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20/10/2015 | CEDH | N°001-158030

CEDH | CEDH, AFFAIRE BEHÇET SÖĞÜT ET AUTRES c. TURQUIE, 2015, 001-158030


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE BEHÇET SÖĞÜT ET AUTRES c. TURQUIE

(Requête no 22931/09)

ARRÊT

STRASBOURG

20 octobre 2015

DÉFINITIF

20/01/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Behçet Söğüt et autres c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Paul Lemmens, président,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Ke

ller,
Egidijus Kūris,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chamb...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE BEHÇET SÖĞÜT ET AUTRES c. TURQUIE

(Requête no 22931/09)

ARRÊT

STRASBOURG

20 octobre 2015

DÉFINITIF

20/01/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Behçet Söğüt et autres c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Paul Lemmens, président,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Egidijus Kūris,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 septembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22931/09) dirigée contre la République de Turquie et dont trois ressortissants de cet État, MM. Behçet Söğüt, Ali Söğüt et Sıddık Söğüt (« les requérants »), ont saisi la Cour le 22 avril 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me R. Bataray Saman, avocate à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Les requérants allèguent en particulier que leur père est décédé à la suite de coups assenés par des policiers lors d’une manifestation.

4. Le 23 novembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont nés respectivement en 1968, en 1972 et en 1955 et résident à Diyarbakır.

6. Le 28 mars 2006, à l’issue d’un rassemblement à Diyarbakır pour les funérailles de quatre membres du PKK, une organisation illégale armée, des heurts violents survinrent entre la foule et les membres des forces de l’ordre.

7. Les éléments exposés ci-après ressortent des différents procès‑verbaux établis sur les évènements.

8. La foule, d’environ deux mille personnes, bloqua plusieurs rues et mit le feu à des véhicules et bâtiments.

9. Les forces de l’ordre furent averties d’un risque d’attaques armées par des terroristes dirigées contre elles et également contre la population, dans le but de provoquer la foule; elles reçurent l’ordre d’être vigilantes à cet égard et de ne pas s’aventurer dans les ruelles.

10. Durant les évènements, plusieurs établissements publics, centres commerciaux et agences bancaires furent saccagés, et des incendies eurent lieu, de même que des attaques aux cocktails Molotov et des jets de pierres contre les membres des forces de l’ordre et leurs véhicules. Plusieurs domiciles de membres des forces de l’ordre furent aussi attaqués et saccagés, des inscriptions furent apposées sur les portes des domiciles de soixante-cinq agents. Un véhicule blindé fut aussi touché par un cocktail Molotov et par une balle. Plusieurs tirs retentirent dans la ville, un manifestant armé fut neutralisé par un coup de matraque sur la main alors qu’il s’apprêtait à tirer et une grenade trouvée dans la rue fut désamorcée par les forces de l’ordre.

11. La foule fut dispersée au bout du quatrième jour des évènements par l’emploi de grenades lacrymogènes et de jets d’eau à haute pression. Trois cent soixante-dix-huit manifestants furent placés en garde à vue. Quatre armes à feu, six chargeurs, trois armes de poing, vingt-six balles à blanc et quatre cocktails Molotov furent saisis. Plusieurs dizaines de personnes déposèrent des plaintes pour pillage, dommage aux biens, agressions et coups et blessures.

12. Parmi la foule, quatre personnes décédèrent par balles, une personne décéda d’une hémorragie cérébrale causée par des éclats de projectiles, trois personnes décédèrent après avoir été touchées par des grenades lacrymogènes, et deux personnes, dont le père des requérants, décédèrent d’hémorragies cérébrales causées par des traumatismes crâniens.

13. Un gendarme fut blessé par balle, deux autres gendarmes furent blessés par arme blanche (couteau), et deux cent quinze policiers et gendarmes, un docteur, une infirmière, un aide-soignant, un ambulancier et deux journalistes furent également blessés.

14. Le père des requérants, M. Halit Söğüt, âgé alors de soixante‑dix‑huit ans, fut blessé le 28 mars 2006. Selon les requérants, il avait été attaqué par des policiers.

15. M. Halit Söğüt fut conduit par ambulance aux urgences de l’hôpital civil de Diyarbakır. Le rapport médical du même jour, établi à 15 h 30, mentionnait comme motif d’admission du patient des blessures par jets de pierres. Il indiquait la présence d’une lacération d’un centimètre entre les sourcils et une lésion d’un centimètre dans la région temporo-occipitale droite. Il indiquait également que le patient avait été hospitalisé à l’unité de soins intensifs, en raison de l’engagement de son pronostic vital constaté à partir des signes pathologiques aperçus sur les images tomographiques du cerveau.

16. Le 30 mars 2006, M. Halit Söğüt fut transféré à l’hôpital universitaire de Dicle, où il décéda le 2 avril 2006.

17. Le même jour, une autopsie fut pratiquée sur son cadavre. Le rapport y afférent indiquait la présence d’une ecchymose de trois centimètres sur le crâne, au niveau du vertex, et de trois traces de piqûres, situées sous la clavicule droite, sur le bras droit et sur la main droite, ainsi que l’absence de toute autre trace ou blessure sur le corps. Il précisait que l’ouverture du crâne avait permis d’établir la présence d’une fissure de neuf centimètres à l’arrière de la partie pariétale. Le rapport concluait que le décès avait été causé par un traumatisme crânien suivi d’une hémorragie cérébrale.

18. Le procureur compétent en matière d’actes terroristes entama d’office une enquête. Mme Halime Yüksel, fille de M. Halit Söğüt, indiqua dans sa déposition du 6 avril 2006 qu’elle se trouvait aux côtés de son père lors de l’incident, que tous deux marchaient dans une rue plutôt calme et que soudainement une quinzaine de policiers en uniforme avaient attaqué son père à coups de matraque. En réponse aux questions du procureur, Mme Halime Yüksel affirma ce qui suit : les agents en question n’étaient pas des membres des « forces spéciales » (özel harekat) ou des « forces d’intervention » (çevik kuvvet) ; elle et son père ne s’étaient pas retrouvés au milieu de la foule lors de l’incident ; avant de prendre la fuite par peur, elle avait vu son père être roué de coups et, par conséquent, elle ne comprenait pas pourquoi le rapport d’autopsie n’indiquait aucune lésion sur le corps de son père, excepté sur le crâne ; elle ne pouvait pas citer de témoins oculaires.

19. Le requérant Ali Söğüt indiqua dans sa déposition du même jour que sa sœur lui avait affirmé qu’elle-même et leur père s’étaient retrouvés au milieu de la foule lors de l’intervention des forces de l’ordre.

20. Le 19 avril 2006, les requérants et Mme Yüksel déposèrent plainte pour meurtre.

21. Par une décision du 2 mai 2006, le procureur compétent en matière d’actes terroristes transmit son dossier au procureur de la République de Diyarbakır (« le procureur »), qui avait été saisi de la plainte des requérants, en indiquant qu’il n’avait pas été établi que le défunt avait été tué par des organisations illégales. Par une décision du 15 mai 2006, les deux enquêtes furent jointes.

22. M. Ali Söğüt, dont la déposition fut recueillie par le procureur le 30 avril 2007, indiqua que les vêtements de son père étaient trempés lorsqu’il l’avait rejoint à l’hôpital et qu’il pensait que son père avait été soumis à des jets d’eau à haute pression projetée par les véhicules blindés. Il modifia en outre sa déposition initiale, faite le jour de l’autopsie, selon laquelle sa sœur lui avait affirmé qu’elle-même et leur père s’étaient retrouvés au milieu de la foule lors de l’intervention des forces de l’ordre.

23. Dans le cadre de son enquête, le procureur demanda à la direction de la sûreté de Diyarbakır l’identité des agents en fonction dans le quartier en question durant les heures qui avaient précédé l’hospitalisation de M. Halit Söğüt. La direction de la sûreté de Diyarbakır lui communiqua le nom de dix-huit agents, ainsi qu’un registre détaillé comportant les dates et horaires des affectations des policiers en différents lieux.

24. Le 12 décembre 2007, le procureur émit un « ordre d’arrestation pour le recueil de dépositions » à l’encontre de huit policiers qui ne s’étaient pas présentés aux convocations initiales ou qui avaient été mutés dans différentes villes dans l’intervalle.

25. Dans leurs dépositions, les policiers expliquèrent qu’ils étaient en fonction à l’intérieur des véhicules blindés qui projetaient de l’eau à haute pression et qu’ils n’avaient pas effectué d’intervention au sol. L’un des policiers indiqua que des gendarmes avaient aussi participé aux opérations au vu de l’ampleur des évènements. Certains policiers déclarèrent qu’ils n’étaient pas en fonction à l’endroit où s’était produit l’incident, qu’ils se trouvaient en d’autres lieux et que cela figurait dans le registre des affectations communiqué au préalable au procureur.

26. Dans l’intervalle, la direction de la sûreté de Diyarbakır avait aussi envoyé au procureur des informations complémentaires lui signalant que toutes les prises de fonctions à différents lieux ne se trouvaient pas indiquées sur le registre susmentionné étant donné que beaucoup de mesures avaient dû être prises verbalement par les commissaires présents sur les lieux, eu égard à l’ampleur des évènements.

27. Le procureur collecta aussi les enregistrements visuels réalisés par la police, sur lesquels les faits concernant le père des requérants ne purent être constatés.

28. Le 7 octobre 2008, au vu des éléments qui précèdent, le procureur rendit une ordonnance de non-lieu en raison de l’absence de preuves envers les policiers mis en cause. Il émit un avis de recherche permanent dans le but d’identifier les auteurs des actes en cause, et ce jusqu’à la prescription pénale des faits.

29. Le 4 novembre 2008, les requérants s’opposèrent au non-lieu.

30. Le 2 février 2009, la cour d’assises de Siverek, saisie de l’affaire, ordonna, par le biais du tribunal d’instance pénal de Diyarbakır, qu’il fût procédé à la recherche d’autres enregistrements visuels. Deux enquêtes furent menées dans le but de trouver des enregistrements réalisés au moyen des caméras de sécurité équipant les commerces de la rue où s’était produit l’incident, mais celles-ci s’avérèrent infructueuses.

31. Par une décision du 17 juin 2009, la cour d’assises de Siverek rejeta l’opposition formée par les requérants et confirma le non-lieu.

32. Par ailleurs, il ressort d’un document daté du 13 mai 2009 que les requérants ont introduit un recours de pleine juridiction pour obtenir une compensation matérielle de 60 000 livres turques (TRY). D’après ce document, une copie du dossier du tribunal administratif de Diyarbakır a été transmise au parquet en charge de l’enquête. Le dossier ne contient pas d’indications sur l’issue de ce recours.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

33. Le droit interne pertinent en l’espèce, notamment les dispositions relatives aux attributions de la police et des forces d’intervention rapide dans le cadre des luttes anti-émeutes, telles que fixées par la loi no 2559 du 14 juillet 1934, est décrit, entre autres, dans les arrêts Abdullah Yaşa et autres c. Turquie (no 44827/08, §§ 23 à 28, 16 juillet 2013), et Ataykaya c. Turquie (no 50275/08, §§ 30 à 35, 22 juillet 2014).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

34. Invoquant les articles 2 et 13 de la Convention, les requérants allèguent que leur père a fait l’objet de violences policières ayant entraîné son décès et que l’enquête menée à cet égard n’a pas été effective.

35. La Cour rappelle qu’elle a compétence pour apprécier au regard de l’ensemble des exigences de la Convention les circonstances dont se plaint un requérant. Dans l’accomplissement de cette tâche, il lui est loisible de donner aux faits de la cause, tels qu’elle les considère comme établis par les divers éléments dont elle dispose, une qualification juridique différente de celle que leur attribue l’intéressé ou, au besoin, de les envisager sous un autre angle (Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 63, CEDH 2000-XII, et Remzi Aydın c. Turquie, no 30911/04, § 44, 20 février 2007). Aussi la Cour décide-t-elle d’examiner l’ensemble des griefs susmentionnés sous l’angle du seul article 2 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...).

2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

A. Sur la recevabilité

36. Le Gouvernement considère que la requête est irrecevable au motif que les requérants n’ont pas utilisé les voies de recours administrative et civile qui, selon lui, leur étaient ouvertes pour une compensation à propos des faits allégués.

37. Les requérants ne présentent pas d’observations à ce propos.

38. La Cour constate que les parties ne se prononcent pas sur le document qui figure dans le dossier et dont il ressort que les requérants ont introduit un recours de pleine juridiction. Quoi qu’il en soit, la Cour rappelle que l’obligation de mener une enquête visant à l’identification et à la sanction des responsables dans des cas concernant le recours à la force dans le cadre de l’article 2 de la Convention pourrait être rendue illusoire si un requérant devait être censé avoir exercé une voie de recours administrative ne pouvant déboucher que sur l’allocation d’une indemnité : en effet, il ne saurait être satisfait à cette obligation par le simple octroi de dommages-intérêts (Kaya c. Turquie, 19 février 1998, § 105, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no 24746/94, § 141, 4 mai 2001, McShane c. Royaume-Uni, no 43290/98, § 125, 28 mai 2002, et Kamer Demir et autres c. Turquie, no 41335/98, § 23, 19 octobre 2006). Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement en ce sens.

39. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

40. Les requérants allèguent que le décès de leur père a résulté de l’emploi d’une force non nécessaire et excessive par les policiers. Ils soutiennent également n’avoir disposé d’aucun recours effectif en droit interne pour faire comparaître devant la justice les personnes responsables selon eux du décès de leur père. Ils soutiennent par ailleurs que l’enquête n’a pas été menée par un organe indépendant et impartial, que les membres des forces de l’ordre gradés qui dirigeaient les interventions n’ont pas été mis en cause et qu’une confrontation entre les policiers suspects et le seul témoin oculaire n’a pas eu lieu.

41. Le Gouvernement conteste la version des faits telle qu’elle est présentée par les requérants. Il indique que le père des requérants a dû se trouver au milieu de la foule que la police tentait de disperser, que les personnes ayant causé son décès n’ont pas pu être identifiées à l’issue de l’enquête pénale, malgré une recherche qu’il qualifie d’élaborée, et que rien ne permet de dire qu’il s’agissait d’agents de police.

1. Principes généraux

a) Sur l’obligation positive de protéger le droit à la vie

42. L’article 2 de la Convention ne vise pas uniquement l’homicide intentionnel : il concerne également les situations dans lesquelles il est possible d’avoir recours à la force, ce qui peut conduire à donner la mort de façon involontaire (Makaratzis c. Grèce [GC], no 50385/99, §§ 49-55, CEDH 2004‑XI). En effet, la première phrase de l’article 2 § 1 de la Convention astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (L.C.B. c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, § 36, Recueil 1998‑III).

43. Dans le cadre des obligations positives de l’Etat quant à la protection du droit à la vie, il peut s’agir tant du recours à la force meurtrière par les forces de l’ordre, et tant d’un manquement des autorités à prendre des mesures de protection pour parer un danger éventuel provenant de tierces personnes (voir, par exemple, Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, §§ 115-122, Recueil 1998‑VIII). Néanmoins, il ne faut pas déduire de cette disposition une obligation positive d’empêcher toute violence potentielle. Cette obligation doit être interprétée de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif, en tenant compte des difficultés pour la police d’exercer ses fonctions dans les sociétés contemporaines et aussi de l’imprévisibilité du comportement humain et des choix opérationnels à faire en termes de priorités et de ressources (Osman, précité, § 116).

44. Dans ce contexte, il peut s’agir d’une exigence de protection rapprochée d’un ou de plusieurs individus identifiables à l’avance comme cibles potentielles d’une action meurtrière (Osman, précité, §§ 115-122, et Opuz c. Turquie, no 33401/02, §§ 134-136, CEDH 2009), ou de l’obligation d’assurer une protection générale de la société contre les agissements éventuels d’une ou de plusieurs personnes potentiellement violentes (Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, §§ 69-79, CEDH 2002‑VIII, Maiorano et autres c. Italie, no 28634/06, §§ 110-122, 15 décembre 2009, et Kayak c. Turquie, no 60444/08, § 59, 10 juillet 2012).

45. Enfin, s’agissant des lieux publics, la Cour rappelle que le devoir de l’État de protéger le droit à la vie implique aussi pour lui l’obligation d’adopter des mesures raisonnables garantissant la sécurité des individus dans ces lieux et, en cas de blessure grave ou de décès, l’obligation de disposer d’un système judiciaire efficace et indépendant offrant des voies de droit permettant d’établir les faits, de contraindre les responsables à rendre des comptes et de fournir aux victimes une réparation adéquate (Ciechońska c. Pologne, no 19776/04, § 67, 14 juin 2011, s’agissant d’un décès survenu à la suite de la chute d’un arbre).

b) Sur l’enquête

46. La Cour rappelle que l’obligation de protéger le droit à la vie implique et exige de mener une forme d’enquête officielle effective lorsque le recours à la force a entraîné mort d’homme (McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995, § 161, série A no 324, Kaya, précité, § 105, Ekinci c. Turquie, no 25625/94, § 77, 18 juillet 2000, et Sabuktekin c. Turquie, no 27243/95, § 97, CEDH 2002‑II (extraits)). Pareille enquête doit avoir lieu dans chaque cas où il y a eu mort d’homme à la suite du recours à la force, que les auteurs allégués soient des agents de l’État ou des tiers. Le simple fait que les autorités soient informées du décès donne ipso facto naissance à l’obligation, découlant de l’article 2 de la Convention, de mener une enquête effective sur les circonstances dans lesquelles ledit décès s’est produit (Ergi c. Turquie, 28 juillet 1998, § 82, Recueil 1998‑IV, Yaşa c. Turquie, 2 septembre 1998, § 100, Recueil 1998-VI, Hugh Jordan précité, §§ 107-109, et Slimani c. France, no 57671/00, § 29, CEDH 2004‑IX (extraits)).

47. Lorsqu’il est prétendu que des agents ou des organes de l’État se trouvent impliqués dans l’acte en cause, des exigences particulières peuvent s’appliquer quant à l’effectivité de l’enquête (Tahsin Acar c. Turquie [GC], no 26307/95, § 220, CEDH 2004‑III). Les investigations doivent notamment être approfondies, impartiales et rigoureuses (McCann et autres, précité, §§ 161-163, et Çakıcı c. Turquie [GC], no 23657/94, § 86, CEDH 1999‑IV).

48. La nature et le degré de l’examen répondant au critère minimum d’effectivité de l’enquête dépendent des circonstances de l’espèce. Ils s’apprécient sur la base de l’ensemble des faits pertinents et eu égard aux réalités pratiques du travail d’enquête. Il n’est pas possible de réduire la variété des situations pouvant se produire à une simple liste d’actes d’enquête ou à d’autres critères simplifiés (Tanrıkulu c. Turquie [GC], no 23763/94, §§ 101-110, CEDH 1999‑IV, Kaya précité, §§ 89-91, Güleç c. Turquie, 27 juillet 1998, §§ 79‑81, Recueil 1998‑IV, Velikova c. Bulgarie, no 41488/98, § 80, CEDH 2000‑VI, et Buldan c. Turquie, no 28298/95, § 83, 20 avril 2004).

49. L’enquête menée doit également être effective en ce sens qu’elle doit permettre de conduire à l’identification et à la sanction des responsables (Oğur c. Turquie [GC], no 21594/93, § 88, CEDH 1999‑III). Il s’agit là d’une obligation non pas de résultat, mais de moyens. Les autorités doivent avoir pris les mesures qui leur étaient raisonnablement accessibles pour que les preuves concernant l’incident soient recueillies (Tanrıkulu, précité, § 109, Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 106, CEDH 2000-VII, et Makaratzis, précité, § 74). Tout défaut de l’enquête propre à nuire à sa capacité de conduire à la découverte de la ou des personnes responsables peut faire conclure à son ineffectivité (Aktaş c. Turquie, no 24351/94, § 300, CEDH 2003-V, et Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09, 45886/07 et 32431/08, §§ 345 et 348, CEDH 2014 (extraits)).

50. L’effectivité exige ensuite que les autorités prennent les mesures raisonnables à leur disposition pour assurer l’obtention des preuves relatives aux faits en question, y compris, entre autres, les dépositions des témoins oculaires, des expertises et, le cas échéant, une autopsie propre à fournir un compte rendu complet et précis des blessures et une analyse objective des constatations cliniques, notamment de la cause du décès. Toute déficience de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir la cause du décès ou les responsabilités risque de faire conclure qu’elle ne répond pas à cette norme (McKerr c. Royaume-Uni, no 28883/95, § 113, CEDH 2001-III, Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, no 46477/99, § 71, CEDH 2002-II, et Slimani, précité § 32).

51. Une exigence de célérité et de diligence raisonnable est implicite dans ce contexte. Force est d’admettre qu’il peut y avoir des obstacles ou des difficultés empêchant l’enquête de progresser dans une situation particulière. Toutefois, une réponse rapide des autorités lorsqu’il s’agit d’enquêter sur le recours à la force meurtrière peut généralement être considérée comme essentielle pour préserver la confiance du public dans le respect du principe de légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux (McKerr, précité, § 114, et Tahsin Acar, précité, §§ 223-224).

c) Sur les interventions et opérations des forces de l’ordre

52. Dans le contexte des opérations de maintien de la paix et de l’ordre public, les États ont l’obligation de s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière et de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie. Cela implique le devoir primordial d’assurer le droit à la vie en mettant en place un cadre juridique et administratif propre à dissuader de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, supprimer et sanctionner les violations (L.C.B., précité, § 36, et Makaratzis, précité, § 57).

53. Le recours à la force meurtrière peut être justifié dans certaines circonstances, lorsqu’il est rendu « absolument nécessaire » et est proportionné aux buts poursuivis énoncés au deuxième paragraphe de l’article 2 de la Convention. Toutefois, les opérations de police, en plus d’être autorisées par le droit national, doivent être suffisamment délimitées par ce droit, dans le cadre d’un système de garanties adéquates et effectives contre l’arbitraire et l’abus de la force, et même contre les accidents évitables (Makaratzis, précité, § 58).

54. La Cour rappelle qu’il est important d’examiner la préparation et le contrôle d’une opération de police ayant provoqué la mort d’une personne afin d’évaluer si les autorités ont déployé la vigilance voulue pour s’assurer que toute mise en danger de la vie avait été réduite au minimum par une planification, l’émission d’ordres appropriés, ainsi que l’exercice d’un contrôle, et si lesdites autorités n’ont pas été négligentes dans le choix des mesures, moyens et méthodes (McCann et autres, précité, §§ 194-201, Andronicou et Constantinou c. Chypre, 9 octobre 1997, § 181, Recueil 1997‑VI, et Moussaïev et autres c. Russie, nos 57941/00, 58699/00 et 60403/00, §§ 153‑155, 26 juillet 2007 ; voir également l’approche de la Cour dans l’affaire Stanculescu et Chitac c. Roumanie (déc.), nos 22555/09 et 42204/09, §§ 28-33 et 71-74, 3 juillet 2012, affaire dans laquelle les requérants étaient des militaires de haut rang condamnés notamment pour homicide, pour avoir donné des ordres lors d’une violente répression d’émeutes).

55. Dans le contexte du recours aux armes létales, les représentants de la loi doivent être en particulier formés pour être à même d’apprécier s’il est absolument nécessaire ou non d’utiliser pareils moyens, non seulement en suivant la lettre des règlements pertinents en la matière, mais aussi en tenant dûment compte de la prééminence du respect de la vie humaine en tant que valeur fondamentale (Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 97, CEDH 2005‑VII, et Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, §§ 244-251 et 310, CEDH 2011 (extraits), ainsi que les références qui y figurent ; voir également les critiques formulées par la Cour relativement à la formation des militaires qui avaient pour instruction de « tirer pour tuer » dans l’affaire McCann et autres, précitée, §§ 211-214 ; voir également, mutatis mutandis, Maiorano et autres, précité, §§ 123-132, 15 décembre 2009, et Finogenov et autres c. Russie, nos 18299/03 et 27311/03, §§ 217-282, CEDH 2011 (extraits)).

2. Application en l’espèce

56. Eu égard aux circonstances particulières de la présente espèce, la Cour considère approprié d’examiner l’article 2 de la Convention d’abord sous son aspect procédural puis sous son aspect matériel.

a) Aspect procédural de l’article 2 de la Convention

57. La Cour constate que le grief relatif à un manque d’indépendance et d’impartialité des autorités judiciaires n’est aucunement assorti de précisions de nature à permettre d’en apprécier le bien-fondé. Aussi la Cour n’entreprendra-t-elle pas d’examen séparé à cet égard. Elle se penchera sur les différents aspects du grief principal, qui concerne l’impossibilité d’identifier les auteurs des brutalités exercées sur le père des requérants, lesquelles ont entraîné sa mort.

58. La Cour observe qu’aussitôt après l’incident une enquête a été diligentée d’office sous l’autorité du parquet. Celle-ci a été jointe plus tard à l’enquête initiée à la suite de la plainte des requérants. De nombreux actes d’investigation visant au recueil des preuves et à l’établissement du déroulement des évènements ont été adoptés. Finalement, l’enquête a été complétée par la cour d’assises, qui, lors de son examen portant sur l’opposition formée contre la décision de non-lieu, a recherché des enregistrements visuels supplémentaires, sans toutefois aboutir à l’identification des auteurs des actes en cause.

59. La Cour note que les observations des parties divergent en particulier sur ce dernier point. Alors que les requérants allèguent que les policiers étaient impliqués dans les brutalités subies par leur père, le Gouvernement fait observer que les auteurs de ces actes délictueux – que ceux-ci aient été des membres des forces de l’ordre ou des individus déchaînés parmi la foule – n’ont pas pu être identifiés malgré des recherches qu’il estime avoir été amples.

60. À cet égard, la Cour note que l’enquête pénale s’est concentrée naturellement sur l’identification des policiers accusés, compte tenu de la déposition catégorique de Mme Halime Yüksel, seul témoin oculaire des évènements, selon laquelle étaient en cause des policiers en uniforme. Ainsi, le procureur a demandé les noms des agents en fonction sur les lieux de l’incident à la direction de la sûreté de Diyarbakır, ce qui lui a été communiqué par celle‑ci. Ensuite, les policiers qui ne s’étaient pas présentés aux convocations initiales ont été arrêtés pour être interrogés. Tous ces agents ont affirmé n’avoir participé aux interventions que par l’utilisation des véhicules blindés qui lançaient des jets d’eau à haute pression. Au final, en comparant les dépositions des dix-huit policiers auditionnés avec le registre sur les lieux d’affectation et les différents procès-verbaux établis sur les évènements, le procureur a rendu un non-lieu en concluant qu’il n’y avait pas assez d’éléments pour mettre en accusation ces policiers (voir paragraphes 23 et suivants ci-dessus).

61. Toutefois, la Cour n’est pas entièrement convaincue que toutes les éventualités ont été considérées dans le cadre de cette enquête. Gardant à l’esprit les critères évoqués plus haut sur la préparation et l’exécution d’une opération de police (voir paragraphe 54 ci-dessus), la Cour accorde ainsi une importance particulière aux informations complémentaires fournies par la direction de la sûreté, selon lesquelles des commissaires présents sur les lieux avaient dû prendre des décisions quant au positionnement des équipes d’intervention, eu égard à l’ampleur des évènements (voir paragraphe 26 ci-dessus). Or, durant l’enquête, aucun de ces responsables n’a été auditionné par les autorités chargées des investigations, ne serait-ce que pour permettre de faire la lumière sur les faits grâce à leur témoignage. La Cour ne peut que conclure que l’enquête a été défaillante sous cet angle : en effet, elle n’a pas été menée aux fins d’examen des consignes et ordres reçus par les policiers ou de poursuite de leurs supérieurs hiérarchiques, lesquels étaient sur le terrain ou au poste de commandement central (voir aussi les paragraphes 53 à 55 ci-dessus sur la jurisprudence relative à la responsabilité des dirigeants quant aux opérations policières).

62. Le second élément important aux yeux de la Cour figure dans la déposition de l’un des policiers : d’après ce dernier, des gendarmes avaient aussi participé aux interventions eu égard à l’ampleur et à la gravité des évènements (voir paragraphe 25 ci-dessus). Or, l’enquête n’a pas non plus été menée dans le sens de cette éventuelle piste. Le fait que Mme Halime Yüksel était catégorique pour dire qu’étaient en cause des policiers en uniforme ne suffit pas à lui seul à écarter l’hypothèse, raisonnablement envisageable, selon laquelle d’autres membres des forces de l’ordre avaient pu prendre part aux actes allégués.

63. Il est tout aussi frappant que le procureur ne se soit pas penché sur l’éventualité que Mme Halime Yüksel, témoin oculaire, aurait pu reconnaître les personnes qui avaient attaqué son père et qu’il n’ait pas cherché à interroger l’intéressée sur ce point, ni à organiser une parade d’identification avec les policiers mis en cause.

64. Enfin, la Cour considère qu’un appel à témoins par des moyens de communication interne ou publique aurait aussi pu être une option raisonnable en vue de l’établissement des faits, dès lors que les recherches sur d’autres enregistrements visuels s’étaient avérées infructueuses.

65. Consciente qu’il ne faut pas interpréter les obligations positives de manière à imposer aux autorités un fardeau excessif (Sašo Gorgiev c. l’ex‑République yougoslave de Macédoine, no 49382/06, §§ 39-44, CEDH 2012 (extraits)), la Cour considère – sans toutefois spéculer sur leur issue favorable – que les actes décrits ci-dessus, qui auraient pu être accomplis durant l’enquête, sont de nature assez simple mais fondamentale (comparer avec Sabuktekin, précité, §§ 97-104, CEDH 2002‑II (extraits).

66. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que l’enquête a été défaillante dans la recherche des auteurs des actes de violence commis envers le père des requérants (Mocanu et autres, précité, §§ 345 et 348), que ceux-ci aient été des manifestants ou des membres des forces de l’ordre.

Partant, il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son aspect procédural.

b) Aspect matériel de l’article 2 de la Convention

67. Comme indiqué ci-dessus, l’enquête sur le décès du père des requérants n’a pas permis d’identifier les auteurs des actes en cause, que ceux-ci aient été des membres des forces de l’ordre ou des tierces personnes. De ce fait, l’enquête n’a pas pu être menée plus avant.

68. Par conséquent, les éléments dont dispose la Cour et qui sont résumés dans le titre précédent ne lui permettent pas d’établir au-delà de tout doute raisonnable que le père des requérants a fait l’objet d’un recours à la force excessive par des agents de l’État, en méconnaissance de l’article 2 de la Convention, tel que prétendu par les intéressés. En effet, la Cour ne peut ni dire que les actes en cause résultaient d’une intervention des membres des forces de l’ordre ni, dans l’affirmative, examiner la nécessité de celle-ci.

69. À cet égard, elle tient à souligner que cette impossibilité découle de l’absence d’une enquête approfondie et effective menée par les autorités nationales, défaillance pour laquelle elle a conclu plus haut à la violation de l’article 2 de la Convention sous son aspect procédural (Osmanoğlu c. Turquie, no 48804/99, §§ 53 et 64, 24 janvier 2008 ; voir aussi, concernant l’article 3 de la Convention, Lopata c. Russie, no 72250/01, § 125, 13 juillet 2010, San Argimiro Isasa c. Espagne, no 2507/07, § 65, 28 septembre 2010, Beristain Ukar c. Espagne, no 40351/05, § 43, 8 mars 2011, et Etxebarria Caballero c. Espagne, no 74016/12, §§ 58-59, 7 octobre 2014).

70. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention sous son aspect matériel.

II. SUR LE RESTANT DE LA REQUÊTE

71. Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants se plaignent de souffrances psychologiques subies en raison du décès de le père. Invoquant les articles 14 et 17 de la Convention, ils allèguent aussi que leur père a été victime d’un meurtre en raison de ses origines kurdes et que l’État a abusé des droits conférés par la Convention.

72. Le Gouvernement conteste ces thèses.

73. S’agissant du grief tiré de l’article 3 de la Convention, eu égard aux critères définis par sa jurisprudence, la Cour est d’avis que la présente affaire ne comporte pas suffisamment de facteurs particuliers qui auraient pu conférer à la souffrance des requérants une dimension et un caractère distincts du désarroi affectif que l’on peut considérer comme inévitable pour les proches d’une personne victime de violations graves des droits de l’homme (voir, en ce sens, Makbule Kaymaz et autres c. Turquie, no 651/10, § 149, 25 février 2014, et les références qui y figurent).

74. Quant aux griefs tirés des articles 14 et 17 de la Convention, la Cour note qu’ils ne sont pas assortis de précisions qui permettraient de les examiner sur le fond (Makbule Kaymaz, précité, § 150).

75. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

76. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommages

77. Au titre des préjudices matériel et moral qu’ils disent avoir subis, les requérants réclament respectivement 25 000 euros (EUR) et 80 000 EUR.

78. Le Gouvernement indique que la base de la demande pour préjudice matériel n’est pas développée par les requérants et que la demande pour préjudice moral est excessive.

79. La Cour observe que la demande de compensation au titre du préjudice matériel n’est pas étayée. Par conséquent, elle rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer conjointement aux requérants 24 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

80. Les requérants demandent également 7 030 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Ils présentent un décompte des heures de travail accomplies par leurs avocates, une attestation du barreau de Diyarbakır indiquant les montants minimums d’honoraires, une lettre rédigée par un traducteur indiquant qu’il a été payé 385 EUR par les représentantes des requérants, ainsi que deux copies de récépissés de la poste d’un montant total de 16,75 livres turques (TRY).

81. Le Gouvernement conteste cette demande.

82. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant elle et l’accorde aux requérants.

C. Intérêts moratoires

83. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 2 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son aspect procédural ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention sous son aspect matériel ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 24 000 EUR (vingt-quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 octobre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithPaul Lemmens
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-158030
Date de la décision : 20/10/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 2 - Droit à la vie (Article 2-1 - Enquête efficace) (Volet procédural);Non-violation de l'article 2 - Droit à la vie (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : BEHÇET SÖĞÜT ET AUTRES
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BATARAY SAMAN R.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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