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16/12/2014 | CEDH | N°001-148656

CEDH | CEDH, AFFAIRE CENI c. ITALIE, 2014, 001-148656


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE CENI c. ITALIE

(Requête no 25376/06)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

16 décembre 2014

DÉFINITIF

16/03/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ceni c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section) siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Guido Raimondi,
András Sajó,
Nebojša Vučinić, <

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Paul Lemmens,
Egidijus Kūris, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 novembre 2...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE CENI c. ITALIE

(Requête no 25376/06)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

16 décembre 2014

DÉFINITIF

16/03/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ceni c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section) siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Guido Raimondi,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Egidijus Kūris, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 novembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25376/06) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de cet État, Mme Rolanda Ceni (« la requérante »), a saisi la Cour le 17 juin 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 4 février 2014 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que l’omission, par l’État italien, d’instaurer un cadre législatif adéquat, prévoyant une protection minimale des intérêts de la requérante, acheteuse de bonne foi d’un appartement vendu en l’état futur d’achèvement, avait violé l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. En outre, l’impossibilité, pour la requérante, de faire examiner la nécessité et proportionnalité du choix du liquidateur de la faillite de résilier le contrat préliminaire de vente de l’appartement en question avait violé l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 1 du Protocole no 1. La Cour a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les griefs tirés des articles 6 § 1 et 8 de la Convention (Ceni c. Italie (fond), no 25376/06, 4 février 2014).

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, la requérante réclamait une satisfaction équitable de 235 784,15 euros (EUR).

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 111, et point 6 du dispositif).

5. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations.

EN DROIT

6. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

1. Arguments des parties

a) La requérante

7. La requérante estime avoir subi un préjudice matériel s’élevant à 201 404,20 EUR. Elle affirme avoir versé au constructeur la somme totale de 214 627 EUR (paragraphe 6 de l’arrêt au principal) et avoir déboursé 190 000 EUR pour le rachat de son appartement (paragraphe 27 de l’arrêt au principal), auxquels s’ajoutent 11 404,20 EUR pour frais de notaire et de régularisation urbanistique. Ne disposant pas de ces sommes et n’ayant pas accès au prêt bancaire, elle a dû s’endetter auprès des membres de sa famille et de ses amis. Pour restituer ces prêts, elle a fait des sacrifices au quotidien et son mari a été contraint d’accepter un travail en Sibérie.

8. La requérante indique également qu’à la suite d’un règlement amiable conclu dans le cadre de la procédure de faillite, elle a été reconnue titulaire d’une créance envers le constructeur s’élevant à 156 957,03 EUR, dont 12 223,60 EUR à titre privilégié en tant qu’avance de la TVA et 144 733,43 EUR à titre chirographaire en tant que capital versé durant la période 1992-1997. À ces sommes s’ajoutent 10 541,50 EUR à titre de créance spéciale (credito ammesso in prededuzione) pour les frais exposés par la requérante pour des travaux d’amélioration de l’appartement. La requérante souligne avoir été poussée à conclure ce règlement amiable afin d’éviter des plus importantes pertes financières. À la date des dernières informations (11 septembre 2014), seuls 12 541,50 EUR, couvrant la créance spéciale et les frais de procédure (2 000 EUR), avaient été versés à l’intéressée.

9. La requérante considère que le droit interne ne lui reconnaît pas une possibilité réelle d’effacer les conséquences des violations constatées par la Cour. Elle note que, comme affirmé par la Cour (paragraphe 71 de l’arrêt au principal), les modifications législatives intervenues successivement à la consolidation de sa position juridique ne s’appliquent pas à son cas. De plus, ses chances d’obtenir une indemnisation ultérieure dans le cadre de la procédure de faillite seraient très minces, vu la disproportion entre l’actif (moins d’un million d’euros) et le passif (plus de deux millions et demi d’euros, dont plus d’un million de créances privilégiées) de la faillite. Quant au « fonds pour les victimes de faillites immobilières », il y aurait disproportion entre ses ressources (qui au 31 décembre 2012 s’élevaient à 59 667 768,29 EUR) et le montant total des indemnisations reconnues aux victimes en question (742 724 364,74 EUR). Le 20 septembre 2013, le fonds a versé à la requérante 13 617,63 EUR, soit 8,13% de la somme qui lui a été reconnue (167 498,53 EUR). Depuis sa création, le fonds a été alimenté à hauteur de 10 000 000 EUR par an, ce qui serait manifestement insuffisant. Des nouvelles sommes ne pourront être distribuées que lorsque les ressources du fonds auront à nouveau atteint environ 30 000 000 EUR, et ainsi de suite jusqu’à la date de sa fermeture (2020). La Cour elle-même a reconnu que les chances d’indemnisation de la requérante étaient aléatoires (paragraphe 72 de l’arrêt au principal).

10. Compte tenu de ce qui précède, et notamment des paiements reçus et des chances d’indemnisation ultérieure, la requérante demande, au titre du préjudice matériel, une somme non inférieure à 155 000 EUR.

11. La requérante sollicite aussi l’octroi d’une somme au titre du préjudice moral qu’elle dit avoir subi et dont elle souhaite que le montant soit fixé en équité. Elle affirme que la situation dénoncée a entraîné pour elle des problèmes de santé à partir de 1997, que ces problèmes persistent à l’heure actuelle, et qu’elle a été hospitalisée d’urgence en mars 2004 pour dépression et anxiété. Ce préjudice moral serait lié à ses vicissitudes judiciaires et entraverait encore à présent sa vie de relation, comme il est indiqué dans une expertise médico-légale produite par l’intéressée.

12. Dans la mesure où le Gouvernement soutient que la requérante avait omis de vérifier l’existence d’un permis de construire et avait commencé à habiter l’appartement même avant l’octroi dudit permis (paragraphe 16 ci-après), l’intéressée note que l’immeuble avait été bâti sur la base d’un permis de construire du 22 septembre 1989. Ce permis a subi plusieurs variations en cours d’œuvre dont la dernière, pour laquelle une concession avait été demandée le 4 mai 1996, n’a jamais été autorisée à cause de la faillite du constructeur. Les acquéreurs ont donc dû demander une régularisation ex post, octroyée en 2005. C’était justement à cause de ces problèmes d’urbanisme, indépendants de sa volonté, que la requérante n’a pas pu introduire son action en justice avant 1997.

b) Le Gouvernement

13. Le Gouvernement conteste l’affirmation de la requérante selon laquelle sa perte financière s’élève à 201 404,20 EUR. Il note à cet égard que ce montant correspond au coût global encouru par la requérante pour racheter l’appartement. Le préjudice matériel subi par l’intéressée devrait par contre être calculé sur la base des frais engagés pour stipuler le contrat préliminaire de vente résilié par le liquidateur de la faillite. La requérante soutient que ces frais s’élèvent à 214 627,83 EUR ; le Gouvernement conteste cependant ce montant en observant qu’il n’avait pas été accepté par le liquidateur de la faillite et que le 7 février 2008, ce dernier et la requérante ont conclu un règlement amiable devant le juge de la faillite, dans lequel la créance de la requérante avait été ainsi déterminée :

. 10 541,50 EUR à titre de créance spéciale (credito ammesso in prededuzione) ;

. 12 223,60 EUR à titre de créance privilégiée découlant de la TVA versée au constructeur ;

. 144 733,43 EUR à titre de créance non privilégiée (credito in chirografo) pour le capital versé au constructeur ;

. 2 000 EUR pour frais de procédure,

soit la somme totale de 169 498,53 EUR. Il ressort du procès-verbal de l’audience du 7 février 2008 que le représentant de la requérante avait déclaré que sa cliente renonçait à toute autre prétention (rinunciando per la signora Ceni ad ogni ulteriore domanda).

14. Or, le fonds pour les victimes de faillites immobilières a reconnu devoir à la requérante une indemnité s’élevant à 167 498,53 EUR (paragraphe 55 de l’arrêt au principal), calculée sur la base du règlement amiable décrit ci-dessus, après soustraction des frais de procédure. En 2013, la requérante a reçu du fonds en question un acompte de 13 617,13 EUR et d’autres paiements suivront jusqu’au remboursement total. L’affirmation de la requérante, selon laquelle elle ne percevra aucune autre somme du fonds, serait dépourvue de fondement. De plus, dans le cadre de la procédure de faillite, la requérante a reçu 10 541,50 EUR et 2 000 EUR à compensation de sa créance spéciale et des frais de procédure.

15. À la lumière de ce qui précède, le Gouvernement estime qu’aucune somme n’est due à la requérante au titre du dommage matériel, car elle sera indemnisée par le fonds pour les victimes de faillites immobilières. Il souligne également que la requérante avait déclaré audit fonds de n’avoir rien reçu dans le cadre de la procédure de faillite, ce qui était faux. Elle n’a pas non plus informé en temps voulu la Cour à propos des paiements décrits ci-dessus. Le Gouvernement demande à la Cour de tenir compte du comportement fautif de l’intéressée.

16. Le Gouvernement demande à la Cour de rejeter également la demande relative au dommage moral. Il note que rien ne prouve l’existence d’un lien de causalité entre le comportement du liquidateur de la faillite et l’état de santé de la requérante. Par ailleurs, les troubles dénoncés par celle-ci ont débuté en 1997, alors qu’elle n’a été informée du choix du liquidateur que le 3 février 1998. La requérante aurait par ailleurs contribué à provoquer le préjudice qu’elle dénonce : elle n’avait pas pu introduire une action en justice plus tôt car le bâtiment avait été érigé sans permis de construire (octroyé seulement par la suite) et avait commencé à habiter l’appartement même avant l’octroi dudit permis. Selon le Gouvernement, avant de payer le prix de vente, la requérante aurait dû se renseigner quant à l’existence d’un permis de construire, qui n’était pas mentionné dans le contrat préliminaire de vente.

2. Appréciation de la Cour

a) Les violations constatées dans l’arrêt au principal

17. La Cour note que dans son arrêt au principal, elle a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 pour les raisons suivantes. La requérante avait conclu au contrat préliminaire de vente pour l’achat d’un appartement en l’état futur d’achèvement et avait entièrement payé le prix de vente (environ 214 627 EUR) au constructeur, l’entreprise X. Cette dernière se refusait cependant de signer le contrat de vente définitif, ce qui amena la requérante à l’assigner en justice afin d’obtenir le transfert de propriété par la voie judiciaire. Lorsque cette action judiciaire était pendante devant le tribunal de Florence, l’entreprise X fut déclarée en état de faillite et le liquidateur de la faillite décida de résilier le contrat préliminaire de vente. L’appartement en question fut vendu aux enchères et les actions judiciaires de la requérante furent rejetées. L’intéressée, qui continuait à occuper l’appartement même après la vente aux enchères, racheta enfin le bien moyennant un prix de 190 000 EUR (paragraphes 6-28 de l’arrêt au principal).

18. La Cour a conclu à l’existence d’une ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses biens, étant donné qu’en conséquence du choix du liquidateur judiciaire de résilier le contrat préliminaire de vente, elle a perdu son droit d’obtenir le transfert de propriété de l’appartement par la voie judiciaire (paragraphes 60-61 de l’arrêt au principal). Même si elle a estimé que l’État défendeur ne pouvait pas être tenu pour directement responsable des actions du liquidateur judiciaire (paragraphes 62-65 de l’arrêt au principal), la Cour a considéré qu’au titre des obligations découlant de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, il était tenu d’instaurer un cadre législatif adéquat, prévoyant une protection minimale des intérêts des acheteurs de bonne foi de biens vendus en l’état futur d’achèvement (paragraphes 67-70 de l’arrêt au principal). Or, une telle protection n’était pas assurée par la loi italienne, qui à l’époque des faits ne prévoyait ni l’impossibilité de résilier les contrats préliminaires de vente immobilière enregistrés et ayant pour objet l’habitation principale de l’acheteur ni l’obligation pour les constructeurs de souscrire une assurance contre la faillite. Ceci avait privé la requérante de toute protection effective contre la perte de l’appartement et des sommes versées par elle pour son acquisition, l’obligeant à supporter une charge excessive et exorbitante (paragraphes 71-75 de l’arrêt au principal).

19. Sous l’angle de l’article 13 de la Convention, la Cour a noté que la requérante avait pu introduire une action en justice afin d’obtenir l’annulation du choix du liquidateur judiciaire de résilier le contrat préliminaire de vente, ainsi invoquant au niveau interne son grief « défendable » tiré de l’article 1 du Protocole no 1. Cependant, les juridictions internes ne s’étaient pas estimées compétentes pour juger si le choix du liquidateur judiciaire avait entraîné une charge excessive et exorbitante pour la requérante et s’il y avait eu en l’espèce une mise en balance équitable des intérêts publics et privés en jeu. Elles avaient donc examiné seulement la légalité formelle de la mesure incriminée, sans pouvoir se pencher sur ses nécessité et proportionnalité à la lumière des principes énoncés à l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi qu’interprétés par la jurisprudence de la Cour. Dès lors, le système juridique italien n’avait pas offert à la requérante de garanties suffisantes contre l’arbitraire et il y avait eu violation de l’article 13 de la Convention (paragraphes 93-100 de l’arrêt au principal).

b) Les préjudices subis par la requérante

20. La Cour note que le principe sous-tendant l’octroi d’une satisfaction équitable est bien établi : il faut, autant que faire se peut, placer l’intéressé dans une situation équivalente à celle où il se trouverait si la violation de la Convention n’avait pas eu lieu (Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 111, CEDH 2009). Par ailleurs, la condition sine qua non à l’octroi d’une réparation d’un dommage matériel est l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice allégué et la violation constatée (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 73, CEDH 1999-II, et Agrati et autres c. Italie (satisfaction équitable), nos 43549/08, 5087/09 et 6107/09, § 12, 8 novembre 2012), et il en va de même du dommage moral (Kadiķis c. Lettonie (no 2), no 62393/00, § 67, 4 mai 2006).

21. La Cour observe que la violation constatée de l’article 1 du Protocole no 1 se fonde sur l’absence de garanties adéquates pour protéger la requérante, acheteuse de bonne foi d’un appartement vendu en l’état futur d’achèvement, contre le risque de la faillite du constructeur. Elle ne saurait pour autant estimer que si la violation n’avait pas eu lieu, la requérante n’aurait subi aucune perte financière. En effet, pareilles garanties, telles que l’obligation, pour les constructeurs, de souscrire une assurance contre la faillite, offrent une protection accrue de l’acheteur, mais ne sont pas de nature à couvrir tout risque en toute circonstance et ne fournissent pas nécessairement un remboursement total de toute somme versée au constructeur. Pour ce qui est de la violation de l’article 13, la Cour ne saurait spéculer sur ce qu’eût été l’issue de la procédure interne si les juridictions italiennes avaient pu se pencher sur la nécessité et la proportionnalité du choix du liquidateur.

22. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait souscrire à la thèse de la requérante selon laquelle il existe un lien de causalité direct entre les violations constatées et les frais exposés, après la faillite du constructeur, pour racheter l’appartement qu’elle occupait. Cependant, la Cour n’estime pas déraisonnable de penser qu’à cause des violations en question l’intéressée a néanmoins subi une perte de chances réelles (voir, mutatis mutandis, Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et autres, § 79, CEDH 1999-VII, et Maggio et autres c. Italie, nos 46286/09, 52851/08, 53727/08, 54486/08 et 56001/08, § 80, 31 mai 2011).

23. En l’espèce, le préjudice subi découle tant de l’absence de garanties minimales pour les acheteurs de bonne foi d’un appartement vendu en l’état futur d’achèvement (paragraphe 69 de l’arrêt au principal) que de l’impossibilité de faire examiner la nécessité et proportionnalité du choix du liquidateur de la faillite de résilier le contrat préliminaire de vente de l’appartement en question (paragraphe 2 ci-dessus). Dans les circonstances particulières de la présente affaire, ce type de préjudice ne se prête pas à un calcul précis des sommes nécessaires à sa réparation (voir, mutatis mutandis, Trévalec c. Belgique (satisfaction équitable), no 30812/07, § 25, 25 juin 2013) et il n’appartient pas à la Cour d’indiquer le montant de compensation équivalent aux « garanties minimales » que le droit interne aurait dû assurer à la requérante. Pour fixer en équité le montant de la réparation à accorder au titre de satisfaction équitable, la Cour estime opportun de prendre en considération les éléments suivants.

24. En premier lieu, à compensation des préjudices subis, au niveau interne la requérante a déjà reçu les paiements suivants : 12 541,50 EUR dans le cadre de la procédure de faillite, couvrant la créance spéciale et les frais de procédure, et 13 617,63 EUR par le fonds pour les victimes de faillites immobilières (paragraphes 8, 9 et 14 ci-dessus), soit la somme totale de 26 159,13 EUR.

25. Deuxièmement, la requérante pourrait encore recevoir une indemnisation dans le cadre de la procédure de faillite et/ou par le fonds susmentionné. Il est vrai que l’intéressée considère que ses chances à cet égard sont très minces, et que sa thèse s’appuie sur des éléments objectifs (paragraphe 9 ci-dessus). Il n’en demeure pas moins que, bien qu’aléatoire, une telle indemnisation ne saurait être exclue a priori.

26. Troisièmement, la violation des droits de la requérante garantis par l’article 1 du Protocole no 1 et l’article 13 de la Convention a dû causer à l’intéressée des sentiments d’impuissance et de frustration. La Cour estime qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate ce préjudice moral (voir, mutatis mutandis, Epiphaniou et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 19900/92, § 45, 26 octobre 2010, et Di Marco c. Italie (satisfaction équitable), no 32521/05, § 20, 10 janvier 2012).

27. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d’accorder à la requérante une somme globale de 50 000 EUR, tous préjudices confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

B. Frais et dépens

28. Se fondant sur les notes de frais de ses conseils, le 28 août 2013 la requérante avait demandé 32 727,55 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 1 652,40 EUR pour ceux engagés devant la Cour. Le 1er août 2014, après le prononcé de l’arrêt au principal, elle a produit des nouveaux justificatifs, à savoir : une facture pour l’introduction de son pourvoi en cassation s’élevant à 2 500 EUR ; une note d’honoraires de son représentant devant la Cour pour l’activité prêtée jusqu’au 4 mars 2014, d’un montant de 3 425,76 EUR ; et un reçu fiscal de 610 EUR pour l’expertise médico-légale (paragraphe 11 ci-dessus).

29. En tenant compte de ces nouveaux justificatifs, la somme totale réclamée pour frais et dépenses s’élève à 40 915,71 EUR, dont 35 227,55 EUR pour les coûts exposés devant les juridictions internes et 5 688,16 EUR pour ceux exposés devant la Cour.

30. La requérante souligne que dans ses recours internes, elle a tenté de revendiquer son droit au respect de ses biens, tel que garanti par l’article 1 du Protocole no 1. Ainsi, elle a épuisé les voies de recours qui lui étaient ouvertes en droit italien et le fait que ses actions n’aient pas abouti ne saurait s’opposer à l’octroi d’une somme au titre des frais et dépens. La somme de 2 000 EUR qui lui a été reconnue dans le cadre du règlement amiable conclu devant le juge de la faillite ne couvrirait qu’une partie minime de ces frais.

31. Le Gouvernement observe que la requérante et la Cour ont affirmé qu’aucun recours effectif n’existait pour contester le choix du liquidateur de la faillite de résilier le contrat préliminaire de vente. Dès lors, le coût relatif aux procédures engagées par la requérante à cet égard ne sauraient lui être remboursés. De plus, en exécution du règlement amiable du 7 février 2008 (paragraphe 13 ci-dessus), la requérante a reçu 2 000 EUR au titre des frais exposés dans le cadre de la procédure de faillite. Pour ce qui est, enfin, des frais exposés devant la Cour, le Gouvernement estime que la requérante pourrait recevoir un montant non supérieur à celui initialement sollicité (1 652,40 EUR). Il note que sans raisons apparentes, dans ses demandes du 1er août 2014, la requérante a augmenté de manière très significative ses prétentions à ce titre.

32. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens à un requérant ne peut intervenir que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Belziuk c. Pologne, 25 mars 1998, § 49, Recueil des arrêts et décisions 1998-II).

33. La Cour observe qu’avant de s’adresser à elle, la requérante a épuisé toutes les voies de recours qui lui étaient ouvertes en droit italien, invoquant en substance son droit au respect de ses biens. La Cour accepte par conséquent que l’intéressée a encouru des dépenses pour faire corriger la violation de la Convention tant dans l’ordre juridique interne qu’au niveau européen. Elle juge cependant excessif le montant sollicité pour les frais et dépens afférents à la procédure nationale et à la procédure devant elle et note que dans le cadre de la procédure de faillite, l’intéressée a obtenu 2 000 EUR au titre de frais de justice (paragraphes 8 et 14 ci-dessus). Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la Cour décide d’octroyer la somme globale de 15 000 EUR pour frais et dépens (voir, mutatis mutandis, Di Belmonte c. Italie (no 1), no 72638/01, § 63, 16 mars 2010 ; Plalam S.p.a. c. Italie (satisfaction équitable), no 16021/02, § 31, 8 février 2011 ; et Di Marco (satisfaction équitable), précité, § 25).

C. Intérêts moratoires

34. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Dit, par six voix contre une,

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 50 000 EUR (cinquante mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommages matériel et moral ;

ii. 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette, par six voix contre une, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 décembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante du juge Sajo ;

– opinion concordante de la juge Keller ;

– opinion concordante du juge Lemmens ;

– opinion dissidente de la juge Karakaş.

A.I.K.
S.H.N.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE SAJÓ

(Traduction)

Dans l’arrêt au principal, la Cour a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1. Dans l’opinion dissidente que j’y ai jointe, j’ai conclu à l’irrecevabilité de la requête au motif que l’état n’avait pas en l’espèce l’obligation positive d’instaurer un dispositif de protection, si bien qu’aucune question ne se posait sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1. Je ne suis pas convaincu que l’État ait l’obligation positive de protéger de la faillite du vendeur toute personne qui achèterait son domicile, surtout lorsque celle-ci devait être consciente des risques. Protéger le consommateur n’est pas en soi une obligation positive de l’État qu’imposerait la Convention, même s’il est notoire que c’est ce que fait l’État‑providence.

Toutefois, l’arrêt est depuis lors devenu définitif et a acquis force de chose jugée. Il en résulte que les conclusions qu’il contient revêtent un caractère contraignant en ce qui concerne la question de la propriété. La situation aurait été différente si la Cour avait statué sur la satisfaction équitable dans l’arrêt au principal.

L’autorité de la chose jugée qui s’attache à l’arrêt en question s’impose non seulement aux parties, mais aussi à la Cour elle-même, aux juges qui ont souscrit aux conclusions contenues dans l’arrêt comme aux juges dissidents. Soutenir le contraire reviendrait à s’opposer à un arrêt passé en force de chose jugée, au risque de semer la confusion et d’affaiblir la position de la Cour vis-à-vis des parties et du monde extérieur. Il importe également de relever que la demande de satisfaction équitable du requérant est fondée sur les conclusions figurant dans l’arrêt au principal. En conséquence, un juge qui se prononcerait sur une telle demande sur le fondement d’une opinion dissidente plutôt qu’au regard des conclusions adoptées par la Cour ne répondrait pas de manière appropriée aux prétentions du requérant et à la réplique du gouvernement défendeur.

C’est pourquoi j’ai voté sur la demande de satisfaction équitable présentée par la requérante en me fondant sur les conclusions auxquelles la Cour est parvenue dans l’arrêt au principal. S’il est vrai que l’autorité de la chose jugée n’implique pas qu’il faille accorder dans chaque cas une indemnisation se rapportant à l’arrêt au principal (c’est-à-dire à la question de fond), la présente affaire de protection de la propriété me conduit à suivre l’exemple donné par mon collègue Jebens dans l’opinion concordante qu’il avait formulée dans l’affaire OAO Neftyanaya Kompaniya Yukos c. Russie (satisfaction équitable) (no 14902/04, 31 juillet 2014).

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE KELLER

J’ai voté avec la majorité en ce qui concerne les points 1 et 2 du dispositif. J’aimerais toutefois souligner que mon vote ne signifie pas que je souscris à l’arrêt au principal (Ceni c. Italie, no 25376/06, 4 février 2014), qui a été adopté par une formation dont je n’étais pas membre. C’est plutôt la discipline judiciaire qui m’a conduite à voter comme je l’ai fait en l’espèce. En effet, dès lors qu’une violation de l’article 1 du Protocole no 1 avait été établie, il était logique que le Gouvernement fût tenu de réparer le préjudice matériel subi par la requérante.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE LEMMENS

1. J’ai voté avec la majorité pour condamner l’État défendeur à verser à la requérante la somme de 50 000 EUR, à titre de réparation du dommage matériel et moral. J’aurais toutefois préféré que cette conclusion soit fondée sur un raisonnement différent.

2. À mon avis, l’arrêt aurait dû commencer par constater quel était le préjudice matériel subi par la requérante. À cet égard, je dirais que ce préjudice consiste dans le montant que l’intéressée a dû payer pour racheter « son » appartement, plus les frais y afférents. La requérante, qui sur ce point ne semble pas être contredite par le Gouvernement, soutient qu’elle a dû payer 190 000 EUR plus 11 404,20 EUR, donc au total 201 404,20 EUR (paragraphe 7 du présent arrêt). Je retiendrai ce dernier montant comme constituant le préjudice matériel subi.

3. Il est évident que l’État ne doit pas intégralement dédommager la requérante. Les violations constatées par l’arrêt au principal tenaient au fait, d’une part, que l’État n’avait pas instauré un cadre législatif prévoyant une protection minimale pour les acheteurs de bonne foi de biens vendus en l’état futur d’achèvement victimes de la faillite du constructeur (paragraphe 18 de l’arrêt) et, d’autre part, que le droit en vigueur ne permettait pas aux juridictions de vérifier si la décision du liquidateur de la société en faillite de résilier le contrat préliminaire de vente était proportionnée au droit de la requérante au respect de ses biens (paragraphe 19 de l’arrêt). Les deux violations avaient ainsi trait à un manque de protection suffisante.

Il ne faut pas perdre de vue que la protection à prévoir était une protection contre un risque précis, à savoir la faillite du constructeur. La Convention n’exige pas que les États protègent les citoyens contre n’importe quel type de risque. Ceux qui, comme la requérante, concluent un contrat d’achat portant sur un appartement à construire doivent être conscients du risque qu’ils courent, et il me paraît parfaitement normal qu’ils en assument une partie, voire même une partie considérable. Ce que la Cour a dit dans son arrêt au principal, c’est que l’État ne peut pas fermer les yeux, et qu’il doit prévoir un système minimal de protection. Comme l’a rappelé la majorité, cette protection minimale aurait pu être une obligation légale pour les constructeurs de souscrire une assurance contre la faillite (paragraphe 21 de l’arrêt). Bien sûr, le législateur aurait également pu aller plus loin.

Dès lors qu’il n’y avait en l’espèce pas de protection du tout et qu’il en est résulté un préjudice pour la requérante, l’État doit être condamné à verser une satisfaction équitable. À mon avis, la question qui se pose est de savoir à quel montant correspondent les garanties minimales que le droit interne aurait dû offrir à la requérante en l’absence de garanties à caractère non pécuniaire. Sur ce point, je ne suis donc pas d’accord avec le paragraphe 23 de l’arrêt, selon lequel il n’appartient pas à la Cour d’indiquer ce montant.

4. En revanche, je souscris à l’opinion de la majorité selon laquelle ce montant ne peut être fixé qu’en équité.

En l’espèce, le fonds pour les victimes de faillites immobilières, créé après la faillite du constructeur, a reconnu qu’il devait à la requérante la somme de 167 498,53 EUR (paragraphes 9 et 14 de l’arrêt). Ce montant ne constitue toutefois pas nécessairement la somme que l’État doit à la requérante en vertu de la Convention. Il ne saurait donc être d’une grande utilité pour l’appréciation de la Cour.

La majorité a estimé qu’il était raisonnable d’accorder à la requérante une somme globale de 50 000 EUR, couvrant le préjudice matériel et le préjudice moral (paragraphe 27 de l’arrêt). Je note que cette somme représente environ 25 % du préjudice matériel effectivement subi (paragraphe 2 ci-dessus). Pour ma part, je peux considérer qu’il s’agit d’une satisfaction « équitable », et c’est pour cette raison que je me suis rallié à la décision de mes collègues de la majorité.[1]

5. Pour la majorité, cette somme est définitivement acquise à la requérante. En d’autres termes, elle est accordée indépendamment de ce que l’intéressée pourrait encore recevoir à titre d’indemnisation au niveau national. Ce point de vue repose, me semble-t-il, sur le fait que la majorité considère le préjudice matériel subi comme une (simple) perte de chances réelles (paragraphe 22 de l’arrêt).

Sur ce point, à mon regret, je ne suis pas du même avis.

La somme à payer par l’État défendeur, soit 50 000 EUR, peut être versée à la requérante par n’importe quel organe de l’État. Le fonds pour les victimes de faillites immobilières ayant déjà accordé à l’intéressée une indemnité de 13 617,63 EUR (paragraphes 9, 14 et 24 de l’arrêt) et pouvant encore lui accorder des indemnités supplémentaires, il y a lieu de déduire le montant de cette indemnisation du montant de la satisfaction équitable.

En outre, il faudrait éviter que la requérante tire profit de la satisfaction équitable pour être indemnisée deux fois pour le même dommage : une fois par l’État et une autre fois par le liquidateur de la faillite. C’est pour cela qu’il aurait fallu prévoir, à mon avis, que toute somme éventuellement perçue par l’intéressée à titre d’indemnisation de sa créance envers le constructeur (elle a déjà reçu un montant de 12 541,50 EUR – paragraphes 8, 13 et 24 de l’arrêt) au-delà de 151 404,20 EUR (201 404,20 EUR - 50 000 EUR) serait à rétrocéder à l’État défendeur. Je reconnais que cette clause aurait une portée plutôt théorique, les chances de la requérante de recouvrer encore quoi que ce soit de la faillite étant très minces (pour reprendre l’expression employée au paragraphe 25 de l’arrêt). Néanmoins, le curateur ayant conclu avec la requérante un règlement amiable pour un montant total de 167 498,53 EUR (paragraphes 8 et 13 de l’arrêt), l’hypothèse n’est pas à exclure.

6. En conclusion, je souscris à la décision d’accorder à la requérante un montant de 50 000 EUR, mais j’aurais préféré qu’elle soit assortie de quelques précisions, essentiellement pour régler le sort de cette indemnisation au regard des indemnités que l’intéressée pourrait encore recevoir par d’autres voies (voir, pour un cas où la Cour a explicitement précisé le sort du montant accordé à titre de satisfaction équitable, dans le contexte d’autres indemnisations reçues, Trévalec c. Belgique (satisfaction équitable), no 30812/07, § 27, 25 juin 2013).

OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE KARAKAŞ

Je ne souscris pas à la décision de la majorité d’accorder à la requérante une somme globale de 50 000 euros, tous préjudices confondus.

Tout d’abord, il faut souligner que si des garanties adéquates avaient été mises en place pour protéger la requérante, acheteuse de bonne foi d’un appartement vendu en l’état futur d’achèvement, contre le risque de la faillite du constructeur, il est fort probable qu’elle aurait pu éviter les pertes financières significatives liées à la résiliation du contrat préliminaire de vente. Il est clair que la violation de l’article 1 du Protocole no 1 est susceptible d’avoir causé un dommage matériel à la requérante (voir, mutatis mutandis, Agrati et autres c. Italie (satisfaction équitable), nos [43549/08](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2243549/08%22%5D%7D), [6107/09](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%226107/09%22%5D%7D) et [5087/09](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%225087/09%22%5D%7D)), § 13, 8 novembre 2012).

Dans le cadre de la procédure de faillite, la requérante a conclu un règlement amiable, où elle a chiffré ses prétentions et les sommes dont elle demandait l’inscription au passif de la faillite, soit un montant total de 169 498,53 EUR. Or, le fonds pour les victimes de faillites immobilières a reconnu devoir à la requérante une indemnité s’élevant à 167 498,53. Il faudrait également tenir compte du fait que la requérante a reçu les paiements suivants : 12 541,50 EUR dans le cadre de la procédure de faillite, couvrant la créance spéciale et les frais de procédure, et 13 617,63 EUR par le fonds pour les victimes de faillites immobilières, ce qui porte la somme restant due à 141 339,40 EUR.

De mon point de vue, la Cour aurait dû prendre cette somme comme point de départ pour évaluer le préjudice subi par la requérante en conséquence du manque de protection juridique et de l’infime possibilité d’être indemnisée dans le cadre de la procédure de faillite, procédure qui pourrait durer de nombreuses années.

Dans son arrêt au principal (§ 69), la Cour estime que, au titre des obligations découlant de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, l’État était tenu d’instaurer un cadre législatif adéquat, prévoyant une protection minimale des intérêts des acheteurs de bonne foi (voir, mutatis mutandis, Kotov c. Russie, [GC] no 54522/00, § 117, 3 avril 2012). Peut-on dire que l’Etat défendeur a respecté cette obligation en mettant à la disposition de la requérante des voies de recours afin de lui permettre de faire réellement valoir ses droits ? À ma connaissance, cela n’a pas été le cas. Mais, pour la majorité, « dans les circonstances particulières de la présente affaire, » ce type de préjudice ne se prête pas à un calcul précis des sommes nécessaires à sa réparation (§ 23 du présent arrêt). Nous savons que, d’après l’arrêt au principal, le préjudice subi découle de l’absence de garanties minimales pour les acheteurs de bonne foi d’un appartement vendu en l’état futur d’achèvement et que cette situation persiste pour la requérante. La décision de la majorité n’explique pas dans quelles circonstances particulières il a été décidé d’octroyer à la requérante un montant si inférieur au préjudice subi.

Néanmoins, comme la majorité le constate (§ 25 du présent arrêt), il ne faut pas perdre de vue qu’au niveau interne la requérante pourrait encore être indemnisée dans le cadre de la procédure de faillite et/ou par le fonds pour les victimes de faillites immobilières. Il est vrai que les chances de l’intéressée à cet égard sont très minces et que sa thèse s’appuie sur des éléments objectifs. Il n’en demeure pas moins que, bien qu’aléatoire, une telle indemnisation ne saurait être exclue a priori.

La Cour a déjà souligné qu’il convient d’éviter que son arrêt puisse avoir pour effet un enrichissement sans cause (De Luca c. Italie (révision), no 43870/04, § 16, 8 juillet 2014, et Pennino c. Italie (révision), no 43892/04, § 16, 8 juillet 2014). Cela serait le cas en l’espèce si la requérante devait obtenir ultérieurement, en plus du versement de la satisfaction équitable pour préjudices matériel et moral octroyée par la Cour, une somme en compensation de ses créances sur l’entreprise et/ou un dédommagement en tant que victime d’une faillite immobilière. Elle serait alors en pratique indemnisée deux fois pour les préjudices subis.

Pour éviter cette éventualité, le versement de la satisfaction équitable pour préjudices matériel et moral pourrait être subordonné à la renonciation par la requérante à toute prétention envers l’entreprise dans le cadre de la procédure de faillite et à toute somme pouvant lui être versée ultérieurement par le fonds pour les victimes des faillites immobilières.

* * *

[1] En fait, eu égard aux différences de vues concernant l’importance du montant à accorder (voir le paragraphe 5 ci-dessous), je me suis demandé si je ne devais pas plutôt voter contre le point 1, a), i., du dispositif. Si je ne l’ai pas fait, en fin de compte, c’est parce que je voulais indiquer que le montant de 50 000 EUR était en soi acceptable.


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-148656
Date de la décision : 16/12/2014
Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Dommage matériel et préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Dommage matériel;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : CENI
Défendeurs : ITALIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : COLINET C.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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