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06/10/2015 | CEDH | N°001-157522

CEDH | CEDH, AFFAIRE MARIUS DRAGOMIR c. ROUMANIE, 2015, 001-157522


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MARIUS DRAGOMIR c. ROUMANIE

(Requête no 21528/09)

ARRÊT

STRASBOURG

6 octobre 2015

DÉFINITIF

06/01/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Marius Dragomir c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,

Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda,
Carlo Ranzoni, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du co...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MARIUS DRAGOMIR c. ROUMANIE

(Requête no 21528/09)

ARRÊT

STRASBOURG

6 octobre 2015

DÉFINITIF

06/01/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Marius Dragomir c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda,
Carlo Ranzoni, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 septembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 21528/09) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Marius Dragomir (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 avril 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant, qui a été autorisé à se représenter lui-même dans la présente procédure, se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable, en raison de sa condamnation pénale par les juridictions d’appel et de recours prononcée en l’absence d’une administration directe des preuves sur la base desquelles le tribunal de première instance avait prononcé son acquittement.

4. Le 23 octobre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1979 et réside actuellement à Londres.

6. Par un réquisitoire du 30 juin 2006, le requérant et deux autres hommes furent renvoyés en jugement du chef de viol aggravé. Ils étaient accusés d’avoir violé N.B. dans la nuit du 4 au 5 juin 2006 entre 3 heures et 7 heures du matin dans l’appartement de l’un d’entre eux. Le réquisitoire était fondé sur un premier rapport médicolégal établi le 6 juin 2006, attestant que N.B. avait subi une défloration et présentait des ecchymoses aux bras, ainsi que sur un deuxième rapport d’expertise médicolégale, rédigé le 21 juin 2006, attestant que N.B. présentait des ecchymoses anales internes pouvant résulter d’un rapport sexuel dans les dernières deux-trois semaines. Il était en outre fondé sur la déclaration d’une voisine de l’appartement où le viol aurait eu lieu, qui disait avoir entendu un cri de femme et des pleurs, et sur celle de son mari, qui avait indiqué que son épouse l’avait réveillé durant la nuit à cause des bruits provenant de l’appartement voisin. Dans leurs déclarations, le requérant et les deux autres hommes ne nièrent pas avoir eu des rapports sexuels avec N.B., mais soutinrent que ceux-ci avaient été consentis et que N.B. avait reçu de l’argent à cet effet.

7. Le requérant fut représenté tout au long de la procédure par un avocat choisi par lui.

8. Par un jugement du 29 octobre 2007, le tribunal de première instance d’Adjud relaxa le requérant et les deux autres hommes. Pour ce faire, le tribunal nota que l’existence des rapports sexuels n’était pas contestée par les parties. S’agissant en revanche de la question de savoir si N.B. avait été contrainte physiquement ou psychiquement à avoir des rapports sexuels avec les trois hommes, il estima qu’aucun élément ne pouvait l’amener à y donner une réponse positive. Il constata à cet égard qu’une nouvelle expertise médicolégale réalisée le 19 janvier 2007 par l’institut médicolégal d’Iaşi avait conclu que N.B. ne présentait pas de lésions génitales à part la défloration et que les lésions anales observées avaient une origine pathologique. En outre, le tribunal considéra que la voisine de l’appartement où le viol aurait eu lieu avait modifié sa déclaration devant lui étant donné qu’elle avait précisé ne pas avoir indiqué au cours des poursuites l’heure à laquelle elle était rentrée chez elle et s’était couchée. Il releva que sa déclaration avait été remplie par un policier et que, de toute manière, l’intéressée n’avait entendu aucun cri et s’était couchée bien avant 2 heures du matin car elle était fatiguée. Le tribunal nota en outre que les autres témoins – les parents de N.B. et les personnes avec lesquelles celle-ci habitait – n’avaient pas fourni d’éléments permettant de conclure que N.B. avait été contrainte à avoir des rapports sexuels. Le tribunal observa enfin qu’un autre témoin avait déclaré avoir vu des photos prises la nuit des évènements montrant N.B. souriant alors qu’elle était en train d’avoir des rapports sexuels avec les trois hommes. Il précisa que ces photos n’avaient pu être récupérées ni de l’appareil photo avec lequel elles auraient été prises, ni de l’ordinateur dans lequel elles auraient été sauvegardées et duquel elles auraient été ultérieurement effacées par le témoin en question.

Le tribunal conclut que les ecchymoses relevées sur les bras de N.B. pouvaient être expliquées par la nature des rapports sexuels en groupe.

9. Par un arrêt du 11 avril 2008, le tribunal départemental de Vrancea annula le jugement du tribunal de première instance et, après les avoir entendus, condamna les trois hommes pour viol aggravé. Le requérant se vit infliger une peine de cinq ans et demi d’emprisonnement. Pour ce faire, le tribunal départemental se fonda sur « les déclarations des témoins corroborées par celles de la victime et par les documents médicaux ». Il estima principalement que les ecchymoses relevées sur les bras de N.B. étaient la preuve d’un rapport sexuel non consenti et de l’existence d’une contrainte physique. À cet effet, il choisit, sans donner plus de précisions à cet égard, de prendre en considération les déclarations faites pendant les poursuites pénales par la voisine de l’appartement où s’étaient déroulés les évènements et par le mari de celle-ci, en écartant la déclaration faite par l’intéressée devant le tribunal de première instance. Le tribunal constata en outre que N.B. avait été également contrainte psychiquement à avoir des rapports sexuels. À cet égard, le tribunal estima que les déclarations des témoins proposés par les inculpés aux fins de démontrer le caractère immoral de N.B. avant et après les évènements n’étaient pas sincères et étaient contredites par les documents médicaux. Enfin, le tribunal écarta la thèse des rapports sexuels monnayés après avoir relevé des contradictions dans les déclarations des inculpés et celles des témoins quant au moment où des sommes d’argent auraient été remises à N.B.

10. Aucune preuve ne fut administrée au stade de l’appel.

11. Le requérant forma un recours contre l’arrêt rendu par le tribunal départemental de Vrancea. Il reprochait entre autres à ce dernier de l’avoir condamné en l’absence d’une administration directe des preuves, alors qu’il avait été acquitté par le tribunal de première instance sur le fondement des mêmes éléments.

12. Par un arrêt du 14 octobre 2008, la cour d’appel de Piteşti rejeta le recours du requérant, sans pour autant examiner son moyen relatif à un défaut d’administration directe des preuves. Par ailleurs, en dehors de l’audition des inculpés, aucune preuve ne fut administrée directement à ce stade de la procédure.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

13. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale, en vigueur à l’époque des faits et relatives aux pouvoirs des juridictions d’appel et de recours, sont décrites dans les affaires Găitănaru c. Roumanie (no 26082/05, §§ 17-18, 26 juin 2012) et Hanu c. Roumanie (no 10890/04, § 18, 4 juin 2013).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

14. Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable en l’espèce, alléguant qu’il a été condamné par le tribunal départemental de Vrancea et par la cour d’appel de Piteşti en l’absence d’une administration directe des preuves alors qu’il avait été acquitté par le tribunal se prononçant en première instance sur le fondement des mêmes éléments. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

15. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

16. Le Gouvernement estime que la condamnation du requérant était conforme aux exigences de l’équité de la procédure. Il indique que le requérant a été représenté tout au long de la procédure et qu’il a pu poser des questions aux témoins à charge et présenter des témoins à décharge dans les mêmes conditions que l’accusation, et il considère par conséquent que le principe de l’égalité des armes a été respecté en l’espèce. De plus, il affirme que, à la différence des affaires Constantinescu c. Roumanie (no 28871/95, CEDH 2000‑VIII) et Ilişescu et Chiforec c. Roumanie (no 77364/01, 1er décembre 2005), la présente espèce se caractérise par le fait que le requérant et ses deux coïnculpés ont été entendus par les trois juridictions nationales. Il indique en outre que les documents versés au dossier ont été pris en compte et ont fait l’objet de différentes interprétations et que, de surcroît, l’avocat du requérant a pu présenter des conclusions orales ou écrites devant les tribunaux nationaux. Enfin, le Gouvernement mentionne que la présente espèce n’appelait pas une nouvelle administration d’office de toutes les preuves. Il considère que la présente affaire se rapproche plutôt de l’affaire Rusu c. Roumanie ((déc.) no 6246/04, 31 août 2010).

17. Le requérant n’a pas déposé d’observations écrites sur le fond de l’affaire, se contentant de présenter ses demandes de satisfaction équitable (paragraphe 30 ci-dessous).

2. Appréciation de la Cour

18. La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit : il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national. Lorsqu’une audience publique a eu lieu en première instance, l’absence de débats publics en appel peut se justifier par les particularités de la procédure en question, eu égard à la nature du système d’appel interne, à l’étendue des pouvoirs de la juridiction d’appel, à la manière dont les intérêts du requérant ont réellement été exposés et protégés devant celle-ci, et notamment à la nature des questions que ladite juridiction avait à trancher (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I).

19. En outre, la Cour a déclaré que, lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité de la procédure, décider de ces questions sans appréciation directe des témoignages présentés en personne soit par l’accusé qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte tenu pour une infraction pénale (voir, parmi d’autres exemples, Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134, Constantinescu, précité § 55, Dondarini c. Saint-Marin, no 50545/99, § 27, 6 juillet 2004, et Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 27, 10 mars 2009), soit par les témoins ayant déposé pendant la procédure (Găitănaru, précité, § 35, et Hogea c. Roumanie, no 31912/04, § 54, 29 octobre 2013).

20. La Cour rappelle également que la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne, que c’est en principe aux juridictions nationales qu’il revient d’apprécier les éléments recueillis par elles et que la mission qui lui est confiée par la Convention consiste à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I). Ainsi, s’« il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou opportunité de citer un témoin (...), des circonstances exceptionnelles pourraient conduire la Cour à conclure à l’incompatibilité avec l’article 6 de la non-audition d’une personne comme témoin » (Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, § 89, série A no 158).

21. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe tout d’abord qu’il n’est pas contesté que le requérant a été condamné par le tribunal départemental de Vrancea sans que les témoins dont les dépositions avaient été prises en considération fussent de nouveau entendus (paragraphe 10 ci‑dessus). Cet arrêt de condamnation a été confirmé par la cour d’appel de Piteşti, qui non seulement n’a pas réentendu les témoins en cause, mais a en outre omis de répondre au moyen soulevé par le requérant à cet égard. Dès lors, afin de déterminer s’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention, il convient d’examiner le rôle des deux juridictions susmentionnées et la nature des questions dont celles-ci avaient à connaître.

22. La Cour observe que le tribunal départemental de Vrancea, en tant que juridiction d’appel, n’était pas tenu de rendre un nouvel arrêt sur le fond, mais qu’il en avait la possibilité. Sur ce point, elle note que, le 11 avril 2008, le tribunal départemental a accueilli l’appel du parquet, a cassé le jugement du tribunal de première instance d’Adjud du 29 octobre 2007 et a rendu un nouvel arrêt sur le fond. Selon les dispositions légales applicables en la matière, il en résulte que la procédure devant la juridiction d’appel était une procédure complète qui suivait les mêmes règles qu’une procédure au fond, le tribunal départemental étant amené à connaître tant des faits de la cause que du droit. La juridiction d’appel pouvait donc soit confirmer l’acquittement du requérant, soit déclarer ce dernier coupable, après s’être livrée à une appréciation complète de la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’intéressé, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve. En outre, les aspects que le tribunal départemental a dû analyser afin de se prononcer sur la culpabilité du requérant avaient un caractère essentiellement factuel. Il s’agissait d’apprécier si N.B. avait été contrainte physiquement ou psychiquement à avoir des rapports sexuels avec les trois accusés (voir aussi, mutatis mutandis, Mischie c. Roumanie, no 50224/07, § 37, 16 septembre 2014).

23. En l’espèce, la Cour note que la relaxe initiale du requérant par le tribunal de première instance d’Adjud avait eu lieu après l’audition de plusieurs témoins. Ce tribunal avait considéré que les témoignages ainsi que les autres éléments de preuve figurant au dossier étaient insuffisants pour déterminer la culpabilité du requérant. Pour y substituer une condamnation, les juges d’appel ne disposaient d’aucune donnée nouvelle et ils se sont exclusivement fondés sur les pièces du dossier, y compris les témoignages faits devant le parquet et en première instance. C’est donc sur la seule base des dépositions écrites recueillies par le parquet et des notes d’audience du tribunal de première instance relatant les déclarations des témoins que la juridiction d’appel a analysé les témoignages et conclu au caractère sincère et suffisant de certains d’entre eux pour fonder un verdict de culpabilité.

24. En conséquence, la juridiction d’appel a fondé la condamnation du requérant sur une nouvelle interprétation de témoignages dont elle n’a pas entendu les auteurs. Elle a ainsi pris une position radicalement opposée à celle du tribunal inférieur, qui avait relaxé le requérant sur la base, notamment, des dépositions de ces témoins faites lors des audiences tenues devant lui. Sans doute appartenait-il à la juridiction d’appel d’apprécier les diverses données recueillies, de même que la pertinence de celles dont le requérant souhaitait la production ; il n’en demeure pas moins que l’intéressé a été reconnu coupable sur la base des témoignages mêmes qui avaient suffisamment fait douter les premiers juges du bien-fondé de l’accusation dirigée contre lui et qui avaient motivé son acquittement en première instance. Dans ces conditions, l’omission du tribunal départemental d’entendre les témoins en question avant de déclarer la culpabilité du requérant a sensiblement réduit les droits de la défense (Destrehem c. France, no 56651/00, § 45, 18 mai 2004, et Găitănaru, précité, § 32).

25. La Cour note ensuite que le requérant a critiqué l’approche de la juridiction d’appel dans son pourvoi en recours formé contre l’arrêt du 11 avril 2008 (paragraphe 11 ci-dessus). À cet égard, la Cour rappelle qu’elle a déjà constaté, dans des affaires similaires, que le rôle de la juridiction de recours n’était pas limité aux seules questions de droit. En effet, la procédure devant la juridiction de recours était une procédure complète qui obéissait aux mêmes règles qu’une procédure au fond et la cour d’appel de Piteşti pouvait décider soit de confirmer l’acquittement du requérant prononcé en premier ressort, soit d’entériner le verdict de culpabilité prononcé par la juridiction d’appel, après s’être livrée à une appréciation complète de la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’intéressé, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve (Dănilă c. Roumanie, no 53897/00, § 38, 8 mars 2007, Găitănaru, précité, § 30, et Văduva c. Roumanie, no 27781/06, § 43, 25 février 2014).

26. En l’espèce, la Cour relève que la cour d’appel a opté pour la deuxième des possibilités susmentionnées, sans toutefois examiner de nouveaux éléments de preuve (paragraphe 12 ci-dessus). La cour d’appel a ainsi validé la version des faits retenue par le tribunal départemental, sans pour autant entendre, elle non plus, les témoins dont les dépositions avaient été prises en compte. Dans ces conditions, on ne saurait conclure que la juridiction de recours a remédié aux défauts de la procédure.

27. Ces éléments permettent à la Cour de conclure que la condamnation du requérant pour viol, prononcée en l’absence d’une audition intégrale des témoins, alors que l’intéressé avait été acquitté par la juridiction de premier ressort qui avait entendu lesdits témoins, est contraire aux exigences d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

28. Il y a donc eu violation de cette disposition.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

29. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

30. Le requérant réclame une réparation au titre du préjudice moral pour les souffrances qu’il dit avoir subies au cours de la procédure pénale engagée à son encontre et de sa détention subséquente, sans pour autant chiffrer sa demande.

31. Le Gouvernement indique que la présente requête porte uniquement sur la procédure pénale engagée à l’encontre du requérant et que, dès lors, il n’y a pas de lien de causalité entre la demande de réparation pour les souffrances que l’intéressé aurait subies en prison et la violation alléguée de la Convention. S’agissant du montant de la réparation, il mentionne les sommes que la Cour a accordées dans des affaires similaires.

32. La Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral du fait de la violation constatée de l’article 6 § 1 de la Convention et qu’il y a lieu de lui octroyer 3 000 EUR à ce titre.

33. En outre, la Cour rappelle que, lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de remédier à la violation constatée (Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003, et Tahir Duran c. Turquie, no 40997/98, § 23, 29 janvier 2004). À cet égard, elle note que l’article 465 du nouveau code de procédure pénale, entré en vigueur le 1er février 2014, permet la révision d’un procès sur le plan interne lorsque, comme en l’espèce, elle a conclu à la violation des droits et libertés fondamentaux d’un requérant. Dans ce contexte, la Cour rappelle que les États ont l’obligation positive, inhérente à l’article 3 de la Convention, d’adopter des dispositions en matière pénale qui sanctionnent effectivement le viol et de les appliquer en pratique au travers d’une enquête et de poursuites effectives (M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, § 153, CEDH 2003‑XII). De même, les États doivent tenir compte de ce que le viol est une atteinte à la fois au droit à l’intégrité (physique et psychique) de la personne garanti par l’article 3 et à son droit à l’autonomie comme élément du droit à la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention (X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 22, série A no 91).

B. Frais et dépens

34. Le requérant demande également le remboursement des frais et dépens engagés devant les juridictions internes, sans pour autant chiffrer sa demande ou envoyer des justificatifs.

35. Le Gouvernement estime que la demande du requérant doit être rejetée comme étant non étayée.

36. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Morice c. France [GC], no 29369/10, § 186, 23 avril 2015). En l’espèce, compte tenu de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale.

C. Intérêts moratoires

37. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 octobre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsLuis López Guerra
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-157522
Date de la décision : 06/10/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : MARIUS DRAGOMIR
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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