CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE FRANÇOIS c. FRANCE
(Requête no 26690/11)
ARRÊT
STRASBOURG
23 avril 2015
DÉFINITIF
23/07/2015
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire François c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 mars 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 26690/11) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Daniel François (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 avril 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me D. Bouthors avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Me C. Charrière-Bournazel, ancien bâtonnier du barreau de Paris, ainsi que Me J.-P. Immarigeon, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue en particulier une violation de l’article 5 § 1 de la Convention, en raison de son placement en garde à vue alors qu’il intervenait en sa qualité d’avocat pour assister une personne mineure placée en garde à vue.
4. Le 2 septembre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Dans la nuit du 31 décembre 2002 au 1er janvier 2003, le requérant, avocat au barreau de Paris, fut appelé au commissariat d’Aulnay-sous-Bois pour assister un mineur placé en garde à vue. À l’issue de l’entretien avec son client, qui déclarait avoir été victime de violences policières et qui présentait des lésions sur le visage, le requérant rédigea des observations écrites sur son papier à en-tête et demanda un examen médical de son client mineur.
6. Les versions quant au déroulement des faits qui suivirent diffèrent selon qu’il s’agit du requérant ou des policiers.
7. Le requérant indique pour sa part que, face au refus d’un fonctionnaire de police de lui délivrer une photocopie de sa note manuscrite, il aurait décidé d’en rédiger un nouvel exemplaire à la main. Puis, maintenant ses exigences de voir son client faire l’objet d’un examen médical et de se faire remettre une photocopie de sa note manuscrite, il aurait été conduit hors du commissariat par six ou sept policiers sur l’ordre d’une fonctionnaire de police, le lieutenant C.Z., officier de police judiciaire (OPJ) de permanence. Une fois dehors avec ses deux exemplaires en main, le requérant aurait décidé de revenir sur ses pas pour demander que l’une des deux notes manuscrites soit versée à la procédure. À ce moment précis, le requérant aurait été bousculé par un policier qui se serait aussitôt écrié « Rébellion ! L’avocat en garde à vue ».
8. C.Z. déclara quant à elle avoir invité le requérant à faire des observations écrites pour les annexer à la procédure et lui avoir répondu que le mineur ne serait pas conduit à l’hôpital, compte-tenu du fait qu’il était âgé de plus de seize ans et n’avait pas fait de demande en ce sens. Elle soutint que le requérant lui aurait alors intimé l’ordre de faire une photocopie de ses observations et de lui donner le dossier de la procédure, lui demandant de l’appeler « Maître » et non « Monsieur ». Après lui avoir indiqué qu’elle n’avait pas d’ordre à recevoir de lui et que la loi ne l’autorisait pas à accéder à la procédure, C.Z. aurait invité le requérant à quitter le commissariat après avoir remis ses observations écrites. Le requérant aurait argué de sa qualité d’avocat pour refuser de sortir du commissariat et C.Z. l’aurait alors attrapé par le bras : le requérant se serait alors débattu, avant de tenter de lui porter un coup de poing au visage. C.Z. et le gardien de la paix S.D. auraient alors eu beaucoup de mal à maîtriser le requérant pour le faire sortir ; puis, devant les insultes et menaces de représailles qui auraient été proférées à son encontre, C.Z. aurait décidé, en sa qualité d’OPJ, d’agir en flagrant délit, d’arrêter le requérant et de le placer en garde à vue.
A. Le placement en garde à vue du requérant
9. Le requérant fut arrêté le 1er janvier 2003 à 1 heure 20 et placé en garde à vue pour rébellion et outrage à agent de la force publique, ce qui lui fut notifié à 1 heure 45. Il fut immédiatement conduit dans une cellule, défait de ses objets, y compris de sa sacoche professionnelle, de ses lacets et soumis à une fouille à corps par le gardien de la paix F.C., assisté d’un collègue. À ce titre, il fut mis en demeure de se déshabiller intégralement, de se pencher une fois nu et de tousser. En outre, sur instruction de C.Z., le gardien de la paix J.D. effectua un contrôle d’alcoolémie qui se révéla négatif.
10. Le substitut du procureur de la République de permanence fut avisé de cette garde à vue par l’OPJ C.Z. à 1 heure 45.
11. Un OPJ du commissariat de Montreuil fut dépêché sur les lieux entre 4 heures 10 et 5 heures pour interroger le requérant. Les gardiens de la paix S.D. et J.D. furent entendus par le brigadier-chef W.S., un collègue du même commissariat que le leur, entre 4 heures et 5 heures 30.
12. Le requérant fit l’objet d’un examen médical de 9 heures 10 à 9 heures 30, lequel conclut à la compatibilité de son état de santé avec le maintien en garde à vue. Son avocat fut prévenu à 2 heures 20. Le requérant s’entretint avec ce dernier de 11 heures 05 à 11 heures 25.
13. La mainlevée de la garde à vue fut ordonnée par le substitut du procureur de la République à 14 heures 30, soit environ 13 heures après le début de la privation de liberté.
B. La plainte déposée par le lieutenant de police C.Z.
14. L’OPJ C.Z. déposa plainte pendant la garde à vue du requérant, à la fin de l’audition de ce dernier, le 1er janvier 2003 à 5 heures 10.
15. Le 14 janvier 2003, le parquet de Bobigny classa cette plainte sans suite.
16. Le 8 avril 2003, C.Z. fit citer le requérant à comparaître devant le tribunal correctionnel des chefs d’outrage et rébellion.
17. Par un jugement du 25 septembre 2003, le tribunal correctionnel de Bobigny ordonna le sursis à statuer sur la citation directe de C.Z., dans l’attente du règlement de l’instruction en cours.
18. Le 7 novembre 2007, le tribunal correctionnel prit acte du désistement de C.Z. de son action.
C. Les plaintes déposées par le requérant
19. Le 25 avril 2003, le requérant déposa plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction de Bobigny des chefs de faux et usage de faux à l’encontre de J.D., S.D. et C.Z. en visant le contenu des procès-verbaux dressés dans le cadre de la procédure dont il avait fait l’objet le 1er janvier 2003.
20. Le même jour, la Commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS) rendit un avis, après avoir auditionné le requérant et C.Z. Elle recommanda la mise en place d’un groupe de travail aux ministères de l’Intérieur et de la Justice, pour examiner les points suivants : le fait qu’une garde à vue ne soit pas systématique et que sa durée soit également soumise à des impératifs qui résultent des dispositions du code de procédure pénale ; la question de la décision de placement en garde à vue, qui ne devrait pas être prise par l’OPJ se présentant comme victime ; la modification du code de procédure pénale (CPP) pour rendre obligatoire l’examen médical d’un gardé à vue à la demande d’un avocat ; le rappel aux services de police qu’un contrôle d’alcoolémie n’est justifié que lorsqu’il semble que l’infraction ait été « commise ou causée sous l’empire d’un état alcoolique ». La CNDS souligna également la nécessité d’engager une réflexion sur l’éventuelle protection à accorder aux avocats dans l’exercice de leurs fonctions.
21. Parallèlement à l’information judiciaire, une enquête administrative fut menée par l’Inspection générale des services de la police nationale (IGS), dont les actes furent par la suite intégralement versés à la procédure judiciaire.
22. Le 8 juillet 2003, le requérant déposa une autre plainte avec constitution de partie civile à l’encontre de C.Z., du chef d’accomplissement d’acte attentatoire à la liberté individuelle, en contestant la régularité de son placement en garde à vue et du déroulement de cette mesure.
23. Les deux procédures ouvertes sur ces plaintes furent jointes le 13 octobre 2003.
24. Le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Bobigny, saisi de ces procédures, procéda à un certain nombre d’actes d’enquête d’office ou sur demande du requérant. Il convoqua l’ensemble des personnes désignées par le requérant comme témoins des faits et entendit les principaux protagonistes de l’affaire. Il organisa également des confrontations entre les intéressés, ainsi que plusieurs autres auditions de personnes présentes dans le commissariat cette nuit-là.
25. Le requérant et C.Z. maintinrent leurs positions. Cette dernière indiqua néanmoins, au cours d’une confrontation avec le requérant, que celui-ci avait également frappé le gardien de la paix S.D. avec son coude, ce qui n’avait jamais été mentionné auparavant. S.D. confirma ce propos de C.Z. ultérieurement. Par ailleurs, le gardien de la paix F.C. déclara avoir effectué la fouille à corps du requérant, avec un collègue, sur instructions de sa hiérarchie. C.Z. était alors l’officier de police judiciaire de permanence. Enfin, W.S. indiqua que le taux affiché par le premier test d’alcoolémie était de 0 mg/litre d’air expiré et que requérant n’avait pas souhaité faire un second contrôle qui s’avérait être inutile.
26. Le requérant contesta la véracité des faits relatés par le procès-verbal de placement en garde à vue et repris dans la plainte de C.Z., ainsi que les témoignages de ses collègues. Il contesta également le procès-verbal dressé à la suite du contrôle d’alcoolémie indiquant qu’il avait refusé de procéder à un second test éthylométrique et de signer ledit procès-verbal.
27. Au soutien de sa plainte déposée du chef d’accomplissement d’acte attentatoire à la liberté individuelle, il maintint que les déclarations ayant justifié son placement en garde à vue étaient mensongères. Il prétendit en outre avoir été retenu dans une cellule sans chauffage ni couverture, en présence de plusieurs autres personnes hurlant entre elles pour communiquer. Il ajouta avoir été traité sans ménagement et avec « dureté » par les officiers de police présents, sans toutefois corroborer les déclarations d’un autre gardé à vue ayant déclaré qu’il avait reçu des petites claques de la part des policiers. Il se plaignit enfin d’avoir fait l’objet d’un examen d’alcoolémie inutile, d’une fouille à corps injustifiée et d’avoir été maintenu en détention plusieurs heures après que l’ensemble des actes d’enquête eut été réalisé. Le requérant indiqua avoir déposé plainte avec constitution de partie civile « par réaction » à la citation directe délivrée contre lui par C.Z.
28. Le 10 avril 2008, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu. Il estima que les protagonistes restaient dans les grandes lignes sur leur version initiale, que les versions des faits des policiers impliqués dans les faits litigieux étaient concordantes et que l’instruction n’avait pas permis d’apporter d’élément de nature à les remettre en cause. Il releva toutefois qu’il était « maladroit que l’officier de police judiciaire ayant prononcé la mesure de garde à vue soit celui qui [s’était déclaré] victime des faits ayant motivé l’ouverture de la procédure de flagrance ».
29. Par un arrêt du 6 novembre 2008, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris confirma l’ordonnance. Elle jugea notamment que les versions des faits du lieutenant de police C.Z. et des gardiens de la paix J.D. et S.D., présents lors de l’incident, étaient circonstanciées, constantes et concordantes. Elle considéra qu’il ressortait en revanche des déclarations du requérant une « propension au dénigrement et aux affirmations sans preuve » à l’égard du comportement des policiers présents dans le commissariat cette nuit-là. Elle releva une invraisemblance du discours tenu par le requérant quant au nombre et à l’identité des policiers qui l’auraient malmené en le mettant dehors du commissariat. Elle ajouta que les témoignages sollicités par le requérant n’étaient pas crédibles et ne pouvaient se voir reconnaître une quelconque valeur probante. La chambre de l’instruction en déduisit qu’il n’y avait lieu ni de mettre en doute la version commune des faits avancée par les policiers ni de penser que le substitut du procureur de la République avait été trompé.
30. Elle ajouta que si C.Z. avait pris l’initiative d’un placement en garde à vue dans une procédure la concernant directement, elle avait ensuite fait appel à un OPJ d’un autre secteur et prévenu sa hiérarchie. La chambre de l’instruction en conclut que la mesure de la garde à vue était justifiée, compte tenu du contrôle tant hiérarchique que judiciaire dont cette décision avait fait l’objet, faute pour le requérant de rapporter la preuve contraire, précisant notamment que la fouille à corps et le contrôle d’alcoolémie étaient motivés par l’état d’agitation du requérant mentionné par les policiers et par la nuit de la Saint-Sylvestre propice aux libations.
31. Le requérant forma un pourvoi en cassation. Dans son mémoire ampliatif, il invoqua notamment la violation des articles 3, 5, 6 et 13 de la Convention.
32. Le 20 octobre 2010, la Cour de cassation rejeta son pourvoi, considérant que la chambre de l’instruction avait suffisamment motivé son arrêt.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
33. Les articles pertinents du CPP sont les suivants :
Article 62-2
« La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs.
Cette mesure doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants :
1o Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;
2o Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ;
3o Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;
4o Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;
5o Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;
6o Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit. »
Article 63
« L’officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, placer en garde à vue toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Il en informe dès le début de la garde à vue le procureur de la République.
La personne gardée à vue ne peut être retenue plus de vingt-quatre heures. Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur autorisation écrite du procureur de la République. Ce magistrat peut subordonner cette autorisation à la présentation préalable de la personne gardée à vue.
Sur instructions du procureur de la République, les personnes à l’encontre desquelles les éléments recueillis sont de nature à motiver l’exercice de poursuites sont, à l’issue de la garde à vue, soit remises en liberté, soit déférées devant ce magistrat.
Pour l’application du présent article, les ressorts des tribunaux de grande instance de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil constituent un seul et même ressort. »
Article 63-1
« Toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire, ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, des droits mentionnés aux articles 63-2, 63-3 et 63-4 ainsi que des dispositions relatives à la durée de la garde à vue prévues par l’article 63. La personne gardée à vue est également immédiatement informée qu’elle a le choix de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui seront posées ou de se taire.
Mention de cet avis est portée au procès-verbal et émargée par la personne gardée à vue ; en cas de refus d’émargement, il en est fait mention.
Les informations mentionnées au premier alinéa doivent être communiquées à la personne gardée à vue dans une langue qu’elle comprend.
Si cette personne est atteinte de surdité et qu’elle ne sait ni lire ni écrire, elle doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec des sourds. Il peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité.
Si la personne est remise en liberté à l’issue de la garde à vue sans qu’aucune décision n’ait été prise par le procureur de la République sur l’action publique, les dispositions de l’article 77-2 sont portées à sa connaissance.
Sauf en cas de circonstance insurmontable, les diligences résultant pour les enquêteurs de la communication des droits mentionnés aux articles 63-2 et 63-3 doivent intervenir au plus tard dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne a été placée en garde à vue. »
Article 63-2
« Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, faire prévenir dans le délai prévu au dernier alinéa de l’article 63-1, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l’un de ses parents en ligne directe, l’un de ses frères et sœurs ou son employeur de la mesure dont elle est l’objet.
Si l’officier de police judiciaire estime, en raison des nécessités de l’enquête, ne pas devoir faire droit à cette demande, il en réfère sans délai au procureur de la République qui décide, s’il y a lieu, d’y faire droit. »
Article 63-3
« Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, être examinée par un médecin désigné par le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire. En cas de prolongation, elle peut demander à être examinée une seconde fois.
À tout moment, le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire peut d’office désigner un médecin pour examiner la personne gardée à vue.
En l’absence de demande de la personne gardée à vue, du procureur de la République ou de l’officier de police judiciaire, un examen médical est de droit si un membre de sa famille le demande ; le médecin est désigné par le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire.
Le médecin examine sans délai la personne gardée à vue. Le certificat médical par lequel il doit notamment se prononcer sur l’aptitude au maintien en garde à vue est versé au dossier.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsqu’il est procédé à un examen médical en application de règles particulières. »
Article 63-4
« Dès le début de la garde à vue ainsi qu’à l’issue de la vingtième heure, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le bâtonnier.
Le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.
L’avocat désigné peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien. Il est informé par l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête.
À l’issue de l’entretien dont la durée ne peut excéder trente minutes, l’avocat présente, le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure.
L’avocat ne peut faire état de cet entretien auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue.
Lorsque la garde à vue fait l’objet d’une prolongation, la personne peut également demander à s’entretenir avec un avocat à l’issue de la douzième heure de cette prolongation, dans les conditions et selon les modalités prévues aux alinéas précédents.
L’entretien avec un avocat prévu au premier alinéa ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai de trente-six heures lorsque l’enquête a pour objet la participation à une association de malfaiteurs prévue par l’article 450-1 du code pénal, les infractions de proxénétisme ou d’extorsion de fonds aggravés prévues par les articles 225-7, 225-9, 312-2 à 312-5 et 312-7 du code pénal ou une infraction commise en bande organisée prévue par les articles 224-3, 225-8, 311-9, 312-6, 322-8 du code pénal.
Le procureur de la République est, dans les meilleurs délais, informé par l’officier de police judiciaire qu’il est fait application des dispositions de l’alinéa précédent.
L’entretien avec un avocat prévu au premier alinéa ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai de soixante-douze heures lorsque la garde à vue est soumise à des règles particulières de prolongation. »
Article 63-5
« Lorsqu’il est indispensable pour les nécessités de l’enquête de procéder à des investigations corporelles internes sur une personne gardée à vue, celles-ci ne peuvent être réalisées que par un médecin requis à cet effet. »
34. Les « fouilles à corps » (dites aussi fouilles intégrales) se distinguent des « investigations corporelles » régies, à l’époque des faits, par l’article 63‑5 précité du CPP. La jurisprudence distinguait alors entre les fouilles à corps que l’on peut qualifier d’enquête et celles dites de sécurité. Les premières sont traditionnellement assimilées à des perquisitions et relèvent pour l’essentiel des règles applicables à ces actes d’enquête : il doit y avoir des indices de commission ou de participation à la commission d’une infraction en lien avec la mesure d’enquête ; de même, en dehors du cas de flagrant délit ou de l’exécution d’une commission rogatoire, l’enquêteur ne peut imposer une telle fouille et doit solliciter l’autorisation de l’intéressé (Cass. crim., 21 juillet 1982, no 82-91034, Bull. crim. 1982, no 196, et Cass. crim., 5 janv. 2010, no 08-87.337).
35. Contrairement à une fouille à corps réalisée sur une personne incarcérée (voir notamment, Frérot c. France, no 70204/01, §§ 17 à 20, CEDH 2007‑VII (extraits), Khider c. France, no 39364/05, §§ 60 à 70, 9 juillet 2009, et El Shennawy c. France, no 51246/08, § 17, 20 janvier 2011), la « fouille à corps de sécurité » réalisée en garde à vue ne faisait l’objet d’aucune réglementation spéciale au moment des faits. Seule une instruction ministérielle du 11 mars 2003, postérieure aux faits de l’espèce, est venue préciser qu’une telle mesure ne saurait être systématique en garde à vue et qu’une simple « palpation de sécurité » devait en principe lui être substituée. Cependant, les fouilles à corps de sécurité ne semblaient pouvoir dépasser de simples « palpations » de sécurité par-dessus les vêtements, sous peine d’être considérées comme des « fouilles d’enquête » (Cass. crim., 27 septembre 1988, no 88-81.786).
36. La loi no 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue est venue réglementer les fouilles à corps décidées pour les nécessités de l’enquête. Celles-ci ne sont désormais possibles que si une fouille par palpation ou par utilisation de moyens électroniques ne peut être réalisée. Elles doivent être décidées par un OPJ et réalisées dans un espace fermé par une personne du sexe de la personne fouillée.
37. Les fouilles à corps de sécurité ont également été réglementées par cette loi. Le nouvel article 63-5 du CPP dispose que seules peuvent être imposées à la personne gardée à vue les mesures de sécurité nécessaires pour découvrir des objets dangereux pour l’intéressé ou autrui. Aux termes de l’article 63-6 dudit code, qui renvoie à un arrêté le soin de définir les mesures de sécurité applicables, les fouilles de sécurité ne peuvent consister en une fouille intégrale. L’article 1er de l’arrêté du 1er juin 2011 précise que « la fouille intégrale à nu complète est interdite ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
38. Le requérant soutient que son placement en garde à vue ne reposait sur aucun motif légitime et que les conditions d’exécution de cette mesure font ressortir son caractère arbitraire, ce que les juges internes n’auraient pas suffisamment examiné. Il invoque les articles 3, 5, 6 et 13 de la Convention.
39. La Cour souligne d’emblée que si le requérant invoque l’article 3 de la Convention, en évoquant le caractère humiliant de son placement en garde à vue, et que de sérieuses questions sont susceptibles de se poser à ce titre, ce grief vient principalement appuyer les allégations relatives au caractère illégal et arbitraire de sa détention au sens de l’article 5. Partant, la Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits, juge approprié d’examiner les allégations des requérants uniquement sous l’angle de l’article 5 § 1 de la Convention, lequel est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
(...) »
A. Sur la recevabilité
Sur le respect du délai de six mois
40. Le Gouvernement soulève l’irrecevabilité de la requête sur le fondement de l’article 35 § 1 de la Convention, au motif du non-respect du délai de six mois. Il fait valoir que la décision interne définitive a été rendue par la Cour de cassation le 20 octobre 2010, alors que la requête a été reçue par la Cour le 27 avril 2011.
41. La Cour rappelle que la date à prendre en considération pour le calcul du délai de six mois est celle de l’introduction ou de l’envoi de la requête devant la Cour, le cachet de la poste faisant foi, et non pas celle du cachet de réception apposé sur la requête (voir, par exemple, Kipritçi c. Turquie, no 14294/04, § 18, 3 juin 2008). Elle constate qu’en l’espèce le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention expirait le 21 avril 2011. Or, le cachet de la poste indique que la requête a été expédiée le 20 avril 2011.
42. En conséquence, la Cour estime que la requête a été présentée dans le respect du délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention et qu’il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Gouvernement à ce titre.
43. La Cour relève par ailleurs que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève également qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Les arguments des parties
a) Le requérant
44. Le requérant considère que son placement en garde à vue ne reposait sur aucun motif légitime et que les conditions d’exécution de cette mesure font également ressortir son caractère arbitraire, ce que les juridictions internes n’ont pas suffisamment examiné. Il estime que son maintien en détention n’était ni nécessaire ni proportionné, tout en soulignant avoir été placé en garde à vue alors qu’il s’efforçait de faire respecter les droits de la défense de son client. Il dénonce également l’absence de justification de la fouille à corps et du test d’alcoolémie qui lui ont été imposés. Relevant qu’il a été placé en garde à vue à 1 h 20 pour n’être finalement libéré qu’à 14 h 25, alors que tous les actes d’enquête avaient été réalisés à 5 h 30, il en conclut que le maintien de sa privation de liberté n’était justifié par aucune raison objective.
b) Le Gouvernement
45. Le Gouvernement soutient que les allégations du requérant ne sont pas établies et que la mesure de garde à vue était régulière, justifiée et proportionnée. Il concède toutefois l’existence d’un « conflit d’intérêts », la mesure de garde à vue ayant été décidée par le fonctionnaire de police qui s’estimait outragé. Il considère pour autant que cela ne saurait priver la mesure de privation de liberté de fondement légal.
46. Il prétend en outre que la mesure de garde à vue est obligatoire dès lors qu’un officier de police use de contrainte. Il ajoute que la mesure a été validée par le magistrat du parquet qui en a été informé. Il souligne qu’après le placement du requérant en garde à vue, il a été fait appel, pour la suite des investigations, à un OPJ d’un autre secteur qui n’avait pas assisté aux faits incriminés. Enfin, il indique que la mesure a été réalisée conformément au CPP et que sa durée n’était pas disproportionnée, compte-tenu notamment de l’arrivée tardive du conseil du requérant.
2. L’appréciation de la Cour
a) Principes généraux
47. La Cour rappelle que l’article 5 de la Convention consacre un droit fondamental, la protection de l’individu contre les atteintes arbitraires de l’État à sa liberté. En proclamant le « droit à la liberté », l’article 5 § 1 ne concerne pas les simples restrictions à la liberté de circuler, lesquelles relèvent de l’article 2 du Protocole no 4, mais vise la liberté physique de la personne ; il a pour but d’assurer que nul n’en soit dépouillé de manière arbitraire. Par ailleurs, les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 contiennent une liste exhaustive des motifs pour lesquels une personne peut être privée de sa liberté ; pareille mesure n’est pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs (parmi beaucoup d’autres arrêts, voir Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33, Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 58, série A no 22, Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 92, série A no 39, Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, §§ 76-78, CEDH 2010, et Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 84, 23 février 2012).
48. La Cour rappelle ensuite qu’en vertu de l’article 5 § 1 de la Convention, toute privation de liberté doit être « régulière », ce qui implique qu’elle doit être effectuée selon les « voies légales ». Sur ce point, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et énonce l’obligation d’en respecter les dispositions de fond et de procédure (Medvedyev et autres, précité, § 79). S’il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, il en est autrement s’agissant d’affaires dans lesquelles, au regard de l’article 5 § 1, l’inobservation du droit interne emporte violation de la Convention. En pareil cas, la Cour peut et doit exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne a bien été respecté (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 56, CEDH 2000-III). La Cour souligne à ce sujet que lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel qu’en cette matière le droit interne définisse clairement les conditions de détention et que la loi soit prévisible dans son application (parmi d’autres arrêts, voir Steel et autres c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 54, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII, et Zervudacki c. France, no 73947/01, § 43, 27 juillet 2006).
49. Toutefois, la « régularité » de la détention au regard du droit interne est un élément essentiel mais non décisif. Le respect du droit national n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire. Il existe un principe fondamental selon lequel nulle détention arbitraire ne peut être compatible avec l’article 5 § 1, et la notion d’« arbitraire » que contient l’article 5 § 1 va au-delà du défaut de conformité avec le droit national, de sorte qu’une privation de liberté peut être régulière selon la législation interne tout en étant arbitraire et donc contraire à la Convention (voir, parmi d’autres, Bozano c. France, 18 décembre 1986, § 54, série A no 111, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996-III, Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 461, CEDH 2004-VII, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 171, CEDH 2004-II, McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, § 30, CEDH 2006-X, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 76, 9 juillet 2009, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 66, CEDH 2008, Medvedyev et autres, précité, § 79, et Creangă, précité, § 84).
50. Cela implique en premier lieu que les motifs de la privation de liberté soient conformes aux buts de l’article 5 § 1 de la Convention. Ce qui n’est pas le cas lorsque la décision de placement en détention n’avait pas pour but d’accorder au requérant les garanties prévues par l’article 5 § 1 c) (Lutsenko c. Ukraine, no 6492/11, §§ 109-110, 3 juillet 2012, et Tymoshenko c. Ukraine, no 49872/11, §§ 300-301, 30 avril 2013) ou qu’elle n’était pas nécessaire au vu des circonstances (Nešťák c. Slovaquie, no 65559/01, § 74, 27 février 2007, et Lutsenko, précité, § 62).
51. La Cour souligne enfin l’importance et la protection particulière que la Convention accorde à l’avocat intervenant dans l’exercice de ses fonctions. La Cour rappelle régulièrement que les avocats occupent une position centrale dans l’administration de la justice en leur qualité d’intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux ; c’est d’ailleurs à ce titre qu’ils jouent un rôle clé pour assurer la confiance du public dans l’action des tribunaux, dont la mission est fondamentale dans une démocratie et un État de droit (voir parmi d’autres, Schöpfer c. Suisse, no 25405/94, 20 mai 1998, §§ 29-30, Recueil 1998-III, Nikula c. Finlande, no 31611/96, § 45, CEDH 2002-II, Amihalachioaie c. Moldova, no 60115/00, § 27, CEDH 2004-III, Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 173, CEDH 2005 XIII, André et autre c. France, no 18603/03, § 42, CEDH 2008, et Michaud c. France, no 12323/11, § 118, CEDH 2012).
b) Application de ces principes au cas d’espèce
52. La Cour rappelle que la question qui lui est posée est celle de savoir si la privation de liberté du requérant a été effectuée régulièrement et de manière non arbitraire, conformément aux exigences de l’article 5 § 1 de la Convention et, plus spécialement au regard de l’article 5 § 1 c), si elle était justifiée en vue de la conduite du requérant devant une autorité judiciaire compétente, compte tenu du fait qu’il était soupçonné d’avoir commis des infractions. Il lui appartient donc d’apprécier à ce titre si le placement en garde à vue était, dans les circonstances de l’affaire, nécessaire et proportionné.
53. La Cour estime qu’il ne saurait être fait abstraction du contexte dans lequel se sont produits les faits ayant entraîné le placement et le maintien en garde à vue du requérant durant près de treize heures. Elle relève à ce titre que la présence du requérant au commissariat d’Aulnay-sous-Bois était initialement due à son intervention, en sa qualité d’avocat, pour assister une personne mineure placée en garde à vue (paragraphe 5 ci-dessus). Nonobstant les versions contradictoires quant au déroulement des faits litigieux (paragraphe 6 ci-dessus), il n’est pas contesté que l’altercation entre l’OPJ C.Z. et le requérant avait pour origine un différend sur les observations écrites que ce dernier voulait verser au dossier pour demander un examen médical de son client mineur, ce dernier déclarant avoir été victime de violences policières et présentant des lésions sur le visage (paragraphe 5 ci-dessus). Elle s’inscrivait donc directement dans le cadre de l’intervention de ce dernier au poste de police en sa qualité d’avocat (paragraphes 5-8 ci-dessus).
54. Or, la Cour constate que c’est dans ce contexte que C.Z., qui s’estimait victime du comportement du requérant, a elle-même décidé de placer le requérant en garde à vue. C’est également elle qui a, dans un premier temps, supervisé le déroulement de cette mesure en sa qualité d’OPJ de permanence. La Cour observe en particulier que si C.Z. a ensuite fait appel à un collègue d’un autre secteur et prévenu sa hiérarchie, ce n’est qu’après l’exécution de la décision d’effectuer une fouille à corps intégrale du requérant et de le soumettre à un test d’alcoolémie, et ce immédiatement après la notification du placement en garde à vue (paragraphes 9 et 25 ci‑dessus). La Cour attache ainsi de l’importance au cumul de deux circonstances en l’espèce : d’une part, le requérant intervenait au commissariat en sa qualité d’avocat pour l’assistance d’un mineur gardé à vue, qu’il estimait avoir subi des violences policières et, d’autre part, l’OPJ de permanence qui se déclarait personnellement victime du comportement du requérant a elle-même décidé de placer le requérant en garde à vue et de lui imposer en outre immédiatement non pas de simples palpations de sécurité, mais au contraire une fouille intégrale, ainsi qu’un contrôle d’alcoolémie non justifié par des éléments objectifs.
55. La Cour constate à ce titre qu’il n’existait pas à l’époque des faits de règlementation autorisant une telle fouille allant au-delà de simples « palpations de sécurité » (paragraphes 34-38 ci-dessus). De même, compte tenu de ce contexte, en particulier de l’implication personnelle de C.Z., la nécessité d’un contrôle d’alcoolémie, alors que le requérant venait d’effectuer une mission d’assistance à un client dans le commissariat, inspire de sérieux doutes à la Cour en l’absence d’éléments objectifs susceptibles d’évoquer la commission d’une infraction commise ou causée sous l’empire d’un état alcoolique. En effet, ni la tension consécutive à l’altercation entre le requérant et C.Z. ni le fait que les évènements se soient déroulés durant la nuit de la Saint-Sylvestre qui serait selon la cour d’appel « propice aux libations » (paragraphe 30 ci-dessus) ne permettent d’établir l’existence de tels indices, et ce indépendamment du résultat négatif du test d’alcoolémie.
56. Ainsi, de l’avis de la Cour, dans les circonstances particulières de l’espèce, le fait de placer le requérant en garde à vue et de le soumettre à de telles mesures excédait les impératifs de sécurité et établissait au contraire une intention étrangère à la finalité d’une garde à vue (paragraphe 33 ci‑dessus).
57. La Cour relève à ce sujet que tant le juge d’instruction (paragraphe 28 ci-dessus) que la CNDS (paragraphe 20 ci-dessus) ont émis des réserves sur le fait qu’une décision de placement soit prise par l’OPJ se présentant comme victime. Elle note en outre que la CNDS a par ailleurs expressément recommandé d’examiner les circonstances soulevant des difficultés dans la présente affaire, en vue notamment non seulement de rappeler aux services de police qu’un contrôle d’alcoolémie n’est justifié que lorsqu’il semble que l’infraction ait été « commise ou causée sous l’empire d’un état alcoolique », mais également de modifier le code de procédure pénale pour rendre obligatoire l’examen médical d’un gardé à vue à la demande d’un avocat et de mener une réflexion sur l’éventuelle protection à accorder aux avocats dans l’exercice de leurs fonctions. Enfin, elle constate que le recours à la fouille à corps est désormais encadré, depuis la loi no 2011-392 du 14 avril 2011 (paragraphes 38-40 ci-dessus).
58. La Cour considère que, dans les circonstances particulières de l’espèce, le placement en garde à vue du requérant n’était ni justifié ni proportionné et que la privation de liberté subie par le requérant n’était pas conforme aux buts de l’article 5 § 1, et plus spécialement de l’article 5 § 1 c), de la Convention.
59. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
60. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
61. Le requérant demande la somme de 30 000 euros (EUR) en réparation de son préjudice moral. Il soutient avoir subi un préjudice important compte-tenu de retentissement que son affaire a eu dans la presse et de la longueur de la procédure judiciaire.
62. Le Gouvernement conteste le bien-fondé de la demande d’indemnisation faite au titre du préjudice moral et considère en tout état de cause qu’un constat de violation suffirait à réparer le préjudice éventuellement subi par le requérant.
63. La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain et, statuant en équité comme le veut l’article 41, lui accorde à ce titre la somme de 15 000 EUR.
64. Le requérant indique que sa défense devant les juridictions internes et la Cour a été assuré de manière gracieuse par ses confrères et ne présente en conséquence aucune demande au titre de frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Il n’y a donc pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette les demandes de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 avril 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident