saisie de documents et d’objets devaient avoir lieu en présence de la personne visée ou d’un représentant de celle-ci. La perquisition exigeait également la présence des témoins assistants. Un procès-verbal devait consigner les circonstances de la perquisition, ainsi que l’inventaire des objets saisis.

98. L’article 105 du code de procédure pénale imposait plusieurs obligations à la charge de l’autorité judiciaire qui effectuait la perquisition : elle n’était autorisée à pénétrer de force dans les locaux visés que si l’occupant refusait de les ouvrir. La saisie devait se limiter aux objets en rapport avec le délit poursuivi. Enfin, des aspects liés à la vie privée des occupants ne pouvaient pas être rendus publics.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

99. Les requérants dénoncent des mauvais traitements dont ils auraient été victimes pendant l’opération policière du 18 mars 2004. Ils se plaignent également de l’absence d’une enquête effective au sujet de ces allégations. Ils estiment qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

100. Invoquant l’article 35 § 2 de la Convention, Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de la requête introduite par les requérants Avădănii, Pelin, Petre, Stoenescu, Stanciu et Tănase au motif qu’elle serait essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour.

101. Il expose qu’à l’égard des mêmes faits, ces requérants ont précédemment introduit une autre requête devant la Cour, enregistrée sous le no 50432/11, soulevant des griefs similaires à ceux présentés dans le cadre de la présente requête. Cette requête a abouti à un constat d’irrecevabilité (Avădănii et autres (déc.), précitée).

102. Le Gouvernement excipe également de l’irrecevabilité ratione materiae des griefs tirés de l’article 3 de la Convention par les requérantes Butum et Motocel. Il estime que ces requérantes ne sauraient alléguer une violation de l’article 3 de la Convention dès lors qu’elles n’avaient pas été présentes dans les immeubles perquisitionnés.

103. Les requérants n’ont pas fourni d’observations sur ces points.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’exception d’irrecevabilité concernant les requérants Avădănii, Pelin, Petre, Stoenescu, Stanciu et Tănase

104. Le Gouvernement soutient que la requête introduite par ces requérants est irrecevable dès lors qu’une requête similaire a précédemment fait l’objet d’une décision d’irrecevabilité de la Cour.

105. L’article 35 § 2 de la Convention est ainsi libellé en ses parties pertinentes :

« 2. La Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsque

(...)

b) elle est essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour (...), et si elle ne contient pas de faits nouveaux. (...) »

106. La Cour rappelle que, en vérifiant si deux affaires sont essentiellement les mêmes, elle prend en compte l’identité des parties dans les deux procédures, les dispositions légales sur lesquelles celles-ci se sont fondées, la nature des griefs des parties et celle de la réparation qu’elles tentent d’obtenir (voir, mutatis mutandis, Smirnova et Smirnova c. Russie (déc.), nos 46133/99 et 48183/99, 3 octobre 2002, Folgerø et autres c. Norvège (déc.), no 15472/02, 14 février 2006, et Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 63, CEDH 2009).

107. En l’espèce, la Cour note que les requérants susmentionnés ont introduit deux plaintes pénales, la première en 2004 et la seconde en 2007, pour dénoncer les mêmes faits qui ont eu lieu le 18 mars 2004. Ces plaintes ont donné lieu à des procédures distinctes.

108. La première plainte a été rejetée par l’arrêt définitif du 6 juillet 2009 de la Haute Cour. Le rejet de cette plainte a fait l’objet de la présente requête.

109. La seconde plainte a été rejetée par un arrêt définitif du 15 février 2011 de la Haute Cour. Le rejet de cette plainte a fait l’objet de la requête no 50432/11. En application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, la Cour a déclaré cette requête irrecevable pour tardivité, estimant que les requérants auraient dû se plaindre de l’inefficacité de l’enquête pénale interne ouverte à la suite de leur première plainte pénale (Avădănii et autres (déc.), § 39, précitée).

110. La Cour relève que la présente requête concerne précisément le rejet de leur première plainte pénale et qu’elle a été introduite dans un délai de six mois à compter de son rejet définitif, le 6 juillet 2009 par la Haute Cour.

111. Les deux plaintes pénales ayant donné lieu à des procédures distinctes devant les juridictions internes, la Cour estime qu’elle est compétente pour examiner la présente requête dès lors que la procédure ouverte à la suite de la première plainte n’a pas été examinée dans le cadre de l’affaire no 50432/11.

112. Partant, elle rejette l’exception du Gouvernement tirée de l’article 35 § 2 de la Convention.

b) Sur le respect des conditions de recevabilité par les requérantes Butum, Motocel et Monete

113. Le Gouvernement soutient que les requérantes Butum et Motocel ne sauraient se plaindre d’une violation de l’article 3 de la Convention dès lors qu’elles n’auraient pas été touchées par les mesures prises au cours de l’opération policière.

114. Les requérantes allèguent que, même absentes, elles ont vécu un profond sentiment d’angoisse en raison de la perquisition du 18 mars 2004.

115. La Cour rappelle que des actes qui ne touchent pas physiquement les requérants comme la destruction de leurs maisons, perpétrés même sans intention de les punir, peuvent être considérés comme des mauvais traitements (Selçuk et Asker c. Turquie, 24 avril 1998, §§ 78-79, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IIet, aussi, Bilgin c. Turquie, no 23819/94, § 103, 16 novembre 2000 et Dulaş c. Turquie, no 25801/94, § 55, 30 janvier 2001). Plus encore, la Cour a considéré qu’un sentiment de profonde angoisse chez une personne, associé au mépris témoigné à son encontre par les autorités, a atteint le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 70, CEDH 2006‑XI.

116. En l’espèce, compte tenu de l’ampleur, de l’intensité et de la médiatisation de l’opération policière, la Cour peut accepter que les requérants ont pu ressentir un sentiment d’angoisse provoqué par l’intervention des forces de l’ordre dans les immeubles occupés par d’autres membres de l’association.

117. Toutefois, eu égard aux circonstances de la présente affaire, notamment à l’absence de preuve attestant des effets physiques et mentaux sur la personne des requérants découlant des actes dénoncés, la Cour estime que le stress engendré par cette perquisition ne saurait suffire à lui seul à atteindre le degré de gravité de l’article 3 de la Convention (voir et comparer avec Melinte c. Roumanie, no 43247/02, §§ 33-36, 9 novembre 2006 et Association « 21 Décembre 1989 » et autres c. Roumanie, nos 33810/07 et 18817/08, § 158, 24 mai 2011).

118. Par ailleurs, la Cour note que le requérant Monete n’a pas assisté non plus à la perquisition. Il a été interpellé dans la rue et conduit directement au siège du parquet pour être interrogé.

119. Par conséquent, à l’instar des requérants Butum et Motocel et à défaut d’éléments de preuve concernant les éventuelles séquelles psychologiques résultant de son interpellation et de son interrogatoire au siège du parquet, la Cour estime que le stress engendré par ces mesures ne saurait être qualifié de mauvais traitement au sens de l’article 3 de la Convention.

120. Compte tenu de ce qui précède, il convient de déclarer le grief tiré de l’article 3 de la Convention par les requérants Butum, Motocel et Monete irrecevable comme manifestement mal fondé en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

c) Conclusion

121. La Cour constate que les griefs tirés de l’article 3 de la Convention par l’ensemble des requérants, à l’exception des requérants Butum, Motocel et Monete, ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Par conséquent, il convient de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

122. Les requérants allèguent que les mauvais traitements dont ils auraient été victimes au cours de l’opération policière du 18 mars 2004 avaient un caractère prémédité. A cet égard, ils accusent les procureurs d’avoir détourné l’objet de la perquisition, qui était celui de saisir du matériel informatique, dans une opération policière à grande échelle destinée à détruire l’association MISA et à déterminer ses adeptes à renoncer à la pratique du yoga.

123. Ils dénoncent les conditions d’extrême brutalité dans lesquelles la perquisition a eu lieu. Ils allèguent que les militaires, lourdement armés et cagoulés, auraient pénétré dans les immeubles en détruisant, sans sommation, les portes et les fenêtres. Ils auraient ensuite fouillé l’ensemble des pièces, saisissant de nombreux objets, dont une grande partie à caractère personnel et sans aucun lien avec l’enquête. Les militaires et les procureurs qui coordonnaient l’opération auraient ainsi agi sans présenter le mandat judiciaire et sans fournir d’explication pour leurs agissements.

124. Ils décrivent l’état de choc psychologique intense qu’ils ont subi, étant forcés de s’allonger sur le sol, parfois presque nus, avec des armes dirigées vers eux et menacés de mort par les militaires. Certains requérants auraient même été frappés, alors qu’ils n’avaient opposé aucune résistance.

125. A ces violences se seraient ajoutées de nombreuses insultes, notamment à caractère sexuel, certaines requérantes ayant été traitées à plusieurs reprises de « prostituées ».

126. Ils estiment que l’opération policière avait été conçue et menée de façon à les humilier et concluent que de par leur gravité, les mauvais traitements dont ils ont été victimes tombent sous le coup de l’article 3 de la Convention.

127. Les requérants se plaignent également de l’absence d’une enquête effective au sujet de ces mauvais traitements. Ils dénoncent le refus du parquet et des juridictions internes d’accéder à leurs demandes de preuves et les accusent de passivité dans l’établissement des faits et dans la recherche des personnes responsables.

128. Ils exposent que toutes leurs démarches sont restées vaines. A cet égard, ils considèrent que même la plus haute autorité judiciaire du pays, le Conseil supérieur de la magistrature a fait preuve de tolérance envers ces actes. Enfin, ils soutiennent que l’enquête du parquet militaire ne saurait non plus être qualifiée d’effective dès lors que cet organe n’était pas indépendant par rapport à l’exécutif.

129. Le Gouvernement souligne le contexte dans lequel la perquisition a été décidée. Il affirme que les autorités internes disposaient d’indices de la probabilité de la commission d’infractions dans les immeubles perquisitionnés. Il rappelle que le parquet avait déclenché des investigations concernant les agissements de G.B., le leader de l’association, qui était soupçonné de diriger un réseau de production et de diffusion d’images pornographiques, de blanchiment d’argent et de prostitution.

130. Le Gouvernement soutient que l’intervention simultanée des forces de l’ordre était nécessaire pour la collecte d’informations sur l’éventuelle commission des infractions susmentionnées. Il conteste les allégations des requérants concernant la destruction systématique des portes et des fenêtres des immeubles et affirme que la force n’a été utilisée que si les occupants des immeubles refusaient de permettre l’accès des agents des forces de l’ordre. Dans tous les cas, ces derniers auraient décliné leur identité et informé les requérants de l’objet de la perquisition.

131. Le Gouvernement nie toute violence physique ou verbale auxquelles les requérants auraient été soumis. La mise en sécurité des lieux de la perquisition et la surveillance des requérants étaient nécessaires afin de prévenir une réaction violente de ces derniers, d’autant plus que des objets dangereux ont été découverts dans ces immeubles. Il ajoute que pendant la perquisition, les requérants ont été conduits dans une pièce où il leur fut seulement interdit d’utiliser leur téléphone portable.

132. Le Gouvernement soutient que l’absence de certificats médicaux attestant des blessures ou des troubles psychologiques prouverait un comportement des agents des forces de l’ordre exempt de toute violence. Par ailleurs, il souligne que les requérants n’ont nullement fait état des violences dans leurs déclarations au siège du parquet le soir de la perquisition.

133. S’agissant de l’enquête menée au sujet des allégations des requérants, le Gouvernement estime qu’elle a été adéquate et complète. Il souscrit aux conclusions du parquet près de la Haute Cour et considère que les pièces versées au dossier de l’enquête permettaient de conclure que la perquisition avait été conforme aux normes internes applicables en la matière, sans qu’il soit nécessaire de procéder à l’interrogation des agents des forces de l’ordre ou d’autres témoins.

134. Par ailleurs, le Gouvernement rappelle que l’enquête du parquet militaire au sujet de mêmes allégations a abouti à un non-lieu. Enfin, il expose que les allégations des requérants ont fait l’objet d’un contrôle de l’inspection judiciaire du Conseil supérieur de la magistrature qui est arrivée aux mêmes conclusions.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

135. La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l’article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses conséquences physiques ou psychologiques, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. La question de savoir si le traitement avait pour but d’humilier ou de rabaisser la victime est un autre élément à prendre en compte, mais l’absence d’un tel but ne saurait toutefois exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, § 114, CEDH 2014 (extraits).

136. Un traitement peut être qualifié de « dégradant » au sens de l’article 3 s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité, voire la diminue, ou s’il suscite chez lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique. Le caractère public du traitement peut être une circonstance pertinente ou aggravante pour apprécier s’il est « dégradant » au sens de l’article 3 (ibidem, § 115).

137. Pour qu’un traitement soit « dégradant », la souffrance ou l’humiliation qu’il entraîne doivent en tout état de cause aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement légitime (ibidem, § 116).

138. Au regard des faits de la cause, la Cour estime particulièrement important de souligner que lorsqu’un individu est privé de sa liberté ou, plus généralement, se trouve confronté à des agents des forces de l’ordre, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue une violation du droit garanti par l’article 3 de la Convention, quel que soit l’impact que cela a eu sur l’intéressé (Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, §§ 88 et 101, CEDH 2015).

139. Par ailleurs, la discrimination en raison des convictions religieuses peut constituer en soi une atteinte à la dignité humaine des requérants qui équivaut à un « traitement dégradant » au sens de l’article 3 de la Convention (voir, Begheluri c. Géorgie, no 28490/02, §§ 100-101, 7 octobre 2014 et Karaahmed c. Bulgarie, no 30587/13, § 73, 24 février 2015, ainsi que les affaires qui y sont citées).

140. La Cour rappelle également que lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’État, des traitements contraires à l’article 3, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’Etat par l’article 1 de la Convention, requiert qu’il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête doit pouvoir mener à l’identification et, le cas échéant, à la punition des responsables (voir, parmi d’autres, le rappel des principes généraux dans l’arrêt Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§ 204 et suiv., 7 avril 2015). S’il n’en allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, l’interdiction légale générale de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants serait inefficace en pratique, et il serait possible dans certains cas à des agents de l’État de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux soumis à leur contrôle (voir, parmi beaucoup d’autres, Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 102, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII).

141. Compte tenu de la nature subsidiaire de sa tâche, la Cour doit se garder de prendre le rôle d’un juge du fond compétent pour apprécier les faits. Toutefois, dès lors que sont allégués des faits qui relèveraient des articles 2 et 3 de la Convention, elle doit se livrer à un contrôle particulièrement strict, quand bien même certaines procédures et investigations auraient déjà été conduites au niveau interne. En d’autres termes, la Cour examine d’une manière approfondie les conclusions des juridictions nationales. Pour ce faire, elle peut prendre en compte la qualité de la procédure interne et toute déficience propre à vicier le processus décisionnel (Bouyid, précité, § 85).

b) Application en l’espèce

142. Les parties s’accordent à dire que l’opération policière du 18 mars 2004 a commencé à 9 heures du matin. Les équipes d’intervention étaient composées de plusieurs dizaines de militaires armés, accompagnés des procureurs et des témoins.

143. S’agissant de la description du comportement des représentants des forces de l’ordre, la Cour est confrontée à des versions divergentes.

144. D’après le Gouvernement, les militaires auraient demandé la permission d’accéder dans les immeubles visés par la perquisition, le recours à la force n’étant nécessaire qu’en cas de refus. Les procureurs auraient ensuite décliné leur identité et indiqué l’objet de la perquisition. La seule contrainte à laquelle les requérants auraient été soumis concernait l’obligation d’attendre la fin de la perquisition et de ne pas utiliser les téléphones portables.

145. Les requérants, quant à eux, décrivent une opération qui a débuté dans une atmosphère de terreur caractérisée par la destruction systématique des portes et des fenêtres, l’immobilisation au sol sous la menace des armes, des coups, des insultes et l’interdiction de se rendre aux toilettes, de se nourrir et de s’habiller. Les mauvais traitements auraient continué au siège du parquet, où les procureurs les auraient menacés pour faire de fausses déclarations.

146. Les éléments de preuve dont dispose la Cour ne lui permettent pas de déterminer si les requérants ont refusé ou non de permettre l’accès des agents dans les immeubles perquisitionnés. En tout état de cause, les parties conviennent que les portes et les fenêtres de plusieurs immeubles ont été forcées.

147. Rappelant que l’article 3 de la Convention ne prohibe pas le recours à la force par les agents de police à condition que ce recours soit proportionné et absolument nécessaire (voir, parmi beaucoup d’autres, Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 76, CEDH 2000‑XII, et Altay c. Turquie, no 22279/93, § 54, 22 mai 2001), la Cour estime, au vu des circonstances de l’espèce, que le recours à la force physique par les agents spéciaux pour pénétrer dans certains immeubles pourrait se justifier (voir paragraphe 37 ci-dessus).

148. En l’absence de certificats médicaux, la Cour n’est pas en mesure de conclure que les requérants ont été physiquement blessés. Il n’est pas établi non plus au-delà de tout doute raisonnable que les représentants des forces de l’ordre ont insulté les requérants, qu’ils les ont privé de nourriture et d’accès aux toilettes et qu’ils ont été menacés pour faire de fausses déclarations.

149. Reste donc à se pencher sur les faits postérieurs à l’entrée des militaires dans les immeubles, à savoir sur les méthodes employées pour interpeller les requérants et pour procéder à la perquisition des immeubles.

150 Le Gouvernement conteste les affirmations des requérants selon lesquelles ils auraient été immobilisés au sol, sous la menace des armes.

151. La Cour n’est pas en mesure de déterminer les circonstances exactes dans lesquelles chaque requérant a été interpellé, les procès-verbaux dressés à l’issue des perquisitions ne précisant pas les méthodes employées.

152. Cependant, la Cour constate que la version des requérants est corroborée par les images qui ont été diffusées par les chaines de télévision nationales d’information et qui montraient des jeunes femmes, sommairement vêtues, allongées sur le sol, les mains derrière la nuque, des agents spéciaux cagoulés pointant des armes vers elles.

153. Au vu de ces pièces, la Cour estime qu’une contrainte a été exercée sur les occupants des immeubles perquisitionnés et que cette contrainte a impliqué un recours à la force physique et morale en raison de la menace des armes à feu. La Cour se doit donc d’établir si ce recours à la force était proportionné et absolument nécessaire dans le cas d’espèce.

154. Il ressort des pièces du dossier de l’enquête que les autorités soupçonnaient l’existence à l’intérieur de l’association MISA d’un réseau produisant et diffusant sur internet des images pornographiques et incitant occasionnellement certains de ses membres à la prostitution.

155. Sans sous-estimer la gravité de ces infractions si elles étaient avérées, la Cour relève qu’il ne s’agissait clairement pas d’un groupe d’individus soupçonnés d’avoir commis des actes criminels violents (voir, mutatis mutandis, Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, § 128, CEDH 2013 (extraits)). En outre, elle souligne qu’aucun requérant n’était soupçonné de faire partie de ce réseau et que le but de l’opération policière n’était pas d’arrêter ses membres supposés, mais seulement de saisir le matériel informatique qui pouvait se trouver dans ces immeubles.

156. Pour ce qui est de la personnalité des requérants, la Cour observe qu’il s’agissait de jeunes gens, en majorité de femmes, insérés dans la société et exerçant divers métiers. Quant à leur mode de vie, ils avaient librement fait le choix d’habiter en communauté, de manière permanente ou temporaire, dans les immeubles appartenant à MISA ou à ses membres. Aucun élément du dossier ne permettait de les soupçonner d’antécédents violents ou d’un comportement qui aurait pu représenter un danger pour les militaires appelés à perquisitionner ces immeubles.

157. Il ressort des documents dont dispose la Cour que l’activité de MISA et de ses membres était étroitement surveillée par les autorités depuis plusieurs années. Dès lors, il ne s’agissait pas d’une opération menée au hasard qui aurait pu donner lieu à des développements inattendus auxquels les forces de l’ordre aurait pu être appelées à réagir sans y être préparées.

158. Au contraire, les autorités ont programmé à l’avance l’opération policière et elles ont eu suffisamment de temps pour évaluer les risques éventuels et prendre toutes les mesures nécessaires pour procéder à la perquisition sans recours à la force excessif.

159 Cependant, malgré le temps de préparation de l’opération, il ne ressort pas des éléments du dossier que les autorités aient pris en compte l’absence d’antécédents et le comportement non-violent des requérants.

160. De surcroit, la Cour relève d’autres lacunes dans la préparation de l’opération. Ainsi, bien que l’objectif de la perquisition ait été circonscrit par le mandat judiciaire délivré par la cour d’appel à la saisie de matériel informatique, ce fait n’a pas été apparemment porté à la connaissance des militaires du bataillon spécial de la Gendarmerie. Ces derniers ont été informés qu’il s’agissait d’une opération de lutte contre le trafic de drogue et la prostitution et, par conséquent, ils ont déployé une force spécifique à ce type d’opération présentant un risque accru.

161. La Cour considère que la présence d’une arme à feu, d’une paire de menottes et d’un spray au poivre dans un des immeubles perquisitionnés, ne saurait suffire à elle seule à justifier le recours à la force à l’égard des requérants, dont aucun n’habitait cet immeuble.

162. Pour ce qui est de l’effet psychologique de l’intervention policière sur les requérants, la Cour rappelle que les opérations policières impliquant l’intervention au domicile et l’arrestation des suspects engendrent inévitablement des émotions négatives chez les personnes visées par ces mesures (Gutsanovi, précité, § 134).

163. En l’espèce, les requérants affirment que l’humiliation et l’angoisse qu’ils ont éprouvées étaient suffisamment intenses pour constituer un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

164. La Cour estime que la manière dont les militaires ont investi les immeubles visés par la perquisition et ont traité les requérants a été excessive. Elle a provoqué de forts sentiments de peur, d’angoisse et d’impuissance chez les requérants susceptibles de les avilir à leurs propres yeux et aux yeux de leurs proches.

165. La Cour estime que l’intensité de ces sentiments, amplifiée par la médiatisation intense de l’opération, a dépassé le seuil de gravité requis pour l’application de l’article 3 et que de ce fait, les requérants ont été soumis à un traitement dégradant.

166. Il y a donc eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention sous son aspect matériel.

167. Les requérants dénoncent également l’absence d’une enquête effective au sujet des allégations de mauvais traitements.

168. Le Gouvernement estime que les pièces versées au dossier de l’enquête justifiaient le non-lieu. Par ailleurs, il considère que les conclusions du parquet près la Haute Cour étaient corroborées par celles du parquet militaire au sujet de mêmes allégations et par le rapport de l’inspection judiciaire du Conseil supérieur de la magistrature.

169. La Cour note que les plaintes des requérants ont abouti à un non‑lieu rendu le 16 mai 2005 par le parquet près la Haute Cour qui s’est fondé exclusivement sur les pièces du dossier de l’enquête visant MISA et certains de ses membres.

170. La Cour déplore en particulier l’absence de toute tentative d’administrer des preuves et d’interroger des témoins pour vérifier le déroulement des événements, les circonstances exactes de l’interpellation des requérants et l’éventuelle connotation discriminatoire des mauvais traitements dénoncés.

171. La Cour estime que l’enquête ouverte par le parquet militaire et le rapport de l’inspection judiciaire ne sauraient compenser le caractère sommaire de l’enquête menée par le parquet près la Haute Cour.

172. A cet égard, la Cour rappelle que l’indépendance des procureurs militaires chargés d’enquêter sur des allégations de mauvais traitements dirigées contre des agents de l’État était sujette à caution en raison de leur appartenance à la structure militaire et des liens de subordination hiérarchique. A de nombreuses occasions, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison du manque d’indépendance du parquet militaire (voir Barbu Anghelescu c. Roumanie, no 46430/99, § 67, 5 octobre 2004 ; Dumitru Popescu c. Roumanie (no 1), no 49234/99, § 75, 26 avril 2007; Melinte c. Roumanie, no 43247/02, § 27, 9 novembre 2006; Soare et autres c. Roumanie, no 24329/02, § 169, 22 février 2011 ; Austrianu c. Roumanie, no 16117/02, § 70, 12 février 2013 et, plus récemment, Birgean c. Roumanie, no 3626/10, §72 14 janvier 2014).

173. La Cour ne saurait donc considérer comme effective l’enquête menée à l’époque des faits par le parquet militaire.

174. S’agissant du rapport de l’inspection judiciaire, la Cour constate que cette dernière ne s’est pas penchée sur les circonstances et les méthodes d’interpellation des requérants, mais sur la situation de G.B. et sur la transmission à la presse des images filmées de l’opération policière.

175. Au vu de ces éléments, la Cour n’est pas convaincue que l’enquête au sujet des allégations défendables des requérants selon lesquelles ils ont subi des mauvais traitements aux mains des forces de l’ordre a été suffisamment approfondie et effective pour remplir les exigences précitées de l’article 3.

176. Par conséquent, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son aspect procédural.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

177. Les requérants estiment que le 18 mars 2004, sur ordre du parquet, ils ont fait l’objet d’une privation de liberté arbitraire pendant la perquisition, le transport au siège du parquet et l’interrogatoire. Ils invoquent l’article 5 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi dans sa partie pertinente :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ; (...) »

A. Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

178. Le Gouvernement estime que le grief tiré de l’article 5 de la Convention par les requérantes Butum et Motocel est irrecevable au motif que ces dernières n’auraient fait l’objet d’aucune mesure de privation de liberté.

179. S’agissant des autres requérants, il excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il rappelle que la plainte contre l’ordonnance de non-lieu du parquet militaire du 19 février 2008 a été rejetée comme tardive.

180. Les requérants n’ont pas fourni d’observations sur ces points.

2. Appréciation de la Cour

181. La Cour note que les requérantes Butum et Motocel n’ont été présentes ni dans les immeubles perquisitionnés ni au siège du parquet. N’ayant été privées de liberté à aucun moment au cours de l’opération policière du 18 mars 2004, il convient d’accueillir l’exception du Gouvernement et de rejeter le grief de ces deux requérantes pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention, en application de l’article 35 §§ 3a) et 4 de la Convention.

182. S’agissant de l’exception de non-épuisement soulevée à l’égard des autres requérants, la Cour relève, outre le manque d’indépendance et d’impartialité du parquet militaire (voir paragraphe 172 ci-dessus), que la plainte tardive invoquée par le Gouvernement a été introduite par l’association MISA contre l’ordonnance de non-lieu du parquet militaire (voir paragraphe 78 ci-dessus). Dès lors, la Cour estime qu’il ne saurait être reproché aux requérants le fait que l’association ait contesté tardivement cette ordonnance.

183. En tout état de cause, la Cour relève que, selon les requérants, leur privation de liberté a été la conséquence des mesures arbitraires prises à leur encontre par les procureurs du parquet près la cour d’appel. La plainte concernant ces mesures a abouti au non-lieu rendu par le parquet près la Haute Cour le 18 mars 2004. Les requérants ayant contesté ce non-lieu dans les délais prescrits par la loi, la Cour estime qu’il convient de rejeter l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

184. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Par conséquent, il convient de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

185. Les requérants estiment dépourvue de base légale leur privation de liberté.

186. Le Gouvernement indique qu’à la fin des perquisitions, 73 personnes, dont les requérants, ont été conduits au siège du parquet pour être interrogées dans le cadre de l’enquête pénale ouverte à l’encontre de G.B. et d’autres dirigeants du MISA.

187. Il soutient que les personnes interrogées n’ont pas été privées de liberté, seule leur liberté de circulation étant temporairement restreinte pour les besoins de l’enquête. Dans ce contexte, il admet que les requérants se sont trouvés sous le contrôle des autorités du matin jusque dans la nuit du 18 mars 2004. La durée des auditions, bien que réduite au minimum nécessaire, s’expliquerait par le nombre élevé de personnes dont le parquet devait recueillir les déclarations.

188. Le Gouvernement affirme que les requérants n’avaient pas la qualité de personnes accusées, mais qu’ils devaient faire l’objet d’une vérification d’identité et déposer au sujet de leur présence sur les lieux susceptibles d’abriter des activités illégales.

189. En tout état de cause et à supposer qu’il y ait eu privation de liberté, le Gouvernement estime que la mesure était justifiée sous l’angle de l’article 5 § 1 b) de la Convention. Il expose qu’il s’agissait d’une mesure administrative prévue par l’article 31 b) de la loi no 218/2002 selon lequel les policiers ont l’obligation de conduire dans les locaux de la police les personnes qui portent atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens, ainsi que celles soupçonnées d’agissements illégaux qui n’ont pas pu justifier de leur identité dans les conditions prévues par la loi.

190. Les requérants rétorquent que la durée de la mesure ne saurait avoir une incidence décisive quant à l’existence d’une privation de liberté. Ils contestent également l’applicabilité de la loi no 218/2002 au cas d’espèce. Ils affirment que leur identité avait déjà été établie sur les lieux de la perquisition, qu’ils ne menaçaient pas l’ordre public et qu’il n’y avait pas des raisons de les soupçonner d’agissements illégaux.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

191. La Cour rappelle que, pour déterminer si un individu se trouve « privé de sa liberté » au sens de l’article 5, il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée. Sans doute faut-il fréquemment, pour se prononcer sur l’existence d’une atteinte aux droits protégés par la Convention, s’attacher à cerner la réalité par-delà les apparences et le vocabulaire employé (voir, parmi d’autres arrêts, Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 91, 23 février 2012).

192. La qualification ou l’absence de qualification donnée par un État à une situation de fait ne saurait avoir une incidence décisive sur la conclusion de la Cour quant à l’existence d’une privation de liberté. La durée de la privation de liberté ne saurait non plus être déterminante, l’article 5 § 1 s’appliquant également à une privation de liberté de courte durée (idem, §§ 92, 93).

193. La Cour rappelle également qu’en matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. Toutefois, le respect du droit national n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire. Il existe un principe fondamental selon lequel nulle détention arbitraire ne peut être compatible avec l’article 5 § 1, et la notion d’« arbitraire » que contient l’article 5 § 1 va au‑delà du défaut de conformité avec le droit national, de sorte qu’une privation de liberté peut être régulière selon la législation interne tout en étant arbitraire et donc contraire à la Convention (idem, § 85).

b) Application en l’espèce

194. La Cour note qu’il n’est pas contesté par les parties que le 18 mars 2004, les requérants se sont trouvés sous le contrôle des autorités. Après la perquisition qui a eu lieu en présence des militaires, ils ont été transportés, toujours sous garde armée, au siège du parquet où ils ont déposé ou attendu pour déposer pendant plusieurs heures. Pendant cette période, qui, selon les affirmations du Gouvernement, s’est étalée entre 9 heures du matin et jusqu’à la nuit, ils n’ont été autorisés à quitter ni les lieux de la perquisition ni le siège du parquet.

195. Au vu du déroulement chronologique des événements et compte tenu du caractère forcé de la comparution des requérants, la Cour conclut qu’ils ont fait l’objet d’une privation de liberté (voir, mutatis mutandis, Creangă [GC], § 99 ; Ghiurău c. Roumanie, no 55421/10, § 80, 20 novembre 2012 et contrairement à la situation en cause dans Soare et autres c. Roumanie, no 24329/02, § 237, 22 février 2011).

196. Il convient donc de trancher la question de savoir si les requérants ont été privés de leur liberté « selon les voies légales », au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

197. Le Gouvernement affirme que la privation de liberté était une mesure administrative, fondée sur les dispositions de l’article 31 § 1 b) de la loi no 218/2002 et justifiée au regard de l’article 5 § 1 b) de la Convention.

198. La Cour note qu’en vertu de l’article 31 § 1 b) de la loi no 218/2002, pour que la police soit autorisée à conduire une personne dans ses locaux pour procéder à une vérification d’identité, deux conditions cumulatives doivent être remplies : l’impossibilité pour la personne contrôlée de justifier de son identité dans les conditions prévues par la loi et l’existence de soupçons d’avoir commis une infraction.

199. Or, en l’espèce, la Cour constate qu’aucune de ces conditions n’était remplie. Elle note qu’il ressort des procès-verbaux dressés à l’issue des perquisitions que l’identité des requérants avait été établie, sur la base de leurs pièces d’identité, dès l’arrivée des représentants des forces de l’ordre dans les immeubles perquisitionnés. Par ailleurs, dans les déclarations des requérants au parquet, leur identité a été de nouveau précisée, sans que les enquêteurs fassent mention d’une quelconque impossibilité ou difficulté à l’établir.

200. S’agissant de la seconde condition prévue par la loi, la Cour note qu’avant la perquisition, les requérants ne faisaient l’objet d’aucune enquête. Dans leurs déclarations, il n’y avait pas non plus d’indice qui pourrait donner à penser que ces déclarations s’inscrivaient dans le cadre d’une enquête préliminaire dirigée contre eux.

201. Il ressort des circonstances de l’affaire que les requérants ont été retenus au parquet dans le seul but de déposer dans l’affaire pénale qui visait G.B. et d’autres membres du MISA. Cependant, à aucun moment, ils n’ont été informés des raisons de leur présence au parquet ni de leur statut de témoins.

202. Compte tenu de l’existence dans le code de procédure pénale de dispositions spécifiques pour assurer leur comparution en tant que témoins, y compris, en dernier recours, par la contrainte, la Cour estime que l’article 31 § 1 b) de la loi no 218/2002 ne saurait constituer une base légale pour la privation de liberté des requérants.

203. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

III. SUR LES VIOLATIONS ALLEGUÉES DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

204. Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants dénoncent la perquisition de leur domicile, les fouilles, la saisie d’objets personnels et la diffusion dans la presse des images filmées de l’opération policière.

205. Les parties pertinentes en l’espèce de l’article 8 de la Convention se lisent comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et (...), de son domicile (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

206. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle estime par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

207. Les requérants considèrent qu’ils ont été victimes d’une ingérence arbitraire et disproportionnée dans leur droit au respect de leur vie privée et de leur domicile.

208. Ils allèguent que le parquet a détourné l’objet du mandat de perquisition délivré par le juge. Ils exposent que ce mandat concernait la saisie des supports informatiques, alors que le parquet en aurait profité pour organiser une vaste opération policière destinée à détruire l’association MISA et à intimider ses adhérents.

209. Ils soutiennent que la perquisition de leur domicile, les interpellations dans la rue, les fouilles et la saisie de nombreux objets personnels qui n’avaient aucun rapport avec l’enquête, ont constitué de graves ingérences dans leur vie privée contre lesquelles ils n’ont bénéficié d’aucuns garanties ou moyens de défense.

210. Enfin, ils se plaignent de l’enregistrement et de la diffusion dans la presse d’images filmées de l’opération policière.

211. Le Gouvernement conteste ces thèses. Il affirme que la perquisition était conforme au droit interne qui prévoit une protection suffisante contre l’arbitraire, notamment en soumettant la perquisition à l’autorisation préalable d’un juge.

212. Concernant la manière dont la perquisition a eu lieu, le Gouvernement affirme que l’intervention en force et simultanée des enquêteurs était nécessaire afin de surprendre les auteurs des infractions de diffusion électronique d’images pornographiques et de trafic d’êtres humains en flagrance et éviter la destruction de preuves. Il souligne que la perquisition a eu lieu en présence des requérants ou de leurs représentants.

213. Le Gouvernement soutient que tous les objets saisis avaient un lien avec l’enquête en cours et qu’ils avaient été répertoriés dans les procès‑verbaux ou introduits dans des cartons scellés. Selon le Gouvernement, les objets qui n’avaient pas de rapport avec l’enquête ont été restitués aux requérants.

214. Le Gouvernement n’a pas commenté les allégations des requérants concernant l’atteinte à leur vie privée en raison de de la diffusion dans la presse de l’enregistrement de l’opération policière.

2. Appréciation de la Cour

215. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence bien établie, des perquisitions et saisies opérées au domicile des requérants s’analysent en une ingérence dans le droit au respect de leur « vie privée » et de leur domicile (Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, § 217, CEDH 2013 (extraits) et Slavov et autres c. Bulgarie, no 58500/10, § 141, 10 novembre 2015).

216. La Cour rappelle également que les fouilles des requérants, de leurs vêtements ou de leurs effets personnels constituent une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée. Le caractère public de la fouille peut dans certains cas aggraver ladite ingérence du fait de l’humiliation et de la gêne qui en résultent (Gillan et Quinton c. Royaume‑Uni, no 4158/05, §§ 63 et 64, CEDH 2010 (extraits)).

217. Pareilles ingérences méconnaissent l’article 8 sauf si elles sont prévues par la loi, si elles poursuivent un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et si elles sont « nécessaire[s] dans une société démocratique » pour les atteindre.

218. La Cour rappelle que la notion de nécessité implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et notamment proportionnée au but légitime recherché. S’agissant en particulier des visites domiciliaires et des saisies, la législation et la pratique internes doivent offrir des garanties adéquates et suffisantes contre les abus et l’arbitraire (voir, entre autres, Robathin c. Autriche, no 30457/06, § 44, 3 juillet 2012 et Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services c. France, nos 63629/10 et 60567/10, § 66, 2 avril 2015).

219. A cet égard, la Cour note que figure parmi ces garanties l’existence d’un « contrôle efficace » des mesures attentatoires à l’article 8 de la Convention (Lambert c. France, 24 août 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V).

220. Enfin, la Cour rappelle que des fuites d’informations judiciaires confidentielles dans la presse constituent une ingérence injustifiée dans la vie privée des intéressés (voir, par exemple, Căşuneanu c. Roumanie, no 22018/10, § 71, 16 avril 2013). De même, la Cour a déjà conclu à la violation de l’article 8 de la Convention lorsque les autorités ont fourni à la presse une photographie de la requérante tirée de son dossier de poursuites (Sciacca c. Italie, no 50774/99, §§ 29 et 30, CEDH 2005‑I).

221. En l’espèce, la Cour estime qu’il y a eu ingérence dans l’exercice du droit des requérants nos 1-12, 14-16, 18-24 et 26 (voir liste des requérants en annexe) au respect de leur « vie privée » et de leur domicile du fait de la perquisition de leur domicile et de la saisie d’objets personnels.

222. Au regard des circonstances factuelles, la Cour estime que même les requérants qui avaient rejoint temporairement les communautés des pratiquants du yoga installées dans les immeubles perquisitionnés (voir paragraphe 20 ci-dessus) avaient des liens suffisants avec ces lieux pour considérer que cette perquisition et la saisie de leurs objets personnels ont constitué une ingérence dans leurs droits au respect de leur « vie privée » et de leur domicile.

223. La Cour observe que la perquisition en cause avait une base légale en droit interne, à savoir les articles 100-108 du code de procédure pénale et 55 de la loi no 161/2003. Elle poursuivait le but légitime de la défense de l’ordre et de la prévention des infractions pénales.

224. La Cour constate que ces dispositions légales prévoient des garanties pour éviter que les autorités ne puissent prendre des mesures arbitraires. Parmi ces garanties, les plus importantes concernent le mandat judiciaire pour procéder à la perquisition et le contrôle judiciaire postérieur de la legalité et de la nécessité de cette mesure. Encore faut-il que ces contrôles soient efficaces dans les circonstances particulières de l’affaire en cause (Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 45, 7 juin 2007 et Slavov et autres, précité, § 146) et que ces garanties soient appliquées de manière concrète et effective, et non pas théorique et illusoire (Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services, précité, § 75).

225. La Cour note que le 16 mars 2004, le tribunal a autorisé la perquisition des immeubles en vue de la saisie des supports informatiques contenant des informations relatives aux transferts internationaux des données et à leurs utilisateurs.

226. Cependant, force est de constater que les enquêteurs n’ont pas circonscrit leurs fouilles au mandat judiciaire. Il ressort de l’inventaire dressé à l’issue des perquisitions qu’une grande partie des objets saisis étaient étrangers à toute forme de donnée informatique et qu’ils n’avaient aucun lien apparent avec l’objet de l’enquête. La Cour observe par exemple que les enquêteurs ont saisi, entre autres, des livres, des photographies, des documents administratifs et des pièces d’identité, des lettres, de l’argent, des bijoux, des objets de décoration et des vêtements. De surcroit, une partie des objets personnels des requérants a été emportée dans des boites dont le contenu n’a pas fait l’objet d’un inventaire.

227. S’agissant du contrôle a posteriori de l’opération policière, la Cour constate que le grief des requérants concernant les abus auxquels ils auraient été soumis de la part du parquet qui aurait détourné sciemment l’objet du mandat judiciaire de perquisition, n’a pas reçu de réponse de la part des juridictions internes. De surcroît, la Cour observe que, contrairement à ce que le parquet a affirmé, les tentatives des requérants de contester devant les juridictions internes la saisie de leurs objets personnels et d’obtenir leur restitution se sont avérés vaines (voir paragraphes 53 et 85 ci-dessus).

228. Partant, la Cour conclut qu’en raison de leur caractère massif et indifférencié et de l’absence d’un contrôle a posteriori effectif, la perquisition et la saisie d’objets personnels ont porté atteinte aux droits des requérants susmentionnés, garantis par l’article 8 de la Convention (comparer avec Robathin, précité, § 52 ; Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services, précité, § 78 et Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, § 116, 15 juillet 2003).

229. S’agissant des requérants Pelin, Monete et Tanase, la Cour constate qu’ils ont été interpellés dans la rue, à proximité des immeubles perquisitionnés et contraints de se soumettre à une fouille à l’issue de laquelle des objets personnels ont été saisis (voir paragraphes 20 et 21 ci‑dessus). Dès lors, la Cour estime que ces requérants ont également subi une ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée.

230. La Cour note que le Gouvernement n’a pas indiqué en vertu de quelles dispositions légales ces mesures ont été prises. Le procès-verbal dressé à l’occasion de la fouille de M. Monete indiquait que les forces de l’ordre avaient agi en vertu de l’article 219 du code de procédure pénale. Cet article prévoit que le procureur en charge de l’enquête peut ordonner à la police judicaire la réalisation d’actes d’enquête.

231. La Cour en déduit que la mesure a été ordonnée par l’un des procureurs en charge de l’opération policière du 18 mars 2004.

232. Cependant, la Cour estime que la simple mention de l’article 219 du code de procédure pénale ne permet pas de répondre à la question de savoir si le pouvoir dont le procureur avait fait usage en l’espèce avait une base en droit interne, quelle était l’étendue d’un tel pouvoir et surtout quelles étaient les garanties contre l’arbitraire prévues par le droit interne (voir, mutatis mutandis, Gillan et Quinton c. Royaume-Uni, précité, §§ 76 et suiv.).

233. Dans ces circonstances, la Cour considère que la fouille dont les requérants Pelin, Monete et Tanase ont fait l’objet n’était pas « prévue par la loi » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

234. La Cour note ensuite que, pour les besoins de l’enquête, la perquisition de chaque immeuble a été filmée par les militaires participant à l’opération. Ultérieurement, ces enregistrements ont été mis à la disposition de la presse qui en a fait une très large couverture médiatique. Les principales chaines d’information et quotidiens nationaux ont illustré leurs reportages et leurs articles avec des films et des photographies provenant des autorités et en particulier, selon l’inspection judiciaire du Conseil supérieur de la magistrature, du ministère de l’Intérieur (voir paragraphes 56 et 93).

235. Il ressort de l’examen des extraits des articles de la presse écrite et audiovisuelle que les images fournies par les autorités montraient les occupants des immeubles, en particulier de jeunes femmes, allongés sur le sol dans des postures humiliantes. Or, force est de constater que les autorités qui ont mis ces images à la disposition de la presse n’ont pas pris des précautions minimes pour protéger la vie privée des personnes concernées : leurs corps et visages n’ont pas été masqués et les images litigieuses ont été filmées dans des espaces privés.

236. La Cour n’est pas convaincue par l’argument avancé par le parquet pour rejeter la plainte des requérants (voir paragraphe 56 ci-dessus), à savoir que la diffusion de ces images répondait à une question d’intérêt général. Elle estime que d’autres procédés, moins attentatoires à la vie privée des requérants, qui en tant que « personnes ordinaires » pouvaient légitimement s’attendre à une protection accrue de leur vie privée, auraient permis d’informer le public sur les investigations en cours.

237. Par conséquent, la Cour considère que les autorités internes qui ont fourni à la presse les enregistrements de l’opération policière ont porté une atteinte injustifiée au droit des requérants à la protection de leur vie privée.

Conclusion

238. La Cour estime que les défaillances relevées ci-dessus concernant la perquisition, la saisie des biens, la fouille et la diffusion des images de l’opération policière suffisent pour conclure à la violation de l’article 8 à l’égard de tous les requérants.

IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

239. Invoquant l’article 9 de la Convention combiné avec l’article 14, les requérants se plaignent d’une discrimination fondée sur leur appartenance au MISA dans leur droit de manifester leurs convictions. A cet égard, ils dénoncent une vaste campagne de dénigrement et de persécutions, largement relayée par les medias, qui aurait été orchestrée par des hauts fonctionnaires et des hommes politiques, dont notamment le premier ministre.

240. Le Gouvernement soutient que l’opération policière n’était nullement motivée par les convictions promues par MISA et ses membres, mais qu’elle était uniquement destinée à empêcher la commission d’infractions dans les locaux de MISA et en utilisant son infrastructure. Il affirme que la surveillance dont l’association avait fait l’objet de la part du SRI ne concernait que ses activités potentiellement illégales. Enfin, il expose que l’association fonctionne toujours et qu’elle continue de déployer son activité, sans ingérence de la part de l’État.

241. La Cour rappelle que la notion de discrimination englobe d’ordinaire les cas dans lesquels un individu ou un groupe se voit, sans justification adéquate, moins bien traité qu’un autre, même si la Convention ne requiert pas le traitement plus favorable (voir, parmi d’autres, Zarb Adami c. Malte, no 17209/02, § 73, CEDH 2006‑VIII).

242. La Cour adopte les conclusions qui, à son avis, se trouvent étayées par une évaluation indépendante de l’ensemble des éléments de preuve, y compris les déductions qu’elle peut tirer des faits et des observations des parties. Conformément à sa jurisprudence constante, la preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 147, CEDH 2005‑VII).

243. En l’espèce, la Cour constate que le SRI surveillait les activités de MISA depuis sa création, en 1990. Si les motifs de cette surveillance étaient liés, en partie, à l’expression des opinions jugées contraires aux choix de politique externe de l’État, il ressort néanmoins des pièces du dossier que l’opération policière du 18 mars 2004 faisait suite à des indices de commission d’infractions pénales dans certains immeubles du MISA.

244. Par conséquent, la Cour estime qu’elle n’est pas en présence d’éléments graves, précis et concordants pour conclure que l’ouverture des poursuites contre G.B. et d’autres membres du MISA et l’autorisation de perquisition de ces immeubles poursuivaient un but discriminatoire portant atteinte à la liberté des requérants de manifester leurs convictions.

245. Par ailleurs, la Cour souligne que les allégations concernant le comportement des représentants des forces de l’ordre au cours l’opération policière du 18 mars 2004 ont été examinées sous l’angle de l’article 3 de la Convention.

246. Quant aux déclarations qui auraient porté un jugement négatif sur les activités du MISA, la Cour constate que les propos incriminés par les requérants émanaient non pas des autorités judicaires qui contrôlaient le déroulement de l’enquête, mais de divers hommes politiques. Or, la Cour estime qu’il convient de situer ces déclarations dans le contexte de l’affaire qui a suscité un grand émoi dans l’opinion publique. Tels qu’ils ressortent des articles de presse fournis par les requérants, la Cour considère que les propos litigieux ne sauraient démontrer l’existence d’une campagne de dénigrement et de persécutions orchestrée par certains hommes politiques contre MISA et ses membres.

247. Enfin, s’agissant de l’écho que l’affaire a eu dans la presse, la Cour considère qu’il est inévitable, dans une société démocratique, que des commentaires parfois sévères soient faits par les journalistes sur des affaires sensibles.

248. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles 9 et 14 de la Convention. La Cour conclut donc que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

249. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

250. Les requérants sollicitent 18 000 euros (EUR) chacun au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi en raison des mauvais traitements, de la privation de liberté et de la violation de leur droit au respect de la vie privée et de leur domicile au cours de l’opération policière du 18 mars 2004.

251. Le Gouvernement soutient que la demande des requérants n’est pas fondée. En outre, il considère excessif le montant sollicité.

252. La Cour estime que les requérants nos 1 et 2, 4-11 et 14-26 ont subi un préjudice moral du fait de la violation constatée des articles 3, 5 § 1 et 8 de la Convention et qu’il y a lieu d’octroyer 12 000 EUR à chacun de ces requérants. S’agissant des requérants nos 3 et 12, la Cour estime qu’ils ont subi un préjudice moral du fait de la violation constatée de l’article 8 de la Convention et qu’il y a lieu d’octroyer 4 500 EUR à chacun de ces deux requérants. Enfin, s’agissant du requérant no 13, la Cour estime qu’il a subi un préjudice moral du fait de la violation constatée de l’article 5 § 1 et 8 de la Convention et qu’il y a lieu de lui octroyer 6 000 EUR.

B. Frais et dépens

253. Les requérants ne demandent pas le remboursement des frais et dépens engagés devant les juridictions internes et ceux engagés devant la Cour.

C. Intérêts moratoires

254. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention par les requérants nos 1 et 2, 4‑11 et 14‑26 ;

2. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention par les requérants nos 1 et 2, 4‑11 et 13‑26 ;

3. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 8 de la Convention ;

4. Déclare , à la majorité, la requête irrecevable pour le surplus ;

5. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous les aspects matériel et procédural à l’égard des requérants nos 1 et 2, 4-11 et 14-26 ;

6. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention à l’égard des requérants nos 1 et 2, 4-11 et 13-26 ;

7. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention à l’égard de l’ensemble des requérants ;

8. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i) 12 000 EUR (douze mille euros) à chacun des requérants nos 1 et 2, 4‑11 et 14‑26, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants sur cette somme, pour dommage moral,

ii) 6 000 EUR (six mille euros) au requérant no 13, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant sur cette somme, pour dommage moral,

iii) 4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros) à chacun des requérants nos 3 et 12, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants sur cette somme, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

9. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 avril 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Marialena TsirliAndrás Sajó
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Sajó.

A.S.
M.T.

OPINION SÉPARÉE DU JUGE SAJÓ

L’association MISA (Mouvement d’intégration spirituelle dans l’absolu) fit l’objet d’une étroite surveillance ainsi que de plusieurs enquêtes par le parquet. L’opération policière, que la Cour estime contraire à l’article 3 de la Convention, a provoqué de forts sentiments de peur (§ 163 de l’arrêt). Dans la mesure où les requérants appartiennent à un mouvement qu’ils considèrent comme religieux, les conséquences sur la liberté de manifester des croyances religieuses ne sont pas négligeables et il ne peut pas y avoir de libre manifestation de la religion en cas de fumus persecutionis.

Annexe – Liste des requérants

1. Liliana AMARANDEI née le 30/12/1963, réside à Iaşi
2. Mirela AVĂDĂNII, née le 13/09/1972, réside à Bucarest
3. Ioana Mihaela BUTUM, née le 22/10/1979, réside à Braşov
4. Nicoleta Roxana COJOCARU, née le 18/09/1978, réside à Iaşi
5. Oana Roxana DOLDOR, née le 14/02/1979, réside à Vidra
6. Violeta ENĂCHESCU (HOSCEVAIA), née le 11/04/1978, réside à Bucarest
7. Elena-Simona FRÎNCULEASĂ, née le 11/12/1974, réside à Bucarest
8. Mariana Cipriana LAZĂR, née le 11/08/1969, réside à Bucarest
9. Amalia LUCACHI, née le 17/02/1969, réside à Iaşi
10. Iulia LUPESCU, née le 15/07/1970, réside à Moara Mică
11. Rose-Marie MÎNDRU, née le 6/09/1978, réside à Drobeta Turnu Severin
12. Liliana MOTOCEL, née le 6/08/1973, réside à Bucarest
13. Virgil-Marius MONETE, né le 21/09/1968, réside à Bucarest
14. Valeria-Laura OBREJA, née le 19/12/1973, réside à Iaşi
15. Simona OPREAPOPA, née le 20/10/1976, réside à Avrig
16. Ana-Maria PĂNESCU, née le 24/03/1979, réside à Oteşani
17. Beatrice Camelia PELIN, née le 4/01/1981, réside à Piatra Neamţ
18. Rodica PETRE, née le 25/03/1974, réside à Bucarest
19. Iuliana RADU, née le 12/08/1968, réside à Bucarest
20. Elena SIMA, née le 3/09/1979, réside à Focşani
21. Daniel STANCIU, né le 26/02/1972, réside à Piatra Neamţ
22. Catrinel STOENESCU, née le 17/01/1981, réside à Bucarest
23. Ştefan-Raul SZANTO, né le 04/03/1970, réside à Bistriţa
24. Tatieana TANASĂ, née le 25/08/1949, réside à Iaşi
25. Constantin TĂNASE, né le 28/10/1967, réside à Bucarest
26. Florin-Mihăiţă ŢUŢU, née le 13/03/1974, réside à Bucarest


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