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16/06/2015 | CEDH | N°001-155207

CEDH | CEDH, AFFAIRE GHIROGĂ c. ROUMANIE, 2015, 001-155207


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE GHIROGĂ c. ROUMANIE

(Requête no 53168/12)

ARRÊT

STRASBOURG

16 juin 2015

DÉFINITIF

16/09/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ghirogă c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Luis López Guerra,
Ján Šikuta,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,


Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 mai 201...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE GHIROGĂ c. ROUMANIE

(Requête no 53168/12)

ARRÊT

STRASBOURG

16 juin 2015

DÉFINITIF

16/09/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ghirogă c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Luis López Guerra,
Ján Šikuta,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 mai 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53168/12) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Florin Ghirogă (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 août 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaint en particulier des conditions de sa détention dans les locaux de détention de la police à Câmpina et dans ceux de la police à Târgovişte ainsi qu’à la prison de Mărgineni. Il se plaint également d’avoir fait l’objet d’une vidéosurveillance dans sa cellule à Câmpina et d’une audiosurveillance dans sa cellule à Târgovişte.

4. Le 23 octobre 2013, les griefs tirés des articles 3 et 8 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1974 et réside à Sibiu.

6. Le 18 avril 2012, il fut placé en garde à vue par une décision du procureur de la direction des investigations sur le crime organisé et le terrorisme. Il était soupçonné d’avoir accédé illégalement à des systèmes informatiques. Le 19 avril 2012, il fut placé en détention provisoire par une décision du même procureur. Sa détention provisoire fut prolongée jusqu’au 29 août 2012, date à laquelle il fut remis en liberté sous contrôle judiciaire.

A. Les conditions de détention

1. Les locaux de détention de la police à Câmpina

7. Du 19 avril au 28 mai 2012, le requérant fut détenu dans les locaux de détention de la police à Câmpina.

8. Il décrit ses conditions de détention comme suit. Il soutient d’abord que sa cellule mesurait 6 mètres de long, 4 mètres de large et 2,40 mètres de haut, et qu’elle contenait huit lits pour dix à treize détenus. Il communique les noms de deux autres personnes avec lesquelles il dit avoir été contraint de partager un lit. Il affirme également être non-fumeur et avoir été placé dans une cellule avec des détenus fumeurs, alors que la ventilation n’aurait été assurée que par une fenêtre de 2,5 mètres sur 0,6 mètre. Il indique en outre que les toilettes n’étaient pas séparées de la cellule et que le lieu où la nourriture était servie se trouvait à 1,5 mètre des toilettes. Il ajoute que la nourriture était de mauvaise qualité et qu’il ne pouvait sortir de la cellule que pendant trente à quarante minutes par jour pour se rendre dans une salle de 20 m2 qui aurait accueilli jusqu’à treize autres personnes.

9. Le Gouvernement indique que la cellule du requérant mesurait 58 m3 et qu’elle disposait de sept lits. Il admet qu’il y a eu des situations de surpeuplement et que le requérant n’a pas toujours bénéficié de l’espace de vie minimal recommandé par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT). Il indique par ailleurs que les détenus recevaient des produits d’entretien pour nettoyer leur cellule, qu’ils pouvaient prendre deux douches par semaine et que le linge de lit était changé deux fois par mois. Il ajoute que la nourriture était préparée par l’École de la police de Câmpina et qu’elle était de très bonne qualité, et que les détenus bénéficiaient d’une heure de sortie au minimum par jour. Il soutient enfin que, au moment de son incarcération, le requérant n’a pas déclaré être non-fumeur et qu’il n’a pas demandé à être placé dans une cellule de non-fumeurs.

2. Les locaux de détention de la police à Târgovişte

10. Du 28 mai au 16 juillet 2012, le requérant fut incarcéré dans les locaux de détention de la police à Târgovişte.

11. Il dit avoir été détenu dans la cellule no 4, qui aurait mesuré 4 mètres de long sur 3 mètres de large et qu’il aurait partagée avec trois autres personnes. Il soutient en outre qu’il n’y avait ni lumière naturelle ni toilettes ni lavabo, et que la nourriture était de mauvaise qualité.

12. Le Gouvernement indique que le requérant a été placé dans la même cellule que ses trois coïnculpés, qui auraient été non-fumeurs, et qu’il disposait d’un espace de vie de 3,31 m2. Il précise que la cellule n’était pas équipée de toilettes, mais que les détenus avaient un accès illimité aux toilettes et aux douches. Il ajoute que la nourriture était conforme à la réglementation interne.

3. La prison de Mărgineni

13. Du 16 juillet au 29 août 2012, le requérant fut incarcéré à la prison de Mărgineni.

14. Il indique qu’il a été détenu dans les cellules nos 58, 57 et 10, qui auraient contenu 28 lits et auraient été occupées par 31 à 33 détenus, dont 80 % auraient été fumeurs. Il soutient en outre que la nourriture était de mauvaise qualité, que les cellules étaient insalubres et qu’il y avait des parasites (notamment des punaises de lit).

15. Le Gouvernement indique que la cellule no 58 mesurait 55,04 m2, qu’elle disposait de 21 lits et qu’elle a été occupée, en moyenne, par 18 détenus. Il indique ensuite que la cellule no 57 mesurait 85,21 m2, qu’elle était prévue pour 42 lits, mais qu’elle a été occupée, en moyenne, par 37 détenus. Il indique enfin que la cellule no 10 mesurait 38,50 m2 et qu’elle disposait de 18 lits. Par ailleurs, il soutient que, au moment de son incarcération, le requérant a déclaré être fumeur. Il allègue en outre que les cellules étaient correctement éclairées et aérées et qu’elles disposaient de toilettes avec accès à l’eau courante, que les détenus pouvaient utiliser les douches deux fois par semaine et que le linge était lavé une fois par semaine. Il indique de surcroît que les détenus recevaient chaque mois des produits d’entretien pour nettoyer les cellules et que des opérations de désinfection et de dératisation étaient assurées une fois par trimestre ou suivant les besoins. Enfin, selon le Gouvernement, la nourriture était conforme à la réglementation interne.

B. La surveillance du requérant par des moyens vidéo et audio

16. Le requérant a fait l’objet, dans les locaux de détention de la police à Câmpina, d’une vidéosurveillance. Une caméra de surveillance était placée dans sa cellule, au-dessus de la porte d’entrée. Selon les informations fournies par le Gouvernement, l’installation de caméras dans les cellules avait pour but de prévenir les situations problématiques (conflits entre les détenus, suicides) et les images étaient conservées pendant quatorze jours avant d’être automatiquement supprimées.

17. Le requérant allègue que, dans les locaux de détention de la police à Târgovişte, sa cellule était équipée de manière similaire d’un dispositif d’enregistrement des sons.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

18. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines sont ainsi libellées :

Article 38 – L’exercice des droits des personnes

condamnées à des peines privatives de liberté

« (1) L’exercice des droits des personnes condamnées à des peines privatives de liberté ne peut être restreint que dans les limites et conditions prévues par la Constitution et par la loi.

(2) Les personnes condamnées à des peines privatives de liberté peuvent, dans un délai de dix jours à compter de la date à laquelle elles ont eu connaissance de la mesure en cause, porter plainte contre la mesure relative à l’exercice des droits prévus au présent chapitre devant le juge délégué à l’exécution des peines. »

Article 82 – L’exécution de la garde à vue et de la détention provisoire

« Les dispositions du titre IV, chapitres III-VII, relatives aux conditions de détention, aux droits et obligations des personnes condamnées, au travail, aux activités éducatives et culturelles, de conseil psychologique et d’assistance sociale, aux récompenses – à l’exception de la permission de sortir de l’établissement pénitentiaire – et aux sanctions s’appliquent de la même manière [aux personnes placées en détention provisoire] pour autant qu’elles ne contreviennent pas aux dispositions du présent titre. »

19. Les dispositions pertinentes du règlement d’application de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines sont ainsi libellées :

Article 195

« 1. La sécurité dans le lieu de détention ainsi que la protection, la surveillance et l’escorte des personnes privées de liberté représentent un ensemble d’actions et de mesures prises par l’administration du lieu de détention, qui ont comme but :

a) d’empêcher les personnes privées de liberté de se soustraire à l’exécution de la peine et des mesures préventives (...)

e) de prévenir les situations de risque pour l’ordre public (...)

11. Pour atteindre les buts prévus au paragraphe 1 a) et e), des systèmes électroniques de surveillance à distance peuvent être utilisés. Les critères et la procédure d’application sont approuvés par ordre du ministre de la Justice. »

20. Les dispositions pertinentes de l’ordre du ministre de la Justice portant approbation du règlement sur la sécurité des établissements subordonnés à l’Administration nationale des établissements pénitentiaires sont ainsi libellées :

Article 97

« 6. La surveillance des halls, des sections de détention, des salles d’attente, des cours de promenade, des allées pour les piétons, des salles d’activités sportives, des salles à manger, des clubs, des ateliers, des salles [où les détenus peuvent recevoir] des colis ou des visites, des espaces extérieurs des pavillons de détention peut se faire par le biais de systèmes électroniques de surveillance vidéo. Les images sont visionnées et sauvegardées au centre de surveillance électronique. »

Article 98

« 2. Dans les salles à l’usage du juge délégué [à l’exécution des peines], dans les salles [où les détenus se voient octroyer le droit] de téléphoner ou dans celles où ont lieu des activités morales ou religieuses, la surveillance peut se faire visuellement ou par des systèmes électroniques de surveillance vidéo, dans des conditions respectant la confidentialité (...) »

21. Dans un rapport, publié le 24 novembre 2011 à la suite de la visite qu’il a effectuée en Roumanie du 5 au 16 septembre 2010, le CPT a dressé un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents locaux de détention de la police qu’il avait visités. Les extraits pertinents en l’espèce de ce rapport se lisent ainsi :

« 42. Des constatations faites lors de la visite de 2010, il ressort que très peu de progrès ont été réalisés s’agissant de la mise en œuvre des recommandations formulées de longue date par le CPT en vue d’améliorer les conditions matérielles de détention dans les dépôts de la police.

Dans les quatre dépôts visités, le taux d’occupation de la quasi-totalité des cellules était trop élevé (par exemple, 4 lits dans les cellules de 9 à 10 m², 6 lits dans les cellules de 14 à 16 m², et 8 lits dans des cellules de 28 m² environ). De plus, il est apparu qu’à Bucarest, la capacité officielle des dépôts était souvent dépassée, et que des détenus devaient alors partager un lit ou dormir à même le sol sur une couverture (les établissements ne disposant pas de matelas en réserve).

Dans les dépôts de Bucarest, des locaux avaient été repeints et des équipements vétustes ou abîmés (lits, matelas, ampoules) changés peu avant la visite du CPT. Cela étant, dans de très nombreuses cellules, l’accès à la lumière naturelle et l’aération étaient médiocres (en raison notamment du nombre excessif de grilles ou de barreaux apposés aux fenêtres), et l’éclairage artificiel insuffisant. Toutes les cellules disposaient de coins sanitaires (douches et toilettes), mais ceux-ci n’étaient pas totalement cloisonnés ; les toilettes étaient souvent dissimulées (partiellement) par des rideaux installés par les personnes détenues. Plusieurs cellules étaient en outre sales et mal entretenues.

Au dépôt de Craiova, des travaux de rénovation avaient commencé mais le budget disponible avait permis, à ce stade, de ne restaurer totalement qu’une seule cellule (et celle-ci n’était pas encore en service). Les détenus étaient en conséquence hébergés dans des cellules en mauvais état d’entretien, parfois malodorantes, et où l’accès à la lumière naturelle, l’éclairage artificiel et l’aération étaient limités. La moitié des cellules environ étaient équipées de sanitaires ; les détenus hébergés dans les autres cellules pouvaient se rendre aux toilettes communes à tout moment (de jour comme de nuit) sur demande − il s’agit là d’un développement positif depuis la visite de 2006. La salle de douches était accessible deux fois par semaine.

43. Les personnes détenues dans les dépôts de la police ne recevaient pas de produits pour l’hygiène corporelle.

44. Les dispositions concernant la nourriture variaient d’un établissement à un autre. À titre d’exemple, au dépôt no 3 de Bucarest, les personnes détenues ne recevaient qu’un seul repas par jour. La délégation a recueilli de nombreuses plaintes concernant non seulement la quantité insuffisante mais aussi la mauvaise qualité de la nourriture.

(...)

46. En résumé, les conditions qui régnaient dans les dépôts de la police visités rendaient ces derniers impropres à l’hébergement de longue durée de personnes privées de liberté (ce qui continuait d’être le cas pour de nombreux prévenus et condamnés, voir le paragraphe 11). »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

22. Le requérant dénonce les conditions de sa détention qu’il estime précaires. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

23. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il reconnaît qu’il n’existe pas de recours effectif en ce qui concerne le surpeuplement carcéral, mais indique que le requérant aurait dû saisir le juge délégué à l’exécution des peines au sujet des aspects de la vie en prison relatifs à sa situation personnelle, tels que la présence de parasites ou les conditions d’hygiène précaires.

24. Le requérant réplique qu’il s’est plaint de ses conditions de détention à l’administration des établissements où il a été détenu, en vain.

25. La Cour observe que, s’agissant des conditions matérielles de détention, le grief du requérant porte en particulier sur une surpopulation carcérale et sur les mauvaises conditions d’hygiène. Elle rappelle à ce propos avoir déjà jugé, dans des affaires récentes relatives à un grief similaire et dirigées contre la Roumanie, qu’au vu de la particularité de ce grief le Gouvernement n’a pas indiqué comment une action devant le juge délégué à l’exécution des peines aurait pu apporter au requérant une réparation immédiate et effective pour son grief (Marin Vasilescu c. Roumanie, no 62353/09, § 27, 11 juin 2013, Bulea c. Roumanie, no 27804/10, § 42, 3 décembre 2013, et Bujorean c. Roumanie, no 13054/12, § 21, 10 juin 2014). Les arguments du Gouvernement ne sauraient conduire la Cour à une conclusion différente en l’espèce. Dès lors, il convient de rejeter cette exception.

26. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

27. Le requérant insiste sur le surpeuplement carcéral des établissements dans lesquels il a été détenu et répète que, dans les locaux de détention de la police à Câmpina, il a dû partager un lit avec d’autres détenus, dont, au moins pour deux d’entre eux, il indique les noms. Il réitère en outre ses allégations relatives à la précarité des conditions d’hygiène, à la présence de parasites et à la mauvaise qualité de la nourriture.

28. Le Gouvernement réplique que le requérant a bénéficié d’un espace de vie pouvant aller jusqu’à 3,31 m2 et que les autorités roumaines continuent à déployer des efforts pour améliorer les conditions de détention.

29. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que toute personne détenue le soit dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, qui ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être de la personne détenue sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI). Lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte les effets cumulatifs de celles‑ci (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001-II).

30. L’État est donc tenu, nonobstant les problèmes logistiques et financiers, d’organiser son système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité humaine (Benediktov c. Russie, no 106/02, § 37, 10 mai 2007, et Soukhovoï c. Russie, no 63955/00, § 31, 27 mars 2008).

31. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que le requérant dénonce plusieurs aspects de sa détention, dont notamment le surpeuplement carcéral, la précarité des conditions d’hygiène, la présence de parasites, la mauvaise qualité de la nourriture ou la cohabitation avec des détenus fumeurs (paragraphes 8, 11 et 14 ci-dessus).

32. S’agissant de l’espace de vie dont il a bénéficié, la Cour note que le requérant allègue avoir été confronté à des situations de surpeuplement dans tous les trois établissements pénitentiaires où il a été détenu. À cet égard, elle rappelle qu’elle a déjà constaté que les conditions de détention dans les prisons roumaines, notamment le surpeuplement et les conditions d’hygiène précaires, relèvent d’un problème de nature structurelle (Iacov Stanciu c. Roumanie, no 35972/05, § 195, 24 juillet 2012). Les allégations du requérant tirées du surpeuplement carcéral sont donc plausibles et la Cour note que le Gouvernement ne les conteste pas expressément. En effet, il admet que, au moins pendant certaines périodes lorsque le requérant a été incarcéré dans les locaux de détention de la police à Câmpina, il a connu des situations de surpeuplement (paragraphe 9 ci-dessus) ; les informations qu’il fournit au sujet des locaux de détention de la police à Târgovişte et de la prison de Mărgineni n’indiquent pas une situation de fait nettement différente (paragraphes 12 et 15 ci-dessus). En particulier, la Cour relève que, s’agissant de la prison de Mărgineni, elle a déjà observé des situations de surpeuplement pour des périodes qui coïncident avec la détention du requérant dans la présente affaire (Necula c. Roumanie, no 33003/11, §§ 57 et 59, 18 février 2014, et Mihai Laurenţiu Marin c. Roumanie, no 79857/12, § 31, 10 juin 2014).

33. De surcroît, la Cour note que les allégations du requérant relatives à la médiocrité des conditions d’hygiène sont également plausibles et qu’elles reflètent des réalités qu’elle-même a constatées dans d’autres affaires relatives aux conditions régnant dans les locaux de détention de la police roumaine (Voicu c. Roumanie, no 22015/10, § 53, 10 juin 2014, Zamfirachi c. Roumanie, no 70719/10, § 66, 17 juin 2014, et Valerian Dragomir c. Roumanie, no 51012/11, § 47, 16 septembre 2014, pour les locaux de détention de la police à Bucarest ; Florin Andrei c. Roumanie, no 33228/05, § 45, 15 avril 2014, pour les locaux de détention de la police à Constanţa ; et Mihăilescu c. Roumanie, no 46546/12, § 57, 1er juillet 2014, pour les locaux de détention de la police à Bacău). Les conclusions auxquelles le CPT est parvenu à la suite de sa visite de 2010 dans plusieurs locaux de détention de la police vont dans le même sens (paragraphe 21 ci‑dessus).

34. La Cour estime que les conditions de détention en cause ont soumis le requérant, par leur effet cumulatif, à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 49, 27 juillet 2006, Tadevossian c. Arménie, no 41698/04, § 55, 2 décembre 2008, et Florin Andrei, précité, § 46).

35. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

36. Compte tenu de ce constat, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner plus avant les allégations du requérant relatives à la présence de détenus fumeurs dans sa cellule (Cucolaş c. Roumanie, no 17044/03, § 99, 26 octobre 2010, et Florin Andrei, précité, § 49).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

37. Le requérant dénonce une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale, en raison de la présence de caméras de surveillance dans les cellules des locaux de détention de la police à Câmpina et à Târgovişte. Il invoque à cet égard l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

38. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il affirme que le requérant pouvait saisir le juge délégué à l’exécution des peines pour se plaindre de la présence des caméras de surveillance dans ses cellules et ensuite demander la réparation de son préjudice dans le cadre d’une action civile en responsabilité délictuelle.

39. Le requérant réplique que, lorsqu’il s’est plaint de ses conditions de détention à l’administration des établissements dans lesquels il séjournait, il a mentionné la présence de caméras de surveillance. Il estime que ses plaintes auraient dû être renvoyées par l’administration soit au procureur soit au juge délégué à l’exécution des peines.

40. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux États contractants, à savoir éviter ou redresser les violations alléguées contre eux (McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010).

41. Plus précisément, la Cour rappelle avoir déjà constaté dans des affaires contre la Roumanie que, pour des problèmes de caractère structurel – telle la surpopulation carcérale – qui ne concernaient pas la situation personnelle du requérant, ce dernier n’avait pas de voie effective de recours en droit roumain pour soulever devant les juridictions nationales le problème allégué (Fane Ciobanu c. Roumanie, no 27240/03, § 59, 11 octobre 2011). En revanche, elle a constaté qu’une plainte formée en vertu de la loi no 275/2006 devant le juge délégué à l’exécution des peines est une voie de recours effective pour des questions ponctuelles découlant de la situation personnelle d’un individu, telles que l’accès aux soins médicaux (Petrea c. Roumanie, no 4792/03, §§ 36-37, 29 avril 2008, Măciucă c. Roumanie, no 25763/03, § 19, 26 mai 2009, et Coman c. Roumanie, no 34619/04, § 45, 26 octobre 2010), les mesures disciplinaires (Geanopol c. Roumanie, no 1777/06, § 48, 5 mars 2013) ou le harcèlement fondé sur l’origine ethnique (Coman, précité, § 45 in fine).

42. En l’espèce, la Cour note que le règlement d’application de la loi no 275/2006 précise de quelle manière la sécurité dans les lieux de détention et la surveillance des détenus peuvent être assurées et qu’il inclut les moyens électroniques (paragraphe 19 ci-dessus). Elle relève en outre que, en vertu de cette même loi, le juge délégué à l’exécution des peines assure le respect des droits des détenus (paragraphe 18 ci-dessus). Or le requérant n’a pas saisi ce juge. La Cour ne saurait accueillir l’argument de l’intéressé selon lequel l’administration de ces établissements aurait dû renvoyer ses plaintes au procureur ou au juge délégué à l’exécution des peines (paragraphe 39 ci‑dessus). En effet, il appartenait au requérant lui-même, en dépit du fait qu’il était détenu, d’accomplir des diligences et de saisir les juridictions compétentes. Le requérant n’a d’ailleurs donné aucune raison objective qui l’aurait empêché de faire lui‑même ces démarches (voir, a contrario, Baklanov c. Ukraine, no 44425/08, § 77, 24 octobre 2013).

43. S’agissant de l’action en responsabilité civile délictuelle mentionnée par le Gouvernement, la Cour constate qu’elle était ouverte au requérant et qu’elle aurait pu lui offrir une réparation adéquate, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Les tribunaux saisis d’une telle affaire auraient pu examiner sur le fond le grief de l’intéressé tiré du manquement à son droit au respect de sa vie privée en raison de la surveillance dont il a fait l’objet en jugeant si les conditions de la responsabilité civile étaient réunies en l’espèce et lui allouer une somme au titre de l’éventuel préjudice (voir, mutatis mutandis, Vartic c. Roumanie (déc.), no 37952/09, § 27, 26 novembre 2013).

44. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

45. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

46. Le requérant réclame 5 000 euros (EUR) pour préjudice matériel et 50 000 EUR pour préjudice moral.

47. Le Gouvernement estime que l’octroi d’un montant pour préjudice matériel ne se justifie pas en l’espèce. Quant au préjudice moral, il estime que le constat d’une violation pourrait constituer en soi une réparation satisfaisante et que, en tout état de cause, la somme réclamée par le requérant est exorbitante.

48. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

49. Le requérant n’a pas demandé le remboursement des frais et dépens qu’il aurait engagés devant la Cour.

C. Intérêts moratoires

50. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour préjudice moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juin 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stephen PhillipsJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-155207
Date de la décision : 16/06/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : GHIROGĂ
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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