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05/03/2015 | CEDH | N°001-152592

CEDH | CEDH, AFFAIRE TSITSIRIGGOS c. GRÈCE (N° 2), 2015, 001-152592


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE TSITSIRIGGOS c. GRÈCE (No 2)

(Requête no 18230/09)

ARRÊT

STRASBOURG

5 mars 2015

DÉFINITIF

05/06/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Tsitsiriggos c. Grèce (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque

,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE TSITSIRIGGOS c. GRÈCE (No 2)

(Requête no 18230/09)

ARRÊT

STRASBOURG

5 mars 2015

DÉFINITIF

05/06/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Tsitsiriggos c. Grèce (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 février 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 18230/09) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Dimitrios Tsitsiriggos (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 février 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me H. Mylonas, avocat au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. I. Bakopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat et M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique de l’État.

3. Le requérant allègue en particulier une violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

4. Le 9 mai 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1958 et réside au Pirée. Il fut mis en détention provisoire le 4 février 2008, date de son arrestation, en vertu de six décisions différentes de la chambre du conseil du tribunal correctionnel d’Athènes. Le 6 février 2008, les autorités de la prison de Korydallos rédigèrent six rapports de mise en détention. Le 11 février 2008, deux mandats d’arrêt supplémentaires furent délivrés à son encontre par les juges d’instruction du tribunal correctionnel d’Athènes. Le 14 février 2008, deux nouveaux rapports furent rédigés par les autorités de la prison. Toutes ces décisions concernaient différents aspects d’une même affaire. En particulier, le requérant était accusé, conjointement avec V.T., d’avoir constitué un fonds d’investissement frauduleux et détourné plusieurs millions d’euros d’investisseurs en leur faisant croire à une meilleure rentabilité de leurs placements.

6. En février et mars 2008, sept des huit mises en détention furent remplacées par des mises en liberté sous condition. Le requérant fut maintenu en détention en vertu d’un seul mandat, celui délivré le 11 février 2008 par le juge d’instruction près le tribunal correctionnel d’Athènes (no 1157/2008).

7. Le 27 juin 2008, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes renvoya le requérant en jugement, avec dix-sept autres accusés, et maintint en vigueur le mandat précité. Par une nouvelle décision no 1495/2008 du 12 août 2008, la chambre d’accusation prolongea la détention provisoire du requérant jusqu’au 4 février 2009.

8. Le 23 septembre 2008, le requérant déposa une demande d’élargissement ou de mise en liberté sous condition. Il sollicita sa comparution personnelle devant la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes afin d’étayer sa demande de remise en liberté.

9. Le 27 novembre 2008, après avoir entendu le procureur qui avait développé devant la chambre d’accusation de la cour d’appel sa proposition écrite, ladite juridiction rejeta sa demande. En premier lieu, la chambre d’accusation ne fit pas droit à la demande de comparution en personne du requérant au motif que cela n’était pas prévu par la législation pertinente.

10. En second lieu, s’agissant du fond de sa demande, la chambre d’accusation la rejeta à la majorité. Elle admit que l’article 288 § 2 du code de procédure pénale ne trouvait pas application en l’espèce. La chambre d’accusation rappela que le requérant avait été accusé conjointement avec V.T. d’avoir créé un fonds d’investissement frauduleux et d’avoir détourné des sommes très importantes. Elle nota que les chefs d’accusation contre le requérant résultèrent de l’examen parallèle par le bureau du procureur de plusieurs dossiers ouverts contre lui concernant la même affaire de fraude. Elle considéra que sa nouvelle mise en détention provisoire était relative à des activités frauduleuses au dépens de centaines de personnes qui n’étaient pas incluses dans le dossier au stade initial de la procédure pénale engagée contre le requérant. La chambre d’accusation prit en plus en compte la complexité de l’affaire impliquant des centaines de personnes. Elle considéra qu’il était tout à fait normal que de nouveaux éléments aient surgi à un stade ultérieur de la procédure. Enfin, elle constata que le requérant avait dans le passé fui son arrestation et qu’en cas d’élargissement il était probable qu’il commette de nouvelles infractions. Elle conclut qu’il existait des raisons pour ne pas mettre fin à sa détention provisoire ou la substituer par des mesures plus souples (décision no 2241/2008).

11. Le 26 novembre 2008, le requérant avait déposé une nouvelle demande de mise en liberté conditionnelle. Il réitéra ses allégations sur l’application de l’article 288 § 2 du code de procédure pénale et demanda aussi sa comparution personnelle devant la chambre d’accusation.

12. Le 3 février 2009, après avoir entendu le procureur qui avait développé devant la chambre d’accusation de la cour d’appel sa proposition écrite, ladite juridiction rejeta le recours. En ce qui concerne la demande de comparution personnelle du requérant, elle admit que, selon la législation interne, cette possibilité n’était pas prévue pour la procédure devant la chambre d’accusation relative à la demande d’élargissement de l’accusé. De plus, ladite juridiction déclara que l’absence de comparution personnelle de l’accusé était conforme aux articles 5 § 4 et 6 § 1 de la Convention. Elle releva qu’aucune question ne se posait quant à l’égalité des armes, puisque le procureur, en sa qualité d’autorité judiciaire, ne pouvait pas être considéré comme un adversaire de l’accusé. Quant au fond, la chambre d’accusation confirma ses considérations dans sa décision no 2241/2008 et conclut que l’article 288 § 2 ne trouvait pas application en l’espèce (décision no 119/2009).

13. Le 21 mai 2009, invoquant des problèmes de santé, le requérant soumit auprès de la cour d’assises d’Athènes une demande de remplacement de sa détention provisoire par des mesures plus souples. Le même jour, ladite juridiction fit droit à cette demande ; le requérant fut élargi sous caution d’un montant de 100 000 euros et sous la condition de se présenter à intervalles réguliers au commissariat de police près de son domicile.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

14. L’article 6 § 4 de la Constitution de 1975 dispose :

« La loi fixe la durée maximale de la détention provisoire, qui ne doit pas excéder un an pour les crimes et six mois pour les délits. Dans des cas tout à fait exceptionnels, ces durées maximales peuvent être prolongées de six et trois mois respectivement par décision de la chambre d’accusation compétente. »

15. Les articles pertinents du Code de procédure pénale se lisent comme suit :

Article 282 – Détention provisoire et mesures préventives

« 1. Pendant la durée de l’instruction et s’il existe des indices sérieux de culpabilité de l’accusé pour un crime ou un délit punissable d’une peine d’emprisonnement d’au moins trois mois, il est possible d’ordonner des mesures préventives, si cela est jugé absolument nécessaire pour atteindre les buts mentionnés à l’article 296.

2. Les mesures préventives consistent en le versement d’une garantie, l’obligation de l’accusé de se présenter périodiquement devant le juge d’instruction ou devant une autre autorité, l’interdiction de se rendre ou d’habiter à un endroit particulier ou à l’étranger, l’interdiction de côtoyer ou de rencontrer certaines personnes.

3. La détention provisoire peut être imposée à la place des mesures préventives (...) seulement lorsque l’accusé est poursuivi pour un crime et n’a pas de domicile connu dans le pays ou a pris des dispositions pour faciliter sa fuite (...) ou lorsqu’il a été jugé avec des motifs que s’il est libéré il est probable (...) qu’il commette de nouvelles infractions. La seule gravité de l’acte selon la loi ne suffit pas pour imposer la détention provisoire (...). »

Article 286 – Levée ou remplacement de la détention provisoire et des mesures préventives

« 1. Si, pendant l’instruction, il s’avère qu’il n’existe plus des raisons justifiant la détention provisoire ou les mesures préventives, le juge d’instruction peut, soit d’office soit sur proposition du procureur, lever ces mesures ou inviter la chambre d’accusation à les lever. Contre cette décision, l’accusé peut saisir la chambre d’accusation de la cour d’appel.

2. Celui qui est détenu provisoirement ou sur lequel ont été imposées des mesures préventives peut saisir le juge d’instruction afin de faire lever ces mesures ou de faire remplacer la détention provisoire par des mesures préventives. (...) L’intéressé peut saisir la chambre d’accusation d’un recours contre la décision du juge d’instruction dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la décision. »

Article 287
Durée de la détention provisoire

« 1. Si la détention provisoire dure six mois en cas de crime, ou trois mois en cas de délit, la chambre d’accusation décide, par un arrêt définitif et motivé, si l’accusé doit être maintenu en détention ou libéré. Pour cela :

a) Si l’instruction se poursuit, le juge d’instruction doit notifier, dans les cinq jours avant l’échéance des délais susmentionnés et dans un rapport motivé, au procureur général près la cour d’appel les raisons pour lesquelles l’instruction n’a pas pris fin et transmettre le dossier au procureur près le tribunal de grande instance qui le communique dans un délai de dix jours à la chambre d’accusation. Cinq jours au moins avant la délibération de celle-ci, l’accusé en est informé par tout moyen (document, télégramme, telefax) et il peut exposer ses arguments par des observations qui sont transmises immédiatement à la chambre d’accusation par la direction de la prison. La chambre d’accusation peut convoquer, par les mêmes moyens, l’accusé à comparaître et développer oralement ses arguments, soit personnellement soit par l’intermédiaire de son avocat (...). La chambre d’accusation se prononce après avoir entendu le procureur. Si l’instruction est menée par un juge de la cour d’appel en vertu de l’article 29, la chambre d’accusation de la cour d’appel est compétente pour se prononcer.

b) Après la fin de l’instruction et dans les cinq jours précédant l’échéance du délai susmentionné, le procureur près le tribunal devant lequel l’affaire doit être jugée ou le procureur près la cour d’appel (...) doit transmettre à la chambre d’accusation compétente, selon le paragraphe suivant, le dossier avec une proposition motivée. Pour le restant, l’alinéa a) demeure applicable.

2. Dans tous les cas et jusqu’à l’adoption de la décision définitive, la durée maximale de la détention provisoire pour une même infraction ne peut dépasser un an. En cas de circonstances exceptionnelles, la détention provisoire peut être prolongée de six mois maximum par une décision spécialement motivée :

a) de la chambre d’accusation de la cour d’appel (...)

b) de la chambre d’accusation du tribunal de grande instance (...)

Si l’instruction est pendante devant le juge d’instruction et la détention provisoire se poursuit en vertu du premier paragraphe, le juge d’instruction doit, trente jours avant l’échéance du délai maximal de celle-ci, conformément à ce paragraphe, transmettre le dossier au procureur qui le communique dans un délai de quinze jours, et avec une proposition motivée, à la chambre d’accusation. Dans tous les autres cas, le procureur compétent doit, vingt-cinq jours au moins avant l’échéance du délai maximal de la détention provisoire, conformément à ce paragraphe ou avant la fin d’une prolongation déjà ordonnée, soumettre à la chambre d’accusation compétente une proposition de maintien ou de levée de la détention. Pour le surplus, les dispositions du paragraphe précédent relatives à l’audition de l’accusé ainsi qu’à celle du procureur s’appliquent. L’accusé et le procureur peuvent se pourvoir contre les décisions mentionnées dans ce paragraphe.

(...)

5. Tout doute ou objection quant à la prolongation ou la limite maximale de la détention provisoire est résolu par la chambre d’accusation mentionnée au paragraphe 2. Les dispositions du paragraphe 1 a) relatives à la comparution de l’accusé et du procureur s’appliquent aussi dans ce cas. »

Article 288

« (...)

2. Suite à la mise en détention provisoire de l’accusé et jusqu’au prononcé d’un jugement définitif, une nouvelle mise en détention provisoire n’est pas permise pour un acte qui, selon les éléments du dossier, aurait pu entraîner l’engagement des poursuites pénales (...) concomitamment avec les poursuites pénales ayant justifié sa mise en détention provisoire ou dans un délai raisonnable après celles-ci (...) »

Article 309

Procédure devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel
après la clôture de l’instruction

« 1. La chambre d’accusation peut: a) décider de ne pas maintenir l’accusation; b) arrêter définitivement la poursuite pénale; c) suspendre la poursuite pénale mais seulement pour les crimes d’homicide volontaire, de vol avec violence, d’exaction, de vol (...) et d’incendie volontaire; d) ordonner un complément d’instruction et e) renvoyer l’accusé en jugement devant le tribunal compétent.

2. La chambre saisie de la demande de l’une des parties doit ordonner la comparution de celles-ci afin qu’elles fournissent, en présence du procureur, toute précision. Elle peut de surcroît autoriser les conseils à présenter oralement des observations relatives à l’affaire. La chambre peut aussi ordonner d’office les actes susmentionnés. Elle ne peut rejeter une demande de comparution que pour des motifs précis qui doivent être expressément mentionnés dans son arrêt. Lorsqu’elle ordonne la comparution de l’une des parties, la chambre est tenue de convoquer et d’entendre aussi l’autre (...) »

16. À l’époque des faits, cette disposition s’appliquait par analogie devant la chambre d’accusation de la cour d’appel (article 316 § 2 du code de procédure pénale). Le droit de comparution personnelle des parties devant la chambre d’accusation, consacré par l’article 309 § 2 du code de procédure pénale, était limité seulement aux cas dans lesquels celle-ci se prononce quant au fond de l’accusation. Selon la jurisprudence, la demande d’un accusé de comparaître personnellement, lors de l’examen de sa requête tendant à la levée de la détention provisoire ou son replacement par la mise en liberté sous condition, était irrecevable.

17. Suite à sa modification par l’article 32 § 1 de la loi no 4055/2012, le paragraphe 2 de l’article 309 du Code de procédure pénale se lit ainsi :

« La chambre délibère sans la présence du procureur ou des parties. Dans des cas exceptionnels, et si cela est considéré nécessaire, elle peut ordonner la présence des parties, et dans ce cas le procureur est aussi convoqué. Si après la clôture de l’instruction et le dépôt de tous les documents au procureur, d’autres éléments de preuve ont été soumis par une partie auprès de la chambre, celle-ci doit, si elle estime qu’ils exercent une influence prépondérante à l’issue de l’affaire, convoquer toutes les autres parties ou leurs représentants pour s’informer et déposer leurs observations dans le délai fixé. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 1 ET 3 DE LA CONVENTION

18. Le requérant allègue que la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes a rejeté par ses décisions nos 2241/2008 et 119/2009 sa demande d’application de l’article 288 § 2 du code de procédure pénale et, en conséquence, sa demande d’élargissement. Il se plaint aussi de l’insuffisance de motivation des décisions précitées et du fait que ladite juridiction n’aurait pas examiné sa demande de substituer sa mise en détention provisoire par des mesures moins restrictives. Il invoque l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(...)

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

Sur la recevabilité

19. Le Gouvernement allègue qu’en ce qui concerne le grief tiré l’article 5 § 1 de la Convention, la présente requête est essentiellement la même que la requête no 29747/09, déjà examinée par la Cour dans son arrêt publié le 17 janvier 2012. Il note que toutes les deux requêtes ont été introduites par le même requérant et concernent sa mise en détention provisoire en vertu de la décision no 1157/2008 délivrée par le juge d’instruction le 11 février 2008.

20. Le requérant objecte que les deux requêtes ne sont pas identiques. Il affirme que la requête no 29747/09 et l’arrêt publié par la Cour le 17 janvier 2012 concernent la période de détention du 4 février au 6 avril 2009 et la décision no 429/2009 de la chambre d’accusation de la cour d’appel. Quant à la présente requête, elle ne concerne que les décisions nos 2241/2008 et 119/2009 de la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes.

21. La Cour constate, tout d’abord, qu’en l’espèce, les griefs tirés de l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention ne concernent que les décisions nos 2241/2008 et 119/2009 tandis que la requête no 29747/09 ne portait que sur la décision no 429/2009 de la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes. En tout état de cause, la Cour n’estime pas nécessaire de se pencher de manière plus approfondie sur l’objection précitée du Gouvernement, puisque les griefs en cause sont irrecevables comme manifestement mal fondés pour les raisons citées ci-dessous.

22. En ce qui concerne l’article 5 § 1 de la Convention, la Cour rappelle que les termes « régulièrement » et « selon les voies légales » qui figurent à l’article 5 § 1 de la Convention renvoient pour l’essentiel à la législation nationale et consacrent l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. La Convention exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi beaucoup d’autres, Douiyeb c. Pays-Bas [GC], nº 31464/96, 4 août 1999 ; Mohd c. Grèce, no 11919/03, 27 avril 2006). Quant à l’article 5 § 3 de la Convention, il exige que la détention provisoire avant jugement ne dépasse pas un délai raisonnable et que les autorités judiciaires compétentes examinent de manière régulière la persistance de raisons « pertinentes » et « suffisantes » qui légitimeraient la privation de liberté (voir Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII).

23. En l’occurrence, la Cour note d’emblée que sous l’angle de l’article 5 §§ 1 et 3, le requérant soulève en substance le même grief, à savoir le rejet de sa demande d’élargissement ou de la substitution de la détention provisoire par des mesures moins restrictives. Or la Cour constate que les décisions nos 2241/2008 et 119/2009 étaient suffisamment motivées, exposant les raisons pour lesquelles la détention provisoire du requérant avait été ordonnée sur la base d’éléments qui ne faisaient pas partie du dossier initial de l’affaire. En particulier, la Cour relève que la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes a examiné la question de la substitution de la mise en détention mais, après s’être référée à la probabilité de fuite du requérant et de la commission de nouvelles infractions, elle a considéré que la mesure imposée était toujours justifiée. Dans ces conditions, il ne saurait être reproché aux autorités internes d’avoir conclu que l’article 288 § 2 du code de procédure pénale ne trouvait pas application en l’espèce et que la détention provisoire du requérant était légale.

24. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que cette partie de la requête doit être rejetée comme manifestement mal fondée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

25. Le requérant se plaint d’une violation du principe de l’égalité des armes devant la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes, lors de l’examen de sa mise en détention provisoire, qui résulterait du refus qu’il a essuyé de comparaître en personne devant cette juridiction, sur la base des décisions nos 2241/2008 et 119/2009, alors que le procureur, lui, avait été entendu. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention aux termes duquel :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

26. La Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

27. Le Gouvernement relève que le requérant avait déjà eu l’occasion d’exposer ses griefs sur la légalité de sa détention provisoire lors des procédures précédentes déjà examinées par la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes. De l’avis du Gouvernement, le requérant avait ainsi suffisamment exposé ses arguments selon lesquels il devait être élargi.

28. Le requérant se prévaut notamment de l’arrêt de la Cour dans l’affaire Kampanis c. Grèce (du 13 juillet 1995, série A no 318–B) ainsi que de la jurisprudence en la matière concernant la Grèce suite à cet arrêt pour conclure qu’il y avait en l’espèce violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

29. La Cour relève qu’à l’époque des faits le droit de comparution personnelle des parties devant la chambre d’accusation, consacré par l’article 309 § 2 du code de procédure pénale, était limité seulement aux cas dans lesquels celle-ci se prononçait quant au fond de l’accusation (voir paragraphe 16 ci-dessus). Selon la jurisprudence, la demande d’un accusé de comparaître personnellement, lors de l’examen de sa requête tendant à la levée de la détention provisoire ou au replacement de celle-ci par la mise en liberté sous condition, était irrecevable. En outre, la Cour note qu’il ressort des décisions nos 2241/2008 et 119/2009 de la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes que le procureur a développé oralement devant elle sa proposition écrite, le requérant n’étant ni présent ni représenté par son avocat.

30. La Cour rappelle que dans l’arrêt Kampanis, elle a estimé que « l’égalité des armes imposait d’accorder au requérant la possibilité de comparaître en même temps que le procureur afin de pouvoir répliquer à ses conclusions ». Elle a conclu que « faute d’offrir à l’intéressé une participation adéquate à une instance dont l’issue était déterminante pour le maintien ou la levée de sa détention, le système juridique grec en vigueur à l’époque et tel qu’il a été appliqué dans la présente affaire ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 5 § 4 » (Kampanis, précité, § 58). La Cour estime que cette jurisprudence, confirmée dans les arrêts Kotsaridis c. Grèce (no 71498/01, 23 septembre 2004), Serifis c. Grèce (no 27695/03, 2 novembre 2006), Giosakis c. Grèce (no 1) (no 42778/05,12 février 2009) et Giosakis c. Grèce (no 2) (no 36205/06,12 février 2009) s’applique aussi dans le cas d’espèce. Par conséquent, en rejetant la demande de comparution du requérant, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes a privé celui-ci de la possibilité de combattre de manière appropriée les motifs invoqués pour justifier son maintien en détention.

Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 en l’espèce.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

31. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

32. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

33. Le Gouvernement considère que cette somme est excessive et qu’un constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante. En tout état de cause, le Gouvernement affirme que le montant alloué à titre de satisfaction équitable ne saurait dépasser 1 000 EUR.

34. La Cour considère que le requérant a subi un dommage moral en raison de la violation de l’article 5 § 4 de la Convention ; elle estime qu’il y a lieu de lui octroyer 3 300 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

B. Frais et dépens

35. Le requérant demande, facture à l’appui, 3 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

36. Le Gouvernement estime que la somme demandée est excessive.

37. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, et compte tenu du document en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme sollicitée, à savoir de 3 000 EUR à titre de frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d’impôt sur cette somme.

C. Intérêts moratoires

38. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 4 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 3 300 EUR (trois mille trois cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;

ii. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 mars 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-152592
Date de la décision : 05/03/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Garanties procédurales du contrôle)

Parties
Demandeurs : TSITSIRIGGOS
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MYLONAS H.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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