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15/12/2015 | CEDH | N°001-159208

CEDH | CEDH, AFFAIRE LOPES DE SOUSA FERNANDES c. PORTUGAL, 2015, 001-159208


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE LOPES DE SOUSA FERNANDES c. PORTUGAL

(Requête no 56080/13)

ARRÊT

STRASBOURG

15 décembre 2015

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 19/12/2017

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto

de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Iulia Antoanella Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière d...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE LOPES DE SOUSA FERNANDES c. PORTUGAL

(Requête no 56080/13)

ARRÊT

STRASBOURG

15 décembre 2015

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 19/12/2017

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Iulia Antoanella Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 novembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 56080/13) dirigée contre la République portugaise et dont une ressortissante de cet État, Mme Maria Isabel Lopes de Sousa Fernandes (« la requérante »), a saisi la Cour le 23 août 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été autorisée à assumer elle-même la défense de ses intérêts dans la procédure devant la Cour (article 36 § 2 in fine du règlement). Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, Procureure générale adjointe.

3. La requérante alléguait une violation matérielle et procédurale de l’article 2 de la Convention en raison du décès de son époux. Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, elle se plaignait aussi de la durée et de l’issue des procédures qu’elle avait engagées au niveau interne à cet égard.

4. Le 13 octobre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1969 et réside à Vila Nova de Gaia.

A. Les circonstances du décès de l’époux de la requérante

1. La prise en charge au centre hospitalier de Vila Nova de Gaia

6. Le 26 novembre 1997, l’époux de la requérante fut admis au service ORL du Centre hospitalier de Vila Nova de Gaia (« CHVNG ») afin d’être soumis à une polypectomie nasale (extraction des polypes nasaux).

7. L’opération eut lieu le lendemain, sans incidents particuliers.

8. Le 28 novembre 1997, à 10 heures, l’époux de la requérante sortit de l’hôpital et rentra chez lui. Pris de violents maux de tête, il se présenta aux urgences du CHVNG à 1 heure 30 du matin. Il fut examiné par les médecins de garde, notamment un neurologue. Ces derniers diagnostiquèrent des troubles d’ordre psychologique et lui prescrivirent des tranquillisants. Ils recommandèrent sa sortie de l’hôpital mais la requérante s’y opposa.

9. Le lendemain, à 9 heures, l’époux de la requérante fut observé par la nouvelle équipe médicale de garde. À 10 heures, il subit une ponction lombaire qui détecta une méningite bactérienne (Pseudomonas).

10. À 15 heures 30, il fut transféré à l’unité des soins intensifs de l’hôpital.

11. Le 30 novembre 1997, un scanner révéla l’existence d’un œdème cérébral.

12. L’époux de la requérante quitta les soins intensifs le 5 décembre 1997, après une amélioration de son état clinique. Il fut alors transféré vers l’unité D. de médecine générale de l’hôpital où il fut suivi par le docteur J. V.

13. Le 10 décembre, on lui diagnostiqua deux ulcères duodénaux.

14. Le 13 décembre, l’époux de la requérante fut autorisé à sortir de l’hôpital, son état ayant été considéré comme stable.

15. Cinq jours plus tard, il retourna aux urgences du CHVNG car il souffrait de vertiges et de maux de tête. Il fut examiné par le docteur J. V. qui le garda sous observation étant donné qu’il présentait des diarrhées aiguës, des douleurs abdominales et une forte anémie.

16. Le 19 décembre, il fut soumis à une endoscopie qui révéla un ulcère gastroduodénal.

17. Il sortit de l’hôpital le 23 décembre suivant, un traitement médicamenteux fut alors prescrit.

18. L’époux de la requérante continua à souffrir de violentes douleurs abdominales et de diarrhées. Le 9 janvier 1998, il retourna aux urgences de l’hôpital, il fut observé par le docteur J. V. qui ne jugea pas nécessaire de l’hospitaliser. Il rentra donc le jour même chez lui.

19. Le 25 janvier 1998, il fut à nouveau hospitalisé au CHVNG. Une colonoscopie mit en évidence une colite infectieuse avec ulcère. Des examens bactériologiques montrèrent aussi la présence dans l’organisme de la bactérie Clostridium difficile.

20. L’époux de la requérante fut placé sous perfusion et sous traitement antibiotique.

21. À la demande de la requérante et de son époux, le 3 février 1998, le docteur J. V. autorisa la sortie de l’hôpital. Il prescrivit un traitement par voie orale et orienta ce dernier vers les consultations externes de l’hôpital pour la suite.

2. La prise en charge à l’hôpital général Saint-Antoine

22. Le 17 février 1998, l’époux la requérante se rendit à l’hôpital général Saint-Antoine à Porto. Il fut hospitalisé le jour-même après qu’on eut constaté qu’il souffrait de diarrhées chroniques, avec une anémie microcytaire. Il fut soumis à divers examens dont une coloscopie, une endoscopie et des analyses de sang. L’équipe médicale émit plusieurs hypothèses, notamment la possibilité d’une colite pseudomembraneuse, d’une infection par la bactérie de Clostridium difficile ou de la maladie de Crohn. Elles furent finalement toutes écartées.

23. L’état de l’époux de la requérante empira.

24. Le 5 mars 1998, il fut observé par un médecin qui jugea la situation sous contrôle. Son état s’aggrava le jour suivant. Il fut observé par un médecin qui émit l’hypothèse d’une perforation viscérale. Il fut alors soumis à une radiographie et une échographie abdominale qui révéla la présence d’ascite dans l’abdomen. À 17 heures 30, il fut à nouveau observé par un médecin. Une rectosigmoïdoscopie fut réalisée, celle-ci mit en évidence une rectocolite. Face à l’aggravation des douleurs abdominales, l’intervention d’un chirurgien fut jugée nécessaire.

25. Le 7 mars 1998, à 13 heures, l’époux de la requérante fut mis sous oxygène.

26. À 15 heures, il fut examiné par un médecin généraliste puis trente minutes plus tard, par un chirurgien. Constatant l’existence d’une péritonite généralisée, ce dernier jugea qu’il était nécessaire d’opérer de façon imminente. L’époux de la requérante entra au bloc opératoire à 16 heures, il sortit quelques minutes plus tard afin d’être préparé pour l’intervention chirurgicale, une transfusion sanguine fut notamment réalisée. Il entra à nouveau au bloc opératoire à 20 heures et sortit une heure et demie plus tard, inconscient. Il décéda le jour suivant, à 2 heures 55.

27. Selon le certificat de décès délivré par l’hôpital Saint-Antoine, l’époux de la requérante est décédé des suites d’une septicémie causée par une péritonite et la perforation d’un viscère creux.

B. Les procédures engagées par la requérante

28. Le 13 août 1998, la requérante adressa une lettre commune au ministère de la Santé, à l’administration régionale de la santé (ARS) du Nord et à l’Ordre des médecins. Elle y indiquait n’avoir pas obtenu des réponses des hôpitaux pour comprendre la dégradation soudaine de l’état de santé de son époux et son décès.

1. La procédure devant l’Inspection générale de la Santé (procédure interne no 111/00 PA)

29. Les 30 octobre et 23 décembre 1998, l’ARS du Nord envoya à la requérante une copie des rapports qui avait été établis par le CHVNG et l’hôpital Saint-Antoine à partir du dossier médical de son époux.

30. Le 30 mai 2000, la requérante demanda à l’ARS du Nord des informations sur l’avancement de la procédure, estimant n’avoir toujours pas reçu des explications claires concernant les événements qui avaient précédé le décès de son époux. Dans une lettre du 5 juillet 2000, l’administration lui indiqua que le dossier avait été renvoyé devant l’inspection générale de la santé (IGS) en vue de l’ouverture d’une enquête.

31. Par une ordonnance du 20 septembre 2000, l’inspecteur général de la santé ordonna la réalisation d’une enquête (processo de averiguações).

32. Le 6 novembre 2001, un inspecteur fut désigné pour diriger l’enquête.

33. Le 7 février 2002, l’IGS informa la requérante que l’équipe médicale qui avait pris en charge son époux allait être entendue et qu’une expertise médicale allait être réalisée.

34. La requérante fut entendue le 3 avril 2002.

35. Le 23 septembre 2002, des expertises médicales furent demandées. Les rapports d’experts en médecine générale, gastroentérologie et chirurgie générale furent présentés en novembre 2002. Ils indiquaient qu’il n’aurait pas été possible de sauver la vie de l’époux de la requérante compte tenu de l’aggravation de son état de santé après la polypectomie nasale.

a) Première décision

36. Le rapport d’enquête fut rendu le 28 novembre 2002. Il concluait que l’époux de la requérante avait été pris en charge de façon adéquate en s’appuyant sur les expertises médicales qui avaient été rendues.

37. Par une ordonnance du 12 décembre 2002, l’inspecteur général de la santé déclara l’enquête close, jugeant qu’il n’y avait pas eu de négligence médicale et qu’il n’y avait pas lieu d’ouvrir des poursuites disciplinaires à l’encontre des médecins qui avaient apporté des soins à l’époux de la requérante.

38. Par une lettre du 17 février 2003, la requérante contesta l’ordonnance. Dénonçant des incertitudes, la durée de l’enquête et ses conclusions, elle estimait que le rapport final ne répondait pas à ses questions.

39. Le 28 mars 2003, l’inspecteur général de la santé informa la requérante qu’il avait annulé son ordonnance du 12 décembre 2002 et ordonné la réouverture de l’enquête.

b) Deuxième décision

40. Le 26 septembre 2005, en tenant compte des questions qui avaient été soulevées par la requérante, des informations complémentaires furent demandées aux experts médicaux.

41. Un nouveau rapport d’enquête fut rédigé le 23 novembre 2005, clarifiant les faits et rendant compte des réponses apportées par les trois experts médicaux. Le rapport indiquait qu’il n’y avait pas lieu de mettre en cause le personnel de santé qui était intervenu auprès de l’époux de la requérante au CHVNG et à l’hôpital Saint-Antoine car celui-ci avait bénéficié d’une assistance médicale correcte et juste du point de vue du diagnostic, du suivi et du traitement thérapeutique. Il relevait en outre que les autorisations de sortie étaient justifiées compte tenu de l’amélioration de son état de santé. Le rapport concluait dans les termes suivants :

« Les résultats de l’enquête (...) suite à la réouverture de la procédure avec réalisation de nouvelles recherches et de nouveaux rapports médicaux, ne permettent pas d’indiquer qu’il y a une conduite ou des conduites négligentes ou imprudentes, ne respectant pas les règles de l’art. Il n’y a donc pas lieu de prononcer une censure juridico-disciplinaire à quiconque est intervenu auprès du [malade] (...) »

42. En tenant compte de ce rapport, l’inspecteur général de la santé prononça une nouvelle ordonnance de non-lieu le 27 décembre 2005.

43. Par une lettre du 1er février 2006, la requérante contesta cette ordonnance, dénonçant des imprécisions et des omissions. Elle demandait en outre à savoir si l’aggravation soudaine de l’état de santé de son époux et finalement son décès avaient pu être causés par une bactérie présente au bloc opératoire le jour de la polypectomie nasale, si les diagnostics n’avaient pas été précipités et s’il n’y avait pas eu de négligence et d’imprudence dans la prise en charge médicale de son époux. Elle réclamait ainsi la réouverture de l’enquête et la réalisation d’une nouvelle expertise médicale.

44. Par une lettre du 2 mars 2006, l’inspecteur général de la santé informa la requérante qu’il avait annulé son ordonnance et ordonné la réalisation de nouvelles expertises de médecine interne et gastroentérologie par d’autres experts.

c) Troisième décision

45. La requérante fut à nouveau entendue le 27 avril 2006.

46. Le 20 mai et le 10 juillet 2006, les experts médicaux déposèrent leurs rapports. L’expert gastroentérologue considérait qu’il était rare mais possible qu’une polypectomie nasale provoque une méningite. Il estimait en outre que la prise en charge de l’époux de la requérante avait été adéquate mais que l’autorisation de sortie donnée le 3 février 1998 n’avait peut-être pas été prudente vu son état clinique. Il concluait que l’époux de la requérante avait été victime d’une série de complications, peu fréquentes mais possibles et qu’il avait reçu un accompagnement médical adéquat au CHVNG. Quant à la prise en charge à l’hôpital Saint-Antoine, il considérait que l’état de santé de l’époux de la requérante était extrêmement compliqué et avait soulevé des doutes quant à la meilleure façon d’agir. Dans son rapport, l’expert de médecine interne écarta la thèse d’une infection nosocomiale au motif que, le cas échéant, les antibiotiques qui lui avaient été administrés auraient été sans effets. Selon lui, la méningite est apparue de façon inattendue. Il considérait par ailleurs que l’autorisation de sortie donnée le 3 février 1998 avait été adéquate mais qu’il aurait fallu maintenir un suivi à l’extérieur de l’hôpital.

47. Le 25 juillet 2006, un rapport fut dressé à l’issue de l’enquête, concluant dans les termes suivants :

« (...)

Le contenu des derniers rapports des experts médicaux montre (...) qu’il n’y a pas de raisons pour imputer à un quelconque professionnel de la santé étant intervenu auprès de A. une responsabilité disciplinaire pour conduite négligente dans la prise en charge médicale (...).

(...) la décision du médecin assistant [J.V.] d’orienter le malade vers les consultations externes ne s’est pas révélée suffisante et adéquate du point de vue clinique dans la mesure où, afin de prévenir à nouveau l’apparition de la colite par Clostridium difficile (...), ce dernier aurait dû être resté hospitalisé sous surveillance médicale rigoureuse (...).

(...)

Ainsi, le médecin en question n’a pas agi avec la prudence et le zèle qui s’imposaient, encourant en responsabilité disciplinaire en raison de sa conduite négligente dans l’assistance médicale apportée (...) à l’unité D. du service de médecine du CHVNG entre le 25 janvier et le 3 février 1998.

Quant à l’assistance apportée au service de gastroentérologie de l’hôpital général de Saint-Antoine, à Porto, les avis médicaux n’expriment aucune critique (...). »

48. En tenant compte de ce rapport, par une ordonnance du 26 juillet 2006, l’inspecteur général ordonna l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre du docteur. J. V. L’issue de celle-ci n’est pas précisée.

2. La procédure devant l’Ordre des médecins (procédure no 46/98)

49. Le 31 août 1998, l’Ordres des médecins accusa réception de la lettre de la requérante du 13 août, en lui indiquant que des démarches allaient être entreprises pour y répondre.

50. L’affaire fut renvoyée devant le Conseil disciplinaire régional du Nord de l’Ordre des médecins qui, après avoir obtenu le dossier médical du patient, demanda des avis aux collèges de spécialités (Colégios de especialidades) de l’Ordre des médecins suivants :

. ORL,

. Maladies infectieuses,

. Chirurgie générale et

. Gastroentérologie.

51. Dans un rapport du 14 juillet 1999, le collège de gastroentérologie concluait comme suit :

« (...)

Dans une radiographie simple de l’abdomen, le jour précédent le décès du malade, il n’a pas été détecté de dilatation ou perforation du colon.

La mort du malade a été causée par une péritonite en raison de la perforation de l’ulcère duodénal. Les difficultés du point de vue du diagnostic sont compréhensibles vu le contexte clinique grave et dans la mesure où la maladie inflammatoire au colon expliquait les douleurs abdominales.

La responsabilité des corticoïdes dans l’aggravation ou la réactivation de l’ulcère peptique (...) n’est pas considérée à l’heure actuelle comme un facteur de risque (...). Cependant, étant donné que le malade avait déjà vécu un épisode d’hémorragie digestive, il aurait été justifié de pondérer l’usage de ces produits pharmaceutiques.

(...)

Les autorisations de sortie [de l’hôpital] peuvent avoir retardé le diagnostic ou l’application d’un traitement plus précoce. Néanmoins, l’analyse des documents qui m’ont été remis ne permet pas de confirmer si un diagnostic ou un traitement programmé a pu être affecté par ces autorisations de sortie.

(...) »

52. Les conclusions du rapport du 13 décembre 1999 du collège des maladies infectieuses étaient les suivantes :

« 1. À notre avis, le diagnostic de méningite, conséquence probable de la polypectomie nasale, a été retardé de façon inexplicable, l’absence au sein de l’équipe d’urgence d’un élément de l’équipe médicale avec une formation pour ce type de diagnostic (par exemple un infectiologue) pouvant être considérée comme l’unique raison d’un tel incident. Cependant, ceci n’a pas été la cause immédiate de la fin fatale qu’a connue le malade.

2. Nous considérons que le laps de temps qui s’est écoulé entre le diagnostic de la perforation de l’ulcère duodénal et l’intervention chirurgicale a été trop long.

3. Une autopsie n’ayant pas été pratiquée, ce qui serait obligatoire (mandatória) dans ce type de cas, pour tenter d’expliquer la chaîne des évènements, la procédure perd une valeur inestimable. »

53. Dans un rapport du 24 avril 2001, le collège de chirurgie générale considéra qu’il n’y avait pas eu négligence ou mauvaise pratique médicale dans les hôpitaux concernés. Il s’exprima ainsi :

« 1. La perforation de l’ulcère duodénal requiert une intervention chirurgicale le plus tôt possible. Dans la présente situation, le diagnostic de la perforation de l’ulcère duodénal (...) est difficile voire impossible eu égard au contexte clinique dans lequel elle est survenue. Il faut ajouter à cela que, compte tenu de la gravité de l’état clinique du malade, l’approche chirurgicale a dû être pondérée et que le malade a dû être préparé avec diverses mesures.

(...) ».

54. Par un rapport du 1er août 2001, le collège d’ORL concluait ainsi :

« 1. La méningite postchirurgie micro-endoscopique aux polypes nasaux est décrite comme une des complications (majeure) de ce type de chirurgie, estimée dans la littérature à 0,6 % à 1 %. Ces pourcentages seront plus élevés s’il s’agit d’une nouvelle intervention comme en l’espèce (chirurgie réalisée en 1993 tel qu’indiqué à la page 314 du dossier relatif à l’opération).

2. Le TC cérébral post-opératoire effectué le 29 novembre 1997 ne montre aucune solution de continuité des os de la base du crâne (...) ce qui indique qu’il n’y a pas eu invasion endocrânienne chirurgicale.

3. La description de la chirurgie réalisée sur le malade le 26 novembre 1997 (page 310 du dossier) ne montre pas qu’il y ait pu y avoir mauvaise pratique clinique ou négligence.

4. Dans le cadre de toutes les hospitalisations postérieures au C.H. de Vila Nova de Gaia et à l’hôpital Saint-Antoine, il n’y a pas eu d’intervention d’ORL. »

55. Par une ordonnance du Conseil disciplinaire régional du Nord du 28 décembre 2001, la plainte de la requérante fut classée sans suite au motif qu’aucune mauvaise conduite ou négligence médicale n’avait été mise en évidence. Le Conseil disciplinaire releva ce qui suit :

. que la méningite était une complication pouvant survenir dans les 0,6 à 1% des cas après une polypectomie nasale, ces pourcentages pouvant être plus élevés dans le cas d’une nouvelle intervention, comme dans le cas concret ;

. que l’époux de la requérante avait été pris en charge de façon adéquate pendant les différentes hospitalisations ;

. que le traitement de la méningite bactérienne (Pseudomonas) avait été adéquat ;

. que, même si le Collège des maladies infectieuses suggérait que la présence d’un infectiologue aurait pu permettre de faire un diagnostic plus précoce, cet élément n’avait pas déterminé l’évolution de la situation clinique ;

. que la perforation de l’ulcère duodénal avait été la cause de la péritonite et que celle-ci avait été diagnostiquée avec difficulté compte tenu de la gravité de l’état clinique du malade, comme l’avaient reconnu les collèges de gastroentérologie et de chirurgie générale ;

. que, même si le Collègue des maladies infectieuses considérait que le laps de temps écoulé entre le diagnostic de la perforation de l’ulcère duodénal et l’intervention chirurgicale avait été trop long, le temps pris pour la préparation de l’opération était justifié étant donné que le patient souffrait d’une maladie intestinale, présentait une anémie grave, un sepsis et un déséquilibre hydro-électrolytique, comme l’avait relevé le collège de chirurgie générale.

56. Le 29 avril 2002, la requérante présenta un recours contre l’ordonnance devant le Conseil national disciplinaire de l’Ordre des médecins. Le 18 mars 2003, celui-ci le déclara irrecevable au motif qu’il avait été introduit tardivement.

3. La procédure pénale

57. Le 29 avril 2002, la requérante saisit le département d’investigation et action pénale de Porto d’une plainte pour homicide par négligence.

58. Elle fut entendue le 7 juin 2002.

59. Par une ordonnance du tribunal d’instruction criminelle du 27 septembre 2002, la requérante fut autorisée à intervenir en qualité d’assistente (auxiliaire du ministère public) dans le cadre de la procédure.

60. Le 6 décembre 2007, le parquet présenta ses réquisitions, inculpant le docteur J. V. pour homicide par négligence grave (grosseira). Pour appuyer sa décision, il s’appuya sur le rapport joint à l’ordonnance du 25 juillet 2006 de l’IGS. Il considéra que le docteur J. V. n’aurait pas dû autoriser la sortie de l’époux de la requérante le 3 février 1998 dans la mesure où il présentait un état clinique problématique et qu’il avait été touché par la bactérie de Clostridium difficile.

61. L’affaire fut renvoyée devant le tribunal de Vila Nova de Gaia. Au cours du procès, le tribunal entendit la requérante, l’accusé, huit médecins qui étaient intervenus auprès de l’époux de la requérante au CHVNG et à l’hôpital Saint-Antoine et les cinq experts médicaux qui avaient été nommés dans le cadre de la procédure devant l’IGS. Le tribunal demanda également l’avis du Conseil disciplinaire de l’Ordre des médecins.

62. Le 15 janvier 2009, le tribunal prononça un jugement de non-lieu. Il estima que les conclusions auxquelles était parvenue l’IGS dans son ordonnance du 26 juillet 2006 ne pouvaient être prises en considération étant donné qu’elles n’avaient pas été confirmées par les cinq experts médicaux entendus au cours du procès.

En ce qui concerne les faits, le tribunal considéra comme établi ce qui suit :

« L’hospitalisation effectuée le 18 décembre 1997 (...) n’est pas survenue à cause d’un manque de suivi médical de l’évolution clinique du patient (...) étant donné qu’elle était sans rapport avec les complications dérivées de la méningite. Elle a résulté, plutôt, de l’anémie aigüe provoquée par une hémorragie digestive causée par une maladie ulcéreuse duodénale » ;

« Les autorisations de sortie prises le 13 et le 23 décembre 1997 ont été adéquates étant donné que, dans le premier cas, le problème de la méningite bactérienne était résolu, qu’il [le patient] avait terminé l’antibiothérapie, qu’il ne présentait plus de symptômes, n’avait pas de fièvre, présentait une légère leucocytose, une neutrophilie en baisse et une vitesse de sédimentation normale et qu’il ne se plaignait pas (...) et, dans le second cas, c’est-à-dire l’hospitalisation du 18 au 23 décembre 1997, le patient ne se plaignait pas de douleurs algiques abdominales, de diarrhées et de pertes hématiques (...) ce qui permettait de maintenir la thérapie diététique, antiulcéreuse en régime ambulatoire avec un suivi en consultation externe. »

« Lors de l’admission du patient à l’hôpital Saint-Antoine, des examens ont été effectués en laboratoire en vue de permettre la détection du Clostridium difficile. Le résultat a été négatif à deux reprises. »

S’agissant de l’intervention chirurgicale qui a précédé la mort de l’époux de la requérante, le tribunal releva ce qui suit :

. « le patient présentait un cadre clinique très grave, avec un choc septique et une dysfonction multiple des organes. C’est pourquoi une ventilation artificielle a été appliquée avec l’administration de médicaments vaso-actifs et fluides (...), accompagnés d’hydrocortisone pour compenser une éventuelle insuffisance surrénalienne aiguë (falência supra-renal aguda), ainsi que d’antibiotiques à large spectres » ;

. « face à ce cadre médical, le pronostic vital était très réservé étant donné le choc septique avec dysfonction multiple des organes » ;

. « par conséquent, une radiographie abdominale simples et une échographie abdominale et pelvienne ont été demandées, celles-ci n’ayant alors pas mis en évidence une perforation intestinale ».

Le tribunal jugea qu’il n’avait pas été prouvé que l’accompagnement de l’époux de la requérante pendant son hospitalisation entre le 25 janvier et le 3 février 1998 n’avait pas été conforme à l’art médical et qu’il aurait dû être maintenu plus longtemps à l’hôpital.

63. Le tribunal en conclut qu’il n’existait pas de lien de causalité entre les soins apportés par le docteur J. V. à l’époux de la requérante au CHVNG et son décès qui, en l’occurrence :

« (...) avait été causé par une perforation viscérale qui n’avait aucun rapport avec la maladie du colon soignée par l’accusé, le Clostridium difficile (...) ».

Et en déduisit que :

« (...) aucun élément n’a démontré que le traitement que l’accusé a apporté au Clostridium difficile ait été incomplet, que l’autorisation de sortie donnée le 3 février 1998 ait été précoce, en somme, que l’accusé était responsable de la mort survenue le 8 mars 1998. »

64. La requérante ne fit pas appel du jugement.

4. La procédure devant le tribunal administratif et fiscal de Porto

65. Le 6 mars 2003 la requérante introduisit une action en responsabilité civile devant le tribunal administratif et fiscal de Porto contre le CHVNG, l’hôpital Saint-Antoine et les huit médecins qui étaient intervenus auprès de son époux pendant ses séjours hospitaliers, réclamant des dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison de la mort de son époux. Elle alléguait, entre autres :

. que la méningite qui avait touché son époux avait été causée par la bactérie Pseudomonas cepacia présente dans le bloc opératoire lors de la polypectomie nasale ;

. que la méningite avait été diagnostiquée trop tard, ce qui avait laissé évolué gravement la maladie ;

. que l’administration de médicaments à trop fortes doses et l’absence d’une prophylaxie adaptée avaient été la cause de l’ulcère duodénal ayant provoqué sa mort.

66. Pour mener cette procédure, la requérante bénéficia de l’aide judiciaire dans les modalités de dispense du paiement des frais de justice et des honoraires d’un avocat qu’elle avait choisi.

67. Entre le 4 et le 24 avril 2003, les huit médecins contestèrent leur qualité de défendeurs (ilegitimidade passiva) en s’appuyant sur l’article 2 le décret-loi no 48051 du 21 Novembre 1967.

68. Le 16 avril 2007, le tribunal rendit une décision préparatoire (despacho saneador) spécifiant les faits considérés comme établis et ceux qui restaient à établir. Conformément à l’article 2 du décret-loi no 48051 du 21 Novembre 1967, il considéra par ailleurs que les médecins défendeurs n’avaient pas qualité (ilegitimidade passiva) dans la mesure où ils n’étaient poursuivis que pour conduite négligente. Par conséquent, il déclara la demande recevable uniquement à l’encontre des hôpitaux.

69. Le 17 janvier 2011, la requérante fut entendue.

70. Au cours de trois audiences, le tribunal entendit les témoins suivants :

. onze médecins qui étaient intervenus auprès de l’époux de la requérante aux cours des différentes hospitalisations au CHVNG et à l’hôpital Saint‑Antoine ;

. le médecin traitant de l’époux de la requérante ;

. deux médecins amis de la famille ;

. l’inspecteur qui avait rédigé le rapport final à l’issue de l’enquête au sein de l’IGS et

. les experts médicaux en gastroentérologie et en médecine interne dont les rapports avaient fondé la dernière décision de l’IGS.

71. Par une ordonnance du 24 mai 2011, le tribunal rendit une ordonnance concernant les faits. En tenant compte du dossier médical de l’époux de la requérante et des différentes déclarations faites par les témoins qui avaient été entendus, le tribunal considéra, entre autres, comme établi :

. que la polypectomie est une opération chirurgicale simple, présentant un risque minime et que le patient avait été éclairé à cet égard ;

. que le bloc opératoire était aseptique et stérilisé au moment de la réalisation de la polypectomie ;

. que l’origine de la bactérie en lien avec la méningite diagnostiquée n’avait pas été prouvée, écartant la thèse de l’infection nosocomiale en rappelant que le cas échéant, le traitement prescrit aurait été sans effet ;

. que les médicaments prescrits au CHVNG et à l’hôpital Saint-Antoine peuvent provoquer des effets indésirables au niveau intestinal et, ainsi, donner lieu à une colite ;

. que l’époux de la requérante avait bénéficié d’un traitement gastroprotecteur au CHVNG ;

. que la perforation gastro-duodénale n’avait été détectée qu’au moment de l’opération et

. que l’époux de la requérante était décédé des suites d’une septicémie causée par une péritonite dérivée de la perforation d’une viscère creuse.

72. Le 23 janvier 2012, le tribunal administratif et fiscal de Porto prononça son jugement, déboutant la requérante de ses prétentions. Concernant les faits, le jugement expose ce qui suit :

. « La bactérie- Pseudomonas. était résistante aux divers antibiotiques testés (...). »

. « Lorsque le patient se rendit le 18 décembre 1997 à l’hôpital de Vila Nova de Gaia, la méningite bactérienne était complètement soignée. »

. « Le 25 janvier 1998, le patient s’est dirigé à nouveau à l’hôpital de Vila Nova de Gaia où on lui a diagnostiqué une colite pseudomembraneuse par Clostridium difficile (...). Cette colite a été traitée et guérie dans cet hôpital (...) ;

. « À l’hôpital de Vila Nova de Gaia, il a toujours fait une thérapie gastro-protectrice ».

. « À la date de l’hospitalisation (le 17 février 1998 à l’hôpital Saint-Antoine), il présentait une diarrhée chronique (...) et on lui diagnostiqua une possible maladie inflammatoire intestinale puis prescrit des médicaments conformes à ce diagnostic. »

. « Pendant l’hospitalisation à l’hôpital Saint-Antoine, il a été observé et soumis à un traitement médicamenteux quotidiennement et soumis à différents examens. »

. « Le 6 mars 1998 (...) rien ne permettait de prévoir la perforation gastroduodénale (...) les examens réalisés ce jour-ci (...) n’ont pas confirmé une quelconque perforation duodénale, imposant la surveillance de la situation » ;

. « C’est seulement le 7 mars 1998 que le syndrome abdominal aigu a été diagnostiqué, avec l’exigence d’une intervention chirurgicale urgente (...) c’est seulement pendant l’opération qu’il a pu être constaté que le patient souffrait d’une perforation duodénale » ;

. « Cette performation est survenue 24 heures avant l’intervention chirurgicale ».

Le jugement concluait dans les termes suivants :

« (...) vu les éléments de fait établis, il n’est pas possible de déterminer à quel moment les défendeurs ont enfreint, par action ou omission, les règles de l’art (...).

Il est considéré comme établi que le décès de A. R. a été causé par le sepsis résultant d’une péritonite par perforation de l’ulcère duodénal (...).

Aucun doute n’est resté sur le diagnostic de méningite, la procédure adoptée, la séquence thérapeutique suivie et la résolution du problème, tous les types de séquelles ayant été dûment expliqués.

Ainsi, il n’y a pas eu de divergences s’agissant de la nécessité de prescrire et d’employer des antibiotiques par rapport à la méningite et aux autres situations ayant touché A.R., même s’il a été expliqué que la colite est un déséquilibre bactérien provoqué par la prise d’antibiotiques (ceux-là mêmes qui sont indésirables au niveau de la flore intestinale).

Néanmoins, il n’a pas été possible de déterminer l’agent ou d’identifier la cause de la bactérie liée à la méningite, il n’a donc pas été possible de savoir, avec assurance et certitude, si la chirurgie aux sinus a été l’origine du problème ou seulement un élément qui a provoqué l’infection. Les autres facteurs ou circonstances ayant précédé l’opération (...) finissent ainsi par ne plus être pertinents.

Il n’en reste pas moins surprenant que le décès de l’époux de la demanderesse soit survenu (...), alors que celui-ci était en bonne santé et robuste et que la microchirurgie aux sinus était une opération simple. Cela dit, il n’a pas été prouvé que A. ait fait l’objet, à un quelconque moment, d’une thérapeutique ou traitements médicamenteux non adaptés à sa situation clinique. Il n’y a donc pas eu violation des règles de l’art (ni par action ni par omission) ; il manque, dès lors, une des conditions cumulatives déterminant la responsabilité civile : le fait illicite. »

73. La requérante attaqua le jugement devant la Cour suprême administrative. Contestant les faits jugés comme établis, elle estimait que seules les circonstances ayant précédé, entouré et suivi l’opération pouvaient permettre de comprendre le type de bactérie qui avait touché son époux. Elle réitérait en outre que son époux avait contracté une infection nosocomiale et n’avait pas été pris en charge de façon adéquate, ni au CHVNG, ni à l’hôpital Saint Antoine.

74. Le 26 février 2013, la Cour suprême prononça un arrêt de rejet, confirmant le jugement du tribunal administratif et fiscal de Porto. La Cour suprême refusa tout d’abord de revoir les faits qui avaient été considérés comme établis par le tribunal au motif que les audiences tenues n’avaient pas été enregistrées et qu’aucun document nouveau n’avait été présenté pour mettre en cause les preuves qui avaient fondé la décision du tribunal. Elle conclut son arrêt comme suit :

« Le tribunal a quo a considéré, en résumé, qu’il n’avait pas été possible d’identifier la nature et l’origine de la bactérie qui a provoqué la méningite et qu’il n’avait pas été démontré que les pathologies postérieures au traitement et la guérison de cette maladie (...) aient été la conséquence d’un mauvais diagnostic ou traitement.

Et c’est pour cela qu’il a conclu que n’avait pas été démontrée une quelconque violation des règles de l’art ayant pu être la cause de la mort du patient.

La demanderesse oppose à ce jugement une autre vision des choses. Mais elle se fonde essentiellement, sur des faits qui n’ont pas été prouvés, en particulier, que la méningite a été causée par une bactérie Pseudomonas, d’origine hospitalière (...) et que le patient n’a pas reçu un traitement thérapeutique prophylactique gastro-protecteur convenable durant le traitement par antibiotiques.

Tout se résume, de cette façon, a une supposée négligence médicale ne s’appuyant pas sur les faits établis »

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

75. L’article 64 de la Constitution garantit le droit à la santé et un service national de santé universel qui, en tenant compte des conditions économiques et sociales des citoyens, s’oriente vers la gratuité.

76. Approuvée par la loi no 48/90 du 24 août 1990, la loi sur la santé pose le principe selon lequel les soins de santé sont dispensés par des services et des établissements de l’État et, sous son contrôle, par d’autres entités publiques ou privées, à but lucratif ou non. Selon la base XIV de cette loi, l’usager du système de santé a, entre autres, le droit de choisir librement son praticien et son établissement de santé, de recevoir ou refuser les soins proposés, d’être traité de façon adéquate, humaine, avec promptitude et respect, d’être informé de sa situation, des alternatives possibles de traitement et de l’évolution probable de son état de santé, de se plaindre de la manière dont il est traité et le cas échéant, de recevoir une indemnisation pour les préjudices subis.

77. La loi sur la santé est réglementée par le décret-loi no 11/93 du 15 janvier 1993 qui a approuvé le Statut du système national de santé (Estatuto do sistema nacional de saúde). En vertu de l’article 38, il appartient à l’État de contrôler les établissements de santé, le ministère de la Santé devant fixer les normes de qualité des prestations, sans préjudice des fonctions attribuées à l’Ordre des médecins et à l’Ordre des pharmaciens.

78. Au moment des faits, régie par le décret-loi no 291/93 du 24 août 1993, l’Inspection générale de la santé (Inspeção-Geral da Saúde- IGS) était un service au sein du ministère de la Santé doté d’une autonomie technique et administrative (article 1), qui avait notamment pour compétence de contrôler l’activité et le fonctionnement des établissements de santé (article 3 § 1 a)) et d’instaurer les procédures disciplinaires (article 3 § 2 b). L’IGS était dirigée par un inspecteur général à qui il appartenait, entre autres, d’ordonner l’ouverture de procédures d’enquête et de statuer à l’issue de celles-ci (article 5 h)). En vertu du décret-loi no 275/2007 du 30 juin 2007, l’Inspection générale de la santé est devenue l’Inspection générale des activités de la santé (IGAS). Celle-ci dispose de compétences plus larges, lesquelles s’étendent aux organismes privés.

79. Régie au moment des faits par le statut de l’Ordre des médecins adopté par le décret-loi no 282/77 du 5 juillet 1977 dans sa rédaction issue du décret-loi no 217/94 du 20 août 1994, l’Ordre des médecins est un organe indépendant qui veille au maintien des compétences du corps médical et au respect du code de déontologie. Les collèges de spécialités (Colégios de especialidades) sont des organes de l’Ordre des médecins rassemblant les médecins de différentes spécialités (article 87 du statut de l’Ordre des médecins).

80. L’Ordre des médecins est compétent en matière disciplinaire, ce qui n’exclut pas d’autres procédures disciplinaires prévues par la loi (article 3 du statut disciplinaire des médecins approuvé par le décret-loi no 217/94 du 20 août 1994). Il appartient aux Conseils disciplinaires régionaux d’instaurer les procédures disciplinaires à l’encontre des médecins de leur ressort (article 4). Les décisions des Conseils disciplinaires régionaux peuvent être attaquées devant le Conseil national de discipline (Conselho Nacional de Disciplina) dans un délai de huit jours (articles 44 et 45).

81. L’article 137 du code pénal punit la négligence médicale d’une amende ou d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans et cinq ans en cas de négligence grave (grosseira).

82. Au moment des faits, la responsabilité civile extracontractuelle de l’État était régie par le décret-loi no 48051 du 21 Novembre 1967 dont l’article 2 se lisait ainsi :

« 1. L’État et autres personnes morales publiques sont civilement responsables envers des tiers pour des actes offensifs de leurs droits ou des dispositions légales destinées à protéger leur intérêts, des suites d’actes illicites pratiqués avec faute par les organes respectifs ou les agents administratifs dans l’exercice de leurs fonctions où en raison de cet exercice.

2. Lorsqu’ils ont versé une indemnisation au terme de l’alinéa précédent, l’État et les autres personnes morales publiques ont le droit de demander à être remboursés (direito de regresso) contre les titulaires des organes ou les agents responsables si ceux-ci n’ont pas agi avec la prudence ou le zèle afférents à leur fonction. »

83. Le directeur d’un établissement de santé a l’obligation d’informer l’autorité judiciaire compétente de toute mort suspecte survenue au cours d’une hospitalisation, en lui faisant parvenir le dossier médical pour permettre une enquête visant à la détermination des circonstances du décès (Article 51 du décret-loi no 11/98 du 24 janvier 1998 régissant l’organisation médico-légale). L’autopsie médico-légale a lieu dans des situations de mort violente ou de cause inconnue, sauf si les informations cliniques et d’autres éléments permettent de conclure avec une assurance suffisante qu’il n’y a pas suspicion de crime, dans cette hypothèse, il n’y a pas lieu de faire une autopsie (Article 54).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

84. Invoquant l’article 2 de la Convention, la requérante allègue une atteinte au droit à la vie de son époux. Sous l’angle des articles 6 § 1 et 13 de la Convention, elle se plaint de la durée des procédures engagées par elle au niveau interne et de ne pas avoir été éclaircie au sujet de la cause exacte de son décès.

85. La Cour estime qu’il convient d’examiner les griefs de la requérante, sous l’angle des volets materiel et procédural de l’article 2 de la Convention, étant entendu que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle n’est pas liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements (Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998-I). Dans sa partie pertinente en l’espèce, cette disposition se lit ainsi :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’exception tirée de l’absence de qualité de victime de la requérante

86. Le Gouvernement soulève une exception titrée de l’absence de qualité de victime de la requérante au sens de l’article 34 de la Convention. Il estime que les griefs de la requérante ne constituent pas une situation exceptionnelle d’intérêt général ou ne soulèvent pas de doutes sérieux s’agissant de la responsabilité de l’État lui permettant d’agir au nom de son époux.

87. La requérante ne s’est pas prononcée sur cette question.

88. La Cour rappelle que, pour se prévaloir de l’article 34 de la Convention, un requérant doit pouvoir se prétendre victime d’une violation de la Convention ; la notion de « victime », selon la jurisprudence constante de la Cour, doit être interprétée de façon autonome et indépendante des notions internes telles que celles concernant l’intérêt ou la qualité pour agir (Nencheva et autres c. Bulgarie, no 48609/06, § 88, 18 juin 2013). L’intéressé doit pouvoir démontrer qu’il a « subi directement les effets » de la mesure litigieuse (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 96, CEDH 2014, et la jurisprudence citée).

89. Ce principe connaît une exception lorsque la ou les violations invoquées de la Convention sont étroitement liées à des disparitions ou décès dans des circonstances dont il est allégué qu’elles engagent la responsabilité de l’État. Dans de tels cas, en effet, la Cour reconnaît aux proches parents de la victime la qualité pour soumettre une requête (Nencheva et autres, précité, § 89, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité, §§ 98-99, et la jurisprudence citée).

90. En l’espèce, la requérante est l’épouse de la personne décédée dans les circonstances décrites dans la présente espèce. La Cour constate en outre qu’elle était partie dans toutes les procédures menées au niveau interne pour élucider les causes de la mort de ce dernier, les autorités administratives et les juridictions saisies n’ayant pas contesté sa qualité à agir au nom de son époux. Dès lors, sa proche relation avec le défunt ne peut être contestée et la Cour juge qu’elle peut se prétendre personnellement atteinte et donc victime des violations de la Convention qui, d’après elle, ont entouré le décès de son époux (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 49, CEDH 2009). En conséquence, elle a qualité pour introduire, au titre de l’article 34 de la Convention, une requête concernant le décès exposé en l’espèce.

2. Sur l’exception tirée du non-respect du délai de six mois

91. Le Gouvernement soulève également une exception préliminaire fondée sur le délai de six mois. Il estime que la procédure pénale engagée par la requérante a répondu aux questions portant sur les causes de la mort de son époux en écartant notamment la thèse de la négligence médicale qu’elle défendait. Étant donné que cette procédure a été conclue par un jugement du tribunal de Vila Nova de Gaia du 15 janvier 2009 et que la requête a été introduite le 23 août 2013, celle-ci est tardive.

92. La requérante n’a pas répondu à cette exception.

93. La Cour rappelle que pour être compatible avec l’article 35 de la Convention, une requête doit être introduite dans un délai de six mois à compter de la date de la décision interne définitive, cette dernière étant comprise comme la décision ayant épuisé les voies de recours offertes dans l’ordre juridique interne. Par ailleurs, le délai de six mois constitue une règle autonome qui doit être interprétée et appliquée dans une affaire donnée de manière à assurer l’exercice efficace du droit de requête individuel (Worm c. Autriche, (déc.), no 22714/93, 27 novembre 1995). En règle générale, ce délai court à partir de la décision définitive dans le cadre de l’épuisement des voies de recours internes (Edwards c. Royaume-Uni (déc.), no 46477/99, 7 juin 2001).

94. La Cour rappelle aussi que, sous le volet procédural de l’article 2 de la Convention, l’une des obligations positives des États est l’instauration d’un système judiciaire efficace et indépendant permettant d’établir la cause du décès d’un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, tant ceux agissant dans le cadre du secteur public que ceux travaillant dans des structures privées, et le cas échéant d’obliger ceux-ci à répondre de leurs actes (Powell c. Royaume-Uni (déc.), no 45305/99, CEDH 2000-V, et Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 49, CEDH 2002‑I). Si l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité physique n’est pas volontaire, cette obligation n’exige pas nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale (Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, §§ 89‑90, CEDH 2002‑VIII). Dans le contexte spécifique des négligences médicales, pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité des médecins en cause et, le cas échéant, d’obtenir l’application de toute sanction civile appropriée, tels le versement de dommages-intérêts et la publication de l’arrêt. Des mesures disciplinaires peuvent également être envisagées (Vo c. France [GC], no 53924/00, § 90, CEDH 2004-VIII, et Lazzarini et Ghiacci c. Italie (déc.), no 53749/00, 7 novembre 2002). Ce qui est important c’est que l’ordre juridique dans son ensemble et les procédures que le requérant a engagées ont satisfait les obligations procédurales de l’État au regard de l’article 2 (Dodov c. Bulgarie, no 59548/00, § 87-98, 17 janvier 2008 ; Bajić c. Croatie, no 41108/10, § 93, 13 novembre 2012).

95. En l’espèce, la Cour constate que la requérante a engagé quatre procédures au niveau interne pour obtenir des explications sur les circonstances du décès de son époux et contraindre les responsables à répondre de leurs actes, comme suit :

. les deux premières ont été ouvertes suite à une lettre commune de la requérante datant du 13 août 1998, soit cinq mois après le décès de son époux. La procédure devant l’Ordre des médecins s’est terminée par une ordonnance de classement sans suite du Conseil disciplinaire régional du Nord du 28 décembre 2001 et la procédure devant l’IGS, par une ordonnance du 26 juillet 2006 ordonnant l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre du docteur J.V. ;

. la procédure pénale devant le tribunal de Vila Nova de Gaia a été engagée consécutivement à une plainte déposée le 29 avril 2002 et a été conclue par un jugement de non-lieu prononcé le 15 janvier 2009, la requérante n’ayant pas fait appel de ce jugement ;

. la procédure en responsabilité civile a été introduite le 6 mars 2003 devant le tribunal administratif et fiscal de Porto et s’est achevée par un arrêt de rejet de la Cour suprême du 26 février 2013.

96. D’un point de vue théorique, ces procédures apparaissent toutes efficaces eu égard à l’objectif que poursuivait la requérante, à savoir déterminer la cause du décès de son époux et engager la responsabilité des services hospitaliers et/ou celle du personnel médical, fut-elle disciplinaire, pénale ou civile. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de procéder à un examen de l’ensemble de la procédure et examiner si toutes ces procédures ont satisfait les obligations procédurales posées par l’article 2 de la Convention. En d’autres termes, La Cour estime qu’il serait artificiel et d’un formalisme excessif de vouloir dissocier les procédures susmentionnées pour le calcul du délai de six mois compte tenu du lien étroit existant entre elles. De plus, il apparaît que les autorités et les juridictions saisies ont tenu compte des recherches et des expertises effectuées dans le cadre des procédures qui avaient entretemps pris fin. Ainsi, par exemple, les juridictions administratives ont entendu l’inspecteur qui avait mené l’enquête de l’IGS, les experts en gastroentérologie et en médecine interne qui s’étaient prononcés à cette occasion (voir ci-dessus paragraphe 70) et l’Ordre des médecins. Par conséquent, la Cour estime que, dans la présente espèce, la décision interne définitive est celle qui a été prononcée en dernier lieu, il s’agit donc de l’arrêt de la Cour suprême du 26 février 2013, rendu au terme de la procédure en responsabilité civile. La requête ayant été introduite le 23 août 2013, soit six mois après, la requête n’est pas tardive. Dès lors, il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement à cet égard.

3. Conclusion

97. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle la déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Sur la violation matérielle alléguée de l’article 2

a) Les arguments des parties

i. La requérante

98. La requérante allègue que son époux a perdu la vie en raison d’une infection d’origine nosocomiale (hospitalière) et de diverses négligences médicales survenues tout au long de sa prise en charge.

99. Elle considère que la bactérie Pseudomonas cepácea à l’origine de la méningite qui a touché son époux était d’origine hospitalière. Ensuite, pour ce qui est des négligences médicales, elle relève notamment :

. qu’il y a eu une erreur grave de diagnostic lorsque son époux s’est rendu le 29 novembre 1997, à 1 heure du matin, aux urgences du CHVNG, après la polypectomie: les médecins de garde ont conclu à des troubles psychologiques et lui ont administré des médicaments pour ce type de pathologie alors qu’il souffrait d’une méningite infectieuse qui n’a été diagnostiquée que par l’équipe de garde suivante, à 8:30 du matin. Se référant à l’avis du collègue des médecines infectieuses de l’Ordre des médecins, elle ajoute que l’administration de médicaments inadéquats a laissé évoluer une infection mortelle, à laquelle il a fallu répondre en appliquant des médicaments à très fortes doses avec des effets dévastateurs au niveau gastro-intestinal. Sur ce point, elle dénonce aussi la non-application d’une prophylaxie qui aurait pu atténuer les effets secondaires de l’antibiothérapie.

. que les autorisations de sortie données les 28 et 29 novembre, 13 décembre, 23 décembre 1997 et le 9 janvier 1998 à son époux au CHVNG ont été irresponsables et n’ont pas été accompagnées du suivi médical requis. Elle ne met pas en cause l’autorisation de sortie du CHVNG donnée par le docteur J. V le 3 février 1998 car celle-ci avait été prise avec son accord et celui de son époux, elle se plaint cependant que son époux n’ait pas ensuite été suivi convenablement par ce médecin conformément à ce qui avait été convenu au moment de la sortie;

. que la perforation de l’ulcère duodénal avait été diagnostiquée bien avant l’intervention chirurgicale du 7 mars 1998. Dans l’attente de celle-ci, son époux est resté sans aucune observation médicale, dans des souffrances atroces.

100. La requérante en conclut que les médecins ont manqué aux devoirs de leur profession en ne prenant pas les mesures promptes et adéquates pour sauver la vie de son époux.

ii.Le Gouvernement

101. Le Gouvernement rejette les thèses de l’infection nosocomiale et de la négligence médicale défendues par la requérante, soulignant qu’elles ne s’appuient sur aucune base objective et qu’elles ont été écartées dans toutes les procédures menées au niveau interne. Il estime qu’il n’appartient pas à la Cour de remettre en cause les conclusions auxquelles sont parvenues les autorités et les juridictions nationales, les décisions ayant été rendues à l’issue de procédures justes et adéquates, sans arbitraire. Il observe que dix médecins ont été entendus par les juridictions saisies et que les collèges de spécialités de l’Ordre des médecins ont été appelés à se prononcer; tous ont conclu qu’il n’y avait pas eu de négligence médicale ou d’erreurs dans la prise en charge de l’époux de la requérante.

102. Le Gouvernement observe que la requérante met en cause toutes les options prises par les différents médecins qui sont intervenus auprès de son époux, contestant les diagnostics faits, les médicaments prescrits, le moment choisi pour réaliser la dernière opération chirurgicale et même les autorisations de sorties, à l’exception de celle du 3 février 1998.

103. Selon lui, le décès de l’époux de la requérante n’est pas dû à des omissions des autorités publiques, les différents experts ayant tous conclu à l’absence de faute médicale dans la prise en charge de son époux. Se référant aux faits tels qu’établis au niveau interne, il relève qu’il a, entre autres, été prouvé :

. que la méningite n’avait pas été provoquée par une infection nosocomiale d’origine hospitalière et qu’elle avait été traitée de façon adéquate puisque le patient avait été guéri de cette maladie ;

. que les autorisations de sortie données étaient justifiées compte tenu de l’évolution du cadre clinique que présentait le patient;

. que la perforation de l’ulcère duodénal n’a été constatée qu’au moment de l’intervention chirurgicale, les examens effectués n’ayant pas permis de la déceler plus tôt.

104. Partant, aucune des allégations de la requérante n’a été prouvée. En l’occurrence, aucun élément ne démontre une violation des règles ou le non‑respect d’un protocole clinique ou de toute procédure exigée par les bonnes pratiques ou la science médicale. Il n’y a donc pas eu de défaillance dans la chaîne des soins.

105. Au demeurant, le Gouvernement observe que l’accès aux soins de santé au Portugal est universel, général et tend vers la gratuité. Il considère qu’en l’espèce, l’État a assuré tous les soins, traitements et interventions qui se sont montrés appropriés. Les procédures techniques et scientifiques suivies se sont en outre révélés être efficaces d’autant plus qu’elles ont pris en compte les données connues à partir des examens déjà effectués.

b) Appréciation de la Cour

106. La Cour rappelle que la première phrase de l’article 2 impose à l’État non seulement de s’abstenir de donner la mort « intentionnellement », mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (L.C.B. c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1998‑III et Vo, précité, § 88).

107. Ces principes s’appliquent aussi dans le domaine de la santé publique. Les obligations positives énoncées ci-dessus impliquent donc la mise en place par l’État d’un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils soient publics ou privés, l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs malades, ce qui repose sur la nécessité de préserver ces derniers, autant que faire se peut, des conséquences graves que peuvent avoir à cet égard les interventions médicales (Codarcea c. Roumanie, no 31675/04, § 104, 2 juin 2009).

108. La Cour ne saurait exclure que les actes et omissions des autorités dans le cadre des politiques de santé publique peuvent, dans certaines circonstances, engager leur responsabilité sous l’angle du volet matériel de l’article 2. Toutefois, elle a déjà jugé que, dès lors qu’un État contractant a fait ce qu’il fallait pour assurer un haut niveau de compétence chez les professionnels de la santé et garantir la protection de la vie des patients, on ne peut admettre que des questions telles qu’une erreur de jugement de la part d’un professionnel de la santé ou une mauvaise coordination entre des professionnels de la santé dans le cadre du traitement d’un patient en particulier suffisent en elles-mêmes à obliger un État contractant à rendre des comptes en vertu de l’obligation positive de protéger le droit à la vie qui lui incombait aux termes de l’article 2 de la Convention (Byrzykowski c. Pologne, no 11562/05, § 104, 27 juin 2006 ; Erikson c. Italie (déc.), no 37900/97, 26 octobre 1999 et Powell (déc.), précitée).

109. Conformément à l’article 19 de la Convention, la Cour a pour seule tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes. Sauf les cas d’arbitraire ou d’erreur manifestes, elle n’est pas compétente pour remettre en cause les constats factuels faits par les autorités nationales. Ceci est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’expertises scientifiques exigeant, par définition, des connaissances particulières et approfondies en la matière (voir, mutatis mutandis, Erikson, précité ; Počkajevs c. Lettonie (déc.), no. 76774/01, 21 octobre 2004 ; De Santis et Olanda c. Italie (déc.), no 35887/11, § 45, 9 juillet 2013). Il ne lui appartient donc pas de remettre en cause le jugement clinique des professionnels de la santé (Glass c. Royaume-Uni, no 61827/00, § 87, CEDH 2004‑II).

110. Au vu des circonstances de l’espèce, pour déterminer s’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention, sous son volet matériel, la Cour doit rechercher si les autorités ont fait ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles et en particulier si elles ont satisfait, de manière générale, à leur obligation de protéger l’intégrité physique du patient en cause, notamment par l’administration de soins médicaux appropriés.

111. De l’analyse des procédures menées au niveau interne concernant les faits de la cause, la Cour constate que seule l’enquête menée par l’IGS a conclu à une imprudence médicale de la part du docteur J. V. en ce qui concerne spécifiquement l’autorisation de sortie du CHVNG qu’il avait donnée à l’époux de la requérante le 3 février 1998. Si une procédure disciplinaire a, ainsi, été ordonnée à son encontre, son issue n’est pas précisée par les parties.

112. À l’exception de ce qui précède, les arguments défendus par la requérante ont été écartés et les thèses qu’elle défendait de l’infection nosocomiale et de la négligence médicale ont été jugées comme non-étayées par les juridictions pénales, civiles, l’IGS et l’Ordre des médecins. Pour ce qui est des preuves retenues, la Cour relève que les autorités et les juridictions saisies se sont fondées sur le témoignage du personnel médical impliqué dans la prise en charge de l’époux de la requérante et sur des expertises médicales tenant compte du dossier médical de ce dernier.

113. La Cour constate que le deuxième expert en gastroentérologie entendu dans le cadre de la procédure devant l’IGS (voir ci-dessus paragraphe 46) ainsi que les collèges ORL et des maladies infectieuses, dans le cadre de la procédure devant l’Ordre des médecins, ont tous les trois indiqué qu’une méningite constituait une complication pouvant survenir exceptionnellement après une polypectomie (voir ci-dessus paragraphes 52 et 54). Elle relève aussi que le collège des maladies infectieuses de l’Ordre des médecins a exprimé des doutes quant à la promptitude du diagnostic de la méningite infectieuse (voir ci-dessus paragraphe 52).

114. Aux yeux de la Cour, le simple fait qu’il eut été soumis, deux jours avant, à une intervention chirurgicale présentant les risques indiqués ci-dessus aurait mérité une intervention médicale immédiate conforme au protocole médical de surveillance postopératoire. Or, il n’apparaît pas que l’équipe médicale ait tenu compte de cet élément fondamental. Sans vouloir spéculer sur les chances de survie du mari de la requérante si la méningite avait été diagnostiquée plus tôt, la Cour estime que l’absence de coordination entre le service ORL du CHVNG et le service des urgences au sein de l’hôpital témoigne d’un dysfonctionnement du service public hospitalier. L’époux de la requérante a ainsi été privé de la possibilité d’avoir accès à des soins d’urgence appropriés. Ce constat suffit à la Cour pour estimer que l’État a manqué à son obligation de protéger son intégrité physique. Elle conclut en conséquence à une violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel (voir à cet égard, mutatis mutandis, Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk c. Turquie, no 13423/09, § 97, CEDH 2013, Asiye Genç c. Turquie, no 24109/07, § 82, 27 janvier 2015).

2. Sur la violation procédurale alléguée de l’article 2

a) Les arguments des parties

i. La requérante

115. La requérante se plaint que les autorités saisies n’aient pas élucidé la cause exacte de la dégradation soudaine de l’état de santé de son époux qui était auparavant en parfaite condition physique. Elle estime que seule une approche globale aurait pu permettre de comprendre l’enchainement des événements ayant mené au décès de son époux.

116. Elle dénonce l’établissement des faits par les autorités internes qu’elle a saisies. Elle fait valoir que l’IGS doit enquêter sur les dysfonctionnements des services de santé et l’Ordre des médecins, sur les mauvaises pratiques médicales. Selon elle, aucune de ces institutions n’a rempli ses devoirs. En outre, les tribunaux ont fait leur les conclusions auxquelles elles avaient abouti.

117. S’agissant de la procédure devant l’Ordre des médecins, elle dénonce l’envoi du dossier médical de son époux avec des documents manquants, notamment un examen médical en laboratoire identifiant la bactérie Pseudomonas cepácea comme la cause de la méningite ayant touché son époux. Elle se plaint aussi du rejet de son recours contre l’ordonnance de classement sans suite de sa plainte, observant que la notification n’indiquait pas qu’elle pouvait la contester et sous quel délai.

118. Pour ce qui est de la procédure pénale, la requérante se plaint des réquisitions du parquet dans la mesure où celles-ci reproduisent celles de l’IGS (fondées sur le dernier rapport d’enquête) et se concentrent uniquement sur un évènement, à savoir l’autorisation de sortie de l’hôpital donnée par le docteur J.V. à son époux le 3 février 1998. Pour elle, il aurait fallu procéder à une enquête globale de toute la période, c’est-à-dire de la polypectomie de son époux jusqu’à son décès.

119. Pour finir, la requérante dénonce la durée des procédures qu’elle a engagées au niveau interne. Elle soutient avoir eu recours aux tribunaux en raison de l’inertie du ministère de la Santé et de l’Ordre des médecins.

ii. Le Gouvernement

120. Avant tout, le Gouvernement soutient que le fonctionnement des services hospitaliers est réglementé, que ceux-ci disposent d’organes de gestion et de direction technique et clinique, que les malades ont des droits et des devoirs , qu’ils peuvent adresser des plaintes et faire des réclamations. En outre, les médecins se doivent de respecter des règles déontologiques dans l’exercice de leurs fonctions, ils sont tenus d’appliquer les règles de l’art médical et leurs connaissances techniques selon les bonnes pratiques et les protocoles médicaux. L’activité hospitalière est soumise à un contrôle administratif, les médecins sont responsables au niveau disciplinaire, des poursuites pénales sont possibles. La négligence médicale est réprimée au niveau disciplinaire, civil et pénal.

121. Le Gouvernement estime que les procédures menées au niveau interne ont été conduites de façon équitable et indépendante. Il souligne que la requérante a eu l’opportunité de présenter ses arguments, ses preuves, de contester les versions et les preuves contraires des défendeurs, de réclamer et de faire appel des décisions avec lesquelles elle n’était pas d’accord. Selon lui, les décisions adoptées à l’issue des différentes procédures administratives et judiciaires sont amplement motivées, elles indiquent la cause de la mort, excluent les liens de causalité allégués par la requérante et concluent que toutes les mesures ont été prises pour comprendre la situation. Pour ce qui est en particulier de la procédure devant l’IGS, il relève qu’elle a été ouverte à deux reprises afin de procéder à de nouveaux examens pour répondre au mieux aux questionnements de la requérante.

122. Il en conclut que les mécanismes de contrôle judiciaire, administratif et disciplinaire ont été efficaces car ils ont permis de clarifier toutes les questions soulevées avec rigueur et objectivité même si les résultats obtenus de façon uniforme n’ont pas fait droit aux thèses que défendait la requérante.

123. Pour ce qui est de la cause du décès, le Gouvernement observe que le certificat de décès relève qu’il s’agissait d’un choc septique par perforation d’une viscère creuse. Ne s’agissant pas d’une mort violente, l’autopsie n’était pas obligatoire. Aucune autopsie n’a donc été pratiquée suite au décès de l’époux de la requérante.

124. S’agissant de la durée des procédures, notant le propre retard de la requérante pour engager les procédures judiciaires, le Gouvernement allègue qu’il s’agissait de procédures complexes, comprenant l’analyse de documents cliniques et l’audition d’un nombre important de témoins et d’experts.

b) Appréciation de la Cour

125. Comme elle l’a déjà dit ci-dessus au paragraphe 94, dans le contexte des négligences médicales, la Cour a interprété l’obligation procédurale découlant de l’article 2 comme imposant à l’État l’instauration d’un système judiciaire efficace permettant, en cas de décès d’un individu qui se trouvait entre les mains de professionnels de la santé, d’établir non seulement la cause de ce décès, mais aussi toute responsabilité éventuelle de ces personnes. Cette disposition veut non seulement que les mécanismes de protection prévus en droit interne existent en théorie mais aussi, et surtout, qu’ils fonctionnent effectivement en pratique dans des délais permettant de conclure l’examen au fond des affaires concrètes qui leur sont soumises, ce qui suppose un examen de l’affaire prompt et sans retards inutiles (Calvelli et Ciglio, précité, § 53 et Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, § 156, 9 avril 2009). En effet, la connaissance des faits et des erreurs éventuellement commises dans l’administration de soins médicaux est essentielle pour permettre aux établissements concernés et au personnel médical de remédier aux défaillances potentielles et de prévenir la survenue d’erreurs similaires. Le prompt examen de telles affaires est donc important pour la sécurité des usagers de l’ensemble des services de santé (Byrzykowski, précité, § 117).

126. Dans les affaires où la mort a été infligée de manière non intentionnelle et où l’obligation procédurale s’applique, cette obligation peut entrer en jeu lorsque les proches du défunt engagent une procédure. L’obligation procédurale contenue dans l’article 2 est indépendante du point de savoir si l’État est finalement jugé responsable du décès en question (Šilih, précité, § 195).

127. La Cour rappelle qu’elle a examiné la question des obligations procédurales découlant de l’article 2 séparément de la question du respect de l’obligation matérielle et constaté, le cas échéant, une violation distincte de l’article 2 en son volet procédural (voir, par exemple, Kaya c. Turquie, 19 février 1998, §§ 74-78 et 86-92, Recueil 1998‑I ; McKerr c. Royaume-Uni, no 28883/95, §§ 116-161, CEDH 2001‑III ; Scavuzzo-Hager et autres c. Suisse, no 41773/98, §§ 53-69 et 80-86, 7 février 2006 ; et Ramsahai et autres c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, §§ 286-289 et 323-357, CEDH 2007-II).

i. Sur l’existence d’un système judiciaire efficace et indépendant

128. La Cour note, avec le Gouvernement, que la loi no 48/90 du 24 août 1990 (loi sur la santé) énonce les droits et les devoirs des patients et notamment, le droit d’être informé et de réclamer des dommages et intérêts pour les dommages subis en raison de dysfonctionnements dont ils ont été victimes (voir ci-dessus paragraphe 76). En outre, conformément au décret-loi no 11/93 du 15 janvier 1993 qui régit le Statut du système national de la santé, les établissements de santé et leurs personnels médicaux et non-médicaux font l’objet d’un contrôle de l’État, auquel s’ajoute le contrôle disciplinaire des médecins conduit par de l’Ordre des médecins (voir ci‑dessus paragraphes 77-80).

129. S’agissant des voies de recours, la Cour relève que le droit portugais prévoit, en cas de négligence médicale, outre la voie pénale (voir ci-dessus paragraphe 81), la possibilité d’engager une action en responsabilité civile devant les juridictions administratives contre les établissements hospitaliers publics qui, le cas échéant, peuvent demander le remboursement des dommages et intérêts versés aux agents ayant manqué à leurs devoirs professionnels (voir ci-dessus paragraphe 82). La Cour note également qu’il est possible de saisir le ministère de la Santé et l’Ordre des médecins afin d’engager la responsabilité disciplinaire de professionnels de la santé (voir ci-dessus paragraphes 77-80).

130. La Cour en déduit que le système juridique portugais offre aux justiciables des moyens qui, sur le plan théorique, répondent aux exigences du volet procédural de l’article 2.

ii. Sur l’effectivité des recours exercés par la requérante

131. Comme elle l’a déjà observé précédemment, la requérante a fait usage de quatre voies de recours afin d’élucider les causes de la mort de son époux et engager la responsabilité du personnel médical en cause (voir ci-dessus paragraphe 95). Il convient donc d’analyser le déroulement de ces procédures afin de déterminer si l’ordre juridique dans son ensemble a permis d’établir les faits, d’obliger les responsables à rendre des comptes et d’offrir à la victime une réparation adéquate (Byrzykowski, précité, §§ 104-118).

α) Sur la durée des procédures menées au niveau interne

132. La Cour constate qu’avant de s’adresser aux tribunaux, la requérante a cherché à obtenir des explications sur la cause du décès de son époux en s’adressant au ministère de la Santé et à l’Ordre des médecins, par une lettre commune du 13 août 1998.

133. Si l’Ordre des médecins a réagi promptement à la demande de la requérante en sollicitant, immédiatement après avoir obtenu le dossier médical de son époux, les avis de cinq de ses collèges de spécialités, il a fallu plus de deux ans à l’IGS pour ordonner l’ouverture d’une enquête et une année supplémentaire pour désigner un inspecteur pour diriger l’enquête (voir ci-dessus paragraphes 31 et 32). En outre, elle n’a finalement rendu son premier rapport final que le 28 novembre 2002, soit quatre ans après la lettre de la requérante (voir ci-dessus paragraphe 36). Confrontée au retard de l’IGS, la requérante n’a déposé sa plainte pénale que le 29 avril 2002 et sa demande en responsabilité civile que le 6 mars 2003, soit quatre et cinq ans après le décès de son époux. En raison de ces retards, l’audition du personnel médical qui avait apporté des soins à l’époux de la requérante n’a eu lieu que plusieurs années après les faits, autant dans le cadre de la procédure devant l’IGS que devant les juridictions pénales et civiles, ce qui a pu compromettre la fiabilité de leurs témoignages.

134. Même si, comme elle l’a dit ci-dessus paragraphe 94, l’obligation procédurale découlant de l’article 2 de la Convention n’exige pas nécessairement de l’État qu’il assure des poursuites pénales dans les affaires de négligence médicale, la Cour estime qu’il convient de relever, en l’espèce, que la procédure pénale a connu une durée excessive que ni le comportement du requérant ni la complexité de l’affaire ne suffisent à expliquer. En effet, ouverte le 29 avril 2002, cette procédure n’a été conclue que le 15 janvier 2009 par un jugement de non-lieu du tribunal de Vila Nova de Gaia, soit 6 années, 8 mois et 19 jours après la plainte pénale déposée par la requérante. Ce délai n’est assurément pas « raisonnable » dans les circonstances de la cause.

135. En ce qui concerne la procédure en responsabilité civile, la Cour note que cette procédure a été introduite devant le tribunal administratif et fiscal de Porto le 6 mars 2003 alors que la procédure devant l’IGS (conclue en 2006) et la procédure pénale étaient toujours pendantes. Elle s’est terminée le 26 février 2013 par un arrêt de la Cour suprême. La procédure a donc duré 9 années, 11 mois et 25 jours sur deux niveaux de juridictions, ce qui ne satisfait pas à l’exigence d’un examen prompt et sans retards inutiles de l’affaire. En particulier, la Cour note qu’il a fallu plus de quatre ans au tribunal administratif et fiscal de Porto pour prononcer son ordonnance préparatoire. Ensuite, il lui a fallu encore quatre ans pour débuter les audiences.

136. La Cour ne saurait admettre que des procédures engagées aux fins de faire la lumière sur des accusations de négligence médicale puissent durer aussi longtemps en droit interne (Kudra c. Croatie, no 13904/07, § 120, 18 décembre 2012 et Süleyman Ege c. Turquie, no 45721/09, § 59, 25 juin 2013). Elle rappelle que dans les circonstances comme celles de l’espèce, une prompte réaction des autorités est capitale pour maintenir la confiance du public et son adhésion à l’État de droit (Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, no 46477/99, § 72, CEDH 2002‑II et Oyal c. Turquie, no 4864/05, §§ 74-76, 23 mars 2010) et permettre aussi la diffusion de l’information de manière à éviter que les mêmes erreurs ne se reproduisent et à contribuer à la sécurité des usagers des services de santé (Byrzykowski, précité, § 117). Il appartient donc à l’État d’agencer son système judiciaire de manière à permettre à ses tribunaux de répondre aux exigences de la Convention, notamment celles découlant de l’article 2 (voir, mutatis mutandis, R.M.D. c. Suisse, 26 septembre 1997, § 54, Recueil 1997‑VI, et Süleyman Ege, précité, § 59).

137. La Cour en conclut que la durée des procédures menées au niveau interne devant l’IGS, devant le tribunal de Vila Nova de Gaia et devant le tribunal administratif et fiscal de Porto, n’a pas satisfaite l’exigence d’un examen prompt et sans retards inutiles.

β) Sur le processus décisionnel

138. En ce qui concerne la conduite des procédures engagées par la requérante, comme elle l’a déjà relevé ci-dessus au paragraphe 112, la Cour relève que les autorités et les juridictions saisies ont analysé le dossier médical de son époux et entendu les médecins impliqués dans la chaîne des évènements. L’IGS et l’Ordre des médecins ont aussi diligenté des expertises médicales, les juridictions ne l’ont pas fait mais elles se sont appuyées sur celles qui avaient fondé les rapports établis dans le cadre de l’IGS.

139. La Cour note qu’une autopsie n’a pas été ordonnée dans le cadre d’aucune procédure étant donné que la cause de la mort de l’époux de la requérante n’avait pas soulevé de doutes, comme l’indique le Gouvernement en se référant aux dispositions légales sur cette question (voir ci-dessus paragraphes 83). Il apparaît que la requérante ne l’a pas non plus réclamée alors qu’elle aurait pu le faire, elle ne saurait donc reprocher aux autorités étatiques une situation qu’elle a elle-même sciemment contribué à créer (voir, mutatis mutandis, Pūpēdis c. Lettonie (déc.), no 53631/00, 15 février 2001)

140. D’une manière générale, comme l’indique le Gouvernement, la requérante a pu présenter ses arguments et contredire ceux qui étaient présentés par les personnes entendues au cours des audiences. En d’autres termes, le principe du contradictoire a été respecté dans le cadre de toutes les procédures.

141. En ce qui concerne les expertises effectuées au niveau interne, la Cour relève à nouveau que le collège des maladies infectieuses de l’Ordre des médecins a exprimé des doutes quant à la promptitude du diagnostic de la méningite infectieuse ayant touché l’époux de la requérante. Le collège en gastroentérologie a aussi considéré qu’il aurait été nécessaire de mesurer la nécessité d’administrer des corticoïdes au patient vu qu’il avait déjà connu un épisode d’hémorragie digestive (voir ci-dessus paragraphe 51). Ces doutes n’ont pas été confirmés par les autres experts médicaux, ils ont donc été écartés par le Conseil disciplinaire régional du Nord de l’Ordre des médecins dans son ordonnance du 28 décembre 2001 (voir ci-dessus paragraphe 55). Faute pour la requérante d’avoir introduit son recours contre l’ordonnance du Conseil disciplinaire régional du Nord de l’Ordre des médecins dans le délai qui lui était imparti, elle n’a pu obtenir un réexamen de ces points.

142. En dépit des doutes exprimés par ces experts, la Cour constate qu’aucune des décisions rendues ni aucune des expertises présentées dans le cadre des procédures menées au niveau interne n’explique ou, du moins ne traite de façon satisfaisante la question de savoir s’il aurait pu y avoir un lien causal direct entre les différentes maladies dont a souffert l’époux de la requérante, deux jours après avoir été soumis à une polypectomie. Vu les circonstances de l’espèce, c’est une question qui méritait pourtant un examen approfondi. Même si l’époux de la requérante n’est pas décédé de la méningite infectieuse qui l’a touché après la polypectomie à laquelle il avait été soumis, les complications additionnelles apparaissent, à première vue, directement liées à cet épisode, c’est pourquoi le sentiment de la requérante de ne pas avoir été éclaircie au sujet de la cause de la mort de son époux est légitime. Or, dans l’ensemble des procédures, les évènements apparaissent décrits chronologiquement de façon isolée. Ainsi, par exemple, le jugement du tribunal administratif et fiscal de Porto décrit la chaîne des évènements comme une succession de maladies (une méningite, une colite, une diarrhée chronique) ayant toutes été guéries au fur et à mesure. Quant à la perforation de l’ulcère duodénal, celle-ci est présentée comme un évènement inattendu.

143. Par ailleurs, si la méningite constitue une complication pouvant survenir après une telle intervention chirurgicale, eu égard au droit du patient à être informé de sa situation (voir ci-dessus paragraphe 76), la Cour estime qu’il aurait fallu déterminer si l’époux de la requérante avait dûment été informé des risques qu’il encourait afin qu’il donne un accord éclairé. Si le docteur qui avait réalisé l’opération a déclaré l’avoir fait devant le tribunal administratif et fiscal de Porto (voir ci-dessus paragraphe 71), le protocole médical pré et post-opératoire relatif à une polypectomie n’est expliqué dans le cadre d’aucune procédure menée au niveau interne. Or, au titre de l’obligation de mettre en place un cadre pour assurer la protection de la vie des malades, les États parties sont tenus de prendre les mesures légales et réglementaires nécessaires pour que les médecins s’interrogent sur les conséquences prévisibles que l’intervention médicale projetée peut avoir sur l’intégrité physique de leurs patients et qu’ils en informent préalablement ceux-ci de manière à ce qu’ils soient en mesure de donner un accord éclairé (mutatis mutandis, V.C. c. Slovaquie, no 18968/07, §§ 107 à 117, CEDH 2011 (extraits), N.B. c. Slovaquie, no 29518/10, §§ 76 à 78, 12 juin 2012, Hristozov et autres c. Bulgarie, nos 47039/11 et 358/12, § 122, CEDH 2012 (extraits), Arskaya c. Ukraine, no 45076/05, § 89, 5 décembre 2013). En corollaire, en particulier, lorsqu’un risque prévisible de cette nature se réalise sans que le patient en ait été dûment informé au préalable par ses médecins et que lesdits médecins exercent au sein d’un hôpital public, l’État partie concerné peut être directement responsable du fait de ce défaut d’information (voir, mutatis mutandis, Trocellier c. France (déc.), no 75725/01, CEDH 2006–XIV).

144. Eu égard à ces constations, la Cour estime que les autorités nationales n’ont pas déterminé avec suffisamment de clarté les circonstances de la mort de l’époux de la requérante et la responsabilité éventuelle des médecins qui l’ont pris en charge.

iii. Conclusion

145. Au vu des observations qui précèdent, la Cour estime que les autorités nationales n’ont pas traité la cause de la requérante liée au décès de son époux conformément aux exigences procédurales de l’article 2 de la Convention. Partant, il y la violation de cette disposition sous son volet procédural.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

146. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

147. La requérante réclame 174 580 euros (EUR) et 100 000 EUR au titre du préjudice matériel et moral qu’elle aurait subi.

148. Le Gouvernement conteste ces prétentions, les jugeant excessives et non étayées.

149. Outre l’absence d’éléments pour appuyer sa demande, la Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande.

150. En revanche, la Cour admet que la violation de l’article 2 dans son volet matériel et procédural a causé à la requérante un préjudice moral en la plaçant dans une situation de détresse et de frustration. Dès lors, statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu de lui octroyer 39 000 EUR au titre du préjudice moral.

151. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural ;

4. Dit, par cinq voix contre deux,

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 39 000 EUR (trente-neuf mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 décembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Françoise Elens-PassosAndrás Sajó
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Sajó et Tsotsoria.

A.S.
F.E.P.

OPINION DISSIDENTE DES JUGES SAJÓ ET TSOTSORIA

(Traduction)

Cette triste affaire porte sur un cas de négligence médicale alléguée. Au paragraphe 114 de l’arrêt, la majorité conclut que l’État a manqué à son obligation matérielle de protéger l’« intégrité physique » (et pas nécessairement la vie, laquelle est protégée par l’article 2) de l’époux de la requérante parce que l’intéressé n’a pas bénéficié (ou a bénéficié trop tardivement) d’une intervention chirurgicale qui était requise conformément aux règles applicables de la pratique médicale : « [s]ans vouloir spéculer sur les chances de survie du mari de la requérante si la méningite avait été diagnostiquée plus tôt, la Cour estime que l’absence de coordination entre le service ORL du CHVNG et le service des urgences au sein de l’hôpital témoigne d’un dysfonctionnement du service public hospitalier. »

Il nous faut marquer notre désaccord avec cette conclusion, et ce pour des motifs factuels et jurisprudentiels.

Parmi les nombreuses opinions d’experts produites dans le cadre des quatre procédures engagées au niveau interne, qui ont toutes conclu à l’absence de négligence médicale, la Cour s’appuie sur les conclusions rendues dans le rapport remis le 13 décembre 1999 par le collège des maladies infectieuses, selon lequel

« 1. À notre avis, le diagnostic de méningite, conséquence probable de la polypectomie nasale, a été retardé de façon inexplicable, l’absence au sein de l’équipe d’urgence d’un élément de l’équipe médicale avec une formation pour ce type de diagnostic (par exemple un infectiologue) pouvant être considérée comme l’unique raison d’un tel incident. Cependant, ceci n’a pas été la cause immédiate de la fin fatale qu’a connue le malade. »

Premièrement, cette conclusion a été exprimée dans le contexte d’une procédure disciplinaire. Aux fins des règles de recevabilité appliquées par la Cour, il convient de préciser que cette procédure a été clôturée par la décision rendue le 18 mars 2003 par le Conseil national disciplinaire de l’Ordre des médecins (paragraphe 56 de l’arrêt). Pour autant que le grief de la requérante porte sur cette décision, il est donc irrecevable, comme sont irrecevables tous les autres griefs concernant les autres procédures, excepté ceux portés devant le tribunal administratif et fiscal de Porto. Il importe de relever que le rapport de 1999 ne faisait pas partie du dossier de la dernière procédure, qui est la seule recevable.

Deuxièmement, nous ne nous considérons pas comme qualifiés pour traiter du diagnostic médical. En particulier, faute d’expertise médicale prouvant le contraire, nous n’apercevons pas de lien entre le retard avec lequel le diagnostic de méningite aurait été posé, ce qui a été fait le 29 novembre 1997 (paragraphe 114 de l’arrêt), et le décès, qui a eu lieu le 8 mars 1998 et qui n’a pas été causé par la méningite. À l’évidence, pas même le rapport rendu le 13 décembre 1999 par le collège des maladies infectieuses ne suggérait un tel lien de causalité. Nous ne comprenons pas comment il est possible de tenir une négligence médicale alléguée qui n’a pas conduit au décès pour le fondement du constat selon lequel l’État a failli à sa responsabilité de protéger la vie (terme qui est remplacé par ceux d’« intégrité physique »).

Enfin, et surtout, l’imputation de la responsabilité à l’État sur la seule base d’un manque allégué de coordination entre différentes unités d’un même hôpital s’écarte radicalement des principes mentionnés dans l’arrêt lui-même. La Cour indique à juste titre (au paragraphe 108) que le principe applicable est celui-ci :

« dès lors qu’un État contractant a fait ce qu’il fallait pour assurer un haut niveau de compétence chez les professionnels de la santé et garantir la protection de la vie des patients, on ne peut admettre que des questions telles qu’une erreur de jugement de la part d’un professionnel de la santé ou une mauvaise coordination entre des professionnels de la santé dans le cadre du traitement d’un patient en particulier suffisent en elles-mêmes à obliger un État contractant à rendre des comptes en vertu de l’obligation positive de protéger le droit à la vie qui lui incombait aux termes de l’article 2 de la Convention (Byrzykowski c. Pologne, no 11562/05, § 104, 27 juin 2006 ; Erikson c. Italie (déc.), no 37900/97, 26 octobre 1999, et Powell (déc.), précitée). »

Il faut ajouter que dans la jurisprudence « mauvaise » coordination signifie coordination « entachée de négligence » (voir la décision Powell c. Royaume-Uni (déc.), no [45305/99](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2245305/99%22%5D%7D), CEDH 2000‑V, où « negligence » est traduit par « faute » en français, et la ligne de jurisprudence qui en découle, dont l’arrêt Byrzykowski fait partie). Quel que soit le type de coordination (« mauvaise » ou entachée de négligence) auquel nous soyons confrontés ici, la Cour a jusqu’ici toujours dit qu’il ne pouvait à lui-seul être à l’origine d’un manquement de l’État à l’une de ses obligations positives. Or il n’y a pas en l’occurrence d’élément « additionnel ». Au contraire, comme mentionné ci-dessus, la coordination en l’espèce censément négligente n’a pas conduit au décès de l’époux de la requérante. Même à supposer qu’il y ait eu un lien de causalité, il ne suffit pas à conclure à un manquement à la lumière des affaires susmentionnées (Byrzykowski, Erikson et Powell, précitées, et Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no [32967/96](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2232967/96%22%5D%7D), § 48, CEDH 2002‑I),

La Cour s’appuie, mutatis mutandis, sur les arrêts Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk c. Turquie (no 13423/09, § 97, CEDH 2013) et Asiye Genç c. Turquie (no 24109/07, § 82, 27 janvier 2015). Dans la première affaire, il y a eu infraction parce qu’un traitement médical d’urgence a été refusé du fait de l’incapacité dans laquelle se trouvait la patiente de payer les soins d’avance. Il s’agissait d’un cas de refus de soins médicaux. La deuxième affaire concernait une défaillance systémique du service néonatal dans une zone géographique donnée. En s’appuyant sur l’expertise médicale ayant visé à établir les causes du décès, la Cour a conclu dans l’arrêt Genç, au paragraphe 77, que « en l’espèce ne prêtaient à controverse ni la gravité de l’état de santé du fils de la requérante, né prématuré et souffrant d’une détresse respiratoire, ni la nécessité d’une intervention médicale d’urgence » et, au paragraphe 82, « Partant, le fils de la requérante doit être considéré comme ayant été victime d’un dysfonctionnement des services hospitaliers, en ce qu’il a été privé de tout accès à des soins d’urgence adéquats. En d’autres termes, l’enfant est décédé non pas parce qu’il y aurait eu une négligence ou une erreur de jugement dans les soins qui lui ont été apportés (...), mais parce qu’on ne lui a tout simplement pas offert un quelconque traitement – étant entendu que pareille situation s’apparente à un refus de prise en charge médicale de nature à mettre la vie en danger (voir Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, précité, §§ 97 et 105) ». Le dysfonctionnement des autorités hospitalières établi dans l’affaire Genç, qui s’est traduit par une absence totale d’accès à des soins d’urgence adéquats, diffère complètement des circonstances de la présente affaire, dans laquelle il n’y a pas eu de refus d’accès aux soins.

Il s’ensuit que, dans la présente affaire, la Cour s’écarte radicalement des principes établis précités sans expliquer précisément pourquoi. Certes, une position nouvelle, voire radicalement nouvelle, ne peut être réputée mauvaise pour le seul motif qu’elle est nouvelle. Si nous marquons notre désaccord avec le nouveau principe, formulé à demi-mots, qui paraît sous-tendre la position de la Cour, c’est parce cette position semble imposer au titre de la Convention des obligations concernant le niveau de services médicaux à fournir et qu’elle impose ainsi subrepticement une obligation de fournir un niveau spécifique de services de santé aux fins de l’article 2 § 1.

La Cour aurait tort de se mêler de la microgestion des services de santé. Non seulement cette tâche serait pour elle impossible à mener à bien, mais elle ne procède tout simplement pas de la conception des droits de l’homme consacrée par l’article 2. Notre Convention n’est ni une convention sur les droits sociaux ni une charte sur les services publics de santé. Nous ne sommes d’ailleurs pas certains que la présente espèce soulèverait une question même sous l’angle du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Notre Convention appelle à la protection de la vie par la loi. De plus, l’article 2 § 1 réserve clairement un traitement distinct aux cas où la mort est infligée intentionnellement. C’est la raison pour laquelle la Cour fait preuve d’une extrême prudence lorsqu’est en jeu la négligence des autorités de l’État (ce qui n’est pas le cas en l’espèce) ; de plus, il convient de différencier les actes du personnel médical du système public de santé et ceux d’agents de l’État exerçant un pouvoir de coercition. En l’absence d’actions de l’État visant à infliger la mort, les obligations à la charge de l’État ont trait au bon fonctionnement du système juridique existant, et en particulier à l’existence de voies de recours adéquates en cas de négligence. Or la logique retenue en l’espèce tendrait à faire des cas de négligence médicale alléguée des violations du volet matériel de l’article 2, ce qui transformerait la Cour en un tribunal statuant en premier et en dernier ressort sur les cas de mauvaises pratiques médicales.

La Convention n’impose pas aux États membres l’obligation de se substituer à la Providence et nous n’avons pas pour mandat de remédier aux griefs de mauvaise administration des services de santé. Si les citoyens estiment que les délais d’attente dans les situations d’urgence sont inacceptables, ils ont la possibilité d’allouer davantage de ressources au secteur de la santé par le biais du processus démocratique. Le libellé actuel de la Convention n’autorise pas le juge international à dicter les politiques de santé. La seule chose qu’il puisse faire est de superviser la manière dont le système juridique répond dans les cas où les normes internes régissant la protection de la vie sont méconnues (ce qui doit être établi par des experts). La situation diffère lorsque l’individu est placé sous le contrôle de l’État qui exerce le monopole de la coercition, par exemple dans le cas des soins de santé aux détenus, car ce sont alors les principes des droits de l’homme qui dictent la politique de santé.

De plus, les juges, et les juges internationaux en particulier, ne peuvent passer outre les expertises médicales ; ils doivent s’appuyer sur celles-ci tout en apportant toutes les garanties découlant du principe de l’égalité des armes et en prenant toutes les mesures pour lutter contre l’arbitraire. Lorsqu’il s’agit de définir la cause du regrettable décès de l’époux de la requérante, nous ne sommes pas mieux placés que le nombre considérable d’experts qui ont conclu à l’unanimité à l’absence de négligence médicale.

En résumé, nous ne pouvons pas nous rallier à l’opinion de la majorité, qui conclut à une violation matérielle, parce que, à notre avis, la requête est tardive, elle ne porte pas sur la violation qui a été constatée, rien ne prouve que la négligence ait causé le décès et, en l’absence de lien de causalité, les retards dans l’intervention médicale dus à une mauvaise coordination ne soulèvent pas de question sous l’angle de l’article 2 § 1.

Nous avons voté avec la majorité concernant la violation de l’article 2 sous son volet procédural, mais uniquement au regard de la dernière procédure, à raison du défaut de célérité, bien qu’une partie considérable du retard qui a été accusé pendant cette dernière procédure puisse être attribuée aux demandes totalement vaines qui ont été déposées par la requérante.

C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons approuver la somme attribuée au titre de la satisfaction équitable (préjudice moral), s’agissant d’une affaire de violation procédurale de l’obligation de protéger la vie. Le préjudice en l’espèce ne saurait être comparé à la souffrance causée par la mort infligée de manière délibérée par des agents de l’État bien que, à notre avis, il semble que ce soit là la conséquence ultime de la logique retenue.


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