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23/02/2016 | CEDH | N°001-160850

CEDH | CEDH, AFFAIRE PÉREZ MARTÍNEZ c. ESPAGNE, 2016, 001-160850


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE PÉREZ MARTÍNEZ c. ESPAGNE

(Requête no 26023/10)

ARRÊT

STRASBOURG

23 février 2016

DÉFINITIF

23/05/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Pérez Martínez c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Helena Jäderblom, présidente,
Luis López Guerra,
Helen Keller,
Johannes Silvis,

Dmitry Dedov,
Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE PÉREZ MARTÍNEZ c. ESPAGNE

(Requête no 26023/10)

ARRÊT

STRASBOURG

23 février 2016

DÉFINITIF

23/05/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Pérez Martínez c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Helena Jäderblom, présidente,
Luis López Guerra,
Helen Keller,
Johannes Silvis,
Dmitry Dedov,
Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 février 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 26023/10) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont un ressortissant de cet État, M. Manuel Pérez Martínez (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 mai 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me F.J. Pereña Mudarra, avocat à Madrid. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. de A. Sanz Gandasegui, avocat de l’État et chef du service juridique des droits de l’homme au ministère de la Justice.

3. Le 18 décembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1944.

5. Par un jugement rendu le 13 décembre 2007 après la tenue d’une audience publique au cours de laquelle le requérant fut entendu, l’Audiencia Nacional acquitta ce dernier du délit de détention illégale par instigation prévu à l’article 483, en relation avec les articles 480 et 481 du code pénal de 1973 dont il était accusé, dans le cadre de l’enlèvement de l’entrepreneur P.C. Le requérant était à l’époque des faits le secrétaire général du dénommé « Parti Communiste d’Espagne Reconstitué » (ci-après PCEr), soupçonné d’être le bras politique du groupe terroriste « Groupes de résistance antifasciste Premier Octobre », plus connu sous le nom de « GRAPO ». Dans son arrêt, l’Audiencia Nacional nota que le PCEr était chargé de fixer la stratégie de lutte armée au sein de l’organisation, ainsi que les cibles visées. Il procurait les ressources économiques et contrôlait la sélection et formation des membres des « commandos militaires », distribuant le cas échéant de fausses pièces d’identité. Les deux entités constituaient donc une seule et unique organisation. L’organe de direction de l’ensemble était le « comité central », à la tête duquel se trouvait le secrétaire général, respecté et obéi par l’ensemble de l’organisation.

6. S’agissant plus précisément de la responsabilité du requérant dans l’enlèvement, l’Audiencia Nacional considéra qu’il n’avait pas été prouvé que le requérant, bien qu’il fît partie du commandement central des GRAPO, ait décidé ou donné l’ordre d’enlever P.C. En effet, sa connaissance du déroulement des faits n’avait été que générique, son attitude étant plutôt passive, en attente du déroulement et résultat du plan.

7. La partie accusatrice privée se pourvut en cassation. Par un arrêt du 30 mars 2009 rendu sans la tenue d’une audience publique, le Tribunal suprême confirma la thèse du tribunal a quo selon laquelle il ne ressortait pas des éléments du dossier que le requérant ait donné des ordres ou ait participé activement à l’enlèvement. Sa connaissance générale des évènements était corroborée par d’autres faits, que l’Audiencia Nacional avait considéré comme étant prouvés, à savoir la revendication de l’enlèvement auprès des médias par un autre membre de l’organisation, ainsi que les déclarations du requérant au cours de l’audience devant le tribunal a quo affirmant que la nouvelle de l’enlèvement lui était parvenue par la presse. Pour le Tribunal suprême, il était donc clair que le requérant n’avait pas agi activement dans cette détention illégale.

8. Il ressortait cependant du procès-verbal issu de l’audience devant l’Audiencia Nacional que la question relative à la responsabilité du requérant par omission avait été soulevée. Le Tribunal suprême nota à ce propos que le type pénal pour les délits de détention illégale n’excluait pas la commission par omission, dans la mesure où ces deux modalités, à savoir l’action et l’omission, étaient équivalentes du point de vue du texte légal.

Le Tribunal suprême rappela en outre qu’aux fins d’approfondir sur ce point, le 13 janvier 2009 il avait lui-même demandé aux parties, conformément à l’article 897 du code de procédure pénale, de s’exprimer pour un meilleur éclaircissement de la question débattue, à savoir la responsabilité des accusés par omission et l’éventuelle application de l’article 11 du nouveau code pénal à l’espèce, disposition qui était plus favorable que son équivalente de l’ancien code pénal. Dans leurs mémoires de réponse, alors que la partie accusatrice privée et le ministère public s’y montrèrent favorables, le requérant contesta l’application de cette disposition au motif qu’il ne pouvait être tenu pour responsable de la création d’une situation de risque et que les faits déclarés prouvés ne permettaient pas de conclure que les accusés avaient eu connaissance de l’enlèvement.

9. Le Tribunal suprême nota également qu’à cette occasion, la partie accusatrice privée avait demandé l’administration de nouvelles preuves, demande qu’il avait refusée dans la mesure où sa compétence ne portait que sur les questions de droit, ne pouvant pas par conséquent aborder des éléments factuels.

10. Concernant les conditions nécessaires pour conclure à la responsabilité par omission, le Tribunal suprême mentionna les exigences objectives, à savoir, l’existence d’un devoir résultant de la création d’un danger, la capacité d’agir de celui qui s’abstient de le faire ainsi que sa maîtrise de la source des dangers et, finalement, la relation de causalité entre cette source et le délit. D’autre part, et quant au seul élément subjectif, le Tribunal suprême se référa au dol dans les délits d’omission.

11. Dans son analyse, le Tribunal considéra que la responsabilité des dirigeants d’un parti politique agissant comme une organisation criminelle pouvait être engagée pour autant que leur maîtrise sur la source des dangers fût avérée. En particulier, il nota que :

« (...) celui qui assume la direction d’une organisation configurée comme une source de dangers, sans pour autant modifier cet élément (...), accepte la position de garant par rapport aux risques que l’organisation qu’il dirige implique pour les biens juridiques d’autrui. ».

12. En raison de la position qu’il occupait à la tête du PCEr et du GRAPO, le pouvoir de commandement du requérant était suffisamment constaté. S’agissant de son degré précis de responsabilité, le Tribunal suprême releva que :

« (...) il n’est pas possible de lui attribuer la commission d’un délit de détention illégale (...). Cependant, il ressort clairement des faits déclarés prouvés que l’accusé n’ordonna pas la libération de la victime, c’est-à-dire, il ne réalisa aucune tentative de faire cesser la détention, alors qu’il en avait la possibilité. (...) Il n’essaya donc pas de faire en sorte que ses subordonnés libèrent la personne kidnappée. Cette configuration des faits correspond à la notion de tentative dans les délits [commis par] omission, qui survient lorsque le garant n’a pas essayé d’empêcher la commission du délit ou la continuation de son exécution, c’est-à-dire, il n’a pas entrepris une partie ou la totalité des actes qui objectivement auraient pu empêcher le résultat et, malgré cela, le résultat (...) n’a pas eu lieu pour des raisons étrangères à sa volonté.

(...)

L’accusé P.M. n’avait pas allégué avoir tenté d’empêcher la poursuite de l’enlèvement de P.C.

En conclusion, l’accusé P.M. est responsable d’un délit de tentative de détention illégale.

L’élément subjectif du délit de détention illégale par omission est clair : l’accusé connaissait sa position au sein de l’organisation et sa capacité d’agir, ainsi que l’existence de la détention illégale du kidnappé. Il savait qu’il avait les moyens pour la faire arrêter. Toutes les conditions relatives au dol dans les délits d’omission sont ainsi réunies. »

13. À la lumière de ces raisonnements, le Tribunal suprême accueillit le pourvoi. Par un deuxième arrêt, rendu à la même date, à savoir le 30 mars 2009, il condamna le requérant à une peine de sept ans de prison et au paiement d’une indemnisation aux victimes, pour un délit de détention illégale par omission, prévu à l’article 480 du code pénal en vigueur au moment des faits, dans la mesure où il n’avait pas ordonné la mise en liberté de la victime alors que, en raison de sa position dans l’organisation, il en avait le pouvoir.

14. Le requérant forma un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel, qui le déclara irrecevable par une décision notifiée le 10 novembre 2009, faute par le requérant d’avoir justifié la pertinence constitutionnelle spéciale de son recours.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. Code pénal de 1973

15. Les dispositions pertinentes du code pénal de 1973 prévoient :

Article 480

« L’individu qui enfermerait ou en retiendrait un autre, le privant de sa liberté, sera puni avec la peine de prison majeure.

Sera puni avec la même peine celui qui procurerait l’endroit pour l’exécution du délit.

(...) ».

Article 481

« Le délit [de détention illégale] prévu à l’article précédent sera puni avec une peine de prison majeure dans son degré maximum (...) lorsque

1. une rançon ou toute autre condition ont été exigées. »

Article 483

« Le responsable d’une détention illégale qui ne dévoilerait pas l’endroit où se trouve la personne détenue illégalement (...) sera punie par une peine de réclusion majeure. »

B. Code de procédure pénale

16. Les articles pertinents de ce code se lisent ainsi :

Article 897

« (...)

Le Président, d’office ou à la demande d’un Magistrat, pourra demander au ministère public et aux représentants un éclaircissement de la question débattue (...).

Le Président ne permettra aucune discussion sur l’existence des faits consignés dans la décision contestée, sauf lorsque le recours a été interjeté conformément au motif du paragraphe 2 de l’article 849, et rappellera à l’ordre celui qui essaie de les discuter, pouvant lui retirer la parole. »

C. Code pénal de 1995

17. Dans ses parties pertinentes, le code pénal de 1995 est ainsi libellé :

Article 11

« Les délits ou fautes consistant en la production d’un résultat seront considérés comme ayant été commis par omission seulement lorsque leur non empêchement enfreint un devoir juridique spécial de l’auteur équivalant à sa commission selon le sens du texte de la loi. L’omission sera assimilée à l’action :

(...)

b) lorsque [l’auteur] a créé un (...) risque pour le bien juridiquement protégé moyennant une action ou omission préalable.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 DE LA CONVENTION CONCERNANT LE PRÉTENDU NON‑RESPECT DU PRINCIPE ACCUSATOIRE

18. Le requérant allègue que sa condamnation par le Tribunal suprême est contraire au principe accusatoire dans la mesure où il a été condamné pour un délit de détention illégale par omission, alors que l’accusation initiale portée à son encontre ne concernait que la perpétration directe du délit.

Les parties pertinentes de la disposition en cause sont ainsi libellées :

Article 6

1. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

(...). »

A. Sur la recevabilité

19. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

20. Le Gouvernement note que, par une ordonnance du 13 janvier 2009, le Tribunal suprême octroya un délai de 10 jours aux parties pour se prononcer sur l’application en l’espèce de l’article 11 du code pénal, relatif à la commission par omission. Le requérant répondit en date du 27 janvier 2013 sollicitant la non-application de cette disposition, présentant les arguments qu’il a considéré pertinents. Pour le Gouvernement, il est donc clair que les droits de défense du requérant ont par conséquent été respectés.

21. De son côté, le requérant considère qu’il n’a pas pu se défendre suffisamment des accusations portées à son encontre devant le Tribunal suprême. Il estime qu’aucune des parties accusatrices (accusation privée et ministère public) ne lui attribua avec une précision suffisante le comportement par omission. Il rappelle à cet égard que le mémoire de conclusions définitives déposé par les parties devant le juge doit contenir les faits pertinents et essentiels permettant d’effectuer une qualification juridique et d’intégrer un délit concret, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce.

2. Appréciation de la Cour

22. La Cour rappelle que les dispositions du paragraphe 3 a) de l’article 6 montrent la nécessité d’accorder un soin extrême à notifier à l’intéressé l’« accusation » portée contre lui. L’acte d’accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, la personne mise en cause est officiellement avisée de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre elle (Kamasinski c. Autriche, 19 décembre 1989, § 79, série A no 168, et Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 51, CEDH 1999‑II). L’article 6 § 3 a) de la Convention reconnaît à l’accusé le droit d’être informé non seulement de la cause de l’accusation, c’est-à-dire des faits matériels qui lui sont imputés et sur lesquels se fonde l’accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits, et ce d’une manière détaillée.

23. La portée de cette disposition doit notamment s’apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 32, série A no 37, Colozza c. Italie, 12 février 1985, § 26, série A no 89, et Pélissier et Sassi, précité, § 52). La Cour considère qu’en matière pénale, une information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l’équité de la procédure.

24. S’il est vrai que les dispositions de l’article 6 § 3 a) n’imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l’accusé doit être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui (voir, mutatis mutandis, Kamasinski, précité, § 79), celle-ci doit toutefois être prévisible pour ce dernier.

25. Enfin, quant au grief tiré de l’article 6 § 3 b) de la Convention, la Cour estime qu’il existe un lien entre les alinéas a) et b) de l’article 6 § 3 et que le droit à être informé sur la nature et la cause de l’accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l’accusé de préparer sa défense.

26. En l’espèce, la Cour constate que, tel que souligné par le Tribunal suprême, l’éventualité de la responsabilité par omission fut déjà abordée implicitement dans les actes d’accusation, qui renvoyaient à l’article 483 du code pénal de 1973, disposition prévoyant l’omission dans un délit de détention illégale. En outre, le procès-verbal de l’audience publique tenue devant l’Audiencia Nacional révèle que la non‑libération de la victime par le requérant avait fait l’objet de plusieurs questions lors des interrogatoires.

27. La Cour note en outre que, le 13 janvier 2009, le Tribunal suprême estima, compte tenu des recours présentés ainsi que du libellé des articles 480 et suivants de code pénal et de la jurisprudence établie par le Tribunal suprême lui-même, que les faits déclarés prouvés par le jugement de l’Audiencia Nacional pourraient constituer un délit de commission par omission et donna la possibilité aux parties de formuler leurs allégations quant à cette question et à la possible application à l’espèce de l’article 11 du nouveau code pénal (commission par omission) en tant que disposition plus favorable (paragraphe 8 ci-dessus). Alors que l’accusation privée et le ministère public s’y prononcèrent favorablement, le requérant s’y opposa, au motif qu’il ne pouvait pas être considéré responsable d’avoir créé une situation de risque pour le bien juridiquement protégé moyennant une action ou omission préalable, tel que prévu par la disposition invoquée.

28. Ces éléments suffisent à la Cour pour considérer que le requérant a eu la possibilité d’exercer son droit de défense devant le Tribunal suprême de manière concrète et effective en ce qui concerne la qualification des faits déclarés prouvés comme un délit commis par omission (voir, a contrario, Varela Geis c. Espagne, no 61005/09, 5 mars 2013).

29. La Cour conclut donc qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 3 a) et b) de l’article 6 de la Convention, combiné avec le paragraphe 1 du même article.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION CONCERNANT L’ABSENCE D’AUDIENCE PUBLIQUE DEVANT LE TRIBUNAL SUPRÊME

30. Le requérant allègue que sa condamnation par le Tribunal suprême sans avoir été entendu personnellement est contraire aux exigences du principe d’immédiateté et de présomption d’innocence. Il considère que l’examen de l’affaire nécessitait la tenue d’une audience publique.

31. Sont invoqués, dans leurs parties pertinentes, l’article 6 §§ 1 et 2 combiné avec l’article 13 de la Convention. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Gatt c. Malte, no 28221/08, § 19, CEDH 2010, et Jusic c. Suisse, no 4691/06, § 99, 2 décembre 2010), la Cour estime plus approprié d’examiner les griefs des requérants uniquement sous l’angle de l’article 6 de la Convention qui se lit comme suit :

Article 6

1. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

A. Sur la recevabilité

32. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

33. Le Gouvernement se réfère aux arrêts Bazo González c. Espagne (no 30643/04, 16 décembre 2008) et, a contrario, Lacadena Calero c. Espagne (no 23002/07, 22 novembre 2011), et considère que la nature des questions examinées par le Tribunal suprême n’exigeait pas la tenue d’une audience. En effet, l’arrêt du Tribunal suprême reprit les faits déclarés prouvés par l’Audiencia Nacional et effectua une nouvelle interprétation sur une question strictement juridique, à savoir l’application de l’article 11 du code pénal à l’espèce, à partir d’éléments de fait déjà constatés par le tribunal a quo. Dans ce sens, le Gouvernement note que le Tribunal suprême refusa l’administration de nouvelles preuves au motif que, conformément à la loi, sa compétence était limitée aux questions de droit.

34. De son côté, le requérant est d’avis que les questions analysées par le Tribunal suprême exigeaient d’entendre directement l’accusé ainsi que d’autres témoins ayant éventuellement déposé devant l’Audiencia Nacional. Il se réfère à la jurisprudence de la Cour à ce sujet, parmi laquelle les arrêts Igual Coll c. Espagne (no 37496/04, 10 mars 2009), et Lacadena Calero, précité.

2. Appréciation de la Cour

35. La Cour estime approprié d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention conformément à la jurisprudence bien établie à ce sujet (voir, entre autres, Lacadena Calero, précité, Valbuena Redondo c. Espagne (no 21460/08, 13 décembre 2011), Igual Coll, précité, et Bazo González, précité).

36. En ce qui concerne les principes généraux pertinents, la Cour renvoie aux paragraphes 36 à 38 de l’arrêt Lacadena Calero, précité.

37. S’agissant du cas d’espèce, la Cour constate que les aspects que le Tribunal suprême a dû analyser pour se prononcer sur la culpabilité du requérant avaient un caractère juridique prédominant. Ainsi, sur la base des mêmes éléments de fait déclarés prouvés par l’Audiencia Nacional, l’arrêt s’est limité à modifier la qualification juridique des faits en cause et, confirmant l’absence de participation active du requérant à l’enlèvement, a conclu à la qualification de ces faits comme un délit de détention illégale par omission et à la condamnation du requérant (voir a contrario, entre autres, Lacadena Calero, précité, §§ 46 et ss.), dans la mesure où la position du requérant dans l’organigramme hiérarchique du PCEr et du GRAPO lui attribuait la capacité de mettre fin à l’enlèvement. Ainsi, suivant l’exposé des faits établi dans le jugement de l’Audiencia Nacional, le Tribunal suprême ne fit que constater l’absence d’intervention de la part du requérant tendant à empêcher la poursuite de l’acte délictuel. À la différence d’autres affaires (voir Spînu c. Roumanie, no 2030/02, §§ 55, 29 avril 2008), la juridiction de recours n’a pas été amenée à connaître de l’affaire en fait et en droit. Bien au contraire, les aspects analysés par le Tribunal suprême possédaient un aspect purement juridique (voir, Bazo González, précité, § 36, et Naranjo Acevedo c. Espagne, no 35348/09, 22 octobre 2013, § 18).

38. La Cour relève en outre que le requérant a eu la possibilité de présenter les allégations qu’il a estimé nécessaires y compris, le cas échéant, sur la peine qu’il encourait concernant cette nouvelle qualification juridique (paragraphe 8 ci-dessus) et en particulier sur l’ensemble des aspects liés à l’éventuelle application à l’espèce de l’article 11 du nouveau code pénal. Au demeurant, la Cour note que le Tribunal suprême lui-même a refusé la demande de preuve de la partie accusatrice privée rappelant que sa compétence était limitée aux questions purement juridiques.

39. La Cour observe également que l’élément subjectif auquel fait référence le Tribunal suprême (paragraphe 12 ci-dessus) se limite à constater que, compte tenu de la position du requérant au sein de l’organisation, jamais niée par ce dernier, sa capacité de décision sur la poursuite de l’enlèvement était évidente. Il est donc clair que le Tribunal suprême ne s’est pas prononcé sur un élément subjectif propre au requérant tel que sa conscience de l’illégalité de son comportement, mais sur la définition juridique du délit examiné à caractère général (voir, a contrario, entre autres, Lacadena Calero, précité, §§ 46 et ss.).

40. L’étendue de l’examen effectué par le Tribunal suprême en l’espèce amène donc la Cour à considérer que la tenue d’une audience publique n’était pas indispensable. En effet, le représentant du requérant eut l’occasion de présenter par écrit les arguments qu’il estima nécessaires pour la défense de son client. Ce faisant, la Cour se doit de constater que le requérant a bénéficié d’une procédure contradictoire conformément à l’article 6 § 1.

41. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’eu égard à la nature des questions examinées par le Tribunal suprême et au fait que le requérant a pu présenter ses arguments par écrit par le biais d’un avocat, le fait qu’il n’ait pas été entendu par cette juridiction n’a pas porté atteinte à son droit à bénéficier d’un procès équitable. Par conséquent, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention concernant l’absence d’audience publique devant le Tribunal suprême.

III. SUR LE GRIEF TIRÉ DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION

42. Le requérant se plaint également d’une mauvaise application du type pénal. Il estime avoir fait l’objet d’une ampliation démesurée des notions d’auteur et de responsabilité pénale. Il invoque à cet égard l’article 7 de la Convention.

43. Cependant, compte tenu des arguments utilisés, la Cour estime que les prétentions du requérant doivent être analysées sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention (Lacadena Calero, précité, § 57).

Sur la recevabilité

44. La Cour constate qu’il ressort des allégations du requérant qu’il se plaint d’avoir été condamné à tort. La Cour rappelle à cet égard qu’aux termes de l’article 19 de la Convention, elle a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes (voir, mutatis mutandis, Alves Costa c. Portugal (déc.), no 65297/01, 25 mars 2004). Spécialement, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I).

45. Tel n’étant manifestement pas le cas en l’espèce, cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR LE GRIEF TIRÉ DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

46. Le requérant dénonce une violation de son droit à bénéficier d’un recours effectif pour contester sa condamnation par le Tribunal suprême. Il invoque l’article 13 de la Convention.

Sur la recevabilité

47. Bien que le requérant soulève son grief sous l’angle du droit à un recours effectif, la Cour rappelle que le principe du double degré de juridiction est garanti par le seul article 2 du Protocole no 7 à la Convention.

48. À cet égard, la Cour constate que ce Protocole est entré en vigueur vis-à-vis de l’Espagne le 1er décembre 2009, et qu’il n’était donc pas ratifié au moment des faits de l’espèce.

49. Cette partie de la requête est, dès lors, incompatible ratione temporis avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention (voir Valbuena Redondo c. Espagne, no 21460/08, §§ 42-44, 13 décembre 2011).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable pour ce qui est des griefs tirés de l’article 6 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention concernant le prétendu non‑respect du principe accusatoire ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention relatif à l’absence d’audience publique devant le Tribunal suprême.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 février 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsHelena Jäderblom
GreffierPrésidente


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