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11/02/2016 | CEDH | N°001-160426

CEDH | CEDH, AFFAIRE R.T. c. GRÈCE, 2016, 001-160426


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE R.T. c. GRÈCE

(Requête no 5124/11)

ARRÊT

STRASBOURG

11 février 2016

DÉFINITIF

11/05/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire R.T. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Ledi Bianku,
Guido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicili

anos,
Paul Mahoney,
Pauliine Koskelo, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 j...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE R.T. c. GRÈCE

(Requête no 5124/11)

ARRÊT

STRASBOURG

11 février 2016

DÉFINITIF

11/05/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire R.T. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Ledi Bianku,
Guido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Paul Mahoney,
Pauliine Koskelo, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 janvier 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5124/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant iranien, M. R.T. (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 janvier 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).

2. Le requérant a été représenté par Me I.-M. Tzeferakou, avocate au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. I. Bakopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’État.

3. Le requérant allègue en particulier une violation des articles 3, 13 et 5 de la Convention.

4. Le 10 juin 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1976.

A. La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant

6. Le requérant, d’origine kurde, quitta son pays lorsqu’il était mineur craignant pour sa sécurité en raison de l’activité politique de son père opposant au régime. À une date non précisée, il entra en Irak et fut placé dans un programme de protection par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Le requérant produit devant la Cour un document du HCR daté du 6 janvier 2011 qui atteste, entre autres, l’enregistrement de son père en Irak comme réfugié relevant de son mandat, ainsi que le regroupement du requérant avec son père en Irak « à cause du harcèlement continu de la part des services secrets iraniennes et de la saisie de leurs biens par le régime iranien ».

7. En octobre 2010, le requérant arriva en Grèce et le 29 octobre 2010, il fut arrêté par les autorités de police d’Alexandroupoli pour entrée illégale sur le territoire grec. Le même jour, le requérant fut transféré et mis en détention au poste frontière de Tychero.

8. Le 30 octobre 2010, le directeur adjoint de la police des frontières de Tychero ordonna le renvoi du requérant vers la Turquie. Ce renvoi fut reporté en raison du refus d’admission des autorités turques. Le même jour, le procureur près le tribunal correctionnel d’Alexandroupoli s’abstint de poursuivre le requérant afin que celui-ci soit renvoyé dans son pays d’origine.

9. Le 31 octobre 2010, le directeur de la Direction de police d’Alexandroupoli décida de placer le requérant en détention provisoire jusqu’à ce qu’une décision concernant son expulsion soit prise dans un délai de trois jours (décision no 9760/20-3487/31-α’).

10. Le 3 novembre 2010, le directeur de la Direction de police d’Alexandroupoli ordonna l’expulsion du requérant et son maintien en détention pour une période ne pouvant pas dépasser six mois au motif qu’il risquait de fuir (décision 9760/20-3487/31-β’). La décision relevait que le requérant n’avait pas déposé d’objections contre la décision d’expulsion dans un délai de quarante-huit heures et prévoyait que l’expulsion pouvait être suspendue au cas où le requérant introduirait un recours. Le requérant affirme qu’il ne reçut aucune brochure informative sur ses droits et les recours possibles ni d’information y relative dans une langue qu’il comprenait.

11. Le requérant allègue que dès son arrestation, il formula une demande d’asile mais que celle-ci ne fut pas enregistrée.

12. Le 6 novembre 2011, la Direction de police d’Alexandroupoli introduisit une demande auprès la Direction générale de la police afin que le requérant soit renvoyé vers la Turquie en vertu du Protocole de réadmission des ressortissants étrangers signé entre la Grèce et la Turquie.

13. Le 19 novembre 2010, le Conseil grec pour les réfugiés, avec lequel le requérant avait entretemps pris contact, informa par fax les autorités de police d’Alexandroupoli que le requérant souhaitait déposer une demande d’asile et sollicita son enregistrement. Le fax précisa que le requérant était réfugié relevant du mandat du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Le même jour, le directeur du poste frontière de Tychero informa la sous-direction de sécurité d’Alexandroupoli de la volonté du requérant d’introduire une demande d’asile.

14. Le 25 novembre 2010, les autorités enregistrèrent la demande d’asile du requérant. Les autorités de police d’Alexandroupoli informèrent le Conseil grec pour les réfugiés et le requérant que sa demande d’asile avait été enregistrée.

15. Le 21 décembre 2010, le requérant, par l’intermédiaire des avocats du Conseil grec pour les réfugiés, demanda au ministère de la Solidarité sociale de lui trouver une structure d’accueil conformément au décret présidentiel no 220/2007.

16. Le 5 janvier 2011, le requérant formula des objections contre sa détention devant le tribunal administratif d’Alexandroupoli. En premier lieu, il se plaignit de ses conditions de détention au poste frontière de Tychero. En particulier, il soutint que ces conditions étaient inappropriées pour des êtres humains et contraires à l’article 3 de la Convention, et ce en raison du surpeuplement, du manque de produits d’hygiène et de vêtements, de l’absence de chauffage, de la saleté, du manque d’espace pour dormir, marcher ou faire de l’exercice, ainsi que de la communication limitée avec le monde extérieur et de l’impossibilité d’avoir accès à un médecin ou à un soutien psychologique. Il affirma avoir soumis une demande des conditions d’accueil et que jusqu’à son installation dans un centre d’accueil il pouvait être hébergé par une organisation non-gouvernementale dans un hôtel à Athènes. Il dénonça en outre l’illégalité de sa détention, en raison notamment de l’impossibilité de faire examiner sa demande d’asile dans le délai légal de trois mois à compter de sa mise en détention et allégua une violation de l’article 5 de la Convention et de l’article 13 du décret présidentiel no 114/2010.

17. Le 7 janvier 2011, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli rejeta les objections. Il nota l’illégalité de l’entrée du requérant sur le territoire et sa mise en détention en raison d’un risque de fuite. Il ajouta que l’avocate qui avait signé les objections, ou un autre représentant, n’était pas présente lors de l’examen des objections et qu’aucun élément attestant les allégations du requérant n’avait été présenté devant lui. En particulier, il considéra que les éléments suivants n’avaient pas été établis : a) l’établissement des « relations de vie stables » (σταθερές βιοτικές σχέσεις) dans le pays, grâce auxquelles il pouvait être localisé par les autorités et ne pas être considéré comme présentant un risque de fuite b) la possibilité de mener une « vie légale » en évitant le recours aux « moyens illicites de subsistance » (πορισμός μέσων βιοπορισμού με παράνομο τρόπο) et sa caractérisation comme dangereux pour l’ordre publique c) la possibilité d’imposer des mesures moins restrictives que la détention d) le retard dans le déroulement de la procédure d’expulsion et e) la reconnaissance du statut de réfugié. Il ajouta qu’il ne ressortait pas du dossier que le requérant avait déposé une demande d’asile et que l’article 5 de la Convention permet la détention au cours de la procédure d’expulsion. Quant aux allégations du requérant relatives aux conditions de détention, le président du tribunal administratif releva notamment que la violation de l’article 3 de la Convention n’est pas établi seulement sur la base des effets négatifs sur l’état psychologique, inhérents aux mesures privatives de liberté. Il considéra que le caractère légal de la détention pouvait faire défaut si les autorités refusaient d’assurer un lieu de détention aéré, éclairé, chauffé, disposant de l’eau courante et lui offrant la possibilité de communiquer avec le monde extérieur et de pratiquer de l’exercice physique. Il estima que tel n’était pas le cas en l’espèce car le requérant aurait pu demander son transfert au centre de rétention de Fylakio, où les conditions auraient été meilleures. Il affirma enfin que l’administration ne s’était d’ailleurs pas opposée à un tel transfert (décision no P20/2011).

18. Le 10 janvier 2011, le requérant fut expulsé vers la Turquie et mis en détention à Edirne. Les autorités turques admirent le requérant, à condition qu’il soit identifié par les autorités de son pays d’origine. Le Gouvernement affirme que cette expulsion fut effectuée « par inadvertance, à cause d’une erreur de classement de la correspondance y relative par les autorités de police compétentes» (εκ παραδρομής λόγω μη συσχέτισης της σχετικής αλληλογραφίας από τις αρμόδιες αστυνομικές αρχές). Il ajoute que quand les autorités grecques se rendirent compte de cette erreur, elles demandèrent aux autorités turques de renvoyer le requérant vers la Grèce.

19. Le 20 janvier 2011, les autorités turques informèrent les autorités grecques que le requérant n’avait pas été identifié par les autorités de son pays d’origine. Le même jour, le requérant fut renvoyé vers la Grèce.

20. Le 21 janvier 2011, le Conseil grec pour les réfugiés publia un communiqué de presse pour dénoncer le renvoi du requérant vers la Turquie. Le requérant affirme que le Haut-Commissariat des Nations Unis pour les réfugiés et des organisations non gouvernementales intervinrent pour empêcher son renvoi vers l’Iran.

21. Le 24 janvier 2011, le requérant fut renvoyé de la Turquie vers la Grèce et mis en détention au poste frontière de Tychero. Il affirme que le même jour, il fut informé du décès de son fils unique, âgé de cinq ans, qui résidait en Irak.

22. Le 26 janvier 2011, un rapport établi par une psychologue suite à une visite de l’organisation Médecins sans Frontières constata que le requérant souffrait de symptômes dépressifs avec des épisodes d’auto-agression.

23. Le 27 janvier 2011, le requérant signa une attestation sur l’honneur en grec où il exprima son souhait de retirer sa demande d’asile, afin de rentrer « dans son pays ».

24. Le 1er février 2011, le requérant soumit, par l’intermédiaire de son avocate, une demande de révocation de la décision ordonnant son expulsion et sa détention devant le Ministre de la Protection du Citoyen par l’intermédiaire du directeur de police de Macédoine de l’Est et de Thrace. Il affirma qu’en cas d’expulsion vers l’Iran il pouvait faire l’objet de persécution pour des raisons politiques et subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il précisa que, suite au décès de son fils, il avait demandé aux autorités grecques de faciliter son retour en Irak afin d’assister à son enterrement. Les autorités lui auraient conseillé de retirer sa demande d’asile. Le requérant demanda enfin à être libéré afin de pouvoir rentrer en Irak.

25. Le même jour, le requérant sollicita la révocation de la décision no P20/2011. Il releva notamment qu’il avait quitté l’Iran pour des raisons politiques et soumit au tribunal à cet égard le document du HCR du 6 janvier 2011 (voir paragraphe 6 ci-dessus). Il ajouta que, suite au décès de son fils, il souhaitait rentrer en Irak et non pas en Iran, où il encourait le risque de subir des mauvais traitements, et demanda la levée de sa détention afin que son retour soit matérialisé.

26. Le 4 février 2011, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli fit droit à sa demande au motif qu’il ressortait des éléments du dossier que le requérant avait la volonté de quitter immédiatement le pays et ordonna la levée de sa détention (décision no P82/2011). Selon la même décision, le requérant devait quitter le territoire grec au bout d’une période de trente jours. Le même jour, le requérant fut remis en liberté.

27. Le 8 février 2011, le Directeur de la Direction de police d’Orestiada rejeta la demande d’asile du requérant, au motif que l’intéressé avait exprimé le souhait de la retirer.

B. Les conditions de détention du requérant

1. La version du requérant

28. Le requérant fut détenu au poste frontière de Tychero. Il souligne que les conditions de détention dans cet endroit rendent impossible même une détention de courte durée. Il prétend que pendant sa détention, il ne sortit jamais des bâtiments, ce qui eut une influence néfaste sur sa santé physique et psychologique.

29. La plupart du temps, le poste frontière de Tychero accueillait entre 100-180 hommes, femmes et enfants dans un espace d’une capacité de 49 personnes. En raison du surpeuplement, certains détenus, dont lui-même, étaient obligés de dormir assis. L’accès au téléphone était très limité et il fallait se procurer une télécarte, ce qui dépendait de la volonté des gardiens. Dans les espaces de détention, il n’y avait ni chaises, ni tables, ni endroit pour ranger. Le requérant ne reçut aucun produit de toilette ou d’hygiène. Les quelques couvertures étaient sales, l’eau n’était pas potable et la nourriture était de très mauvaise qualité.

30. Enfin, aucun interprète n’était présent et les détenus, comme le requérant, n’étaient pas informés des raisons et de la durée de leur détention. Aucune information n’était donnée concernant les droits des détenus et la procédure d’asile.

2. La version du Gouvernement

31. Le Gouvernement décrit le poste frontière de Tychero dans lequel le requérant a séjourné du 29 octobre 2010 au 10 janvier 2011 et du 24 janvier au 4 février 2011 comme suit.

32. La capacité du poste frontière de Tychero s’élevait, à l’époque des faits, à 46 personnes. L’alimentation des détenus était assurée trois fois par jour par les soins de la préfecture de l’Évros, qui avait conclu un contrat avec une société de restauration. Cette société prenait soin d’éviter d’y intégrer des aliments dont la consommation était contraire aux convictions religieuses de certains détenus.

33. Le nettoyage était assuré quotidiennement par une société privée. Les besoins des détenus, tels que les soins médicaux et pharmaceutiques, faisaient l’objet de programmes approuvés notamment par la Commission européenne. Deux équipes médicales mobiles étaient actives dans la région. Les cinq centres de rétention de la région disposaient en permanence d’un personnel médical. Les détenus qui ne pouvaient être traités sur place étaient transférés dans les centres de santé régionaux ou à l’hôpital universitaire d’Alexandroupoli. L’association « Médecins sans frontières » fournissait également des services médicaux aux détenus.

34. Des téléphones publics à cartes fonctionnaient au sein du poste frontière de Tychero et la communication des détenus avec leurs avocats et leurs proches s’effectuait sans entraves. Le chauffage était assuré par un système central qui était toujours en fonction. La préfecture, ainsi que l’association « Médecins sans frontières » fournissaient des produits d’hygiène aux détenus.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES

35. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013) et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013).

III. LES RAPPORTS DES INSTANCES NATIONALES ET INTERNATIONALES

A. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT), dans le rapport du 10 janvier 2012, établi suite à la visite du 19 au 27 janvier 2011

36. Le CPT relevait que les conditions de détention au poste frontière de Tychero étaient mauvaises. Au temps de la visite, il y avait 139 personnes détenues et cent environ étaient « entassées » dans une chambre de 35 m2. L’annexe avec trois toilettes et une douche n’avait pas de lumière et était sale. Depuis décembre 2010, l’association « Médecins sans frontières » fournissait des services médicaux aux détenus.

B. Les constats de la Commission nationale pour les droits de l’homme et du Médiateur de la République

37. Du 18 au 20 mars 2011, la Commission nationale pour les droits de l’homme et le Médiateur de la République ont visité les centres de rétention des départements d’Evros et de Rodopi afin d’examiner les conditions de détention des étrangers et l’application de la législation relative à l’asile.

38. En ce qui concerne le poste frontière de Tychero, le médiateur indiquait que la capacité maximale du centre était de 80 personnes. À la date de la visite de la Commission, le centre en accueillait 122, dans trois lieux séparés. Le premier espace, destiné aux détenus qui allaient être interviewés par FRONTEX (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures), accueillait des femmes et des hommes qui étaient assis ou allongés au sol. Les locaux n’étaient pas suffisamment éclairés, ventilés et chauffés, et l’atmosphère était étouffante. Un téléphone public à cartes fonctionnait dans cet espace. En raison de l’accès limité aux toilettes, les détenus sortaient dans la cour intérieure ou dans un couloir devant les cellules afin de faire leurs besoins. Les deux autres espaces, destinés aux demandeurs d’asile ou des personnes détenus en vue de leur expulsion, ne répondaient pas aux exigences des conditions de détention « même pas pour un jour », étant donné le manque d’éclairage et d’aération et des mauvaises conditions d’hygiène.

39. Les autorités auraient affirmé à la Commission que les détenus ne restaient dans les lieux que de trois à quinze jours, à cause des mauvaises conditions de détention. Cependant, la Commission a constaté que plusieurs détenus y séjournaient depuis deux, trois et cinq mois. À cause du nombre insuffisant de policiers, il n’y avait aucune possibilité de se promener. Enfin, selon les autorités, un médecin et une infirmière fournissaient des soins médicaux et un assistant social et un psychologue visitaient le centre.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION EN RAISON DES CONDITIONS DE DÉTENTION DU REQUÉRANT

40. Le requérant se plaint des conditions de détention dans les locaux du poste frontière de Tychero. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

41. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes. En premier lieu, il soutient que le requérant n’a pas introduit des objections contre la décision du 31 octobre 2010, ordonnant sa détention provisoire, ou une demande de sursis à exécution de la mesure d’expulsion. Il ajoute que le requérant, en formulant ses objections contre sa détention devant le tribunal administratif d’Alexandroupoli, le 5 janvier 2011, n’a pas soumis de preuves concernant ses allégations. Qui plus est, son avocate n’était pas présente lors de leur examen et n’a pas demandé son transfert au centre de rétention de Fylakio, où les conditions de détention étaient meilleures. Dès lors, par sa décision no P20/2011, ledit tribunal a rejeté ses objections. Le Gouvernement souligne que le requérant aurait dû présenter plus rapidement ses objections devant le tribunal administratif, ainsi que sa demande d’asile. Il soutient que le requérant avait été informé sur ses droits dans une langue qu’il comprenait et que des contrats conclus entre l’État et le Conseil grec pour les réfugiés prévoyaient l’obligation de ce dernier d’introduire tous les recours prévus par le droit interne.

42. En second lieu, le Gouvernement soutient que le requérant a omis d’introduire une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil. Il ajoute que, dans ses objections devant le tribunal administratif le 5 janvier 2011, le requérant n’a pas soulevé les griefs concernant ses conditions de détention avec les détails évoqués devant la Cour, mais il s’est plutôt contenté de soulever des arguments concernant la procédure d’asile.

43. Le requérant rétorque qu’il a fait tout ce qui pouvait être raisonnablement exigé de lui pour satisfaire à la condition de l’épuisement des voies de recours internes. Il ajoute qu’il a présenté devant le tribunal administratif toutes les preuves nécessaires concernant ses conditions de détention. Quant à la présence de son avocate lors de l’examen des objections, il souligne que celle-ci n’était pas nécessaire en l’espèce.

44. En ce qui concerne les principes généraux régnant l’application de la règle de l’épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-69, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, et Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, §§ 69-77, 25 mars 2014).

45. En premier lieu, la Cour rappelle que les recours mentionnés par le Gouvernement, à savoir les objections contre la décision ordonnant la détention provisoire devant les autorités de la police et la demande de sursis à exécution de la mesure d’expulsion, ont été considérés par elle comme non accessibles et ineffectifs en matière de rétention (R.U. c. Grèce, no 2237/08, 7 juin 2011 ; A.A. c. Grèce, no 12186/08, 22 juillet 2010 ; Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009). En second lieu, elle note que le requérant a présenté des objections devant le président du tribunal administratif pour dénoncer ses conditions de détention et se plaindre de leur illégalité. Elle observe que ce recours permettait au président du tribunal administratif de le mettre en liberté seulement s’il estimait qu’il n’était pas dangereux pour l’ordre public ou n’était pas susceptible de fuir et, depuis le 1er janvier 2011, pour tout autre motif ayant trait à la légalité admis par les tribunaux administratifs dans leur jurisprudence relative à la mise en œuvre de l’article 76 de la loi no 3386/2005. On ne saurait donc reprocher au requérant de ne pas avoir exercé le premier recours ou étayé les affirmations relatives aux conditions de détention dans le cadre du second, manquant de la sorte à l’obligation d’épuisement des voies de recours internes.

46. Quant à l’introduction d’une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle elle n’est pas convaincue que ce recours indemnitaire pour cause de conditions de détention inhumaines et dégradantes dans les centres de rétention pour étrangers aurait une chance raisonnable de succès et offrirait au moment des faits un redressement approprié (A.F. c. Grèce, no 53709/11, §§ 59-62, 13 juin 2013). Elle rappelle aussi avoir déjà conclu que, nonobstant le fait qu’un requérant n’a pas fait usage de la voie suggérée par le Gouvernement, en l’état actuel de la jurisprudence nationale, le grief de l’intéressé ne saurait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes (De los Santos et de la Cruz c. Grèce, nos 2134/12 et 2161/12, § 37, 26 juin 2014). Elle rejette donc l’exception du Gouvernement sur ce point.

47. La Cour constate en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

48. Le Gouvernement renvoie à sa version concernant les conditions de détention dans le centre en cause (voir paragraphes 31-34 ci-dessus). Il affirme que les conditions de détention au poste frontière de Tychero n’étaient ni inhumaines ni dégradantes.

49. Le requérant se réfère à sa version concernant les conditions de détention (voir paragraphes 28-30 ci-dessus).

2. Appréciation de la Cour

50. En ce qui concerne les principes généraux concernant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 90-94, CEDH 2000-XI ; Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 67-68, CEDH 2001‑III ; Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002‑VI ; Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 97, 24 janvier 2008 ; Tabesh, précité, §§ 34-37 ; Rahimi c. Grèce, no 8687/08, §§ 59-62, 5 avril 2011 ; R.U. c. Grèce, précité, §§ 54-56 ; A.F. c. Grèce, précité, §§ 68-70 ; de los Santos et de la Cruz, précité, § 43).

51. En l’espèce, la Cour constate que les versions des parties divergent sur la plupart des points relatifs aux conditions de détention du requérant. Elle rappelle cependant que, lorsqu’il y a contestation sur les conditions de détention, point n’est besoin pour elle d’établir la véracité de chaque élément litigieux : elle peut conclure à la violation de l’article 3 de la Convention sur la base de toute allégation grave non réfutée par le Gouvernement (voir, mutatis mutandis, Grigorievskikh c. Russie, no 22/03, § 55, 9 avril 2009). À cet égard, le fait que, sans donner de justification satisfaisante, un gouvernement s’abstienne de fournir les informations dont il dispose peut permettre de tirer des conclusions quant au bien-fondé des allégations en question (Ahmet Özkan et autres c. Turquie, no 21689/93, § 426, 6 avril 2004).

52. À cet égard, la Cour note que les conditions de détention prévalant dans les locaux du poste frontière de Tychero où le requérant fut placé du 29 octobre 2010 au 10 janvier 2011 et du 24 janvier 2011 au 4 février 2011 sont révélées par plusieurs rapports d’organisations grecques et internationales qui les ont visités pendant la détention du requérant ou peu après sa libération, notamment le CPT et la Commission nationale des droits de l’homme et le Médiateur de la République. Ces organisations mettent en avant le manque sévère d’espace dont les détenus souffraient : selon le CPT, à la date de sa visite en janvier 2011, il y avait 139 détenus et cent environ étaient « entassés » dans un espace de 35 m2 ; selon la Commission nationale des droits de l’homme et le Médiateur de la République, en mars 2011 il y avait 122 détenus dans trois dortoirs, d’une capacité de 80 personnes.

53. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le requérant n’a pas bénéficié d’un espace de vie conforme aux critères fixés par sa jurisprudence.

54. Ce constat quant à l’espace attribué au requérant, qui permet à lui seul de conclure à la violation de l’article 3 de la Convention, dispense la Cour d’examiner les autres allégations du requérant, relatives à ses conditions de détention.

55. La Cour estime que les conditions de détention en cause, compte tenu également de la durée de la détention du requérant, atteignant au total près de trois mois, ont soumis l’intéressé à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

56. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION DU FAIT DES DÉFAILLANCES DE LA PROCÉDURE D’ASILE

57. Invoquant les articles 3 et 13 de la Convention, le requérant se plaint des défaillances du système d’examen par les autorités de sa demande d’asile et du fait que, malgré l’introduction d’une telle demande, il a été expulsé vers la Turquie. Il se plaint aussi qu’en raison de cette situation, il encourait le risque d’être expulsé vers l’Iran où il pouvait faire l’objet de tortures et/ou traitements inhumains.

A. Sur la recevabilité

1. Sur la qualité de victime du requérant

58. En premier lieu, le Gouvernement invite la Cour à déclarer ce grief irrecevable pour perte de la qualité de « victime » du requérant au sens de l’article 34 de la Convention. Il souligne que le requérant se plaint qu’à cause de son renvoi vers la Turquie, il encourait le risque d’être expulsé vers l’Iran, où il subirait des tortures et/ou un traitement dégradant. Cependant, les autorités grecques ont agi avec diligence et, une fois qu’elles ont constaté que le requérant avait été envoyé vers la Turquie par inadvertance, elles ont demandé aux autorités turques de le renvoyer vers la Grèce. Toutefois, deux jours après l’introduction de sa requête, et lorsqu’il se trouvait de nouveau en Grèce, le requérant a retiré sa demande d’asile et a par la suite été libéré par le tribunal administratif, afin de quitter le pays.

59. Le requérant rétorque qu’il n’a pas perdu sa qualité de victime. Il souligne que la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés interdit explicitement l’expulsion des demandeurs d’asile. Sa réadmission seule de la Turquie vers la Grèce ne constitue pas un redressement approprié, d’autant plus que son renvoi a eu lieu sans qu’il soit informé, et sans qu’il ait eu l’opportunité de le contester. Qui plus est, il a été détenu pendant quatorze jours en Turquie dans des conditions dégradantes. Le fait qu’il n’a pas été renvoyé vers l’Iran n’est pas le fruit d’une volonté des autorités grecques de le protéger, mais des retards attribués aux autorités turques. Le requérant ajoute qu’après sa réadmission en Grèce, les autorités n’ont pas reconnu ni redressé les violations résultant de son renvoi vers la Turquie.

60. La Cour rappelle que, pour qu’une décision ou une mesure favorable au requérant suffisse à lui retirer la qualité de victime, il faut en principe que les autorités nationales aient reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation alléguée de la Convention (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 56, CEDH 2007‑II). Or, cela ne fut pas le cas en l’espèce. La Cour considère à cet égard que la réadmission du requérant en Grèce après son renvoi par inadvertance en Turquie ne saurait constituer une réparation suffisante. Admettre l’inverse serait reconnaitre la possibilité à l’État d’éloigner du territoire un demandeur d’asile, dans l’espoir que celui-ci puisse retourner dans l’avenir. La Cour rejette donc l’exception du Gouvernement sur ce point.

2. Sur l’épuisement des voies des recours internes

61. En second lieu, le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes car il a retiré sa demande d’asile et demandé aux autorités de faciliter son retour en Irak pour des raisons humanitaires. Or, la règle de l’épuisement des voies des recours internes exige l’existence d’une demande d’asile. Il ajoute enfin que le Conseil grec pour les réfugiés avait la possibilité d’assister le requérant pendant la procédure d’asile.

62. Le requérant ne présente pas d’observations sur ce point qui était invoqué pour la première fois dans les observations du Gouvernement sur les demandes de satisfaction équitable.

63. La Cour observe que lorsque le requérant a été renvoyé de la Grèce vers la Turquie, sa demande d’asile était pendante. Elle note que le fait qu’après avoir été renvoyé vers la Grèce, le requérant a retiré cette demande afin de quitter la Grèce pour l’Irak n’a aucune incidence sur les conséquences de son renvoi antérieur. La Cour rejette donc l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.

64. La Cour constate en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

65. Le Gouvernement soutient que l’examen de la demande d’asile du requérant a eu lieu conformément aux articles 3 et 13 de la Convention. Il soutient que le 25 novembre 2010, le requérant a reçu une brochure informative sur la procédure d’asile en farsi. Il conteste les allégations du requérant selon lesquelles il aurait formulé une demande d’asile dès son arrestation et que celle-ci n’aurait pas été enregistrée. Selon le Gouvernement, la demande a été enregistrée lorsqu’elle a été déposée, le 25 novembre 2010, suite à la visite des avocats du Conseil grec pour les réfugiés. Il ajoute qu’après cet enregistrement les autorités ont légalement continué la détention du requérant, comme d’ailleurs l’a constaté la décision no P20/2011 du tribunal administratif. Il conclut que le renvoi du requérant vers la Turquie a eu lieu « par inadvertance », à cause de l’augmentation des flux migratoires et que les autorités ont entrepris des démarches afin qu’il soit réadmis en Grèce. Il note enfin que le requérant a retiré sa demande d’asile.

66. Le requérant rétorque qu’en cas de renvoi en Iran, il encourt un risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il dénonce le refus initial des autorités d’enregistrer sa demande d’asile, le manque d’information sur ses droits et l’absence d’interprétation. Il soutient, en particulier, que peu après son arrestation, les autorités ont ordonné de manière automatique son expulsion et qu’elles ont demandé aux autorités turques de l’appréhender et de le renvoyer en Iran. Le requérant ajoute qu’il ne disposait pas d’un recours effectif contre la décision d’expulsion et que sa demande d’asile n’a été enregistré que le 25 novembre 2010. Il souligne que même après l’enregistrement de sa demande, la procédure de réadmission vers la Turquie n’a pas été suspendue et il y a été renvoyé. Ce n’était que par chance qu’il n’a pas été refoulé de la Turquie vers l’Iran, de surcroit, son renvoi de la Turquie vers la Grèce n’a été effectué que grâce aux interventions du Haut-Commissariat des Nations Unis pour les réfugiés et des organisations non gouvernementales.

2. Appréciation de la Cour

67. Dans les affaires mettant en cause l’expulsion d’un demandeur d’asile, la Cour a précisé qu’elle se gardait d’examiner elle-même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les États remplissent leurs obligations découlant de la Convention de Genève. Sa préoccupation essentielle est de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers le pays qu’il a fui, où il encourt le risque de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention (voir, parmi d’autres, M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 286, CEDH 2011, T.I. c. Royaume-Uni (déc.), no 43844/98, CEDH 2000-III, Müslim c. Turquie, no 53566/99, §§ 72-76, 26 avril 2005).

68. Toutefois, compte tenu de l’importance que la Cour attache à l’article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale (Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 448, CEDH 2005‑III), un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 (Jabari c. Turquie, no 40035/98, § 50, CEDH 2000‑VIII) ainsi qu’une célérité particulière (Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 136, CEDH 2004‑IV) ; il requiert également que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif (Čonka c. Belgique, no 51564/99, §§ 81-83, CEDH 2002‑I, Gebremedhin [Gaberamadhien], précité, § 66).

69. Pour déterminer si l’article 13 s’applique en l’espèce, la Cour doit donc rechercher si le requérant peut, de manière défendable, faire valoir que son éloignement vers l’Iran porterait atteinte à l’article 3 de la Convention.

70. La Cour note que, lors de l’introduction de la requête, le requérant a exposé les raisons pour lesquelles il a été obligé de quitter l’Iran (voir paragraphe 6 ci-dessus). Il a produit, à l’appui de ses allégations, la copie d’une lettre du Haut-Commissariat des Nations Unis pour les réfugiés qui atteste, entre autres, l’enregistrement de son père en Irak comme réfugié relevant de son mandat, ainsi que le regroupement du requérant avec son père en Irak « à cause du harcèlement continu de la part des services secrets iraniennes et la saisie de leurs biens par le régime iranien » (voir paragraphe 6 ci-dessus). La Cour observe à cet égard que le Haut-Commissariat des Nations Unis pour les réfugiés a déjà reconnu le risque qu’il encourait et encourt toujours dans son pays d’origine.

71. Pour la Cour, ces éléments montrent qu’il existait prima facie des risques sérieux et avérés que le requérant pourrait subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi en Iran. Elle estime dès lors que le requérant a un grief défendable sous l’angle de l’article 3 de la Convention.

72. La Cour rappelle qu’elle n’a pas à se substituer aux autorités nationales et apprécier la valeur des documents présentés par le requérant devant elle, ou évaluer les risques qu’il encourrait s’il était renvoyé en Iran. Il lui importe seulement de savoir s’il existait en l’espèce des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers son pays d’origine. Dans son arrêt M.S.S. précité, elle a relevé les carences du système grec d’asile, tel qu’il était en place à l’époque d’application du décret présidentiel no 81/2009 et notamment celles liées à l’accès à la procédure d’examen des demandes d’asile (paragraphes 300-302, 315, 318 et 320 de l’arrêt). Le Cour note que rien ne permet de réfuter ce constat en l’espèce. Au contraire, le Gouvernement admet que le requérant a été refoulé « par inadvertance ». Il lui appartient donc de vérifier également l’incidence de ce fait particulier.

73. La Cour relève que le Gouvernement et le requérant consacrent de longs développements dans leurs observations respectives sur le point de savoir s’il fut renvoyé de la Turquie vers la Grèce grâce aux démarches des autorités grecques ou en raison de l’intervention du Haut-Commissariat des Nations-Unis pour les réfugiés et des organisations non gouvernementales. La Cour estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur les raisons exactes du renvoi du requérant de la Turquie vers la Grèce pour se prononcer sur la présente espèce. En effet, à supposer même que le requérant ait été renvoyé suite aux démarches des autorités grecques, la Cour juge approprié de fonder son appréciation sur l’allégation du requérant selon laquelle il a été éloigné du territoire grec en dépit du fait que sa demande d’asile était pendante.

74. À cet égard, elle observe notamment que le Gouvernement ne conteste pas que cette expulsion a été effectuée, mais soutient qu’elle a eu lieu « par inadvertance ». La Cour note en outre que l’article 5 § 1 du décret présidentiel no 114/2010, (statut de réfugié : procédure unique applicable aux étrangers et apatrides), qui incorpore dans l’ordre juridique grec la directive du Conseil 2005/85/CE du 1er décembre 2005 (relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres) et qui était en vigueur à l’époque des faits, disposait que les demandeurs d’asile sont permis de rester dans le pays et « ne sont en aucune manière éloignés » (voir paragraphe 35 ci-dessus).

75. La Cour observe que malgré cette obligation explicite, découlant du droit interne et international, le requérant a été renvoyé vers la Turquie. En effet, il ressort du dossier qu’avant ce renvoi, les autorités n’ont jamais vérifié si sa demande d’asile était pendante. Force est de constater que cette omission a eu lieu à cause du manque d’organisation des autorités grecques et l’absence de coordination entre les différents services. La Cour considère que cette attitude des autorités grecques ne saurait se concilier avec une procédure d’asile fiable, qui aurait permis au requérant de voir sa demande de protection internationale examinée et confirme le constat de carence du système d’asile grec, à l’époque des faits. En effet, la demande d’asile du requérant a été dépourvue de tout sens, lorsqu’il a été éloigné du territoire grec. Elle note en outre que le fait que le requérant a retiré sa demande d’asile pour voyager en Iraq en vue d’assister à l’enterrement de son fils de cinq ans ne saurait influer sur la situation.

76. Dès lors, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 en raison des défaillances du système grec d’asile, à l’époque des faits.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

77. Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, le requérant se plaint que sa détention depuis son arrestation était arbitraire, car elle était le résultat du refus initial d’enregistrement par les autorités de sa demande d’asile et elle s’est poursuivie après cet enregistrement alors que l’expulsion n’était plus possible. Il ajoute que sa détention n’était pas légale en raison des conditions inacceptables de sa détention.

A. Sur la recevabilité

78. Le Gouvernement allègue que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, en réitérant ses arguments concernant la recevabilité des griefs tirés de l’article 3 de la Convention.

79. La Cour renvoie à ses considérations concernant l’article 3 de la Convention (voir paragraphes 45-46), également applicables s’agissant de l’article 5, et rejette l’exception du Gouvernement.

80. Elle constate en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

81. Le Gouvernement soutient que la détention du requérant était prévue par la loi, à savoir l’article 76 de la loi no 3386/2005 et que sa légalité a été examinée par un tribunal. Il affirme que lorsque le requérant a déposé sa demande d’asile, il était déjà détenu en vue de son expulsion. L’article 13 du décret no 90/2008 ainsi que l’article 13 du décret présidentiel no 114/2010 prévoyaient la continuation de la détention d’un étranger si les conditions mentionnées dans ces articles étaient remplies. Selon le Gouvernement, la détention du requérant après l’introduction de sa demande d’asile était imposée pour des raisons d’ordre public et parce qu’il présentait un risque de fuite.

82. Le requérant rétorque que sa détention était arbitraire. Il affirme que sa situation et son statut en tant que demandeur d’asile n’ont pas été pris en considération et que la décision de lui imposer la mesure de détention avait été prise automatiquement. La loi no 3386/2005 n’étant pas applicable aux demandeurs d’asile, sa détention n’était pas justifiée. En outre, après l’enregistrement de sa demande d’asile, la décision de son expulsion avait été suspendue. Toutefois, les autorités n’ont pas délivré une nouvelle décision de détention, cette dernière continuant à avoir comme seul but d’assurer son expulsion. Le requérant soutient enfin que sa détention était arbitraire en raison de sa durée, combinée avec les conditions de celle-ci.

2. Appréciation de la Cour

83. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 1 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 64 et 74, CEDH 2008, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, §§ 72-81, CEDH 2009, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil 1996‑V, Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III, Barjamaj, précité, et Khuroshvili, précité).

84. En l’occurrence la Cour note, en premier lieu, que la privation de liberté du requérant était fondée sur l’article 76 de la loi no 3386/2005. Partant, la Cour estime que la situation litigieuse tombe sous le coup de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 de la Convention et trouve un fondement en droit interne. La Cour rappelle sur ce point que l’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal, précité, § 112). Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant servait à l’empêcher de rester irrégulièrement sur le territoire grec et à garantir son éventuelle expulsion. Par conséquent, elle estime que la bonne foi des autorités compétentes ne peut pas être mise en question en l’espèce.

85. En deuxième lieu, ayant conclu à une violation de l’article 3 en raison des conditions de détention dans le poste frontière de Tychero, la Cour n’estime pas nécessaire de se placer séparément une fois de plus sur ce terrain sous l’angle de l’article 5 § 1 f) (voir Horshill, précité).

86. En troisième lieu, s’agissant de la durée de la détention, la Cour rappelle que, dans le contexte de l’article 5 § 1 f), seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition et que, si la procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée (Chahal, précité, § 113 ; Gebremedhin [Gaberamadhien], précité, § 74).

87. Or, la Cour relève tout d’abord que le requérant a été détenu pour une période de trois mois environ, à savoir du 29 octobre 2010 au 10 janvier 2011 et du 24 janvier 2011 au 4 février 2011, date à laquelle il a été remis en liberté suite à la décision du tribunal administratif. La Cour estime qu’un tel délai ne doit pas être considéré en principe comme excessif pour l’accomplissement des formalités administratives en vue de la matérialisation de son expulsion.

88. Quant à la demande d’asile, la Cour relève qu’il ressort du droit interne que si une demande suspend l’exécution de la mesure d’expulsion, elle ne suspend pas celle de la détention ; le droit interne impose seulement que la demande d’asile soit examinée « en priorité absolue » (voir paragraphe 35 ci-dessus). Or, en l’espèce, le requérant a été libéré un mois et dix jours après l’enregistrement de sa demande d’asile, le 25 novembre 2010.

89. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant n’était pas arbitraire et que l’on ne saurait considérer qu’elle n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 5 § 4 ET 13 DE LA CONVENTION EN RAISON DE L’INEFFECTIVITÉ DU CONTRÔLE JURIDICTIONNEL DE LA DÉTENTION

90. Invoquant l’article 5 § 4, ainsi que les articles 3 et 13 combinés, le requérant se plaint de l’inefficacité du contrôle juridictionnel de la détention, et notamment du fait que le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli n’a pas suffisamment pris en compte ses doléances à l’égard de ses conditions de détention et le fait qu’il avait déjà formulé une demande d’asile.

A. Sur la recevabilité

91. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

92. Le Gouvernement allègue que le moyen de droit prévu par l’article 76 de la loi no 3386/2005 est effectif au sens des articles 5 § 4 et 13 de la Convention et que des griefs tirés des conditions de détention pouvaient être soulevés au travers de ce recours. Lors de leur examen, il est notamment pris en compte si des problèmes précis sont soulevés, concernant, à titre d’exemple, les soins médicaux, les conditions d’hygiène, la possibilité de se promener et la communication. Si les allégations sont prouvées, les autorités prennent des mesures nécessaires. Le Gouvernement affirme qu’en l’espèce, le tribunal administratif a examiné les conditions de détention du requérant, par sa décision no P20/2011 et, dans un arrêt dûment motivé, a rejeté les allégations concernant la violation de l’article 3 de la Convention. Cette décision constata également que le requérant n’avait pas prouvé qu’il avait la possibilité de se loger, ou de garantir ses moyens de subsistance de manière légale et il n’a pas demandé son transfert au centre de rétention de Fylakio, où les conditions auraient été meilleures. Le Gouvernement affirme en outre qu’en vertu de la loi no 3907/2011 et le décret présidentiel no 114/2010 les étrangers détenus ont la possibilité d’introduire un recours contre la décision d’expulsion et les autorités sont obligées de leur fournir des informations ainsi que toute assistance nécessaire afin d’exercer les droits prévus par cette loi, y compris la représentation par un avocat.

93. Le requérant rétorque que la loi no 3907/2011 n’était pas applicable en l’espèce et que le tribunal administratif n’a pas pris en considération le fait qu’il avait déposé une demande d’asile. Il ajoute qu’à l’époque des faits l’article 76 de la loi no 3386/2005 ne lui permettait pas de contester la légalité de sa détention. Il ajoute que, même après l’amendement de la loi no 3386/2005, le tribunal administratif d’Alexandroupoli a continué à fonder ses décisions sur la résidence connue des intéressés, sur leurs problèmes de santé et leurs liens avec la Grèce, et qu’il n’a jamais pris en considération d’autres motifs tel que la notion d’arbitraire au sens de l’article 5 § 1 de la Convention. Il soutient que le juge administratif n’est pas en mesure d’ordonner l’amélioration des conditions de détention ou d’octroyer un redressement approprié pour le dommage subi à cause de ces conditions. À cet égard, il cite des décisions de la même juridiction qui établiraient que le recours par voie d’objections est dépourvu d’effectivité, car il existe – à ses dires – une pratique claire consistant à ne pas examiner les conditions de détention. Il note à cet égard que, par sa décision no P20/2011, le président du tribunal administratif s’est contenté de constater que les conditions de sa détention n’étaient pas dégradantes, en raison du fait qu’il n’avait pas demandé aux autorités d’être transféré au centre de rétention de Fylakio. Toutefois, selon les rapports des instances nationales et internationales, les conditions de détention dans ce centre étaient également dégradantes.

2. Appréciation de la Cour

94. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 4 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II, S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009, A.A. c. Grèce, précité, et Herman et Serazadishvili c. Grèce, no 26418/11 et 45884/11, § 71, 24 avril 2014).

95. La Cour note que, en application de l’article 76 §§ 4 et 5 de la loi no 3386/2005 tel qu’amendé par l’article 55 § 2 de la loi no 3900/2010, entré en vigueur le 1er janvier 2011, le juge administratif qui est saisi des objections formulées par un détenu en voie d’expulsion, n’est plus limité à examiner seulement si celui-ci est dangereux pour l’ordre public ou risque de fuir : il peut désormais « s’opposer à la détention » et examiner ainsi toute question soulevée du fait de la détention.

96. En l’espèce, la Cour observe que, dans sa décision du 7 janvier 2011 portant rejet des objections du requérant, le président du tribunal administratif a relevé notamment l’illégalité de l’entrée du requérant sur le territoire, sa mise en détention en raison d’un risque de fuite, ainsi que l’absence de possibilité de « mener une vie légale ». Il souleva qu’il ne ressortait pas du dossier que le requérant avait déposé une demande d’asile. Quant aux conditions de détention, la décision constatait notamment que le requérant n’avait pas introduit une demande afin d’être transféré au centre de rétention de Fylakio, où les normes relatives aux conditions de détention étaient selon lui respectées.

97. Toutefois, la Cour relève que, dans ses objections, le requérant dénonçait ses conditions de détention, se plaignant notamment de la surpopulation, du manque de produits d’hygiène et de vêtements propres, de l’absence de chauffage, de la saleté, du manque d’espace pour dormir, marcher ou faire de l’exercice, ainsi que de la communication limitée avec le monde extérieur et de l’impossibilité d’avoir accès à un médecin ou à un soutien psychologique. Elle note que l’intéressé se prévalait de la jurisprudence de la Cour et qu’il soutenait que sa détention était contraire à l’article 5 de la Convention, en raison notamment de l’impossibilité de faire examiner sa demande d’asile, qui était pendante, dans le délai légal de trois mois à compter de sa mise en détention.

98. La Cour considère que l’amendement de l’article 76 de la loi no 3386/2005 et l’existence d’une jurisprudence récente des tribunaux internes qui, dans certains cas, examinent en profondeur la légalité de la détention d’étrangers en voie d’expulsion et ordonnent, le cas échéant, leur mise en liberté, vont dans le sens du renforcement des garanties dont devaient bénéficier les détenus étrangers en voie d’expulsion. Toutefois, elle constate qu’en l’espèce le requérant n’a pas bénéficié d’un examen de la légalité de sa détention d’une ampleur propre à refléter les possibilités offertes par la version amendée du paragraphe 5 de l’article 76 précité tel que mis en œuvre dans la jurisprudence citée par le Gouvernement. Cela est d’autant plus vrai s’agissant des griefs relatifs aux conditions de détention, domaine dans lequel la Cour a constaté une violation non seulement dans la présente espèce, mais également à plusieurs reprises dans d’autres affaires : aux yeux de la Cour, de tels griefs, récurrents dans les objections formulées par les étrangers devant les tribunaux administratifs, méritent certainement une réponse de la part de ceux-ci. Le fait que le tribunal administratif a accepté les secondes objections déposées par le requérant, en ne s’exprimant d’ailleurs pas sur la légalité de la détention, mais au seul motif que le requérant avait exprimé sa volonté de quitter immédiatement le pays, ne saurait pour autant influer sur le caractère effectif du premier recours.

99. La Cour conclut donc qu’il y a eu violation dans le cas du requérant de l’article 5 § 4 de la Convention.

100. Enfin, eu égard aux faits de l’espèce, aux thèses des parties et aux conclusions formulées sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, la Cour estime qu’elle a examiné les principales questions juridiques soulevées par la présente requête quant à l’effectivité des recours internes disponibles et qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le grief tiré de l’article 13 de la Convention, en combinaison avec l’article 3, concernant les conditions de détention.

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 2 DE LA CONVENTION

101. Invoquant l’article 5 § 2 de la Convention, le requérant se plaint qu’il n’a pas été informé dans une langue qu’il comprenait des motifs de sa détention et des recours existants contre la décision le plaçant en détention.

102. Eu égard au constat relatif à l’article 5 § 4 (paragraphe 98 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de cette disposition (voir, entre autres, Rahimi, précité).

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

103. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

104. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

105. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive et arbitraire, que l’avocate du requérant est responsable des erreurs lors de la procédure devant les juridictions internes et qu’en tout cas, si la Cour considère qu’il faut accorder une satisfaction pécuniaire, celle-ci ne doit pas dépasser les montants octroyés dans les affaires Kaja c. Grèce, no 32927/03, 27 juillet 2006, Tabesh précité et Lin c. Grèce, no 58158/10, 6 novembre 2012.

106. La Cour considère que le requérant a souffert un préjudice moral, du fait de la violation de ses droits garantis par les articles 3, 5 § 4 et 13 de la Convention. Ce préjudice moral ne se trouve pas suffisamment compensé par les constats de violation. Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 6 500 EUR pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

107. Le requérant n’a présenté aucune demande au titre de frais et dépens. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

108. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention dans le poste frontière de Tychero ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13, combiné avec l’article 3 de la Convention, en ce qui concerne les défaillances de la procédure d’asile ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

6. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 5 § 2 de la Convention, ainsi que celui tiré de l’article 13, combiné avec l’article 3, visant l’effectivité du recours dénonçant les conditions de détention ;

7. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 500 EUR (six mille cinq cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 février 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

André WampachMirjana Lazarova Trajkovska
Greffier adjointPrésidente


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