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31/03/2016 | CEDH | N°001-161739

CEDH | CEDH, AFFAIRE STOYANOV ET AUTRES c. BULGARIE, 2016, 001-161739


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE STOYANOV ET AUTRES c. BULGARIE

(Requête no 55388/10)

ARRÊT

STRASBOURG

31 mars 2016

DÉFINITIF

30/06/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Stoyanov et autres c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Ganna Yudkivska,
Khanlar Hajiyev,
André Potocki, <

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Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE STOYANOV ET AUTRES c. BULGARIE

(Requête no 55388/10)

ARRÊT

STRASBOURG

31 mars 2016

DÉFINITIF

30/06/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Stoyanov et autres c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Ganna Yudkivska,
Khanlar Hajiyev,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er mars 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 55388/10) dirigée contre la République de Bulgarie et dont dix ressortissants de cet État, M. Plamen Stoyanov, son épouse, Mme Petranka Stoyanova et leurs deux fils, MM. Plamen Plamenov Stoyanov et Dimitar Stoyanov, M. Yordan Stoyanov, sa compagne, Mme Antonia Ivanova et leurs deux filles Mlles Emilia Stoyanova et Monika Stoyanova, M. Veselin Stoyanov, fils aîné de M. Yordan Stoyanov et Mme Tsonka Tsaneva, ex-épouse de M. Yordan Stoyanov, ainsi que dix sociétés de droit bulgare contrôlées ou gérées par MM. Plamen et Yordan Stoyanovi (« les requérants ») ont saisi la Cour le 9 août 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Les noms des requérants personnes physiques, leurs dates de naissance respectives et les dénominations sociales des requérants personnes morales figurent en annexe au présent arrêt.

2. Les requérants ont été représentés par Mes M. Ekimdzhiev et S. Stefanova, avocats à Plovdiv. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. Dimova, du ministère de la Justice.

3. MM. Plamen et Yordan Stoyanovi et six autres membres de leurs familles respectives allèguent qu’ils ont été soumis à des traitements dégradants lors de l’entrée de la police dans leurs logements respectifs et qu’ils ont été victimes d’une violation de leur droit au respect du domicile et de la vie privée. MM. Plamen et Yordan Stoyanovi soutiennent de plus qu’ils n’ont pas été rapidement informés des raisons de leur arrestation, qu’ils n’ont pas disposé d’un droit à réparation pour leur arrestation effectuée selon eux en méconnaissance de l’article 5 de la Convention et que leur présomption d’innocence et leur bonne réputation ont été atteintes par les propos de différents responsables politiques. Enfin, tous les requérants se plaignent de l’imposition de mesures conservatoires par les tribunaux sur leurs biens et d’une absence de voies de recours internes pour remédier aux violations alléguées des diverses dispositions de la Convention.

4. Le 19 décembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. L’opération « Pieuvre » et l’arrestation de Plamen et Yordan Stoyanovi

5. Au petit matin du 10 février 2010, les forces spéciales du ministère de l’Intérieur lancèrent une opération d’envergure visant à l’arrestation de plusieurs membres d’un groupe de type mafieux soupçonnés d’avoir organisé et dirigé un vaste réseau de prostitution et d’être mêlés à différentes affaires d’extorsion, d’appropriation de fonds publics, de racket, de fraude fiscale et de blanchiment d’argent. L’opération fut baptisée « Pieuvre » et reçut une large couverture médiatique. Certains groupes d’intervention du ministère furent accompagnés de caméramans et de photographes lors de l’arrestation des différentes personnes soupçonnées d’appartenir à cette organisation de malfaiteurs. Plusieurs photographies des personnes arrêtées furent publiées dans la presse écrite et parurent sur des sites Internet.

6. Le 10 février 2010, vers 6 h 30, un premier groupe d’intervention du ministère de l’Intérieur, constitué de plusieurs agents cagoulés et lourdement armés, se rendit près de la maison habitée par M. Yordan Stoyanov, sa compagne, Mme Antonia Ivanova, leurs deux filles mineures, Emilia et Monika, et le fils aîné de la famille, Veselin, âgé, au moment des faits, de dix-huit ans.

7. Yordan Stoyanov expose ce qui suit : il a été réveillé par des bruits suspects ; il s’est rendu au premier étage de sa maison, a ouvert la fenêtre donnant sur le jardin et a aperçu un policier masqué qui braquait son arme contre lui ; il a entendu les cris : « Police », « Ne bouge pas », « Par terre », « Ouvre » ; sur ce, il s’est allongé par terre et a dit aux policiers qu’il y avait des enfants dans la maison ; il a été menotté par un policier qui était entré par la fenêtre de la maison. Ce requérant précise qu’il était tout nu.

8. Yordan Stoyanov ajoute que d’autres policiers, masqués et armés, sont entrés par la porte de la maison, ont monté l’escalier et se sont rendus dans la chambre de sa compagne et de leurs deux filles âgées de deux et quatre ans. Antonia Ivanova expose que ses enfants auraient été brusquement réveillées par les cris des hommes armés et se seraient blotties contre elle. Toutes les trois auraient été effrayées par les hommes cagoulés et armés. Les policiers auraient pénétré dans la chambre du fils aîné de Yordan Stoyanov, Veselin, l’auraient immobilisé de force et l’auraient menotté.

9. Au bout d’une heure, la compagne et les deux filles de Yordan Stoyanov auraient été autorisées à quitter la maison familiale pour se rendre chez un proche parent. Yordan Stoyanov, qui aurait été toujours nu et menotté, se serait caché derrière une porte afin de ne pas être aperçu par ses filles. À leur sortie de la maison, quelques policiers auraient braqué leurs armes sur les deux enfants et leur mère.

10. Pendant ce temps, un deuxième groupe d’intervention de la police avait pénétré dans l’immeuble où se trouvait l’appartement de Plamen Stoyanov. Ce dernier, déjà réveillé par l’appel téléphonique de la compagne de son frère, aurait été appréhendé dans l’entrée de son logement, immobilisé et menotté. Les policiers, accompagnés d’un caméraman, seraient entrés dans l’appartement et auraient réveillé son épouse, Petranka Stoyanova, et leur fils cadet, Plamen, alors âgé d’onze ans. L’enfant aurait été en état de choc. Plamen Stoyanov, qui était en sous-vêtements et portait des menottes, fut photographié.

11. Quelque temps après, le fils de Plamen Stoyanov aurait été autorisé à quitter l’appartement pour aller à son école, située juste en face de l’immeuble.

12. Les requérants indiquent qu’ils ont été profondément marqués par l’introduction de la police dans leurs domiciles respectifs.

13. Mme Petranka Stoyanova, épouse de Plamen Stoyanov, expose que, depuis les événements en cause, elle a des troubles du sommeil, elle a peur de sortir seule, elle craint pour ses enfants et elle s’est vu prescrire des médicaments anxiolytiques.

14. Elle précise qu’elle a dû consulter un pédopsychologue parce qu’elle était préoccupée par le comportement de son fils mineur, Plamen. Après l’arrestation de son père, le garçon se serait renfermé sur lui-même, aurait refusé d’aller à l’école, aurait mal dormi pendant la nuit et se serait souvent caché sous son lit pendant la journée. Les médecins lui auraient prescrit de la mélatonine pour réguler son sommeil.

15. Mme Antonia Ivanova, compagne de Yordan Stoyanov, expose qu’elle dort très mal depuis l’arrestation de son compagnon et qu’elle se réveille au moindre bruit. Ses deux filles mineures, Emilia et Monika, auraient été profondément affectées par les événements, auraient craint le retour des policiers et lui auraient demandé si leurs parents étaient des gens honnêtes.

16. Le fils aîné de Yordan Stoyanov, Veselin, aurait consulté à deux reprises une psychothérapeute. Il aurait souffert d’anxiété et aurait eu des troubles du sommeil.

B. Les perquisitions des logements de Plamen et Yordan Stoyanovi

17. Toujours le 10 février 2010, entre 6 h 30 et 9 heures, un policier enquêteur avait procédé à la perquisition de l’appartement de Plamen Stoyanov sans l’autorisation préalable d’un juge. M. Plamen Stoyanov fut assisté de son avocat et la perquisition fut effectuée en la présence de deux témoins et d’un expert. La partie requérante a présenté à la Cour le procès-verbal dressé par l’agent de police à cet effet. Le formulaire de procès-verbal comportait une phrase standard invitant le propriétaire des lieux, en l’occurrence Plamen Stoyanov, à présenter aux policiers tous les objets, documents ou systèmes informatiques contenant des informations relatives à l’enquête pénale en cours menée par le service national de l’instruction.

18. Dans l’appartement, le policier enquêteur découvrit et saisit trois téléphones mobiles, trois ordinateurs portables, deux pistolets et des munitions pour ceux-ci. Le requérant remit son permis de port d’armes.

19. De même, après l’arrestation de Yordan Stoyanov, les policiers avaient procédé à la perquisition de sa maison. Aucune des parties n’a présenté le procès-verbal dressé à l’issue de cette perquisition. Il ressort des autres documents du dossier que les policiers ne disposaient pas d’autorisation préalable d’un juge pour procéder à la perquisition.

20. M. Yordan Stoyanov expose que les agents de police l’ont amené dans chaque pièce de sa maison, ont fouillé partout et ont jeté tous les objets par terre. Les policiers découvrirent et saisirent des cartes à puce, les cartes bancaires de la famille, les armes dudit requérant, des CD contenant des photos de famille, des ordinateurs portables et des documents. Le requérant allègue que les policiers ont également saisi des objets de valeur comme sa montre et des bijoux en or. L’avocat du requérant, qui arriva devant la maison vers 9 heures, n’aurait pas été autorisé à y entrer et n’aurait pas assisté à la perquisition.

21. Le 11 février 2010, les procès-verbaux des perquisitions des logements familiaux de Plamen et Yordan Stoyanovi furent présentés pour approbation à deux juges du tribunal de la ville de Sofia. Par deux décisions du même jour, les juges donnèrent leur approbation pour les mesures d’instruction effectuées.

22. La partie pertinente en l’espèce de la décision concernant la perquisition de la maison de Yordan Stoyanov se lisait comme suit :

« La présente procédure se déroule en application de l’article 161, alinéa 2 du code de procédure pénale.

Elle a été diligentée par le procureur chargé de l’enquête pénale no 2/10 (...) qui demande l’approbation du procès-verbal daté du 10 février 2010 de perquisition et saisie effectuées dans le logement sis à Sofia, Kremikovtsi, rue Tsar Kaloyan, habité par Yordan Dimitrov Stoyanov. Sont avancées, comme raisons justifiant les mesures en cause, l’urgence du cas d’espèce et la nécessité de retrouver des objets revêtant une certaine importance pour la procédure pénale susmentionnée.

Le tribunal, après avoir pris connaissance de ladite demande, des documents joints à celle-ci et ayant pris en compte les dispositions de la loi, constate ce qui suit :

La demande est justifiée. Il ressort des documents du dossier qu’une mesure d’instruction urgente a été effectuée – en l’occurrence, perquisition du logement en question et saisie d’objets s’y trouvant. L’urgence dans le cas d’espèce découle du caractère même des poursuites pénales, relatives à une infraction pénale punie par l’article 321, alinéa 3 en relation avec l’alinéa 1 du même article et avec l’article 26 du code pénal, étant donné que la perquisition du logement en cause et la saisie des objets s’y trouvant étaient les seuls moyens pour préserver et recueillir des preuves matérielles relatives à la procédure pénale en cause. La demande a été introduite dans les délais prévus à cet effet. »

23. La partie pertinente en l’espèce de la décision concernant la perquisition de la maison de Plamen Stoyanov se lisait comme suit :

« La demande d’approbation d’un procès-verbal de perquisition et saisie a été introduite par un représentant du parquet de la ville de Sofia chargé de la supervision des poursuites pénales en cause.

Le procès-verbal présenté a été dressé par l’organe compétent chargé d’effectuer les mesures d’instruction urgentes immédiatement après l’obtention d’informations sur la commission d’une infraction pénale. À l’occasion de la détention d’un groupe d’individus inculpés pour la commission d’infractions pénales graves, il a été procédé à des vérifications supplémentaires relatives aux ressources financières des membres du groupe et les organes d’enquête ont découvert un autre groupe d’individus, placés plus haut dans la hiérarchie des structures criminelles, qui s’occupait de blanchir de l’argent généré par l’activité criminelle en utilisant des entreprises légalement constituées. Une des personnes appartenant à ce dernier groupe était (...) Plamen Dimitrov Stoyanov, alias « le grand frère Dambov », directement impliqué dans la faillite de l’usine Kremikovtsi par le biais de deux de ses entreprises, dans des contrats d’échange et d’achat de nombreux terrains dans tout le pays. Les enquêteurs ont immédiatement pris des mesures visant à la localisation des logements, bureaux et autres immeubles utilisés par [Plamen Dimitrov Stoyanov] dans lesquels il pouvait y avoir des objets permettant d’établir les circonstances ayant trait à ladite enquête pénale. Ainsi a été localisé un logement particulier, à savoir l’appartement no 3, sis à Sofia, Kremikovtsi, bâtiment 33, au premier étage. Y ont été saisis : téléphone mobile de marque Nokia (...), téléphone mobile de marque Nokia (...), ordinateur portable de marque Sony Vaio (...), ordinateur portable de marque Sony Vaio (...), ordinateur portable de marque Dell (...), téléphone mobile de marque Vertu avec une carte SIM de l’opérateur mobile (...), pistolet de marque Beretta (...) avec un chargeur contenant quinze cartouches (...), permis de port d’armes, pistolet de marque Glock (...) avec deux chargeurs contenant au total trente cartouches (...), chargeur vide pour pistolet Walther (...). Les objets susmentionnés pourraient avoir un lien avec l’objet de l’enquête pénale et il était nécessaire de les saisir par la mesure d’instruction en cause et un procès-verbal a été dressé à cet effet. La mesure d’instruction a été effectuée en la présence de témoins qui ont signé le procès-verbal. Une procédure pénale a été ouverte à l’encontre de Plamen Dimitrov Stoyanov pour des infractions punies par l’article 321, alinéa 3 [en relation avec l’alinéa 1 du même article] du code pénal. Après l’ouverture des poursuites pénales, le procureur supervisant l’enquête a formé une demande d’approbation devant le tribunal de la ville de Sofia.

Compte tenu de ces circonstances, j’estime qu’il y avait des raisons suffisantes pour procéder à la perquisition et à la saisie d’objets dans l’appartement (...) sans mandat judiciaire préalable pour la mesure d’instruction en cause, qui doit être considérée comme urgente. Il s’ensuit que la demande d’approbation doit être accueillie. »

C. La détention de Plamen et Yordan Stoyanovi et les poursuites pénales menées à leur encontre

24. Toujours le 10 février 2010, Plamen et Yordan Stoyanovi avaient été placés en détention pour vingt-quatre heures en application de l’article 63 de la loi sur le ministère de l’Intérieur.

25. À la fin des perquisitions dans leurs domiciles respectifs, Plamen et Yordan Stoyanovi furent conduits séparément dans les locaux d’un des services du ministère de l’Intérieur et puis dans le bâtiment du service de l’instruction à Sofia.

26. À 18 h 40, M. Yordan Stoyanov, qui était assisté par un avocat de son choix, fut inculpé de participation à une organisation de malfaiteurs, infraction pénale réprimée par l’article 321, alinéa 3, point 2 du code pénal (ci-après « le CP »), pour la période comprise entre 1997 et 2010.

27. À 19 h 50, M. Plamen Stoyanov, assisté de son avocat, fut inculpé du même chef.

28. Les deux ordonnances d’inculpation, délivrées par un même procureur, énuméraient le leader et les membres principaux présumés du groupe criminel en cause, ainsi que les actes reprochés à ce groupe.

29. Les deux requérants furent interrogés après leur inculpation, en la présence de leurs avocats respectifs, sur les accusations portées à leur encontre. Ils nièrent toute implication dans les activités du groupe criminel en question.

30. Le 12 février 2010, le tribunal de la ville de Sofia décida de placer les deux requérants en détention provisoire. Le 18 février 2010, statuant sur l’appel des requérants, la cour d’appel de Sofia infirma cette décision au motif que la détention des deux requérants était illégale pour absence de raisons plausibles de les soupçonner de participation à une organisation de malfaiteurs. La cour d’appel ordonna la libération des requérants.

31. Le 27 février 2014, statuant sur une demande formulée par les deux requérants, le tribunal pénal spécialisé, compétent en la matière, décida de clore les poursuites pénales. Le tribunal constata que l’affaire pénale était demeurée au stade de l’instruction préliminaire plus de deux ans après l’inculpation des deux requérants et que le parquet avait omis de faire avancer la procédure dans le délai supplémentaire qui lui avait été accordé.

D. La couverture médiatique de l’opération « Pieuvre » et les propos de divers responsables politiques

32. L’opération « Pieuvre » avait attiré l’attention des médias. Dans les jours qui suivirent l’arrestation de Plamen et Yordan Stoyanovi, plusieurs journaux publièrent des articles à ce sujet. Les journalistes se référaient souvent aux deux requérants en utilisant le sobriquet « les frères Dambov ». Différents sites Internet publièrent une photo de M. Plamen Stoyanov, menotté, portant un tee-shirt et un caleçon, assis devant l’entrée de son immeuble en compagnie de deux policiers armés. Sur le site du quotidien Monitor, ladite photo fut accompagnée du commentaire suivant : « L’une des personnes arrêtées a été emmenée en sous-vêtements par les antimafieux ».

33. Le 10 février 2010, le ministre de l’Intérieur donna une interview téléphonique pour le programme du matin de la télévision nationale. La partie pertinente en l’espèce de la conversation se lisait comme suit :

« Le présentateur : Bonjour, Monsieur le ministre ! Pourriez-vous nous donner davantage d’informations à propos des personnes arrêtées, les frères Dambov, liés à [l’usine] Kremikovtsi (...) ? Qui sont les autres détenus, qu’est-ce que vous pouvez ajouter ? (...)

Le ministre : Il s’agit d’un groupe criminel extrêmement bien organisé, [agissant] sur le territoire du pays, qui a réussi à créer dans les dix dernières années « la pieuvre », dont on parle aujourd’hui (...), par fraude à la TVA, blanchiment d’argent, trafic d’influence et tout ce qui est lié à cette partie du code pénal. (...).

Le présentateur : Qui est au sommet de cette pyramide ?

Le ministre : Je ne dirai pas, pour l’instant, qui se trouve au sommet de la pyramide. Je peux dire que tous les [individus] arrêtés hier soir et aujourd’hui sont des personnes qui se trouvent aux niveaux élevés de cette organisation criminelle hiérarchisée. Vous savez que ce matin ont été arrêtés les frères Dambov qui étaient à l’entrée et à l’issue de [l’usine] Kremikovtsi ces dernières années, mais aussi le « Tracteur », « Marcello » (...).

Le présentateur : De quoi exactement s’occupe-t-il, ce « Tracteur », pas d’agriculture, je suppose ? Un peu plus d’informations sur lui ?

Le ministre : Ils s’occupent tous des activités qui viennent d’être énumérées et ce sont des personnes qui exerçaient l’influence nécessaire pour que cette organisation criminelle ne soit pas embêtée pendant ces dix dernières années (...)»

34. Le même jour, le quotidien Trud publia un article sur l’opération « Pieuvre ». L’article citait, entre autres, les propos suivants du Premier ministre, tenus un peu plus tôt devant les journalistes :

« Je suis sûr que les preuves, rassemblées par le ministère de l’Intérieur durant l’opération « Pieuvre », tiendront devant les tribunaux. »

35. Le 12 février 2010, avant l’examen de la demande de placement en détention des suspects arrêtés au cours de l’opération « Pieuvre », le ministre de l’Intérieur déclara aux journalistes qu’il y avait suffisamment de preuves rassemblées à l’encontre des détenus. Ces propos furent publiés sur le site www.mediapool.bg.

36. Le 18 février 2010, le site d’information www.news.bg publia un article intitulé « Ts. demande douze ans au minimum pour les pieuvres ». La partie pertinente en l’espèce de l’article se lisait ainsi :

« Une éventuelle peine de douze ans pour les « pieuvres » est le minimum que devraient obtenir [les membres] d’une telle organisation criminelle.

C’était l’opinion exprimée par le ministre de l’Intérieur Ts. Ts., cité par le site pro.bg. [Le ministre] a appelé à avoir confiance dans le système judiciaire bulgare et à espérer une audience objective devant la cour d’appel. (...) »

37. Le 19 février 2010, le site www.vesti.bg publia un article dans lequel étaient rapportés les propos du ministre de l’Intérieur selon lesquels les frères Plamen et Yordan Stoyanovi étaient placés « à l’entrée et à la sortie » de l’usine métallurgique Kremikovtsi parce qu’ils y auraient importé du métal recyclé et en auraient exporté les résidus de la production métallurgique. Les deux premiers requérants auraient ainsi « siphonné » l’entreprise.

38. Le 22 mars 2010, le ministre de l’Intérieur fut l’invité du programme du matin de la télévision nationale. Le présentateur lui posa des questions sur plusieurs opérations du ministère visant au démantèlement de différents réseaux présumés de criminels. Invité à commenter les suites de l’opération « Pieuvre », le ministre tint les propos suivants au sujet des frères Plamen et Yordan Stoyanovi :

« Prenons, par exemple, les frères Dambov, qui sont devenus des héros médiatiques. (...) Ils figurent dans les registres policiers de 1994 pour coups et blessures, de 1995 pour extorsion, puis pour atteintes à l’ordre public. Et tout d’un coup, ils deviennent les gens les plus honnêtes qui soient, soucieux du rétablissement économique du pays et de l’usine Kremikovtsi. Vous comprenez que c’est tout simplement ridicule. (...) »

39. Des propos similaires du ministre furent publiés les 24 février et 2 mars 2010 par deux sites Internet.

40. Le 17 mai 2010, sur le plateau du programme du matin de la télévision nationale, lors d’un entretien portant sur les nouvelles opérations policières contre le crime organisé, le ministre de l’Intérieur fut invité par le présentateur à commenter les interviews données par les requérants, en particulier par M. Plamen Stoyanov, à propos de l’affaire concernant la faillite de l’usine métallurgique Kremikovtsi. La partie pertinente en l’espèce de la transcription de l’interview se lit comme suit :

« Le ministre : En observant le comportement de l’un des frères Dambov, je pense qu’on est dans la bonne direction parce que toute cette nervosité et toute cette publicité ne sont pas inhérentes à une personne pure et innocente. (...)

Le présentateur : Est-ce que les preuves rassemblées tiendront devant les tribunaux ?

Le ministre : Vous savez que, lors de l’examen des demandes [portant sur] leur détention provisoire, le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves ; cela ne nous décourage pas, mais nous rend encore plus déterminés et je suis convaincu que tout ce que nous faisons, non seulement dans le cadre de l’enquête concernant les frères Dambov, mais aussi en lien avec tous les autres groupes criminels, (...) donnera des résultats. »

41. Le même jour, les sites www.dir.bg et www.mediapool.bg publièrent des articles qui reprenaient ces propos du ministre de l’Intérieur.

E. Le gel des biens des requérants en application de la loi de 2005 sur la confiscation des produits d’activités criminelles (ci-après « la loi de 2005 »)

42. Entre-temps, après l’ouverture des poursuites pénales contre Plamen et Yordan Stoyanovi, la commission chargée de l’application de la loi de 2005 (ci-après « la commission ») avait entamé une procédure de confiscation de biens à l’encontre des requérants. Dans le cadre de cette procédure, en avril 2010, la commission demanda aux tribunaux compétents l’application de mesures conservatoires sur plusieurs biens appartenant aux requérants, qui pourraient faire l’objet d’une future confiscation en application de la loi de 2005. Les demandes de la commission furent examinées entre avril 2010 et mars 2011, par trois degrés de juridiction – le tribunal de la ville de Sofia, la cour d’appel de Sofia et la Cour suprême de cassation, qui se prononcèrent sans tenir des audiences.

43. Les demandes furent partiellement recueillies par les tribunaux qui imposèrent diverses mesures conservatoires concernant plusieurs biens meubles et immeubles, des parts sociales détenus dans un certain nombre de sociétés et des comptes en banque appartenant à Plamen Stoyanov, Petranka Stoyanova, Dimitar Plamen Stoyanov, Plamen Plamenov Stoyanov, Yordan Stoyanov, Veselin Stoyanov, Monika Stoyanova, Emilia Stoyanova, Ekometal Inzhenering EOOD, SB-Solid OOD et Ekosors Energy EOOD.

44. Par des décisions du 5 novembre 2013 et du 28 mai 2014, la commission décida de mettre fin aux procédures de confiscation diligentées à l’encontre des requérants en application de la loi de 2005. À la suite de ces décisions, toutes les mesures conservatoires imposées sur les biens des requérants, personnes physiques et sociétés commerciales, furent levées par des décisions judiciaires en date des 12 et 28 novembre 2013 et des 31 mai et 25 septembre 2014.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le code de procédure pénale (ci-après le CPP)

45. Les articles 160 à 163 du CPP régissent la perquisition et la saisie effectuées au cours des poursuites pénales. Le texte de ces dispositions et un résumé de la jurisprudence interne en leur application peuvent être trouvés dans l’arrêt Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, §§ 59 et 60, CEDH 2013 (extraits).

B. La loi de 2005 sur la confiscation des produits d’activités criminelles (ci-après « la loi de 2005 »)

46. La loi de 2005 était en vigueur entre mars 2005 et novembre 2012, puis elle fut remplacée en 2012 par une nouvelle loi sur la confiscation des produits d’activités illégales. D’après le paragraphe 5 des dispositions transitoires de la nouvelle loi, toutes les procédures de confiscation pendantes à la date de l’entrée en vigueur de ce texte continuaient à être régies par les dispositions de la loi de 2005. Celle-ci prévoyait des mesures et des procédures de gel et de confiscation des biens acquis directement ou indirectement par le biais d’activités criminelles. Un résumé des dispositions pertinentes de cette loi, ainsi que de la jurisprudence interne pertinente en son application, peut être trouvé dans la décision Nedyalkov et autres c. Bulgarie (déc.), no 663/11, §§ 33-61, 10 septembre 2013.

47. L’article 32 de la loi de 2005 prévoyait que la responsabilité de l’État pour les dommages causés par ses organes et ses fonctionnaires au cours de la procédure de confiscation pouvait être engagée dans les cas prévus par la loi sur la responsabilité de l’État. Dans une décision du 29 avril 2014, la Cour suprême de cassation a confirmé que la responsabilité de la commission spécialisée pour des dommages résultant de l’imposition de mesures conservatoires sur des biens pouvait être engagée devant les juridictions civiles sur la base de l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’État (Определение № 305 от 29.04.2014г., на ВКС по ч. гр. д. № 2099/2014г., III г.о., ГК). La Cour suprême de cassation a entériné cette jurisprudence dans une décision du 9 juillet 2014 (Определение № 423 от 9.07.2014г., на ВКС по гр. д. № 3914/2014г., I г.о., ГК).

C. La loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommages (ci-après la loi sur la responsabilité de l’État)

48. Un résumé des dispositions de la loi sur la responsabilité de l’État et de la jurisprudence des tribunaux internes pertinentes en l’espèce en matière de compensation des dommages subis au cours d’une procédure de confiscation sous le régime de la loi de 2005 figure dans la décision Nedyalkov et autres, précitée, §§ 62-68.

49. L’article 2, alinéa 1 de la loi sur la responsabilité de l’État, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, donnait la possibilité à tout intéressé d’introduire un recours en dommages et intérêts en cas de détention « illégale », ce qui impliquait l’existence d’une décision des juridictions internes constatant l’illégalité de la détention au regard du droit interne, voire l’acquittement de l’intéressé ou l’abandon des poursuites pénales menées à son encontre. La jurisprudence des tribunaux internes en la matière a été résumée dans les arrêts Kandjov c. Bulgarie (no 68294/01, §§ 35-39, 6 novembre 2008) et Botchev c. Bulgarie (no 73481/01, §§ 37-39, 13 novembre 2008).

D. Autres dispositions pertinentes

50. Le droit et la pratique interne pertinents concernant le délit de diffamation ont été résumés dans l’arrêt Gutsanovi, précité, §§ 70-74.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

51. Huit des requérants, à savoir Plamen Stoyanov, Petranka Stoyanova, Plamen Plamenov Stoyanov, Yordan Stoyanov, Antonia Ivanova, Emilia Stoyanova, Monika Stoyanova et Veselin Stoyanov, allèguent qu’ils ont été soumis à des traitements dégradants lors de l’irruption de la police dans leurs domiciles respectifs le 10 février 2010. Ils invoquent l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Positions des parties

52. Le Gouvernement indique d’abord que l’enquête pénale ouverte contre Plamen et Yordan Stoyanovi était encore pendante au moment de l’introduction de la requête et en conclut que le grief tiré de l’article 3 de la Convention a été formulé de manière prématurée.

53. Il souligne ensuite que les requérants concernés n’ont pas soulevé devant les autorités compétentes leurs allégations de traitements dégradants. Ils n’auraient non plus intenté une action en dommages et intérêts sur le fondement de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État. Ainsi, ils auraient omis d’épuiser les voies de recours normalement disponibles et effectives en droit interne.

54. Le Gouvernement soutient enfin que l’opération policière mise en cause par les requérants n’avait en aucun cas pour but d’atteindre ceux-ci dans leur dignité ou de leur causer un quelconque préjudice moral et que, par conséquent, elle ne s’analyse pas en un traitement incompatible avec l’article 3 de la Convention. Il estime que les requérants susmentionnés ne peuvent dès lors se prétendre victimes d’une violation de leurs droits garantis par cette disposition.

55. Lesdits requérants estiment que leurs griefs tirés de l’article 3 de la Convention sont recevables. Ils ne contestent pas qu’ils n’ont pas déposé une plainte pénale contre les policiers qui avaient pénétré dans leurs domiciles respectifs le 10 février 2010. Ils plaident toutefois qu’un tel recours aurait été manifestement ineffectif. Ils estiment également que l’action en dommages et intérêts sous l’angle de la loi sur la responsabilité de l’État n’est pas davantage assimilable à un recours interne effectif dans leur cas.

2. Appréciation de la Cour

56. S’agissant de l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement (paragraphe 53 ci-dessus), la Cour rappelle qu’elle s’est déjà prononcée sur le même type d’exception soulevée par le Gouvernement à l’occasion d’une affaire récente similaire. Dans son arrêt Gutsanovi, précité, elle a notamment conclu que, en raison des lacunes de la législation interne, ni la plainte pénale ni l’action en dommages et intérêts contre l’État, invoquées par le gouvernement défendeur, n’auraient été des voies de recours internes suffisamment effectives pour des plaignants placés dans une situation identique à celle des requérants en la présente espèce : le recours pénal aurait été voué à l’échec à cause de l’absence en droit bulgare de dispositions réprimant l’infliction de souffrances psychologiques, et le recours compensatoire contre l’État manquait d’effectivité eu égard à la portée limitée de l’examen que les tribunaux internes pouvaient effectuer dans le cadre d’une telle procédure (ibidem, §§ 88-97). La Cour estime que les mêmes constats s’imposent dans la présente affaire.

57. En outre, s’agissant de l’argument selon lequel le grief tiré de l’article 3 de la Convention a été introduit prématurément parce que les poursuites pénales contre Plamen et Yordan Stoyanovi étaient encore pendantes au moment de l’introduction de la requête, la Cour n’aperçoit aucun lien direct entre la procédure pénale à laquelle se réfère le Gouvernement et le grief soulevé par les requérants : ladite procédure avait pour finalité non pas d’établir si les agents de l’État avaient respecté l’intégrité physique ou la dignité des requérants, mais de rechercher si Plamen et Yordan Stoyanovi étaient coupables des infractions pénales qui leur étaient reprochées (paragraphes 26-31 ci-dessus). Il en ressort que le présent grief n’est pas prématuré et qu’il convient de rejeter l’exception du Gouvernement formulée sur ce point.

58. S’agissant enfin de la position du Gouvernement consistant à contester la qualité de victime des requérants en soutenant que ces derniers n’ont pas été soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, la Cour estime qu’il s’agit d’une exception qu’il convient de joindre à l’examen du fond du grief tiré de cette disposition (voir Gutsanovi, précité, § 102). Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Positions des parties

a) Les requérants

59. Les requérants susmentionnés allèguent qu’ils ont été soumis à des traitements incompatibles avec l’article 3 de la Convention au cours de l’opération policière menée à leurs domiciles respectifs, le 10 février 2010. Ils avancent ce qui suit : l’introduction de la police dans les logements familiaux a eu lieu très tôt le matin, avant même la levée du jour et sans l’autorisation préalable d’un juge ; les agents de police étaient en grand nombre, cagoulés et lourdement armés ; ces agents ont immobilisé tous les hommes majeurs, Plamen, Yordan et Veselin Stoyanovi, et ont braqué leurs armes sur les femmes et les enfants mineurs qui auraient été brusquement réveillés par lesdits agents ; l’opération policière a été filmée par un caméraman et certaines images prises par celui-ci ont été par la suite livrées aux médias qui les auraient largement utilisées dans leurs reportages.

60. Les requérants exposent que l’emploi de tels moyens opérationnels pour procéder à l’arrestation de Plamen et Yordan Stoyanovi n’était nullement justifié. De surcroît, la manière dont l’opération policière en cause avait été effectuée aurait profondément affecté les membres des familles respectives de Plamen et Yordan Stoyanovi, qui auraient éprouvé de forts sentiments de peur, d’angoisse et d’humiliation. Quant à Plamen et Yordan Stoyanovi, ils auraient été humiliés tant devant leurs conjointes et enfants mineurs que devant un large public par la publication des images prises au cours de l’opération policière.

b) Le Gouvernement

61. Le Gouvernement combat la thèse des requérants. Il indique d’abord que l’opération policière dénoncée par les requérants avait fait l’objet d’un plan d’intervention préalablement élaboré par le service national de l’Instruction. Il précise que, en application de ce plan, les agents du service de lutte contre le crime organisé et du groupe spécialisé d’intervention antiterroriste du ministère de l’Intérieur étaient entrés dans les logements des requérants le 10 février 2010, à 6 h 30, et que les enquêteurs et les agents du ministère de l’Intérieur avaient procédé à l’arrestation de Plamen et Yordan Stoyanovi et à la perquisition de leurs domiciles respectifs. L’intervention policière aurait été effectuée de manière précise et avec une attention particulière visant à la préservation de la dignité des personnes concernées, compte tenu notamment de leur âge et de leur sexe.

62. Le Gouvernement fait observer, ensuite, que ces mesures ont inévitablement eu un impact sur la sphère privée des requérants. Cependant, les effets psychologiques de l’opération policière ne seraient pas allés au‑delà du seuil minimum de gravité pour que les agissements des policiers puissent être qualifiés de traitements dégradants au sens de l’article 3 de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

63. Pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause et, notamment, de la durée du traitement, de ses effets physiques ou psychologiques ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. La Cour a considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à créer chez ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 120, CEDH 2000‑IV). La souffrance psychologique peut résulter d’une situation dans laquelle des agents de l’État créent délibérément chez les victimes un sentiment de peur en les menaçant de mort ou de maltraitances (Hristovi c. Bulgarie, no 42697/05, § 80, 11 octobre 2011).

64. La Cour rappelle également que l’article 3 de la Convention ne prohibe pas le recours à la force par les agents de police lors d’une interpellation. Néanmoins, le recours à la force doit être proportionné et absolument nécessaire au vu des circonstances de l’espèce (voir, parmi beaucoup d’autres, Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 76, CEDH 2000‑XII, et Altay c. Turquie, no 22279/93, § 54, 22 mai 2001). À cet égard, il importe par exemple de savoir s’il y a lieu de penser que l’intéressé opposera une résistance à l’arrestation, ou tentera de fuir, de provoquer des blessures ou dommages, ou de supprimer des preuves (Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 56, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII).

65. La Cour observe en l’espèce que les circonstances ayant entouré l’opération policière en cause ne prêtent pas à controverse entre les parties. En particulier, il est établi que l’intervention policière a été effectuée très tôt le matin, le 10 février 2010, par des agents spéciaux du ministère de l’Intérieur qui étaient masqués et armés. Les agents du ministère ont eu recours à la force physique pour immobiliser et menotter Plamen, Yordan et Veselin Stoyanovi. Les agents spéciaux ont également pénétré dans les autres pièces des deux logements où ils ont été aperçus par les conjointes et les enfants mineurs de Plamen et Yordan Stoyanovi (paragraphes 6-10 ci‑dessus).

66. La Cour note aussi que l’opération policière a été filmée et que certaines images prises lors de celle-ci – en particulier la photographie de Plamen Stoyanov, en tee-shirt et en caleçon, menotté et assis sur le sol – ont été par la suite publiées par les médias (paragraphes 5 in fine, 10 in fine et 32 ci-dessus).

67. Concernant les requérants Plamen et Yordan Stoyanovi, la Cour note d’emblée qu’ils étaient soupçonnés de participer à une organisation de type mafieux mêlée, entre autres, à différentes affaires d’extorsion et de racket (paragraphe 5 ci-dessus). Elle constate également qu’ils étaient titulaires de permis de ports d’armes et que la police a retrouvé dans leurs domiciles respectifs des armes à feu et des munitions (paragraphes 18 et 20 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour ne saurait reprocher aux autorités le choix tactique d’impliquer dans l’opération en cause les forces spéciales d’intervention du ministère de l’Intérieur, ni le fait que celles-ci ont immobilisé et menotté ces deux requérants.

68. La Cour estime, en revanche que rien dans la présente espèce ne justifiait le fait de laisser Yordan Stoyanov menotté, tout nu, pendant presque une heure, un fait qui n’a pas été contesté par le Gouvernement. Ce requérant a même été amené à se cacher derrière une porte pour éviter les regards de ses enfants (voir paragraphe 9 ci-dessus). Plamen Stoyanov, quant à lui, a été contraint de rester assis sur le sol à l’extérieur de son immeuble, menotté et en sous-vêtements (paragraphe 32 ci-dessus). À la lumière de ces faits, la Cour estime que ces deux requérants ont été assujettis à une humiliation suffisamment intense pour rendre le traitement qui leur a été réservé incompatible avec l’article 3 de la Convention. Ils ont donc été soumis à un traitement dégradant par les forces de l’ordre.

69. En ce qui concerne l’intervention policière vis-à-vis de M. Veselin Stoyanov, le fils aîné de Yordan Stoyanov, la Cour observe qu’aucun soupçon de commission d’infractions pénales ne pesait à son encontre et que ce requérant a été immobilisé de force et menotté par les policiers dans sa chambre (paragraphe 8 in fine ci-dessus). Or, aucun document du dossier ne permet de conclure que l’intéressé a opposé une quelconque résistance aux forces de l’ordre lors de l’arrestation de son père ou que les policiers avaient des raisons sérieuses de craindre un comportement agressif de sa part. La Cour note aussi que, à la suite de ces événements, le jeune homme a souffert d’anxiété et de troubles du sommeil et qu’il a consulté une psychothérapeute à deux reprises (paragraphe 16 ci-dessus).

70. À la lumière de ces faits, la Cour estime que Veselin Stoyanov a, lui aussi, subi un traitement dégradant aux mains des forces de l’ordre.

71. En ce qui concerne les cinq autres requérants, à savoir Mme Petranka Stoyanova et M. Plamen Plamenov Stoyanov – épouse et fils mineur de M. Plamen Stoyanov –, et Mme Antonia Ivanova et Mlles Emilia et Monika Stoyanovi – compagne et filles mineures de M. Yordan Stoyanov–, la Cour constate que leur situation est similaire à celle de certains requérants dans l’affaire Gutsanovi, précitée. Dans cet arrêt la Cour a trouvé violation de l’article 3 de la Convention en prenant en compte les éléments suivants : i) l’intervention de la police avait impliqué une équipe d’agents cagoulés et lourdement armés et elle avait été effectuée tôt le matin ; ii) la présence éventuelle des proches de la personne recherchée par la police n’avait pas été prise en compte aux stades de préparation et d’exécution de l’opération policière ; iii) l’intervention policière avait été effectuées sans l’autorisation préalable d’un juge ; iv) la conjointe du suspect recherché n’avait pas été impliquée dans les faits reprochés à son époux ; v) la conjointe et les enfants mineurs du suspect recherché par la police avaient été fortement affectés par les événements (voir §§ 116, 117 et 131-134 de l’arrêt précité). Force est de constater que tous ces éléments sont également présents dans le cas d’espèce (voir paragraphes 5-16 ci-dessus).

72. La Cour ne voit donc aucune raison d’arriver à une conclusion différente de celle qu’elle a adoptée dans l’affaire Gutsanovi, précitée, pour ce qui est du grief tiré de l’article 3 de la Convention par ces cinq requérants À la lumière des éléments susmentionnés, la Cour estime que ces requérants ont été soumis à une épreuve psychologique qui a généré chez eux de forts sentiments de peur, d’angoisse et d’impuissance et qui, de par ses effets néfastes, s’analyse en un traitement dégradant au regard de l’article 3 (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Gutsanovi, précité, § 134).

73. En conclusion, après avoir pris en compte toutes les circonstances pertinentes en l’espèce, la Cour considère que les huit requérants susmentionnés ont été soumis à une épreuve psychologique qui a généré chez eux de forts sentiments de peur, d’angoisse, d’impuissance et d’avilissement et qui, de par ses effets néfastes, s’analyse en un traitement dégradant au regard de l’article 3 de la Convention. Pour ces motifs, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement tirée de l’absence de qualité de victime des requérants. Il y a donc eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

74. Les requérants Plamen et Yordan Stoyanovi se plaignent de ne pas avoir été aussitôt informés des raisons de leur arrestation et de ne pas avoir eu la possibilité de demander réparation du préjudice qu’ils auraient subi en raison de cette circonstance et de leur détention qu’ils considèrent comme injustifiée. Ils invoquent l’article 5 §§ 2 et 5 et l’article 13 de la Convention.

75. La Cour estime qu’il y a lieu d’examiner ces griefs uniquement sous l’angle de l’article 5 §§ 2 et 5 de la Convention, libellé comme suit :

Article 5

« 2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

(...)

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

76. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes au motif que les requérants concernés n’ont pas introduit une action en dommages et intérêts fondée sur l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État.

77. Les deux requérants allèguent que la loi sur la responsabilité de l’État n’était aucunement applicable dans leur cas de figure.

78. La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’exception de non-épuisement du Gouvernement car les griefs des requérants tirés de l’article 5 de la Convention sont en tout état de cause manifestement mal fondés, au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention, pour les raisons qui suivent.

79. La Cour constate d’abord que les deux requérants ont été arrêtés le 10 février 2010, à 6 h 30, et qu’ils ont été inculpés, en la présence de leurs avocats, de participation à un groupe de malfaiteurs le même jour, à 18 h 40 pour Yordan Stoyanov et à 19 h 50 pour Plamen Stoyanov (paragraphes 6, 10, 26 et 27 ci-dessus).

80. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’article 5 § 2 de la Convention énonce une garantie élémentaire : toute personne arrêtée doit être renseignée sur les raisons de son appréhension. Pour déterminer si cette personne a obtenu les informations suffisantes et en temps voulu, il faut avoir égard aux particularités de l’espèce (voir, mutatis mutandis, Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 40, série A no 182).

81. La Cour considère que, dans les circonstances de la présente espèce, les délais respectifs de douze heures et dix minutes s’agissant du requérant Yordan Stoyanov et de treize heures et vingt minutes s’agissant du requérant Plamen Stoyanov n’ont pas été incompatibles avec l’article 5 § 2 de la Convention. Elle observe à cet égard que ces deux requérants n’ont été aucunement empêchés de contester, en temps utile et de manière effective, la légalité de leur détention : les intéressés ont été assistés des avocats de leur choix lorsqu’ils ont été formellement inculpés et interrogés sur les charges pesant à leur encontre (paragraphes 26, 27 et 29 ci-dessus) ; leur première comparution devant un juge a eu lieu deux jours plus tard (paragraphe 30 ci-dessus) ; leur recours contre la décision de placement en détention provisoire a été accueilli par la juridiction d’appel (ibidem).

82. En ce qui concerne le grief soulevé sous l’angle de l’article 5 § 5 de la Convention, la Cour rappelle d’emblée que celui-ci est applicable uniquement en cas de constat de violation d’une des dispositions des paragraphes 1-4 de l’article 5. Or elle a constaté ci-dessus que le grief des requérants tiré de l’article 5 § 2 de la Convention était irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Il en ressort que l’article 5 § 5 de la Convention ne trouve pas à s’appliquer pour ce qui est des allégations de violation du droit des requérants d’être informés promptement des raisons de leur détention.

83. Pour ce qui est de l’autre volet du grief tiré de l’article 5 § 5 précité, à savoir le droit d’obtenir réparation pour une violation alléguée de l’article 5 § 1 c) de la Convention, force est de constater que, par une décision du 18 février 2010, la cour d’appel de Sofia a établi que la détention des deux requérants était illégale au motif qu’il n’y avait pas de raisons plausibles de les soupçonner de participation à une organisation de malfaiteurs et qu’elle a ensuite ordonné la libération immédiate des intéressés (paragraphe 30 ci‑dessus).

84. La Cour estime que cette décision équivaut à une reconnaissance, de la part des autorités de l’État, de la non-conformité de la détention des deux requérants précités au droit interne et de sa méconnaissance de l’article 5 § 1 c) de la Convention. Elle note que l’article 2, alinéa 1 de la loi sur la responsabilité de l’État, en vigueur à l’époque des faits et tel qu’interprété par la Cour suprême de cassation bulgare dans sa jurisprudence, permettait aux requérants de demander une réparation pécuniaire du dommage subi en raison de leur détention illégale (paragraphe 49 ci-dessus, ainsi que les références qui y sont citées). Il en ressort que les requérants disposaient d’un recours leur permettant d’obtenir une compensation pour le dommage subi lors de leur détention qu’ils n’ont pas utilisé.

85. La Cour estime donc que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

86. Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent d’une limitation de la compétence matérielle des tribunaux ayant statué sur les demandes de gel de leurs avoirs : les tribunaux n’auraient pas abordé la question de savoir si les charges pénales soulevées contre Plamen et Yordan Stoyanovi étaient bien fondées, ni examiné s’il existait un lien entre les infractions reprochées et les biens gelés ; selon les intéressés, les tribunaux internes ne pouvaient pas restreindre le cercle des biens gelés et ils ne disposaient pas de la possibilité de limiter la durée des mesures conservatoires demandées par la commission. Les requérants se plaignent également d’un renversement de la charge de la preuve qui aurait été opéré en application de la loi de 2005, et ils reprochent aux tribunaux de ne pas avoir tenu d’audiences publiques dans la procédure ayant amené au gel de leurs biens.

87. La Cour estime qu’il y a lieu d’examiner ces griefs uniquement sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, libellé comme suit dans sa partie pertinente en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) équitablement, publiquement (...), par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

88. La Cour observe d’emblée que les requérants ont soulevés trois griefs distincts qui concernent : i) le bien-fondé des décisions rendues par les tribunaux internes ; ii) le renversement de la charge de la preuve qui aurait été opéré par la loi de 2005 ; iii) l’absence d’audiences publiques lors de l’examen des demandes d’imposition de mesures conservatoires sur leurs biens. Elle rappelle que ces mêmes griefs ont été examinés et rejetés pour défaut manifeste de fondement dans sa décision récente Nedyalkov et autres, précitée. Le premier grief était de type « quatrième instance », les requérants ayant cherché à promouvoir leur propre interprétation de la loi de 2005 (ibidem, § 111). Le deuxième grief a été rejeté en raison de la clôture de la procédure principale de confiscation (ibidem, § 112). Le troisième grief a été déclaré irrecevable parce que l’absence d’une audience devant le tribunal de première instance se justifiait par le but de la procédure en question et parce que les intéressé n’avaient pas démontré s’ils avaient demandé la tenue d’une audience devant les tribunaux supérieurs (ibidem, §§ 117 et 118).

89. La Cour constate que les mêmes éléments factuels sont également présents dans le cas d’espèce (voir paragraphes 42-44 et 86 ci-dessus). Elle ne voit donc aucune raison d’arriver à des conclusions différentes de celles qu’elle a adoptées dans l’affaire Nedyalkov et autres, précitée. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que les griefs des requérants tirés de l’article 6 § 1 de la Convention, et relatifs à l’équité et à la publicité de la procédure d’imposition de mesures conservatoires sur leurs biens, sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

90. Tous les requérants dénoncent la présomption statutaire qui serait contenue dans la loi de 2005 et selon laquelle tous leurs biens acquis pendant les dernières vingt-cinq années seraient présumés être des produits directs ou indirects d’une activité criminelle. En outre, ils se plaignent de l’obligation faite au tribunal saisi d’une demande de confiscation de biens en application de la loi de 2005 de faire publier cette demande au Journal officiel.

91. De plus, les requérants Plamen et Yordan Stoyanovi allèguent que certains propos du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur, prononcés devant les médias à l’occasion des poursuites pénales menées à leur encontre, ont constitué une atteinte injustifiée à leur présomption d’innocence. Ils invoquent l’article 6 § 2 de la Convention, libellé comme suit :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

A. Sur la recevabilité

1. Grief relatif au respect de la présomption d’innocence dans le cadre de la procédure de confiscation de biens en application de la loi de 2005

92. La Cour observe que les requérants ont fait l’objet d’une procédure d’imposition de mesures conservatoires visant à la prévention de la dissipation de leurs biens et pour laquelle aucune publication au Journal officiel n’a été ordonnée par le tribunal, et non pas d’une procédure de confiscation sur le fond, pour laquelle le tribunal aurait été obligé de faire publier la demande de confiscation au Journal officiel (voir Nedyalkov et autres, décision précitée, § 58). Elle rappelle de surcroît son constat selon lequel la procédure d’imposition de mesures conservatoires sur des biens en application de la loi de 2005 ne concerne pas « une accusation en matière pénale » et que le volet pénal de l’article 6 de la Convention ne trouve pas à s’appliquer à cette procédure (ibidem, § 104).

93. Il en ressort que les griefs susmentionnés tirés de l’article 6 § 2 sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’ils doivent être rejetés en application de l’article 35 § 4.

2. Grief relatif aux propos de divers responsables politiques concernant les poursuites pénales menées contre Plamen et Yordan Stoyanovi

94. Le Gouvernement fait observer, en premier lieu, que le grief portant sur les propos de divers responsables politiques a été introduit prématurément au motif que les poursuites pénales contre les deux premiers requérants étaient encore pendantes à la date de l’introduction de la requête. En deuxième lieu, il affirme que ces requérants ont omis d’épuiser les voies de recours internes disponibles : notamment, les intéressés auraient omis de diligenter une procédure en diffamation à l’encontre des responsables politiques sur le fondement des articles 147 et 148 du CP.

95. Les requérants susmentionnés rétorquent qu’une plainte pénale pour diffamation n’aurait eu aucune chance raisonnable de succès et qu’il ne s’agit pas d’une voie de recours interne effective en cas de propos de responsables politiques portant préjudice à la présomption d’innocence. Ils soutiennent que leur grief n’a pas été introduit de manière prématurée.

96. La Cour rappelle d’emblée que la garantie énoncée à l’article 6 § 2 de la Convention entre en jeu avant même la fin des poursuites pénales menées contre l’intéressé (Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, §§ 32-37, série A no 308 ; Konstas c. Grèce, no 53466/07, §§ 36 et 38, 24 mai 2011) et peut s’étendre au-delà de la fin de la procédure pénale en cas d’acquittement ou d’abandon des poursuites (Allenet de Ribemont, précité, § 35).

97. La Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur les mêmes exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Gouvernement dans le cadre d’une affaire similaire contre la Bulgarie. En effet, dans son arrêt récent Gutsanovi (précité, §§ 172-180), elle a rejeté les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Gouvernement. Elle a d’abord considéré que le requérant n’était pas tenu d’attendre l’issue des poursuites pénales dirigées contre lui pour chercher une protection contre des propos d’un haut responsable politique mettant en cause sa présomption d’innocence (ibidem, § 176). Elle a ensuite constaté que l’effectivité de la plainte pénale pour diffamation dans des circonstances similaires à celles de la présente affaire n’était pas prouvée : il existait notamment une incertitude au niveau du droit interne concernant la répartition de la charge de la preuve dans ce type d’affaires (ibidem, § 179). La Cour estime que les mêmes considérations trouvent à s’appliquer à la présente cause et que le Gouvernement n’a apporté aucun élément nouveau lui permettant de conclure que la plainte pénale pour diffamation, telle qu’elle est réglementée en droit bulgare, aurait constitué une voie de recours interne effective en l’espèce. Il convient donc de rejeter les exceptions d’irrecevabilité du Gouvernement.

98. Constatant par ailleurs que le grief tiré de l’article 6 § 2 de la Convention n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

99. Plamen et Yordan Stoyanovi allèguent que les propos du Premier ministre publiés dans la presse écrite le 10 février 2010 et les multiples interventions médiatiques du ministre de l’Intérieur faites entre février et mai 2010 ont porté atteinte à la présomption d’innocence dont ils bénéficiaient.

100. Le Gouvernement indique que les propos contestés du ministre de l’Intérieur et du Premier ministre avaient pour seul but d’informer l’opinion publique sur les progrès des investigations dans une affaire pénale qui avait suscité l’intérêt des médias et qui concernait le crime organisé. Les propos litigieux n’auraient aucunement remis en cause l’innocence présumée des deux premiers requérants.

2. Appréciation de la Cour

101. La Cour rappelle que si le principe de la présomption d’innocence consacrée par le paragraphe 2 de l’article 6 figure parmi les éléments du procès pénal équitable exigé par l’article 6 § 1, il ne se limite pas à une simple garantie procédurale en matière pénale : sa portée est plus étendue et exige qu’aucun représentant de l’État ne déclare qu’une personne est coupable d’une infraction avant que sa culpabilité ait été établie par un tribunal (voir Allenet de Ribemont, précité, §§ 35-36 ; Viorel Burzo c. Roumanie, nos 75109/01 et 12639/02, § 156, 30 juin 2009 ; Lizaso Azconobieta c. Espagne, no 28834/08, § 37, 28 juin 2011). L’atteinte à la présomption d’innocence peut émaner non seulement d’un juge, mais également d’autres autorités publiques : le président du parlement (Butkevičius c. Lituanie, no 48297/99, §§ 50 et 53, CEDH 2002‑II), le procureur (Daktaras c. Lituanie, no 42095/98, § 44, CEDH 2000‑X) ; le ministre de l’Intérieur ou les fonctionnaires de police (Allenet de Ribemont, précité, §§ 37 et 41). Selon la jurisprudence de la Cour, une distinction doit être faite entre les déclarations qui reflètent le sentiment que la personne concernée est coupable et celles qui se bornent à décrire un état de suspicion. Les premières violent la présomption d’innocence, tandis que les deuxièmes sont considérées comme conformes à l’esprit de l’article 6 de la Convention (voir, entre autres, Marziano c. Italie, no 45313/99, § 31, 28 novembre 2002). À cet égard, la Cour souligne l’importance du choix des termes par les agents de l’État dans les déclarations qu’ils formulent avant qu’une personne n’ait été jugée et reconnue coupable d’une infraction. Elle considère ainsi que ce qui importe aux fins d’application de la disposition précitée, c’est le sens réel des déclarations en question, et non leur forme littérale (Lavents c. Lettonie, no 58442/00, § 126, 28 novembre 2002). Toutefois, le point de savoir si la déclaration d’un agent public constitue une violation du principe de la présomption d’innocence doit être tranché dans le contexte des circonstances particulières dans lesquelles la déclaration litigieuse a été formulée (voir Adolf c. Autriche, 26 mars 1982, §§ 36-41, série A no 49). Certes, la Cour reconnaît que l’article 6 § 2 ne saurait empêcher, au regard de l’article 10 de la Convention, les autorités de renseigner le public sur des enquêtes pénales en cours, mais il requiert qu’elles le fassent avec toute la discrétion et toute la réserve que commande le respect de la présomption d’innocence (Allenet de Ribemont, précité, § 38, Lizaso Azconobieta , précité, § 39).

102. Les deux requérants dénoncent d’abord les propos suivants du Premier ministre, publiés le 10 février 2010 dans le quotidien Trud : « Je suis sûr que les preuves, rassemblées par le ministère de l’Intérieur durant l’opération « Pieuvre », tiendront devant les tribunaux ».

103. La Cour observe que le Premier ministre n’a pas mentionné de manière expresse les deux premiers requérants et qu’il s’est limité à affirmer sa confiance vis-à-vis du travail des forces de l’ordre au cours de l’opération « Pieuvre ». La Cour estime que la phrase en question n’a pas porté atteinte à la présomption d’innocence des deux requérants.

104. Par ailleurs, la Cour note que les requérants Plamen et Yordan Stoyanovi ont également dénoncé les nombreuses interventions médiatiques du ministre de l’Intérieur faites pendant la période comprise entre février et mai 2010.

105. La Cour observe que, le 10 février 2010, le ministre en question a donné une interview téléphonique pour le programme du matin de la télévision nationale (paragraphe 33 ci-dessus) et que le journaliste lui a demandé des informations sur le déroulement de l’opération « Pieuvre ». Dans sa réponse, le ministre a mentionné les sobriquets de quatre personnes détenues au cours de cette opération, y compris ceux des deux requérants : « les frères Dambov ». Il a affirmé ce qui suit à propos de ces personnes : « Il s’agit d’un groupe criminel extrêmement bien organisé [agissant] sur le territoire du pays, qui a réussi à créer dans les dix dernières années « la pieuvre », dont on parle aujourd’hui (...), par fraude à la TVA, blanchiment d’argent, trafic d’influence et tout ce qui est lié à cette partie du code pénal ». Se référant toujours aux mêmes personnes, il a ajouté : « Je peux dire que tous les [individus] arrêtés hier soir et aujourd’hui sont des personnes qui se trouvent aux niveaux élevés de cette organisation criminelle hiérarchisée. Vous savez que ce matin ont été arrêtés les frères Dambov qui étaient à l’entrée et à l’issue de [l’usine] Kremikovtsi ces dernières années (...) Ils s’occupent tous des activités qui viennent d’être énumérées et ce sont des personnes qui exerçaient l’influence nécessaire pour que cette organisation criminelle ne soit pas embêtée pendant ces dix dernières années ».

106. La Cour relève que l’interview en cause a été donnée le jour même de l’arrestation des deux requérants (paragraphe 24 ci-dessus), avant leur comparution devant un juge compétent pour se prononcer sur la légalité de leur détention (paragraphe 30 ci-dessus) et dans le contexte d’un large intérêt médiatique porté à cette affaire (paragraphe 32 ci-dessus). Compte tenu de ces circonstances et du sens propre des mots employés par le ministre, la Cour estime que les propos en question sont allés au-delà de la simple communication d’information sur le déroulement des enquêtes pénales : ils étaient susceptibles de créer chez le grand public l’impression que les intéressés occupaient une place privilégiée dans la hiérarchie d’une puissante organisation de type mafieux. De ce fait, elle considère que ces propos étaient incompatibles avec l’article 6 § 2 de la Convention.

107. Compte tenu de cette conclusion, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se pencher sur la question de savoir si les autres interventions médiatiques du ministre de l’Intérieur ont également porté atteinte à la présomption d’innocence des requérants.

108. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention de ce chef.

V. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

109. Invoquant l’article 8 de la Convention, M. Plamen Stoyanov, Mme Petranka Stoyanova, M. Plamen Plamenov Stoyanov, M. Yordan Stoyanov, Mme Antonia Ivanova, Mlles Emilia et Monika Stoyanovi et M. Veselin Stoyanov soutiennent que les perquisitions et les saisies opérées dans leurs logements familiaux respectifs ont constitué une atteinte injustifiée à leur droit au respect de leur domicile, de leur vie privée et familiale et de leur correspondance. MM. Plamen et Yordan Stoyanovi allèguent de surcroît que les interventions médiatiques du ministre de l’Intérieur au sujet de leur arrestation et des poursuites pénales menées à leur encontre ont porté atteinte à leur bonne réputation.

110. La Cour rappelle que la qualification juridique exacte des faits qui lui sont soumis par les parties relève de sa compétence exclusive (Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil 1998‑I). Elle prend note que les requérants se plaignent que les agents de police aient pénétré dans leurs domiciles respectifs, y aient effectué des perquisitions et y aient saisi un certain nombre d’objets personnels qu’ils y avaient trouvés. La Cour estime dès lors opportun d’examiner ce grief sous le seul angle de la protection accordée au domicile par l’article 8 de la Convention. Il convient d’aborder également le grief tiré par MM. Plamen et Yordan Stoyanovi, à titre personnel, d’une atteinte à leur bonne réputation sur le terrain de la même disposition.

111. Les parties pertinentes en l’espèce de l’article 8 de la Convention se lisent comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et (...) de son domicile (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

112. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. D’une manière générale, il indique que les requérants ne se sont pas prévalus de la possibilité que leur aurait offerte la loi sur la responsabilité de l’État pour se plaindre des agissements des policiers qui avaient effectué les perquisitions et saisies en cause.

113. Les requérants rétorquent que le droit interne ne prévoyait aucun recours judiciaire qui leur aurait permis de contester la légalité des perquisitions effectuées à leurs domiciles respectifs.

114. La Cour rappelle que dans son arrêt Gutsanovi (précité, §§ 210‑211), qui concernait une perquisition effectuée au domicile de quatre autres requérants, elle a estimé que le Gouvernement n’avait pas étayé sa thèse assimilant une action civile fondée sur l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’État à une voie de recours suffisamment établie en droit interne pour remédier aux violations alléguées du droit au respect du domicile en cas de perquisition et de saisie irrégulières. La Cour estime que le même constat s’impose dans la présente affaire.

115. En ce qui concerne l’effectivité d’une action en dommages et intérêts fondée sur l’article 2 de la même loi et reposant sur l’abandon des poursuites pénales contre les deux premiers requérants, la Cour estime que cette voie de recours n’aurait pas permis de constater l’atteinte alléguée au droit au respect du domicile des requérants, puisque, d’après le droit et la jurisprudence internes, le fait dommageable qui aurait pu donner lieu à une réparation pécuniaire était l’abandon subséquent des poursuites pénales contre MM. Plamen et Yordan Stoyanovi et non l’illégalité des perquisitions dénoncées (voir, mutatis mutandis, Gutsanovi, précité, § 96).

116. Constatant par ailleurs que ces griefs soulevés sous l’angle de l’article 8 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Grief relatif aux perquisitions et saisies effectuées aux domiciles respectifs des requérants

a) Arguments des parties

117. Les huit requérants allèguent d’abord que les perquisitions à leurs logements familiaux respectifs et les saisies de divers objets n’ont pas été effectuées en conformité avec les exigences du droit interne. Ils indiquent, entre autres, qu’il n’y avait pas d’autorisation préalable d’un juge et qu’il ne s’agissait pas d’un cas exceptionnel justifiant des perquisitions sans mandat judiciaire.

118. Les requérants soutiennent également que les multiples violations procédurales du droit interne font apparaître ce qu’ils qualifient de véritable but de l’opération, consistant selon eux en l’intimidation et en l’atteinte à la bonne réputation de Plamen et Yordan Stoyanovi, et non en la réunion des preuves dans le cadre de la procédure pénale menée contre ces derniers.

119. Les intéressés estiment qu’en tout état de cause les mesures en question n’étaient pas « nécessaires dans une société démocratique » : en témoigneraient le déroulement de l’opération policière, la saisie de plusieurs objets personnels qui n’auraient pas présenté de lien apparent avec la procédure pénale menée en l’occurrence et la rétention, injustifiée aux yeux des requérants, de ces mêmes objets pendant une longue période.

120. Le Gouvernement combat la thèse des requérants. Il affirme que les perquisitions et les saisies en cause ont été effectuées en stricte conformité avec la législation interne, précisant que les organes d’enquête ont dressé des procès-verbaux de perquisition et saisie et que ceux-ci ont été approuvés par des juges du tribunal de première instance dans les délais prévus par la législation interne.

121. Pour le Gouvernement, les mesures en cause poursuivaient un but légitime, à savoir le rassemblement des preuves nécessaires pour l’établissement des faits dans le cadre d’une procédure pénale.

122. Le Gouvernement fait enfin observer que l’ingérence dans le droit des requérants n’est pas allée au-delà du strict nécessaire pour l’accomplissement de la finalité des mesures contestées.

b) Appréciation de la Cour

123. La Cour estime qu’il y a eu ingérence dans l’exercice du droit des requérants au respect de leur domicile : les logements des intéressés ont été perquisitionnés et les responsables de l’enquête pénale ont saisi plusieurs objets et documents qui s’y trouvaient. Il convient dès lors de déterminer si cette ingérence était justifiée au regard du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention, c’est‑à-dire si elle était « prévue par la loi », poursuivait un ou plusieurs buts légitimes et était « nécessaire », « dans une société démocratique », à la réalisation de ce ou ces buts.

124. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante les mots « prévue par la loi » impliquent qu’une ingérence aux droits garantis par l’article 8 de la Convention doit reposer sur une base légale interne et que la législation en question doit être suffisamment accessible et prévisible et être compatible avec le principe de la prééminence du droit (voir, parmi beaucoup d’autres, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 52, CEDH 2000‑V, Liberty et autres c. Royaume-Uni, no 58243/00, § 59, 1er juillet 2008, et Heino c. Finlande, no 56720/09, § 36, 15 février 2011.

125. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe que les perquisitions litigieuses reposaient sur les articles 160 et 161 du CPP (paragraphe 45 ci-dessus). Elle estime que ces dispositions législatives ne posent aucun problème, s’agissant tant de leur accessibilité que de leur prévisibilité, au sens de sa jurisprudence précitée.

126. Concernant la dernière condition qualitative à laquelle la législation interne doit répondre, à savoir la compatibilité avec le principe de la prééminence du droit, la Cour rappelle que, dans le contexte des saisies et perquisitions, elle exige que le droit interne offre des garanties adéquates et suffisantes contre l’arbitraire (Heino, précité, § 40). Nonobstant la marge d’appréciation qu’elle reconnaît en la matière aux États contractants, la Cour doit redoubler de vigilance lorsque le droit national habilite les autorités à conduire une perquisition sans mandat judiciaire : la protection des individus contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par l’article 8 de la Convention réclame un encadrement légal et une limitation des plus stricts de tels pouvoirs (Camenzind c. Suisse, 16 décembre 1997, § 45, Recueil 1997‑VIII).

127. Dans la présente affaire, la Cour constate que les perquisitions et les saisies aux domiciles respectifs des requérants ont été effectuées sans l’autorisation préalable d’un juge. En effet, l’article 161, alinéa 2 du CPP permet aux organes d’enquête de procéder à de telles mesures d’instruction dans des cas urgents quand il existe un danger d’altération de preuves. La rédaction de cette disposition laisse en pratique une large marge de manœuvre aux autorités quant à l’appréciation de la nécessité et de l’ampleur des perquisitions et saisies (Gutsanovi, précité, § 221).

128. La Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer que, dans de telles situations, l’absence d’un mandat de perquisition et saisie peut être contrebalancée par un contrôle judiciaire a posteriori sur la légalité et la nécessité de ces mesures d’instruction (Heino, précité, § 45). En l’espèce, la Cour note que les procès-verbaux de perquisition et saisie ont étés présentés le même jour à deux juges du tribunal de la ville de Sofia, qui les ont approuvés. Elle observe qu’à la différence de l’affaire Gutsanovi (précitée, § 223), dans laquelle les seules traces écrites de l’approbation du juge étaient sa signature, le sceau du tribunal, la date et la mention « j’approuve » apposés sur la première page du procès-verbal, en l’occurrence, les juges chargés du contrôle de la légalité et de la nécessité des perquisitions et des saisies effectuées dans les logements des requérants ont rendu des décisions (paragraphes 22 et 23 ci-dessus).

129. Cependant, à l’instar de l’affaire Gutsanovi, précitée, la Cour estime que lesdites décisions n’ont pas eu comme effet de remédier à l’absence de mandats judiciaires pour les raisons suivantes.

130. En vertu de la législation et la jurisprudence interne, la perquisition sans mandat judiciaire ne peut être effectuée qu’en cas d’urgence et l’existence d’une telle situation se trouve au cœur du contrôle a posteriori exercé par le juge en vertu de l’article 161, alinéa 2, du CPP (Gutsanovi, précité, § 60). Force est de constater que dans leurs décisions d’approbation des mesures en question les juges se sont simplement bornés à déclarer que la situation en cause était urgente (voir paragraphes 22 et 23 ci-dessus). Or, la Cour estime qu’en l’absence de tout argument à l’appui de ces déclarations des juges, il n’a pas été démontré que les magistrats du siège ont exercé un contrôle effectif sur la légalité et la nécessité des mesures contestées.

131. Le contrôle effectif de la légalité et de la nécessité de ces mesures d’instruction était d’autant plus nécessaire qu’à aucun moment avant celles‑ci les requérants n’ont été informés concrètement du type d’objets liés à l’enquête pénale que les enquêteurs cherchaient à découvrir et à saisir à leurs domiciles. À cet égard, la Cour observe que le procès-verbal dressé le 10 février 2010 mentionnait uniquement que Plamen Stoyanov avait été invité à livrer tout objet, document ou support informatique contenant des éléments relatifs à l’enquête pénale menée par le service national de l’instruction (paragraphe 17 ci-dessus).

132. Il est vrai que la perquisition de l’appartement de Plamen Stoyanov a été opérée en présence de celui-ci, de son avocat et de deux témoins (paragraphe 17 ci-dessus). La Cour considère néanmoins que, en l’absence d’une autorisation préalable délivrée par un juge et d’un contrôle effectif a posteriori de la mesure d’instruction contestée, ces garanties procédurales n’étaient pas suffisantes pour prévenir le risque d’abus de pouvoir de la part des autorités de l’enquête.

133. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que même si les mesure d’instruction contestées avaient une base légale en droit interne, la législation nationale n’a pas offert aux requérants suffisamment de garanties contre l’arbitraire avant ou après les perquisitions. De ce fait, les requérants ont été privés de la protection contre l’arbitraire que leur conférait le principe de la prééminence du droit dans une société démocratique. Dans ces circonstances, la Cour considère que l’ingérence dans le droit des intéressés au respect de leur domicile n’était pas « prévue par la loi » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

134. Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention.

2. Grief relatif à l’atteinte alléguée à la bonne réputation de MM. Plamen et Yordan Stoyanovi

135. MM. Plamen et Yordan Stoyanovi estiment que les interventions publiques de hauts responsables politiques dans le contexte de la large couverture médiatique de leur arrestation et de la procédure pénale les concernant ont constitué une atteinte injustifiée à leur bonne réputation et, dès lors, à leur droit au respect de leur vie privée.

136. La Cour observe que les mêmes faits ont déjà été examinés sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention et qu’elle a constaté une atteinte injustifiée à la présomption d’innocence des requérants à raison des propos du ministre de l’Intérieur devant les médias (voir paragraphes 102-108 ci‑dessus). Elle estime, par conséquent, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément ce même grief sous l’angle de l’article 8 de la Convention.

VI. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

137. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, tous les requérants se plaignent que la loi de 2005, ayant servi de base légale pour l’imposition de mesures conservatoires sur leurs biens, n’ait pas été suffisamment prévisible et qu’elle n’ait pas offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire, que l’imposition des mesures litigieuses sur leurs biens n’ait pas poursuivi un but légitime et que, en tout état de cause, cette imposition ait eu des effets néfastes sur leur patrimoine qui seraient allés au-delà de ce qui était nécessaire pour assurer l’effectivité d’une éventuelle procédure de confiscation.

138. La Cour estime qu’elle doit examiner ce grief uniquement sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, libellé comme suit :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

139. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il fait observer que les poursuites pénales contre Plamen et Yordan Stoyanovi ont pris fin le 27 février 2014 et que les mesures conservatoires sur les biens de tous les requérants ont été levées par les tribunaux civils entre le 12 novembre 2013 et le 25 septembre 2014. Il indique que la levée des mesures litigieuses a mis fin à la situation dénoncée par les requérants et a ouvert la possibilité à ces derniers de demander une réparation pécuniaire pour le préjudice subi au cours de la période de mise en œuvre desdites mesures sur le fondement de l’article 32 de la loi de 2005 qui renvoyait aux dispositions applicables de la loi sur la responsabilité de l’État.

140. Le Gouvernement se réfère expressément à la décision récente rendue en l’affaire Nedyalkov et autres (précitée) : selon lui, dans cette décision, la Cour a admis que la voie indiquée par lui était une voie de recours compensatoire effective et qu’elle devait être exercée dans des circonstances similaires à celles de la présente espèce.

141. La partie requérante conteste la position du Gouvernement. Elle indique que la loi de 2005, ayant servi de base légale pour l’imposition des mesures conservatoires litigieuses, a été abrogée le 19 novembre 2012 et remplacée par la nouvelle loi sur la confiscation des produits d’activités illégales (ci-après « la loi de 2012 »). Les requérants font observer que, d’après le paragraphe 5 des dispositions transitoires de la loi de 2012, les procédures pendantes, ouvertes sous le régime de la loi de 2005, continuaient à être régies par cette même loi. Or, pour eux, la procédure en réparation, découlant de l’action en responsabilité contre l’État prévue à l’article 32 de la loi de 2005, n’était pas une « procédure pendante » au sens du paragraphe 5 des dispositions transitoires de la nouvelle loi. Ainsi, les requérants estiment qu’ils ne pouvaient pas utilement invoquer les dispositions de l’article 32 de l’ancienne loi, qui avait été abrogée en 2012, pour se plaindre d’une situation qui avait pris fin le 27 février 2014.

142. Ils affirment que, à cette dernière date, ils pouvaient uniquement invoquer la nouvelle rédaction de l’article 2 et le nouvel article 2a de la loi sur la responsabilité de l’État qui faisaient référence à la loi de 2012. Ils ajoutent que cette dernière loi n’était pas la base légale des mesures dont ils se plaignaient et que, par conséquent, la voie de recours offerte par ces textes leur était également inaccessible en pratique. Par une communication du 30 décembre 2015, la partie requérante a également informé la Cour que les requérants dans l’affaire Nedyalkov et autres, précitée, ont intenté un recours en dédommagement, sous l’angle des dispositions pertinentes de la loi sur la responsabilité de l’État, contre la commission spécialisée et les tribunaux ayant autorisé le gel de leurs avoirs. Dans le cadre de cette procédure, qui est encore pendante, les juridictions internes ont accepté d’examiner l’action en cause uniquement contre la commission spécialisée. Les requérants soutiennent que ce fait démontre l’absence d’efficacité de l’action fondée sur les dispositions de la loi sur la responsabilité de l’État qui ne pourrait pas amener à l’engagement de la responsabilité de tous les organes étatiques impliqués dans la prise des décisions de gel de leurs biens.

143. La Cour rappelle que, dans sa décision récente Nedyalkov et autres (précitée, §§ 92-97), elle s’est déjà prononcée sur la question de savoir si les dispositions combinées de l’article 32 de la loi de 2005 et de la loi sur la responsabilité de l’État offraient une voie de recours interne effective pour remédier à la violation alléguée de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention dans des circonstances similaires à celles de la présente affaire. La Cour a en particulier admis que lesdites dispositions législatives permettaient aux personnes lésées par l’imposition de mesures conservatoires décidées en application de la loi de 2005 de réclamer un dédommagement pécuniaire du préjudice subi en cas de levée ultérieure de ces mesures (ibidem). La Cour estime que la même conclusion s’impose dans la présente espèce. Elle observe que les faits de la présente espèce sont similaires à ceux de l’affaire Nedyalkov et autres, précitée. Dans les deux cas de figure, les poursuites pénales contre les requérants ont été terminées après l’adoption de la loi de 2012 et leurs avoirs avaient été gelés en application de la loi de 2005. A la lumière de ces constats, la Cour ne voit aucune raison d’arriver à une conclusion différente que celle qu’elle a adoptée en l’affaire Nedyalkov et autres, précitée.

144. Pour ce qui est de MM. Plamen et Yordan Stoyanovi, la Cour constate que, depuis la clôture des poursuites pénales dirigées contre eux, les intéressés peuvent demander à être dédommagés pour « accusation illégale » en vertu des dispositions pertinentes de la loi sur la responsabilité de l’État et que ce dédommagement pourrait couvrir le préjudice causé par les mesures conservatoires prises en application de la loi de 2005 (Nedyalkov et autres, décision précitée, §§ 64 et 98). La Cour prend note des décisions judiciaires internes, présentées par les requérants dans leur communication du 30 décembre 2015, qui indiquent que c’est uniquement la commission spécialisée, et non pas les tribunaux qui avaient gelé les avoirs des intéressés, qui peut être tenue responsable des dommages subis de ce fait. S’il est vrai que, dans l’affaire Nedyalkov et autres, précitée, la Cour a analysé la possibilité d’introduire une action en dommages et intérêts contre les tribunaux en tant qu’une voie de recours interne potentiellement effective, elle n’a pourtant pas conclu que c’était nécessairement la responsabilité des tribunaux qui devait être engagée en cas de dommages survenus en résultat du gel des avoirs. Dans le contexte de la présente affaire, l’exigence d’effectivité du recours interne, posée à l’article 35 § 1 de la Convention, ne pourrait pas être interprétée de manière à imposer l’établissement d’un recours contre un organe étatique spécifique. Par conséquent, la Cour considère que les circonstances exposées dans la communication des requérants du 30 décembre 2015 ne sont pas en mesure de remettre en question sa conclusion quant à l’effectivité des recours tirés des dispositions combinées de l’article 32 de la loi de 2005 et de la loi sur la responsabilité de l’État.

145. La Cour ne perd pas de vue que les recours susmentionnés sont devenus disponibles aux requérants en 2014, après la clôture des poursuites pénales contre Plamen et Yordan Stoyanovi et la levée des mesures conservatoires imposées en application de la loi de 2005. Cependant, tout comme dans l’affaire Nedyalkov et autres (précitée, § 100), la Cour estime que les circonstances spécifiques de l’espèce justifient une exception à la règle selon laquelle l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie au moment de l’introduction de la requête. Elle constate en effet que les requérants ne semblent être aucunement empêchés de se prévaloir désormais des possibilités que leur offrent l’article 32 de la loi de 2005 et la loi sur la responsabilité de l’État pour obtenir un dédommagement du préjudice subi en raison de l’imposition prolongée des mesures conservatoires sur leurs biens meubles et immeubles.

146. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non‑épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

VII. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

147. Les requérants estiment enfin qu’ils ne disposaient pas de voies de recours internes effectives pour remédier aux violations alléguées de leur droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, de leur droit au respect de leur domicile et de leur droit au respect de leurs biens. Ils invoquent l’article 13 de la Convention, libellé comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

148. Le Gouvernement considère que les intéressés auraient pu contester les actes litigieux des fonctionnaires d’État impliqués et demander une réparation pécuniaire en vertu de la loi sur la responsabilité de l’État.

A. Sur la recevabilité

149. La Cour rappelle qu’elle a rejeté les griefs formulés par les requérants sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention pour non-épuisement des voies de recours internes (paragraphes 137-146 ci‑dessus). Il s’ensuit que, en l’absence de grief défendable sous l’angle de cette disposition, le grief tiré de l’article 13 de la Convention, lié à celui-ci, est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

150. La Cour considère, en revanche, que les griefs formulés par Plamen et Yordan Stoyanovi et les membres de leurs familles respectives sous l’angle de l’article 13 combiné avec les articles 3 et 8 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés, au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention, et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

151. La Cour rappelle que, à l’issue de son examen de la recevabilité du grief formulé sous l’angle de l’article 3 de la Convention, elle a constaté que ni la plainte pénale ni l’action en dommages et intérêts contre l’État n’auraient pu constituer des voies de recours internes suffisamment effectives dans la présente espèce (paragraphe 56 ci-dessus). Force est de constater que le Gouvernement n’a invoqué aucune autre voie de recours qui aurait permis aux requérants concernés de faire valoir leur droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants.

152. La Cour rappelle aussi que, dans le cadre de l’examen de la recevabilité du grief que certains des requérants ont formulé sous l’angle de l’article 8 de la Convention, elle a conclu que le Gouvernement n’avait pas étayé sa thèse assimilant une action civile sur le fondement de la loi sur la responsabilité de l’État à une voie de recours suffisamment établie en droit interne pour remédier aux violations alléguées du droit au respect du domicile des intéressés (paragraphe 114 ci-dessus). Or aucune disposition du droit interne ne permet à ceux-ci de contester la régularité et la nécessité d’une perquisition du domicile (Iliya Stefanov c. Bulgarie, no 65755/01, § 44, 22 mai 2008), et le Gouvernement n’a invoqué aucune autre voie de recours à cet égard.

153. La Cour estime que ces mêmes motifs peuvent être retenus dans le cadre de l’examen des griefs soulevés sur le terrain de l’article 13 combiné avec les articles 3 et 8 de la Convention et qu’ils suffisent pour conclure que les requérants concernés ne disposaient d’aucune voie de recours interne qui leur aurait permis de faire valoir leur droit à ne pas être soumis à des traitements contraires à l’article 3 précité et leur droit au respect de leur domicile, garanti par l’article 8 précité.

154. Il y a donc eu violation de l’article 13 combiné avec les articles 3 et 8 de la Convention.

VIII. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

155. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommages

156. Les requérants réclament la somme de 309 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils disent avoir subi en raison des violations alléguées de leurs droits garantis par les articles 3, 5, 6, 8 et 13 de la Convention et par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Ils demandent également la somme de 85 121 917,56 EUR au titre du préjudice matériel qu’ils estiment avoir subi en raison de l’imposition des mesures conservatoires sur leurs biens, contraire selon eux à l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

157. Le Gouvernement considère que la somme réclamée au titre du préjudice moral est exorbitante et que celle demandée au titre du préjudice matériel est dépourvue de tout fondement.

158. La Cour observe que la prétention des requérants formulée au titre du préjudice matériel est entièrement liée à la violation alléguée de leur droit garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, et notamment à l’imposition de mesures conservatoires sur leurs biens meubles et immeubles en application de la loi de 2005. La Cour rappelle qu’elle a examiné et rejeté ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes (paragraphes 137‑146 ci-dessus). Dès lors, en l’absence de constat de violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, elle estime qu’il y a lieu de rejeter la prétention relative au dédommagement du préjudice matériel.

159. La Cour rappelle ensuite ses constats selon lesquels les requérants Plamen Stoyanov, Petranka Stoyanova, Plamen Plamenov Stoyanov, Yordan Stoyanov, Antonia Ivanova, Emilia Stoyanova, Monika Stoyanova et Veselin Stoyanov ont été victimes de violations de leurs droits garantis par les articles 3, 8 et 13, combiné avec les articles 3 et 8, de la Convention et selon lesquels il a été porté une atteinte injustifiée au droit de Plamen et Yordan Stoyanovi à la présomption d’innocence, garantie par l’article 6 § 2 de la Convention. La Cour considère que ces huit requérants ont subi un certain dommage moral du fait des violations constatées de leurs droits susmentionnés. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer conjointement à Plamen Stoyanov, Petranka Stoyanova et Plamen Plamenov Stoyanov la somme de 30 000 EUR, et conjointement à Yordan Stoyanov, Antonia Ivanova, Emilia Stoyanova, Monika Stoyanova et Veselin Stoyanov la somme de 50 000 EUR, au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

160. Les requérants réclament également la somme de 53 169,96 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, cette demande étant ventilée comme suit : 10 800 EUR pour les honoraires d’avocat ; 42 000 EUR pour l’établissement d’un rapport d’expertise concernant l’évaluation du dommage matériel allégué ; 369,96 EUR pour les frais de poste, de bureau et de traduction. Les requérants demandent que les frais de poste, de bureau et de traduction soient transférés directement sur le compte du cabinet d’avocats « Ekimdzhiev, Boncheva et Chernicherska ».

161. Le Gouvernement estime que la somme réclamée au titre des frais et dépens est excessive et non étayée.

162. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais confondus, dont 369,96 EUR à verser directement sur le compte du cabinet d’avocats « Ekimdzhiev, Boncheva et Chernicherska », et elle l’accorde conjointement aux requérants.

C. Intérêts moratoires

163. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre au fond l’exception du Gouvernement concernant la qualité de victime des requérants au regard du grief tiré de l’article 3 de la Convention et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable quant au grief soulevé sous l’angle de l’article 3 de la Convention par Plamen Stoyanov, Petranka Stoyanova, Plamen Plamenov Stoyanov, Yordan Stoyanov, Antonia Ivanova, Emilia Stoyanova, Monika Stoyanova et Veselin Stoyanov, quant au grief soulevé sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention par Plamen et Yordan Stoyanovi concernant les propos de divers responsables politiques, quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention relativement au respect du domicile de Plamen Stoyanov, Petranka Stoyanova, Plamen Plamenov Stoyanov, Yordan Stoyanov, Antonia Ivanova, Emilia Stoyanova, Monika Stoyanova et Veselin Stoyanov et de la vie privée de MM. Plamen et Yordan Stoyanovi, et quant au grief soulevé par tous les requérants susmentionnés sous l’angle de l’article 13 combiné avec les articles 3 et 8 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention concernant les huit requérants susmentionnés ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention en ce qui concerne les propos du Premier ministre et qu’il y a eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention en ce qui concerne les propos du ministre de l’Intérieur concernant les requérants Plamen et Yordan Stoyanovi ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention concernant le droit au respect du domicile des huit requérants susmentionnés ;

6. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 8 de la Convention relatif au respect de la bonne réputation de MM. Plamen et Yordan Stoyanovi ;

7. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec les articles 3 et 8 de la Convention ;

8. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares, au taux applicable à la date du règlement :

i) 30 000 EUR (trente mille euros), conjointement aux requérants Plamen Stoyanov, Petranka Stoyanova et Plamen Plamenov Stoyanov, et 50 000 EUR (cinquante mille euros) conjointement aux requérants Yordan Stoyanov, Antonia Ivanova, Emilia Stoyanova, Monika Stoyanova et Veselin Stoyanov, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants sur cette somme, pour frais et dépens, dont 369,96 EUR (trois cent soixante-neuf euros et quatre-vingt-seize centimes) à verser directement sur le compte bancaire du cabinet d’avocats Ekimdzhiev, Boncheva et Chernicherska ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

9. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 mars 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente


ANNEXE

1. Plamen Dimitrov STOYANOV est un ressortissant bulgare né en 1967, résidant à Sofia ;
2. Petranka Georgieva STOYANOVA est une ressortissante bulgare née en 1969, résidant à Sofia ;
3. Dimitar Plamenov STOYANOV est un ressortissant bulgare né en 1988, résidant à Sofia ;
4. Plamen Plamenov STOYANOV est un ressortissant bulgare né en 1998, résidant à Sofia ;
5. Yordan Dimitrov STOYANOV est un ressortissant bulgare né en 1969, résidant à Sofia ;
6. Antonia Orlinova IVANOVA est une ressortissante bulgare née en 1980, résidant à Sofia ;
7. Veselin Yordanov STOYANOV est un ressortissant bulgare né en 1991, résidant à Sofia ;
8. Emilia Yordanova STOYANOVA est une ressortissante bulgare, née en 2005, résidant à Sofia ;
9. Monika Yordanova STOYANOVA est une ressortissante bulgare, née en 2007, résidant à Sofia ;
10. Tsonka Georgieva TSANEVA est une ressortissante bulgare née en 1973, résidant à Sofia ;
11. EKOMETAL INZHENERING EOOD est une société en responsabilité limitée de droit bulgare, ayant son siège à Sofia ;
12. EKOSORS ENERGY EOOD est une société en responsabilité limitée de droit bulgare, ayant son siège à Sofia ;
13. EKORESOR EOOD est une société en responsabilité limitée de droit bulgare, ayant son siège à Sofia ;
14. SD VEZDEN - DIMITROV I CI-E est une société en nom collectif de droit bulgare, ayant son siège à Sofia ;
15. SB - SOLID EOOD est une société en responsabilité limitée de droit bulgare, ayant son siège à Sofia ;
16. REKOTEH 2007 EOOD est une société en responsabilité limitée de droit bulgare, ayant son siège à Sofia ;
17. ECOLOGISTICS EOOD est une société en responsabilité limitée de droit bulgare, ayant son siège à Sofia ;
18. EKOSTROY KOREKT EOOD est une société en responsabilité limitée de droit bulgare, ayant son siège à Sofia ;
19. EKOTRANS KOREKT EOOD est une société en responsabilité limitée de droit bulgare, ayant son siège à Sofia ;
20. TRANSSTROY KOREKT EOOD est une société en responsabilité limitée de droit bulgare, ayant son siège à Sofia.


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