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15/12/2015 | CEDH | N°001-159195

CEDH | CEDH, AFFAIRE OFENSIVA TINERILOR c. ROUMANIE, 2015, 001-159195


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE OFENSIVA TINERILOR c. ROUMANIE

(Requête no 16732/05)

ARRÊT

STRASBOURG

15 décembre 2015

DÉFINITIF

15/03/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ofensiva tinerilor c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,

Vincent A. De Gaetano,
Boštjan M. Zupančič,

Pau

lo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffier de section,

Après en...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE OFENSIVA TINERILOR c. ROUMANIE

(Requête no 16732/05)

ARRÊT

STRASBOURG

15 décembre 2015

DÉFINITIF

15/03/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ofensiva tinerilor c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,

Vincent A. De Gaetano,
Boštjan M. Zupančič,

Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 novembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16732/05) dirigée contre la Roumanie par une association de droit roumain, l’association « L’offensive des jeunes » (Ofensiva tinerilor, « la requérante »), qui a saisi la Cour le 26 avril 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me C. Rădulescu, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. R.H. Radu, du ministère des Affaires étrangères.

3. La requérante se plaint en particulier de la décision des autorités roumaines portant refus d’enregistrer sa candidature aux élections parlementaires et d’une impossibilité de contester cette décision devant les juridictions internes. Elle se plaint également d’avoir subi une discrimination par rapport à une autre association représentant la minorité d’origine polonaise et par rapport aux partis politiques. Elle dénonce de ce fait une atteinte dans ses droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention, pris isolément et en combinaison avec les articles 13 et 14 de la Convention, et par l’article 11 de la Convention.

4. Le 17 juin 2008, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est une association de droit roumain créée en septembre 2004 et ayant son siège à Arad.

A. La constitution de l’association requérante

6. En septembre 2004, la requérante saisit le tribunal de première instance d’Arad d’une demande visant à l’obtention de son enregistrement en tant qu’association, sur le fondement de l’ordonnance du gouvernement no 26/2000 relative aux associations et fondations (« l’ordonnance no 26/2000 »). Outre son acte constitutif et ses statuts, elle versa au dossier la preuve de la disponibilité de sa dénomination et celle de l’existence de son siège et de son patrimoine, ainsi que l’avis favorable émis au préalable par le gouvernement roumain représenté par le Département pour les relations interethniques. Il ressortait des statuts et de l’acte constitutif que la requérante était une organisation de citoyens roumains d’origine polonaise, constituée dans le but de représenter les intérêts de ses membres. L’article 4 d) desdits statuts prévoyait la participation de l’intéressée aux élections présidentielles, parlementaires et locales, dans le respect de la loi électorale.

7. Par un jugement du 6 septembre 2004, après avoir examiné les documents versés au dossier, le tribunal de première instance d’Arad fit droit à la demande de la requérante et ordonna son inscription au registre des associations et des fondations.

8. Aucun recours n’ayant été exercé, ce jugement devint définitif.

B. La demande d’inscription aux élections parlementaires

9. Le 28 novembre 2004, des élections parlementaires devaient avoir lieu en Roumanie.

10. Afin d’y participer, le 18 octobre 2004, la requérante introduisit une demande auprès du bureau électoral central (« le BEC ») visant à l’inscription de sa propre liste de candidats aux élections parlementaires, en se prévalant de l’article 4 § 4 de la loi no 373/2004 relative à l’élection de la Chambre des députés et du Sénat (« la loi no 373/2004 »).

11. Le même jour, la requérante transmit au BEC son logo électoral, lequel représentait un jeune homme qui attirait l’attention sur la devise « Maintenant, les JEUNES ! » et sur le nom de l’organisation. La requérante indiqua que le logo électoral comportait trois éléments symboliques majeurs. Elle explicita la signification de ces trois éléments de la manière suivante : l’expression du visage du jeune homme représentait l’ouverture, le sérieux et la compétence ; le geste fait par ce personnage avec sa main droite avait pour but d’attirer l’attention ; le slogan « Maintenant, les JEUNES ! » était une exhortation adressée spécifiquement aux jeunes appartenant à la minorité d’origine polonaise et destinée à inciter ceux-ci à participer activement à la vie de la communauté et à assumer dignement la culture et la civilisation polonaises.

12. Le 23 octobre 2004, l’Union des Polonais de Roumanie « Dom Polski » (« l’UPR ») ‑ organisation qui avait été créée en 1990 aux fins de représentation des intérêts de la minorité d’origine polonaise, qui bénéficiait d’un siège à la Chambre des députés et qui faisait partie du Conseil des minorités nationales (paragraphe 33 ci-dessous) – s’opposa à la candidature de la requérante auprès du BEC.

13. Dans sa requête auprès du BEC, l’UPR exposait qu’elle était l’unique organisation représentant les intérêts de la minorité d’origine polonaise en Roumanie. Elle soutenait que la requérante avait des liens avec des partis politiques et qu’il ne ressortait pas de sa dénomination qu’elle représentait la minorité d’origine polonaise. Elle affirmait que la requérante avait pour unique objectif d’obtenir un siège au Parlement et avait pour cela utilisé la voie plus facile réservée, à ses dires, aux représentants des minorités nationales par la loi (paragraphe 30 ci-dessous).

14. La contestation de l’UPR n’aurait pas été communiquée à la requérante.

15. Le 26 octobre 2004, par une décision définitive, le BEC rejeta la demande de la requérante, dans les termes suivants :

« Après avoir vérifié les documents versés au dossier, à savoir les statuts de l’organisation, l’acte constitutif et les listes de signatures, il convient de constater que le logo (simbolistica) et le contenu [desdits documents] ne prouvent pas [son] identification avec l’ethnie polonaise, telle que requise par l’article 4 § 1 de la loi no 373/2004 [sur l’élection de la Chambre des députés et du Sénat].

Pour ces raisons,

DÉCIDE

Rejette la demande de l’association Ofensiva Tinerilor.

[Décision] définitive et irrévocable. »

C. Les recours de la requérante contre la décision du BEC

1. La contestation de la décision du BEC devant la Haute Cour de cassation et de justice

16. Le 28 octobre 2004, se fondant sur la loi no 29/1990 régissant le contentieux administratif (« la loi no 29/1990 »), la requérante saisit la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») d’une action en annulation de la décision du BEC du 26 octobre 2004 (paragraphe 15 ci‑dessus). Elle soutenait qu’elle représentait les intérêts de la minorité d’origine polonaise, qu’elle remplissait les conditions requises par l’article 4 de la loi no 373/2004 lui permettant de participer aux élections avec sa propre liste, y compris la condition imposant un nombre précis de signatures, que le BEC n’était pas compétent pour juger si une association s’identifiait ou non à une minorité nationale et que, en tout état de cause, la décision du BEC n’était pas motivée.

17. L’affaire fut inscrite au rôle de la chambre civile de la Haute Cour et non pas au rôle de la chambre du contentieux administratif et fiscal.

18. La requérante ne fut pas citée à comparaître à l’audience fixée le même jour.

19. Par un arrêt définitif du 28 octobre 2004, la chambre civile de la Haute Cour déclara l’action de la requérante irrecevable. Elle retint que la loi no 373/2004 prévoyait expressément les cas dans lesquels les décisions du BEC pouvaient faire l’objet d’un recours devant un tribunal et que la décision contestée n’en relevait pas.

20. La requérante introduisit un pourvoi en recours contre cet arrêt, en soutenant que la chambre civile n’était pas compétente pour connaître d’une action en contentieux administratif. Elle indiqua qu’elle avait déposé son action au greffe (registratura) de la Haute Cour le 28 octobre 2004 et qu’aucune date d’audience ne lui avait été communiquée. Elle ajouta que, par la suite, l’action avait été jugée en urgence le même jour sans qu’elle eût été citée, ce qui aurait porté atteinte à ses droits de la défense et à son droit d’accès à un tribunal. À ses yeux, le rejet de son action pour cause d’irrecevabilité portait atteinte à la Constitution.

21. La requérante soutint également que la Haute Cour avait considéré à tort que la décision contestée du BEC avait un caractère civil et non pas un caractère administratif. De plus, elle indiqua que, par son arrêt, la Haute Cour avait méconnu la décision de la Cour constitutionnelle no 325 du 14 septembre 2004. Elle précisa à cet égard que le juge constitutionnel avait jugé que les décisions du BEC pouvaient être contestées sur la base de la loi no 29/1990 et que celle-ci constituait le droit commun en la matière (paragraphe 35 ci-dessous).

22. Par un autre arrêt définitif du 15 novembre 2004, la Haute Cour, siégeant en une formation de neuf juges, déclara le recours irrecevable, au motif que la loi no 373/2004 ne prévoyait pas de voie de recours contre les décisions du BEC portant rejet d’une demande d’inscription aux élections parlementaires.

2. La contestation de la décision du BEC devant la cour d’appel

23. Toujours le 28 octobre 2004, se fondant sur la loi no 29/1990, la requérante saisit la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») d’une action en annulation de la décision du BEC du 26 octobre 2004.

24. Cette action fut transmise à la chambre civile de la Haute Cour qui fixa une audience pour le 29 octobre 2004, sans citation des parties.

25. Lors de l’audience du 29 octobre 2004, à laquelle était présente la mandataire de la requérante, la Haute Cour soumit au débat des parties l’exception tirée de l’autorité de la chose jugée. La représentante de la requérante indiqua qu’il n’avait pas été porté à sa connaissance que l’affaire avait déjà fait l’objet d’une action entre les mêmes parties et portant sur le même objet.

26. Par un arrêt définitif rendu le même jour, la chambre civile de la Haute Cour rejeta l’action en raison de l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 28 octobre 2004 précité (paragraphe 19 ci-dessus).

27. La requérante forma un pourvoi en recours contre cet arrêt, en indiquant qu’elle avait engagé une action en contentieux administratif devant la cour d’appel et non pas une action civile devant la Haute Cour et qu’elle n’avait pas connaissance des raisons pour lesquelles la cour d’appel s’était dessaisie de l’affaire. Elle demanda que l’affaire fût renvoyée devant la juridiction du contentieux administratif saisie par elle.

28. Par un arrêt définitif du 15 novembre 2004, la Haute Cour, siégeant en une formation de neuf juges, déclara le recours irrecevable au motif que l’arrêt du 29 octobre 2004 était définitif.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le droit interne

29. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’ordonnance no 26/2000 sont ainsi rédigées :

Article 7

« (1) Tout associé peut formuler une demande d’inscription de l’association dans le registre des associations et des fondations qui se trouve au greffe du tribunal de première instance dans la circonscription de laquelle celle-ci a établi son siège, (...).

(2) La demande d’inscription est accompagnée des documents suivants :

a) l’acte constitutif ;

b) les statuts de l’association ;

c) des actes permettant d’établir le siège et le patrimoine initial ;

d) l’avis du ministère ou de l’organe spécialisé de l’administration publique centrale dans la sphère de compétence duquel l’association exerce son activité. »

Article 8

« (1) L’association devient une personne morale au moment de son inscription dans le registre des associations et des fondations.

(2) Le juge désigné par le président du tribunal vérifie dans un délai de trois jours à partir du dépôt de la demande d’inscription et des documents prévus par l’article 7 alinéa 2 la légalité de ceux-ci et décide, par un jugement avant dire droit, l’inscription de l’association dans le registre des associations et des fondations. »

30. En ses dispositions pertinentes en l’espèce, la Constitution roumaine, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, était ainsi libellée :

Article 62 - L’élection des Chambres

« (1) La Chambre des députés et le Sénat sont élus au suffrage universel, égal, direct, secret et librement exprimé, selon la loi électorale.

(2) Les organisations de citoyens appartenant aux minorités nationales qui ne réunissent pas lors des élections le nombre de voix [requis] pour être représentées au Parlement ont droit à un siège de député, dans les conditions [fixées par] la loi électorale. Les citoyens d’une minorité nationale ne peuvent être représentés que par une seule organisation.

(...) »

31. Les élections du 28 novembre 2004 étaient régies par la loi no 373/2004 relative à l’élection de la Chambre des députés et du Sénat, publiée au Journal officiel no 887 du 29 septembre 2004 et entrée en vigueur le 2 octobre 2004. Les dispositions pertinentes en l’espèce de ce texte étaient ainsi libellées :

Article 4

« (1) Une minorité nationale au sens de la présente loi est une ethnie (etnie) représentée au Conseil des minorités nationales.

(2) Les organisations de citoyens appartenant à une minorité nationale définie conformément à l’alinéa (1), légalement constituées, qui n’ont pas obtenu aux élections au moins un siège de député ou de sénateur, ont le droit, toutes ensemble, conformément à l’article 62 alinéa 2 de la Constitution, à un siège de député, si elles ont obtenu, dans le pays entier, un nombre de suffrages égal au moins à 10 % du nombre moyen de suffrages exprimés valablement dans le pays entier pour l’élection d’un député.

(3) Les organisations appartenant aux minorités nationales représentées au Parlement peuvent se porter candidates.

(4) Peuvent également se porter candidates les autres organisations de citoyens appartenant aux minorités nationales définies au 1er alinéa, légalement constituées, qui présentent au bureau électoral central, dans un délai de trois jours à compter de la constitution de ce dernier, une liste de leurs membres [dont le] nombre [correspond] au moins à 15 % du nombre total des citoyens qui, lors du dernier recensement, ont déclaré appartenir à la minorité en question.

(5) Si le nombre des membres requis au 4e alinéa est supérieur à 25 000 personnes, la liste des membres doit comporter au moins 25 000 personnes domiciliées dans au moins 15 départements du pays et dans la municipalité de Bucarest, mais pas moins de 300 personnes pour chacun de ces départements et pour la municipalité de Bucarest (...)

(7) Au sens de la présente loi, le régime juridique des partis politiques est appliqué également aux organisations de citoyens appartenant aux minorités nationales prévues aux alinéas (3) et (4).

(...) »

Article 31

« (1) Le bureau électoral central est composé de sept juges de la Haute Cour de cassation et de justice, du président et du vice-président de l’Autorité électorale permanente, de seize représentants des partis, des formations politiques et de leurs coalitions qui participent aux élections, ainsi que d’un représentant désigné par le groupe parlementaire des minorités nationales de la Chambre des députés.

(2) Les sept juges sont désignés par le président de la Haute Cour de cassation et de justice, en séance publique, (...) par tirage au sort, parmi les juges en fonction auprès de la Haute Cour (...) ; ont le droit de participer à l’organisation et au tirage au sort d’un représentant désigné pour chaque parti politique parlementaire (...) Le procès-verbal constitue l’acte d’investiture.

(3) Dans un délai de vingt-quatre heures après l’investiture, les juges désignés élisent, à leur tour, par un vote à bulletin secret, le président du bureau électoral central et son remplaçant. Dans un délai de vingt-quatre heures à partir de la désignation du président du bureau électoral central, le bureau est complété par le président et le vice-président de l’Autorité électorale permanente, par un représentant de chacun des partis politiques parlementaires, ainsi que par un représentant désigné par le groupe parlementaire des minorités nationales de la Chambre des députés (...)

(4) Dans un délai de deux jours après que les candidatures sont définitives, les partis politiques qui ne sont pas représentés au parlement, les alliances politiques et les alliances électorales qui participent aux élections communiquent, par écrit, au bureau électoral central, les noms et les prénoms de leurs représentants (...)

(5) La désignation des représentants des partis politiques non-parlementaires, des alliances politiques et des alliances électorales au bureau électoral central se fait par ordre décroissant en fonction du nombre de listes centralisées conformément à l’article 32 alinéa (1) lettre d) (...) »

Article 32

« (1) Le bureau électoral central est principalement chargé de :

a) veille[r] à l’actualisation des listes électorales permanentes, sui[vre] l’application des dispositions légales concernant les élections sur l’ensemble du territoire du pays, et [ce de manière] uniforme ;

b) assure[r] la publication au Journal officiel (...) de la liste contenant la dénomination et les logos électoraux (semnele electorale) des partis politiques, des alliances politiques, des alliances électorales et des organisations de citoyens appartenant aux minorités nationales légalement constituées qui ont le droit de participer aux élections et transm[ettre] la liste à tous les bureaux électoraux de circonscription aussitôt que ceux-ci se sont constitués.

c) connaître des contestations (întâmpinările) concernant sa propre activité et de celles relatives à l’activité des bureaux électoraux de circonscription (...)

d) centraliser, sur la base des communications reçues des bureaux de circonscription, le nombre des listes complètes des candidatures définitives déposées par les partis politiques, alliances politiques, alliances électorales et les organisations des citoyens appartenant aux minorités nationales ; (...)

(...) »

Article 44

« (1) Les propositions des candidats doivent être faites par circonscription électorale et [les candidatures] sont déposées auprès des bureaux électoraux de circonscription, au plus tard trente jours avant la date des élections. »

Article 47

« (1) Les citoyens, les partis politiques, les alliances politiques et les alliances électorales peuvent contester les candidatures jusqu’à l’échéance d’un délai de vingt jours avant la date fixée pour les élections.

(...)

(3) Les contestations relatives à l’enregistrement ou au rejet d’une candidature sont résolues par le tribunal dans le ressort duquel se trouve la circonscription électorale, dans un délai maximum de deux jours à partir du dépôt de la contestation. L’arrêt [rendu par le tribunal] n’est pas communiqué [aux parties].

(4) L’arrêt est soumis à un pourvoi en recours, dans un délai de vingt-quatre heures à partir d[e son] prononcé, devant la cour d’appel. Le pourvoi en recours est [examiné] dans un délai de deux jours à partir de son enregistrement. L’arrêt est définitif et irrévocable.

(...) »

32. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 14/2003 sur les partis politiques, publiée au Journal officiel no 25 du 17 janvier 2003, incluses dans le chapitre « L’enregistrement des partis politiques », étaient ainsi libellées :

Article 19

« (3) La liste doit contenir au moins 25 000 membres fondateurs, domiciliés dans au moins dix-huit départements du pays et dans la municipalité de Bucarest, mais pas moins de 700 personnes pour chacun de ces départements et pour la municipalité de Bucarest ».

33. Les articles pertinents en l’espèce de l’arrêté du gouvernement no 589 du 21 juin 2001 sur la création du Conseil des minorités nationales, publié au Journal officiel no 365 du 6 juillet 2001, étaient ainsi libellés :

Article 1

« Le Conseil des minorités nationales est créé en tant qu’organe consultatif du Gouvernement, non doté de la personnalité juridique, et, en coordination avec le ministère des Informations publiques, [il] a pour but d’assurer les relations avec les organisations de citoyens appartenant aux minorités nationales légalement constituées. »

Article 2

« Le Conseil des minorités nationales est constitué de trois représentants pour chacune des organisations de citoyens appartenant aux minorités nationales représentées au Parlement roumain. »

34. En ses dispositions pertinentes en l’espèce, la loi no 29/1990 relative au contentieux administratif, telle qu’elle était rédigée à l’époque des faits et avant son abrogation par la loi no 554/2004 entrée en vigueur le 6 janvier 2005, se lisait ainsi :

Article 1

« Toute personne (...) qui s’estime lésée dans ses droits reconnus par la loi, par un acte administratif ou par le refus injustifié d’une autorité publique de donner suite à sa demande relative à un droit reconnu par la loi, peut saisir la juridiction compétente pour [obtenir] l’annulation de l’acte, la reconnaissance du droit en question et la réparation du préjudice ainsi causé. (...)

Article 4

« Les actes administratifs juridictionnels (...) peuvent être contestés, à l’issue du recours administratif, dans un délai de quinze jours [à partir] de la communication, devant la chambre du contentieux administratif de la Cour suprême de justice, si la loi ne prévoit pas un autre délai.

L’arrêt de la Cour [suprême de justice] est définitif. »

B. La jurisprudence interne

35. La loi no 67/2004 concernant l’élection des autorités de l’administration publique locale (« la loi no 67/2004 ») contenait des dispositions similaires à celles de la loi no 373/2004 quant à la participation des associations des minorités nationales aux élections et aux compétences du BEC. La Cour constitutionnelle fut saisie d’une exception d’inconstitutionnalité des articles 33 et 35 de la loi no 67/2004, fondée sur une méconnaissance du droit d’accès à un tribunal à raison du caractère définitif des décisions du BEC. Par la décision no 325 du 14 septembre 2004 publiée au Journal officiel no 969 du 21 octobre 2004, la Cour constitutionnelle rejeta l’exception d’inconstitutionnalité et jugea ce qui suit :

« (...) conformément aux dispositions qui font l’objet du contrôle de constitutionnalité, les décisions des bureaux électoraux sont prononcées dans le cadre juridictionnel spécifique à l’activité électorale, et elles n’excluent pas le libre accès à la justice. S’agissant d’actes à caractère juridictionnel des organes administratifs, ces décisions peuvent être contestées en justice par [les personnes] intéressées, dans le respect des conditions prévues par la loi relative au contentieux administratif no 29/1990. (...) »

36. Le Gouvernement a versé au dossier de l’affaire, devant la Cour, des décisions rendues par la Haute Cour, parmi lesquels des arrêts définitifs prononcés par la chambre du contentieux administratif et fiscal le 4 avril 2007 et les 10, 12 et 13 juin 2008. Il ressort de ces décisions que la haute juridiction a constamment jugé que l’activité du BEC menée en conformité avec l’article 37 de la loi no 67/2004 était assimilée à celle d’une autorité publique centrale et que les décisions du BEC rendues dans ce contexte représentaient des actes administratifs juridictionnels, au sens des dispositions de la loi concernant le contentieux administratif.

37. Le 9 décembre 2012, des nouvelles élections pour la Chambre des députés et le Sénat ont eu lieu en Roumanie, élections régies par la loi no 35/2008 concernant les élections pour la Chambre des députés et du Sénat (« la loi no 35/2008 »), en vigueur lors de ces élections. Par un arrêté du 20 septembre 2012, publié au Journal officiel du 25 septembre 2012, le BEC décida que, afin d’assurer le libre accès à la justice, en l’absence de disposition légale, les décisions du BEC concernant une candidature unique au niveau national déposée par une organisation des citoyens appartenant à une minorité nationale seraient contestées devant le tribunal départemental de Bucarest. Il ajouta que les décisions de ce tribunal pouvaient être contestées auprès de la cour d’appel de Bucarest, dans un délai de vingt‑quatre heures.

C. Les dispositions internes concernant le Conseil national de lutte contre la discrimination (« le CNCD »)

38. Le CNCD, organe administratif autonome doté d’attributions judiciaires, est chargé de contrôler au niveau national, d’office ou sur plainte d’une personne physique ou morale, le respect du principe de non‑discrimination tel que prévu par l’ordonnance du gouvernement no 137/2000 concernant la prévention et la sanction de toutes les formes de discrimination. Il peut être saisi par toute personne qui s’estime victime de discrimination dans un délai d’un an à compter des faits supposés discriminatoires. Son collège directeur, un organe composé de neuf membres élus à la majorité simple pour un mandat de cinq ans par les députés et les sénateurs, est compétent pour infliger une sanction (avertissement ou amende contraventionnelle) s’il constate l’existence d’une discrimination. Il peut également octroyer une assistance aux victimes. Les décisions du CNCD sont communiquées aux parties. Le mandat du CNCD comprend également la prévention de la discrimination au moyen de l’organisation d’activités de sensibilisation et la réalisation d’études et d’autres travaux de recherche, ainsi que la collecte de données et la médiation entre les parties. Les décisions du CNCD peuvent être contestées devant les tribunaux internes conformément aux dispositions de l’ordonnance du gouvernement no 2/2001 portant sur le régime juridique des contraventions.

D. Les travaux de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (« la Commission de Venise »)

1. Le Code de bonne conduite en matière électorale

39. Le Code de bonne conduite en matière électorale a été adopté par la Commission de Venise lors de sa 51e session plénière tenue les 5 et 6 juillet 2002, et soumis à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 6 novembre 2002. Il est décrit dans ses parties pertinentes en l’espèce, et plus particulièrement en ce qui concerne la question de l’existence d’un système de recours effectifs en matière électorale, dans l’affaire Grosaru c. Roumanie (no 78039/01, § 22, CEDH 2010).

2. Le Rapport sur le droit électoral et les minorités nationales

40. Le Rapport sur le droit électoral et les minorités nationales a été adopté par la Commission de Venise le 25 janvier 2000. Il concerne la participation aux organes élus de l’État, et tout particulièrement au parlement national. Cette participation est examinée au travers du droit électoral et des possibilités que celui-ci offre aux personnes appartenant à des minorités nationales d’être présentes au sein des organes élus.

D’après ce rapport, l’existence de règles de droit électoral relatives à une représentation spéciale des minorités est l’exception. Ainsi, parmi les États qui ont répondu au questionnaire de la Commission de Venise, seuls trois d’entre eux ‑ la Croatie, la Roumanie et la Slovénie ‑ prévoyaient l’élection de députés censés représenter les minorités nationales. Par ailleurs, la Roumanie est le pays où le plus grand nombre de partis politiques et d’organisations de citoyens appartenant à des minorités nationales – assimilées aux partis politiques en matière électorale – ont participé aux élections et ont des députés et des sénateurs au Parlement.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

41. La requérante allègue que le refus du BEC d’enregistrer sa candidature aux élections parlementaires a porté atteinte à ses droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi libellé :

« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »

A. Sur la recevabilité

42. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

a) La requérante

43. La requérante soutient que le BEC a rejeté sa demande de participation aux élections pour une raison qui n’était pas prévue par la loi, en l’occurrence le défaut d’identification avec l’ethnie polonaise. Elle indique que la loi prévoyait une procédure spéciale pour les associations représentant les minorités nationales souhaitant participer aux élections et qu’il s’agissait d’une procédure différente de celle prévue pour les représentants des minorités qui siégeaient déjà au Parlement.

44. La requérante affirme également que la nécessité que le logo électoral choisi par une association fût représentatif pour la minorité concernée ne constituait pas une condition prévue par la loi pour participer aux élections. Elle considère que seuls les électeurs, et non pas le BEC, pouvaient décider, par leur vote, quelle était l’association qui représentait au mieux leurs intérêts.

b) Le Gouvernement

45. Le Gouvernement indique que la requérante n’était pas représentée au Parlement et qu’elle devait remplir les conditions requises par l’article 4 alinéa 4 de la loi no 373/2004 en vue de sa participation aux élections. Il précise que l’intéressée devait déposer une liste de signatures comprenant un nombre correspondant au moins à 15 % du nombre total des citoyens qui, au dernier recensement, avaient déclaré appartenir à la minorité d’origine polonaise. Le Gouvernement ajoute que 3 559 personnes avaient déclaré au dernier recensement être d’origine polonaise et que seules 48 d’entre elles habitaient dans le département d’Arad, où se trouvait le siège de la requérante.

46. Le Gouvernement explique que le BEC, dans l’exercice de ses attributions conférées par la loi, avait vérifié les documents présentés par la requérante et avait constaté que le logo choisi par cette dernière et le contenu desdits documents ne prouvaient pas l’identification de l’intéressée avec l’ethnie polonaise, telle que requise par la loi no 373/2004. Le Gouvernement précise que le logo électoral est un élément essentiel d’identification du candidat destiné à être utilisé dans la campagne électorale et imprimé sur les bulletins de vote. À cet égard, il indique que le logo électoral de la requérante représentait l’image d’un jeune homme qui regardait devant lui, accompagnée d’un slogan qui ne s’adressait pas uniquement aux personnes d’origine polonaise. Le Gouvernement estime que, dans ces conditions, la requérante pouvait élargir le nombre de ses électeurs, son message s’adressant selon lui à tous les citoyens roumains ayant le droit de vote et non pas à la seule communauté polonaise formée de 3 559 citoyens. Ainsi, les citoyens auraient pu croire qu’ils accordaient leur vote à une formation militant pour la promotion des intérêts des jeunes en Roumanie et non pas à une organisation représentant les intérêts de la minorité d’origine polonaise. Le Gouvernement affirme que la requérante se serait trouvée en compétition directe avec l’organisation représentant la minorité d’origine polonaise au Parlement – à savoir l’UPR –, que cette dernière s’adressait seulement aux personnes appartenant à la minorité d’origine polonaise et que, dès lors, la requérante n’aurait laissé aucune chance de succès à cette organisation qui, à ses yeux, représentait en réalité les intérêts de la minorité en question.

47. Le Gouvernement indique également que la requérante s’était constituée en septembre 2004, soit peu de temps avant la date fixée pour les élections parlementaires : l’intéressée n’aurait ainsi pas eu suffisamment de temps pour prouver son implication dans des projets qui servaient les intérêts de la minorité d’origine polonaise.

48. Le Gouvernement estime que tous les arguments avancés par lui prouvent que la décision prise par le BEC poursuivait un but légitime, à savoir celui de s’assurer que les intérêts de la minorité d’origine polonaise étaient représentés d’une manière réelle au sein du corps législatif roumain. Se fondant sur les mêmes éléments, le Gouvernement soutient que cette mesure n’était pas disproportionnée au but poursuivi. Il ajoute sur ce dernier point que la décision litigieuse émanait d’un organe indépendant et impartial.

2. L’appréciation de la Cour

a) Les principes généraux

49. La Cour rappelle que l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention consacre un principe fondamental dans un régime politique véritablement démocratique et revêt donc dans le système de la Convention une importance capitale (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, § 47, série A no 113). Le rôle de l’État, en tant qu’ultime garant du pluralisme, implique l’adoption de mesures positives pour organiser des élections démocratiques dans des « conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » (Özgürlük ve Dayanışma Partisi (ÖDP) c. Turquie, no 7819/03, § 27, CEDH 2012).

50. En particulier, les États disposent d’une grande latitude pour établir, dans leur ordre constitutionnel, des règles relatives au statut de parlementaire, dont les critères d’inéligibilité. Quoique procédant d’un souci commun – assurer l’indépendance des élus mais aussi la liberté des électeurs –, ces critères varient en fonction des facteurs historiques et politiques propres à chaque État ; la multitude de situations prévues dans les constitutions et les législations électorales de nombreux États membres du Conseil de l’Europe démontre la diversité des choix possibles en la matière. Aux fins de l’application de l’article 3, toute loi électorale doit toujours s’apprécier à la lumière de l’évolution politique du pays, de sorte que des détails inacceptables dans le cadre d’un système déterminé peuvent se justifier dans celui d’un autre. Cette marge de manœuvre reconnue à l’État est toutefois limitée par l’obligation de respecter le principe fondamental de l’article 3, à savoir « la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » (Mathieu-Mohin et Clerfayt précité, § 54 et Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, § 106, CEDH 2006‑IV).

51. Les droits garantis par l’article 3 précité ne sont pas absolus. Il y a place pour des « limitations implicites » et les États contractants doivent se voir accorder une large marge d’appréciation en la matière (voir, parmi d’autres, Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 63, CEDH 1999 I, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 201, CEDH 2000-IV). Quant au droit de se présenter aux élections, c’est-à-dire l’aspect « passif » des droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour se montre encore plus prudente dans son appréciation des restrictions dans ce contexte que lorsqu’elle est appelée à examiner des restrictions au droit de vote, c’est-à-dire l’élément « actif » des droits garantis par le même article.

52. Cependant, il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur l’observation des exigences de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention : si le droit de se porter candidat n’est pas absolu, les limitations implicites dont il peut faire l’objet ne doivent pas le réduire au point de l’atteindre dans sa substance même et de le priver de son effectivité. Pareilles limitations doivent également pouvoir se concilier avec l’état de droit et être entourées de suffisamment de garanties pour éviter l’arbitraire (Petkov et autres c. Bulgarie, nos 77568/01, 178/02 et 505/02, § 59, 11 juin 2009).

53. Enfin, la Cour rappelle qu’elle a toujours souligné la nécessité d’éviter les décisions arbitraires et les abus de pouvoir en matière électorale spécialement en ce qui concerne l’enregistrement des candidats (voir, parmi d’autres, Melnitchenko c. Ukraine, no 17707/02, § 59, CEDH 2004‑X, et Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 35, CEDH 2002‑II). Elle a également toujours estimé que les procédures prévues pour l’enregistrement des candidats devaient se caractériser par l’équité procédurale et la sécurité juridique (Ždanoka précité, §§ 107, 108 et 115, et Parti conservateur russe des entrepreneurs et autres c. Russie, nos 55066/00 et 55638/00, § 50, 11 janvier 2007).

b) L’application des principes en l’espèce

54. La Cour constate à titre liminaire que cette affaire vise le contexte législatif très spécifique à la Roumanie qui prévoit des règles particulières, en faveur des organisations appartenant aux minorités, pour participer aux élections. En effet, la Roumanie a choisi d’assurer une représentation spéciale des minorités au Parlement et c’est le pays européen où le plus grand nombre de partis et d’organisations de minorités participe aux élections et ont des représentants au Parlement (voir les conclusions du Rapport sur le droit électoral et les minorités nationales, paragraphe 40 ci‑dessus).

55. La Cour estime que l’article 1 du Protocole no 3 à la Convention n’astreint pas les États contractants à instaurer des conditions spécifiques en faveur des minorités pour participer aux élections. Néanmoins, un État qui se dote d’un tel système doit en principe s’assurer que les règles électorales applicables sont claires afin d’éviter une interprétation arbitraire lors de leur application (voir, pour une situation concernant la manière dont le BEC avait interprété les dispositions législatives pertinentes en matière d’élection des députés représentant des minorités nationales, l’affaire Grosaru c. Roumanie, no 78039/01, CEDH 2010).

56. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour constate que l’affaire porte sur les conditions d’éligibilité prévues par la loi pour se porter candidat. Or le droit de se porter candidat aux élections, garanti par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention et inhérent à la notion de régime véritablement démocratique, ne serait qu’illusoire si la personne concernée pouvait à tout moment en être arbitrairement privée. Par conséquent, s’il est vrai que les États disposent d’une grande marge d’appréciation pour établir des conditions d’éligibilité in abstracto, le principe d’effectivité des droits exige que les décisions constatant le non‑respect de ces conditions dans le cas de tel ou tel candidat soient conformes à un certain nombre de critères permettant d’éviter l’arbitraire. En particulier, ces décisions doivent être prises par un organe présentant un minimum de garanties d’impartialité. De même, le pouvoir autonome d’appréciation de cet organe ne doit pas être exorbitant : il doit être, à un niveau suffisant de précision, circonscrit par les dispositions du droit interne. Enfin, la procédure aboutissant à un constat d’inéligibilité doit être de nature à garantir une décision équitable et objective, ainsi qu’à éviter tout abus de pouvoir de la part de l’autorité compétente (Podkolzina, précité, § 33).

57. La Cour constate que le BEC a fondé sa décision du 26 octobre 2004 sur l’article 4 § 1 de la loi no 373/2004 et a estimé que le logo et les documents présentés à l’appui de sa demande par la requérante ne prouvaient pas l’identification de celle-ci à l’ethnie polonaise. Or la Cour constate que ni l’article 4 § 1 de la loi no 373/2004, ni l’article 4 dans son ensemble, n’imposaient aux candidats souhaitant représenter les intérêts des minorités nationales des conditions quant aux logos choisis. Or, une telle précision s’est avérée décisive au moment de la détermination de la validité d’une candidature, d’autant plus que l’article en cause visait la situation spécifique des minorités nationales qui, comme le soutient d’ailleurs le Gouvernement, s’adresse en premier lieu à un électorat ciblé.

58. La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si ce manque de clarté des règles électorales pouvait donner lieu à une interprétation arbitraire lors de leur application. À cet égard, elle note que le BEC a rejeté la demande de la requérante en indiquant que le logo et le contenu des documents « ne prouvent pas [son] identification avec l’ethnie polonaise, telle que requise par l’article 4 § 1 de la loi no 373/2004 ». Elle observe toutefois que cette disposition définissait la minorité qui avait le droit de participer au processus électoral comme étant « l’ethnie représentée au Conseil des minorités nationales ». Il ne fait pas de doute que la minorité d’origine polonaise faisait partie de cette catégorie, étant donné que ses intérêts étaient déjà représentés au Parlement et au Conseil des minorités nationales par l’UPR. La Cour note aussi qu’après avoir reçu un avis favorable à sa constitution de la part du Gouvernement, représenté par le département pour les relations interethniques (paragraphe 6 ci-dessus), la requérante s’était constituée comme association. Elle remarque enfin que le jugement du 6 septembre 2004 faisant droit à la demande d’inscription de la requérante au registre des associations et de fondations n’avait pas été contesté (paragraphe 8 ci-dessus).

59. Compte tenu des raisons invoquées par le BEC pour rejeter la candidature de la requérante en vertu de la base légale mentionnée dans la décision du 26 octobre 2004, la Cour estime que la loi n’énonçait pas clairement les conditions que les représentants des minorités non représentés au Parlement devaient remplir. De même, l’étendue du pouvoir décisionnel exercé par le BEC en la matière n’était pas suffisamment définie.

60. La Cour note ensuite qu’en tant qu’organisation représentant une minorité nationale non représentée au Parlement, la requérante devait déposer sa candidature auprès du BEC qui agissait, dans ce cas, comme un bureau électoral de circonscription. Après avoir examiné le dossier qui lui avait été soumis et sans informer l’intéressé de l’existence d’une contestation concernant sa candidature (paragraphe 14 ci-dessus), le BEC a refusé d’enregistrer la candidature de la requérante, au motif que le logo électoral et le contenu des documents ne prouvaient pas son identification avec l’ethnie polonaise. Étant donné que les décisions du BEC rendues en tant qu’autorité compétente pour enregistrer la candidature d’une minorité nationale aux élections n’étaient pas susceptibles, selon la loi, d’un recours devant les juridictions internes, la Cour doit examiner si en l’espèce, le BEC constituait un organe présentant un minimum de garanties d’impartialité. À cet égard, elle constate que le BEC était constitué de sept juges, de seize représentants des partis, des formations politiques et de leurs coalitions qui participent aux élections, ainsi que d’un représentant désigné par le groupe parlementaire des minorités nationales de la Chambre des députés. Elle note également que les intérêts des minorités nationales étaient représentés par un seul représentant qui était désigné par les organisations des minorités nationales déjà représentées au Parlement (voir le paragraphe 31 ci-dessus, et plus particulièrement l’article 31 de la loi no 373/2004). Dès lors, la majorité des membres du BEC était représentée par des formations politiques participant aux élections. De l’avis de la Cour, une association dont la candidature aux élections a été rejetée a des raisons légitimes de craindre que la grande majorité de certains membres de l’organe ayant examiné sa candidature – en l’occurrence les membres représentant les autres partis politiques du bureau central – peuvent avoir un intérêt contraire au sien. Les règles de composition de cet organe, constitué d’une majorité de membres représentant des partis politiques ne paraissent donc pas de nature à fournir un gage minimum d’impartialité, sans autre mesure compensatoire (voir, en ce sens, Grosaru, précité, § 54).

61. En outre, la Cour note qu’en l’espèce aucun tribunal national ne s’est prononcé sur l’interprétation de la disposition légale appliquée par le BEC. En effet, bien que la requérante ait saisi la Haute Cour et la cour d’appel d’actions fondées sur la loi no 29/1990 relative au contentieux administratif, ses actions ont été enregistrées au rôle de la chambre civile de la Haute juridiction et elles ont été déclarées irrecevables au motif que, selon la loi no 373/2004, les décisions du BEC – comme celle rendue dans la présente affaire – étaient définitives et n’étaient pas susceptibles de recours. Aucune explication n’a été fournie quant à la requalification des actions engagées par la requérante en contentieux administratif en actions fondées sur la loi électorale. De plus, la requérante n’a pas été citée à l’audience du 28 octobre 2004 devant la Haute Cour et elle n’a donc pas eu l’occasion d’exposer ses arguments (paragraphe 18 ci-dessus).

62. Dans ces conditions, la Cour estime que, en l’absence de garanties suffisantes quant à l’impartialité de l’organe chargé d’examiner la demande la candidature de la requérante, la procédure en l’espèce était incompatible avec les exigences en matière d’éligibilité de candidats (paragraphe 39 et 56 ci-dessus). La Cour prend acte de ce que lors des élections suivantes, le BEC a rendu un arrêté qui indiquait l’autorité compétente pour juger les contestations contre ses propres décisions, rendues quant à une candidature unique au niveau national déposée par une organisation des citoyens appartenant à une minorité nationale (paragraphe 37 ci-dessus).

63. Eu égard à tout ce qui précède, la Cour estime que le manque de clarté de la loi électorale en ce qui concerne les minorités nationales et l’absence de garanties suffisantes quant à l’impartialité des organes chargés d’examiner la demande de candidature de la requérante ont porté atteinte à la substance même de ses droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention.

Partant, il y a eu en l’espèce violation de cette disposition.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION EN COMBINAISON AVEC L’ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

64. La requérante se plaint de ne pas avoir bénéficié au niveau interne d’un recours effectif qui lui aurait permis de contester la décision du BEC portant refus de l’inscription de sa candidature aux élections parlementaires. Elle invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

65. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

66. Dénonçant une absence, en droit interne, d’un recours effectif qui lui aurait permis de contester le refus du BEC d’enregistrer sa candidature aux élections parlementaires, la requérante explique que l’article 47 de la loi no 373/2004 régissait une procédure distincte et qu’il n’était pas applicable à sa situation. Elle indique qu’il était fait mention expresse dans la décision du BEC du 26 octobre 2004 du caractère définitif et irrévocable de celle-ci et donc que ladite décision ne pouvait pas faire l’objet d’un recours.

67. Le Gouvernement soutient que la requérante disposait en droit interne d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention. Il indique à cet égard que la requérante aurait pu contester la décision du BEC soit par la voie du contentieux administratif, soit en se fondant sur l’article 47 de la loi no 373/2004, soit en invoquant directement l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention devant les juridictions nationales.

68. La Cour relève qu’elle vient d’examiner sous l’angle de l’article 3 du Protocole no 1 le fonctionnement des recours relatifs quant au refus du BEC d’enregistrer la candidature de la requérante. Dès lors, elle considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément l’absence de recours effectif du point de vue de l’article 13 de la Convention (voir, en ce sens, Podkolzina précité, § 45).

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION EN COMBINAISON AVEC L’ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

69. La requérante dénonce sa situation qu’elle qualifie de moins avantageuse que celle de l’organisation représentant la minorité d’origine polonaise participant aux élections et siégeant déjà au Parlement, au motif que, à la différence de cette dernière, sa candidature n’a pas été acceptée automatiquement et qu’elle a dû prouver son identification à la communauté polonaise. Elle se plaint en outre d’un traitement discriminatoire par rapport aux partis politiques, en raison du pourcentage des signatures qu’elle a dû fournir à l’appui de sa candidature. Elle invoque l’article 14 de la Convention qui se lit ainsi :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Sur la recevabilité

1. Les arguments des parties

70. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, au motif que la requérante n’a pas saisi le CNCD sur la base des dispositions de l’ordonnance du gouvernement no 137/2000 concernant la prévention et la sanction de toutes les formes de discrimination. Il explique ensuite que l’article 4 alinéa 4 de la loi no 373/2004 visait à la protection des intérêts des minorités dans leur ensemble, eu égard aux avantages établis par la loi en faveur de celles-ci en matière électorale. Il indique également que les partis politiques et les organisations de citoyens appartenant aux minorités nationales représentent des catégories différentes et qu’ils sont soumis à des régimes juridiques distincts.

71. La requérante expose que le CNCD n’est pas un organe juridictionnel et que, eu égard aux pouvoirs qui lui avaient été conférés par la loi, il n’aurait pas pu contraindre le BEC à réexaminer sa candidature aux élections.

72. Elle considère ensuite que tous les candidats aux élections devraient bénéficier de chances égales pour y participer et qu’il appartient aux électeurs de décider par leur vote qui devrait représenter leurs intérêts. Quant à sa discrimination par rapport aux partis politiques engagés dans la course électorale, elle indique que les partis politiques devaient présenter lors de leur constitution une liste de 25 000 signatures alors qu’elle-même, en tant que représentante d’une minorité, a dû présenter une liste de signatures représentant au moins 15 % du nombre total des citoyens qui, lors du dernier recensement, avaient déclaré appartenir à la minorité en question. Selon la requérante, il y a une disproportion évidente entre le pourcentage de 15 % qui lui avait été imposé et le nombre de 25 000 signatures, qui, rapporté au nombre des citoyens roumains, aurait représenté de manière évidente un pourcentage inférieur.

2. L’appréciation de la Cour

73. La Cour rappelle que la discrimination consiste à traiter de manière différente sans justification objective et raisonnable des personnes placées dans des situations comparables. Un traitement différencié est dépourvu de « justification objective et raisonnable » lorsqu’il ne poursuit pas un « but légitime » ou qu’il n’existe pas un « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (Sejdić et Finci c. Bosnie‑Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, § 42, CEDH 2009). L’étendue de la marge d’appréciation dont les Parties contractantes jouissent à cet égard varie selon les circonstances, les domaines et le contexte (Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 82, CEDH 2009).

74. En l’occurrence, la Cour estime qu’elle ne doit pas trancher la question concernant l’épuisement des voies de recours internes, étant donné que ce grief est irrecevable pour les raisons exposées ci-dessous.

a) Sur la branche du grief concernant la prétendue discrimination par rapport à l’organisation représentant la minorité d’origine polonaise et siégeant déjà au Parlement

75. La Cour observe que seules les associations représentant des minorités nationales qui ne siégeaient pas au Parlement devaient présenter un certain nombre de signatures à l’appui de leur candidature. Cependant, la Cour estime que cette différence de traitement avait une justification objective et raisonnable compte tenu du but poursuivi par l’article 4 alinéa 4 de la loi no 373/2004. En effet, cette norme avait pour finalité de s’assurer que toute association participant aux élections en tant que représentante d’une minorité nationale représentait bel et bien les intérêts de cette dernière et bénéficiait d’un certain support en son sein. Or, dans le cas des organisations déjà élues au Parlement, un tel soutien pouvait être présumé (Soberania de la Razon et autres c. Espagne (déc.), 30537/12, § 34, 26 mai 2015).

76. Il s’ensuit que cette branche du grief est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

b) Sur la branche du grief concernant la prétendue discrimination par rapport aux partis politiques

77. La Cour note à titre liminaire que la candidature de l’association requérante n’a pas été rejetée pour défaut de présentation du nombre de signatures requis par la loi électorale. Cela étant, elle estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner si la requérante peut se prétendre victime d’une violation de la Convention en raison de la disposition légale critiquée, étant donné que cette branche du grief est irrecevable pour les raisons exposées ci-après.

78. La Cour rappelle ainsi que, si le fait de devoir fournir un certain nombre de signatures ne constitue pas en soi une entrave au droit de se porter candidat aux élections, l’existence d’écarts considérables entre les différents participants potentiels aux élections pourrait poser problème sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention (voir, mutatis mutandis, Brito da Silva Guerra et Sousa Magno c. Portugal (déc.), nos 26712/06 et 26720/06, 17 juin 2008, et Mihaela Mihai Neagu c. Roumanie (déc.), no 66345/09, § 31, 6 mars 2014).

79. La Cour note en l’espèce que la requérante et les organisations qui voulaient se constituer en partis politiques étaient des candidats potentiels aux élections. Elle relève que l’obligation pour ces candidats de fournir des signatures était requise par la loi à des étapes différentes : en application de la loi no 14/2003 sur les partis politiques, ces derniers devaient fournir 25 000 signatures pour pouvoir se constituer et être enregistrés, alors que la requérante devait fournir les signatures lors de l’enregistrement de sa candidature aux élections.

80. La Cour observe ensuite que les organisations représentant les minorités nationales devaient fournir une liste de signatures correspondant à 15 % du nombre total des citoyens qui, lors du dernier recensement, avaient déclaré leur appartenance à la minorité concernée, alors que les partis devaient fournir lors de leur constitution une liste de 25 000 signatures, ce qui, par rapport à la population du pays bénéficiant du droit de vote, représentait un pourcentage bien inférieur à 15 %.

81. Toutefois, la Cour relève que cette obligation ne poursuivait pas le même but dans les deux cas. Ainsi, le nombre de signatures requis pour la constitution d’un parti politique avait pour objectif de garantir la représentativité de ce dernier au niveau national, cette représentativité correspondant au nombre de citoyens qui voulaient voir leurs intérêts représentés par un certain parti politique. Le pourcentage requis pour une association représentant une minorité nationale avait pour objectif de s’assurer de la représentativité de cette association au sein même de la minorité en question et d’éviter les éventuelles fraudes, compte tenu des avantages accordés aux minorités nationales. Qui plus est, étant donné le rôle et le statut des partis politiques en tant qu’organes représentatifs, la Cour estime que l’exigence concernant le nombre de signatures requis pour se porter candidat au nom d’une minorité nationale se trouvait justifiée et n’était pas discriminatoire (voir, mutatis mutandis, Mihaela Mihai Neagu, précitée, § 40).

82. Il s’ensuit que cette branche du grief est également manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION

83. La requérante se plaint que le refus du BEC d’enregistrer sa candidature aux élections ait vidé de contenu son droit à la liberté d’association. Elle cite l’article 11 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »

A. Sur la recevabilité

84. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

85. La requérante soutient que les dispositions légales applicables en la matière, discriminatoires à ses yeux en ce qu’elles auraient restreint son droit de participer aux élections, ont emporté violation de l’article 11 de la Convention.

86. Le Gouvernement expose que le refus du BEC d’enregistrer la candidature de la requérante aux élections de 2004 n’a pas constitué une entrave dans le droit de l’intéressée de s’associer librement. À supposer même qu’une ingérence ait existé, le Gouvernement estime que celle-ci était prévue par l’article 4 de la loi no 373/2004, qu’elle poursuivait un but légitime et qu’elle était nécessaire dans une société démocratique.

87. De même que pour l’article 13 de la Convention, la Cour estime que la solution à laquelle elle est parvenue au sujet de la violation alléguée de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention pris isolément (paragraphe 63 ci-dessus) la dispense de se placer de surcroît sur le terrain de l’article 11 de la Convention.

V. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

88. La requérante dénonce enfin une méconnaissance de son droit à un procès équitable tel que garanti par l’article 6 de la Convention, en raison de la manière dont les procédures engagées par elle se sont déroulées devant les instances nationales.

89. La Cour note que les procédures litigieuses portaient sur une contestation relative au droit pour la requérante de participer aux élections parlementaires en tant que représentante d’une minorité nationale. Les litiges portaient donc sur des droits de caractère politique, et non sur des droits de caractère civil au sens de l’article 6 de la Convention (voir, en ce sens, Ždanoka c. Lettonie (déc.), no 52278/00, 6 mars 2003, et Karimov c. Azerbaïdjan, no 12535/06, § 54, 25 septembre 2014). Partant, cette dernière disposition n’est pas applicable aux procédures litigieuses.

90. Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

91. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

92. La requérante réclame 25 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle dit avoir subi. Elle explique que le refus du BEC d’enregistrer sa candidature l’a empêchée de demander et d’obtenir les fonds publics prévus par la loi en faveur des organisations représentant une minorité nationale. Elle réclame également 25 000 EUR au titre du préjudice moral qu’elle estime avoir subi en raison des violations alléguées de la Convention et de son Protocole no 1.

93. Le Gouvernement considère que la somme sollicitée au titre du préjudice matériel est spéculative. Il indique que l’État alloue certaines sommes d’argent aux organisations défendant les intérêts des minorités nationales représentées dans le cadre du Conseil des minorités nationales, à savoir les organisations qui ont obtenu un mandat de représentation. Il précise que le simple enregistrement d’une candidature ne confère pas de tels droits.

94. Le Gouvernement affirme également que la requérante n’a pas prouvé le lien de causalité entre les prétendues violations de la Convention et le préjudice moral allégué. Il estime ensuite qu’un constat de violation constituerait une réparation satisfaisante du préjudice moral. Il soutient enfin que, en tout état de cause, la somme sollicitée à ce titre est excessive par rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière.

95. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette la demande y afférente. Quant à la somme réclamée au titre du préjudice moral, elle estime que le constat d’une violation représente en soi une satisfaction équitable suffisante.

B. Frais et dépens

96. La requérante n’a pas présenté de demande de remboursement des frais et dépens.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention, pris seul et en combinaison avec l’article 13 de la Convention, et de l’article 11 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention en combinaison avec l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention ;

4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 11 de la Convention ;

5. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par la requérante ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 décembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Françoise Elens-PassosAndrás Sajó
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Krzysztof Wojtyczek, partagée par le juge Egidijus Kūris.

A.S.
F.E.P.

OPINION SÉPARÉE DU JUGE WOJTYCZEK À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE KŪRIS

1. Je suis d’accord avec le dispositif de l’arrêt rendu dans la présente affaire ; je souhaite néanmoins apporter quelques nuances quant à la motivation retenue par la Cour.

2. Contrairement à ce que suggère la motivation de l’arrêt, notamment aux paragraphes 56 et 60, la présente affaire ne porte pas sur les conditions d’éligibilité aux élections parlementaires, mais sur le droit de présenter des candidats aux élections parlementaires. La question qui se pose est celle de savoir qui a le droit de présenter des candidats, et non celle de savoir qui peut être candidat.

Ces deux questions n’ont pas été distinguées avec une netteté suffisante. La motivation de l’arrêt fait en effet référence à l’association requérante, « L’offensive des jeunes », en tant que candidate aux élections dont la candidature a été rejetée (paragraphe 60). À cet égard, il convient de relever qu’une association ne peut pas être candidate aux élections parlementaires, mais qu’elle peut en revanche participer aux élections en présentant des listes de candidats. À la suite de la décision du Bureau électoral central, l’association requérante n’a pas pu présenter des listes de candidats en tant qu’organisation de citoyens appartenant à une minorité nationale. Or rien n’empêche que les personnes figurant comme candidats sur une liste rejetée par le Bureau électoral central soient proposées par la suite sur d’autres listes ou qu’elles se présentent comme candidats indépendants, à condition de respecter les délais impartis pour la présentation des candidats.

3. L’article 3 du Protocole no 1 à la Convention n’accorde pas explicitement un droit subjectif de présenter des candidats à des sujets de droit particuliers. Toutefois, la notion d’élections libres présuppose d’accorder ce droit soit aux candidats eux-mêmes, à titre individuel, soit à des groupes d’électeurs. Ce droit devrait aussi être conféré aux partis politiques, du moins en cas de scrutin de liste. En tout état de cause, la législation nationale doit permettre la participation aux élections des candidats représentant les différents courants politiques, et ce sans restrictions injustifiées.

Il faut souligner par ailleurs que les élections libres ne sont pas possibles sans une législation nationale répondant aux exigences de clarté et de précision. Il est évident que cette exigence s’applique, entre autres, à la question de la présentation des candidats.

4. Dans la présente affaire, il convient d’ajouter un élément de très grande importance, qui a été omis dans la motivation de l’arrêt. Il est en effet indispensable de rappeler brièvement les dispositions législatives définissant le cercle des titulaires du droit de présenter des candidats aux élections parlementaires en Roumanie. Selon la loi électorale de 2004, applicable aux élections de la même année, le droit de présenter des candidats appartenait aux partis politiques, aux alliances politiques et aux alliances électorales. De plus, des candidats indépendants pouvaient se présenter aux élections, à condition de remplir certaines conditions fixées par la loi. Par dérogation à ces principes généraux, les candidats pouvaient aussi être présentés par les organisations de citoyens appartenant à des minorités nationales.

Il résulte des dispositions de la loi susmentionnée que les organisations de citoyens ne constituant pas des partis politiques, alliances électorales ou alliances politiques pouvaient présenter des candidats aux élections parlementaires uniquement sur le fondement des dispositions spéciales applicables aux minorités nationales : autrement dit, celles qui n’entraient pas dans la catégorie des organisations de citoyens appartenant à des minorités nationales ne pouvaient pas présenter des candidats.

Il en résulte que, si une organisation se voyait refuser le droit de faire enregistrer des listes de candidats en tant qu’organisation représentant une minorité nationale, elle ne pouvait pas présenter des candidats sur le fondement des dispositions générales. La décision de ne pas enregistrer des candidats présentés par une organisation de citoyens appartenant à une minorité nationale privait donc complètement celle-ci de la possibilité de participer aux élections parlementaires en tant qu’organisation.

Si une association privée du droit de participer aux élections parlementaires en sa qualité d’organisation représentant une minorité nationale avait pu participer aux élections en sa qualité de simple organisation de citoyens, on aurait pu se demander si cette association pouvait se considérer comme victime. En effet, dans de telles conditions, cette association aurait pu participer aux élections sur le fondement des dispositions générales relatives à l’enregistrement des listes de candidats.

5. En outre, je suis tout à fait d’accord avec l’affirmation selon laquelle l’article 3 du protocole no 1 à la Convention n’exige pas d’accorder aux minorités nationales des privilèges particuliers aux élections parlementaires. Les Hautes Parties contractantes jouissent d’une grande liberté dans ce domaine. Toutefois, si le législateur prend la décision d’introduire des dispositions spéciales de droit électoral applicables aux minorités nationales, ces dispositions doivent être rédigées avec une clarté et une précision suffisantes.

6. Ainsi, quand la Cour constate une violation de la Convention résultant d’une absence de dispositions législatives suffisamment claires, il est essentiel de cerner avec précision les questions juridiques sur lesquelles la législation en cause manque de clarté. Dans ce contexte, il convient de relever deux points.

Premièrement, selon la motivation de l’arrêt, « compte tenu des raisons invoquées par le Bureau électoral central pour rejeter la candidature de la requérante en vertu de la base légale mentionnée dans la décision du 26 octobre 2004, la Cour estime que la loi n’énonçait pas clairement les conditions que les représentants des minorités non représentés au Parlement devaient remplir » (paragraphe 61). Il faudrait ici apporter une rectification puisque la minorité polonaise était représentée au parlement national avant les élections de 2004 (et l’est toujours), comme cela a été correctement noté au paragraphe 59 de l’arrêt, mais que l’organisation requérante n’était en revanche pas représentée au sein des assemblées législatives.

Deuxièmement, la motivation de l’arrêt suggère aux paragraphes 57 et 58 que le problème de manque de clarté des dispositions législatives concernait la question des logos électoraux. À mon avis, le problème de l’imprécision de la loi était nettement plus général. En 2004, il n’existait pas de règles suffisamment claires permettant d’identifier les organisations de citoyens appartenant à des minorités nationales habilitées à présenter des candidats aux élections parlementaires. De telles règles n’avaient pas été introduites dans la loi et n’avaient pas non plus été développées par la jurisprudence.

Il faut ajouter ici que l’absence de dispositions législatives claires n’est pas un problème s’il existe une jurisprudence bien établie, claire et prévisible qui comble les lacunes de la loi. Or une telle jurisprudence n’existait pas en 2004 en Roumanie.

7. Enfin, j’approuve les considérations portant sur la question de l’impartialité du Bureau électoral central. Selon la motivation de l’arrêt, pour résoudre le problème, le législateur pouvait soit instaurer un organe impartial et non politique soit mettre en place un recours juridictionnel effectif. Force est de constater qu’aucune de ces possibilités n’a été retenue par le législateur roumain.

8. En conclusion, je tiens à souligner que le manque de précision de la législation concernant les critères permettant de distinguer les organisations de citoyens appartenant à des minorités nationales et le manque de garanties suffisantes quant à l’impartialité des organes chargés de conduire les opérations électorales justifient pleinement la conclusion selon laquelle l’article 3 du protocole no 1 à la Convention a été violé.


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