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15/12/2015 | CEDH | N°001-159193

CEDH | CEDH, AFFAIRE S. S. GÖLLER BÖLGESİ KONUT YAPI KOOP. c. TURQUIE, 2015, 001-159193


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE S. S. GÖLLER BÖLGESİ KONUT YAPI KOOP. c. TURQUIE

(Requête no 35802/02)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

15 décembre 2015

DÉFINITIF

06/03/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire S. S. Göller Bölgesi Konut Yapı Koop. c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Julia Laffranque, prés

idente,
Işıl Karakaş,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, ...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE S. S. GÖLLER BÖLGESİ KONUT YAPI KOOP. c. TURQUIE

(Requête no 35802/02)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

15 décembre 2015

DÉFINITIF

06/03/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire S. S. Göller Bölgesi Konut Yapı Koop. c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Julia Laffranque, présidente,
Işıl Karakaş,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 novembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35802/02) dirigée contre la République de Turquie et dont une personne morale de droit turc, la coopérative S.S. Göller Bölgesi Konut Yapı Koop. (« la requérante »), a saisi la Cour le 12 septembre 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 23 mars 2010 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (S.S. Göller Bölgesi Konut Yapı Koop. c. Turquie, no 35802/02, § 34, 23 mars 2010).

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, la requérante réclamait certaines sommes pour les préjudices qu’elle estimait avoir subis.

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans un délai de trois mois à compter du jour où l’arrêt serait devenu définitif, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 40, et point 3 du dispositif).

5. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations.

6. Aucun accord permettant d’aboutir à un règlement amiable n’a été trouvé.

EN DROIT

7. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

8. La requérante allègue avoir subi un dommage tant matériel que moral. Pour le préjudice matériel, en se fondant sur le rapport d’expertise présenté au tribunal de grande instance d’Antalya le 26 décembre 2006 par un collège de trois experts, la requérante réclamait la somme de 4 950 000 euros (EUR), ainsi ventilée : 3 300 000 EUR (soit 6 519 727,20 livres turques (TRY)) pour la valeur des terrains litigieux en 2003 et 1 650 000 EUR pour la valeur qui aurait été atteinte depuis lors par ces terrains en raison de l’inflation (ibidem, § 38). La requérante indiquait que, même en cas d’issue favorable de la procédure interne en indemnisation, elle pourrait seulement être indemnisée pour une partie de son dommage, soit à hauteur de 750 000 EUR.

À cet égard, la requérante expose ce qui suit. Après avoir introduit sa requête devant la Cour le 12 septembre 2002, le 20 mars 2003, elle a diligenté une procédure en indemnisation pour un montant de 1 500 milliards livres turques (TRL)[1] (environ 828 700 EUR) contre le Trésor public, en vertu de l’article 1007 du code civil, en raison de l’annulation des titres de propriété litigieux sans versement d’indemnité, en se réservant le droit de demander une indemnisation complémentaire. À la suite de l’opposition formée par le Trésor public, le 22 mars 2004, elle a saisi le tribunal de grande instance d’Antalya, et elle a réclamé 1 500 milliards TRL, une indemnité de 40 % pour la mauvaise foi alléguée du Trésor public, ainsi que le versement d’intérêts moratoires. À la demande du tribunal, un collège d’experts a évalué la valeur des terrains à 6 519 727,20 TRY (environ 4 029 497 EUR) à la date d’introduction de la demande. Le 22 février 2007, le tribunal de grande instance d’Antalya a fait droit à la demande de la requérante : il a enjoint au Trésor public de payer le montant de 1 500 000 TRY, augmenté d’intérêts moratoires à taux variable à compter de la date d’introduction de la demande, et a rejeté le restant de la demande (ibidem, §§ 15 à 22) concernant l’indemnité de 40 % pour la mauvaise foi alléguée du Trésor public.

9. Le 15 septembre 2008, la Cour de cassation a cassé le jugement au motif que le tribunal de grande instance n’était pas compétent.

10. Par un jugement du 29 avril 2009, ledit tribunal a réitéré sa position initiale.

11. Par la suite, après le prononcé de l’arrêt au principal par la Cour, la Cour de cassation a approuvé le jugement du 29 avril 2009 dans un arrêt du 13 décembre 2010. Cette dernière décision a été notifiée aux parties le 11 janvier 2011 et est devenue définitive le 27 janvier 2011.

12. Le 16 juin 2011, le représentant de la requérante a reçu un montant de 3 818 406,04 TRY (soit environ 1 468 617 EUR) en exécution du jugement définitif.

13. Le 4 février 2011, la requérante a versé au dossier devant la Cour de nouvelles demandes pour dommage matériel, réclamant la somme de 6 519 727,20 TRY (environ 4 029 497 EUR), augmentée d’intérêts moratoires à taux variable à compter de la date d’introduction de la demande.

14. Le 23 septembre 2011, après l’exécution du jugement définitif prononcé en sa faveur, la requérante a reformulé sa demande et réclamé la somme de 8 181 593,96 TRY (soit 3 300 000 EUR) pour dommage matériel. Elle expliquait que la valeur des biens était de 12 000 000 TRY et qu’après le paiement de la somme de 3 818 406,04 TRY elle était encore créancière de la somme demandée par elle.

15. Le 1er janvier 2013, la requérante a demandé à la Cour de fixer la satisfaction équitable à un montant de 5 019 727,20 TRY (soit 2 137 764 EUR), augmenté d’intérêts moratoires à taux variable à compter de la date d’introduction de la demande, précisant que la somme de 1 500 000 TRY avait été payée à l’issue de la procédure nationale.

16. Enfin, le 13 avril 2015, la requérante a réactualisé sa demande pour dommage matériel. Elle allègue avoir subi un préjudice matériel pour lequel elle réclame 14 886 361,87 EUR (soit 41 681 813,25 TRY) au titre de la valeur actuelle des terrains litigieux. À l’appui de sa demande, la requérante verse au dossier un rapport d’expertise établi par la chambre des agences immobilières d’Antalya le 10 avril 2015, selon lequel la valeur actuelle des terrains en question s’élève à 54 132 225,00 TRY. La requérante explique que le montant de 1 500 000 TRY qu’elle a reçu le 16 juin 2011 (compris dans la somme de 3 818 405,04 TRY) ne représente que 23 % de la valeur des terrains en 2004 et que le montant de 41 681 813,25 TRY constitue les 77 % de la valeur des terrains en 2015.

La requérante soutient que, lors de l’introduction de sa demande en dommages-intérêts le 20 mars 2003, elle a formulé sa demande pour le montant susmentionné de 1 500 000 TRY en raison du coût des frais de procédure, qu’elle qualifie d’élevé, en réservant son droit de demander une indemnisation complémentaire, sans toutefois expliquer pourquoi elle n’a pas introduit pareille demande.

17. Par ailleurs, au titre du dommage moral, la requérante réclame 1 500 000 EUR, à raison notamment de la déception qui aurait été éprouvée par ses membres, au nombre de 269, qui avaient acheté les terrains litigieux en 1977.

18. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il porte à la connaissance de la Cour que, en exécution du jugement du tribunal de grande instance d’Antalya du 29 avril 2009, une somme de 3 900 589,93 TRY a été payée à la requérante au titre du préjudice matériel. À l’appui de son assertion, il verse au dossier le jugement du tribunal, l’arrêt de la Cour de cassation ainsi que le document attestant du paiement de ladite somme.

À ce sujet, il précise que la requérante a réclamé une somme de 1 500 000 TRY au cours de la procédure interne, que le tribunal interne, par son jugement du 29 avril 2009, lui a accordé la somme demandée, augmentée d’intérêts moratoires à taux variable à compter de la date d’introduction de la demande, et que finalement, le 16 juin 2011, l’administration s’est acquittée de la somme de 3 900 589,93 TRY en exécution de ce jugement. Selon le Gouvernement, la requérante a obtenu, à la suite de la procédure interne, la somme qu’elle avait réclamée, augmentée d’intérêts moratoires.

19. Par ailleurs, le Gouvernement porte à la connaissance de la Cour les informations supplémentaires suivantes.

À la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 6292[2], la demande de la requérante concernant le transfert des titres de propriété des terrains litigieux sans contrepartie, fondée sur l’article 7 de ladite loi, a été rejetée par l’administration le 5 février 2013 au motif que la demande d’indemnisation formulée pour les terrains en cause avait déjà été accueillie favorablement et que l’indemnité y afférente avait été payée à l’issue de la procédure interne. L’action en annulation intentée par la requérante contre cette décision devant le tribunal administratif d’Antalya a été rejetée le 10 juin 2013 pour le même motif.

20. En outre, le Gouvernement verse au dossier un rapport du 3 avril 2015 préparé par les experts de la branche locale du Trésor public de la préfecture d’Antalya sur l’actualisation de la valeur des biens immobiliers en question. Selon ce rapport, cette valeur s’élève à 817 116,10 TRY (environ 289 750 EUR).

21. Pour les principes généraux en la matière, la Cour se réfère à sa jurisprudence bien établie (Turgut et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 1411/03, §§ 12-16, 13 octobre 2009 et la jurisprudence citée dans cet arrêt, Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, §§ 102-107, 22 décembre 2009, et Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie (satisfaction équitable) [GC], no 71243/01, §§ 32-44, CEDH 2014).

22. En l’espèce, la Cour note tout d’abord que la requérante, après avoir introduit sa requête devant elle le 12 septembre 2002, a saisi les juridictions internes le 20 mars 2003 d’une demande en dommages-intérêts pour un montant de 1 500 000 TRY (soit environ 828 700 EUR à l’époque des faits), dirigée contre le Trésor public, en vertu de l’article 1007 du code civil, en raison de l’annulation des titres de propriété litigieux sans versement d’indemnité. Elle observe que les juridictions internes ont finalement tranché en sa faveur, en condamnant le Trésor public à lui verser la totalité de la somme réclamée, tout en refusant d’accepter la demande concernant l’indemnité de 40 % pour la mauvaise foi alléguée du Trésor public.

La Cour note qu’ensuite, le 16 juin 2011, la requérante a reçu la somme de 3 818 405,04 TRY (soit environ 1 468 617 EUR), correspondant à l’indemnité de 1 500 000 TRY demandée augmentée d’intérêts moratoires à taux variable à compter de la date d’introduction de la demande.

23. En outre, la Cour constate que, bien que la requérante ait réservé son droit de demander une indemnisation complémentaire, elle n’a jamais formulé une demande en bonne et due forme pour des dommages-intérêts additionnels, ni en ce qui concerne la valeur des terrains ni en ce qui concerne d’autres pertes prétendument subies. Elle observe de même que l’intéressée n’a pas non plus soulevé devant les juridictions internes la question du coût des frais de procédure, qualifié d’élevé par elle.

24. La Cour ne saurait spéculer sur la question de la correspondance de la somme versée à la requérante à la valeur réelle des biens immobiliers au moment où la perte de la propriété de la requérante est devenu définitive en 2001. Il lui suffit de constater que le droit interne a offert à la requérante la possibilité d’obtenir la totalité des dommages-intérêts demandés par elle en raison de l’annulation des titres de propriété litigieux sans versement d’indemnité et que l’attitude de l’intéressée a constitué un élément déterminant pour la fixation du montant de la valeur des biens immobiliers en question.

25. Partant, s’agissant du dommage matériel, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer de somme à titre de satisfaction équitable.

26. Concernant le dommage moral, eu égard aux circonstances de la cause, la Cour estime que le constat de violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention constitue une réparation suffisante (voir, a contrario, Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie (satisfaction équitable), no 31524/96, §§ 40-42, 30 octobre 2003).

B. Frais et dépens

27. La requérante ne formule aucune demande pour le remboursement des frais et dépens.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Dit, à l’unanimité, que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par la requérante ;

2. Rejette, par 6 voix contre 1, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 décembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithJulia Laffranque
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge P. Lemmens.

J.L.
S.H.N.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DU JUGE LEMMENS

1. Je regrette de ne pouvoir partager l’avis de la majorité selon lequel il n’y a pas lieu d’octroyer à la société requérante des dommages et intérêts pour préjudice matériel.

La majorité se fonde sur l’idée que, la société requérante ayant obtenu au niveau national ce qu’elle a demandé, il n’y a plus lieu d’octroyer encore des dommages et intérêts supplémentaires.

2. À mon avis, cette décision n’accorde pas suffisamment de poids à la circonstance que, devant les juridictions nationales, la société requérante avait explicitement indiqué qu’elle se réservait le droit de demander une indemnisation complémentaire (voir paragraphe 8 de l’arrêt).

Il est clair qu’en introduisant devant les juridictions nationales une demande en indemnisation d’un montant limité – pour éviter de devoir payer des frais de procédure qu’elle qualifie d’« élevés » (paragraphe 16 de l’arrêt) – tout en prenant le soin de se réserver le droit de demander une indemnisation complémentaire, la requérante ne peut passer pour avoir suggéré ou donné à penser que, selon elle, le montant demandé (1 500 000 TRY, plus les intérêts moratoires) couvrait la totalité du préjudice matériel subi.

La majorité reproche à la société requérante de ne pas avoir formulé devant les juridictions nationales une demande de dommages et intérêts additionnels (paragraphe 23 de l’arrêt). Selon la majorité, l’attitude de la société requérante « a constitué un élément déterminant pour la fixation du montant de la valeur des biens immobiliers en question » (paragraphe 24 de l’arrêt).

3. Je ne pense pas que la société requérante doive être « pénalisée » pour ne pas avoir poursuivi jusqu’au bout la procédure devant les juridictions internes. À cet égard, je me permets de rappeler certains faits.

La requérante a introduit sa requête devant la Cour le 12 septembre 2002. Quelques mois plus tard, le 20 mars 2003, alors que la Cour n’avait pas encore statué, la requérante a introduit sa demande en indemnisation au niveau national.

En se référant à cette procédure introduite au niveau national, le Gouvernement a par la suite soulevé devant la Cour une exception d’irrecevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes. Dans son arrêt au principal, rendu le 23 mars 2010, la Cour a rejeté cette exception en considérant, d’une part, « qu’il ne serait pas opportun de demander à un requérant ayant attendu déjà tant d’années des décisions concernant la nature du terrain en question d’engager une nouvelle procédure afin d’obtenir une indemnité », et d’autre part, « que l’issue à laquelle la procédure relative à la demande en dommages-intérêts pourrait aboutir peut certes entrer en ligne de compte au regard de l’article 41 de la Convention mais non dans l’examen de la compatibilité avec l’article 1 du Protocole no 1 du transfert sans versement d’indemnité des biens litigieux au Trésor public » (S.S. Göller Bölgesi Konut Yapı Koop. c. Turquie, no 35802/02, § 29, 23 mars 2010).

Au moment où la Cour a rendu son arrêt au principal, le tribunal de grande instance d’Ankara avait, par un jugement du 29 avril 2009, accordé à la société requérante le montant demandé. Seul le pourvoi en cassation contre ce jugement était encore pendant. Ce pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation le 13 décembre 2010.

Une fois la procédure au niveau national terminée, la requérante a précisé sa demande de satisfaction équitable devant la Cour, en sollicitant une somme équivalant à la valeur actuelle du terrain, moins la somme de 1 500 000 TRY (actualisée).

4. À mon avis, la société requérante a pu déduire du rejet de l’exception de non-épuisement des voies de recours internes qu’il n’était pas nécessaire pour elle de demander la totalité des dommages-intérêts au niveau national. Le message de la Cour pouvait en effet être compris comme signifiant que, si la société requérante obtenait des dommages-intérêts au niveau national, le montant accordé serait pris en compte pour le calcul du montant de la satisfaction équitable à venir, en ce sens que la Cour déduirait du montant de la satisfaction équitable la somme obtenue au niveau national.

La position adoptée par la majorité quant à l’application de l’article 41, en ce qu’elle revient à refuser de tenir compte de la réserve faite par la société requérante de son droit de solliciter en sus une indemnisation complémentaire après sa première demande indemnitaire dans la procédure nationale, ne me semble pas être en conformité avec l’arrêt de la Cour sur le fond de l’affaire.

5. À mon avis, la Cour aurait donc dû examiner le bien-fondé de la demande de dommages-intérêts pour préjudice matériel.

Ceci étant dit, il convient de rappeler que dans des cas comme celui de l’espèce, où l’expropriation n’est pas en soi irrégulière et où le seul problème est celui de l’absence totale d’indemnisation, le montant de l’indemnisation doit être calculé d’après la valeur des terrains litigieux au moment où le propriétaire en a perdu la propriété, en tenant compte des considérations d’équité permettant le cas échéant de réduire le montant de la compensation à accorder (voir Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie (satisfaction équitable) [GC], no 71243/01, § 36, CEDH 2014). Le point de départ à prendre en l’espèce est donc la valeur des terrains en 2001, quand l’annulation des titres de propriété est devenue définitive (voir l’arrêt au principal, §§ 12-14).

Il se peut que le montant demandé par la société requérante en 2002, à savoir 1 500 000 TRY, reflète plus ou moins la valeur des terrains en 2001. C’est une question à discuter. Il me semble en tout cas que les montants demandés ultérieurement devant la Cour, basés sur la valeur actuelle des terrains (voir paragraphes 13-16 de l’arrêt), sont de loin supérieurs au montant que la Cour pourrait accorder au titre de la satisfaction équitable.

Mais ce sont là des questions qui, à mon avis, auraient dû faire l’objet d’un examen concret par la Cour dans le présent arrêt.

* * *

[1]. Le 1er janvier 2005, la livre turque (TRY), qui remplace l’ancienne livre turque (TRL), est entrée en vigueur. 1 TRY vaut un million TRL.

[2]. Selon l’article 7 § 4 de la loi no 6292, les terrains dont le titre de propriété a été transféré au Trésor public à la suite d’une procédure engagée par celui-ci en raison de leur appartenance au domaine forestier, les terrains à arboriser mis à la disposition de la Direction générale des forêts, les terrains utilisés à des fins publiques ou considérés comme tels, ou ceux qui, pour diverses raisons, relèvent d’autres lois ou sont choisis par le Trésor public ne peuvent pas faire l’objet d’une restitution. En pareil cas, les intéressés peuvent se voir octroyer, en lieu et place des terrains cités, une indemnité équivalente à la valeur marchande desdits terrains ou un terrain d’une valeur équivalente (Arığolu et autres c. Turquie (déc.), no 11166/05, §§ 17-18, 6 novembre 2012).


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-159193
Date de la décision : 15/12/2015
Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Dommage matériel - demande rejetée;Préjudice moral - constat de violation suffisant

Parties
Demandeurs : S. S. GÖLLER BÖLGESİ KONUT YAPI KOOP.
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : AVCI M.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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