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01/12/2015 | CEDH | N°001-158949

CEDH | CEDH, AFFAIRE BRITO FERRINHO BEXIGA VILLA-NOVA c. PORTUGAL, 2015, 001-158949


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE BRITO FERRINHO BEXIGA VILLA-NOVA c. PORTUGAL

(Requête no 69436/10)

ARRÊT

STRASBOURG

1er décembre 2015

DÉFINITIF

01/03/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Brito Ferrinho Bexiga Villa-Nova c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Boštja

n M. Zupančič,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Françoise Elens...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE BRITO FERRINHO BEXIGA VILLA-NOVA c. PORTUGAL

(Requête no 69436/10)

ARRÊT

STRASBOURG

1er décembre 2015

DÉFINITIF

01/03/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Brito Ferrinho Bexiga Villa-Nova c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Boštjan M. Zupančič,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 novembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 69436/10) dirigée contre la République portugaise et dont une ressortissante de cet État, Mme Sílvia Maria de Brito Ferrinho Bexiga Villa-Nova (« la requérante »), a saisi la Cour le 15 novembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été autorisée à assumer elle-même la défense de ses intérêts dans la procédure devant la Cour (article 36 § 2 in fine du règlement). Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, Procureure générale adjointe.

3. La requérante dénonce la consultation des extraits de ses comptes bancaires dans le cadre d’une procédure pénale ouverte contre elle du chef de fraude fiscale, plaidant la violation du secret professionnel auquel elle est tenue en raison de sa profession d’avocate. Elle invoque les articles 6 et 13 de la Convention.

4. Le 1er avril 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1969 et réside à Faro. Elle exerce la profession d’avocate.

6. À une date non précisée, l’administration fiscale procéda au contrôle de la comptabilité de la société d’avocats à laquelle elle appartient. Ayant relevé qu’elle ne s’était pas acquittée de la taxe sur la valeur ajoutée (« TVA ») concernant des honoraires perçus au cours des années 2005 et 2006, l’administration fiscale demanda à la requérante de présenter les relevés de son compte bancaire personnel, ce à quoi elle s’opposa en invoquant les secrets professionnel et bancaire.

7. Le parquet près le tribunal de Faro fut alors saisi de l’affaire. Il ouvrit une enquête à l’encontre de la requérante du chef de fraude fiscale (procédure interne no 1987/09.3 TAFAR).

8. Le 18 septembre 2009, la requérante fut mise en examen et entendue. Elle reconnut que les paiements de ses honoraires étaient faits sur son compte bancaire personnel et non sur le compte de la société d’avocats. Elle refusa toutefois de produire les extraits de compte bancaires réclamés au motif qu’elle était tenue au secret professionnel. Elle invoqua aussi le secret bancaire.

9. Par une requête du 30 octobre 2009, le ministère public demanda au juge d’instruction criminelle d’ouvrir un incident de procédure visant la levée du secret professionnel (incidente de quebra do segredo profissional), conformément à l’article 135 § 3 du code de procédure pénale (« CPP »). À l’appui de sa demande, il releva que :

. le secret professionnel pouvait être en l’espèce atteint étant donné qu’il apparaissait que différents transferts d’argent sur le compte personnel de la requérante avait été faits par des clients ;

. le secret bancaire était également en cause eu égard à l’article 78 §§ 1 et 2 du régime général des établissements de crédit et des sociétés financières ;

. qu’avant de s’adresser aux établissements bancaires, il était nécessaire de lever le secret professionnel auquel la requérante était liée du fait de sa profession d’avocate ;

. que la nécessité d’administrer la justice primait sur le devoir de préserver le secret professionnel, soulignant que la procédure en cours concernait la requérante et non pas ses clients.

10. Par une ordonnance du 6 novembre 2009, le juge d’instruction reconnut que l’invocation des secrets professionnel et bancaire était légitime. Il s’exprima comme suit :

« (...) l’enquête ne pourra avancer et la vérité matérielle ne pourra être obtenue qu’après la consultation des comptes bancaires de l’accusée étant donné qu’elle y aurait déposé les montants supposément payés à titre d’honoraires. Or, celle-ci n’a pas donné son accord à la levée du secret bancaire.

(...)

« Compte tenu que le secret professionnel n’est pas absolu et ne peut empêcher l’administration de la justice et la découverte de la vérité matérielle, nous estimons que ces valeurs sont supérieures à celles que le secret professionnel de l’avocat ou de la banque vise protéger. Partant, il doit être levé »

Le juge d’instruction demanda donc à la cour d’appel d’Évora d’autoriser la levée des secrets professionnel et bancaire et, par conséquent, l’accès aux comptes bancaires de la requérante, conformément à l’article 135 § 3 du CPP.

11. Le 30 novembre 2009, la procureure adjointe près la cour d’appel d’Évora présenta un avis juridique défendant la levée du secret professionnel. Elle fit valoir que, dans la présente espèce, les besoins de l’enquête criminelle et, dès lors, de la bonne administration de la justice prévalaient sur l’intérêt de la requérante.

12. Le 12 janvier 2010, la section criminelle de la cour d’appel d’Évora prononça son arrêt. Elle estima que le refus de la requérante de donner accès à son compte bancaire personnel était légitime au vu des secrets professionnel et bancaire mais que l’intérêt public devait prévaloir sur l’intérêt privé. Elle s’exprima ainsi :

« (...)

Compte tenu des intérêts concurrents, à savoir les intérêts protégés par les règles du secret professionnel mentionnés et l’intérêt public dans l’enquête pénale, laquelle suppose l’obtention d’éléments et d’informations capables de fournir la preuve qui soutiendra, le cas échéant, l’accusation portant sur l’imputation criminelle, les premiers devront céder pour des raisons naturelles et fondées par rapport aux seconds.

Dans la présente espèce, les éléments recherchés se révèlent indispensables à l’enquête criminelle, comme l’a relevé la juge d’instruction en première instance et comme l’a souligné la procureure-adjointe près ce tribunal. C’est pourquoi nous concluons qu’en l’espèce, l’intérêt public devra prévaloir sur l’intérêt privé aux fins de l’effective et la bonne réalisation de la justice : la levée des devoirs de secret sont justifiés, dans le cas présent, eu égard à la pondération, exposée ci-dessus, des intérêts en conflit.

(...) »

Faisant droit à la prétention du ministère public, en application de l’article 135 § 3 du CPP, la cour d’appel ordonna la levée du secret professionnel et du secret bancaire, demandant à la Banque du Portugal d’identifier tous les comptes bancaires détenus par la requérante en 2005 et en 2006, afin que les opérations effectuées sur ces comptes soient portées à la connaissance du parquet.

13. Le 9 février 2010, la requérante attaqua l’arrêt de la cour d’appel d’Évora devant la Cour suprême en dénonçant l’incompétence de la section criminelle de la cour d’appel pour statuer sur la question soulevée et l’absence de consultation de l’Ordre des avocats au cours de la procédure, en violation de l’article 135 § 4 du CPP et de l’article 87 du statut de l’Ordre des avocats.

14. Le 9 juin 2010, le Conseil du district de Faro de l’Ordre des avocats rejeta une demande qui avait été soumise par la requérante en vue d’être déliée du secret professionnel concernant les opérations effectuées sur son compte bancaire en 2006 dans le cadre de la procédure pénale ouverte contre elle. Il estima que la demande n’était pas suffisamment étayée, la requérante n’ayant pas spécifié si les opérations bancaires en cause concernaient des virements bancaires ordonnés ou effectués par des clients et si la révélation de ces informations était indispensable à la défense de ses droits ou ceux de ses clients.

15. Le 23 février 2010, le ministère public présenta son mémoire défendant l’irrecevabilité du recours formé par la requérante devant la Cour suprême.

16. Par un arrêt du 2 juin 2010, la Cour suprême déclara le pourvoi de la requérante irrecevable au motif que les conditions prévues à l’article 432 du CPP n’étaient pas remplies. Elle estima qu’en l’espèce, on ne pouvait considérer que la cour d’appel avait statué en première instance dans la mesure où l’incident de levée des secrets professionnel et bancaire avait été ouvert au cours de l’enquête par le parquet près le tribunal de Faro qui avait renvoyé la question à l’autorité judiciaire compétente, soit le « juge de première instance ». En outre, elle considéra que l’arrêt de la cour d’appel portait sur une question procédurale et non sur le fond de l’affaire, ne mettant ainsi pas un terme à l’objet de la procédure tel que stipulé par l’article 400 § 1 lettre c) du CPP. En l’occurrence, la Cour suprême s’exprima ainsi :

« (...) en l’espèce, il s’agit d’une décision qui devra (...) être considérée comme équivalente à une décision prononcée dans le cadre d’un appel.

En effet (...) consécutivement à l’incident soulevé par le ministère public en raison du refus de l’accusée (arguida) d’autoriser les institutions bancaires où celle-ci détient des comptes (personnels) courants à fournir les informations à ce sujet, le juge de première instance a pris une position expresse sur la légitimité du refus de la requérante, ayant considéré que la levée des secrets professionnel et bancaire s’imposait, position que la cour d’appel viendra également confirmer.

Dès lors, la décision attaquée ne pouvait pas faire l’objet d’un recours.

(...). »

17. Par une ordonnance du 29 juillet 2011, le parquet près le tribunal de Faro classa la procédure pénale ouverte contre la requérante pour fraude fiscale sans suite. La requérante expose néanmoins qu’elle a fait l’objet d’un redressement fiscal.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le code de procédure pénale

18. Au moment des faits, les dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisaient ainsi :

Article 135
Secret professionnel

« 1. Les ministres religieux ou de confession religieuse, les avocats, médecins, journalistes et membres d’établissements de crédit et toute autre personne pouvant ou devant garder le secret professionnel conformément à la loi peuvent refuser de déposer sur les faits couverts par celui-ci.

2. Lorsqu’il existe des doutes fondés sur la légitimité de l’excuse (escusa), l’autorité judiciaire devant laquelle l’incident est survenu procède aux vérifications nécessaires. Si, après celles-ci, elle conclut que l’excuse n’est pas légitime, elle ordonne ou demande au tribunal d’ordonner la déposition.

3. Le tribunal supérieur à celui où l’incident est survenu (...) peut décider de la déposition en violation du secret professionnel si celui-ci est nécessaire, suivant le principe de l’intérêt prépondérant, notamment si la déposition est indispensable à la découverte de la vérité, la gravité du crime (...). L’intervention [du tribunal supérieur] est requise par le juge, d’office ou sur demande.

4. Dans les cas prévus aux alinéas 2 et 3, la décision de l’autorité judiciaire ou du tribunal est prise après que l’organisme représentatif de la profession relative au secret professionnel en cause ait été entendu, aux termes et avec les effets prévus dans la législation applicable à cet organisme.

5. Ce qui est prévu aux alinéas 3 et 4 ne s’applique pas au secret religieux. »

Article 400
Décisions ne pouvant faire l’objet d’un recours

« 1. Il n’est pas possible de faire appel :

(...)

b) Des arrêts prononcés en appel par les cours d’appel ne se prononçant pas, au final, sur le fond de l’affaire ;

(...) »

Article 432
Recours devant la Cour suprême

« 1. Il est possible de faire appel devant la Cour suprême :

a) Des décisions des cours d’appel prononcées en première instance ;

b) Des décisions attaquables (recorríveis) ayant été prononcées par les cours d’appel, dans le cadre d’un recours, aux termes de l’article 400 ;

(...). »

B. Le code pénal

19. Au moment des faits, l’article 195 du code pénal était libellé comme suit :

« Quiconque, sans autorisation, révèle le secret d’autrui dont il a eu connaissance en raison de son état, mission, emploi, profession ou art est puni d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à un an ou d’une peine d’amende pouvant aller jusqu’à 240 jours. »

C. La loi générale fiscale

20. L’article 63 de la loi générale fiscale (décret-loi no 398/98 du 17 décembre 1998, dans sa rédaction issue de la loi no 55-B/2004 du 30 décembre 2004) dispose :

« 1. Les organes compétents peuvent, aux termes de la loi, mener toutes les opérations nécessaires à la détermination de la situation fiscale des contribuables (...).

2. L’accès à une information protégée par le secret professionnel, bancaire ou tout autre devoir de garder le secret, légalement établi, dépend d’une autorisation judiciaire, conformément à la loi applicable hormis dans les cas où la loi admet la dérogation au devoir de secret bancaire par l’administration fiscale indépendamment de cette autorisation.

(...)

4. L’absence de coopération dans la réalisation des opérations prévues au numéro 1 ne sera légitime que lorsque celles-ci impliquent :

(...)

b) La consultation d’éléments protégés par le secret professionnel, bancaire ou tout autre devoir de garder le secret légalement établi, sauf en cas d’autorisation du titulaire ou de dérogation au devoir de secret bancaire par l’administration fiscale légalement admis ;

(...)

5. En cas d’opposition du contribuable fondée sur l’une des circonstances indiquées au numéro précédent, l’opération ne peut qu’être réalisée que sur autorisation donnée par un tribunal du ressort compétent faisant suite à une demande fondée de l’administration fiscale (...) »

D. Sur les secrets professionnel et bancaire

1. Le statut de l’Ordre des avocats

21. L’article 87 du statut de l’Ordre des avocats (Estatuto da Ordem dos Advogados), approuvé par la loi no 15/2005 du 26 janvier 2005, dispose :

« 1. L’avocat est tenu au secret professionnel concernant tous les faits dont il a connaissance en vertu de ses fonctions et la prestation de ses services (...).

(...)

4. L’avocat peut révéler des faits couverts par le secret professionnel, à condition que cela soit absolument nécessaire à la défense de la dignité, des droits et des intérêts légitimes de l’avocat, du client ou de ses représentants, avec l’autorisation du président du Conseil de l’Ordre du district respectif, avec la possibilité d’un recours devant le bâtonnier, aux termes prévus dans le règlement respectif. »

(...) »

2. Le régime général des établissements de crédit et des sociétés financières

22. Les dispositions pertinentes du régime général des établissements de crédit et des sociétés financières (décret-loi no 298/92 du 31 décembre 1992) sont les suivantes :

Article 78
Devoir de secret bancaire

« 1. Les membres des organes d’administration ou de fiscalisation des établissements de crédit, ses employés, mandataires, commis et autres personnes leur prêtant services à titre permanent ou occasionnel ne peuvent révéler ou utiliser les informations sur des faits ou des éléments relatifs à la vie de l’institution ou aux relations de celle-ci avec ses clients dont ils ont eu connaissance exclusivement en raison de l’exercice de leurs fonctions ou de la prestation de leurs services.

2. Le secret couvre notamment les noms des clients, les comptes de dépôts et ses mouvements et autres opérations bancaires

(...) »

Article 79
Exceptions au devoir de secret

« 1. Les faits ou les éléments relatifs aux relations du client avec l’établissement peuvent être révélés sur autorisation du client, transmise à l’établissement.

2. En dehors de ce qui est prévu au numéro précédent, les faits et les éléments couverts par le devoir de secret ne peuvent être révélés que dans les situations suivantes :

(...)

d) En application de ce qui est prévu dans la loi pénale et de procédure pénale ;

(...). »

3. La jurisprudence interne sur l’article 135 du code de procédure pénale

a) La jurisprudence du Tribunal constitutionnel

23. Dans son arrêt no 589/2005 du 2 novembre 2005, le Tribunal constitutionnel a considéré que dans l’examen de l’incident de procédure visant la levée du secret professionnel ouvert au cours d’une enquête pénale, le tribunal d’instruction criminelle se limitait à vérifier le caractère légitime de l’invocation du secret professionnel pour, ensuite, renvoyer d’office la question devant la cour d’appel afin qu’elle autorise la levée du secret professionnel. Il en conclut que la cour d’appel intervenait de cette façon comme juridiction de première instance.

b) La jurisprudence de la Cour suprême

24. Dans un arrêt du 12 juillet 2005 (procédure interne no 05B1901), la Cour suprême a jugé qu’il n’est pas possible de faire appel d’un arrêt d’une cour d’appel ayant connu d’un incident de procédure concernant la dispense du secret bancaire dans le cadre d’une procédure pénale en application de l’article 135 §§ 2 et 3 du code de procédure pénale.

25. Dans un arrêt du 21 avril 2005 (procédure interne no 05P1300), la Cour suprême a considéré que la levée du secret professionnel impose une prudente pondération des valeurs concurrentes afin de déterminer si le secret professionnel doit ou non céder devant d’autres intérêts, l’intervention d’une autorité judiciaire est donc nécessaire. Elle a également entendu que l’avis de l’organisme professionnel prévu par l’article 135 § 5 du CPP ne liait que ses membres et non pas les tribunaux appelés à statuer sur un incident de levée du secret professionnel.

26. Dans son arrêt de fixation de jurisprudence no 2/2008 du 13 février 2008 (procédure interne no 894/07-9), la Cour suprême a considéré :

. qu’une institution bancaire ne peut refuser légitimement de produire les informations relatives à un compte bancaire demandées dans le cadre d’une procédure pénale que sur le fondement du secret bancaire ;

. que si le refus n’est pas considéré légitime par le tribunal, celui-ci ordonne la production des informations demandées conformément à l’article 135 § 2 du CPP ;

. que si le refus est considéré légitime, le tribunal immédiatement supérieur à celui où l’incident s’est produit décide sur la levée du secret, conformément à l’article 135 § 3 du CPP.

27. Dans un arrêt du 27 mai 2008 (procédure interne no 07B4673), s’agissant d’une affaire où la levée du secret professionnel concernait un avocat, la Cour suprême a estimé que l’avis de l’Ordre des avocats prévu par l’article 135 § 5 du CPP avait une valeur informative comme toute expertise et pouvait, ainsi, être librement apprécié par l’autorité judiciaire.

28. Dans un arrêt du 9 février 2011 (procédure interne no 12153/09.8TDPRT-A.P1.S1), la Cour suprême tira les conclusions suivantes :

. lorsque le secret est invoqué, l’autorité judiciaire doit décider si celui-ci est légitime ou non. Si elle conclut que l’excuse n’est pas légitime, elle ordonne que l’information réclamée soit donnée. Si elle estime que l’excuse est légitime, soit elle accepte le maintien du secret, soit elle renvoie la question devant le tribunal supérieur afin qu’il statue sur la question.

. la levée du secret est nécessairement de la compétence d’un tribunal supérieur, celui-ci est donc l’organe judiciaire qui décide l’incident de levée du secret dans les situations où l’excuse est légitime.

. étant donné qu’il s’agit d’une décision rendue en première instance, elle peut être attaquée dans le cadre d’un recours conformément à l’article 432 § 1 a) du CPP.

c) La jurisprudence des cours d’appel

29. Dans un arrêt du 28 novembre 2007 (procédure interne no 645352) concernant la levée du secret professionnel d’un avocat poursuivi dans le cadre d’une procédure pénale, la cour d’appel de Porto a jugé que l’article 135 ne s’appliquait qu’aux personnes appelées à témoigner et non aux accusés.

30. Dans un arrêt du 9 juillet 2008 (procédure interne no 4870/08), la cour d’appel de Lisbonne a rappelé que l’article 135 du CPP ne s’appliquait pas à l’avocat accusé dans le cadre d’une procédure pénale pour les raisons suivantes :

. comme tout accusé, il a le droit de garder le silence ;

. s’il désire dévoiler des informations couvertes par le secret professionnel, il doit saisir l’Ordre des avocats afin d’être autorisé à le faire, comme le prévoit l’article 87 § 4 du Statut de l’Ordre des avocats.

31. Dans un arrêt du 29 septembre 2008, la cour d’appel de Lisbonne a considéré que le tribunal décidant l’incident de levée du secret professionnel n’était pas lié par l’avis émis par l’Ordre des avocats en application de l’article 135 § 4 du CPP.

32. Dans un arrêt du 26 novembre 2009 (procédure interne no 907/07.7TBBCL.G1), la cour d’appel de Guimarães a exposé ce qui suit :

. s’il est constaté que le refus d’une institution bancaire de produire des informations réclamées par un tribunal est légitime, parce qu’elles sont couvertes par le secret bancaire, seule la levée de celui-ci peut l’obliger à le faire.

. la levée du secret professionnel impose une pondération des intérêts en jeu par un tribunal supérieur devant être requise par le juge de première instance, d’office ou sur demande.

. la décision d’un tribunal de première instance qui, après avoir conclu à la légitimité du refus, estime que le devoir de secret doit être rompu et ordonne la production d’une information à une institution bancaire est nulle au motif qu’elle viole les règles de compétence.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6, 8 ET 13 DE LA CONVENTION

33. Sans invoquer aucune disposition de la Convention, la requérante estime que l’arrêt de la cour d’appel d’Évora du 12 janvier 2010 ordonnant la levée du secret professionnel afin de permettre la consultation des extraits de ses comptes bancaires personnels a porté atteinte à sa réputation comme avocate.

34. Sous l’angle de l’article 6 de la Convention, elle se plaint de ne pas avoir pu se défendre et de n’avoir effectivement été informée de la levée des secrets professionnel et bancaire qu’au moment où elle a pris connaissance de l’arrêt de la cour d’appel d’Évora. La requérante se plaint, par ailleurs, en violation de l’article 13 de la Convention de ne pas avoir pu attaquer cet arrêt devant la Cour suprême,

35. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour considère, qu’en l’espèce, les griefs, concernant le déroulement de la mesure litigieuse et son contrôle juridictionnel, portent principalement sur le droit au respect de la vie privée et du secret des correspondances relevant notamment de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client et doivent ainsi être analysés sous l’angle du seul article 8 de la Convention, lequel comprend également un volet procédural (Xavier da Silveira c. France, no 43757/05, § 21, 21 janvier 2010) et se lit comme suit :

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

36. Le Gouvernement récuse la thèse de la requérante.

A. Sur la recevabilité

37. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

38. La requérante considère que la consultation des extraits de ses comptes bancaires, ordonnée par la cour d’appel d’Évora dans son arrêt du 12 janvier 2010 en application de l’article 135 du CPP a constitué une ingérence disproportionnée à son droit au respect de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client.

39. Sur le plan procédural, elle se plaint de n’avoir pas eu l’opportunité de se défendre dans le cadre de cette procédure et de pas avoir eu accès à un recours effectif pour contester la décision de la cour d’appel d’Évora. Elle dénonce aussi le défaut de consultation obligatoire de l’Ordre des avocats prévu par l’article 87 § 4 du statut de l’Ordre des avocats. Sur ce point, elle ajoute que, par une ordonnance du 9 juin 2010, le conseil du district de Faro de l’Ordre des avocats lui avait interdit de rompre le secret professionnel qui couvrait les extraits de ses comptes bancaires relatifs à l’année 2006.

40. Le Gouvernement ne conteste pas qu’il y a eu ingérence dans la vie privée de la requérante compte tenu de la consultation des extraits de ses comptes bancaires personnels. Il estime toutefois que cette ingérence était prévue par l’article 135 du CPP et était nécessaire étant donné qu’elle visait la découverte de la vérité dans le cadre d’une procédure pénale et la bonne administration de la justice.

41. Le Gouvernement considère que la mesure était également proportionnée. Il expose que, faisant suite au refus de la requérante de produire les extraits de ses compte bancaires dans le cadre de la procédure pénale en cause, le ministère public a saisi le juge d’instruction d’une demande tendant l’examen du caractère légitime de l’excuse. Reconnaissant celui-ci, le ministère public a renvoyé la question devant la cour d’appel d’Évora qui a considéré qu’il y avait lieu d’ordonner la levée du secret professionnel, la découverte de la vérité matérielle dans le cadre de la procédure pénale du chef de fraude fiscale l’imposant. Le Gouvernement estime que la requérante ne disposait pas du droit de faire appel de l’arrêt de la cour d’appel d’Évora étant donné que celle-ci ne s’était pas prononcée en première instance comme l’exige l’article 432 § 1 a) du CPP. Pour appuyer son argument, le Gouvernement se réfère à un arrêt de la Cour suprême du 12 juillet 2005 prononcé dans le cadre d’une affaire similaire (voir ci-dessus paragraphe 24).

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’une ingérence

42. Les parties conviennent que les données bancaires de la requérante constituent des informations personnelles relevant de sa vie privée, entrant bien dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention. Elles s’accordent également à reconnaître qu’il y a eu ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit au respect de sa vie privée. La Cour note aussi que les juridictions internes n’ont pas contesté que les informations bancaires étaient couvertes par le secret professionnel étant donné notamment que la requérante avait reçu des versements effectués par des clients sur son compte bancaire personnel (voir ci-dessus paragraphes 9, 10 et 12).

43. La Cour ne voit pas de raison de conclure autrement. Elle rappelle que la notion de « vie privée » peut inclure les activités professionnelles ou commerciales (Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 29, série A no 251‑B). En outre, elle « accorde un poids singulier au risque d’atteinte au secret professionnel des avocats car il est la base de la relation de confiance entre l’avocat et son client (André et autre c. France, no 18603/03, § 41, 24 juillet 2008 et Xavier da Silveira c. France, no 43757/05, § 36, 21 janvier 2010) et il peut avoir des répercussions sur la bonne administration de la justice » (Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH c. Autriche, no 74336/01, §§ 65-66, CEDH 2007‑IV; Niemietz, précité, § 37, et André et autre, précité § 41).

44. La Cour en conclut que la consultation des extraits de comptes bancaires de la requérante a bien constitué une ingérence dans son droit au respect du secret professionnel, lequel rentre dans la vie privée (M.N. et autres c. Saint-Marin, no 28005/12, § 51, 7 juillet 2015).

b) Sur la justification de l’ingérence

45. Une ingérence enfreint l’article 8 de la Convention, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire, dans une société démocratique », pour le ou les atteindre.

i. Prévue par la loi

46. La Cour rappelle que les mots « prévue par la loi » impliquent d’abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais qu’ils ont trait aussi à la qualité de la loi en question : ils exigent l’accessibilité de celle-ci aux personnes concernées et une formulation assez précise pour leur permettre – en s’entourant, au besoin, de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé et de régler leur conduite. Cette expression implique donc notamment que la législation interne doit user de termes assez clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à recourir à des mesures affectant leurs droits protégés par la Convention (voir, par exemple, Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, § 64, CEDH 2004‑I, Maestri c. Italie [GC], no 39748/98, § 30, CEDH 2004‑I, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC], no 38224/03, § 81, 14 septembre 2010, Bayatyan c. Arménie [GC], no 23459/03, § 113, CEDH 2011, et Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 117, CEDH 2014 (extraits)).

47. Dans le cadre de l’article 8 § 2 de la Convention, le terme « loi » doit être entendu dans son acception « matérielle » et non « formelle ». En outre, dans un domaine couvert par le droit écrit, la « loi » est le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l’ont interprété (Société Colas Est et autres c. France, no 37971/97, § 43, CEDH 2002-III et Sallinen et autres c. Finlande, no 50882/99, § 77, 27 septembre 2005).

48. En l’espèce, la requérante ne conteste pas le fait que l’ingérence avait une base légale, à savoir l’article 135 du CPP. Le Gouvernement soutient également cet argument.

49. La Cour constate également que, pour pouvoir obtenir les informations recherchées dans le cadre de la procédure pénale ouverte contre la requérante, la cour d’appel d’Évora a ordonné la levée du secret professionnel en se fondant sur le paragraphe 3 de l’article 135 du CPP. Or, elle relève que, dans deux affaires similaires, la cour d’appel de Porto et la cour d’appel de Lisbonne ont considéré que l’article 135 ne pouvait pas être opposé à un avocat intervenant comme accusé dans le cadre d’une procédure pénale, eu égard notamment au droit de garder le silence et au mécanisme prévu par l’article 87 § 4 du statut de l’Ordre des avocats (voir ci-dessus paragraphes 29 et 30).

50. Par ailleurs, la Cour note que les juridictions internes ne sont pas unanimes en ce qui concerne la possibilité de former un pourvoi en cassation devant la Cour suprême contre un arrêt d’une cour d’appel ordonnant la levée du secret professionnel. En l’espèce, le pourvoi de la requérante été déclaré irrecevable par la Cour suprême par un arrêt du 2 juin 2010. Or, dans une affaire similaire, un tel recours a été admis, ce qui a amené la Cour suprême à statuer sur la nécessité de lever le secret professionnel (voir arrêt du 21 avril 2005 cité ci-dessus paragraphe 25). Dans un arrêt du 9 février 2011 (voir ci-dessus paragraphe 28), la haute juridiction a également considéré que la décision de la cour d’appel pouvait faire l’objet d’un recours. Enfin, à titre subsidiaire, la Cour relève que, dans un arrêt du 2 novembre 2005 (voir ci-dessus paragraphe 23), le Tribunal constitutionnel a jugé que la décision d’une cour d’appel statuant sur la levée du secret professionnel relevait de la première instance judiciaire.

51. Indépendamment de la prévisibilité de l’ingérence litigieuse et de l’existence ou non d’une divergence de jurisprudence au niveau interne quant à la possibilité de former un appel contre un arrêt d’une cour d’appel ordonnant la levée du secret professionnel, ayant pu porter atteinte au principe de la sécurité juridique, la Cour juge qu’il ne s’impose pas de trancher ces deux questions compte tenu de la conclusion à laquelle elle parviendra en ce qui concerne la nécessité de l’ingérence.

ii. Légitime

52. La Cour note que l’ingérence dans la vie privée de la requérante tendait à la recherche d’indices et de preuves dans le cadre d’une enquête ouverte contre la requérante pour fraude fiscale. Elle poursuivait donc un but légitime, à savoir la « prévention des infractions pénales » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

53. Il reste à examiner si pareille ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre le but légitime poursuivi dans les circonstances particulières de l’affaire.

iii. Nécessaire dans une société démocratique

54. Selon la jurisprudence constante de la Cour, la notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime recherché. Pour déterminer si une ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », la Cour tient compte du fait qu’une certaine marge d’appréciation doit être laissée aux États contractants (voir, parmi d’autres arrêts, Camenzind c. Suisse, 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII, § 44). Toutefois, les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 appellent une interprétation étroite, et leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante (voir Buck c. Allemagne, no 41604/98, § 44, CEDH 2005‑IV).

55. La Cour rappelle également qu’elle doit se convaincre de l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus (Xavier da Silveira, précité, § 34) y compris d’un « contrôle efficace » pour contester la mesure litigieuse (voir, parmi beaucoup d’autres, Miailhe c. France (no 1), 25 février 1993, § 37, série A no 256‑C, Funke c. France, 25 février 1993, § 56, série A no 256‑A, Crémieux c. France, 25 février 1993, § 39, série A no 256‑B, ainsi que, mutatis mutandis, Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, §§ 50, 54 et 55, série A no 28, Lambert c. France, 24 août 1998, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V et Matheron c. France, no 57752/00, § 35, 29 mars 2005). La Cour rappelle aussi que la protection du secret professionnel attaché aux correspondances échangées entre un avocat et son client est, notamment, le corollaire du droit qu’à ce dernier de ne pas contribuer à sa propre incrimination (André et autre, précité, § 41) et que, dès lors, ces échanges bénéficient d’une protection renforcée (Michaud c. France, no 12323/11, §§ 117-118, CEDH 2012, avec les références citées).

56. En l’espèce, la Cour note que l’incident de procédure visant la levée du secret professionnel auquel la requérante était lié en sa qualité d’avocate a été soulevé par le ministère public suite au refus de la requérante de produire les extraits de ses comptes bancaires dans le cadre d’une procédure pénale qui avait été ouverte contre elle du chef de fraude fiscale. Elle constate que cette procédure s’est déroulée, certes devant un organe judiciaire, mais sans que la requérante n’y participe. En effet, elle n’a pris connaissance de la levée du secret professionnel et du secret bancaire concernant ses extraits de comptes bancaires qu’au moment où elle a reçu notification de l’arrêt de la cour d’appel d’Évora du 12 janvier 2010. La requérante n’est donc intervenue à aucun moment au cours de cette procédure. Par conséquent, elle n’a pu présenter ses arguments. De surcroît, elle n’a pu répondre, ni à la requête du ministère public du 30 octobre 2009 adressée au juge d’instruction criminelle (voir ci-dessus paragraphe 9), ni à l’avis du 30 novembre 2009 de la procureure adjointe près la cour d’appel d’Évora (voir ci-dessus paragraphe 11).

57. La Cour observe ensuite que l’article 135 § 4 du CPP et l’article 87 § 4 du Statut de l’Ordre des avocats (voir ci-dessus paragraphes 18 et 21) prévoyaient la consultation de l’Ordre des avocats dans le cadre de la procédure visant la levée du secret professionnel. Or, en l’espèce, force est de constater que l’Ordre des avocats n’a pas été sollicité. La Cour estime que le rejet de la demande formulée par la requérante au Conseil du district de Faro de l’Ordre des avocats est sans importance (voir-ci-dessus paragraphe 14), la loi interne prévoyant que la consultation soit demandée d’office par le juge en charge de la procédure. Même si, eu égard à la jurisprudence interne, un avis de l’Ordre des avocats n’aurait pas eu d’effet contraignant (à titre d’exemple, voir les arrêts de la Cour suprême du 21 avril 2005 et de la cour d’appel de Lisbonne du 29 septembre 2008, cités ci-dessus aux paragraphes 25 et 31), la Cour estime que l’intervention d’un organisme indépendant était en l’espèce nécessaire étant donné que les informations réclamées étaient couvertes par le secret professionnel. À cet égard, elle renvoie à sa jurisprudence relative aux perquisitions dans les cabinets d’avocats (voir entre autres, mutatis mutandis, Niemietz, précité, § 37, Tamosius c. Royaume-Uni (déc.), no 62002/00, CEDH 2002-VIII et Xavier da Silveira, précité, § 40).

58. En ce qui concerne le « contrôle efficace » pour contester la mesure litigieuse, la Cour note que le pourvoi que la requérante a formé devant la Cour suprême pour contester la décision de la cour d’appel n’a pas fait l’objet d’un examen quant au fond, la haute juridiction ayant considéré que la requérante ne disposait pas de la possibilité de faire appel de l’arrêt de la cour d’appel d’Évora du 12 juin 2010 en application des articles 432 et 400 § 1 c) du CPP. Le Gouvernement soutient cette interprétation et se réfère à un autre arrêt de la Cour suprême la confirmant. La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes car c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999‑I). Ceci n’empêche pas la Cour de considérer que le simple fait que le recours de la requérante ait été déclaré irrecevable par la Cour suprême ne satisfait pas l’exigence d’un « contrôle efficace » posée par l’article 8 de la Convention, la requérante n’a donc disposé d’aucun recours pour contester la mesure litigieuse.

59. Eu égard à l’absence de garanties procédurales et d’un contrôle juridictionnel effectif de la mesure litigieuse, la Cour estime que les autorités portugaises n’ont pas ménagé, dans la présente espèce, un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et les exigences de protection du droit de la requérante au respect de sa vie privée. Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

60. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

61. La requérante réclame 107 500 euros (EUR) au titre du préjudice matériel résultant de la perte de clients et des majorations d’impôts qu’elle a été contrainte de payer à l’issue d’une procédure de redressement judiciaire engagée contre elle suite à la consultation des extraits de ses comptes bancaires relatifs à l’année 2006.

62. La requérante demande également la somme de 60 000 EUR pour le préjudice moral qu’elle aurait subi en raison de l’atteinte à son honneur et sa réputation d’avocate.

63. Le Gouvernement réfute la demande de la requérante estimant qu’elle est excessive et n’est pas étayée.

64. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’elle a subi un tort moral certain du fait de ne pas avoir pu se défendre dans le cadre de la procédure visant la levée du secret professionnel et contester la mesure litigieuse. Statuant en équité, la Cour estime qu’y a lieu d’octroyer à la requérante 3 250 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

65. La requérante demande également 1 213,98 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, lesquels, avec justificatif à l’appui, sont ventilés comme suit :

. 102 EUR pour les frais de justice afférents à son recours devant la Cour suprême ;

. 40,80 EUR pour deux copies certifiées conformes des pièces du dossier de procédure pénale, délivrées par le parquet près le tribunal de Faro ;

. 106,18 EUR pour les photocopies et frais d’envoi de sa correspondance avec la Cour ;

. 315 EUR pour les frais de traduction de ses observations ;

. 100 EUR pour la consultation d’un psychologue et

. 550 EUR pour un encéphalogramme réalisé le 10 mars 2010 pour étudier la qualité de son sommeil.

66. Le Gouvernement conteste la prétention de la requérante s’agissant du remboursement des frais médicaux. Pour le reste, il s’en remet à la sagesse de la Cour.

67. La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions nationales « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation » (voir, parmi beaucoup d’autres, Hertel c. Suisse, 25 août 1998, § 63, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI). En l’espèce, étant donné que la violation constatée concerne une ingérence dans la vie privée de la requérante que la requérante a cherché à contester devant la Cour suprême, les frais y afférents ont été engagés pour corriger la violation constatée, il y a donc lieu de rembourser la somme réclamée par la requérante à cet égard, soit 102 EUR.

68. Quant aux frais et dépens devant elle, la Cour rappelle qu’un requérant ne peut obtenir leur remboursement que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000‑XI). En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’octroyer à ce titre 361,98 EUR à la requérante, les frais médicaux occasionnés en raison de la violation constatée étant déjà couverts par la somme attribuée au titre du dommage moral.

69. Partant, la Cour octroie à la requérant la somme totale de 463,98 EUR pour l’ensemble des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

70. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i) 3 250 EUR (trois mille deux cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 463,98 EUR (quatre cent soixante-trois euros et quatre-vingt-dix-huit centimes), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er décembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Françoise Elens-PassosAndrás Sajó
GreffièrePrésident


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