La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/01/2015 | CEDH | N°001-150297

CEDH | CEDH, AFFAIRE MAHAMMAD ET AUTRES c. GRÈCE, 2015, 001-150297


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MAHAMMAD ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 48352/12)

ARRÊT

STRASBOURG

15 janvier 2015

DÉFINITIF

15/04/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Mahammad et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paul

o Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoi...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MAHAMMAD ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 48352/12)

ARRÊT

STRASBOURG

15 janvier 2015

DÉFINITIF

15/04/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mahammad et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 décembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 48352/12) dirigée contre la République hellénique et dont quatorze requérants de différentes nationalités (dont les noms figurent en annexe) ont saisi la Cour le 16 juillet 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me K. Tsitselikis, avocat à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. D. Kalogiros, assesseur au Conseil juridique de l’État, et Mme K Karavasili, auditrice au Conseil juridique de l’État.

3. Les requérants allèguent des violations des articles 3, 5 § 1 et 5 § 4 de la Convention.

4. Le 21 mars 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. L’arrestation et la rétention administrative des requérants en vue de leur expulsion

5. À différentes dates, qui figurent en annexe, les requérants entrèrent illégalement en Grèce, dans la région de l’Évros.

Le requérant no 14 fut arrêté et placé en rétention le 20 novembre 2011. Les requérants nos 1 et 2, le 25 novembre 2011. Les requérants nos 3, 4 et 5, le 26 novembre 2011. Les requérants nos 6, 12 et 13, le 28 novembre 2011. Le requérant no 11, le 3 décembre 2011. Les requérants nos 7, 8 et 9, le 1er janvier 2012 et le requérant no 10, le 4 janvier 2012.

6. Les requérants, qui étaient tous dépourvus de documents de voyage, furent retenus provisoirement dans différents postes-frontière jusqu’à l’adoption des décisions ordonnant leur expulsion.

7. Par des décisions datées des 23, 28 et 29 novembre 2011, 1er et 6 décembre 2011, 4 et 7 janvier 2012, le directeur de la Direction de la police d’Orestiada, ordonna l’expulsion des requérants et leur maintien en rétention (au motif qu’ils risquaient de fuir) pour une période ne pouvant pas dépasser six mois au centre de rétention de Fylakio.

8. À différentes dates s’échelonnant entre le 17 décembre 2011 au 8 mars 2012 (le 17 décembre 2011 pour le requérant no 14, le 17 janvier 2012 pour les requérants no 6 et 13, le 11 février 2012 pour les requérants no 1, 3, 4 et 5, le 14 février 2013 pour le requérant no 2 et le 8 mars 2012 pour les requérants 7, 9 et 10) les requérants déposèrent des demandes d’asile. Aux mêmes dates, le directeur de la Direction de la police d’Orestiada ordonna le maintien en rétention de ces requérants jusqu’à ce qu’il soit statué sur leur demande d’asile, pour un délai ne pouvant pas dépasser 90 jours. Les décisions précisaient que ces requérants étaient dépourvus de documents de voyage, qu’il était nécessaire de vérifier leur identité et les conditions de leur entrée en Grèce et que leur maintien en rétention s’imposait pour l’examen rapide et efficace de leurs demandes d’asile.

9. Le 22 février 2012, les requérants formulèrent des objections contre leur maintien en rétention devant le tribunal administratif d’Alexandroupoli. Ils alléguaient, entre autres, la violation des articles 5 et 3 de la Convention. En ce qui concerne l’article 5, ils excipaient de l’illégalité de la décision d’expulsion. Quant à l’article 3, ils soulignaient que leurs conditions de détention étaient inadmissibles : il n’y avait aucune possibilité de sortir à l’extérieur du bâtiment, l’hygiène et l’alimentation étaient déplorables et le nombre de détenus par cellule dépassait la capacité normale d’accueil.

10. Le 2 mars 2012, la présidente du tribunal administratif rejeta les objections présentées. En premier lieu, elle constata que les six premiers requérants avaient été mis en liberté le 24 février 2012 et avaient reçu un récépissé de dépôt de leur demande d’asile ; par conséquent, leurs objections étaient selon elle sans objet. Quant aux griefs relatifs à la Convention, elle jugea ainsi :

« (...) Les requérants sont dangereux pour l’ordre public, car ils ne peuvent assurer leur subsistance qu’en contrevenant la loi. Par ailleurs, il n’est pas possible d’appliquer des mesures moins contraignantes que la rétention ; l’hébergement chez un particulier [doit ainsi être exclu]. En outre, l’allégation relative à l’impossibilité d’exécuter la mesure d’expulsion n’est pas fondée, car [la possibilité de mettre l’expulsion à exécution doit s’apprécier au regard du délai de rétention autorisé].

Les allégations des requérants concernant leurs conditions de détention sont irrecevables car, dans la procédure d’objections, seule est examinée la légalité de la décision de rétention, à l’exclusion de toutes questions relatives à l’application de celle-ci et notamment de celles relatives aux conditions de détention (arrêt Bizzotto c. Grèce du 28 octobre 1996). Une protection effective pour ce type de problèmes est offerte aux requérants par les dispositions du droit administratif et du droit pénal, d’autant plus qu’ils sont représentés par des avocats, et non par la voie des objections. Celles-ci tendent à la levée de la rétention, or en aucun cas il ne peut être procédé à la levée de la rétention de personnes qui sont détenues parce qu’elles sont dangereuses pour l’ordre public ou risquent de fuir. »

11. Les autres requérants furent mis en liberté aux dates suivantes : le requérant no 8, le 6 mars 2012 ; les requérants nos 13 et 14, le 7 mars 2012 ; le requérant no 11, le 8 mars 2012 ; les requérants nos 7, 9 et 10, le 9 mars 2012. Le requérant no 12 (détenu depuis le 28 novembre 2011) fut délivré aux autorités turques le 30 janvier 2012.

12. Les 19, 23, 29 et 30 mars 2012, puis les 23, 25 et 30 mai 2012, les autorités rejetèrent les demandes d’asile des requérants qui en avaient déposé une.

B. Les conditions de détention des requérants

1. La version des requérants

13. Les requérants furent détenus au centre de rétention de Fylakio. Ils étaient entassés dans de petites cellules avec beaucoup d’autres personnes. Les cellules étaient crasseuses, et ne disposaient ni de chaises ni de tables, les détenus ne recevaient ni linge de lit, ni produit d’hygiène personnelle. Il n’y avait pas d’eau chaude et les toilettes étaient bouchées en permanence.

14. Les détenus recevaient des repas d’une valeur nutritionnelle très faible et dont le coût s’élevait à 5,85 euros par jour. En ce qui concernait la promenade des détenus, il existait une rotation entre les différentes cellules de sorte que les requérants ne sortaient qu’une ou deux fois par semaine voire pas du tout. Il n’y avait ni radio ni télévision et aucune activité physique ni aucun divertissement n’étaient possibles.

2. La version du Gouvernement

15. Le Gouvernement affirme que tous les migrants irréguliers arrêtés par la Direction de la police d’Orestiada (au nombre de 35 930 en 2010, 28 231 en 2011 et 23 266 en 2012) furent détenus au centre de rétention de Fylakio, qui fonctionnait pendant cette période comme lieu de premier accueil, comme lieu de rétention des étrangers en voie d’expulsion et aussi comme lieu de garde des mineurs non accompagnés. Le centre disposait de sept chambrées, d’une capacité totale de 348 personnes. Si les chambrées ne contiennent ni chaises ni tables, c’était pour des raisons de sécurité.

16. Dans chaque chambrée, il y avait un téléphone à carte pour que les détenus puissent communiquer avec l’extérieur.

17. L’entretien des lieux, depuis sa création en 2007, était confié par la préfecture de l’Évros à une société privée de nettoyage moyennant une rémunération de 33 649,44 euros par an. De plus, les murs des chambrées étaient peints à chaque fois que les circonstances le permettaient et des travaux de déparasitage et de désinfection étaient effectués par une société spécialisée privée.

18. Le chauffage était assuré par un système central. En 2011, 2012 et 2013, l’armée grecque fournit au centre respectivement 50 000, 12 000 et 7 500 litres de fioul. Une chaudière assurait la fourniture d’eau chaude 24 heures sur 24. Il existait aussi un système d’aération renforcé par les portes du couloir.

19. Tout au long de l’année 2011, l’organisation non gouvernementale « Médecins sans frontières » approvisionna le centre en sacs de couchage et produits d’hygiène personnelle.

20. La promenade s’effectuait par chambrée et durait une heure par jour.

21. De février à juillet 2011, le centre était doté d’une équipe du Centre de contrôle et de prévention des maladies (KE.EL.P.NO.) composée de deux médecins, une psychologue, une assistante sociale et trois interprètes. Lorsque les détenus avaient besoin de soins plus spécifiques, ils étaient transférés aux hôpitaux de Didymoteicho et d’Alexandroupoli.

22. L’alimentation des détenus était assurée par les soins de la préfecture de l’Évros, qui avait conclu un contrat avec une société de restauration. Les détenus recevaient trois repas par jours, au prix d’abord de 6,67 euros par détenu et par jour, puis, à compter du 1er juin 2011, au prix de 5,87 euros. De telles sommes suffisent pour couvrir les besoins nutritionnels des détenus, la préparation des repas sur une base collective permettant de réduire leur prix unitaire. Toutes les portions pesaient de 450 à 500 grammes. Le sandwich pesait 200 grammes et chaque détenu recevait avec le déjeuner un pain de 350 grammes. Dans le cas où certains détenus estimaient que la quantité ne leur suffisait pas, ils pouvaient demander des sandwiches supplémentaires. À titre de comparaison, le Gouvernement souligne que la somme de 5,87 euros représente le triple de la somme dépensée par l’Université des sciences économiques et sociales de Macédoine pour le déjeuner et le dîner des étudiants sur une base hebdomadaire (1,79 euro, TVA incluse).

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

23. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013) et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013).

Plus précisément, l’article 76 § 5 de la loi no 3386/2005, tel qu’amendé par la loi no 3900/2010 entrée en vigueur le 1er janvier 2011, relative à l’entrée, au séjour et à l’insertion des ressortissants de pays tiers dans le territoire grec dispose :

« Lorsque l’étranger détenu dans l’attente de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, ou lorsque le président du tribunal administratif s’oppose à sa détention, il est fixé à l’intéressé un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours, excepté lorsqu’il existe des motifs [s’opposant à] l’expulsion. »

24. Du 18 au 20 mars 2011, la Commission nationale des droits de l’homme et le médiateur de la République ont visité les centres de rétention des départements de l’Évros et du Rhodope afin d’examiner les conditions de détention des étrangers et l’application de la législation relative à l’asile.

25. Au premier jour de la visite – le 18 mars 2011 –, le centre de Fylakio, d’une capacité de 300 personnes, en accueillait 412. Les mois précédents, le nombre de détenus atteignait le double. Alors qu’au début de sa mise en service le centre avait été totalement rénové, il présentait déjà des dégradations et des problèmes de fonctionnement, dus à la surpopulation. Les conditions de détention étaient mauvaises à cause de la surpopulation. En raison du grand nombre de détenus et du nombre insuffisant de gardiens, les premiers n’étaient pas autorisés à sortir du bâtiment.

26. La Commission et le médiateur ont été informés qu’il y avait un important problème de financement du centre, ce qui avait comme conséquence le manque, entre autres, de produits de première nécessité (papier hygiénique et produits d’hygiène) et de linge de lit. Il y avait aussi une inquiétude concernant l’approvisionnement du centre en denrées alimentaires, car le contrat conclu avec une société privée arrivait à échéance.

27. La Commission et le médiateur ont aussi été informés qu’il y avait des problèmes de communication avec les détenus par manque d’interprètes. Les détenus n’étaient pas au courant de la procédure d’asile, ni des motifs ou de la durée de leur rétention.

III. LES RAPPORTS DES INSTANCES INTERNATIONALES ET DES ORGANISATION NON-GOUVERNMENTALES

A. Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) dans son rapport du 10 janvier 2012, établi à la suite de sa visite du 19 au 27 janvier 2011

28. Le centre de rétention de Fylakio comporte six grandes cellules avec des barreaux, ainsi qu’une septième cellule située près du centre de contrôle et destinée aux femmes. À la date de la visite, le centre accueillait 488 personnes, nombre qui dépassait de loin la capacité d’accueil déclarée – et surestimée – de 374 personnes. Parmi les détenus, il y avait 110 adolescents (la majorité étant des mineurs non accompagnés) et 10 familles.

29. Les conditions de détention dans la cellule des adolescents étaient déplorables : 83 garçons étaient entassés dans une cellule d’une surface de 100 m² environ. Cinq garçons partageaient deux lits et de nombreux autres dormaient par terre. L’accès à la lumière naturelle était limité, l’éclairage et l’aération étaient insuffisants et l’arrière de la cellule était exposé aux basses températures régnant à l’extérieur. La cellule était sale et les adolescents ne disposaient pas des produits nécessaires pour la nettoyer. Les toilettes, au nombre de trois, étaient toutes bouchées et les douches inondées par des eaux usées qui se déversaient dans le dortoir. Aucun produit d’hygiène corporelle n’était fourni.

30. L’état des autres cellules était aussi déplorable. En particulier, les installations sanitaires de la cellule accueillant les familles avec les bébés étaient dans un état inadmissible : les toilettes étaient remplies d’excréments, car les chasses d’eau étaient cassées ; le sol était inondé par des eaux usées et la moitié de la porte de la douche était cassée, ce qui exposait les mères et leurs enfants qui se lavaient à la vue des autres. Les bébés et les jeunes enfants ne recevaient ni lit, ni aliments adaptés et ne se voyaient offrir aucune activité.

31. En raison de l’insuffisance des effectifs du personnel, les détenus ne pouvaient pas sortir à l’extérieur tous les jours, surtout lorsque le centre était plein. La restauration faisait l’objet d’un appel d’offres et le fournisseur de l’époque avait été averti qu’il devait strictement se conformer à ses obligations contractuelles.

B. La déclaration publique du CPT relative à la Grèce

32. Dans la déclaration publique relative à la Grèce, faite le 15 mars 2011, le CPT notait ce qui suit au sujet du centre de Fylakio :

« 7. (...) Dans les locaux spécialement conçus pour la rétention des étrangers en situation irrégulière de Filakio [Fylakio], dans la région de l’Évros, les occupants, dont des mineurs et des familles avec de jeunes enfants, étaient enfermés à clef pendant des semaines, voire des mois, dans des conditions manquant totalement d’hygiène, entassés dans des espaces s’apparentant à des cages, sans aucune possibilité de faire quotidiennement de l’exercice en plein air. »

C. Les constats du Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés

33. Les requérants produisent un document établi par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) à la suite de sa visite au centre de rétention de Fylakio les 20, 21 et 22 juin et le 22 juillet 2011. En ce qui concerne les conditions matérielles de détention, les représentants du HCR relevaient que les chambrées n’étaient pas propres. Certaines toilettes à l’intérieur des chambrées étaient bloquées ou hors d’usage et ne semblaient pas avoir fait l’objet d’un nettoyage régulier. L’aération et l’éclairage étaient insuffisants. L’atmosphère dans les chambrées était étouffante à cause des conditions d’hygiène précaires, du grand nombre de détenus et de l’impossibilité pour eux de sortir. Les détenus ne recevaient pas de savon pour laver leurs vêtements. Un jour avant la visite du HCR le 22 juillet 2011, des détenus avaient mis le feu à leurs matelas en guise de protestation. Des familles se plaignaient du manque de lait et d’autres produits de première nécessité pour leurs enfants. Certains détenus affirmaient qu’ils recevaient un seul repas par jour et que la nourriture contenait du porc, aliment qu’ils ne pouvaient pas consommer.

34. Certains détenus rapportèrent aux représentants du HCR que l’accès à la cour du centre n’était permis qu’exceptionnellement et pour une durée très courte. Les autorités du centre soutinrent que l’accès régulier à la cour n’était pas possible en raison du grand nombre de détenus et du nombre insuffisant de policiers pour les surveiller.

D. Le rapport du Rapporteur spécial des Nations unies

35. Le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Manfred Nowak, a effectué une visite en Grèce du 10 au 20 octobre 2010. Il a visité le centre de rétention de Fylakio le 12 octobre 2010.

36. Dans son rapport, il relevait que le centre était destiné à recevoir en premier, traiter et détenir tous les étrangers clandestins arrêtés à la frontière gréco-turque. D’une capacité officielle de 179 personnes, il en accueillait 486 à la date de la visite. Selon certaines informations reçues, il en accueillait même 550, en particulier pendant les six derniers mois, lorsque 200 personnes arrivaient quotidiennement au centre. Les conditions de détention étaient particulièrement mauvaises. Il n’y avait pas assez de lits et les détenus étaient ainsi obligés de les partager ou de dormir par terre. Les lits, les couvertures et les oreillers étaient très sales. Les installations sanitaires étaient en mauvais état, avec des murs sales et de l’eau coulant hors des douches et des toilettes. Les chambrées étaient humides et le sol y était sale. Elles n’étaient presque pas éclairées par la lumière naturelle et beaucoup de lampes au plafond étaient cassées. Le manque d’espace entre les lits rendait difficile pour les détenus de circuler. Les détenus n’avaient accès à aucune cour extérieure pour se promener.

37. Le rapport relevait aussi que la chambrée semi-ouverte pour les nouveaux arrivants était dans le pire état qui soit. Les toilettes étaient bouchées et de l’eau et des excréments avaient envahi le sol. Les détenus déféquaient dans le couloir de la salle d’eau et les eaux sales coulaient dans la chambrée, répandant une odeur nauséabonde. En conséquence, certains des nouveaux arrivants préféraient dormir à l’extérieur.

E. Autres rapports

38. Les requérants produisent aussi des extraits des rapports suivants : « Unaccompanied Minors in the Greek-Turkish Borders : Evros Region, March 2011-March 2012 », établi par le Conseil hellénique des réfugiés, et « Walls of Shame. Accounts from the inside : The detention Centers of Evros », établi en avril 2012 par l’organisation non gouvernementale ProAsyl.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

39. Les requérants dénoncent les conditions de détention qui auraient été les leurs pendant plus de trois mois, au centre de rétention de Fylakio. Ils allèguent une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

40. La Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

41. Le Gouvernement se réfère à sa version des conditions de détention des requérants. Il soutient que ceux-ci soulèvent des griefs de caractère excessivement général et ne mentionnent pas de faits concrets pouvant emporter violation de l’article 3. Il énumère aussi une longue liste de travaux d’amélioration réalisés d’abord (pour un coût de 860 000 EUR) du 8 mars au 15 mai 2012 – période durant laquelle le fonctionnement du centre avait été suspendu pour cette raison – puis du 1er avril au 10 avril 2013 (pour un coût de 24 000 EUR). En outre, le 26 février 2013, le ministère de l’Ordre public et de la Protection du citoyen a ouvert un crédit de 23 286 EUR pour l’achat de téléviseurs, de livres, de ballons et de jeux de société, destinés à contribuer à l’occupation récréative des détenus.

42. Les requérants rétorquent qu’ils ont beaucoup souffert des déficiences du centre en ce qui concerne l’alimentation, l’espace de détention, l’état des toilettes et des salles d’eau et l’impossibilité d’avoir une quelconque activité physique. Pour démontrer la réalité de leurs allégations, ils reproduisent des extraits de rapports établis par plusieurs instances internationales et nationales, telles le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, le CPT, le HCR, la Commission nationale des droits de l’homme et le médiateur de la République, ainsi que par des organisations non-gouvernementales, telles le Conseil hellénique des réfugiés et ProAsyl, qui ont toutes visité le centre de rétention de Fylakio.

43. En ce qui concerne les principes généraux concernant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 90-94, CEDH 2000-XI ; Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 67-68, CEDH 2001‑III ; Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002‑VI ; Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 97, 24 janvier 2008 ; Tabesh, no 8256/07, §§ 34-37 26 novembre 2009 ; Rahimi c. Grèce, no 8687/08, §§ 59-62, 5 avril 2011 ; R.U. c. Grèce, no 2237/08, §§ 54-56, 7 juin 2011 ; A.F. c. Grèce, no 53709/11, §§ 68-70, 13 juin 2013 ; de los Santos et de la Cruz c. Grèce, nos 2134/12 et 2161/12, § 43, 26 juin 2014).

44. En premier lieu, la Cour relève que les requérants nos 1 à 6, 11, 13 et 14 ont été détenus dans le centre de rétention de Fylakio pour une période de trois mois environ et les requérants 7 à 10 et 12 pour une période de deux mois environ. En deuxième lieu, elle note que les versions des requérants diffèrent considérablement de la version du Gouvernement quant aux conditions de détention régnant dans ce centre à l’époque des faits.

45. La Cour dispose d’une série de rapports établis par des instances nationales et internationales à la suite de leurs visites dans ce centre à des périodes proches de celles de la détention des requérants, à savoir entre novembre 2011 et mars 2012. Ainsi, le Rapporteur spécial des Nations unies a visité les lieux en octobre 2010, le CPT en janvier 2011, la Commission nationale des droits de l’homme et le médiateur de la République en mars 2011, le HCR en juin et en juillet 2011 ; le Conseil hellénique des réfugiés a, quant à lui, observé le centre sur une période d’un an (de mars 2011 à mars 2012).

46. Or, tous les rapports susmentionnés s’accordent notamment sur les points suivants : de par sa vocation de lieu de premier accueil et de triage de toutes les personnes arrêtées près de la frontière gréco-turque, le centre était dans un état de surpopulation grave et permanente obligeant un grand nombre de détenus à dormir par terre ; les chambrées, les lits et les installations sanitaires étaient dans un état grave de délabrement et de saleté ; il y avait impossibilité pour les détenus de sortir du bâtiment ou tout au plus de manière exceptionnelle et pour une très courte durée ; les produits d’hygiène corporelle étaient rares ; selon certains témoignages, la nourriture semblait être parfois insuffisante (paragraphes 24-38 ci-dessus).

47. Dans ses observations, le Gouvernement fait état de travaux de rénovation et d’amélioration des structures du centre. La Cour en prend acte, mais constate que ces travaux ont eu ou devaient avoir lieu postérieurement à la mise en liberté des requérants (du 8 mars au 15 mai 2012, et du 1er avril au 10 avril 2013).

48. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que les requérants ont été détenus dans des conditions de surpopulation et d’hygiène déplorables, incompatibles avec l’article 3 de la Convention et qui ont constitué à leur endroit un traitement inhumain et dégradant.

49. Elle conclut donc qu’il y a eu violation de cette disposition.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

50. Les requérants contestent la légalité de leur rétention, alléguant que leur expulsion était impossible faute pour eux de disposer de documents de voyage. Ils voient là une violation de l’article 5 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

51. Le Gouvernement souligne que les requérants ont été arrêtés et détenus en application et dans le respect de l’article 76 § 1 b) de la loi no 3386/2005, car ils étaient entrés clandestinement dans le territoire. Les requérants nos 1 à 7, 9 et 10, 13 et 14, qui ont déposé une demande d’asile (paragraphe 8 ci-dessus), étaient déjà détenus en vertu de décisions antérieures du directeur de la Direction de la police d’Orestiada, dont la légalité a été examinée par la présidente du tribunal administratif d’Alexandroupoli. Les décisions ordonnant l’expulsion et la rétention des requérants ont d’après lui été rendues et notifiées légalement et dans les délais fixés par l’article 76 de la loi précitée.

52. Tous les requérants, à l’exception du no 12, exposent avoir été détenus dans de mauvaises conditions pendant deux ou trois mois en vue de leur expulsion, alors que celle-ci n’était selon eux pas réalisable et qu’ils avaient déposé des demandes d’asile. S’ils ont été mis en liberté, ce n’est pas en raison de leur statut ou de considérations quant à la légalité de leur rétention, mais seulement à cause de l’afflux de nouveaux arrivants au centre de Fylakio.

53. En ce qui concerne les principes généraux concernant l’application de l’article 5 § 1 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 64 et 74, CEDH 2008 ; Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, §§ 72-81, CEDH 2009 ; Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil 1996‑V ; Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III ; Barjamaj, précité, §§ 36-38 ; Khuroshvili c. Grèce, précité, §§ 107-108).

54. La Cour rappelle ensuite que l’article 5 § 1 f) de la Convention n’exige pas que la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir. À cet égard, cet article ne prévoit pas la même protection que l’article 5 § 1 c) de la Convention ; de fait, il exige seulement qu’une procédure d’expulsion soit en cours. Que la décision d’expulsion initiale se justifie au regard de la législation interne ou de la Convention n’entre donc pas en ligne de compte aux fins de l’article 5 § 1 f) de la Convention. La Cour rappelle cependant que seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition (Chahal, précité, §§ 112-113 ; Takush c. Grèce, no 2853/09, § 41, 17 janvier 2012, et Chkhartishvili c. Grèce, no 22910/10, § 69, 2 mai 2013).

55. La Cour note que les requérants ont été arrêtés à diverses dates entre le 20 novembre 2011 et le 4 janvier 2012 pour entrée illégale sur le territoire. Les requérants no 1 à 7, 9, 10, 13 et 14 ont déposé des demandes d’asile en janvier, février et mars 2012 (alors qu’ils étaient déjà tous détenus) et, le 22 février 2012, tous les requérants ont présenté des objections devant le tribunal administratif d’Alexandroupoli. Les requérants nos 1 à 6 ont été libérés le 24 février 2012, donc avant que la présidente du tribunal administratif statue, et les requérants nos 7 à 11 et 13 et 14 cinq à sept jours après que la présidente du tribunal administratif ait rejeté leurs objections. Le requérant no 12 avait, quant à lui, déjà été livré aux autorités turques depuis le 30 janvier 2012.

56. La Cour constate, en premier lieu, que les requérants, qui avaient déposé leurs demandes d’asile en janvier, février et mars 2012, n’ont été maintenus en rétention que quelques jours avant d’être mis en liberté (le 24 février 2012 et les 6, 7, 8 et 9 mars 2012 respectivement). Elle constate aussi que l’article 13 du décret no 114/2010 prévoit que l’étranger retenu en vue de son expulsion et qui présente une demande d’asile est maintenu en rétention lorsque les conditions prévues au paragraphe 2 de cet article se trouvent réunies, à savoir lorsque, entre autres, l’intéressé ne porte pas de documents de voyage ou les a détruits et qu’il est nécessaire de vérifier son identité, les conditions de son entrée et son origine, surtout en cas d’arrivée massive d’étrangers clandestins. Or, tel était bien le cas des requérants.

57. L’article 13 du décret impose, en outre, que la demande d’asile soit examinée en priorité. Or, en l’espèce, la Cour observe que les autorités ont rejeté les demandes d’asile des requérants les 19, 23, 29 et 30 mars et les 23, 25 et 30 mai 2012, soit à des dates auxquelles les requérants étaient déjà en liberté et à bref délai après l’introduction de leurs demandes. Ainsi, on ne saurait reprocher aux autorités nationales d’avoir manqué d’agir avec la diligence voulue tout au long de la procédure d’expulsion.

58. En dernier lieu, ayant conclu à une violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention du requérant dans le centre de rétention de Fylakio, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se placer une fois de plus sur ce terrain sous l’angle de l’article 5 § 1 f) de la Convention (Horshill, précité, § 65, et C.D. et autres c. Grèce, nos 33441/10, 33468/10 et 33476/10, § 74, 19 décembre 2013).

59. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la rétention des requérants n’était pas arbitraire et que l’on ne saurait considérer qu’elle n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

60. Il s’ensuit que le présent grief doit être rejeté comme irrecevable, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

61. Les requérants se plaignent également que le nouveau paragraphe 4 ajouté à l’article 76 de la loi no 3386/2005 ne remédie pas aux insuffisances du contrôle de la légalité de la rétention constatées antérieurement par la Cour. Ils allèguent une violation de l’article 5 § 4 de la Convention, qui se lit ainsi :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

62. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

63. Le Gouvernement soutient que lorsque le président du tribunal administratif se prononce sur les objections présentées par les personnes placées en rétention, il examine leurs conditions de détention puisque le paragraphe 5 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 accorde explicitement un tel pouvoir au juge. À cet égard, le président examine si les allégations des détenus sont motivées, c’est-à-dire qu’elles soulèvent un problème précis lié aux soins médicaux, aux conditions d’hygiène, à la promenade, à la communication avec l’extérieur et au caractère approprié du lieu de détention. Si les objections sont accueillies et s’il n’est pas possible de résoudre le problème par l’intermédiaire du procureur ou de l’organe administratif compétent, il est ordonné aux autorités de police de le résoudre soit dans le lieu même de détention soit par un transfèrement du détenu dans un autre centre de rétention.

64. Pour étayer ses arguments, le Gouvernement se réfère à cinq décisions datant de 2009 et ordonnant la levée de la rétention en raison des mauvaises conditions de détention, vingt-quatre décisions datant de 2011-2012 et ordonnant la levée de la rétention pour raisons de santé, sept décisions pour cause de minorité des intéressés, douze pour cause d’introduction d’un recours en annulation de la décision d’expulsion, et une pour défaut d’effectuer l’expulsion dans le délai légal de la rétention.

65. Les requérants se réfèrent à des arrêts antérieurs de la Cour concernant la Grèce et dans lesquels celle-ci avait affirmé que le contrôle juridictionnel de la rétention tel que prévu par la loi no 3386/2005 comporte beaucoup d’incertitudes (R.U. c. Grèce, précité, et Lin c. Grèce, no 58158/10, 6 février 2013). Ils soulignent que le tribunal administratif n’a pas examiné la légalité de leur rétention, mais a seulement répété, comme le font la plupart des juridictions dans des cas similaires, que les requérants constituaient un danger pour l’ordre public, car ils ne pouvaient assurer leur subsistance qu’en contrevenant la loi.

66. La Cour rappelle que le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 de la Convention qu’en son paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise le paragraphe 1. L’article 5 § 4 de la Convention ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Chahal, précité, § 127, et Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II).

67. La Cour relève, certes, que lorsque la présidente du tribunal administratif a statué dans le cas des requérants, le 2 mars 2012, la nouvelle version de l’article 76 § 5, qui permet au juge administratif d’examiner toute question relative à la légalité de la rétention – y compris, comme le Gouvernement le souligne lui-même, au vu des conditions de détention –, était en vigueur depuis le 1er janvier 2011 (paragraphe 23 ci-dessus). En l’occurrence, toutefois, force est de constater que la présidente du tribunal administratif a néanmoins déclaré que les allégations des requérants relatives à leurs conditions de détention étaient irrecevables au motif que, dans le cadre procédural des objections à la rétention, seule était examinée la légalité de la décision de rétention en elle-même, à l’exclusion de toutes questions relatives à l’application de celle-ci, et notamment des questions relatives aux conditions de détention. Elle a ajouté qu’une protection effective pour les problèmes de ce type était offerte aux requérants par les dispositions du droit administratif et du droit pénal, et que ce n’était pas l’objet de la procédure d’objections. Elle a souligné qu’en aucun cas cette procédure ne pouvait aboutir à la libération, pour cause de mauvaises conditions de détention, de personnes dont la rétention était justifiée par leur dangerosité pour l’ordre public ou leur risque de fuite.

68. Compte tenu de ces affirmations, excluant de manière catégorique tout contrôle des griefs relatifs aux conditions de détention, en dépit des dispositions de l’article 76 § 5 tel qu’il a été amendé et de la jurisprudence récente des tribunaux administratifs – qui examinent désormais d’autres aspects de la légalité de la rétention et plus seulement le danger pour l’ordre public et le risque de fuite, et ordonnent, le cas échéant, la levée de la rétention des intéressés à ce titre –, la Cour considère qu’en l’espèce, les requérants n’ont pas bénéficié d’un examen de la légalité de leur rétention conforme aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention.

69. Il y a donc eu violation de cette disposition.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

70. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

71. Les requérants réclament 8 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi, à l’exception du requérant no 12, qui demande 5 000 EUR.

72. Le Gouvernement estime que les sommes réclamées sont excessives et que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

73. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au titre du préjudice moral 8 000 EUR à chacun des requérants, à l’exception du requérant no 12, auquel elle alloue la somme réclamée de 5 000 EUR.

B. Frais et dépens

74. Les requérants demandent également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, somme qu’ils déclarent devoir verser après la fin de la procédure devant celle-ci. Ils invitent la Cour à la verser directement sur le compte indiqué par leur représentant, expliquant que laisser à chacun le soin de payer lui-même sa part à l’avocat causerait des problèmes logistiques complexes.

75. Le Gouvernement souligne que la somme réclamée n’est pas raisonnable et que les requérants ne produisent aucun élément de nature à justifier le niveau de cette prétention. En outre, le Gouvernement affirme que conformément au droit interne pertinent, lorsque l’État doit verser une somme d’argent à une tierce personne autre que le créancier, ce tiers doit disposer d’un pouvoir spécifique à cet effet. En demandant que les frais et dépens soient versés directement à leur représentant, les requérants tentent à ses yeux de détourner les dispositions du droit interne.

76. La Cour note que les requérants ont conclu avec leur conseil un accord concernant les honoraires de celle-ci, qui tend à se rapprocher d’un accord de quota litis. Ces accords peuvent attester, s’ils sont juridiquement valables, que l’intéressé est effectivement redevable des sommes réclamées. Pareils accords, qui ne font naître d’obligations qu’entre l’avocat et son client, ne sauraient en eux-mêmes lier la Cour, qui doit évaluer le niveau des frais et dépens à rembourser non seulement par rapport à la réalité des frais allégués, mais aussi par rapport à leur caractère raisonnable (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 2000-XI ; Christodoulou et autres c. Grèce, no 80452/12, § 87, 5 juin 2014).

77. La Cour rappelle, en outre, qu’elle a parfois dans sa jurisprudence accepté de verser les sommes accordées au titre des frais et dépens directement sur un compte bancaire indiqué par les représentants des requérants (voir, parmi d’autres, Stoica c. Roumanie, no 42722/02, § 142, 4 mars 2008 ; Galotskin c. Grèce, no 2945/07, § 74, 14 janvier 2010 ; Taggatidis et autres c. Grèce, no 2889/09, § 37, 11 octobre 2011).

78. En l’espèce, la Cour note d’abord que la somme réclamée n’est pas déraisonnable, compte tenu du nombre de requérants et des violations constatées. Elle considère aussi, que compte tenu de leur situation, les requérants n’auraient pas pu verser au préalable à leur avocat ses honoraires et que la possibilité pour lui de les recouvrer après que la Cour ait rendu son arrêt serait problématique, les requérants s’étant dispersés après leur mise en liberté. Elle consent dès lors à ce que la somme de 2 000 EUR soit versée directement sur le compte indiqué par leur avocat.

C. Intérêts moratoires

79. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3 et 5 § 4 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i) 8 000 EUR (huit mille euros), à chacun des requérants désignés sous les numéros 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 13 et 14 et 5 000 EUR (cinq mille euros) au requérant no 12, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 2 000 EUR (deux mille euros), conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par ceux-ci, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire de leur représentant ;

b) qu’à compter de l’expiration de ce délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 janvier 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente

ANNEXE

1. Najib MAHAMMAD est un ressortissant iranien né en 1988.
2. Jeremy ABDALAH est un ressortissant ivoirien né en 1977.
3. Mohammed AHAMMED est un ressortissant égyptien né en 1980.
4. Yacob ARAB est un ressortissant iranien né en 1981.
5. Nematullah ARAB est un ressortissant iranien né en 1978.
6. Ramazan HASSAN est un ressortissant iraquien né en 1989.
7. Upsom JAMES est un ressortissant nigérien né en 1988.
8. Tinzin LOBSANG TSGRING est un ressortissant chinois né en 1986.
9. Mohamed MOHAMEDI est un ressortissant iranien né en 1980.
10. Nahim REZAI est un ressortissant iranien né en 1987.
11. Khale SONDEY est un ressortissant nigérien né en 1984.
12. Muhammad Hussein SULTANI est un ressortissant iranien né en 1972.
13. Frank Kalegi UGOH est un ressortissant nigérien né en 1978.
14. Austin UKURIE est un ressortissant nigérien né en 1981.


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-150297
Date de la décision : 15/01/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel);Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Contrôle de la légalité de la détention)

Parties
Demandeurs : MAHAMMAD ET AUTRES
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TSITSELIKIS K.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award