La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/01/2015 | CEDH | N°001-148660

CEDH | CEDH, AFFAIRE MESUT YURTSEVER ET AUTRES c. TURQUIE, 2015, 001-148660


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MESUT YURTSEVER ET AUTRES c. TURQUIE

(Requêtes nos 14946/08, 21030/08, 24309/08, 24505/08, 26964/08, 26966/08, 27088/08, 27090//08, 27092/08, 38752/08, 38778/08 et 38807/08)

ARRÊT

STRASBOURG

20 janvier 2015

DÉFINITIF

20/04/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Mesut Yurtsever et autres c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une cha

mbre composée de :

Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Egidijus Kūris,
Robert Spano, ...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MESUT YURTSEVER ET AUTRES c. TURQUIE

(Requêtes nos 14946/08, 21030/08, 24309/08, 24505/08, 26964/08, 26966/08, 27088/08, 27090//08, 27092/08, 38752/08, 38778/08 et 38807/08)

ARRÊT

STRASBOURG

20 janvier 2015

DÉFINITIF

20/04/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mesut Yurtsever et autres c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Egidijus Kūris,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 novembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent douze requêtes (nos 14946/08, 21030/08, 24309/08, 24505/08, 26964/08, 26966/08, 27088/08, 27090/08, 27092/08, 38752/08, 38778/08 et 38807/08) dirigées contre la République de Turquie et dont treize ressortissants de cet État, MM. Mesut Yurtsever, Canar Yurtsever, Aydın Şaka, Ergin Atabey, Habip Çiftçi, Mahmut Cengiz, Mehmet Ergezen, İsmail Cengiz Oğurtan, Fevzi Abo, Abdullah Günay, Mehmet Ali Kaya, Adem Yüksekdağ et Nezir Adıyaman (« les requérants »), ont saisi la Cour le 4 mars 2008 (requêtes nos 14946/08 et 21030/08), le 6 mai 2008 (requêtes nos 24309/08, 24505/08, 26964/08, 26966/08, 38752/08 et 38778/08), le 20 mai 2008 (requête no 38807/08) et le 27 mai 2008 (requêtes nos 27088/08, 27090/08 et 27092/08) en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me M. Erbil, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Les requérants se plaignent en particulier d’une atteinte à leur droit à la liberté d’expression et d’information (article 10 de la Convention) et allèguent ne pas avoir bénéficié d’une procédure équitable (article 6 de la Convention). Ils se plaignent en outre d’une violation des articles 8, 13, 14, 17 et 18 de la Convention.

4. Le 3 juin 2009, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. M. Mesut Yurtsever (requête no 14946/08)

5. Le requérant est né en 1974. Lors de l’introduction de sa requête, il était détenu à la prison de type F de Bolu.

6. Le 25 juin 2007, alors que le requérant était détenu dans une autre prison – la prison de type F de Tekirdağ –, la commission d’éducation de cet établissement adopta une décision selon laquelle les éditions du quotidien Azadiya Welat datées des 18, 19, 20, 21, 22, 23 et 24 juin 2007 ne seraient pas remises à l’intéressé non plus qu’à d’autres détenus. Elle se fondait pour ce faire sur l’article 62 § 3 de la loi no 5275 relative à l’exécution des peines et des mesures préventives (« la loi no 5275 »), aux termes duquel aucune publication contenant des informations, des écrits, des photographies et des commentaires obscènes ou de nature à mettre en danger la sécurité de l’établissement ne devait être remise aux condamnés. Elle argüait à cet égard que les publications non remises étaient rédigées en kurde, qu’il n’y avait pas de personnel en mesure de comprendre le kurde au sein de l’établissement pénitentiaire, que cette langue comptait en outre plusieurs dialectes et qu’il n’était dès lors pas possible d’assurer la traduction de ces publications. Elle estimait par conséquent qu’il ne pouvait être vérifié si les publications en cause satisfaisaient aux conditions énoncées dans l’article de loi en question.

7. Le 28 juin 2007, le requérant forma opposition contre cette décision.

8. Le 22 octobre 2007, statuant sur dossier, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta ce recours. Il se prononça à la lumière de l’avis du procureur de la République, dans lequel celui-ci exposait que, pour pouvoir apprécier la conformité à l’article 62 § 3 de la loi en question de publications parues dans une langue autre que la langue officielle, il fallait disposer d’une traduction de celles-ci, qu’il n’y avait aucune disposition légale imposant le financement par l’établissement pénitentiaire des frais de traduction, que ces frais n’avaient pas été pris en charge par l’intéressé et qu’il fallait par conséquent rejeter le recours.

9. Le 30 octobre 2007, le requérant forma opposition contre cette décision, argüant que l’administration pénitentiaire avait suspendu l’introduction en prison du quotidien Azadiya Welat, selon lui largement distribué à l’extérieur, au motif qu’elle ne disposait pas de personnel comprenant le kurde. Il demandait l’annulation de la décision du juge de l’exécution qui avait estimé la mesure conforme à la loi alors que, à ses yeux, cette pratique avait fait obstacle à la distribution de ce journal qui aurait eu lieu jusqu’alors à l’intérieur de la prison.

10. Le 8 novembre 2007, la cour d’assises de Tekirdağ, statuant sur dossier et après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, conclut à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision contestée, et rejeta ce recours.

B. MM. Canar Yurtsever, Aydın Şaka, Ergin Atabey et Habip Çiftçi (requête no 21030/08)

11. Les requérants sont nés respectivement en 1982, en 1980, en 1973 et en 1973. Lors de l’introduction de leur requête, ils étaient détenus à la prison de type F de Tekirdağ.

12. Le 28 mai 2007, la commission d’éducation de cette prison, se fondant sur l’article 62 de la loi no 5275, prit la décision de ne pas remettre aux requérants les éditions du quotidien Azadiya Welat datées des 22, 23, 24, 25, 26, 27 et 28 mai 2007 au motif que leur contenu était en kurde et qu’il n’y avait pas de personnel au sein de la commission à même de traduire cette langue.

13. Le 4 juin 2007, les requérants formèrent opposition contre cette décision.

14. Le 10 août 2007, statuant à la lumière de l’avis du procureur de la République d’après lequel la décision de la commission d’éducation était justifiée, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta ce recours.

15. Le 21 août 2007, MM. Atabey et Çiftçi et, le 23 août 2007, MM. Yurtsever et Şaka formèrent opposition contre cette décision.

16. Le 7 septembre 2007, statuant sur dossier et après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, la cour d’assises de Tekirdağ rejeta le recours ainsi formé, estimant que la décision contestée ne présentait de contrariété ni à la procédure ni à la loi.

C. MM. Mahmut Cengiz et Mehmet Ergezen (requête no 24309/08)

17. Les requérants sont nés en 1983. Lors de l’introduction de leur requête, ils étaient détenus à la prison de type F de Tekirdağ.

18. Le 9 juillet 2007, la commission d’éducation de cet établissement prit la décision de ne pas remettre aux requérants les éditions des 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8 juillet 2007 du quotidien Azadiya Welat. Elle fonda sa décision sur l’article 62 § 3 de la loi no 5275. Elle souligna à cet égard que ces publications étaient en kurde, qu’il n’y avait pas de personnel comprenant le kurde au sein de l’établissement pénitentiaire, de sorte que, selon elle, il n’était pas possible d’assurer la traduction des livres, journaux et revues paraissant dans cette langue et que, partant, il ne pouvait être vérifié si les publications en question satisfaisaient ou non aux critères énoncés dans l’article de loi précité.

19. Le 10 juillet 2007, les requérants formèrent opposition contre cette décision. Dans une lettre du même jour adressée au juge de l’exécution de Tekirdağ, M. Cengiz argüait, entre autres, que les éditions du quotidien en question n’avaient fait l’objet d’aucune décision de saisie et qu’il était dénué de sens d’en demander la traduction alors que ce journal était, à ses dires, en vente dans tout le pays et soumis à un contrôle légal. De plus, il soutenait que la décision contestée était contraire aux normes de droit.

20. Dans une lettre qu’il adressa le 18 juillet 2007 au juge de l’exécution de Tekirdağ, M. Ergezen argüait que, cinq mois auparavant, l’interdiction de recevoir des publications en kurde au sein de la prison avait été levée et que l’argument de l’administration consistant à dire qu’il n’y avait pas de personnel comprenant le kurde n’était pas crédible. Il soutenait en outre que des détenus d’autres prisons de type F avaient l’autorisation de recevoir de telles publications, de sorte que, selon lui, la pratique de l’administration pénitentiaire devait être considérée comme arbitraire.

21. Le 23 octobre 2007, statuant sur dossier, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta ce recours. Il se prononça à la lumière de l’avis du procureur de la République, dans lequel celui-ci exposait que, pour pouvoir apprécier au regard de l’article 62 § 3 de la loi no 5275 le contenu de publications dans une langue autre que la langue officielle, il fallait disposer d’une traduction de celles-ci, qu’il n’y avait aucune disposition légale imposant le financement par l’établissement pénitentiaire des frais de traduction, que ces frais n’avaient pas été pris en charge par l’intéressé et qu’il fallait, par conséquent, rejeter le recours.

22. Le 1er novembre 2007, les requérants formèrent opposition contre cette décision. M. Ergezen demandait la levée de l’interdiction litigieuse. M. Cengiz argüait que le quotidien en question était distribué sous le contrôle du procureur en charge de la presse, et que l’absence de procédure judiciaire à l’encontre de ce journal ou de décision de saisie démontrait que celui-ci ne posait pas de problème. Dès lors, il estimait qu’il devait y avoir accès.

23. Le 8 novembre 2007, statuant sur dossier après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, la cour d’assises rejeta ce recours, au motif que la décision contestée ne présentait de contrariété ni à la procédure ni à la loi.

D. MM. İsmail Cengiz Oğurtan et Fevzi Abo (requête no 24505/08)

24. Les requérants sont nés respectivement en 1974 et en 1985. Lors de l’introduction de leur requête, ils étaient détenus à la prison de type F de Tekirdağ.

25. Le 25 juin 2007, la commission d’éducation de la prison, se fondant sur l’article 62 § 3 de la loi no 5275, prit la décision de ne pas remettre aux requérants les éditions du quotidien Azadiya Welat datées des 18, 19, 20, 21, 22, 23 et 24 juin 2007. Elle expliqua que ces publications étaient rédigées en kurde, qu’il n’y avait pas de personnel comprenant le kurde au sein de l’établissement pénitentiaire, qu’en outre le kurde se composait de plusieurs dialectes, qu’il n’était dès lors pas possible d’assurer la traduction des parutions litigieuses et que, partant, il ne pouvait être vérifié si celles-ci satisfaisaient aux conditions énoncées dans l’article de loi en question.

26. Le 28 juin 2007, les requérants formèrent opposition contre cette décision. Dans une lettre qu’il adressa le même jour au juge de l’exécution de Tekirdağ, M. Abo se plaignait de s’être vu refuser l’accès aux éditions en question, ajoutant que cette mesure de l’administration pénitentiaire constituait un moyen d’interdire le quotidien et qu’elle était contraire aux normes de droit.

27. Par une lettre du 4 juillet 2007, M. Oğurtan informa le juge de l’exécution de Tekirdağ qu’il ne recevait pas le quotidien Azadiya Welat depuis le 18 juin 2007, et ce, selon lui, sans motif valable. Il demanda que ce journal lui soit régulièrement remis à l’avenir.

28. Le 22 octobre 2007, statuant sur dossier, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta ce recours après avoir conclu à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision litigieuse. Il se prononça à la lumière de l’avis du procureur de la République, dans lequel celui-ci exposait que, pour vérifier la conformité à la loi des publications parues dans une langue autre que la langue officielle, il fallait disposer d’une traduction, qu’il n’y avait aucune disposition légale imposant le financement par l’établissement pénitentiaire des frais de traduction, que ces frais n’avaient pas été pris en charge par l’intéressé et que, par conséquent, la mesure prise par l’administration pénitentiaire était justifiée.

29. Le 26 octobre 2007, M. Oğurtan écrivit à la cour d’assises de Tekirdağ, se plaignant qu’il ne recevait plus le quotidien Azadiya Welat et que le recours formé auprès du juge de l’exécution à cet égard n’avait pas abouti. Il demandait qu’il fût mis un terme à cette pratique, qu’il qualifiait d’antidémocratique, et que le journal litigieux lui fût remis de manière régulière.

30. Le 1er novembre 2007, M. Abo écrivit à la cour d’assises de Tekirdağ. Il argüait que le quotidien Azadiya Welat était un journal d’information faisant, selon lui, l’objet d’un contrôle comme toutes les publications de presse. Il soutenait que l’absence d’une quelconque procédure judiciaire ou interdiction de publication à l’encontre de ce quotidien établissait à elle seule que ce journal ne posait pas de problème et qu’il devait donc lui être remis. Il demandait en conséquence que la décision du juge de l’exécution fût annulée et remplacée par la décision de lui remettre le journal.

31. Le 8 novembre 2007, la cour d’assises de Tekirdağ, statuant sur dossier et après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, conclut à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision contestée, et rejeta ce recours.

E. MM. Abdullah Günay et Mehmet Ali Kaya (requête no 26964/08)

32. Les requérants sont nés respectivement en 1979 et en 1976. Lors de l’introduction de leur requête, ils étaient détenus à la prison de type F de Tekirdağ.

33. Le 28 juin 2007, la commission d’éducation de cette prison prit la décision de ne pas remettre aux requérants les éditions du quotidien Azadiya Welat datées des 19, 20, 21, 22, 23, 24 et 25 juin 2007 au motif que ces publications étaient rédigées en kurde et qu’il n’y avait au sein de la commission d’éducation aucun personnel en mesure d’en faire la traduction.

34. Le 5 juillet 2007, M. Kaya écrivit au juge de l’exécution de Tekirdağ pour contester cette décision et demander que le journal en question lui fût remis.

35. Le 9 juillet 2007, les requérants déposèrent une requête en opposition contre ladite décision.

36. Le 22 octobre 2007, statuant sur dossier, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta ce recours après avoir conclu à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision litigieuse. Il se prononça à la lumière de l’avis du procureur de la République, dans lequel celui-ci exposait que, pour pouvoir apprécier au regard de l’article 62 § 3 de la loi no 5275 le contenu de publications dans une langue autre que la langue officielle, il fallait disposer d’une traduction de celles-ci, qu’il n’y avait aucune disposition légale imposant le financement par l’établissement pénitentiaire des frais de traduction, que ces frais n’avaient pas été pris en charge par les intéressés et que, par conséquent, la mesure de l’administration pénitentiaire était justifiée.

37. Le 26 octobre et le 30 octobre 2007 respectivement, M. Abdullah Günay et M. Mehmet Ali Kaya formèrent opposition contre cette décision. Dans la lettre qu’il adressa à la cour d’assises de Tekirdağ, M. Kaya indiquait que le refus de lui remettre le quotidien Azadiya Welat était arbitraire et il demanda à recevoir ce journal, publié selon lui conformément aux lois en vigueur.

38. Le 8 novembre 2007, la cour d’assises de Tekirdağ, statuant sur dossier et après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, conclut à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision contestée, et rejeta ce recours.

F. MM. Abdullah Günay et Adem Yüksekdağ (requête no 26966/08)

39. Les requérants sont nés respectivement en 1979 et en 1986. Lors de l’introduction de leur requête, ils étaient détenus à la prison de type F de Tekirdağ.

40. Le 3 juillet 2007, la commission d’éducation de la prison prit la décision de ne pas leur remettre les éditions du quotidien Azadiya Welat datées des 26, 27, 28, 29 et 30 juin 2007 et des 1er et 2 juillet 2007 au motif qu’il n’y avait pas de personnel au sein de cette commission en mesure d’en assurer la traduction.

41. Le 16 juillet 2007, les requérants formèrent opposition contre cette décision.

42. Le 23 octobre 2007, statuant sur dossier, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta ce recours eu égard à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision litigieuse. Il se prononça à la lumière de l’avis du procureur de la République, dans lequel celui-ci exposait que, pour pouvoir apprécier le contenu de publications dans une langue autre que la langue officielle au regard de l’article 62 § 3 de la loi no 5275, il fallait disposer d’une traduction de celles-ci, qu’il n’y avait aucune disposition légale imposant le financement par l’établissement pénitentiaire des frais de traduction, que ces frais n’avaient pas été pris en charge par les intéressés et que, par conséquent, la mesure de l’administration pénitentiaire était justifiée.

43. Le 26 octobre et le 30 octobre 2007 respectivement, M. Abdullah Günay et M. Adem Yüksekdağ formèrent opposition contre cette décision. Dans la lettre qu’il adressa à la cour d’assises, M. Günay reprochait au juge de l’exécution de s’être allié à l’administration pénitentiaire pour entraver son droit à la liberté de recevoir des informations et d’avoir ainsi porté atteinte à ce droit, selon lui consacré par la Convention. Il soutenait que le quotidien litigieux faisait l’objet d’une publication conforme aux lois et qu’il n’était dès lors pas nécessaire de le traduire, car, selon les arguments de l’intéressé, si son contenu enfreignait les lois, il aurait fait l’objet d’une mesure de saisie. Il soutenait en outre que le droit de lire un journal en kurde, sa langue maternelle, était un droit naturel.

44. Le 8 novembre 2007, la cour d’assises de Tekirdağ, statuant sur dossier et après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, conclut à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision contestée, et rejeta ce recours.

G. M. Abdullah Günay (requêtes nos 27088/08 et 27090/08)

45. Le requérant est né en 1979. Lors de l’introduction de ses requêtes, il était détenu à la prison de type F de Tekirdağ.

1. Procédure relative à la non-remise des éditions du quotidien Azadiya Welat datées du 28 août 2007 au 3 septembre 2007 (requête no 27088/08)

46. Le 6 septembre 2007, la commission d’éducation de la prison prit la décision de ne pas remettre au requérant les éditions du quotidien Azadiya Welat datées des 28, 29, 30 et 31 août 2007 et des 1er, 2 et 3 septembre 2007, considérant qu’elle ne pouvait en comprendre le contenu ni en assurer la traduction et prenant en compte une décision du juge de l’exécution de Tekirdağ du 9 août 2007.

47. Le 13 septembre 2007, le requérant forma opposition contre cette décision.

48. Le 5 novembre 2007, statuant sur dossier, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta ce recours après avoir conclu à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision litigieuse. Il se prononça à la lumière de l’avis du procureur de la République, dans lequel celui-ci exposait que, pour pouvoir apprécier les publications dans une langue autre que la langue officielle au regard de l’article 62 § 3 de la loi no 5275, il fallait disposer d’une traduction de celles-ci, qu’il n’y avait aucune disposition légale imposant le financement par l’établissement pénitentiaire des frais de traduction, que ces frais n’avaient pas été pris en charge par l’intéressé et que, par conséquent, la décision de la commission était justifiée.

49. Le 8 novembre 2007, le requérant forma opposition contre la décision de rejet.

50. Le 27 novembre 2007, la cour d’assises de Tekirdağ, statuant sur dossier et après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, conclut à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision contestée, et rejeta ce recours.

2. Procédure relative à la non-remise des éditions datées du 21 au 28 août 2007 (requête no 27090/08)

51. Le 31 août 2007, se référant à une décision du juge de l’exécution de Tekirdağ du 9 août 2007, la commission d’éducation de la prison prit la décision de ne pas remettre au requérant les éditions du quotidien Azadiya Welat datées des 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27 et 28 août 2007 au motif qu’elle ne pouvait en comprendre le contenu ni en assurer la traduction.

52. Le 7 septembre 2007, le requérant forma opposition contre cette décision.

53. Le 5 novembre 2007, statuant sur dossier, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta ce recours eu égard à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision litigieuse. Il se prononça à la lumière de l’avis du procureur de la République, dans lequel celui-ci exposait que, pour pouvoir apprécier le contenu de publications dans une langue autre que la langue officielle au regard de l’article 62 § 3 de la loi no 5275, il fallait disposer d’une traduction de celles-ci, qu’il n’y avait aucune disposition légale imposant le financement par l’établissement pénitentiaire des frais de traduction, que ces frais n’avaient pas été pris en charge par l’intéressé et que, par conséquent, la décision de la commission était justifiée.

54. Le 8 novembre 2007, le requérant forma opposition contre la décision de rejet.

55. Le 28 novembre 2007, la cour d’assises de Tekirdağ, statuant sur dossier et après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, conclut à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision contestée, et rejeta ce recours.

H. MM. Abdullah Günay, Nezir Adıyaman et Aydın Şaka (requête no 27092/08)

56. Les requérants sont nés respectivement en 1979, en 1978 et en 1980. Lors de l’introduction de leur requête, ils étaient détenus à la prison de type F de Tekirdağ.

57. Le 13 septembre 2007, la commission d’éducation de la prison prit la décision de ne pas remettre aux requérants les éditions du quotidien Azadiya Welat datées des 4, 5, 6, 7, 8 et 9 septembre 2007 au motif qu’elles étaient en langue kurde et que la commission d’éducation ne pouvait en assurer la traduction. Elle prit également en compte le fait que le juge de l’exécution de Tekirdağ s’était prononcé le 9 août 2007 relativement à d’autres éditions de ce journal, tout comme la cour d’assises le 7 septembre 2007.

58. Le 24 septembre 2007, les requérants formèrent opposition contre cette décision.

59. Le 5 novembre 2007, statuant sur dossier, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta ce recours après avoir conclu à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision litigieuse. Il se prononça à la lumière de l’avis du procureur de la République, dans lequel celui-ci exposait que, pour pouvoir apprécier la conformité du contenu de publications dans une langue autre que la langue officielle à l’article 62 § 3 de la loi no 5275, il fallait disposer d’une traduction de celles-ci, que l’administration pénitentiaire n’avait pas de budget pour cela, qu’il n’y avait aucune disposition légale imposant le financement par l’établissement pénitentiaire des frais de traduction, que ces frais n’avaient pas été pris en charge par l’intéressé et que, par conséquent, la décision de la commission était justifiée.

60. M. Günay et MM. Adıyaman et Şaka formèrent opposition contre la décision de rejet respectivement le 8 novembre 2007 et le 12 novembre 2007.

61. Le 28 novembre 2007, la cour d’assises de Tekirdağ, statuant sur dossier et après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, conclut à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision contestée, et rejeta ce recours.

I. M. Mahmut Cengiz (requêtes nos 38752/08, 38778/08 et 38807/08)

62. Le requérant est né en 1983. Lors de l’introduction de ses requêtes, il était détenu à la prison de type F de Tekirdağ.

1. Procédure relative à la non-remise des éditions du quotidien Azadiya Welat datées du 26 juin au 1er juillet 2007 (requête no 38752/08)

63. Le 2 juillet 2007, la commission d’éducation de cette prison prit la décision de ne pas remettre au requérant les éditions du quotidien Azadiya Welat datées des 25, 26, 27, 28, 29 et 30 juin et du 1er juillet 2007 en vertu de l’article 62 § 3 de la loi no 5275 au motif que ces publications étaient rédigées en kurde, que l’établissement pénitentiaire ne disposait pas de personnel comprenant cette langue, de sorte qu’aucune traduction ne pouvait selon lui en être assurée, et que la conformité de leur contenu à la disposition législative précitée ne pouvait être vérifiée.

64. Le 3 juillet 2007, le requérant forma opposition contre cette décision, exposant, entre autres arguments, que les éditions en cause du quotidien ne faisaient l’objet d’aucune décision judiciaire de saisie de sorte que, selon lui, elles devaient lui être remises. Il soutenait en outre qu’il avait reçu sans problème ce journal pendant quatre mois avant d’en être privé, et que la mesure prise par l’administration pénitentiaire était contraire aux normes de droit. Il demandait en conséquence que la décision litigieuse fût annulée et qu’il pût recevoir le journal en question.

65. Le 23 octobre 2007, statuant sur dossier, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta ce recours après avoir conclu à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision litigieuse. Il se prononça à la lumière de l’avis du procureur de la République, dans lequel celui-ci exposait que, pour pouvoir apprécier le contenu de publications dans une langue autre que la langue officielle au regard de l’article 62 § 3 de la loi no 5275, il fallait disposer d’une traduction de celles-ci, qu’il n’y avait aucune disposition légale imposant le financement par l’établissement pénitentiaire des frais de traduction, que ces frais n’avaient pas été pris en charge par l’intéressé et que, par conséquent, la mesure de l’administration était justifiée.

66. Le 1er novembre 2007, le requérant forma opposition contre cette décision. Il argüait que le quotidien litigieux était publié légalement, qu’il était soumis avant distribution au contrôle du procureur en charge de la presse et que, en l’absence d’une procédure judiciaire ou d’une décision de saisie à son encontre, il ne pouvait être dit que ce journal posât problème. Il demandait en conséquence à ce que les éditions litigieuses du quotidien en question lui fussent remises.

67. Le 8 novembre 2007, la cour d’assises de Tekirdağ, statuant sur dossier et après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, conclut à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision contestée, et rejeta ce recours.

2. Procédure relative à la non-remise des éditions du quotidien Azadiya Welat datées du 9 au 15 juillet 2007 (requête no 38778/08)

68. Le 16 juillet 2007, la commission d’éducation de la prison prit la décision de ne pas remettre au requérant les éditions du quotidien Azadiya Welat datées des 9, 10, 11, 12, 13, 14 et 15 juillet 2007 en vertu de l’article 62 § 3 de la loi no 5275 au motif que ces publications étaient rédigées en kurde, que l’établissement pénitentiaire ne disposait pas de personnel comprenant cette langue, de sorte qu’aucune traduction ne pouvait être assurée, et que la conformité du contenu des publications en cause à la disposition législative mentionnée ne pouvait être vérifiée.

69. Le 17 juillet 2007, le requérant forma opposition contre cette décision. Dans une lettre du 19 juillet 2007 adressée au juge de l’exécution de Tekirdağ, il argüait que le journal litigieux n’avait fait l’objet d’aucune décision de saisie, que le fait de demander la traduction de son contenu alors qu’il aurait été soumis à un contrôle légal était dénué de sens et méconnaissait les normes de droit.

70. Le 23 octobre 2007, statuant sur dossier, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta ce recours après avoir conclu à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision litigieuse. Il se prononça à la lumière de l’avis du procureur de la République, dans lequel celui-ci exposait que, pour pouvoir apprécier le contenu de publications dans une langue autre que la langue officielle au regard de l’article 62 § 3 de la loi no 5275, il fallait disposer d’une traduction de celles-ci, qu’il n’y avait aucune disposition légale imposant le financement par l’établissement pénitentiaire des frais de traduction, que ces frais n’avaient pas été pris en charge par l’intéressé et que, par conséquent, la mesure de l’administration était justifiée.

71. Le 1er novembre 2007, le requérant forma opposition contre cette décision, exposant, entre autres arguments, que le journal en question faisait l’objet, avant distribution, d’un contrôle de la part du procureur en charge de la presse. Il argüait que l’absence de procédure judiciaire contre cette publication ou de décision de saisie à son endroit était la preuve que cette publication ne posait pas problème.

72. Le 8 novembre 2007, la cour d’assises de Tekirdağ, statuant sur dossier et après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, conclut à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision contestée, et rejeta ce recours.

3. Procédure relative à la non-remise des éditions du quotidien Azadiya Welat datées du 27 août au 2 septembre 2007 (requête no 38807/08)

73. Le 4 septembre 2007, la commission d’éducation de la prison prit la décision de ne pas remettre au requérant les éditions du quotidien Azadiya Welat datées des 27, 28, 29, 30 et 31 août 2007 et des 1er et 2 septembre 2007 en vertu de l’article 62 § 3 de la loi no 5275 au motif que ces publications étaient rédigées en kurde, que l’établissement pénitentiaire ne disposait pas de personnel comprenant cette langue et qu’aucune traduction ne pouvait ainsi en être assurée, de sorte que, selon la commission, leur conformité à la disposition législative mentionnée ne pouvait être vérifiée.

74. Le requérant forma opposition contre cette décision.

75. Le 5 novembre 2007, statuant sur dossier, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta ce recours après avoir conclu à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision litigieuse. Il se prononça à la lumière de l’avis du procureur de la République, dans lequel celui-ci exposait que, pour vérifier la conformité des publications dans une langue autre que la langue officielle à l’article 62 § 3 de la loi no 5275, il fallait disposer d’une traduction de celles-ci, que l’administration pénitentiaire n’avait pas de budget pour cela, qu’il n’y avait aucune disposition légale imposant le financement par l’établissement pénitentiaire des frais de traduction, que ces frais n’avaient pas été pris en charge par l’intéressé et que, par conséquent, la décision de la commission d’éducation était justifiée.

76. Le 12 novembre 2007, le requérant forma opposition contre la décision de rejet. Il exposait, entre autres arguments, que le journal en question était publié selon les voies légales, que, s’il existait le concernant une situation contraire au droit, le procureur en charge de la presse aurait pris les mesures qui s’imposaient. Or, selon lui, ce journal ne faisait l’objet d’aucune interdiction ni mesure de saisie. Par conséquent, le requérant demandait à ce qu’il lui fût remis.

77. Le 20 novembre 2007, la cour d’assises de Tekirdağ, statuant sur dossier et après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, conclut à l’absence de contrariété à la procédure et à la loi de la décision contestée, et rejeta ce recours.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

78. L’article 62 de la loi no 5275 relative à l’exécution des peines et des mesures préventives du 13 décembre 2004, publiée au Journal officiel le 29 décembre 2004, dispose notamment :

« Article 62. (1) Tout condamné a le droit de recevoir, en prenant à sa charge leur coût, des publications périodiques et non périodiques sous réserve qu’elles n’aient pas été prohibées par décision de justice.

(2) Tout condamné reçoit gratuitement et librement les journaux, livres et publications imprimés édités par les fondations bénéficiant d’une exonération fiscale de l’assemblée des ministres et par les associations [reconnues] d’utilité publique, sous réserve qu’ils n’aient pas fait l’objet d’une interdiction par les institutions officielles, les universités, les instances professionnelles (...) publiques et les tribunaux. Les livres de cours des condamnés qui suivent une éducation ou [reçoivent] une instruction ne peuvent être soumis à contrôle.

(3) Aucune publication contenant des informations, des écrits, des photographies et des commentaires obscènes ou de nature à mettre en péril la sécurité de l’établissement ne peut être remise au condamné. »

79. L’article 87 du règlement relatif à l’exécution des peines et des mesures préventives, dans sa rédaction du 20 mars 2006, publié au Journal officiel le 6 avril 2006, dispose notamment :

« Droit de bénéficier des publications périodiques et non périodiques

Article 87. (1) Tout condamné a le droit de recevoir, en prenant à sa charge leur coût, des publications périodiques et non périodiques sous réserve qu’elles n’aient pas été prohibées par décision de justice.

(2) Tout condamné reçoit gratuitement et librement les journaux, livres et publications imprimés édités par les fondations bénéficiant d’une exonération fiscale de l’assemblée des ministres et par les associations [reconnues] d’utilité publique, sous réserve qu’ils n’aient pas fait l’objet d’une interdiction par les institutions officielles, les universités, les instances professionnelles (...) publiques et les tribunaux. Les livres de cours des condamnés qui suivent une éducation ou [reçoivent] une instruction ne peuvent être soumis à contrôle.

(3) Aucune publication identifiée par la commission d’éducation comme étant de nature à mettre en péril la sécurité de l’établissement ou contenant des informations, des écrits, des photographies et des commentaires obscènes ne peut être remise au condamné. »

80. L’instruction du 12 juillet 2005 relative aux bibliothèques des établissements pénitentiaires dispose notamment :

« Examen des publications

Article 10. Les publications périodiques et non périodiques destinées aux bibliothèques et rayonnages de livres des établissements pénitentiaires sont examinées par la commission d’éducation selon les principes définis aux articles 11 et 12 de l’instruction. Les publications estimées non conformes sont envoyées au procureur de la République pour ce que de droit.

La direction générale recherche si les publications agréées par le ministère sont ou non conformes aux dispositions de l’instruction. Celles qui sont jugées conformes sont envoyées aux établissements pénitentiaires.

Les journaux, livres et publications imprimés édités par les fondations bénéficiant d’une exonération fiscale de l’assemblée des ministres et les associations [reconnues] d’utilité publique, sous réserve qu’ils n’aient pas fait l’objet d’une interdiction par les institutions officielles, les universités, les instances professionnelles (...) publiques et les tribunaux, sont placés sans examen dans les bibliothèques et les rayonnages de livres.

Les publications qui ne seront pas acceptées dans l’établissement

Article 11. Ne sera acceptée dans l’établissement aucune publication

a) qui aura fait l’objet d’une interdiction par les tribunaux,

b) qui, même si elle n’a pas fait l’objet d’une interdiction par les tribunaux, aura été identifiée par une décision de la commission d’éducation comme présentant une menace pour la sécurité de l’établissement ou contenant des informations, des écrits, des photographies et des commentaires obscènes. »

EN DROIT

81. Compte tenu de la similitude des requêtes quant aux faits et aux griefs, la Cour décide de joindre celles-ci et de les examiner conjointement dans un seul arrêt.

I. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

82. Se référant à la jurisprudence de la Cour (Deweer c. Belgique, 27 février 1980, série A no 35, Cardot c. France, 19 mars 1991, série A no 200, Ahmet Sadık c. Grèce, 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, Papon c. France (no 1) (déc.), no 64666/01, CEDH 2001‑VI, Taïs c. France (déc.), no 39922/03, 1er juin 2006, et Hakkar c. France (déc.), no 43580/04, 7 avril 2009), le Gouvernement allègue que les requérants n’ont soulevé, ne fût-ce qu’en substance, leurs griefs tirés de violations de la Convention ni devant le juge de l’exécution ni devant la cour d’assises.

83. Le Gouvernement considère en outre que les requêtes nos 24505/08, 26964/08, 26966/08, 27088/08, 27090/08, 27092/08, 21030/08, 24309/08, 38752/08, 38807/08 et 38778/08 doivent être rejetées comme étant tardives. À cet égard, il précise, s’agissant des requêtes nos 24505/08, 26964/08 et 26966/08, que la cour d’assises a rejeté l’opposition des requérants le 8 novembre 2007 et que ceux-ci ont saisi la Cour le 6 mai 2008, soit au-delà, selon lui, du délai de six mois. Quant à la requête no 27088/08, il indique que la cour d’assises a rejeté l’opposition du requérant le 27 novembre 2007 et que celui-ci a saisi la Cour après l’expiration du délai de six mois, le 27 mai 2007. S’agissant de la requête no 27092/08, il dit que le requérant a saisi la Cour le 27 mai 2008 alors que la décision définitive aurait été rendue le 28 novembre 2007. De même, ajoute-t-il, s’agissant des requêtes nos 24309/08, 38752/08 et 38778/08, que la décision interne définitive avait été rendue le 8 novembre 2007 et les requérants n’ont saisi la Cour que le 6 mai 2008. Enfin, il indique que les requêtes nos 27090/08 et 38807/08 ont également été introduites, selon lui, après l’expiration du délai de six mois, les décisions internes définitives à prendre en compte dans ces affaires étant à ses dires datées respectivement du 20 novembre et du 28 novembre 2007.

84. Les requérants contestent l’argument du Gouvernement tiré du non‑épuisement des voies de recours internes. Citant l’affaire Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande (29 octobre 1992, série A no 246‑A), ils argüent que l’exception soulevée est dénuée de fondement.

85. La Cour rappelle tout d’abord que le grief dont on entend la saisir doit d’abord avoir été soulevé au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (voir, entre autres, Cardot, précité).

86. En l’espèce, elle observe, eu égard aux pièces du dossier, que les requérants ont chacun saisi le juge de l’exécution pour s’opposer à la décision de la commission d’éducation de ne pas leur remettre certaines éditions du quotidien Azadiya Welat. Ils ont ensuite, après rejet de leur prétention par le juge de l’exécution, formé opposition de la décision de ce dernier devant la cour d’assises. L’objet des recours ainsi formés en droit interne par les requérants était d’obtenir que le quotidien Azadiya Welat leur fût remis. Dès lors, il ne fait aucun doute pour la Cour que la liberté de recevoir des informations était en cause, fût-ce de façon sous-jacente, dans les procédures que les intéressés ont engagées devant les instances nationales et que les réclamations qu’ils ont portées devant celles-ci contenaient bien une doléance liée à l’article 10 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 39, CEDH 1999‑I, et Eon c. France, no 26118/10, § 28, 14 mars 2013). La Cour note de surcroît que lors de son recours devant la cour d’assises M. Günay (dans le contexte de la requête no 26966/08) s’est explicitement référé à son droit à la liberté de recevoir des informations, tel que consacré par la Convention. Pour autant, la cour d’assises n’apparaît aucunement avoir pris en compte cet argument dans son appréciation des circonstances portées à son examen (paragraphes 43-44 ci-dessus). La Cour rejette donc l’exception préliminaire que le Gouvernement a formulée à cet égard.

87. Elle observe ensuite que les requêtes pour lesquelles le Gouvernement a soulevé une exception de tardiveté ont bien été introduites dans le respect du délai de six mois. À cet égard, elle a pris en compte dans chaque cas la date de la décision interne définitive (paragraphes 16, 23, 31, 38, 38, 44, 50, 55, 61, 67, 72, 77 ci-dessus) et la date d’introduction de la requête (paragraphe premier ci-dessus et, pour un rappel de la méthode de computation du délai de six mois, voir Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, §§ 44-45, 29 juin 2012). Elle rejette en conséquence l’exception préliminaire que le Gouvernement a présentée sur ce point.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

88. Les requérants reprochent aux autorités pénitentiaires d’avoir refusé de leur remettre un journal, ajoutant qu’elles ont pris cette décision parce qu’il s’agit d’un quotidien publié en kurde. Ils dénoncent à cet égard une violation de l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière (...)

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime (...) »

89. Le Gouvernement combat cette thèse.

A. Sur la recevabilité

90. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des requérants

91. Les requérants soutiennent que la commission d’éducation a décidé de ne pas leur remettre des éditions du quotidien Azadiya Welat, et ce, d’après eux, au motif qu’elle n’en comprenait pas le contenu et qu’elle ne pouvait en assurer la traduction. À cet égard, ils questionnent la faculté de la commission – qui a admis ne pas être en mesure de comprendre les publications en kurde – à juger de la dangerosité de celles-ci pour l’ordre et la sécurité dans les prisons. Par ailleurs, les intéressés argüent que le quotidien litigieux est en vente libre en Turquie et qu’il ne fait l’objet d’aucune décision d’interdiction ou de saisie. À l’appui de leurs dires, ils précisent que le Gouvernement n’a soumis aucune décision en sens contraire.

92. Les requérants exposent ensuite que, si le Gouvernement estimait que le contenu du journal litigieux était de nature à mettre en danger la sécurité dans les prisons, il lui incombait d’en assurer d’abord la traduction puis de démontrer quelles informations étaient de nature à représenter un danger et pour quelles raisons.

93. Les requérants précisent en outre prendre en charge le prix des publications dont ils demandent la remise, de sorte qu’ils estiment qu’ils devraient recevoir les journaux dans la langue de leur choix, en particulier en kurde, leur langue maternelle. Pour eux, l’État a la responsabilité de leur accorder toutes les facilités leur permettant d’obtenir de tels journaux.

94. Enfin, ils réfutent l’argument du Gouvernement quant à la conformité avec l’article 10 § 2 de la Convention de ce qu’ils considèrent comme une ingérence dans l’exercice de leur droit reconnu par cette disposition.

2. Arguments du Gouvernement

95. Le Gouvernement soutient que, en vertu de l’article 62 de la loi no 5275 relative à l’exécution des peines et des mesures préventives, les détenus ont le droit de recevoir des publications périodiques et non périodiques à condition d’en assumer le coût. Il ajoute que, en vertu du paragraphe 3 de cet article, les détenus ne peuvent recevoir de publications contenant des informations, des articles, des photographies ou des commentaires obscènes ou de nature à mettre en péril la sécurité au sein des établissements pénitentiaires.

96. Le Gouvernement précise en outre que, en vertu de l’article 11/b de l’instruction relative aux bibliothèques des établissements pénitentiaires, les publications présentant une menace pour la sécurité de l’établissement ou contenant des informations, articles, photographies ou commentaires considérés comme obscènes ne sont pas admises dans l’enceinte de l’établissement, et ce même en l’absence d’une décision judiciaire.

97. Il soutient que les décisions en cause dans la présente affaire ont été prises en application de l’article 62 § 3 de la loi no 5275 et des articles 11 et 12 de l’instruction précitée, et que les publications litigieuses n’ont pas été distribuées aux requérants parce qu’elles auraient été de nature à mettre en péril la sécurité de l’établissement.

98. Cela ressortirait d’ailleurs de l’examen des dites décisions. Selon le Gouvernement, les publications non remises contenaient des articles faisant l’apologie d’une organisation et d’activités terroristes et portant atteinte à la réputation de la Turquie et des membres des forces de l’ordre.

99. À cet égard, il indique que, nonobstant les allégations des requérants, les décisions concernant le refus d’acheminement des publications n’étaient pas fondées sur le fait que les éditions non remises étaient en langue kurde. Il ajoute qu’il n’existe aucune interdiction relativement aux publications rédigées dans des langues autres que le turc, et que la remise ou la non‑remise de publications aux détenus ne dépend pas de la langue dans laquelle celles-ci sont rédigées. À cet égard, il précise que les publications qui n’ont pas fait l’objet d’une interdiction judiciaire, dont le contenu ne comporte aucun élément de délit et qui ne menacent pas la sécurité de l’établissement sont distribuées aux détenus sans considération de leur langue de parution.

100. Déclarant renvoyer à la jurisprudence de la Cour (Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 49, série A no 24), le Gouvernement expose que le droit à la liberté d’expression n’est pas absolu mais qu’il comporte des devoirs et des responsabilités. En outre, il soutient que la portée de ce droit, pour les personnes détenues, n’est pas la même que pour des personnes qui ne le sont pas. À l’appui de ses dires, il cite les situations dans lesquelles ce droit peut, à ses yeux, être limité et il estime qu’en l’espèce le refus de l’administration de distribuer des publications doit être examiné sous l’angle de l’article 10 § 2 de la Convention. Il argüe qu’une telle distribution peut faire l’objet de restrictions dans des conditions et selon des formalités qui seraient prévues par la loi. Dans la présente affaire, il considère que la restriction critiquée était légale, de sorte qu’il n’y aurait pas eu violation du droit à la liberté d’expression des requérants. Il précise enfin que cette restriction avait en outre pour but d’empêcher une organisation terroriste d’acquérir une suprématie au sein de l’établissement par le biais de ces publications, de sorte que la décision litigieuse aurait été nécessaire. Il se réfère à cet égard à l’arrêt Erdem c. Allemagne (no 38321/97, CEDH 2001‑VII) et à la décision Fethi Oktay c. Turquie ((déc.), no 24803/05, 16 décembre 2008).

3. Appréciation de la Cour

101. À titre liminaire, la Cour rappelle que les détenus en général continuent de jouir de tous les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention, à l’exception du droit à la liberté lorsqu’une détention régulière entre expressément dans le champ d’application de l’article 5 de la Convention. Aussi continuent-ils de jouir du droit à la liberté d’expression (Yankov c. Bulgarie, no 39084/97, §§ 126‑145, CEDH 2003‑XII, et Tapkan et autres c. Turquie, no 66400/01, § 68, 20 septembre 2007), lequel comprend le droit de recevoir des informations ou des idées.

102. En l’espèce, la Cour observe que les requérants se sont heurtés au refus des autorités administratives pénitentiaires de leur remettre certaines éditions du quotidien Azadiya Welat. Elle estime que ce refus s’analyse en une ingérence dans le droit des requérants de recevoir des informations et des idées. Pareille ingérence méconnaît l’article 10 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et, de surcroît, est « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ces derniers.

103. La Cour rappelle ensuite sa jurisprudence selon laquelle les termes « prévue par la loi » non seulement imposent que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais visent aussi la qualité de la loi en cause : ainsi, celle-ci doit être accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets (voir, parmi d’autres, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 52, CEDH 2000‑V). À cet égard, elle souligne en particulier qu’une norme est « prévisible » lorsqu’elle offre une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique et contre une application extensive d’une restriction faite au détriment des justiciables (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 143, CEDH 2012). Elle réaffirme en outre que c’est aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, qu’il appartient d’interpréter et d’appliquer le droit interne (Kopp c. Suisse, 25 mars 1998, § 59, Recueil 1998-II, et Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 29, série A no 176-A).

104. Dans les circonstances de la présente affaire, si l’existence d’une base légale et l’accessibilité de celle-ci ne prêtent pas à discussion, il n’en va pas de même de la condition de prévisibilité de la loi quant au sens et à la nature des mesures applicables.

105. En effet, la Cour observe que le droit interne reconnaissait aux personnes condamnées la possibilité de recevoir des publications périodiques et non périodiques, dès lors que celles-ci ne faisaient pas l’objet d’une mesure d’interdiction (paragraphes 78-79 ci-dessus). En outre, les dispositions de droit interne réglementant la question énuméraient limitativement les circonstances dans lesquelles une publication pouvait ne pas être remise à un détenu. Cela était le cas pour toute publication contenant des informations, des écrits, des photographies ou des commentaires obscènes ou de nature à mettre en péril la sécurité de l’établissement (paragraphes 78-79 ci-dessus).

106. En l’espèce, la Cour observe que, bien qu’elles se soient référées à l’article 62 § 3 de la loi no 5275 pour fonder leurs décisions, les instances nationales ont refusé de remettre aux requérants certaines éditions du quotidien Azadiya Welat non parce que le contenu de celles-ci aurait été obscène ou de nature à mettre en péril la sécurité au sein de l’établissement pénitentiaire, conditions énoncées dans la disposition législative susmentionnée, mais en raison de l’incapacité pour ces instances d’apprécier la teneur des publications en cause. À cet égard, si le Gouvernement soutient que ces publications contenaient des articles faisant l’apologie d’une organisation terroriste et de ses activités et portaient atteinte à la réputation de la Turquie et des membres des forces de l’ordre (paragraphes 97-98 ci-dessus), raisons pour lesquelles elles n’auraient pas été remises, la Cour relève que cela ne ressort aucunement de la motivation des décisions des instances nationales examinées dans le cadre de la présente affaire. Elle relève de même que dans ses observations, le Gouvernement ne se prononce aucunement sur les modalités de traduction des publications litigieuses ou l’imputabilité des frais y afférents.

107. Dans les circonstances de la présente affaire, elle constate que, faute de comprendre la langue dans laquelle le quotidien en question était publié, les instances nationales ont déclaré ne pas être en mesure d’apprécier la conformité du contenu de la publication à la disposition législative en cause. En l’absence d’une telle appréciation, pourtant constitutive d’une exigence légale préalable, se pose la question de la base légale de l’ingérence litigieuse.

108. À cet égard, la Cour rappelle avoir déjà déclaré que, si une loi conférant un pouvoir d’appréciation doit en principe en fixer la portée, il est impossible d’arriver à une certitude absolue dans sa rédaction, une rigidité excessive du texte étant le probable résultat d’un tel souci de certitude (voir, notamment, Calogero Diana c. Italie, 15 novembre 1996, § 32, Recueil 1996‑V). Le droit doit en effet savoir s’adapter aux changements de situation et la Cour admet que beaucoup de lois emploient, par la force des choses, des formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique (voir, par exemple, Silver et autres c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, § 88, série A no 61).

109. En l’espèce, elle constate cependant, à la lumière des observations du Gouvernement (paragraphes 94-99 ci-dessus), qu’aucune disposition législative ne mentionnait la moindre possibilité d’imposer à des détenus une restriction ou une interdiction d’accès à des publications en raison de la langue de parution de celles-ci. Elle relève en outre que le pouvoir de contrôle que le droit interne reconnaissait aux instances pénitentiaires quant à l’accès des détenus aux publications ne portait que sur le contenu de celles-ci. Or, en l’espèce, elles se sont prononcées sans appréciation préalable du contenu des publications en cause, privant de façon discrétionnaire les détenus de l’accès à une catégorie de publications dont ils pouvaient souhaiter bénéficier. Il ressort en effet des pièces du dossier que les décisions des autorités pénitentiaires de ne pas remettre aux requérants certaines éditions du quotidien Azadiya Welat ne reposaient sur aucun des motifs énoncés dans la loi.

110. La Cour en déduit qu’en tout état de cause l’ingérence litigieuse n’était pas « prévue par la loi » (voir, pour une approche similaire en matière de contrôle de la correspondance écrite des détenus dans une langue autre que le turc, Mehmet Nuri Özen et autres c. Turquie, nos 15672/08, 24462/08, 27559/08, 28302/08, 28312/08, 34823/08, 40738/08, 41124/08, 43197/08, 51938/08 et 58170/08, §§ 55-62, 11 janvier 2011).

111. Ce constat suffit à la Cour pour conclure à la violation de l’article 10 de la Convention.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

112. Les requérants dénoncent également une violation des articles 6, 8, 13, 14, 17 et 18 de la Convention.

113. Le Gouvernement réfute ces allégations.

114. Eu égard au constat relatif à l’article 10 (paragraphe 111 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a lieu d’examiner ni la recevabilité ni le bien-fondé de ces griefs (voir, entre autres, Kamil Uzun c. Turquie, no 37410/97, § 64, 10 mai 2007, et, pour une approche similaire dans des affaires relatives au droit au respect de la correspondance des détenus, voir, entre autres, Mehmet Nuri Özen et autres, précité, § 20).

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

115. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

116. M. Mesut Yurtsever réclame 4 000 euros (EUR), et MM. Canar Yurtsever, Aydın Şaka, Ergin Atabey, Habip Çiftçi, Mahmut Cengiz, Mehmet Ergezen, İsmail Cengiz Oğurtan, Fevzi Abo, Abdullah Günay, Mehmet Ali Kaya, Adem Yüksekdağ et Nezir Adıyaman réclament chacun 5 000 EUR pour préjudice moral. MM. Mahmut Cengiz, Aydın Şaka et Abdullah Günay demandent l’octroi de ce dernier montant pour chacune des requêtes qu’ils ont introduites devant la Cour et qui sont comprises dans la présente affaire.

117. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

118. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacun des requérants 300 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

119. Les requérants demandent également 3 000 livres turques (TRY) chacun au titre des honoraires d’avocat, soumettant, à titre de justificatif, une convention d’honoraires d’avocat. MM. Mahmut Cengiz, Aydın Şaka et Abdullah Günay réclament cette somme au titre des honoraires d’avocat pour chacune des requêtes qu’ils ont introduites devant la Cour et qui sont comprises dans la présente affaire.

M. Mesut Yurtsever réclame 600 TRY au titre des frais de procédure, MM. Canar Yurtsever, Aydın Şaka, Ergin Atabey et Habip Çiftçi réclament 1 300 TRY conjointement au titre des frais de procédure, MM. Mahmut Cengiz et Mehmet Ergezen réclament 1 300 TRY conjointement au titre des frais de procédure qu’ils auraient engagés dans le cadre de la requête no 24309/08, MM. İsmail Cengiz Oğurtan et Fevzi Abo réclament 1 300 TRY conjointement au titre des frais de procédure, MM. Abdullah Günay et Mehmet Ali Kaya réclament 1 300 TRY conjointement au titre des frais de procédure qu’ils auraient engagés dans le cadre de la requête no 26964/08, MM. Abdullah Günay et Adem Yüksekdağ réclament 1 300 TRY conjointement au titre des frais de procédure qu’ils auraient engagés dans le cadre de la requête no 26966/08, M. Abdullah Günay réclame 600 TRY au titre des frais de procédure qu’il aurait engagés dans le cadre de la requête no 27088/08 et la même somme au titre des frais de procédure qu’il aurait engagés dans le cadre de la requête no 27090/08, MM. Abdullah Günay, Nezir Adıyaman et Aydın Şaka réclament 1 300 TRY conjointement au titre des frais de procédure qu’ils auraient engagés dans le cadre de la requête no 27092/08, et M. Mahmut Cengiz réclame 600 TRY au titre des frais de procédure qu’il aurait engagés dans le cadre de la requête no 38752/08, la même somme pour les frais de procédure engagés dans le cadre de la requête no 38778/08 et de même s’agissant de la requête no 38807/08.

120. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

121. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde à chacun des requérants.

C. Intérêts moratoires

122. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;

2. Déclare, à l’unanimité, les requêtes recevables quant au grief tiré de l’article 10 de la Convention ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément ni la recevabilité ni le bien-fondé des griefs tirés des articles 6, 8, 13, 14, 17 et 18 de la Convention ;

5. Dit,

a) à l’unanimité, que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 300 EUR (trois cents euros) chacun, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) par six voix contre une, que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 500 EUR (cinq cents euros) chacun, pour frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants ;

c) à l’unanimité, qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 janvier 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithGuido Raimondi
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de la déclaration de dissentiment du juge Sajó.

G.R.A
S.H.N

DÉCLARATION DE DISSENTIMENT DU JUGE SAJÓ

Je regrette ne pouvoir souscrire à la conclusion de la majorité au point 5 b) du dispositif concernant les frais et dépens.


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-148660
Date de la décision : 20/01/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 10 - Liberté d'expression-{Générale} (Article 10-1 - Liberté de recevoir des idées;Liberté de recevoir des informations);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : MESUT YURTSEVER ET AUTRES
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ERBIL M.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award