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04/06/2015 | CEDH | N°001-155204

CEDH | CEDH, AFFAIRE RUSLAN YAKOVENKO c. UKRAINE, 2015, 001-155204


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE RUSLAN YAKOVENKO c. UKRAINE

(Requête no 5425/11)

ARRÊT

STRASBOURG

4 juin 2015

DÉFINITIF

04/09/2015

Cet arrêt est devenu définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention.




En l’affaire Ruslan Yakovenko c. Ukraine,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Ga

etano,
André Potocki,
Aleš Pejchal, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 avril 2...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE RUSLAN YAKOVENKO c. UKRAINE

(Requête no 5425/11)

ARRÊT

STRASBOURG

4 juin 2015

DÉFINITIF

04/09/2015

Cet arrêt est devenu définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention.

En l’affaire Ruslan Yakovenko c. Ukraine,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Aleš Pejchal, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 avril 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5425/11) dirigée contre l’Ukraine et dont un ressortissant de cet État, M. Ruslan Anatoliyovych Yakovenko (« le requérant »), a saisi la Cour le 17 janvier 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me O.V. Levytskyy, avocat à Kiev. Le gouvernement ukrainien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. N. Kulchytskyy.

3. Le requérant se plaignait de l’illégalité de sa détention et d’une violation de son droit à un double degré de juridiction en matière pénale.

4. Le 12 décembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1979 et réside à Korolivka, dans la région de Kiev.

6. Le 12 juillet 2010, le tribunal municipal de Bila Tserkva (« tribunal de Bila Tserkva ») reconnut le requérant coupable d’avoir, le 12 mai 2006, infligé des coups et blessures graves à un certain M. N. Bien que ce type d’infraction fût punissable d’une peine de cinq à huit ans d’emprisonnement, le tribunal estima qu’il était possible d’appliquer au requérant une sanction plus clémente. Il tint en particulier compte du fait que le requérant avait plaidé coupable et qu’il avait manifesté des remords. Le tribunal condamna donc le requérant à quatre ans et sept mois d’emprisonnement. Il décida également de décompter de la peine à purger la période comprise entre le 20 octobre 2005 et le 3 mai 2006 (six mois et quatorze jours) pendant laquelle l’intéressé avait été détenu dans le contexte d’une autre affaire pénale. Enfin, pour fixer la peine, le tribunal prit aussi en considération le fait que l’intéressé « avait passé plus de quatre ans dans des lieux de détention [provisoire] où les conditions de vie étaient considérablement plus dures que dans une prison pour détenus condamnés, ainsi que la circonstance que les jugements antérieurs le concernant avaient été annulés ». Aucune autre information n’est disponible concernant la période de détention antérieure du requérant, les autres affaires pénales dans lesquelles il avait été impliqué ou les jugements qui avaient été annulés.

7. Le dispositif du jugement du tribunal de Bila Tserkva ordonnait également que le requérant devait demeurer dans un centre de détention provisoire (« SIZO ») à titre préventif jusqu’à ce que le jugement devînt définitif. Il indiquait par ailleurs que le jugement était susceptible d’appel dans les quinze jours à compter de la date de son prononcé.

8. Le 15 juillet 2010, la peine qui avait été infligée au requérant parvint à son terme et l’intéressé demanda à l’administration du SIZO de le remettre en liberté. Sa demande fut rejetée. Le même jour, étant donné que le requérant avait purgé l’intégralité de sa peine, l’administration du SIZO sollicita toutefois auprès du tribunal de Bila Tserkva l’autorisation de le libérer sous réserve que l’intéressé s’engageât à ne pas prendre la fuite. Le SIZO ne reçut aucune réponse.

9. Le 19 juillet 2010, l’avocat du requérant sollicita de nouveau auprès de l’administration du SIZO une remise en liberté immédiate de son client. Il arguait en particulier que rien ne justifiait que son client restât en détention. Une copie de cette lettre fut également adressée au parquet régional de Kiev.

10. Le 27 juillet 2010, le délai d’appel de quinze jours applicable au jugement du 12 juillet 2010 vint à expiration et, en l’absence d’appel, ce jugement devint définitif.

11. Le même jour, l’administration du SIZO écrivit à l’avocat du requérant pour lui expliquer qu’elle ne pouvait pas remettre celui-ci en liberté tant que la mesure préventive le concernant n’avait pas été modifiée ou que le jugement n’était pas devenu définitif. Elle précisait dans sa lettre que, en tout état de cause, c’était au tribunal de Bila Tserkva qu’il appartenait d’autoriser la remise en liberté du requérant.

12. Le 29 juillet 2010, le SIZO ayant reçu de la part du tribunal une ordonnance d’exécution du jugement définitif, le requérant fut remis en liberté.

13. Le 5 août 2010, en réponse à l’avocat du requérant qui se plaignait de la remise en liberté tardive de son client, les services pénitentiaires de l’État adressèrent audit avocat une lettre indiquant que le code de procédure pénale n’avait pas été méconnu.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT À L’ÉPOQUE DES FAITS

A. Le code de procédure pénale (1960)

14. L’article 148 précisait la finalité des mesures préventives et les motifs justifiant de les mettre en œuvre. Il indiquait en particulier qu’il y avait lieu d’appliquer une mesure préventive lorsqu’il existait des motifs suffisants de croire qu’un suspect, un accusé, un défendeur ou une personne condamnée risquait de prendre la fuite, de ne pas respecter les décisions procédurales, de faire obstruction à l’établissement de la vérité dans le cadre de l’affaire ou de se livrer à des activités pénalement répréhensibles.

15. Au stade de la procédure judiciaire, la remise en liberté d’un détenu nécessitait impérativement une décision du juge ou du tribunal (article 165). L’article 165 prévoyait également la possibilité de lever ou de modifier une mesure préventive si la mesure qui était jusque-là appliquée n’était plus nécessaire.

16. Même si, au stade de l’enquête préliminaire, l’administration du centre de détention était tenue de remettre immédiatement en liberté un détenu dont la durée de la détention avait expiré si elle n’avait reçu à la date d’expiration aucune décision judiciaire prolongeant cette détention (article 156 in fine), il n’existait pas de disposition analogue concernant la procédure de remise en liberté d’un détenu au stade de la procédure judiciaire.

17. L’article 274 concernait l’application, la levée ou la modification d’une mesure préventive par une juridiction de première instance. Il contraignait le tribunal à suivre les dispositions pertinentes du chapitre 13 (« Mesures préventives » – articles 148 à 165-3).

18. L’article 324 imposait à la juridiction de jugement de statuer, en particulier, sur la mesure préventive à appliquer à une personne condamnée en attendant que le jugement devînt définitif.

19. L’article 343 rappelait en substance la disposition ci-dessus et précisait que le tribunal ne pouvait ordonner à titre préventif le placement d’une personne condamnée en détention provisoire que pour les motifs énoncés dans les dispositions pertinentes du chapitre 13.

20. L’article 358 énumérait les points que la juridiction d’appel pouvait examiner en audience préparatoire. La juridiction d’appel avait en particulier la possibilité de modifier, de lever ou d’appliquer une mesure préventive à des personnes condamnées.

21. L’article 401 disposait qu’un jugement devenait définitif dès lors qu’il n’avait pas été contesté en appel avant l’expiration du délai légal (quinze jours à compter de la date de son prononcé – article 349). Si un recours était déposé, le jugement devenait définitif après l’examen de l’affaire par la juridiction d’appel (à moins qu’il ne fût annulé). Un jugement d’acquittement ou un jugement ordonnant la levée d’une sanction étaient exécutoires immédiatement, tandis qu’un jugement comportant un verdict de culpabilité n’était exécutoire qu’une fois devenu définitif. L’article 404 prévoyait que la juridiction qui prononçait le jugement disposait de trois jours au maximum après que le jugement fut devenu définitif pour ordonner son exécution.

B. Le code civil (2003)

22. L’article 1176 imposait à l’État l’obligation « d’indemniser intégralement un individu du préjudice qu’il a[vait] subi du fait d’une condamnation irrégulière, d’une reconnaissance irrégulière de sa responsabilité pénale, de l’application irrégulière d’une mesure préventive [ou] d’une arrestation irrégulière (…) qu’il y ait eu ou non faute de la part d’agents de l’État travaillant au sein des organes d’enquête, des autorités chargées de l’enquête préliminaire, des parquets ou des tribunaux » (paragraphe 1). Il précisait en outre qu’« un individu victime d’un préjudice à la suite d’actes illégaux commis par un organe d’enquête, une autorité chargée des enquêtes préliminaires, un parquet ou un tribunal dispos[ait] d’un droit à être indemnisé dans les cas prévus par la loi » (paragraphe 2).

C. La loi ukrainienne de 1994 sur la procédure d’indemnisation en cas de préjudice causé aux citoyens par des actes illégaux commis par les organes d’enquête, les autorités chargées des enquêtes préliminaires, les parquets et les tribunaux (« la loi sur l’indemnisation »)

23. L’article 1 reconnaissait le droit d’une personne d’être indemnisée du préjudice subi, en particulier du fait d’une condamnation irrégulière, d’une mise en accusation irrégulière et d’une arrestation ou d’une mise en détention provisoire irrégulières. Dans les cas mentionnés, le préjudice ouvrait droit à indemnisation qu’il y ait eu ou non faute de la part d’agents de l’État travaillant au sein des organes d’enquête, des autorités chargées de l’enquête préliminaire, des parquets ou des tribunaux.

24. L’article 2 énumérait les cas dans lesquels un droit à indemnisation était prévu, à savoir : 1) un jugement d’acquittement ; 1-1) une décision judiciaire reconnaissant, en particulier, l’irrégularité de la détention, et 2) l’abandon des poursuites pénales pour absence de corps du délit ou pour absence de preuve de la culpabilité d’un accusé.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

25. Le requérant allègue que sa détention pendant la période allant du 15 au 29 juillet 2010 était irrégulière. Il invoque l’article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

(...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(...) »

A. Recevabilité

1. Épuisement des voies de recours internes

a) Thèses des parties

26. Le Gouvernement estime que le requérant n’a pas respecté la règle de l’épuisement des voies de recours internes. Il reconnaît que la détention du requérant du 15 au 29 juillet 2010 était dépourvue de fondement. Invoquant l’article 1176 du code civil (paragraphe 22 ci-dessus), il soutient que le requérant avait la possibilité de demander réparation mais que celui-ci a omis d’exercer cette voie de recours.

27. Le requérant récuse cette thèse. Il soutient en particulier que, pour qu’un recours soit effectif dans son cas, il aurait fallu qu’il lui assure une libération immédiate dès sa peine d’emprisonnement parvenue à son terme. Il aurait sollicité sa libération auprès de l’administration du SIZO et des autorités de poursuite, mais l’administration du SIZO aurait considéré qu’il était impossible de le remettre en liberté tant que le jugement n’était pas devenu définitif. Quant au parquet, il n’aurait pas jugé utile d’intervenir du tout.

b) Appréciation de la Cour

i. Principes généraux se dégageant de la jurisprudence de la Cour

28. La Cour note que la règle de l’épuisement des voies de recours internes repose sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif habilitant à examiner le contenu d’un grief défendable fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié. Elle constitue de ce fait un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de protection des droits de l’homme (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 93, 10 janvier 2012, avec d’autres références).

29. Un requérant n’est normalement tenu de se prévaloir que des recours internes disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement des voies de recours internes de convaincre la Cour à cet égard, c’est-à-dire de prouver que le recours auquel il se réfère était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs, et présentait des perspectives raisonnables de succès. Cependant, une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, n’était ni adéquat ni effectif dans son cas, ou qu’il existait des circonstances spéciales le dispensant de l’exercer (voir, par exemple, Melnik c. Ukraine, no 72286/01, § 67, 28 mars 2006).

30. La Cour note en outre que lorsqu’une violation de l’article 5 § 1 est en jeu, l’article 5 §§ 4 et 5 de la Convention constitue une lex specialis par rapport aux exigences plus générales de l’article 13 (Dimitrov c. Bulgarie (déc.), no 55861/00, 9 mai 2006). Par conséquent, pour décider si un requérant était tenu d’exercer un recours interne particulier pour faire redresser son grief fondé sur l’article 5 § 1 de la Convention, la Cour doit apprécier le caractère effectif dudit recours du point de vue des dispositions précitées.

ii. Existence d’un recours préventif conforme à l’article 5 § 4

31. La Cour observe qu’à compter du jour où il est statué sur une accusation, ne serait-ce que par un tribunal de première instance, le défendeur est détenu « après condamnation par un tribunal compétent » au sens de l’article 5 § 1 a) (voir aux paragraphes 46 à 51 ci-dessous une analyse plus détaillée des principes pertinents établis dans la jurisprudence de la Cour).

32. La Cour a dit dans un certain nombre d’arrêts qu’en pareilles circonstances, le contrôle juridictionnel de la privation de liberté prescrit à l’article 5 § 4 était considéré comme ayant déjà eu lieu à l’occasion de la condamnation initiale. Cependant, à chaque fois que des questions nouvelles ayant une incidence sur la légalité de la détention se posent, l’article 5 § 4 entre de nouveau en jeu (voir, comme exemple récent, Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, §§ 64-65, 24 mars 2005, avec d’autres références).

33. La Cour est disposée à admettre qu’en l’espèce une question nouvelle concernant la légalité de la détention du requérant s’est posée dès lors que la peine d’emprisonnement de ce dernier était arrivée à son terme sans qu’il fût remis en liberté. À ce stade, il était privé de toute possibilité d’engager une procédure judiciaire qui lui aurait permis de faire statuer à bref délai sur la régularité de son maintien en détention et d’obtenir sa remise en liberté. En effet, l’affaire n’était plus du ressort du tribunal de première instance. Par ailleurs, si le requérant avait formé un appel ordinaire, on peut supposer que son examen aurait duré plus longtemps que la détention qui se trouve à l’origine de son grief (douze jours). De plus, il n’est pas à exclure que l’introduction d’un appel aurait encore prolongé la détention à titre préventif jusqu’à ce que l’arrêt devînt définitif. Quoi qu’il en soit, la Cour analysera cette question de manière plus détaillée.

34. Concernant les demandes qui ont été faites par le requérant auprès de l’administration du SIZO et du parquet, ces autorités ne constituaient pas « un tribunal » au sens de l’article 5 § 4 de la Convention.

35. Il s’ensuit que le requérant n’a disposé d’aucun recours interne effectif dont il aurait pu se prévaloir afin de mettre un terme à la violation alléguée de l’article 5 § 1.

iii. Existence d’un recours indemnitaire conforme à l’article 5 § 5

36. La Cour rappelle que le paragraphe 5 de l’article 5 se trouve respecté dès lors que l’on peut demander réparation du chef d’une privation de liberté opérée dans des conditions contraires aux paragraphes 1 à 4 de cet article lorsque cette privation a été établie soit par une autorité nationale soit par elle-même. La jouissance effective du droit à réparation garanti par l’article 5 § 5 doit se trouver assurée à un degré suffisant de certitude (Lobanov c. Russie, no 16159/03, § 54, 16 octobre 2008, avec d’autres références).

37. La Cour observe qu’en l’espèce le Gouvernement se borne à exciper de l’absence de fondement pour la détention du requérant et de la possibilité pour l’intéressé de demander réparation en vertu de l’article 1176 du code civil. La Cour note toutefois que la disposition en question est libellée en des termes très généraux : elle n’établit pas les conditions juridiques préalables requises pour qu’il soit possible de demander une réparation, et ne prévoit pas non plus de mécanisme ou de procédure spécifique. Tout au contraire, l’article 1176 renvoie à une autre loi qui régit ces aspects. Il apparaît que c’est la loi spéciale sur l’indemnisation qui trouve à s’appliquer (paragraphes 23-24 ci-dessus). Le Gouvernement ne mentionne pas cette loi dans ses observations. Il ne précise pas non plus à quelle disposition du droit interne la détention du requérant a en fait contrevenu. Par ailleurs, le Gouvernement omet de citer, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente en la matière. Il demeure donc difficile de déterminer sur quels fondements et au moyen de quels mécanismes le requérant aurait pu faire constater l’irrégularité de sa détention par une juridiction nationale et demander réparation du préjudice subi à cet égard.

38. Dans ces conditions, la Cour juge que l’argument du Gouvernement selon lequel le recours qu’il évoquait était effectif et devait être exercé par le requérant n’est pas convaincant.

iv. Conclusion

39. Au regard des considérations qui précèdent, la Cour conclut que le requérant n’a disposé d’aucun recours interne effectif pour faire valoir son grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention. La Cour rejette donc l’exception formulée par le Gouvernement à cet égard.

2. Autres considérations relatives à la recevabilité

40. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

41. Le requérant soutient que sa détention du 15 au 29 juillet 2010 était dépourvue de fondement et donc contraire à l’article 5 § 1 de la Convention.

42. Dans ses observations sur la recevabilité de ce grief (paragraphe 26 ci-dessus), le Gouvernement exprime son accord avec le requérant sur ce point. Il ne formule toutefois aucune observation sur le bien-fondé du grief.

2. Appréciation de la Cour

43. La Cour considère que, aux fins de son analyse, la détention du requérant doit être subdivisée en deux périodes distinctes :

a) du 15 au 27 juillet 2010, c’est-à-dire après le prononcé du jugement par le tribunal de première instance et avant que ce jugement ne devienne définitif ; et

b) la période de deux jours qui a suivi, à savoir du 27 au 29 juillet 2010, qui correspond au temps dont les autorités ont eu besoin pour satisfaire à toutes les formalités administratives nécessaires à la mise en œuvre de la libération du requérant une fois le jugement de première instance devenu définitif.

44. La Cour examinera séparément ces deux périodes de détention en vue de déterminer la conformité de chacune d’elles avec l’article 5 § 1 de la Convention.

a) La détention du requérant du 15 au 27 juillet 2010

i. Motifs de la privation de liberté infligée au requérant

α) Principes généraux se dégageant de la jurisprudence de la Cour

45. La Cour rappelle que l’article 5 consacre un droit fondamental de l’homme, à savoir la protection de l’individu contre les atteintes arbitraires de l’État à son droit à la liberté. Les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 énumèrent limitativement les motifs autorisant la privation de liberté. Pareille mesure n’est pas conforme à l’article 5 § 1 si elle ne relève pas de l’un de ces motifs (voir, parmi beaucoup d’autres, Austin et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 39692/09 et 2 autres, § 60, CEDH 2012).

46. La Cour note qu’un défendeur est considéré comme détenu « après condamnation par un tribunal compétent » au sens de l’article 5 § 1 a) dès que le jugement a été rendu en première instance, même si celui-ci n’est pas encore exécutoire et reste susceptible de recours. La Cour a dit à cet égard que l’expression « après condamnation » ne saurait être interprétée comme se limitant à l’hypothèse d’une condamnation définitive, car cela exclurait l’arrestation à l’audience de personnes condamnées ayant comparu libres, quels que soient les recours qui leur étaient encore ouverts (Wemhoff c. Allemagne, 27 juin 1968, p. 23, § 9, série A no 7). De plus, une personne condamnée en première instance et qui est détenue en attendant l’issue de la procédure d’appel ne saurait être considérée comme étant détenue en vue d’être conduite devant l’autorité judiciaire compétente du chef de raisons plausibles de la soupçonner d’avoir commis une infraction, au sens de l’article 5 § 1 c) (voir, en particulier, Solmaz c. Turquie, no 27561/02, § 25, 16 janvier 2007).

47. La Cour a constamment affirmé dans sa jurisprudence qu’elle était attentive aux grandes différences qui existent entre les États contractants sur le point de savoir si une personne condamnée en première instance commence déjà à purger sa peine d’emprisonnement pendant la procédure de recours. Elle rappelle cependant que les garanties importantes de l’article 5 de la Convention ne dépendent pas de la législation nationale (B. c. Autriche, 28 mars 1990, § 39, série A no 175, et Solmaz, précité, § 26). Ainsi, même si le droit interne d’un État membre prévoit qu’une peine ne devient définitive qu’une fois tous les recours épuisés, la détention provisoire cesse au sens de la Convention avec la condamnation et le prononcé de la peine en première instance (ibidem).

48. Par exemple, dans l’affaire Grubić c. Croatie (no 5384/11, §§ 30-45, 30 octobre 2012), le requérant, qui avait été reconnu coupable et condamné à une peine de trente ans d’emprisonnement en première instance, se plaignait de l’irrégularité de la détention qu’il avait subie pendant plusieurs mois après le prononcé du jugement de première instance. La privation de liberté qui lui avait été infligée pendant cette période était toujours considérée comme de la « détention provisoire » par le droit interne. La Cour a examiné son grief sous l’angle de l’article 5 § 1 a) de la Convention et n’a décelé aucun indice d’arbitraire.

49. La Cour affirme également dans sa jurisprudence que par « condamnation » (« conviction » en anglais) au sens de l’article 5 § 1 a), il faut entendre, eu égard au texte français, à la fois une déclaration de culpabilité consécutive à l’établissement légal d’une infraction et l’infliction d’une peine ou autre mesure privative de liberté (Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 100, série A no 39, Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, § 35, série A no 50, et, pour un exemple récent, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 123, CEDH 2013).

50. De plus, le mot « après » utilisé à l’alinéa a) de l’article 5 § 1 n’implique pas un simple ordre chronologique de succession entre condamnation et détention : la seconde doit de surcroît résulter de la première, se produire « à la suite et par suite » – ou « en vertu » – de celle-ci. En bref, il doit exister entre elles un lien de causalité suffisant (Murray c. Pays-Bas, no 10511/10, § 77, 10 décembre 2013, avec d’autres références).

51. Ainsi, la Cour a précédemment conclu que diverses formes de détention à titre préventif imposées en sus de la peine d’emprisonnement constituaient une détention infligée « après condamnation par un tribunal compétent » (voir, par exemple, Van Droogenbroeck, précité, §§ 33-42, M. c. Allemagne, no 19359/04, § 96, CEDH 2009, et James, Wells et Lee c. Royaume-Uni, nos 25119/09 et 2 autres, §§ 197-199, 18 septembre 2012). En pareilles circonstances, la détention en cause ne fait pas partie d’une sanction, mais découle plutôt d’une autre « mesure privative de liberté », comme indiqué au paragraphe 49 ci-dessus.

β) Application en l’espèce des principes susmentionnés

52. La Cour note que la détention du requérant pendant cette période est intervenue après le prononcé du jugement dans son procès pénal, mais qu’elle était néanmoins considérée comme de la « détention provisoire » sous l’empire du droit interne.

53. La Cour observe que, indépendamment de sa qualification dans l’ordre interne, cette période de détention infligée au requérant ne relevait plus de l’article 5 § 1 c) (voir, en particulier, le paragraphe 46 ci-dessus). Il reste à déterminer si elle était justifiée sous l’angle de l’alinéa a) de l’article 5 § 1, puisqu’aucun autre alinéa de cette disposition ne peut en principe s’appliquer à la situation en jeu.

54. La Cour observe que le jugement du 12 juillet 2010 infligeait au requérant deux mesures privatives de liberté distinctes : premièrement, une peine d’emprisonnement, et, deuxièmement, la détention à titre préventif jusqu’à ce que le jugement devînt définitif. La peine imposée devait expirer trois jours plus tard, mais la seconde mesure devait durer au moins douze jours de plus du fait du délai de quinze jours prévu pour l’introduction des appels. Si le requérant avait formé un recours, la durée de sa détention aurait été encore plus longue et aurait dépendu du temps nécessaire à la juridiction d’appel pour examiner son recours.

55. Par conséquent, la Cour considère que, bien que la détention dont le requérant tire grief soit postérieure à l’accomplissement par celui-ci de l’intégralité de la peine d’emprisonnement qui lui avait été infligée, elle peut passer pour une autre « mesure privative de liberté » intervenue « après condamnation » au sens de l’article 5 § 1 a).

56. En bref, la Cour conclut que cette période de détention subie par le requérant relève de l’exception prévue à l’alinéa a) de l’article 5 § 1 de la Convention. Il reste toutefois à déterminer si cette disposition a été respectée.

ii. Régularité de la détention du requérant du 15 au 27 juillet 2010

α) Principes généraux se dégageant de la jurisprudence de la Cour

57. La Cour rappelle que toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions prévues dans les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1, mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure (voir, parmi beaucoup d’autres, Erkalo c. Pays-Bas, 2 septembre 1998, § 52, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI, et Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 50, CEDH 2000-III).

58. Pour apprécier la régularité d’une détention, la Cour doit également s’assurer que le droit interne lui-même est conforme à la Convention, y compris aux principes généraux qui s’y trouvent contenus, de manière explicite ou implicite. La « qualité de la loi » implique qu’une loi nationale autorisant une privation de liberté soit suffisamment accessible, précise et prévisible dans son application afin d’éviter tout danger d’arbitraire. Le critère de « légalité » fixé par la Convention exige donc que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé. Lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est essentiel que le droit interne définisse clairement les conditions de détention (Del Río Prada, précité, § 125, avec d’autres références).

59. De plus, une détention arbitraire ne saurait être compatible avec l’article 5 § 1, la notion d’« arbitraire » dans ce contexte allant au-delà du défaut de conformité avec le droit national. En conséquence, une privation de liberté peut être régulière selon la législation interne tout en étant arbitraire et donc contraire à la Convention (Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 77, 9 juillet 2009).

60. Jusqu’à présent, la Cour n’a pas défini de manière générale les attitudes des autorités qui sont susceptibles de relever de l’« arbitraire » au sens de l’article 5 § 1. Cependant, les principes clés qu’elle a dégagés au cas par cas démontrent que la notion d’arbitraire dans le contexte de l’article 5 varie dans une certaine mesure suivant le type de détention en cause (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 68, CEDH 2008, et Plesó c. Hongrie, no 41242/08, § 57, 2 octobre 2012). D’après l’un des principes généraux consacrés par la jurisprudence, une détention est « arbitraire » lorsque, même si elle est parfaitement conforme à la législation nationale, il y a eu un élément de mauvaise foi ou de tromperie de la part des autorités ou lorsque les autorités internes ne se sont pas employées à appliquer correctement la législation pertinente (Mooren, précité, § 78).

61. De plus, l’exigence selon laquelle la détention doit être dénuée de tout caractère arbitraire implique la nécessité d’un rapport de proportionnalité entre le motif de la détention qui est invoqué et la détention en question (James, Wells et Lee, précité, § 195). L’ampleur de l’examen du critère de proportionnalité à appliquer dans un cas donné varie suivant le type de détention en cause. Dans le contexte d’une détention correspondant au cas de figure énoncé à l’article 5 § 1 a), la Cour estime en général que la décision d’infliger une peine de détention et la durée de cette peine sont des questions qui relèvent des autorités nationales et non de sa propre compétence (T. c. Royaume-Uni [GC], no 24724/94, § 103, 16 décembre 1999, et Saadi, précité, § 71). Pour autant, en vue de déceler d’éventuels indices d’arbitraire dans la détention infligée à titre préventif à un requérant en plus de la peine proprement dite mais toujours dans le cadre de l’article 5 § 1 a), la Cour juge utile de déterminer l’objectif de la détention fondée sur l’article 5 § 1 a) et procède à l’examen du critère de proportionnalité (James, Wells et Lee, précité, § 205).

β) Application en l’espèce des principes susmentionnés

62. La Cour juge que rien n’indique que la décision prise par le tribunal de Bila Tserkva de maintenir le requérant en détention jusqu’à ce que le jugement devienne définitif a méconnu le droit interne. De plus, les dispositions légales pertinentes apparaissent claires et prévisibles dans leur application. Ainsi, le code de procédure pénale ukrainien disposait explicitement que la juridiction de jugement devait statuer sur le type de mesure préventive à appliquer à la personne condamnée en attendant que le jugement devînt définitif (paragraphe 18 ci-dessus). Il ressort également de la législation interne que la durée de la mesure préventive ne dépendait pas de celle de la peine d’emprisonnement qui avait été infligée et pouvait donc être plus longue que ladite peine.

63. La Cour doit encore se convaincre que, bien que conforme au droit interne, la détention qui a été infligée au requérant pendant la période en cause n’était pas arbitraire et n’était donc pas contraire à la Convention.

64. La Cour ne pense pas que le tribunal de Bila Tserkva ait fait preuve de mauvaise foi lorsqu’il a décidé de maintenir le requérant en détention à titre préventif. Cela étant, la Cour observe que le jugement ne mentionnait aucune motivation à cet égard, hormis une déclaration générale figurant dans le dispositif et portant sur l’application de la mesure. Les raisons qui ont poussé la juridiction de jugement à maintenir le requérant en détention à titre préventif demeurent donc obscures, d’autant plus que cette décision impliquait que la détention dépasserait la durée de la peine d’emprisonnement imposée au requérant.

65. La Cour admet que des considérations spéciales puissent, indépendamment de la durée de la peine d’emprisonnement, justifier que l’on prive de liberté à titre préventif une personne condamnée afin de s’assurer qu’elle sera disponible pour la procédure d’appel dans les cas où un recours a été formé contre le jugement de première instance. Toutefois, le jugement rendu par le tribunal de Bila Tserkva le 12 juillet 2010 ne mentionnait ni ne permettait de déduire pareilles considérations. Le tribunal y relevait au contraire la coopération dont le requérant avait fait preuve à l’égard des enquêteurs et décidait pour ce motif de lui imposer une sanction plus clémente que celle qui était prévue dans la législation applicable (paragraphe 6 ci-dessus). Par conséquent, le maintien du requérant en détention au-delà du terme de sa peine d’emprisonnement était injustifié. La Cour relève à cet égard que le Gouvernement reconnaît ce point dans ses observations (paragraphe 26 ci-dessus).

66. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la détention du requérant du 15 au 27 juillet 2010 était contraire à l’article 5 § 1 de la Convention.

b) La détention du requérant du 27 au 29 juillet 2010

67. La Cour note que le jugement rendu par le tribunal de Bila Tserkva le 12 juillet 2010 est devenu définitif le 27 juillet 2010. Les motifs qui justifiaient la détention du requérant, laquelle avait été ordonnée à titre préventif jusqu’à ce que le jugement devînt définitif, ont donc cessé d’exister à cette dernière date. De plus, cette période de détention n’était pas liée à l’exécution de la peine d’emprisonnement infligée au requérant, puisque celle-ci était déjà arrivée à son terme.

68. La Cour réaffirme qu’un certain délai dans l’exécution d’une décision de remise en liberté est compréhensible, et souvent inévitable, compte tenu des nécessités pratiques du fonctionnement des juridictions et de l’accomplissement de formalités particulières. Cependant, les autorités nationales doivent s’efforcer de réduire autant que possible ce délai (Quinn c. France, 22 mars 1995, § 42, série A no 311, Giulia Manzoni c. Italie, 1er juillet 1997, § 25 in fine, Recueil 1997-IV, K.-F. c. Allemagne, 27 novembre 1997, § 71, Recueil 1997-VII, et Mancini c. Italie, no 44955/98, § 24, CEDH 2001-IX). Les formalités administratives occasionnées par une remise en liberté ne sauraient justifier un délai supérieur à quelques heures (Nikolov c. Bulgarie, no 38884/97, § 82, 30 janvier 2003). Il appartient aux États contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs services d’application des lois puissent satisfaire à l’obligation d’éviter toute privation de liberté injustifiée (voir, par exemple, Choukhardine c. Russie, no 65734/01, § 93, 28 juin 2007, et Mokallal c. Ukraine, no 19246/10, § 44, 10 novembre 2011).

69. En l’espèce, il a fallu aux autorités nationales deux jours pour organiser la remise en liberté du requérant après que le jugement du 12 juillet 2010 fut devenu définitif et que les motifs de sa détention eurent donc cessé d’exister. Compte tenu de la place primordiale que le droit à la liberté occupe dans une société démocratique, l’État défendeur aurait dû déployer tous les moyens modernes de communication de l’information afin de réduire à son minimum le délai d’exécution de la décision de remise en liberté du requérant, comme le veut la jurisprudence en la matière (ibidem). La Cour n’est pas convaincue que les autorités ukrainiennes se soient conformées à cette exigence en l’espèce.

70. Il s’ensuit que la détention du requérant pendant cette période n’était pas justifiée au regard de l’article 5 § 1 de la Convention.

c) Conclusion

71. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut à la violation de l’article 5 § 1 de la Convention pour l’intégralité de la période de détention dont le requérant tire grief, à savoir du 15 au 29 juillet 2010.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’Article 2 § 1 du Protocole No 7

72. Invoquant l’article 2 du Protocole no 7, le requérant se plaint également d’avoir été privé de fait du droit à un double degré de juridiction dans la procédure pénale le concernant. Cette disposition est ainsi libellée :

« 1. Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.

2. Ce droit peut faire l’objet d’exceptions pour des infractions mineures telles qu’elles sont définies par la loi ou lorsque l’intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d’un recours contre son acquittement. »

A. Sur la recevabilité

73. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

74. Le requérant soutient qu’il a de fait été contraint de choisir entre l’exercice de son droit à un double degré de juridiction dans la procédure pénale le concernant, d’une part, et de sa liberté, d’autre part. En d’autres termes, s’il avait décidé de former un recours, cela aurait considérablement retardé sa remise en liberté.

75. Le Gouvernement ne formule aucun commentaire à ce sujet. Il observe que la législation nationale reconnaissait au requérant le droit de former un recours contre le jugement rendu le 12 juillet 2010, mais que l’intéressé a choisi de ne pas s’en prévaloir. Par conséquent, le Gouvernement soutient qu’il n’y a pas eu violation des droits du requérant garantis par l’article 2 du Protocole no 7.

76. La Cour note que les États contractants disposent en principe d’un large pouvoir d’appréciation pour décider des modalités d’exercice du droit prévu par l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention (Krombach c. France, no 29731/96, § 96, CEDH 2001-II).

77. Comme il ressort de la jurisprudence de la Cour, cette disposition règle pour l’essentiel des aspects institutionnels, comme l’accessibilité de la juridiction d’appel ou la portée du contrôle exercé par une telle juridiction (voir, par exemple, Pesti et Frodl c. Autriche (déc.), nos 27618/95 et 27619/95, CEDH 2000-I).

78. En ce qui concerne l’accessibilité, la Cour considère qu’il est acceptable que, dans certains pays, le justiciable désireux de saisir l’autorité de recours doive quelquefois solliciter une autorisation à cette fin. Toutefois, selon un principe bien établi dans la jurisprudence, les limitations apportées par les législations internes au droit de recours mentionné par l’article 2 du Protocole no 7 doivent, par analogie avec le droit d’accès à un tribunal consacré par l’article 6 § 1 de la Convention, poursuivre un but légitime et ne pas porter atteinte à la substance même de ce droit (Krombach, précité, § 96, Gourepka c. Ukraine, no 61406/00, § 59, 6 septembre 2005, et Galstyan c. Arménie, no 26986/03, § 125, 15 novembre 2007).

79. La Cour rappelle que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. Cela vaut en particulier pour le droit d’accès aux tribunaux, eu égard à la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24, série A no 32, et García Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 43, CEDH 2000-II). Gardant à l’esprit le principe ci-dessus, la Cour a également dit dans ses arrêts qu’un obstacle de fait pouvait enfreindre la Convention à l’égal d’un obstacle juridique (Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 26, série A no 18, et, pour un exemple récent, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 113, CEDH 2014).

80. Pour en venir au cas d’espèce, la Cour relève que la législation ukrainienne prévoyait une procédure claire pour les recours en matière pénale. La Cour recherchera si un obstacle a toutefois empêché le requérant d’exercer son droit de recours et, le cas échéant, si cet obstacle peut être réputé avoir porté atteinte à la substance même de son droit garanti par l’article 2 du Protocole no 7.

81. La Cour observe que les juridictions internes ont jugé nécessaire de maintenir le requérant en détention à titre préventif jusqu’à ce que le jugement de première instance devînt définitif, même après que la peine d’emprisonnement que ledit jugement lui avait infligée fut arrivée à son terme. En l’absence d’appel, la période en question a duré douze jours. Si le requérant avait décidé de former un recours, cela aurait différé pour une durée indéterminée le moment où le jugement serait devenu définitif.

82. Par conséquent, la Cour souscrit à l’argument du requérant selon lequel l’exercice par lui de son droit à un double degré de juridiction se serait fait au prix de sa liberté, en particulier étant donné que la durée de sa détention aurait été incertaine. La Cour juge donc que cette circonstance a porté atteinte dans le chef du requérant à la substance même du droit garanti par l’article 2 du Protocole no 7.

83. Dès lors, la Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de cette disposition.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

84. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

85. Le requérant réclame 3 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

86. Le Gouvernement conteste cette demande, qu’il estime infondée et excessive.

87. Au vu de l’ensemble des circonstances de la présente affaire, la Cour reconnaît que le requérant a subi un préjudice moral que le seul constat d’une violation ne suffit pas à réparer. Statuant en équité, elle accueille en entier la demande du requérant.

B. Frais et dépens

88. Le requérant demande également 1 330 EUR en remboursement des frais et dépens qu’il dit avoir engagés au titre de la procédure devant la Cour. Il prie celle-ci de faire virer cette somme sur le compte bancaire de son représentant.

89. Le Gouvernement conteste cette demande, qu’il estime excessive.

90. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères exposés ci-dessus, la Cour accueille en entier la demande de l’intéressé et alloue à ce dernier 1 330 EUR au titre des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

91. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 1 330 EUR (mille trois cent trente euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à virer sur le compte bancaire du représentant du requérant ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 4 juin 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Milan BlaškoMark VilligerGreffier adjoint Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Zupančič.

M.V.
M.B.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE ZUPANČIČ

(Traduction)

Dans cette affaire, le requérant s’est trouvé confronté à un « dilemme du prisonnier » au sens littéral du terme. Du fait de la nature particulière de la procédure pénale ukrainienne, tout le temps qu’il a passé en prison l’a été au titre de la « détention provisoire » (« pre-trial detention » en anglais), bien que cette détention fût de facto postérieure au procès (post-trial) et antérieure au prononcé de la peine. Finalement, la juridiction de jugement fixa la peine en y incluant tout le temps passé en détention avant le procès (détention provisoire). Par conséquent, le requérant fut libérable presque immédiatement après le prononcé de sa peine.

Le requérant se trouva alors face à un dilemme. S’il acceptait le jugement et la peine comme étant définitifs, il était libre de sortir de prison. Cependant, s’il choisissait d’exercer son droit à un double degré de juridiction garanti par la Convention, par la Constitution et par la procédure pénale, il était voué à demeurer en détention dite « provisoire ».

En d’autres termes, sous l’effet d’une bizarrerie du système, le requérant fut empêché, ou à tout le moins sérieusement dissuadé, d’exercer son droit à un double degré de juridiction tel que garanti par l’article 2 § 1 du Protocole no 7 :

Droit à un double degré de juridiction en matière pénale

« 1. Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.

(...) »

J’approuve naturellement la conclusion donnée à cette affaire, mais je propose ici d’établir une analogie avec le précepte de procédure pénale bien connu d’« interdiction de la reformatio in pejus ». Certains auteurs d’ouvrages juridiques soutiennent que ce principe, qui procure au défendeur, quand il est aussi le seul appelant, la garantie que la peine prononcée en appel ne sera pas plus lourde que celle qui a été fixée par la juridiction inférieure, est un droit de rang constitutionnel[1].

Cependant, ni la Convention ni ses Protocoles ne consacrent pareille garantie ; et nous ne croyons pas non plus que l’interdiction de la reformatio in pejus revête en soi une importance constitutionnelle.

Ce qui revêt une importance constitutionnelle, en revanche, c’est le droit du défendeur à un double degré de juridiction. Il s’agit là, d’après H.L.A. Hart, d’une norme prescriptive, tandis que l’interdiction de la reformatio in pejus constitue une règle instrumentale qui fait pendant à la norme prescriptive.

Par ailleurs, la ratio legis immédiate de l’interdiction de la reformatio in pejus est également très pragmatique. Si l’on veut que les juridictions d’appel aient accès à certains types d’affaires afin d’être en mesure d’harmoniser la jurisprudence pénale, il ne faut pas dissuader les appelants qui ont été condamnés par les instances inférieures de présenter un appel.

Néanmoins, même considérée sous cet angle réaliste, l’interdiction de la reformatio in pejus est perçue dans le cadre de la procédure pénale en droit continental comme un droit traditionnel des défendeurs qui ont été condamnés par une décision de justice non définitive ; elle accompagne de manière légitime la position procédurale qui est la leur après le procès, indépendamment de la ratio legis plus étroite énoncée plus haut. Même si tel n’est pas l’objectif premier, ces défendeurs sont donc censés bénéficier de cette garantie. Ainsi, dans leur propre intérêt, comme dans celui de l’état de droit, il faut se garder de décourager sérieusement les défendeurs au pénal de faire appel de leur condamnation.

Pourtant, c’est précisément ce qui s’est produit en l’espèce. Si le défendeur avait fait appel de sa condamnation, sa détention « provisoire » aurait été prolongée pour une durée correspondant au temps qui aurait été nécessaire à la juridiction d’appel pour se prononcer. Le requérant a donc été dissuadé de faire appel du jugement qui avait été rendu en première instance. Il y a par conséquent eu violation de son droit à un double degré de juridiction garanti par l’article 2 § 1 du Protocole no 7 (cité plus haut).

Si nous devions considérer in abstracto l’interdiction de la reformatio in pejus comme un droit procédural accompagnant le droit à un double degré de juridiction, la dissuasion inhérente à cette affaire concernant le droit du défendeur à un double degré de juridiction aurait été jugée contraire à cette même ratio legis. C’est pourquoi le cas du requérant n’est jamais parvenu jusqu’à la juridiction d’appel. Il aurait pourtant incontestablement été dans l’intérêt du requérant tout autant que dans celui de l’état de droit que la juridiction d’appel ait l’opportunité de statuer sur l’affaire.

Cependant, la Convention ne reconnaît pas encore directement l’interdiction de la reformatio in pejus comme un droit du défendeur. De plus, il n’existe aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière. Mais l’idée de ne pas dissuader les appelants s’applique même au sein du système de Strasbourg. Comme l’a noté le juge Wojtyczek au point 11 de son opinion séparée jointe à l’arrêt Janowiec et autres c. Russie ([GC], nos 55508/07 et 29520/09, CEDH 2013),

« [il] convient de noter que la présente affaire a été renvoyée en Grande Chambre à la demande des requérants. Si la Convention n’énonce pas d’interdiction de la reformatio in pejus, il y a une situation paradoxale dans la mesure où une voie de recours prévue à l’article 43 de la Convention et utilisée par des requérants en vue d’assurer la protection de droits de l’homme a finalement débouché sur un arrêt de Grande Chambre beaucoup moins favorable pour eux que l’arrêt de chambre ».

* * *

[1]1. Voir, par exemple, Herke C. et Tóth D., Theoretical and Practical Issues of the Prohibition of Reformatio in Peius in Hungary, Issue of Business and Law, volume 3 (2011), à l’adresse [www.herke.hu/tan/11litv.pdf](http://www.herke.hu/tan/11litv.pdf).


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