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14/01/2016 | CEDH | N°001-159799

CEDH | CEDH, AFFAIRE MASLÁK ET MICHÁLKOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE, 2016, 001-159799


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE MASLÁK ET MICHÁLKOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requête no 52028/13)

ARRÊT

STRASBOURG

14 janvier 2016

DÉFINITIF

14/04/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Maslák et Michálková c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Erik Møse,
André P

otocki,
Aleš Pejchal,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Carlo Ranzoni, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE MASLÁK ET MICHÁLKOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requête no 52028/13)

ARRÊT

STRASBOURG

14 janvier 2016

DÉFINITIF

14/04/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Maslák et Michálková c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Erik Møse,
André Potocki,
Aleš Pejchal,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Carlo Ranzoni, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 52028/13) dirigée contre la République tchèque et dont deux ressortissants slovaques, M. Miroslav Maslák et Mme Katarína Michálková (respectivement « le requérant » et « la requérante »), ont saisi la Cour le 9 août 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par M. R. Toman, avocat au barreau slovaque. Le gouvernement tchèque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V.A. Schorm.

3. Les requérants allèguent en particulier que les perquisitions de l’appartement du premier d’entre eux, de son garage et de leurs véhicules étaient irrégulières et qu’ils ne disposaient pas de recours effectifs à cet égard.

4. Le 5 décembre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5. Par une lettre du 11 décembre 2013, le gouvernement slovaque a été invité, en vertu de l’article 36 § 1 de la Convention et de l’article 44 du règlement de la Cour (« le règlement »), à intervenir dans la procédure. Par une lettre du 17 décembre 2013, le gouvernement slovaque a informé la Cour qu’il n’entendait pas se prévaloir de son droit d’intervention.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérants sont nés respectivement en 1979 et en 1978 et résident respectivement à Pružina (Slovaquie) et à Plevník-Drieňové (Slovaquie).

A. Perquisitions litigieuses

7. À l’époque des faits, la police tchèque enquêtait sur plusieurs actes d’extorsion pour lesquels elle soupçonnait entre autres le requérant, qui était déjà poursuivi en Slovaquie. Les faits exposés ci-après eurent lieu avant l’engagement de poursuites pénales par les autorités tchèques contre le requérant. La requérante ne fut jamais poursuivie.

8. Le 19 juin 2012, dans le cadre de l’enquête préliminaire concernant les faits reprochés au requérant et à deux autres personnes, R.H. et V.H., le procureur autorisa la surveillance de trois véhicules, dont une Land Rover, pendant la période du 18 juin au 17 novembre 2012. Selon les informations de la police, les suspects utilisaient ces véhicules, qui étaient la propriété de la requérante ou de la société P.G., gérée par elle, pour leur activité criminelle.

9. En raison de changements de propriétaire et de numéro d’immatriculation, deux nouveaux mandats concernant la Land Rover furent émis le 30 août et le 12 octobre 2012 ; selon ce dernier mandat, le véhicule était devenu la propriété de la société S.P., gérée par R.H. et V.H., et continuait à être utilisé par le requérant et ses complices. Il ressortait du dossier qu’en septembre et octobre 2012 le véhicule Land Rover avait été à plusieurs reprises repéré sur le territoire de la République tchèque, à proximité des domiciles des victimes des actes d’extorsion.

10. Le 15 novembre 2012, la police résuma les résultats de l’enquête dans une note officielle, y indiquant que le requérant utilisait deux véhicules, une Volkswagen, propriété de la société P.G., et la Land Rover, propriété de la société S.P. Il ressortait de cette note que le requérant avait fait l’objet de contrôles routiers à bord de ces véhicules, que ceux-ci avaient été vus devant son garage et à proximité des domiciles des victimes et que V.H. avait confirmé ces éléments lors d’une déposition effectuée la veille.

11. Le 22 novembre 2012, le procureur régional de Brno demanda au tribunal de district de Zlín d’ordonner des perquisitions dans plusieurs immeubles d’habitation et d’autres locaux. Il mentionnait que le caractère non susceptible de report de ces mesures résultait, en premier lieu, du fait que les résultats de l’enquête obtenus jusqu’alors ne permettaient pas d’ouvrir les poursuites pénales en raison notamment de l’impossibilité de déterminer la responsabilité pénale des suspects dans la commission des différents actes. En second lieu, le procureur indiquait qu’il y avait un risque de compromettre le résultat de ces mesures s’il était décidé de les réaliser seulement après l’ouverture des poursuites pénales, car les éléments de preuve qu’il s’agissait de saisir lors de ces perquisitions risquaient d’être détruits ou soustraits.

12. Le 23 novembre 2012, faisant suite à cette demande du procureur, le juge du tribunal de district de Zlín autorisa la perquisition, d’une part, de l’appartement loué par le requérant et, d’autre part, du garage et de deux véhicules utilisés par le requérant, à savoir une Volkswagen appartenant à la société P.G. et une Land Rover appartenant à la société S.P. Les mandats mentionnaient les faits sur lesquels la police était en train d’enquêter, les premiers résultats de cette enquête et l’implication du requérant. Les mandats étaient motivés comme suit :

« La police (...) enquête sur une activité criminelle grave et violente qui serait perpétrée par un groupe de personnes de nationalités tchèque [ou] slovaque qui recouvrent des créances et réclament des rançons moyennant violence, sous forme d’incendies volontaires et d’usage d’armes à feu visant les véhicules ou les immeubles des victimes ou de leurs connaissances (...). Leurs agissements sont considérés comme constituant une infraction pénale continuée de tentative d’extorsion (...).

L’enquête réalisée jusqu’à présent a identifié comme auteurs de l’activité criminelle susmentionnée Miroslav Maslák (...) [et cinq autres personnes].

Concernant le suspect Miroslav Maslák, il a été établi qu’il dirige et organise l’activité de tout le groupe. Il est poursuivi pour une activité criminelle similaire également en Slovaquie, où il encourt une peine à perpétuité.

En République tchèque, il occupe un appartement à l’adresse (....) dont il est le locataire / utilise les véhicules et le garage susmentionnés. Étant donné que les informations recueillies jusqu’alors font ressortir des soupçons plausibles que des objets importants pour la procédure pénale peuvent se trouver tant à l’adresse susmentionnée que dans les véhicules et le garage qu’il utilise, notamment des armes utilisées pour attaquer les victimes et leurs biens, les vêtements et chaussures portés lors des attaques contre les victimes et leurs biens, des équipements de télécommunication et d’informatique, des pièces écrites ainsi que d’autres objets liés à l’activité criminelle décrite ci-dessus, il est nécessaire d’effectuer une perquisition au domicile du suspect Miroslav Maslák / dans le garage et les véhicules, ce que le tribunal autorise par le présent mandat.

Le but de la perquisition est de saisir les objets susvisés et les preuves démontrant que l’activité criminelle en question a été perpétrée par le suspect Miroslav Maslák ainsi que par d’autres suspects. La perquisition doit être effectuée en tant qu’acte non susceptible de report et de répétition au sens de l’article 160 § 4 du code de procédure pénale car, au vu des informations recueillies jusqu’à présent, il existe une crainte justifiée que les auteurs des actes altèrent ou détruisent les preuves, sachant que ces objets et preuves qui peuvent mener à l’ouverture des poursuites pénales contre les suspects ne peuvent pas être obtenus d’une autre manière.

(...) »

13. Les perquisitions eurent lieu le 27 novembre 2012 en présence du requérant, arrêté dans son véhicule Volkswagen à 3 h 23 du matin, et d’une tierce personne. La perquisition du domicile fut réalisée entre 4 h 20 et 9 h 15 et la perquisition du véhicule Volkswagen fut réalisée entre 10 h 14 et 13 h 10. À 13 h 25, une entrevue eut lieu entre le requérant et son avocat. À la suite d’un appel téléphonique du requérant, la requérante était arrivée entre-temps sur les lieux avec le véhicule Land Rover, qui fut perquisitionné à 13 h 43. Le garage fut perquisitionné à 14 h 23.

14. Le procès-verbal de perquisition de l’appartement du requérant établi par la police reprenait les termes du mandat pour ce qui est de la justification du caractère non susceptible de report et de répétition de la mesure. Il indiquait ensuite que l’interrogatoire préalable, prévu à l’article 84 du CPP, avait eu lieu et que le requérant avait déclaré à cette occasion qu’aucun objet provenant de l’activité criminelle ou destiné à celle-ci ne se trouvait à son domicile. Le requérant reçut les informations prévues par l’article 85 § 1 du CPP et se vit remettre le mandat en mains propres – à 4 h 20 selon le procès-verbal, à 4 h 25 selon les deux parties qui renvoient au bordereau de réception. Durant la perquisition, de nombreux objets, dont des documents scellés sous enveloppe, un CD, un DVD et une clé USB, furent remis à la police. Le requérant demanda la consignation des éléments suivants dans le procès-verbal :

. avant la réalisation de la perquisition, il n’avait pas été interrogé selon les règles prescrites par le CPP et n’avait donc pas été informé de ses droits ni invité à remettre les objets recherchés ;

. il n’avait été que brièvement informé du contenu du mandat et celui-ci lui avait été notifié plus tard, après le début de la perquisition ;

. pour ces raisons, la perquisition n’avait pas été réalisée conformément à la loi, ce dont il entendait se plaindre devant la Cour constitutionnelle.

Le requérant signa ce procès-verbal pour attester qu’il en avait reçu une copie.

15. Le procès-verbal relatif à la perquisition des véhicules et du garage reprenait les termes du mandat pour ce qui est de la justification du caractère non susceptible de report et de répétition de la mesure. Il indiquait ensuite que l’interrogatoire préalable, prévu à l’article 84 du CPP, avait eu lieu et que le requérant, après avoir été informé, avait refusé d’ouvrir le garage et les véhicules et avait déclaré qu’il ne consentait pas à la perquisition et qu’aucun objet provenant de l’activité criminelle ou destiné à celle-ci ne s’y trouvait. Il était indiqué dans la partie introductive du procès‑verbal (pages 1 et 2) que le requérant était utilisateur des deux véhicules et du garage et qu’il avait participé à la perquisition. Le même procès-verbal mentionnait (page 6) que la requérante, en tant qu’utilisatrice du véhicule Land Rover, et l’avocat du requérant avaient assisté à la perquisition de ce véhicule. Il ressortait de l’enregistrement vidéo de cette perquisition que celle‑ci avait été effectuée en présence des deux requérants et de l’avocat, « après information tant de l’utilisatrice Mme Michálková que de l’utilisateur M. Maslák », et que plusieurs documents avaient été saisis à cette occasion. Aucun des participants ne formula d’objection quant au contenu du procès‑verbal. Lorsqu’il fut invité, à la suite de la perquisition, à remettre les véhicules à la police, le requérant refusa en indiquant qu’il n’était ni leur propriétaire ni leur locataire et qu’il les avait utilisés en tant que compagnon de leur propriétaire, à savoir la requérante. Après la remise du mandat de saisie de la Land Rover aux deux requérants, la requérante s’enquit de la possibilité de récupérer ce véhicule ; elle fut informée que celui-ci serait rendu à son propriétaire ou à la personne dotée d’un pouvoir.

16. Les requérants introduisirent un recours constitutionnel, alléguant que les mandats de perquisition ainsi que la conduite de la police lors des perquisitions avaient enfreint leurs droits garantis par l’article 8 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Ils dénonçaient notamment une insuffisance de motivation des mandats de perquisition, soutenant que ceux-ci n’avaient pas clairement fait ressortir les preuves fondant les soupçons contre le requérant, que la motivation quant à l’urgence de la perquisition n’avait été que formelle et que lesdits mandats n’avaient pas spécifié pour quelles raisons le tribunal considérait qu’il y avait un risque de destruction des preuves et de quelle manière la police avait déjà essayé d’obtenir celles-ci. Concernant la perquisition de l’appartement, le requérant se plaignait aussi de n’avoir été ni interrogé, ni informé de ses droits, ni invité à remettre les objets recherchés de son plein gré, ainsi que de s’être vu notifier le mandat après le début de la perquisition. La requérante se plaignait que, avant de formuler sa demande de perquisition des véhicules, la police n’ait pas vérifié qui était le réel utilisateur de l’un d’entre eux : en l’occurrence, à ses dires, il s’agissait d’elle, et non du requérant. En conséquence, la perquisition et la saisie réalisées aurait concerné un véhicule utilisé par une personne distincte de l’utilisateur désigné par le mandat. La requérante se plaignait également de n’avoir été ni interrogée, ni informée, ni invitée à remettre les objets recherchés de son plein gré.

17. Dans sa décision I. ÚS 382/13 du 13 février 2013, se référant entre autres à ses arrêts IV. ÚS 1780/07 et II. ÚS 2979/10, la Cour constitutionnelle récapitula le contenu des mandats, en particulier les motifs mentionnés en rapport avec le caractère non susceptible de report des perquisitions, et considéra que, du point de vue du droit constitutionnel, ces mandats étaient acceptables. Puis, se référant à la subsidiarité du recours constitutionnel, la Cour constitutionnelle jugea qu’elle ne pouvait examiner les objections tirées d’une absence d’interrogatoire préalable et d’un non‑respect des conditions de l’article 84 du CPP car, « dans cette situation, elle pourrait s’ingérer de manière disproportionnée et prématurée dans la compétence qu’ont les tribunaux inférieurs de rassembler et d’apprécier les preuves et risquerait donc de prédéterminer ainsi, le cas échéant, le résultat de la procédure pénale au fond ».

B. Procédure pénale menée à l’encontre du requérant

18. Dans l’intervalle, dès l’accomplissement des perquisitions susmentionnées, le 27 novembre 2012, la police avait engagé des poursuites pénales à l’encontre du requérant, qui fut inculpé de plusieurs infractions, dont une tentative d’extorsion d’une gravité particulière. En vue de recouvrer des créances, réelles ou fictives, et de gagner en influence, le requérant aurait organisé des attaques contre différentes personnes et leurs biens.

19. Par une décision du tribunal de district de Zlín du 29 novembre 2012, le requérant fut mis en détention.

20. Par un jugement du 26 novembre 2013, le tribunal régional de Brno reconnut le requérant et ses quatre complices coupables ; le requérant fut condamné à dix ans d’emprisonnement, à une peine d’expulsion d’une durée indéterminée et à la confiscation de plusieurs objets. Le jugement mentionnait des enregistrements audio des conversations entre les accusés et les victimes, lesquels auraient été effectués à la demande du requérant, probablement par ses complices, et avaient été saisis lors des perquisitions domiciliaires, comme l’une des preuves les plus sérieuses administrées à l’audience. Il indiquait que le mandat et le procès‑verbal relatifs à la perquisition de l’appartement du requérant ainsi que les documents saisis lors de celle-ci avaient été lus à l’audience et pris en compte dans l’appréciation des preuves.

21. Selon les dires des parties, ce jugement a été confirmé par la haute cour d’Olomouc le 5 juin 2014.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

22. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont résumés dans l’affaire Duong c. République tchèque (no 21381/11, §§ 20-29, 14 janvier 2016). Il convient de les compléter comme suit.

A. Le code de procédure pénale (« le CPP »)

23. D’après l’article 157a du CPP, celui qui fait l’objet d’une procédure pénale et la victime ont le droit de demander au procureur, à n’importe quel moment de la phase préparatoire de la procédure, de faire cesser les retards de la procédure ou les manquements dans la conduite de la police. Une telle demande doit être présentée immédiatement, sans être assujettie à un délai, et le procureur doit la traiter sans délai. Le demandeur doit être informé du résultat du réexamen opéré par le procureur.

B. La loi no 82/1998 sur la responsabilité de l’État pour le préjudice causé dans l’exercice de la puissance publique par une irrégularité dans la décision ou dans la conduite de la procédure (« la loi no 82/1998 ») et la pratique pertinente

24. Selon l’article 7 § 1 de la loi no 82/1998, les parties à la procédure au cours de laquelle la décision à l’origine du dommage a été adoptée ont droit à une indemnisation pour préjudice causé par une décision irrégulière.

25. En vertu de l’article 8 § 1 de la même loi, l’intéressé ne peut demander d’indemnisation pour le préjudice causé par une décision irrégulière que si cette décision, passée en force de chose jugée, a été annulée ou réformée par l’autorité compétente. L’article 8 § 2 de cette même loi précise que, si le préjudice a été causé par une décision irrégulière exécutoire avant d’être passée en force de chose jugée, l’indemnisation peut être demandée même lorsque la décision a été annulée ou réformée à la suite d’un recours ordinaire.

26. Selon l’article 13 de la loi no 82/1998, l’État est responsable du dommage causé par une conduite irrégulière. Constitue notamment une conduite irrégulière la violation de l’obligation de prendre une décision dans le délai fixé par la loi. Quiconque a subi un dommage à cause d’une conduite irrégulière a droit à une indemnisation.

27. Dans une décision no 28 Cdo 2855/2012 du 15 janvier 2012, la Cour suprême a constaté que, lorsque les poursuites pénales contre une personne ne se sont pas soldées par une sentence condamnatoire définitive rendue par une juridiction pénale, les prétentions à l’indemnisation formulées par cette personne devaient être examinées sous l’angle de l’article 7 de la loi no 82/1998 relatif à l’indemnisation pour préjudice causé par une décision irrégulière. La cour a observé qu’il ressortait de la jurisprudence des tribunaux du fond que, par exemple, la décision d’ouvrir les poursuites pénales (acte d’inculpation) était considérée comme ipso facto irrégulière lorsque lesdites poursuites aboutissaient ensuite à un non-lieu ou à un acquittement.

28. Dans un arrêt no 30 Cdo 1019/2012 du 28 août 2012, la Cour suprême a constaté ce qui suit :

« (...) Lorsque les poursuites pénales contre l’inculpé se sont soldées par un non‑lieu ou par un acquittement, les tribunaux devraient évaluer les différents actes effectués lors de la procédure pénale en se penchant sur la question de savoir s’il s’agissait d’une ingérence ou d’une restriction des droits de la personne concernée qui étaient proportionnées au but de la procédure pénale. Lorsque la demande [de dommages-intérêts] est introduite par une personne qui avait participé à la procédure pénale en tant qu’inculpé ou accusé, le tribunal peut prendre en compte – dans le cadre de l’indemnisation au titre des poursuites pénales injustifiées relevant selon la jurisprudence du régime de l’article 8 de la loi no 82/1998 – les actes qui ne sont pas explicitement prévus par la loi no 82/1998, tels que la réalisation de la perquisition [et] la saisie d’un objet ou des moyens financiers. (...).

En principe, on ne peut pas exclure que les différents actes effectués au cours de la procédure pénale touchent aussi les personnes qui ne faisaient pas l’objet des poursuites pénales, tels les proches. Leur capacité de demander l’indemnisation au titre d’une décision irrégulière est réglementée par l’article 7 de la loi no 82/1998 (...) ; aux côtés des parties à la procédure sur le bien-fondé, il faudra donc également considérer comme parties à la procédure au sens de l’article 7 de la loi no 82/1998 d’autres personnes dont les droits et obligations ont été déterminés dans une certaine phase partielle de la procédure ou les personnes autorisées à faire des demandes ou à introduire des recours à un certain stade (...). L’élargissement du cercle des ayants droit se justifie par l’intérêt que l’État a à indemniser les personnes qui ont pu subir une atteinte à leurs droits du fait d’une ingérence de l’État. Peut être incluse parmi ces personnes la compagne de l’inculpé qui a personnellement pris part à une phase partielle de la procédure, à savoir la perquisition, lors de laquelle elle s’est vu saisir des objets importants pour la procédure pénale. Dans un tel cas, il ne peut pas être exclu qu’un non-lieu prononcé au cours des poursuites pénales menées contre un proche fondera le droit de la personne ayant participé à une phase partielle de la procédure pénale, surtout si [cette personne] a subi une atteinte dans ses droits fondamentaux, même si la saisie des objets était conforme à la loi et tendait à l’établissement des faits décisifs aux fins d’appréciation des agissements de l’inculpé. Les tribunaux inférieurs avaient donc procédé correctement lorsqu’ils avaient pris en compte, en décidant de la forme de la satisfaction, les circonstances entourant la saisie d’objets à la plaignante, bien que leurs considérations relatives aux circonstances de la réalisation de la perquisition, à l’égard de laquelle la condition de la participation de la plaignante à la procédure pénale n’était pas remplie (celle-ci ne disposait d’aucun recours), n’eussent pas été pertinentes et nécessaires. Concernant les conséquences que la réalisation de la perquisition a eues sur l’état psychique de la compagne de l’inculpé, on ne saurait considérer [celle-ci] – aux fins de la procédure d’indemnisation du préjudice moral causé par l’ouverture des poursuites pénales à l’encontre de son compagnon qui se sont soldées par un non-lieu ou un acquittement – comme une partie à la procédure pénale et, partant, comme une partie lésée au sens de l’article 7 de la loi no 82/1998.

La conduite irrégulière lors de la réalisation de la perquisition domiciliaire, qui pourrait fonder la capacité de la demanderesse à ester en justice au sens de l’article 13 § 2 de la loi no 82/1998, n’est pas en l’occurrence étayée par des arguments, et son existence est exclue par les conclusions de fait auxquelles les tribunaux sont parvenus concernant l’autorisation et la réalisation de la perquisition. (...) »

29. Par ailleurs, le Gouvernement a soumis à la Cour le jugement no 10 C 47/2004-297 du 31 janvier 2011 du tribunal d’arrondissement de Prague 2. Dans cette décision, cette juridiction avait accordé à une plaignante une indemnisation pour le préjudice matériel causé par les policiers lors d’une perquisition domiciliaire effectuée dans le cadre des poursuites pénales menées contre son époux. La conduite des policiers, qui avaient endommagé des biens de la plaignante en ne procédant pas avec un soin raisonnable et en ne respectant pas le principe de la proportionnalité, avait été qualifiée d’irrégulière.

C. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle relative aux perquisitions

30. Par un arrêt no I. ÚS 215/12 du 26 septembre 2013, la Cour constitutionnelle a annulé les décisions des tribunaux ayant rejeté – au motif que le mandat de perquisition n’avait pas été annulé pour cause d’irrégularité – la demande de dommages-intérêts formulée par un plaignant sur le fondement de la loi no 82/1998. Par cette demande, le plaignant avait réclamé le remboursement des frais de représentation légale qu’il avait engagés dans une procédure pénale ouverte sur la base de preuves obtenues lors d’une perquisition irrégulière, laquelle s’était soldée par un acquittement motivé par cette irrégularité. La Cour constitutionnelle a relevé :

« Lorsqu’il est saisi d’une demande d’indemnisation d’un préjudice matériel causé à la personne poursuivie en lien avec les poursuites pénales et lorsqu’il a été démontré que l’inculpé a été acquitté ou qu’il y a eu un non-lieu, le tribunal est tenu d’examiner si et dans quelle mesure la demande est justifiée. (...)

(...) Seule la Cour constitutionnelle peut, exceptionnellement et pour des motifs clairement définis, annuler un mandat de perquisition à la suite d’un recours constitutionnel. Il convient cependant de noter que la Cour constitutionnelle ne peut pas indiquer de manière impérative aux autorités agissant en matière pénale quelles sont les preuves qu’elles peuvent utiliser ou celles qu’elles doivent enlever du dossier, voire détruire. Une telle ingérence dans le processus décisionnel des autorités pénales lors de la phase préparatoire de la procédure devrait être considérée – sauf dans les situations tout à fait exceptionnelles – comme totalement inadmissible.

En revanche, l’irrégularité de la réalisation d’une perquisition domiciliaire et l’inadmissibilité des preuves qui en sont issues dans la procédure pénale ne [peuvent] être constatées que par un tribunal du fond dans le cadre de l’administration des preuves à l’audience. (...) »

31. Par une décision no II. ÚS 2166/14 du 28 août 2014, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours introduit par une association de communautés musulmanes contre une perquisition effectuée, dans le cadre d’une affaire pénale concernant une tierce personne, dans deux lieux de prières musulmans, pour non-épuisement des voies de recours. Elle a notamment constaté :

« (...) Il faut en principe rejeter la prémisse selon laquelle la Cour constitutionnelle devrait être ce « premier » organe à examiner l’admissibilité ou la proportionnalité d’une ingérence dans les droits et libertés fondamentaux d’un plaignant car ceci (...) enfreindrait le principe de subsidiarité du recours constitutionnel. La Cour constitutionnelle ne devrait réexaminer les actes des autorités publiques qu’après que [l’impossibilité ou l’absence d’efficacité suffisante de] la protection contre les ingérences [de ces autorités] au travers des recours habituels est avérée. C’est seulement après qu’elle est autorisée à agir, et ce par la voie de la cassation lorsqu’il s’agit d’un recours dirigé contre les décisions, ou [par la voie de] l’interdiction faite à l’autorité concernée de poursuivre la violation des droits et libertés, voire l’ordre de rétablir le statu quo ante, lorsqu’il s’agit d’un recours dirigé contre une autre ingérence d’une autorité publique. La Cour constitutionnelle doit respecter le système des moyens de protection des droits et ne peut pas « doubler » les autres autorités publiques autorisées à fournir la protection. (...)

En premier lieu, il incombait à la Cour constitutionnelle d’examiner si la plaignante n’avait pas commis une erreur en ne dirigeant pas son recours constitutionnel également contre le mandat de perquisition. Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qu’il appartient à cette juridiction, exceptionnellement et pour des motifs clairement définis, d’annuler un mandat de perquisition, même si l’irrégularité de la réalisation d’une perquisition et l’inadmissibilité des preuves obtenues lors de celle-ci ne peuvent être constatées que par un tribunal du fond dans le cadre de l’administration des preuves à l’audience (voir par exemple l’arrêt no I. ÚS 215/12 du 26 septembre 2013). (...) D’un autre côté, la Cour constitutionnelle n’a pas exclu auparavant que le recours constitutionnel puisse être introduit par celui dont les locaux (et, partant, les droits et libertés) ont été touchés par l’exécution d’un mandat de perquisition. Dans la présente affaire cependant, la plaignante ne conteste aucunement la régularité de l’adoption du mandat de perquisition mais seulement la régularité (proportionnalité) de son exécution, à savoir la conduite des autorités pendant sa réalisation. (...)

La plaignante ne dispose pas non plus de la possibilité de se prévaloir de la protection prévue à l’article 157a du CPP, qui permet [à celui faisant face aux poursuites pénales et à la victime] de demander au procureur de réexaminer la conduite de la police. En effet, la plaignante ne faisait pas l’objet de la procédure pénale et n’avait pas le statut de victime dans cette affaire.

Elle aurait pu néanmoins protéger ses droits en se prévalant de l’article 174 § 2 b) du CPP (...) qui ne vise pas seulement le sujet de la procédure pénale et la victime [et] qui consacre le droit de [toute personne] de réclamer la surveillance du parquet (...), c’est-à-dire de demander au procureur compétent d’examiner si la police procède avec diligence en enquêtant sur l’activité criminelle. (...) Si la plaignante estime que la police n’a pas respecté ses droits, elle peut (et, avant d’introduire le recours constitutionnel, elle doit) demander au procureur de réexaminer la conduite de la police selon l’article 174 du CPP (...).

De même, selon l’article 157a du CPP, le procureur (...) a l’obligation de vérifier si la conduite de la police était ou non entachée de vices et d’informer par écrit la personne ayant demandé la surveillance du résultat du réexamen et des mesures prises en vue de redresser les manquements (...), tout en respectant les droits de l’homme et les libertés fondamentales. (...) Ainsi, le procureur peut imposer à la police des mesures de redressement, constater que la perquisition était irrégulière et refuser les preuves obtenues lors de celle-ci (...).

Si la personne ayant demandé la surveillance selon l’article 174 § 2 b) du CPP n’est pas satisfaite de la réponse apportée à sa demande, elle peut inviter le parquet supérieur à éliminer les vices dans la conduite du procureur et lui demander d’exercer la supervision sur la conduite du parquet inférieur. (...) la supervision permet de contrôler la conduite du procureur chargé de surveiller le respect de la régularité de la phase préparatoire de la procédure et de réagir de manière appropriée aux manquements constatés. (...)

C’est seulement après l’épuisement des voies de recours susmentionnées, si elle estime toujours que les autorités publiques ont porté atteinte à ses droits et libertés constitutionnels, que la plaignante pourra introduire un recours constitutionnel (...). Il ne sera alors pas décisif que les autorités concernées aient répondu aux demandes de la plaignante par une décision formelle ou informelle (...).

Par ailleurs, la Cour constitutionnelle a pris en considération également la possibilité pour la plaignante de faire protéger ses droits au travers d’une action en dommages‑intérêts selon la loi no 82/1998 (...), mais a conclu que cette voie ne serait pas effective en l’espèce. En effet, la plaignante ne demande pas l’octroi de dommages-intérêts, elle a pour objectif de faire constater que l’ingérence réalisée avait été irrégulière. C’est pourquoi la voie susmentionnée [régie par l’article 174 § 2 b) du CPP] apparaît la plus appropriée car elle permettra à la plaignante de dûment protéger ses droits et libertés sans avoir à déclarer qu’elle avait subi un certain dommage moral. (...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

32. Les requérants soutiennent que les perquisitions de l’appartement du premier d’entre eux, de son garage et de leurs véhicules n’ont pas été régulières, au motif que les respectifs mandats n’étaient pas dûment motivés, que les policiers n’ont pas procédé à un interrogatoire préalable du requérant avant la perquisition de son domicile, que la requérante n’était pas désignée dans le mandat comme utilisatrice du véhicule Land Rover et que, dès lors, elle n’a pas été dûment informée et interrogée avant la perquisition de celui-ci. Ils invoquent à cet égard l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

33. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

34. Se référant à ses observations formulées sur le terrain de l’article 13 de la Convention, le Gouvernement excipe d’abord du non-épuisement des voies de recours internes. Il estime que les requérants ont saisi la Cour constitutionnelle prématurément et qu’ils auraient dû attendre la fin de la procédure pénale au motif que le requérant pouvait encore former un pourvoi en cassation et un recours constitutionnel. Il précise que la légalité et la motivation du mandat de perquisition et, surtout, les objections relatives à la réalisation même des perquisitions peuvent en effet être examinées dans le cadre des recours dirigés contre les décisions sur le bien-fondé de l’accusation pénale et que c’est pour cela que, en l’espèce, la Cour constitutionnelle a refusé, le 13 février 2013, d’examiner une partie du recours constitutionnel des requérants. Le Gouvernement considère en outre que les requérants auraient dû se prévaloir de l’article 157a du CPP pour demander au procureur de réexaminer la conduite de la police lors des perquisitions litigieuses. Il ajoute enfin que la requérante et, après la fin de la procédure pénale, le requérant pouvaient se prévaloir de la loi no 82/1998 afin de demander une indemnisation pour le préjudice causé par les poursuites pénales, et ce soit en raison de l’irrégularité d’une décision – correspondant, selon la jurisprudence, à l’acte d’inculpation –, soit, en cas de non‑respect de l’exigence de proportionnalité de l’ingérence, en raison de l’irrégularité d’une conduite lors de la perquisition, comme dans l’affaire ayant mené à l’adoption du jugement no 10 C 47/2004-297.

35. En ce qui concerne la requérante, le Gouvernement indique que rien dans les informations rassemblées par la police et contenues dans le dossier n’indiquait qu’elle était l’utilisatrice du véhicule Land Rover ; selon lui, il en ressort au contraire qu’au moment où la perquisition a été ordonnée ce véhicule était utilisé par le requérant, ou ses complices, sur le territoire de la République tchèque. Il précise par ailleurs que le procès-verbal ne contenait aucune objection à cet égard, bien que la perquisition ait eu lieu en présence de l’avocat du requérant. Le Gouvernement indique ensuite que le mandat de perquisition vise toujours un immeuble ou un véhicule, et non une personne, et que, s’il y a plusieurs utilisateurs, il suffit de notifier le mandat à l’un d’entre eux. Il ajoute que la présence de la requérante lors de la perquisition découlait seulement du fait qu’elle s’était rendue sur les lieux avec le véhicule. Il considère dès lors que la requérante, qui n’aurait aucunement été affectée par la perquisition de celui-ci et n’aurait subi aucun préjudice de ce fait, ne peut être considérée comme victime, directe ou indirecte, d’une éventuelle violation de l’article 8 de la Convention.

36. Les requérants font observer que même selon les informations de la police le véhicule Land Rover était d’abord la propriété de la société P.G., dont la requérante était l’unique associée, puis de la société S.P., qui aurait été transférée à l’intéressée. À ce titre, celle-ci aurait été la seule à utiliser ce véhicule, qui se serait trouvé à l’adresse de son domicile en Slovaquie, à partir duquel elle se serait rendue sur le lieu de la perquisition à la suite de l’appel du requérant. En outre, les résultats de l’enquête de la police n’auraient mentionné aucun élément vérifiable soutenant la conclusion selon laquelle la requérante n’utilisait pas le véhicule en question. Il ressortirait par ailleurs du jugement du 26 octobre 2013 que celui-ci n’a pas servi pour l’activité criminelle en cause. Les requérants soutiennent enfin que la requérante a été touchée par la perquisition en raison de la saisie du véhicule et de ses effets personnels.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur la qualité de victime de la requérante

37. La Cour rappelle que, pour se prévaloir de l’article 34 de la Convention, un requérant doit remplir deux conditions : il doit entrer dans l’une des catégories de demandeurs mentionnées dans cette disposition de la Convention, et doit pouvoir se prétendre victime d’une violation de la Convention. L’article 34 vise non seulement la ou les victimes directes de la violation alléguée, mais aussi toute victime indirecte à qui cette violation causerait un préjudice ou qui aurait un intérêt personnel valable à obtenir qu’il y soit mis fin (Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 47, CEDH 2013 (extraits)).

38. En l’espèce, la Cour observe que la requérante semble s’associer à l’intégralité de la requête alors que le seul grief la concernant consiste à dire qu’elle aurait dû être désignée, dans le mandat concernant le véhicule Land Rover, comme utilisatrice de celui-ci et traitée comme telle.

39. La Cour note d’abord que, d’après des documents établis par la police (paragraphes 8-10 ci-dessus), le véhicule en question était la propriété de la société S.P., gérée par R.H. et V.H., et le requérant l’avait utilisé à proximité des lieux de l’activité criminelle en cause. Elle constate aussi que, lorsque le requérant a été désigné comme unique utilisateur du véhicule dans la partie introductive du procès-verbal, ni lui ni son avocat n’ont formulé d’objections à cet égard. En outre, il ressort de l’enregistrement vidéo que la perquisition du véhicule a été effectuée en présence des deux requérants et de l’avocat, « après l’information tant de l’utilisatrice Mme Michálková que de l’utilisateur M. Maslák ». La Cour note enfin que, à la suite de la perquisition, le requérant a refusé de remettre les clefs du véhicule à la police en indiquant qu’il n’en était ni le propriétaire ni le locataire et qu’il l’avait utilisé en tant que compagnon de leur propriétaire, à savoir la requérante.

40. La Cour estime que, sur la base des éléments susmentionnés, les autorités compétentes pouvaient à juste titre considérer que le requérant était au moins l’un des utilisateurs, si ce n’est l’utilisateur exclusif, du véhicule en question, qui a été dûment identifié par le mandat. La requérante n’a pas démontré devant la Cour, ni devant la Cour constitutionnelle, qu’elle était la propriétaire de ce véhicule, que la perquisition de celui-ci ou la saisie des documents s’y trouvant lui avaient causé un préjudice ou qu’elle avait un intérêt personnel légitime à ce qu’il y soit mis fin. Le grief, dans cette mesure, ne peut être regardé comme étayé.

41. Il est par ailleurs sans conteste que la requérante n’a pas été affectée par la violation alléguée de la Convention au regard de la perquisition de l’appartement du requérant et qu’elle ne peut donc se prétendre victime de cette prétendue violation, comme l’exige l’article 34 de la Convention.

42. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la requérante n’a pas la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention et que le présent grief, pour autant qu’il est soulevé par celle-ci, doit donc être rejeté comme incompatible ratione personae avec la Convention, en application de l’article 35 § 4.

b) Grief tiré d’une absence d’interrogatoire préalable du requérant avant la perquisition de son domicile

43. La Cour observe que, dans sa décision du 13 février 2013, la Cour constitutionnelle a refusé d’examiner les objections tirées d’une absence d’interrogatoire préalable du requérant et d’un non-respect des conditions de l’article 84 du CPP, et ce afin de ne pas s’ingérer dans la compétence des tribunaux du fond et de ne pas prédéterminer, le cas échéant, le résultat de la procédure pénale menée contre le requérant.

44. La Cour relève à ce titre dans les observations du Gouvernement que, conformément à la pratique, les griefs tirés d’une irrégularité de la réalisation d’une perquisition doivent d’abord être soumis aux tribunaux du fond avant d’être soulevés devant la Cour constitutionnelle. Le requérant n’a pas fait de commentaire sur ce point et n’a pas indiqué de raison qui l’aurait empêché de procéder ainsi.

45. La Cour rappelle qu’il y a lieu de distinguer entre l’aspect procédural relatif à l’admissibilité des preuves recueillies lors de la perquisition, qu’il convient d’examiner dans la procédure pénale, et l’aspect matériel relatif à la protection de la vie privée et du domicile (voir Michalák c. Slovaquie, no 30157/03, §§ 82 et 213, 8 février 2011). En l’occurrence, la distinction faite par la Cour constitutionnelle entre les griefs tirés de l’irrégularité du mandat lui-même et ceux concernant l’irrégularité de la réalisation de la perquisition peut s’avérer problématique puisque certaines circonstances entourant une perquisition sont à prendre en compte dans l’analyse de la proportionnalité de cette ingérence dans les droits garantis par l’article 8.

46. En l’espèce, la Cour observe néanmoins que la procédure pénale menée contre le requérant semble être pendante et que, à l’issue de cette procédure, le requérant pourra saisir la Cour constitutionnelle à nouveau. Elle se doit donc de constater qu’il dispose encore d’un recours effectif pour faire valoir son grief tiré de l’absence d’interrogatoire préalable.

47. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 a) de la Convention.

c) Grief tiré d’une motivation générale et formelle des mandats, notamment quant à l’urgence et à la proportionnalité des perquisitions

48. La Cour note que, à l’occasion du recours constitutionnel du requérant, la Cour constitutionnelle s’est penchée sur la conformité des mandats aux dispositions applicables en la matière, qu’elle a examiné en particulier les motifs mentionnés en rapport avec le caractère non susceptible de report des perquisitions et qu’elle a jugé lesdits mandats acceptables du point de vue du droit constitutionnel (paragraphe 17 ci‑dessus). Au regard de ce grief, le requérant peut donc être considéré comme ayant épuisé les voies de recours internes.

49. Constatant en outre que le grief relatif à la motivation des mandat de perquisition n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

50. Le requérant dénonce une motivation trop générale et formelle des mandats de perquisition, notamment pour ce qui est de l’urgence et de la proportionnalité des perquisitions. Il estime que, pour pouvoir permettre l’examen de la justification de l’adoption d’un mandat de perquisition, celui-ci doit contenir des explications concrètes quant à la question de savoir si les conditions de la loi autorisant l’ingérence ont été remplies.

51. Concernant la perquisition domiciliaire, le requérant indique que ses objections et son désaccord avec cette mesure sont consignés dans le procès-verbal et qu’il n’y avait aucun obstacle à ce que le mandat lui soit remis avant le début de la perquisition, et non cinq minutes après. Selon lui, la raison pour laquelle cette perquisition n’a pas fait l’objet d’un enregistrement vidéo n’est d’ailleurs pas claire.

52. Le requérant allègue enfin qu’aucun objet lié à l’activité criminelle en cause n’a été trouvé lors des perquisitions litigieuses. À ses yeux, les enregistrements audio des conversations entre lui et les victimes auxquels se réfère le tribunal régional de Brno dans sa décision du 26 novembre 2013 ne sont pas incriminants : au contraire, le requérant les aurait proposés pour prouver qu’il n’avait menacé personne.

53. Le Gouvernement est convaincu que le droit interne prévoit suffisamment de garanties procédurales et que, même si certains écarts peuvent exister dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, les autorités n’ont commis aucun arbitraire en l’espèce.

54. Premièrement, il indique que toutes les conditions de la légalité de l’ingérence ont été remplies et que les mandats de perquisition ont été adoptés par un juge à la suite de la demande d’un procureur, conformément à l’article 83 § 1 du CPP. Il ajoute que, avant l’adoption des mandats, la police avait enquêté pendant plusieurs mois sur l’activité criminelle en cause et avait ainsi apporté au dossier suffisamment de preuves sur lesquelles le juge s’était fondé pour autoriser les perquisitions. Considérant qu’une motivation exhaustive des mandats ne peut être demandée dans de telles circonstances, le Gouvernement est d’avis que, en l’espèce, la motivation des mandats était suffisante et pertinente. Bien que la partie relative au caractère non susceptible de report de la perquisition ait été rédigée avec moins de diligence, ce manquement ne serait pas susceptible de rendre les mandats irréguliers, d’autant plus que l’urgence de l’acte ressortirait ici de sa nature même et des circonstances de l’espèce.

De même, le Gouvernement estime que la condition de l’article 83 du CPP, selon laquelle le mandat est notifié à la personne concernée lors de la perquisition, a été remplie puisque le requérant s’est vu remettre le mandat cinq minutes après le début de la perquisition de son appartement.

55. Deuxièmement, il est incontestable selon le Gouvernement que les perquisitions litigieuses, ordonnées sur la base des informations obtenues lors d’une enquête de police qu’il qualifie d’assidue, visaient la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

56. Enfin, concernant la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, le Gouvernement soutient que, eu égard à la gravité des infractions en cause et aux circonstances de l’espèce, l’ingérence dans les droits du requérant a été proportionnée. Il précise que plusieurs perquisitions ont eu lieu simultanément et ont abouti à la saisie de nombreuses preuves et que, de plus, les perquisitions litigieuses ont été réalisées en présence du requérant et d’une tierce personne et même, pour ce qui est de la Land Rover, en présence de l’avocat du requérant.

2. Appréciation de la Cour

57. La Cour rappelle que, pour que l’exigence posée par l’article 8 § 2 de la Convention selon laquelle toute ingérence doit être « prévue par la loi » soit satisfaite, il faut que trois conditions soient remplies. En premier lieu, la mesure incriminée doit avoir une base en droit interne. En deuxième lieu, la loi interne doit être compatible avec la prééminence du droit et accessible à la personne concernée. En troisième et dernier lieu, celle-ci doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle (voir, parmi beaucoup d’autres, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, §§ 52 et suiv., CEDH 2000‑V).

58. Pour répondre à ces conditions, le droit interne doit offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention. Lorsqu’il s’agit de questions touchant aux droits fondamentaux, la loi irait à l’encontre de la prééminence du droit si le pouvoir d’appréciation accordé à l’exécutif ne connaissait pas de limites. En conséquence, elle doit définir l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir avec une netteté suffisante (voir, entre autres, Iliya Stefanov c. Bulgarie, no 65755/01, §§ 38-39, 22 mai 2008, et Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, 15 octobre 2013).

59. Lorsqu’il existe un contrôle de nature préventive, la décision à prendre doit être régie par des critères clairs, notamment quant au point de savoir si une mesure moins intrusive peut suffire pour servir les intérêts publics prépondérants ayant été établis (voir, mutatis mutandis, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC], no 38224/03, § 92, 14 septembre 2010).

60. En ce qui concerne la question de savoir si une ingérence est « nécessaire dans une société démocratique » et, notamment, proportionnée au but légitime recherché, la Cour rappelle que les États contractants peuvent estimer nécessaire de recourir à des mesures telles que des perquisitions et des saisies pour établir la preuve matérielle de certaines infractions. Encore faut-il que leur législation et leur pratique offrent des garanties adéquates et suffisantes contre les abus (Van Rossem c. Belgique, no 41872/98, § 42, 9 décembre 2004).

61. Si la Cour reconnaît aux États contractants, dans l’appréciation de l’existence et de l’étendue de cette nécessité, une certaine latitude, celle-ci est soumise au contrôle européen. La Cour doit rechercher si les procédures de contrôle du déclenchement et de la mise en œuvre de mesures restrictives sont de nature à circonscrire l’ingérence à ce qui est « nécessaire dans une société démocratique ». En outre, les procédures de contrôle doivent être aussi fidèles que possible aux valeurs d’une société démocratique pour éviter d’excéder les limites de la nécessité aux fins de l’article 8 § 2 de la Convention (Kvasnica c. Slovaquie, no 72094/01, § 80, 9 juin 2009, et Kennedy c. Royaume-Uni, no 26839/05, § 154, 18 mai 2010).

62. En l’espèce, il convient d’abord de noter que, saisie sur le terrain de l’article 8 de la Convention, la Cour est appelée à examiner, en utilisant les critères propres à ce domaine, la régularité d’une ingérence dans le droit au respect du domicile du requérant, et non à se prononcer sur la régularité de la procédure pénale menée contre ce dernier (voir, mutatis mutandis, Blaj c. Roumanie, no 36259/04, § 129, 8 avril 2014). Conformément aux griefs qu’elle a déclarés recevables en l’espèce, la Cour doit examiner la régularité des mesures litigieuses notamment au vu de la motivation des mandats et de certains aspects relatifs au déroulement des perquisitions.

63. Nul ne conteste en l’occurrence que les perquisitions de l’appartement du requérant, de son garage et de ses véhicules s’analysent en une ingérence dans son droit au respect du « domicile » au sens de l’article 8 de la Convention.

64. Il convient dès lors de déterminer si cette ingérence était justifiée au regard du paragraphe 2 de l’article 8, c’est‑à-dire si elle était « prévue par la loi », poursuivait un ou plusieurs buts légitimes et était « nécessaire », « dans une société démocratique », à la réalisation de ce ou ces buts.

65. La Cour rappelle qu’une ingérence ne saurait passer pour « prévue par la loi » que si, d’abord, elle a une base en droit interne. Conformément à la jurisprudence, le terme « loi » doit être entendu dans son acception « matérielle » et non « formelle ». Dans un domaine couvert par le droit écrit, la « loi » est le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l’ont interprété (Van Rossem, précité, § 38).

66. En l’occurrence, les perquisitions litigieuses reposaient sur les articles 82 et suivants du code de procédure pénale ainsi que sur l’article 160 § 4 qui permet, dans les situations d’urgence, de réaliser une perquisition avant même l’ouverture des poursuites pénales. La procédure formelle prévue par ces dispositions a été respectée en l’espèce puisque les perquisitions litigieuses ont été autorisées par le juge, à la demande du procureur, lui-même sollicité par la police.

67. Le requérant se plaint notamment que les mandats autorisant la police à effectuer les perquisitions litigieuses se bornaient pour l’essentiel à citer ou paraphraser les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale, dont l’article 160 § 4 explicitant la notion d’acte non susceptible de report.

68. La Cour constate que l’article 83 § 1 du code de procédure pénale, qui prescrit que le mandat doit être écrit et motivé, ne prévoit pas explicitement l’exigence d’exposer pour quels motifs la perquisition ne peut être reportée. C’est seulement l’autorité effectuant la perquisition qui a l’obligation, en application de l’article 160 § 4 in fine du CPP, d’indiquer dans le procès‑verbal les faits sur la base desquels la perquisition a été considérée comme non susceptible d’être reportée.

69. La pratique interne pertinente en la matière démontre que, lorsqu’elle est saisie d’un recours constitutionnel dirigé contre un mandat de perquisition adopté et mis en œuvre avant l’ouverture des poursuites pénales, la Cour constitutionnelle se penche sur la question de savoir si les motifs justifiant le caractère non susceptible de report de la perquisition ressortent de ce mandat, ou du moins du dossier, incluant le procès-verbal. Sur ce point, sa jurisprudence a connu certaines fluctuations, apparaissant notamment au vu de l’arrêt no II. ÚS 3073/10 du 10 mars 2011 et de la décision rendue six jours après dans l’affaire Duong (précitée). La Cour observe à ce titre que la pratique de la Cour constitutionnelle a évolué depuis les faits dénoncés par le requérant puisque le plénum de cette cour a adopté, le 7 mai 2014, l’arrêt no Pl. ÚS 47/13 (exposé au paragraphe 29 de l’arrêt Duong, précité) dans lequel il a résumé, précisé et complété la jurisprudence en la matière. Étant donné que ces développements sont postérieurs aux faits de l’espèce, la Cour juge qu’il n’y a pas lieu de les examiner.

70. La Cour rappelle à cet égard qu’il lui incombe non pas d’examiner in abstracto la législation et la pratique pertinentes en l’espèce, mais de rechercher si les conséquences que celles-ci ont eues sur le requérant ont enfreint la Convention. Il convient de noter en l’espèce que, à la suite du recours constitutionnel du requérant, la Cour constitutionnelle a examiné la conformité des mandats de perquisition litigieux aux dispositions applicables en la matière. S’étant penchée en particulier sur les motifs mentionnés en rapport avec le caractère non susceptible de report des perquisitions, elle a considéré que, du point de vue du droit constitutionnel, ces mandats étaient acceptables.

71. La Cour rappelle dans ce contexte qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et d’appliquer le droit interne. Elle ne peut mettre en cause l’appréciation des autorités internes que lorsque celle-ci est révélatrice d’un arbitraire évident (Syssoyeva et autres c. Lettonie (radiation) [GC], no 60654/00, § 89, CEDH 2007‑I), ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Ayant à l’esprit les contraintes d’une enquête, la Cour admet en effet que, dans les situations d’urgence, il peut s’avérer difficile d’asseoir un mandat de perquisition sur un raisonnement élaboré (voir, mutatis mutandis, Iliya Stefanov, précité, § 41). En l’occurrence, elle estime que les défauts des mandats litigieux dénoncés par le requérant, s’ils peuvent revêtir de l’importance pour les droits de la défense et la régularité de la procédure pénale, ne sont pas suffisamment graves pour priver de sa base légale l’ingérence dans les droits du requérant protégés par l’article 8.

72. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que l’ingérence était « prévue par la loi ».

73. La Cour observe que la perquisition a été effectuée dans le cadre d’une enquête préliminaire portant sur plusieurs actes d’extorsion, en amont de l’ouverture des poursuites pénales contre le requérant. Elle tendait à la recherche de preuves de l’existence de ces infractions et poursuivait donc les buts légitimes de la défense de l’ordre et de la prévention des infractions pénales.

74. La Cour souligne que, pour que l’ingérence dans les droits garantis par l’article 8 de la Convention, et en particulier le droit au respect du domicile, ne soit pas potentiellement illimitée et, partant, disproportionnée, le mandat de perquisition doit être assorti de certaines limites. Il doit dès lors comporter des mentions minimales permettant qu’un contrôle s’exerce sur le respect, par les agents qui l’ont exécuté, du champ d’investigation qu’il détermine. À cette fin, la personne visée doit disposer d’informations suffisantes sur les poursuites se trouvant à l’origine de l’acte en cause pour lui permettre d’en déceler, prévenir et dénoncer les abus (voir, mutatis mutandis, Van Rossem, précité, §§ 45 et 47). Dans le contexte des saisies et perquisitions, la Cour exige également que le droit interne offre des garanties adéquates et suffisantes contre l’arbitraire (Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, § 220, CEDH 2013 (extraits)).

75. Il convient de noter d’emblée, en l’espèce, que les perquisitions au domicile, dans le garage et les véhicules du requérant ont été effectuées avec l’autorisation préalable d’un juge. Eu égard au pouvoir d’appréciation que le droit national lui accorde, le juge ayant délivré les mandats litigieux était fondé à considérer, sur la base des éléments étayant la demande du parquet, que ces perquisitions s’imposaient pour recueillir les éléments de preuve concernant les infractions sur lesquelles la police était en train d’enquêter.

76. Étant donné que les perquisitions ont eu lieu avant l’ouverture d’une procédure pénale contre le requérant, c’est-à-dire avant qu’il eût été informé des indices et des charges retenus pour autoriser de telles ingérences, il y a lieu d’examiner si les termes des mandats en question et les circonstances entourant les perquisitions permettaient au requérant de s’assurer que ces ingérences se limitaient à la recherche des infractions dont il était soupçonné et d’en dénoncer d’éventuels abus (voir, mutatis mutandis, Van Rossem, précité, § 48).

77. La Cour note à cet égard que, selon les mandats de perquisition litigieux (paragraphe 12 ci-dessus), ces actes d’enquête avaient lieu pour les besoins de l’affaire pénale menée contre un groupe de personnes pour une activité d’extorsion grave et violente. Les mandats précisent les lieux à perquisitionner et indiquent les faits sur lesquels la police était en train d’enquêter, les premiers résultats de cette enquête et l’implication du requérant. Ils concluent que, dès lors, il existait des soupçons plausibles que ces lieux utilisés par le requérant puissent abriter les objets importants pour la procédure pénale qu’il faudrait saisir, tels des armes utilisées pour attaquer les victimes et leurs biens, les vêtements et chaussures portés lors des attaques contre les victimes et leurs biens, des équipements de télécommunication et d’informatique, des pièces écrites et d’autres.

78. Il y a également lieu de relever que ces mandats ont été notifiés au requérant. Sur ce point, la Cour ne perd pas de vue que, selon les parties, le requérant n’a été que brièvement informé du contenu du mandat concerné avant la perquisition de son appartement et que ce mandat lui a été notifié cinq minutes après le début de la perquisition (paragraphes 14 et 54 in fine ci-dessus). Elle estime cependant que, malgré ce retard mineur dans la notification du mandat, le requérant peut être considéré comme ayant été informé du « contexte » dans lequel la perquisition s’inscrivait, de sorte qu’il était à même de s’assurer, durant la perquisition, que cette mesure n’allait pas au-delà de ce qui était rendu nécessaire par les éléments que le juge avait pris en compte pour l’autoriser.

79. De plus, les perquisitions ont eu lieu en présence du requérant et d’une tierce personne (paragraphe 13 ci-dessus) ainsi que, pour ce qui est du véhicule Land Rover, de son avocat (paragraphe 15 ci-dessus) (voir, à l’inverse, Van Rossem, précité, §§ 48-50).

80. La Cour est d’avis que les éléments susmentionnés suffisent pour conclure que le requérant a été à même d’exercer de manière effective le contrôle qui devait pouvoir s’opérer sur l’étendue des perquisitions effectuées. Elle estime pouvoir parvenir à ce constat en dépit de la controverse entre les parties sur la question de savoir si le requérant a subi un interrogatoire préalable en bonne et due forme, question sur laquelle elle-même ne saurait se prononcer dès lors qu’elle n’a pas été examinée par la Cour constitutionnelle (paragraphes 43-47).

81. Quant aux garanties de procédure dont bénéficiait le requérant, la Cour rappelle que les perquisitions litigieuses ont été autorisées par le juge. À leur issue, la police a dressé des procès-verbaux qui, comme il ressort de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, contribuent à ce que la légalité d’un acte présumé non susceptible de report puisse être réexaminée lors d’un contrôle judiciaire a posteriori (voir, mutatis mutandis, Mastepan c. Russie, no 3708/03, § 43 in fine, 14 janvier 2010). En droit tchèque, ce contrôle peut être effectué soit par un tribunal statuant sur le bien-fondé de l’accusation, soit par la Cour constitutionnelle.

82. En l’occurrence, saisie du recours constitutionnel du requérant, la Cour constitutionnelle a effectué un contrôle de la conventionalité et, de l’avis de la Cour, ses considérations ne sauraient être qualifiées d’arbitraires ou de déraisonnables (paragraphes 70-71 ci-dessus). La Cour observe en outre que rien n’indique que le requérant aurait été empêché de contester l’irrégularité des mandats et des perquisitions elles-mêmes au cours de la procédure pénale menée à son encontre.

83. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le requérant bénéficiait de suffisamment de garanties contre l’arbitraire et que les manquements allégués par lui n’ont pas enfreint les exigences prévues par le second paragraphe de l’article 8.

Il n’y a donc pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

84. Les requérants dénoncent une violation de l’article 13 de la Convention en ce que, à l’exception du recours constitutionnel, ils n’auraient disposé d’aucun autre recours effectif pour soulever leurs griefs de méconnaissance de l’article 8 de la Convention. Ils reprochent également à la Cour constitutionnelle d’avoir refusé de se pencher sur une partie de leurs griefs ; ils se plaignent, par conséquent, de ne pas avoir pu obtenir un examen portant sur la réalisation des perquisitions litigieuses, faite selon eux au mépris de la loi.

85. L’article 13 de la Convention est libellé comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Arguments des parties

86. Le Gouvernement indique d’abord que, conformément au principe de subsidiarité, le recours constitutionnel devrait être dirigé contre la décision finale dans cette affaire et qu’il devrait également permettre de répondre à l’objection relative à l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée résultant d’une perquisition. Il ajoute qu’il est nécessaire de distinguer entre l’irrégularité du mandat lui-même et l’irrégularité de la réalisation de la perquisition. À cet égard, il expose que le mandat peut être exceptionnellement annulé par la Cour constitutionnelle, mais que l’irrégularité de la réalisation de la perquisition et l’inadmissibilité des preuves qui en sont issues dans la procédure pénale ne peuvent être constatées que par un tribunal du fond dans le cadre de l’administration des preuves à l’audience.

87. Le Gouvernement soutient que, en l’espèce, la décision sur le recours constitutionnel des requérants a respecté ces principes : ayant considéré que les mandats de perquisition étaient acceptables du point de vue du droit constitutionnel, la Cour constitutionnelle a refusé d’examiner les objections tirées d’une absence d’interrogatoire préalable et d’un non‑respect des conditions de l’article 84 du CPP ainsi que d’autres objections relatives à la réalisation des perquisitions, afin de ne pas s’ingérer dans le travail des tribunaux du fond et prédéterminer le résultat de la procédure pénale. Dès lors, d’après le Gouvernement, le requérant pourra soumettre ses griefs tirés de l’article 8 de la Convention à la Cour constitutionnelle après la fin de la procédure pénale devant les tribunaux du fond.

88. Le Gouvernement fait également observer que c’est le procureur qui veille au respect de la régularité de la phase préparatoire de la procédure pénale. Dès lors, le requérant aurait pu demander au procureur de réexaminer la conduite de la police, et ce sur le fondement de l’article 157a du CPP.

89. Tout en indiquant que les requérants n’allèguent pas avoir subi un préjudice du fait des perquisitions prétendument irrégulières, le Gouvernement fait néanmoins observer que le requérant pourra se prévaloir, à l’issue de la procédure pénale, de la loi no 82/1998 et que la requérante, qui n’a pas été poursuivie, aurait dû agir ainsi dans le délai de six mois à compter de la perquisition du véhicule Land Rover.

90. Selon les requérants, les observations faites par le Gouvernement au sujet des compétences de la Cour constitutionnelle sont contradictoires et ne sont pas corroborées par la jurisprudence de cette juridiction. Ils estiment que leur situation est analogue à celle examinée par la Cour dans l’affaire Michalák (précitée).

91. Les requérants contestent ensuite l’effectivité du recours prévu par l’article 157a du CPP, au motif que ce recours ne peut pas aboutir à une décision constatant la violation de leurs droits garantis par l’article 8 de la Convention, et encore moins à l’octroi d’une indemnisation.

92. D’après les requérants, en ce qui concerne une indemnisation au titre d’une décision irrégulière, fondée sur la loi no 82/1998, le premier d’entre eux ne pourrait y prétendre que si la procédure pénale se soldait par un non‑lieu ou un acquittement. La possibilité de demander une indemnisation au titre d’une conduite irrégulière de la police lors des perquisitions ne constituerait pas non plus une voie effective et prévisible. Le Gouvernement aurait manqué de soumettre des exemples de décisions, adoptées notamment par les juridictions supérieures ou suprêmes, démontrant la possibilité pour les intéressés d’obtenir une indemnisation du préjudice moral causé par les perquisitions ordonnées ou réalisées irrégulièrement.

93. Dès lors, les requérants sont d’avis qu’ils ne disposaient pas d’un recours susceptible de mener, d’une part, à la reconnaissance de la violation de leurs droits et, d’autre part, à l’octroi d’une réparation suffisante.

B. Appréciation de la Cour

94. La Cour constate d’emblée que, pour autant que ce grief est soulevé par la requérante, il doit être rejeté comme incompatible ratione personae avec la Convention, en application de l’article 35 § 4, faute pour la requérante de pouvoir se prétendre victime de la violation alléguée de l’article 13 (paragraphe 42 ci-dessus).

95. La Cour rappelle que le mot « recours » ne signifie pas « recours voué au succès » : ce terme recouvre simplement la notion de mise à disposition d’un recours auprès d’une autorité compétente pour en apprécier le bien‑fondé (voir, entre autres, Krča c. République tchèque (déc.), no 49476/99, 18 mars 2003, et Mašková c. République tchèque (déc.), no 46198/99, 13 mai 2003).

96. La Cour observe d’abord que, pour ce qui est de la demande de réexamen adressée au procureur sur le fondement de l’article 157a du CPP, invoquée par le Gouvernement, il ne ressort pas de la pratique de la Cour constitutionnelle que celle-ci exige systématiquement l’usage de ce recours : ainsi, dans sa décision du 13 février 2013 rendue en l’espèce, la Cour constitutionnelle n’a pas reproché au requérant de ne pas avoir exercé cette possibilité. De l’avis de la Cour, il serait dès lors trop formaliste d’exiger du requérant qu’il use d’un recours que même la juridiction suprême du pays ne l’obligeait pas à exercer (Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, § 76, 25 mars 2014).

En outre, cette demande ne peut viser que la conduite de la police lors de la réalisation de la perquisition, le parquet n’étant pas compétent pour se prononcer sur la légalité de la décision d’ordonner la perquisition. Même si la décision II. ÚS 2166/14 (citée au paragraphe 31 ci-dessus) indique que le procureur peut imposer à la police des mesures de redressement, constater lui-même que la perquisition était irrégulière et refuser les preuves obtenues lors de celle-ci, la Cour estime que sont en cause ici notamment des questions de validité des preuves et non la protection du domicile. En tout état de cause, elle ne dispose à ce jour d’aucun exemple d’une telle pratique. En l’état, on ne saurait donc considérer que ce recours aurait permis au requérant d’obtenir un examen effectif de ses griefs de méconnaissance de l’article 8 de la Convention.

97. La Cour observe ensuite que le grief du requérant tiré d’une motivation insuffisante des mandats de perquisition a été examiné au fond par la Cour constitutionnelle. Le fait que ce grief n’a pas été accueilli par cette juridiction n’emporte pas violation de l’article 13 de la Convention. Pour ce qui est des griefs restants, la Cour a déjà noté que le requérant aura l’occasion de les soulever dans un nouveau recours constitutionnel introduit à l’issue de la procédure pénale. Elle estime que rien ne permet à présent de considérer que cette voie ne mènerait pas à une appréciation du bien-fondé de ses doléances relatives à la réalisation des perquisitions (paragraphes 43‑45 ci-dessus). En cas de succès, le requérant pourrait en outre demander des dommages-intérêts en vertu de la loi no 82/1998.

98. Dès lors, la Cour est d’avis que le requérant dispose d’un recours effectif pour faire valoir son droit au respect du domicile.

99. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

100. Dans leur formulaire de requête, les requérants ont invoqué l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en s’appuyant sur les mêmes faits que ceux examinés sous l’angle de l’article 8 de la Convention et sans étayer ce grief par une argumentation spécifique quant à la saisie d’objets.

101. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief du requérant tiré de l’article 8 de la Convention et portant sur une motivation générale et formelle des mandats de perquisition, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 janvier 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-159799
Date de la décision : 14/01/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect du domicile)

Parties
Demandeurs : MASLÁK ET MICHÁLKOVÁ
Défendeurs : RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TOMAN R.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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