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23/06/2015 | CEDH | N°001-155355

CEDH | CEDH, AFFAIRE BUTNARU ET BEJAN-PISER c. ROUMANIE, 2015, 001-155355


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BUTNARU ET BEJAN-PISER c. ROUMANIE

(Requête no 8516/07)

ARRÊT

STRASBOURG

23 juin 2015

DÉFINITIF

23/09/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Butnaru et Bejan-Piser c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Luis López Guerra,
Ján Šikuta,
Kristina Pardal

os,
Johannes Silvis,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en cha...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BUTNARU ET BEJAN-PISER c. ROUMANIE

(Requête no 8516/07)

ARRÊT

STRASBOURG

23 juin 2015

DÉFINITIF

23/09/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Butnaru et Bejan-Piser c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Luis López Guerra,
Ján Šikuta,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 juin 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 8516/07) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet État, Mme Cristina Butnaru (« la requérante ») et M. David Bejan-Piser (« le requérant »), ont saisi la Cour le 30 novembre 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérants se plaignent en particulier d’avoir été poursuivis deux fois pour les mêmes faits.

4. Le 18 octobre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont nés respectivement en 1969 et en 1976 et résident à Fărăoani.

6. Le 2 juin 2004, les requérants se rendirent à une maison située dans le village de Fărăoani qui avait appartenu au père de la requérante et qui était habitée à l’époque par D.M.M. Plusieurs litiges civils relatifs à la propriété de la maison avaient opposé par le passé la requérante à D.M.M. Le jour en cause, une altercation eut lieu.

7. Alertés par les voisins, deux policiers se rendirent sur place. Après l’incident, la requérante fut transportée inconsciente à l’hôpital. Elle fut hospitalisée avec le diagnostic de traumatisme cérébral consécutif à une agression. Selon un certificat médicolégal délivré le 7 juin 2004, elle présentait de multiples ecchymoses et excoriations au niveau de la tête, des bras et des jambes, qui nécessitaient entre treize et quinze jours de soins médicaux.

8. La requérante, qui alléguait avoir été frappée par les policiers, déposa une plainte pénale contre ces derniers. Le parquet près le tribunal départemental de Bacău (« le parquet ») rendit un non-lieu en faveur des deux policiers, par une ordonnance du 16 mai 2005. Le parquet retint que la requérante s’était causé elle-même les lésions, en raison de son état d’ivresse. Cette ordonnance fut ultérieurement confirmée par un jugement du 29 septembre 2005 du tribunal départemental de Bacău (« le tribunal départemental ») et un arrêt du 15 décembre 2005 de la cour d’appel de Bacău (« la cour d’appel »).

A. La procédure pénale contre les requérants pour coups et blessures et menaces

9. À une date non précisée, D.M.M. saisit le tribunal de première instance de Bacău (« le tribunal de première instance ») d’une plainte pénale préalable pour coups et blessures contre les requérants. Elle exposa que, le 2 juin 2004, les requérants étaient entrés par effraction dans sa maison et que la requérante l’avait frappée. D.M.M. indiqua aussi que, le 27 mai 2004, la requérante avait proféré des menaces de mort à son encontre.

10. Par un jugement du 7 novembre 2005, le tribunal de première instance jugea que les preuves figurant au dossier étaient contradictoires et insuffisantes et, se fondant sur la présomption d’innocence, acquitta les requérants.

11. Par un arrêt définitif du 24 janvier 2006, le tribunal départemental déclara tardif le pourvoi en recours de D.M.M.

B. La procédure pénale contre les requérants pour vol avec violences

1. La condamnation des requérants

12. Par un réquisitoire du 31 mai 2005, le parquet renvoya les requérants en jugement du chef de vol avec violences commis contre D.M.M.

13. Par un jugement du 7 mars 2006, le tribunal départemental condamna la requérante à une peine de sept ans d’emprisonnement pour vol avec violences et le requérant à une peine de trois ans d’emprisonnement pour complicité. Le tribunal départemental condamna également les requérants à payer solidairement la somme de 1 912 lei (environ 550 euros– EUR) au titre du dommage matériel. Se fondant, entre autres, sur les déclarations de D.M.M. et de plusieurs témoins oculaires, sur le procès-verbal d’enquête sur les lieux (proces verbal de cercetare la faţa locului) et les photos prises sur place, ainsi que sur le rapport technique d’analyse des empreintes digitales relevées, le tribunal départemental jugea que, le 2 juin 2004, la requérante était entrée par effraction dans la maison de D.M.M., qu’elle l’avait frappée et menacée et qu’elle avait ensuite volé plusieurs biens. S’agissant du requérant, le tribunal départemental jugea qu’il avait apporté son aide à la requérante dans la soustraction des biens.

14. Les requérants interjetèrent appel et invoquèrent, entre autres, l’autorité de la chose jugée de la décision d’acquittement prononcée à l’issue de la procédure pour coups et blessures et menaces. Par un arrêt du 18 avril 2006, la cour d’appel fit partiellement droit à leur appel et réduisit la peine de la requérante à quatre ans et celle du requérant à un an et six mois. L’arrêt était ainsi rédigé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« L’argument des requérants [fondé sur l’]autorité de la chose jugée doit être écarté. Il ne résulte pas des actes et éléments [versés] au dossier que les requérants ont été acquittés [ou] condamnés ou [ont] fait l’objet d’un arrêt des poursuites par une autre décision de justice relative aux mêmes faits (aceleaşi fapte) que ceux pour lesquels ils ont été renvoyés en jugement dans la présente affaire. »

15. Cet arrêt fut confirmé par un arrêt du 28 juin 2006 de la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour »).

2. La contestation en annulation contre l’arrêt de la Haute Cour du 28 juin 2006

16. Le 5 juillet 2006, les requérants saisirent la Haute Cour d’une contestation en annulation contre son arrêt du 28 juin 2006, invoquant l’autorité de la chose jugée au motif qu’ils avaient déjà été acquittés, par le jugement du 7 novembre 2005 du tribunal de première instance, pour des faits de violences relatifs à l’incident du 2 juin 2004.

17. Par un arrêt du 26 octobre 2006, la Haute Cour rejeta la contestation comme mal fondée. Les parties pertinentes en l’espèce de l’arrêt étaient ainsi rédigées :

« Il résulte de l’examen de l’affaire, de l’expertise effectuée en l’espèce, des déclarations des témoins de la victime, ainsi que des déclarations des intéressés que leurs arguments relatifs à leur condamnation erronée, puisqu’ils se considèrent innocents et invoquent l’autorité de la chose jugée d’une décision par laquelle ils ont été acquittés pour les faits du 2 juin 2004 (...), ne rentrent pas dans les cas expressément et limitativement prévus par l’article 386 a)-e) du code de procédure pénale [étant donné] que les arguments des intéressés consistent en des critiques qui ont été [soulevées] et [examinées] lors de voies de recours ordinaires exercées en l’espèce (...) »

3. La demande de révision du jugement du tribunal départemental du 7 mars 2006

18. Se fondant toujours sur le jugement définitif du 7 novembre 2005 du tribunal de première instance, les requérants saisirent le tribunal départemental d’une demande de révision de son jugement en date du 7 mars 2006. Ils indiquèrent que leur acquittement avait été prononcé par rapport à l’incident du 2 juin 2004 et qu’ils avaient été ainsi jugés deux fois pour les mêmes faits.

19. Par un jugement du 8 novembre 2007, le tribunal départemental rejeta leur demande, comme mal fondée : il jugea qu’il n’y avait pas identité de faits puisque les intéressés avaient été acquittés pour les faits du 2 juin 2004 et condamnés pour des faits survenus le 27 mai 2004.

20. Par une décision du 4 mars 2008, la cour d’appel fit droit à l’appel de la requérante et observa qu’elle avait été jugée deux fois pour les mêmes faits de violences du 2 juin 2004. La cour d’appel requalifia la demande de la requérante et, estimant qu’il y avait en l’affaire un motif de contestation en annulation, elle renvoya la cause à la Haute Cour pour un examen au fond.

21. Par une décision du 9 mai 2008, la Haute Cour déclara irrecevable la contestation en annulation, au motif qu’elle s’était déjà prononcée sur la question de l’autorité de la chose jugée dans son arrêt du 26 octobre 2006.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

22. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénal (« le CP ») en vigueur au moment des faits étaient ainsi libellées :

Article 41 – Unité de l’infraction continue et [l’infraction] complexe

« 1. Il n’y a pas pluralité d’infractions dans le cas de l’infraction continue et de l’infraction complexe. (...)

3. Une infraction est complexe quand elle comprend, comme élément ou circonstance aggravante, une action ou une inaction qui représentent en elles-mêmes un comportement puni par la loi pénale. »

Article 180 – Coups et blessures

« 1. Les coups ou autres actes de violence causant des souffrances physiques sont passibles d’une peine d’emprisonnement comprise entre un et trois mois ou d’une amende (...).

2. Les coups ou actes de violence ayant causé des lésions nécessitant des soins médicaux pendant vingt jours au maximum sont passibles d’une peine d’emprisonnement comprise entre trois mois et deux ans ou d’une amende (...)

3. L’action pénale est déclenchée par la plainte préalable de la partie lésée (...) »

Article 208 – Vol

« 1. Le fait de [soustraire] un bien meuble à la possession ou à la détention d’autrui, sans son consentement et dans le but de se l’approprier injustement, est puni d’une peine d’emprisonnement comprise entre un et douze ans (...) »

Article 211 – Vol avec violences

« 1. Le vol commis avec violences ou menaces ou en rendant la victime inconsciente ou incapable de se défendre ainsi que le vol suivi par l’usage de tels moyens afin de préserver le bien volé ou d’effacer les traces de l’infraction ou pour [permettre au] malfaiteur [de] fuir est passible d’une peine d’emprisonnement comprise entre trois et dix-huit ans (...)

3. La peine d’emprisonnement est comprise entre sept et vingt ans si le vol avec violences a été accompli :

a) par deux ou plusieurs personnes agissant ensemble (...)

c) dans un immeuble à destination d’habitation ou dans ses dépendances (...) »

23. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale en vigueur au moment des faits étaient ainsi libellées :

Article 10 – Les cas dans lesquels le déclenchement ou l’exercice de l’action pénale sont empêchés

« L’action pénale ne peut pas être déclenchée ou bien, quand elle a été déclenchée, elle ne peut être plus exercée si :

[...] j) il y a autorité de la chose jugée. L’empêchement produit ses effets même si [les agissements ayant fait l’objet d’un jugement définitif pourraient] recevoir une qualification juridique différente. »

Article 386 – Les motifs de contestation en annulation

« La contestation en annulation peut être introduite contre les décisions pénales définitives dans les cas suivants :

[...] d) lorsque deux décisions définitives concernant les mêmes faits ont été prononcées contre une personne »

EN DROIT

I. QUESTION PRÉLIMINAIRE

24. Le requérant n’a pas présenté d’observations sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire. La Cour lui a envoyé trois lettres, dont une en roumain, à l’adresse qu’il avait indiquée dans son formulaire de requête et l’a invité à préciser s’il entendait maintenir sa requête. Le requérant n’a pas répondu à cette invitation. Dans ces circonstances, la Cour est d’avis que l’intéressé n’entend plus maintenir sa requête et, n’apercevant rien qui puisse exiger la poursuite de l’examen de celle-ci, elle décide de la rayer du rôle, en application de l’article 37 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 4 DU PROTOCOLE No 7 À LA CONVENTION

25. La requérante soutient qu’elle a été jugée deux fois pour ses agissements du 2 juin 2004. Elle invoque en substance l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, ainsi libellé :

« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.

2. Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.

3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. »

A. Sur la recevabilité

26. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

27. La requérante maintient qu’elle a été jugée deux fois pour les mêmes faits.

28. Se référant à l’affaire Sergueï Zolotoukhine c. Russie ([GC], no 14939/03, CEDH 2009), le Gouvernement estime que la présente affaire s’en distingue puisque, à ses yeux, les circonstances factuelles ne sont pas similaires. Ainsi, pour le Gouvernement, la requérante a été jugée pour deux infractions différentes qui avaient un seul élément commun, à savoir l’usage de la violence physique. En outre, les deux infractions seraient différentes en termes de valeur sociale protégée, de gravité et de conséquences ainsi que d’intention. Se référant à l’affaire Garretta c. France ((déc.), no 2529/04, 4 mars 2008), le Gouvernement indique que la réglementation de l’infraction de coups et blessures vise à la protection de l’intégrité physique de la personne, alors que la réglementation de l’infraction de vol avec violences tend à la protection du patrimoine.

29. La Cour examinera ensuite la question de savoir si l’intéressée a fait l’objet d’une double poursuite à la lumière du principe non bis in idem, tel qu’il a été développé par elle dans l’affaire Sergueï Zolotoukhine précitée.

1. Sur la nature juridique des deux procédures

30. La Cour note qu’il n’est pas contesté en l’espèce que la requérante a fait l’objet de deux procédures de nature pénale selon le droit interne.

2. Sur le point de savoir si la requérante a été poursuivie deux fois pour la même infraction (« idem »)

31. La Cour rappelle que l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 82).

32. La garantie consacrée à l’article 4 susmentionné entre en jeu lorsque de nouvelles poursuites sont engagées et que la décision antérieure d’acquittement ou de condamnation est déjà passée en force de chose jugée. À ce stade, les éléments du dossier comprendront forcément la décision par laquelle la première procédure « pénale » au sens de la Convention s’est terminée et la liste des accusations portées contre la personne visée par la nouvelle procédure. Normalement, ces pièces renfermeront un exposé des faits concernant l’infraction pour laquelle ladite personne a déjà été jugée et un autre se rapportant à la seconde infraction dont elle est accusée. Ces exposés constituent un utile point de départ pour l’examen par la Cour de la question de savoir si les faits des deux procédures sont identiques ou sont en substance les mêmes (Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, § 220, 4 mars 2014).

33. La Cour souligne que peu importe quelles parties des nouvelles accusations sont finalement retenues ou écartées dans la procédure ultérieure puisque l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention énonce une garantie contre de nouvelles poursuites ou le risque de nouvelles poursuites, et non l’interdiction d’une seconde condamnation ou d’un second acquittement (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 83).

34. La Cour doit donc faire porter son examen sur les faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même contrevenant et indissociablement liées entre elles dans le temps et l’espace, l’existence de ces circonstances devant être démontrée pour qu’une condamnation puisse être prononcée ou que des poursuites pénales puissent être engagées (ibidem, § 84).

35. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que la requérante a été acquittée, dans un premier temps, du chef de coups et blessures par rapport à l’incident du 2 juin 2004 et qu’elle a été ensuite condamnée du chef de vol avec violences par rapport au même incident.

36. À cet égard, elle souligne que, par rapport aux principes énoncés dans l’affaire Sergueï Zolotoukhine précitée, la question à trancher n’est pas celle de savoir si les éléments constitutifs des infractions prévues par les articles 180 et 211 du CP en vigueur à l’époque étaient ou non identiques, mais celle de déterminer si les faits reprochés à la requérante lors des deux procédures pénales se référaient au même comportement (Grande Stevens et autres, précité, § 224). Pour cela, la Cour doit rechercher si était en cause la même conduite de la part des mêmes personnes à la même date (Maresti c. Croatie, no 55759/07, § 63, 25 juin 2009, et Muslija c. Bosnie‑Herzégovine, no 32042/11, § 34, 14 janvier 2014).

37. En l’espèce, la Cour note que la requérante a été accusée à deux reprises des mêmes faits de violences qu’elle aurait infligées à la même personne, D.M.M., et à la même date, le 2 juin 2004 ; elle note également que D.M.M. a eu la possibilité de présenter son cas en tant que victime (paragraphe 9 ci-dessus). Même si d’autres faits – à savoir une atteinte au patrimoine de D.M.M. – ont été reprochés à l’intéressée lors de la seconde procédure, il n’en reste pas moins vrai que les deux procédures en cause coïncidaient quant aux faits de violences.

38. Or, dans des affaires similaires à la présente espèce, la Cour a déjà conclu à l’existence de faits essentiellement les mêmes, bien que les deux procédures concernées aient eu trait à des éléments partiellement différents (voir, en ce sens, Gradinger c. Autriche, 23 octobre 1995, § 55, série A no 328‑C). Plus récemment, dans l’affaire Asadbeyli et autres c. Azerbaïdjan (nos 3653/05, 14729/05, 20908/05, 26242/05, 36083/05 et 16519/06, 11 décembre 2012), dans laquelle les requérants avaient fait l’objet de deux procédures distinctes relatives à une manifestation à laquelle ils avaient participé, la Cour a admis que les infractions reprochées aux intéressés étaient différentes par rapport à un certain nombre d’éléments, mais elle a conclu que les procédures se chevauchaient en ce qui concernait les éléments essentiels de ces infractions (ibidem, § 157).

39. S’agissant de l’affaire Muslija précitée, dans laquelle le requérant avait fait l’objet de deux procédures – administrative et pénale respectivement – pour avoir frappé son ex-femme, la Cour a suivi un raisonnement identique et a conclu que les faits étaient essentiellement les mêmes puisque les faits de violences étaient, entre autres, un élément tant de l’infraction administrative que de l’infraction pénale (ibidem, § 34).

40. De même, dans l’affaire Ruotsalainen c. Finlande (no 13079/03, 16 juin 2009), dans laquelle le requérant avait été condamné à deux reprises pour des infractions aux lois relatives aux taxes, la Cour a conclu que les faits reprochés à l’intéressé lors des procédures en cause étaient essentiellement les mêmes, bien que l’élément intentionnel n’ait été retenu que dans le cadre de la première procédure (ibidem, § 56).

41. En revanche, dans l’affaire Pirttimäki c. Finlande (no 35232/11, 20 mai 2014), la Cour a conclu qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, au motif que les deux procédures visées n’avaient pas trait à des faits essentiellement les mêmes puisque les circonstances factuelles et les parties étaient différentes (ibidem, §§ 51-52).

42. Dès lors, en l’espèce, la Cour estime que l’infraction de vol avec violences reprochée à la requérante englobait en sa totalité les faits de l’infraction de coups et blessures et que cette dernière infraction ne renfermait aucun élément qui ne fut compris dans l’infraction de vol avec violences. Les faits de violences constituaient ainsi l’élément infractionnel unique dans le cadre de la procédure pour coups et blessures et un élément essentiel dans le cadre de la procédure pour vol avec violences.

43. Enfin, la Cour note que, bien que la requérante ait invoqué l’autorité de la chose jugée lors de la seconde procédure, les tribunaux internes n’ont pas établi expressément dans le cadre de cette procédure qu’il y avait des circonstances factuelles qui distinguaient l’accusation de vol avec violences de celle de coups et blessures pour laquelle l’intéressée avait été déjà acquittée (Asadbeyli et autres, précité, § 161, et voir paragraphes 17 et 19 ci-dessus). Elle relève en revanche que la cour d’appel a jugé, dans sa décision du 4 mars 2008, qu’il y avait identité de faits entre les deux procédures en cause (paragraphe 20 ci-dessus), mais que ces constats n’ont pas pu conduire, pour des raisons procédurales, à une réouverture de la procédure (paragraphe 21 ci-dessus).

44. La Cour est donc d’avis que les faits de violences reprochés à la requérante lors des deux procédures ont été essentiellement les mêmes.

3. Sur le point de savoir s’il y a eu répétition des poursuites (« bis »)

45. La Cour rappelle que l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention ne vise pas seulement le cas d’une double condamnation, mais aussi celui des doubles poursuites (Franz Fischer c. Autriche, no 37950/97, § 29, 29 mai 2001). Ainsi, cette disposition renferme trois garanties distinctes selon lesquelles nul i. ne peut être poursuivi, ii. jugé ou iii. puni deux fois pour les mêmes faits (Nikitine c. Russie, no 50178/99, § 36, CEDH 2004‑VIII, et Sergueï Zolotoukhine, précité, § 110).

46. De plus, l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention a pour objet de prohiber la répétition de procédures pénales définitivement clôturées (Franz Fischer, précité, § 22, et Gradinger, précité, § 53). Il en résulte une interdiction des procédures pénales consécutives.

47. En ce qui concerne les procédures pénales parallèles, l’article 4 susmentionné ne les interdit pas pour autant. Dans une telle situation, il ne peut être affirmé que le requérant ait été poursuivi plusieurs fois en raison « d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif » (Garaudy c. France (déc.), no 65831/01, CEDH 2003‑IX (extraits)). Ainsi, la Cour a conclu au défaut manifeste de fondement d’une requête dans une affaire dans laquelle la juridiction nationale avait clos la seconde procédure lorsqu’une décision définitive a été rendue dans le cadre de la première procédure (Zigarella c. Italie (déc.), no 48154/99, 3 octobre 2002). Toutefois, elle a constaté une violation lorsque les tribunaux internes n’ont pas ainsi mis fin à la seconde procédure (Tomasović c. Croatie, no 53785/09, § 31, 18 octobre 2011, Muslija, précité, § 37, et Lucky Dev c. Suède, no 7356/10, §§ 59 et 63, 27 novembre 2014).

48. Faisant application de ces principes en l’espèce, la Cour note que la première procédure s’est finalisée par un arrêt définitif prononcé le 24 janvier 2006 par le tribunal départemental. Elle constate aussi que, lors de la seconde procédure, ce même tribunal a rendu le 7 mars 2006 un jugement par lequel il condamnait la requérante en première instance. Il s’ensuit que la requérante a été condamnée en première instance pour vol avec violences alors que son acquittement pour coups et blessures était déjà devenu définitif.

49. Dans ces circonstances, la Cour estime que la requérante a été jugée à deux reprises pour les mêmes faits de violences.

50. Dès lors, il y a eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

51. La requérante se plaint enfin d’une violation de ses droits garantis par les articles 3, 5, 6 et 7 de la Convention et par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention par rapport à l’incident du 2 juin 2004 et à la procédure pénale litigieuse dont elle a fait l’objet.

52. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, et pour autant qu’elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève parmi les griefs soulevés ci-dessus aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

53. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommages

54. La requérante réclame 500 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle dit avoir subi et qui correspondrait à la perte de ses salaires et à la dégradation de ses biens pendant sa détention, ainsi que la somme de 3 500 000 EUR au titre du préjudice moral qu’elle estime avoir subi, en raison de sentiments de frustration et de souffrance. Elle demande également l’effacement sur son casier judiciaire de sa condamnation, ainsi que la prise en compte de la période qu’elle a passée en détention comme ancienneté au travail.

55. Le Gouvernement s’oppose à l’octroi du dédommagement matériel demandé, en l’absence selon lui de lien de causalité entre la violation dénoncée et le dommage allégué. S’agissant du préjudice moral, il estime que la somme réclamée par la requérante n’est pas conforme à la jurisprudence de la Cour en la matière. Quant aux autres demandes de la requérante, il considère qu’elles excèdent la compétence de la Cour.

56. La Cour relève que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans la violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention. Dès lors, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et elle rejette la demande y afférente. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 1 500 EUR au titre du préjudice moral. S’agissant des autres demandes de la requérante, elle estime qu’elles ne peuvent pas être accueillies (Grozavu c. Roumanie, no 24419/04, § 71, 2 novembre 2010). En particulier, la Cour note qu’en droit roumain l’article 465 du nouveau CPP, entré en vigueur le 1er février 2014, permet la révision d’un procès sur le plan interne lorsque, comme en l’espèce, elle a conclu à la violation des droits et libertés fondamentaux d’un requérant (voir, par exemple, Mischie c. Roumanie, no 50224/07, § 50, 16 septembre 2014).

B. Frais et dépens

58. La requérante demande également le remboursement des frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, sans toutefois en préciser le montant et sans fournir de documents justificatifs.

59. Le Gouvernement fait observer que la requérante n’a pas présenté sa demande en bonne et due forme.

60. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000‑XI). En l’espèce, étant donné que la requérante n’a pas chiffré et ventilé sa demande, aucune somme ne lui sera allouée à ce titre.

C. Intérêts moratoires

61. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de rayer la requête du rôle pour autant qu’elle concerne le requérant David Bejan-Piser ;

2. Déclare la requête de la requérante Cristina Butnaru recevable quant au grief tiré de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 1 500 EUR (mille cinq cents euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juin 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-155355
Date de la décision : 23/06/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 4 du Protocole n° 7 - Droit de ne pas être jugé ou puni deux fois-{général} (article 4 du Protocole n° 7 - Droit à ne pas être jugé ou puni deux fois)

Parties
Demandeurs : BUTNARU ET BEJAN-PISER
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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