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05/11/2015 | CEDH | N°001-158503

CEDH | CEDH, AFFAIRE A.Y. c. GRÈCE, 2015, 001-158503


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE A.Y. c. GRÈCE

(Requête no 58399/11)

ARRÊT

STRASBOURG

5 novembre 2015

DÉFINITIF

05/02/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire A.Y. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicil

ianos,
Erik Møse,
Dmitry Dedov, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 octobre ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE A.Y. c. GRÈCE

(Requête no 58399/11)

ARRÊT

STRASBOURG

5 novembre 2015

DÉFINITIF

05/02/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire A.Y. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Dmitry Dedov, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 octobre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 58399/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant iraquien, M. A.Y. (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).

2. Le requérant a été représenté par Mes I.-M. Tzeferakou et A. Tsapopoulou, avocates au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme F. Dedoussi, assesseure auprès du Conseil juridique de l’État.

3. Le 10 juin 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1984.

A. La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant

5. Le requérant quitta son pays craignant pour sa vie, parce qu’il était un policier qui avait collaboré avec les forces militaires américaines en Irak et avait été menacé par des extrémistes.

6. En octobre 2010, le requérant arriva en Grèce et le 13 octobre 2010, il fut arrêté par les autorités de police de Tychero pour entrée illégale sur le territoire grec. Il a été enregistré sous le nom K. A. et comme ressortissant syrien. Le requérant allègue avoir formulé une demande pour se voir offrir une protection internationale en tant que réfugié mais celle-ci n’a pas été enregistrée par les autorités compétentes. Sa détention fut ordonnée en vue de son expulsion. Le même jour, le requérant fut transféré et mis en détention au poste frontière de Tychero.

7. Par une décision du 14 octobre 2010, le procureur près le tribunal correctionnel d’Alexandroupoli s’abstint de poursuivre le requérant afin que celui-ci soit envoyé dans son pays d’origine. Le même jour, le directeur de la Direction de la police des frontières de Tychero ordonna son renvoi vers la Turquie. Ce renvoi fut finalement reporté en raison d’un refus d’admission opposé par les autorités turques.

8. Le 14 octobre 2010, le directeur de la Direction de police d’Alexandroupoli décida de placer le requérant en détention provisoire jusqu’à ce qu’une décision concernant son expulsion soit prise dans un délai de trois jours (décision no 9760/20-3426/1-α’).

9. Le 17 octobre 2010, le directeur de la police d’Alexandroupoli ordonna l’expulsion du requérant et son maintien en détention pour une période ne pouvant pas dépasser six mois au motif qu’il risquait de fuir (décision 9760/20-3426/1-β’). La décision constatait que le requérant n’avait pas déposé d’objections contre la décision d’expulsion dans un délai de quarante-huit heures. Elle réitérait qu’il risquait de fuir. Enfin, elle prévoyait que l’expulsion pouvait être suspendue au cas où le requérant introduirait un recours. Le requérant affirme qu’il ne reçut aucune brochure informative sur ses droits et les recours possibles ni d’information y relative dans une langue qu’il comprenait.

10. À des dates non précisées en novembre et décembre 2010, les avocates du requérant lui rendirent visite au poste frontière de Tychero afin de lui offrir une assistance judiciaire.

11. À une date non précisée, le poste frontière de Tychero reçu par fax une photocopie d’un document délivré par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés sur lequel figuraient les éléments d’identité du requérant.

12. Le 29 novembre 2010, le requérant eut un entretien avec des experts de FRONTEX (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures). Suite à cet entretien, la Direction de police d’Alexandroupoli procéda à la correction des données du requérant.

13. À une date non précisée, le Conseil grec pour les réfugiés envoya un document aux autorités de police d’Alexandroupoli demandant l’enregistrement de la demande d’asile du requérant. Il ressort du dossier que cette demande d’asile ne fut pas enregistrée par les autorités.

14. Le 9 décembre 2010, le requérant, par l’intermédiaire des avocats du Conseil grec pour les réfugiés, demanda au ministère de la Solidarité sociale de lui trouver une structure d’accueil conformément au décret présidentiel no 220/2007.

15. Le requérant affirme que le 10 décembre 2010, le ministère compétent lui répondit que le requérant était inscrit sur une liste de priorité pour lui accorder une structure d’accueil.

16. Le 22 décembre 2010, un rapport médical établi suite à une visite de Médecins sans Frontières constata que le requérant souffrait de crises d’asthme. Il conclut que sa détention avait aggravé son état de santé.

17. Le 23 décembre 2010, le Conseil grec pour les réfugiés envoya un fax, entre autres, à la Direction de police d’Alexandroupoli et au poste frontière de Tychero, intitulé : « Enregistrement des demandes d’asile et des mineurs non-accompagnés ». Il inclut une liste de détenus, dont le requérant, qui « avaient déjà déposé une demande d’asile ou souhaitaient de le faire » et demanda aux autorités de fournir au Conseil grec pour les réfugiés des informations relatives à l’enregistrement et l’état actuel de ces demandes. Selon le document, le refoulement de ces détenus constituerait une violation des dispositions du décret présidentiel no 114/2010, de l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que de l’article 3 de la Convention. Qui plus est, le Conseil grec pour les réfugiés informa les autorités de l’enregistrement erroné du nom et de la nationalité du requérant, nota qu’il avait déjà soumis aux autorités des documents y relatifs et souligna que la détention aggravait son état de santé, car il souffrait d’asthme. Toutefois, les autorités ne fournirent aucune information au Conseil grec pour les réfugiés.

18. Le 24 décembre 2010, le Conseil grec pour les réfugiés envoya un fax au Ministère de Santé afin d’être informé sur la structure d’accueil qui pourrait héberger le requérant.

19. Le 27 décembre 2010, le requérant formula des objections contre sa détention devant le tribunal administratif d’Alexandroupoli. Se prévalant de la jurisprudence de la Cour, il releva notamment que sa détention n’était pas nécessaire, du fait qu’il pouvait être hébergé à Athènes par une organisation non-gouvernementale, que son expulsion ne pouvait pas être effectuée sa demande d’asile étant toujours pendante et que ses conditions de détention étaient déplorables. Il souligna à cet effet le surpeuplement, le manque d’hygiène et d’exercice physique. Le requérant releva enfin qu’il souffrait d’asthme et que sa détention constituait une menace pour sa vie.

20. Le 29 décembre 2010, le Conseil grec pour les réfugiés envoya un fax au président du tribunal administratif d’Alexandroupoli. Il précisa que la Direction de police d’Alexandroupoli transmettrait au tribunal administratif d’Alexandroupoli un certificat attestant que la date de l’entretien d’asile du requérant n’avait pas encore été fixée. Ce certificat aurait été nécessaire dans le cadre des objections contre la détention.

21. Le 3 janvier 2011, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli fit droit à la demande du requérant. Il fit notamment référence au fait que la continuation de la détention du requérant aurait aggravé son état de santé et qu’il était susceptible d’être accueilli par une organisation non-gouvernementale. Dès lors, la continuation de la détention n’était pas légale (décision no P8/2011). Le même jour, le requérant fut remis en liberté.

B. Les conditions de détention du requérant

1. La version du requérant

22. Le requérant fut détenu au poste frontière de Tychero. Il souligne que les conditions de détention dans cet endroit rendaient impossible même une détention de courte durée. Il prétend que pendant sa détention, il ne sortit jamais des bâtiments, ce qui eut une influence néfaste sur sa santé physique et psychologique.

23. La plupart du temps, le poste frontière de Tychero accueillait entre 100-200 hommes, femmes et enfants dans un espace d’une capacité de 45 personnes. Certains détenus, dont lui-même, étaient obligés de dormir à même le sol, à proximité des eaux sales des toilettes ou même assis. L’accès au téléphone était très limité et il fallait se procurer une télécarte, ce qui dépendait de la volonté des gardiens. Dans les espaces de détention, il n’y avait ni chaises, ni tables, ni endroit pour ranger. Le requérant ne reçut aucun produit de toilette ou d’hygiène. Les quelques couvertures étaient sales, l’eau n’était pas potable et la nourriture était de très mauvaise qualité. En outre, aucun interprète n’était présent et les détenus, comme le requérant, n’étaient pas informés des raisons et de la durée de leur détention. Aucune information n’était donnée concernant les droits des détenus et la procédure d’asile.

24. Enfin, le requérant relève qu’il souffrait d’asthme, élément qui fut porté à la connaissance des autorités compétentes, en vertu du rapport médical dressé par l’organisation « Médecins sans Frontières » et datée du 22 décembre 2010. Il allègue que son suivi médical était insuffisant et que sa détention fut maintenue malgré son état de santé, ce qui posa une menace éventuelle pour sa vie.

2. La version du Gouvernement

25. Le Gouvernement décrit le poste frontière de Tychero dans lequel le requérant a séjourné comme suit.

26. Les besoins des détenus, tels que les soins médicaux et pharmaceutiques, faisaient l’objet de programmes approuvés notamment par la Commission européenne. Lesdits programmes comprenaient la réception, le transfert, l’alimentation et la distribution d’articles d’hygiène personnelle aux détenues.

27. Deux équipes médicales mobiles étaient actives dans la région. Les cinq centres de rétention de la région disposaient du personnel médical en permanence. Les détenus qui ne pouvaient être traités sur place étaient transférés dans les centres de santé régionaux ou à l’hôpital universitaire d’Alexandroupoli. L’association « Médecins sans frontières » fournissait également des services médicaux aux détenus.

28. L’alimentation des détenus était assurée par les soins de la préfecture de l’Évros, qui avait conclu un contrat avec une société de restauration. Les détenus recevaient trois repas par jours, au prix de 5,87 euros. De telles sommes suffisent pour couvrir les besoins nutritionnels des détenus, la préparation des repas sur une base collective permettant de réduire leur prix unitaire. À titre de comparaison, le Gouvernement souligne que la somme de 5,87 euros représente le triple de la somme dépensée par l’Université des sciences économiques et sociales de Macédoine pour le déjeuner et le dîner des étudiants sur une base hebdomadaire (1,79 euro, TVA incluse). Les repas ne contiennent pas d’aliments interdits par la religion des détenus.

29. Le chauffage était assuré par un système central qui était toujours en fonction. Des téléphones publics à cartes fonctionnaient au sein du poste frontière de Tychero et la communication des détenus avec leurs avocats et leurs proches s’effectuait sans entraves.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

30. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, CEDH 2011), Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013) et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013).

III. LES RAPPORTS DES INSTANCES INTERNATIONALES ET NATIONALES

A. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT), dans le rapport du 10 janvier 2012, établi suite à la visite du 19 au 27 janvier 2011

31. Le CPT relevait que les conditions de détention au poste frontière de Tychero étaient mauvaises. Au temps de la visite, il y avait 139 personnes détenues et cent environ étaient « entassées » dans une chambre de 35 m2. L’annexe avec trois toilettes et une douche n’avait pas de lumière et était sale. Depuis décembre 2010, l’association « Médecins sans frontières » fournissait des services médicaux aux détenus.

B. Les constats de la Commission nationale pour les droits de l’homme et du Médiateur de la République

32. Du 18 au 20 mars 2011, la Commission nationale pour les droits de l’homme et le Médiateur de la République ont visité les centres de rétention des départements d’Evros et de Rodopi afin d’examiner les conditions de détention des étrangers et l’application de la législation relative à l’asile.

33. En ce qui concerne le poste frontière de Tychero, le médiateur indiquait que la capacité maximale du centre était de 80 personnes. À la date de la visite de la Commission, le centre en accueillait 122, dans trois lieux séparés. Le premier espace, destiné aux détenus qui allaient être interviewé par FRONTEX, accueillait des femmes et des hommes qui étaient assis ou allongés au sol. Les locaux n’étaient pas suffisamment éclairés, ventilés et chauffés, et l’atmosphère était étouffante. Un téléphone public à cartes fonctionnait dans cet espace. En raison de l’accès limité aux toilettes, les détenus sortaient dans la cour intérieure ou dans un couloir devant les cellules afin de faire leurs besoins. Les deux autres espaces, destinés aux demandeurs d’asile ou des personnes détenus en vue de leur expulsion, ne répondaient pas aux exigences des conditions de détention « même pas pour un jour », étant donné le manque d’éclairage et d’aération et des mauvaises conditions d’hygiène.

34. Les autorités auraient affirmé à la Commission que les détenus ne restaient dans les lieux que de trois à quinze jours, à cause des mauvaises conditions de détention. Cependant, la Commission a constaté que plusieurs détenus y séjournaient depuis deux, trois et cinq mois. À cause du nombre insuffisant des policiers, il n’y avait aucune possibilité de se promener. Enfin, selon les autorités, un médecin et une infirmière fournissaient des soins médicaux et un assistant social et un psychologue visitaient le centre.

EN DROIΤ

I. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT CONCERNANT L’ENSEMBLE DE LA REQUÊTE

A. Exception tirée du fait que la requête aurait été introduite par un requérant qui ne peut pas être identifié

35. En premier lieu, le Gouvernement soutient que les données personnelles du requérant figurant sur la requête ne correspondent ni à ceux qui figurent sur le pouvoir, ni à ceux qui figurent sur les documents officiels des autorités grecques. Il affirme que le requérant n’est pas connu des autorités grecques et qu’il n’est pas établi qu’il est concerné par les actes administratifs en cause. Le Gouvernement ajoute que les copies des documents qui auraient permis d’établir l’identité du requérant sont de mauvaise qualité. Qui plus est, selon lui, l’anonymat entrainera la délivrance d’un arrêt concernant une personne aux initiales A.Y. Or, cet arrêt pourrait être considéré comme concernant toutes les personnes aux données personnelles ci-dessus, ou aux mêmes lettres initiales. Dès lors, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête comme irrecevable, du fait qu’il ne peut être établi que le requérant a la qualité de victime.

36. Le requérant rétorque que les différences constatés entre la requête et le pouvoir concernent des fautes d’orthographe. Il fournit la copie d’un pouvoir, validé par les autorités au poste frontière de Tychero, sur lequel figurent son nom et son prénom, tels qu’ils ont été initialement enregistrés par les autorités, ainsi que tels qu’ils ont été corrigés par les autorités et présentés dans sa requête devant la Cour.

37. La Cour note que les différences entre la requête et le pouvoir, invoquées par le Gouvernement, ne concernent que une ou deux lettres du nom du requérant. Elle observe que les autorités ont déjà reconnu le nom du requérant tel qu’il est présenté dans la requête et le pouvoir introduits devant elle, tant dans le pouvoir validé par les autorités au poste frontière de Tychero que dans les objections que le requérant a introduites devant le tribunal administratif. Dès lors, elle estime que le requérant a pu démontrer qu’il a été « directement affecté » par la mesure incriminée et rejette l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.

B. Exception tirée du non-respect du délai de six mois

38. En deuxième lieu, le Gouvernement est d’avis que la requête a été introduite plus de six mois après la délivrance de l’acte d’expulsion, le 17 octobre 2010, après le non enregistrement allégué de la demande d’asile, à une date non précisée, ainsi qu’après la mise en liberté du requérant, le 3 janvier 2011.

39. Le requérant rétorque que sa première lettre a été introduite dans le délai des six mois.

40. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante à la date d’introduction de la présente requête, sauf l’existence de circonstances justifiant de décider autrement, la date à prendre en considération pour déterminer quand la Cour est saisie au sens de l’article 34 de la Convention était la date de la communication de la première lettre du requérant exposant - fût-ce sommairement - l’objet des griefs qu’il entendait soulever (article 48 § 5 du règlement de la Cour - voir, parmi beaucoup d’autres, Papageorgiou c. Grèce, 22 octobre 1997, § 32, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VI, et Richard Roy Allan c. Royaume-Uni (déc.), no 48539/99, 28 août 2001), et non la date figurant sur le tampon d’accusé de réception apposé par le greffe de la Cour sur le formulaire de la requête (Korkmaz c. Turquie (déc.), no 42589/98, 5 septembre 2002).

41. En l’occurrence, la Cour note que la première lettre du requérant, répondant aux exigences de l’article 48 § 5 du Règlement de la Cour, tel qu’applicable à l’époque, a été introduite le 3 juillet 2011. Elle observe que le requérant a été libéré le 3 janvier 2011. Il s’ensuit que l’exception soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.

C. Exception tirée du caractère abusif de la requête

42. En troisième lieu, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la présente requête comme abusive. Il soutient que des contrats conclus entre l’État et le Conseil grec pour les réfugiés prévoyaient l’obligation de ce dernier d’introduire tous les recours prévus par le droit interne. Or, les avocats du Conseil grec pour les réfugiés ont introduit la requête devant la Cour sans avoir au préalable saisi les juridictions internes, ce qui crée, selon le Gouvernement, une situation de « conflit d’intérêts ».

43. La Cour rappelle que la notion « d’abus », au regard de l’article 35 § 3 a), doit être comprise dans son sens ordinaire retenu par la théorie générale du droit – à savoir le fait, par le titulaire d’un droit, de le mettre en œuvre en dehors de sa finalité d’une manière préjudiciable. Dès lors, est abusif tout comportement d’un requérant manifestement contraire à la vocation du droit de recours établi par la Convention et entravant le bon fonctionnement de la Cour ou le bon déroulement de la procédure devant elle (Miroļubovs et autres c. Lettonie, no 798/05, §§ 62-65, 15 septembre 2009, S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, §§ 66-67, CEDH 2014 (extraits)).

44. En l’occurrence, la Cour note que tel n’est pas le cas en l’espèce, les griefs du requérant reposant sur des faits réels dont certains ne sont d’ailleurs pas contestés par le Gouvernement. L’exception préliminaire du Gouvernement est donc rejetée.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION EN RAISON DES CONDITIONS DE DÉTENTION DU REQUÉRANT

45. Le requérant se plaint des conditions de détention dans les locaux du poste frontière de Tychero. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

46. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que le requérant avait la possibilité d’introduire un recours en annulation contre la décision d’expulsion du 17 octobre 2010 devant le tribunal administratif, un recours en sursis à exécution de la mesure d’expulsion ou une demande d’ordre provisoire tendant à éviter son renvoi immédiat.

47. Le Gouvernement soutient, en outre, que le requérant a omis d’introduire une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, combiné, d’une part, avec l’article 3 de la Convention et, d’autre part, avec les dispositions applicables aux étrangers qui font l’objet d’une décision administrative d’expulsion (articles 66 § 4, 66 § 5 d), 90 § 3 b), 91 § 1 et 92 §§ 6 et 7 du décret présidentiel no 141/1991 relatif aux compétences des organes du ministère de l’Ordre public, et articles 2 et 3 du décret présidentiel no 254/2004 portant code de déontologie des fonctionnaires de police).

48. Le requérant rétorque qu’il a fait tout ce qui pouvait être raisonnablement exigé de lui pour satisfaire à la condition de l’épuisement des voies de recours internes.

2. Appréciation de la Cour

49. En ce qui concerne les principes généraux régnant l’application de la règle de l’épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-69, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, et Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, §§ 69-77, 25 mars 2014).

50. En premier lieu, la Cour note que le requérant a présenté des objections devant le président du tribunal administratif pour dénoncer ses conditions de détention et se plaindre de l’illégalité de celle-ci. Elle observe que ce recours permettait au requérant de contester la légalité de sa détention et au président du tribunal administratif de le mettre en liberté s’il estimait que celui-ci n’était pas dangereux pour l’ordre public ou n’était pas susceptible de fuir ou encore, depuis le 1er janvier 2011, pour tout autre motif ayant trait à la légalité admis par les tribunaux administratifs dans leur jurisprudence relative à la mise en œuvre de l’article 76 de la loi no 3386/2005.

51. En second lieu, elle rappelle sa jurisprudence selon laquelle, d’une part, le recours en annulation de la décision d’expulsion et le recours en sursis à exécution et, d’autre part, l’action en dommages-intérêts prévue à l’article 105 précité ne constituent pas des recours effectifs en matière de rétention d’étrangers en voie d’expulsion (S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009 ; Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009 ; A.A. c. Grèce, no 12186/08, 22 juillet 2010 ; R.U. c. Grèce, no 2237/08, 7 juin 2011 ; A.F. c. Grèce, no 53709/11, 13 juin 2013 ; De los Santos et de la Cruz c. Grèce, nos 2134/12 et 2161/12, 26 juin 2014). Elle rejette donc l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.

52. La Cour constate, en outre, que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

53. Le Gouvernement renvoie à sa version concernant les conditions de détention dans le centre en cause (voir paragraphes 25-29 ci-dessus). Il soutient que le requérant soulève des griefs et des allégations de caractère général, et ce sans apporter de précisions quant à l’existence de faits concrets qui permettraient d’établir qu’il a subi une pression physique ou psychologique d’une ampleur telle que l’on pourrait la qualifier de traitement dégradant. Le Gouvernement ajoute que le requérant a bénéficié des soins médicaux et qu’il ne précise pas dans sa requête de quelle manière concrète son état de santé a été influencé par sa détention.

54. Le requérant se réfère à sa version concernant les conditions de détention (voir paragraphes 22-24 ci-dessus).

2. Appréciation de la Cour

55. En ce qui concerne les principes généraux concernant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 90-94, CEDH 2000-XI ; Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 67-68, CEDH 2001‑III ; Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002‑VI ; Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 97, 24 janvier 2008 ; Tabesh, précité, §§ 34-37 ; Rahimi c. Grèce, précité, §§ 59‑62 ; R.U. c. Grèce, précité, §§ 54-56 ; A.F. c. Grèce, précité, §§ 68‑70 ; de los Santos et de la Cruz, précité, § 43).

56. En l’espèce, la Cour constate que les versions des parties divergent sur la plupart des points relatifs aux conditions de détention du requérant. Elle rappelle cependant que, lorsqu’il y a contestation sur les conditions de détention, point n’est besoin pour elle d’établir la véracité de chaque élément litigieux : elle peut conclure à la violation de l’article 3 de la Convention sur la base de toute allégation grave non réfutée par le Gouvernement (voir, mutatis mutandis, Grigorievskikh c. Russie, no 22/03, § 55, 9 avril 2009). À cet égard, le fait que, sans donner de justification satisfaisante, un gouvernement s’abstienne de fournir les informations dont il dispose peut permettre de tirer des conclusions quant au bien-fondé des allégations en question (Ahmet Özkan et autres c. Turquie, no 21689/93, § 426, 6 avril 2004).

57. À cet égard, la Cour note que les conditions de détention prévalant dans les locaux du poste frontière de Tychero où le requérant fut placé pendant trois mois environ sont révélées par plusieurs rapports des organisations grecques et internationales qui les ont visités peu après la libération du requérant, notamment le CPT et la Commission nationale des droits de l’homme et le Médiateur de la République. Ces organisations mettent en avant le manque d’espace sévère dont les détenus souffraient : selon le CPT, à la date de sa visite en janvier 2011, il y avait 139 détenus et cent environ étaient « entassés » dans un espace de 35 m2 ; selon la Commission nationale des droits de l’homme et le Médiateur de la République, en mars 2011 il y avait 122 détenus dans trois dortoirs, d’une capacité de 80 personnes.

58. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le requérant n’a pas bénéficié d’un espace de vie conforme aux critères fixés par sa jurisprudence.

59. Ce constat quant à l’espace attribué au requérant, qui permet à lui seul de conclure à la violation de l’article 3 de la Convention, dispense la Cour d’examiner les autres allégations du requérant, relatives à ses conditions de détention. La Cour ne peut cependant que relever que nombre d’allégations du Gouvernement à cet égard ne coïncident pas avec les constats contenus dans les rapports des organes et organisations précités.

60. La Cour estime que les conditions de détention en cause, compte tenu également de la durée de la détention du requérant, ont soumis l’intéressé à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

61. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION DU FAIT DES DÉFAILLANCES DE LA PROCÉDURE D’ASILE ET DU RISQUE DE RENVOI VERS LA TURQUIE ET L’IRAK

62. Invoquant les articles 3 et 13 de la Convention, le requérant se plaint des défaillances du système d’examen de sa demande d’asile par les autorités et notamment du non-enregistrement de celle-ci par les autorités, ce qui l’a exposé au risque d’être expulsé vers la Turquie et, ensuite, vers l’Irak où il pouvait faire l’objet de tortures et/ou traitements inhumains.

A. Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

63. Le Gouvernement soutient que les allégations du requérant concernant le non-enregistrement de sa demande d’asile sont vagues et infondées, car il n’est pas précisé dans la requête à quel moment la demande d’asile a été présentée. Selon lui, le requérant aurait initialement déclaré être d’origine syrienne et par la suite iraquienne, alors qu’il n’a pas été persécuté par les autorités iraquiennes. En tout état de cause, une expulsion éventuelle du requérant vers l’Irak ne porterait pas atteinte à l’article 3 de la Convention, car la situation dans ce pays s’améliore constamment et il est toujours possible de s’y réinstaller. Il ajoute que le Conseil grec pour les réfugiés avait la responsabilité d’assister le requérant dans le cadre d’un programme du Fonds européen pour les réfugiés en épuisant toutes les voies de recours internes et notamment en introduisant un recours contre la décision d’expulsion. Qui plus est, l’avocate du requérant aurait dû présenter des objections devant le tribunal administratif plus rapidement.

64. Le requérant rétorque qu’en cas de renvoi en Irak, il encourait un risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il dénonce le refus des autorités d’enregistrer sa demande d’asile, le manque d’information sur ses droits et l’absence des traductions des documents y afférents. Il soutient, en particulier, que peu après son arrestation, les autorités ont ordonné de manière automatique son expulsion sans examiner son cas et qu’elles ont demandé aux autorités turques de l’appréhender et de le renvoyer en Irak. Il ajoute que ses éléments d’identité ont été erronément enregistrés par les autorités. Le requérant souligne qu’il était convaincu que sa demande d’asile avait été enregistrée par les autorités. Dès lors, il a introduit une demande de logement, réservée aux demandeurs d’asile, et a présenté des objections devant le tribunal administratif. Or, ces documents faisaient mention de son statut de demandeur d’asile. Quant à la possibilité du Conseil grec pour les réfugiés de l’assister, il souligne que le programme du Fonds européen pour les réfugiés à Alexandroupoli ne suffisait pas pour couvrir tous les détenus.

2. Appréciation de la Cour

65. En l’occurrence, la Cour estime que les exceptions soulevées par le Gouvernement quant à ces griefs sont étroitement liées à la substance du grief relatif à l’article 13 de la Convention et décide de les joindre au fond.

66. La Cour constate par ailleurs que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève, en outre, qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

67. Dans les affaires mettant en cause l’expulsion d’un demandeur d’asile, la Cour a précisé qu’elle se gardait d’examiner elle-même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les États remplissent leurs obligations découlant de la Convention de Genève. Sa préoccupation essentielle est de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers le pays qu’il a fui, où il encourt le risque de subir des traitements contraires à l’article 3 (voir, parmi d’autres, M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 286, T.I. c. Royaume-Uni (déc.), no 43844/98, CEDH 2000-III, Müslim c. Turquie, no 53566/99, §§ 72-76, 26 avril 2005).

68. Toutefois, compte tenu de l’importance que la Cour attache à l’article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale (Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 448, CEDH 2005‑III), un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 (Jabari, précité, § 50) ainsi qu’une célérité particulière (Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 136, CEDH 2004‑IV) ; il requiert également que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif (Čonka c. Belgique, no 51564/99, §§ 81-83, CEDH 2002‑I, Gebremedhin [Gaberamadhien], no 25389/05, § 66, CEDH 2007‑II).

69. Pour déterminer si l’article 13 s’applique en l’espèce, la Cour doit donc rechercher si le requérant peut, de manière défendable, faire valoir que son éloignement vers l’Irak porterait atteinte à l’article 3 de la Convention.

70. La Cour note que, lors de l’introduction de la requête, le requérant a exposé les raisons pour lesquelles il a été obligé de quitter l’Irak (voir paragraphe 5 ci-dessus). Dans ses observations il a produit, à l’appui de ses allégations, des copies de son passeport irakien ainsi que des documents qui, selon lui, prouvaient sa collaboration, en tant que policier, avec les forces militaires américaines en Irak, une affirmation suffisamment concrète et sérieuse pour nécessiter un examen plus approfondi par les autorités compétentes.

71. Pour la Cour, ces éléments montrent qu’il existait prima facie des risques sérieux et avérés que le requérant pourrait subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi en Irak. Elle estime dès lors que le requérant a un grief défendable sous l’angle de l’article 3 de la Convention.

72. La Cour rappelle qu’elle n’a pas à se substituer aux autorités nationales et apprécier la valeur des documents présentés par le requérant devant elle, ou évaluer les risques qu’il encourrait s’il était renvoyé en Irak. Il lui importe seulement de savoir s’il existait en l’espèce des garanties effectives protégeant le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers son pays d’origine. Dans son arrêt M.S.S. précité, elle a relevé les carences du système grec d’asile, tel qu’il était en place à l’époque d’application du décret présidentiel no 81/2009 et notamment celles liées à l’accès à la procédure d’examen des demandes d’asile (paragraphes 300-302, 315, 318 et 320 de l’arrêt).

73. La Cour relève que le Gouvernement et le requérant consacrent de longs développements dans leurs observations sur les conditions de réalisation des programmes d’assistance aux demandeurs d’asile financés par l’Union européenne et par l’État et, notamment, à la question de savoir si, à l’époque des faits, le Conseil grec pour les réfugiés avait la possibilité d’assister le requérant. La Cour estime qu’il ne lui appartient pas d’entrer dans de telles considérations pour se prononcer sur la présente espèce.

74. En revanche, la Cour juge approprié de fonder son appréciation sur l’allégation du requérant selon laquelle sa demande d’asile n’a pas été traitée de manière à le préserver de tout risque de renvoi prématuré et arbitraire. À cet égard, la Cour observe notamment que les autorités n’ont pas répondu au fax du 23 décembre 2010, par lequel l’avocate du requérant leur demandait des informations sur la demande d’asile (paragraphe 17 ci-dessus). En second lieu, comme il ressort du fax envoyé par le Conseil grec pour les réfugiés au président du tribunal administratif d’Alexandroupoli, la Direction de police d’Alexandroupoli s’était engagée à lui transmettre un certificat attestant que la date de l’entretien d’asile n’avait pas encore été fixée, ce qui n’a pas été fait (paragraphe 20 ci-dessus).

75. La Cour considère que cette attitude des autorités a créé dans l’esprit du requérant et ses conseils l’impression trompeuse que sa demande d’asile avait été enregistrée. Fort de cette impression, le requérant a formulé une demande pour bénéficier d’une structure d’accueil, en se prévalant de son statut comme demandeur d’asile. De la même façon, dans ses objections devant le tribunal administratif il soulignait que sa détention n’était pas nécessaire en raison du fait que son expulsion ne pouvait pas être effectuée, sa demande d’asile étant toujours pendante.

76. La Cour estime que malgré les démarches du Conseil grec pour les réfugiés susmentionnées, les autorités n’ont jamais entrepris des vérifications pour s’assurer que sa demande d’asile avait été enregistrée et n’ont pas suivi une procédure fiable, sérieuse et écrite qui aurait permis au requérant de savoir en temps utile si sa demande de protection internationale, notamment du 23 décembre 2010, avait été enregistrée et examinée. Cette absence d’information claire de la part des autorités sur le sort de la demande d’asile qu’il présumait avoir été enregistrée, a exposé le requérant à un risque d’expulsion tout au long de sa détention.

77. Dès lors, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 en raison des défaillances du système grec d’asile, à l’époque des faits. Il s’ensuit qu’il ne saurait être reproché au requérant de ne pas avoir épuisé les voies de recours internes et que l’exception préliminaire de non-épuisement du Gouvernement (paragraphe 63 ci-dessus) ne saurait être accueillie.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 5 §§ 1 ET 4 AINSI QUE 13 DE LA CONVENTION

78. Le requérant se plaint de l’irrégularité de sa mise en détention, notamment en raison du fait qu’elle était le résultat du refus d’enregistrement par les autorités de sa demande d’asile, ainsi que de l’inefficacité du control juridictionnel de la détention. Il invoque les articles 5 §§ 1 et 4 ainsi que 13 de la Convention, dispositions dont les parties pertinentes ainsi libellées :

Article 5

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

79. Le Gouvernement allègue que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, en réitérant ses arguments concernant la recevabilité du grief du requérant visant les conditions de détention.

80. La Cour renvoie à ses considérations concernant l’article 3 de la Convention (voir paragraphes 49-52 ci-dessus) et rejette l’exception du Gouvernement. Par ailleurs, la Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Sur le grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention relatif à la régularité de la mise en détention

a) Arguments des parties

81. Le Gouvernement soutient que la détention du requérant était prévue par la loi, à savoir l’article 76 de la loi no 3386/2005 et que sa légalité a été examinée par un tribunal. Il souligne, en outre, que le tribunal administratif a ordonné la remise en liberté du requérant, ce qui a eu lieu dans le délai de six mois fixé par l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005.

82. Le requérant rétorque que sa détention, qui a débuté le 2 août 2010, était arbitraire. Il affirme que sa situation, son état de santé, ainsi que le fait qu’il avait demandé l’asile n’ont pas été pris en considération et que la décision de lui imposer la mesure de détention avait été prise automatiquement. Le requérant soutient enfin que sa détention était arbitraire en raison de sa durée, combinée avec les conditions de celle-ci.

b) Appréciation de la Cour

83. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 1 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 64 et 74, CEDH 2008, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, §§ 72-81, CEDH 2009, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil 1996‑V, Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III, Barjamaj, précité, §§ 36-38, et Khuroshvili, précité, §§ 107-108).

84. En l’occurrence la Cour note, en premier lieu, que la privation de liberté du requérant était fondée sur l’article 76 de la loi no 3386/2005. Partant, la Cour estime que la situation litigieuse tombe sous le coup de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 de la Convention et trouve un fondement en droit interne. La Cour rappelle sur ce point que l’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir. (Chahal, précité, § 112). Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant servait à l’empêcher de rester irrégulièrement sur le territoire grec et à garantir son éventuelle expulsion. Par conséquent, elle estime que la bonne foi des autorités compétentes ne peut pas être mise en question en l’espèce.

85. En second lieu, s’agissant de la durée de la détention, la Cour rappelle que, dans le contexte de l’article 5 § 1 f), seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition et que, si la procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée (Chahal, précité, § 113 ; Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, précité, § 74).

86. Or, la Cour relève tout d’abord que le requérant a été détenu pour une période de trois mois environ, à savoir du 13 octobre 2010 au 3 janvier 2011, date à laquelle il a été remis en liberté suite à la décision du tribunal administratif. La Cour estime qu’un tel délai ne doit pas être considéré en principe comme excessif pour l’accomplissement des formalités administratives en vue de la matérialisation de son expulsion.

87. Quant à la demande d’asile, la Cour relève qu’il ressort du droit interne que si une demande suspend l’exécution de la mesure d’expulsion, elle ne suspend pas celle de la détention ; le droit interne impose seulement que la demande d’asile soit examinée « en priorité absolue » (voir paragraphe 30 ci-dessus). Or, même si la demande d’asile du requérant avait été enregistrée, sa détention n’aurait pas été automatiquement levée.

88. En dernier lieu, ayant conclu à une violation de l’article 3 en raison des conditions de détention dans le poste frontière dans lequel le requérant a été détenu (paragraphe 61 ci-dessus), la Cour n’estime pas nécessaire de se placer une fois de plus sur ce terrain sous l’angle de l’article 5 § 1 f) (voir Horshill c. Grèce, précité, § 65).

89. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant n’était pas arbitraire et que l’on ne saurait considérer qu’elle n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

90. Il n’y a donc pas eu violation de cette disposition.

2. Sur les griefs tirés des articles 5 § 4 et 13 de la Convention relatifs à l’ineffectivité du contrôle juridictionnel de la détention

a) Arguments des parties

91. Le Gouvernement allègue qu’en vertu de la loi no 3900/2010, l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifié et le juge administratif a dorénavant expressément le pouvoir de contrôler la légalité de la détention des personnes qui se trouvent sous écrou en vue de leur expulsion. Il ajoute que les objections du requérant ont été acceptées par le tribunal administratif, qui a statué que la continuation de la détention du requérant n’aurait pas été légale, et que le requérant a pu bénéficier de l’assistance d’un avocat.

92. Le requérant soutient que, même après l’amendement de la loi no 3386/2005, le tribunal administratif d’Alexandroupoli a continué à fonder ses décisions sur la résidence connue des intéressés, sur leurs problèmes de santé et leurs liens avec la Grèce, et qu’il n’a jamais pris en considération d’autres motifs tel que la notion d’arbitraire au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

b) Appréciation de la Cour

93. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 4 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II, S.D. c. Grèce, précité, 11 juin 2009, A.A. c. Grèce, précité, et Herman et Serazadishvili c. Grèce, no 26418/11 et 45884/11, § 71, 24 avril 2014).

94. En l’espèce, la Cour note, tout d’abord, qu’en ce qui concerne les objections qu’un étranger peut former à l’encontre de la décision ordonnant sa détention en vue de son expulsion, le quatrième paragraphe de l’article 76 de la loi no 3386/2005 prévoyait, jusqu’au 1er janvier 2011, que le juge compétent pouvait examiner la décision de la détention uniquement sur le terrain du risque de fuite ou de danger pour l’ordre public. En vertu de la loi no 3900/2010 le paragraphe 4 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifié et prévoit, depuis le 1er janvier 2011, que le juge compétent « se prononce aussi sur la légalité de la détention ou de sa prolongation ». Il ressort de cette nouvelle formulation que le juge compétent peut dorénavant examiner la légalité du renvoi ainsi que les questions afférentes aux conditions matérielles de la détention de la personne en voie d’expulsion, dans la mesure où la loi pertinente prévoit maintenant explicitement l’examen de la légalité de la détention.

95. La Cour constate que par sa décision no P8/2011, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli a fait droit aux objections du requérant et a ordonné sa remise en liberté. Par cette décision, le tribunal administratif a suffisamment répondu aux doléances du requérant quant à la régularité de sa mise en détention. Par conséquent, l’examen des objections du requérant était conforme avec les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention.

96. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

97. Enfin, la Cour est d’avis qu’en constatant notamment que la détention du requérant aurait aggravé son état de santé, le tribunal administratif a implicitement examiné les conditions de détention dans les locaux du poste-frontière de Tychero. Dès lors, eu égard aux faits de l’espèce, aux thèses des parties et aux conclusions formulées sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, la Cour estime qu’elle a examiné les principales questions juridiques soulevées par la présente requête quant à l’effectivité des recours internes disponibles et qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le grief tiré de l’article 13 de la Convention, l’article 5 § 4 constituant une lex specialis par rapport aux exigences plus générales de l’article 13 (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 69, CEDH 1999‑II).

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 2 DE LA CONVENTION

98. Invoquant l’article 5 § 2 de la Convention, le requérant se plaint qu’il n’a pas été informé dans une langue qu’il comprenait des motifs de sa détention et des recours existants contre la décision le plaçant en détention.

99. Eu égard au constat relatif à l’article 5 § 4 (paragraphe 96 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de cette disposition (voir, entre autres, Rahimi, précité).

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

100. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

101. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

102. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive et arbitraire et invite la Cour à rejeter la demande. Il ajoute que l’allocation d’une indemnité par la Cour ne pourrait avoir lieu qu’après le désistement par écrit du requérant de toute autre créance pour les mêmes causes, ainsi qu’une renonciation par écrit au droit d’introduire une action selon l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.

103. La Cour considère que le requérant a souffert un préjudice moral, du fait de la violation de ses droits garantis par les articles 3 et 13 de la Convention. Ce préjudice moral ne se trouve pas suffisamment compensé par les constats de violation. La Cour considère alors qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 6 500 EUR pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

104. La Cour note que le requérant ne présente aucune demande de remboursement des frais et dépens. Elle ne lui accorde donc aucune somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

105. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne les défaillances alléguées de la procédure d’asile et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention dans le poste frontière de Tychero ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13, combiné avec l’article 3 de la Convention, en ce qui concerne les défaillances de la procédure d’asile ;

5. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

6. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

7. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs tirés des articles 5 § 2 et 13 de la Convention ;

8. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

9. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 novembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

André WampachAndrás Sajó
Greffier adjointPrésident


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