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15/01/2015 | CEDH | N°001-150308

CEDH | CEDH, AFFAIRE KORKOLIS c. GRÈCE, 2015, 001-150308


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KORKOLIS c. GRÈCE

(Requête no 63300/09)

ARRÊT

STRASBOURG

15 janvier 2015

DÉFINITIF

15/04/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Korkolis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
J

ulia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KORKOLIS c. GRÈCE

(Requête no 63300/09)

ARRÊT

STRASBOURG

15 janvier 2015

DÉFINITIF

15/04/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Korkolis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 décembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 63300/09) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant grec, M. Konstantinos Korkolis (« le requérant »), a saisi la Cour le 13 novembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me S. Konstantopoulos, avocat au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, Mme K. Paraskevopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat, et M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. Le requérant allègue des violations de l’article 6 § 1 de la Convention à l’égard du droit d’accès à un tribunal et de l’examen de son affaire dans un délai raisonnable.

4. Le 11 avril 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1954 et réside à Athènes.

6. Le 16 août 2004, il porta plainte avec constitution de partie civile, pour une somme de quarante-quatre euros au titre du dommage moral subi, contre M.K. et I.K. pour tentative de chantage et instigation à la tentative de chantage respectivement, actes prétendument ayant eu lieu les 12 novembre 2001 et 12 mai 2004.

7. Le 10 janvier 2005, l’enquête préliminaire de l’affaire fut clôturée. Le 17 février 2005, le dossier fut transmis au juge de paix compétent qui acheva l’examen préliminaire de l’affaire le 3 mars 2005.

8. Le 18 avril 2005, le procureur compétent engagea des poursuites pénales contre M.K. et I.K. pour tentative de chantage et instigation à la tentative de chantage respectivement. L’instruction de l’affaire fut clôturée le 22 mai 2006.

9. Le 12 mars 2007, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes décida de ne pas engager de poursuites pénales contre I.K. et de renvoyer M.K. en jugement devant la cour d’assises d’Athènes pour tentative de chantage commise les 12 novembre 2001 et 12 mai 2004 (ordonnance no 818/2007).

10. Le 17 avril 2007, M.K. interjeta appel contre la décision le renvoyant en jugement. Le 7 février 2008, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes rejeta son appel comme infondé (ordonnance no 164/2008).

11. Le 4 mars 2008, M.K. se pourvut en cassation. L’audience devant la chambre d’accusation de la Cour de cassation eut lieu le 14 octobre 2008. Le 28 avril 2009, ladite juridiction cassa l’ordonnance attaquée et requalifia l’acte incriminé en délit. Par la suite, elle mit fin aux poursuites pénales relatives aux faits ayant eu lieu en 2001 pour cause de prescription et renvoya l’accusé en jugement devant le tribunal correctionnel d’Athènes pour la tentative de chantage, prétendument commise le 12 mai 2004. Cette ordonnance (no 1168/2009) fut publiée le 14 mai 2009.

12. Le 12 janvier 2010, le tribunal correctionnel d’Athènes, mit définitivement fin à la poursuite pénale contre M.K. pour motif de prescription. En effet, il jugea que le délit de tentative de chantage, prétendument commis le 12 mai 2004, avait été frappé par la prescription quinquennale (jugement no 1756/2010).

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

13. Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi :

Article 111

1. L’acte punissable s’éteint avec la prescription.

(...)

3. Les délits sont prescrits après cinq ans.

(...)

Article 112

Le délai de prescription court à compter du jour de la commission de l’acte punissable.

EN DROIT

I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

14. Le requérant allègue que la prescription des délits en cause, imputable aux autorités judiciaires compétentes, a entraîné la violation de son droit d’accès à un tribunal. Il se plaint en outre de la durée de la procédure en cause. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

15. Le Gouvernement affirme que l’article 6 n’est pas applicable en l’espèce. En se référant à l’arrêt Sigalas c. Grèce (no 19754/02, 22 septembre 2005), il relève que le requérant ne s’est constitué partie civile que pour la somme de quarante-quatre euros à titre de compensation pour le dommage moral subi. De plus, il note que la présente affaire s’inscrit dans le contexte d’un litige entre le requérant et I.K. ainsi que M.K. sur un différend de nature pécuniaire. De l’avis du Gouvernement, le dépôt de la plainte avec constitution de partie civile pourrait s’analyser en l’espèce comme « une vengeance privée » ayant pour but non pas d’obtenir une réparation ou de protéger un droit à caractère civil, mais fondamentalement de poursuivre et faire condamner pénalement un tiers.

16. Le requérant rétorque que son action civile n’était aucunement diligentée à des fins purement répressives et que, partant, l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer en l’espèce.

17. La Cour constate que le système juridique grec prévoit que l’intéressé qui dépose une plainte avec constitution de partie civile entame en principe des poursuites judiciaires afin d’obtenir des juridictions pénales une déclaration de culpabilité et, en même temps, une réparation, fût-elle minime (voir Perez c. France [GC], no 47287/99, §§ 70-71, CEDH 2004-I, et Diamantides c. Grèce (déc.), no 71563/01, 20 novembre 2003). Dans la présente affaire, il est à noter que la somme de quarante-quatre euros pour laquelle le requérant s’est constitué partie civile, même si elle n’est pas en principe importante, n’enlève pas le caractère indemnitaire à sa constitution de partie civile. En outre, à la différence de l’affaire Sigalas, il ne ressort pas du dossier que le requérant ait clairement manifesté son intention de se servir de la procédure litigieuse à des fins purement répressives (voir a contrario Sigalas, précité, § 27).

18. Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter l’exception d’irrecevabilité pour incompatibilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement. Par ailleurs, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Enfin, elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

19. Le requérant soutient que les retards injustifiés des autorités judiciaires et, tout particulièrement, l’instruction de l’affaire et la procédure devant les chambres d’accusation sont à l’origine de la prescription des délits en cause.

20. Le Gouvernement affirme que les autorités judiciaires ont procédé sans retards injustifiés à l’examen de l’affaire. Il ajoute que le constat de prescription est aussi dû à la décision de la chambre d’accusation de la Cour de cassation de requalifier les actes incriminés en délit, ce qui a eu comme conséquence de raccourcir le délai de prescription à cinq ans depuis la commission des actes punissables.

21. La Cour rappelle que chaque justiciable possède le droit à ce qu’un tribunal connaisse toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. C’est ainsi que l’article 6 § 1 consacre le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 43, CEDH 2001‑VIII). Le droit d’accès à un tribunal n’est cependant pas absolu ; appelant de par sa nature même une réglementation par l’Etat, il peut donner lieu à des limitations, lesquelles ne sauraient cependant restreindre l’accès d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même (Eglise catholique de La Canée c. Grèce, 16 décembre 1997, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII).

22. La Cour note qu’elle a déjà eu l’occasion de se prononcer sur une question similaire à celle posée en l’occurrence, dans son arrêt Anagnostopoulos c. Grèce (3 avril 2003, no 54589/00). En particulier, la Cour a considéré que :

« (...) lorsque l’ordre juridique interne offre un recours au justiciable, tel le dépôt d’une plainte avec une constitution de partie civile, l’Etat a l’obligation de veiller à ce que celui-ci jouisse des garanties fondamentales de l’article 6. En l’espèce, le requérant avait introduit une demande d’indemnisation pour un montant de GRD 15 000, ce qui constitue une [demande ] que les juridictions pénales examinent dans tous les cas sans être obligées de renvoyer aux juridictions civiles. Le requérant avait donc une espérance légitime d’attendre que les tribunaux statuent sur cette demande d’indemnisation, que ce soit de manière favorable ou défavorable. Le retard avec lequel les autorités des poursuites ont traité le dossier, ce qui a entraîné la prescription des infractions incriminées et, par conséquent, l’impossibilité pour le requérant de voir statuer sur sa demande d’indemnisation, a privé ce dernier d’un droit d’accès à un tribunal. » (Anagnostopoulos, précité, § 32).

23. La Cour observe que, dans le cas d’espèce, l’action civile introduite par le requérant le 16 août 2004 est restée pendante devant les juridictions saisies pour une longue période – de cinq ans environ en ce qui concerne les actes commis en 2001 et de cinq ans et demi environ quant à ceux commis en 2004 - avant que la chambre d’accusation de la Cour de cassation et le tribunal correctionnel d’Athènes ne constatent respectivement, selon la législation pertinente, la prescription des délits en question. Partant, les retards injustifiés lors de la procédure devant les organes judiciaires compétents ont entraîné l’impossibilité pour le requérant de voir statuer sur sa demande d’indemnisation auprès des juridictions pénales.

24. La Cour prend en compte sur ce point l’argument du Gouvernement, à savoir que la prescription en cause est due à la requalification des actes incriminés de crimes en délits par la Cour de cassation, élément qui a eu comme conséquence de raccourcir le délai de prescription. Or la Cour considère que ce fait n’est afférent qu’à la manière dont les autorités judiciaires ont procédé au traitement de l’affaire litigieuse. Aucune responsabilité du requérant en ce sens ne ressort du dossier. La Cour conclut donc que la requalification des faits incriminés, et le raccourcissement conséquent du délai de prescription, ne saurait être imputable au requérant.

25. Au vu de ce qui précède, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention au regard du droit du requérant d’avoir accès à un tribunal.

26. Enfin, eu égard aux faits de l’espèce, aux thèses des parties et à la conclusion formulée sous l’angle du grief tiré du droit d’accès à un tribunal, la Cour estime qu’elle a examiné les principales questions juridiques soulevées par la présente requête quant à la durée de la procédure litigieuse et qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le grief tiré à cet égard de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

27. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

28. Le requérant réclame 100 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

29. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive et arbitraire et affirme que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

30. La Cour considère que le requérant a souffert un préjudice moral, du fait de la violation de son droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention. Ce préjudice moral ne se trouve pas suffisamment compensé par le constat de violation. Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 3 500 EUR pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

31. Le requérant demande également le remboursement des frais et dépens engagés devant la Cour. Il soumet un accord signé avec son représentant selon lequel il s’est déjà acquitté de la somme de 700 EUR et il paiera le montant de 2 300 EUR à la fin de la procédure devant la Cour.

32. Le Gouvernement observe que les prétentions du requérant sont vagues et excessives. Il estime que la somme allouée à ce titre ne saurait excéder 500 EUR.

33. La Cour note que le requérant a conclu avec son conseil un accord concernant les honoraires de celui-ci, qui se rapprocherait d’un accord de quota litis. Ces accords peuvent attester, s’ils sont juridiquement valables, que l’intéressé est effectivement redevable des sommes réclamées. Pareils accords, qui ne font naître des obligations qu’entre l’avocat et son client, ne sauraient lier la Cour, qui doit évaluer le niveau des frais et dépens à rembourser non seulement par rapport à la réalité des frais allégués, mais aussi par rapport à leur caractère raisonnable (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 2000-XI). Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime raisonnable d’accorder au requérant 1 000 EUR pour les frais engagés pour la procédure devant elle, plus toute somme pouvant être due par le requérant à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

34. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à l’égard du droit d’accès à un tribunal ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la durée de la procédure en cause ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les montants suivants :

i. 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros) au titre du dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

ii. 1 000 EUR (mille euros) au titre des frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 janvier 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-150308
Date de la décision : 15/01/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Accès à un tribunal)

Parties
Demandeurs : KORKOLIS
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : KONSTANTOPOULOS S.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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