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11/12/2014 | CEDH | N°001-148931

CEDH | CEDH, AFFAIRE DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE, 2014, 001-148931


ANCIENNE CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requêtes nos 28859/11 et 28473/12)

ARRÊT

STRASBOURG

11 décembre 2014

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 15/11/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Dubská et Krejzová c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme (ancienne cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nuß

berger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de...

ANCIENNE CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requêtes nos 28859/11 et 28473/12)

ARRÊT

STRASBOURG

11 décembre 2014

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 15/11/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Dubská et Krejzová c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme (ancienne cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 septembre 2013 et le 7 octobre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 28859/11 et 28473/12) dirigées contre la République tchèque et dont deux ressortissantes de cet État, Mme Šárka Dubská (ci-après la « première requérante ») et Mme Alexandra Krejzová (ci-après la « deuxième requérante »), ont saisi la Cour, le 4 mai 2011 et le 7 mai 2012 respectivement, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « Convention »).

2. La première requérante est représentée par Me D. Zahumenský, avocat de l’organisation de défense des droits de l’homme Liga lidských práv, à Brno, et la deuxième requérante par Me R. Hořejší, avocat à Prague. Le gouvernement tchèque (ci-après le « Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Vít A. Schorm, du ministère de la Justice.

3. Les requérantes voyaient dans l’interdiction faite par le droit tchèque aux professionnels de la santé d’assister un accouchement à domicile une violation de l’article 8 de la Convention.

4. Les requêtes ont été signifiées au Gouvernement le 3 septembre 2012.

5. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 10 septembre 2013 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
M. Vít A. Schorm, agent,

Mme D. Kopková,

Mme I. Köhlerová,

M. O. Hlinomaz,

Mme T. Jančárková,

M. J. Feyereisl,

M. P. Velebil,conseillers,

– pour la première requérante
M. D. Zahumenský,conseil,

Mme Z. Candigliota, conseillère;

– pour la deuxième requérante
M. R. Hořejší,conseil,

Mme A. Hořejší,

Mme M. Pavlíková, conseillères.

La Cour a entendu M. Schorm, M. Velebil, M. Zahumenský, M. Hořejší et Mme Pavlíková en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. La première requérante, Mme Šárka Dubská, est née en 1985 et réside à Jilemnice. La deuxième requérante, Mme Alexandra Krejzová, est née en 1980 et réside à Prague.

A. Requête introduite par Mme Šárka Dubská

7. La première requérante donna naissance à son premier enfant à l’hôpital en 2007 sans aucune complication. Au cours de son accouchement, le personnel médical présent ne cessa, d’après elle, d’insister pour qu’elle accepte de subir divers types d’actes médicaux, alors qu’elle avait expressément manifesté son désir de ne recevoir aucun traitement médical non indispensable. Elle fut également contrainte d’accoucher dans une position qu’elle ne souhaitait pas. Étant donné qu’elle et son bébé se portaient bien, elle demanda à quitter l’hôpital quelques heures après la naissance, mais un médecin lui ordonna de rester à l’hôpital. Elle ne put donc pas sortir avant le lendemain, quand elle présenta une lettre de son pédiatre confirmant qu’elle se chargerait des soins de l’enfant.

8. En 2010, la requérante tomba enceinte pour la deuxième fois et son accouchement était prévu pour la mi-mai 2011. La grossesse ne présentait aucune complication et les examens et tests médicaux n’indiquaient aucun problème. Étant donné que la requérante estimait que son premier accouchement à l’hôpital avait été une source de stress, elle décida d’accoucher à son domicile et rechercha une sage-femme pour assister ce deuxième accouchement. Elle ne put toutefois trouver aucune sage-femme disposée à l’aider à accoucher chez elle.

9. Le 5 avril 2011, elle écrivit à sa compagnie d’assurance maladie et au Bureau régional de Liberec (krajský úřad) afin de leur demander une aide pour trouver une sage-femme.

10. Le 7 avril 2011, la compagnie d’assurance maladie lui répondit que la législation tchèque ne prévoyait pas la possibilité qu’une compagnie d’assurance maladie publique rembourse les coûts liés à un accouchement à domicile et qu’elle n’avait donc conclu aucun contrat avec des professionnels de la santé offrant ce type de services. De surcroît, la majorité des avis médicaux spécialisés n’étaient pas favorables à l’accouchement à domicile.

11. Par lettre du 13 avril 2011, le Bureau régional ajouta que les sages-femmes figurant dans son registre de professionnels de la santé n’étaient en tout état de cause légalement autorisées à assister un accouchement que dans une infrastructure possédant l’équipement technique prescrit par le décret no 221/2010, et pas dans une habitation privée.

12. N’ayant trouvé aucun professionnel de la santé pour l’assister, la requérante donna naissance à son fils seule chez elle le 11 mai 2011.

13. Le 1er juillet 2011, elle introduisit un recours constitutionnel (ústavní stížnost), dans lequel elle affirmait que la possibilité d’accoucher chez elle avec l’assistance d’un professionnel de la santé lui avait été refusée, en violation de son droit au respect de sa vie privée.

14. Le 28 février 2012, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) rejeta ce recours, estimant qu’il serait contraire au principe de subsidiarité qu’elle statue sur le fond de l’affaire parce que la requérante n’avait pas épuisé toutes les voies de recours disponibles, qui comprenaient une action en protection des droits de la personne sur la base du code civil et une demande de contrôle juridictionnel sur la base de l’article 82 du code de procédure judiciaire administrative. Elle exprima néanmoins des doutes quant à la conformité de la législation tchèque avec l’article 8 de la Convention et invita les parties concernées à entamer un débat sérieux et éclairé sur l’opportunité d’une nouvelle législation. Neuf des quatorze juges joignirent à cette décision une opinion séparée, dans laquelle ils marquèrent leur désaccord avec son raisonnement sous-jacent. La majeure partie d’entre eux considéraient que la Cour constitutionnelle aurait dû rejeter le recours en tant qu’actio popularis et s’abstenir d’exprimer toute opinion sur la constitutionnalité de la législation relative aux accouchements à domicile.

B. Requête introduite par Mme Alexandra Krejzová

15. La deuxième requérante est une mère de deux enfants, qui naquirent à son domicile en 2008 et 2010 avec l’assistance d’une sage-femme. Les sages-femmes assistèrent ces accouchements sans autorisation de l’État.

16. D’après la requérante, avant de décider d’accoucher chez elle, elle avait visité plusieurs hôpitaux, qui avaient tous refusé ses demandes de donner naissance à son bébé sans le moindre acte médical que la situation ne rendait pas nécessaire à tout prix. Ils avaient également refusé d’accéder à son souhait qu’un contact ininterrompu soit maintenu avec le bébé dès sa naissance, car la pratique ordinaire consistait à enlever l’enfant à la mère immédiatement après l’accouchement pour qu’il soit pesé, mesuré et soumis à d’autres observations médicales pendant deux heures.

17. Lorsqu’elle introduisit la requête de l’espèce, la requérante était à nouveau enceinte et devait accoucher à la mi-mai 2012. La grossesse se déroulait sans complications et elle souhaitait à nouveau accoucher chez elle avec l’assistance d’une sage-femme. Elle ne put toutefois pas trouver de sage-femme disposée à l’assister en raison du risque de se voir infliger une lourde amende pour la fourniture de services médicaux sans autorisation. La requérante sollicita plusieurs autorités pour l’aider à trouver une solution à son problème.

18. Par lettre du 18 novembre 2011, le ministère de la Santé lui répondit qu’il ne fournissait pas de services médicaux à des patients particuliers et que la requérante devait s’adresser à la Ville de Prague (Město Praha), qui, en sa qualité de bureau régional, enregistrait et délivrait les autorisations aux professionnels de la santé.

19. Le 29 novembre 2011, la compagnie d’assurance maladie de la requérante l’informa que la présence d’un professionnel de la santé lors d’un accouchement à domicile n’était pas couverte par l’assurance publique.

20. Le 13 décembre 2011, la Ville de Prague indiqua à la requérante qu’aucune sage-femme enregistrée à Prague n’était autorisée à assister un accouchement à domicile.

21. Le 7 mai 2012, la requérante accoucha dans une maternité de Vrchlabí, à 140 km de Prague. Elle avait choisi cet hôpital parce qu’il avait la réputation de respecter les souhaits des mères pendant l’accouchement. D’après elle, tous ses souhaits ne furent toutefois pas respectés. Même si elle et l’enfant se portaient bien et qu’aucune complication n’était survenue au cours de l’accouchement, la requérante dut rester à l’hôpital pendant 72 heures. Le nouveau-né fut séparé d’elle après l’accouchement et, avant sa sortie de l’hôpital, les restes du cordon ombilical de l’enfant avaient été coupés, contrairement à ce qu’elle souhaitait.

C. Informations générales sur les accouchements à domicile en République tchèque

1. Lignes directrices rédigées et publiées par le ministère de la Santé

22. Dans son bulletin no 2/2007 de février 2007, le ministère de la Santé a publié une orientation pratique contenant le passage suivant :

« La pratique d’un accouchement est réputée en République tchèque constituer une fourniture de soins de santé pouvant uniquement être fournis dans un établissement de santé. Chaque établissement de santé doit satisfaire aux exigences légales (...) et aux exigences fixées par la législation dérivée pertinente. »

23. L’Ordre des médecins de République tchèque (Česká lékařská komora) considère qu’en raison des risques y afférents un accouchement à domicile est une procédure non lege artis.

24. À ce jour, la quasi-totalité des accouchements en République tchèque ont lieu à l’hôpital, environ 0,2 % à 0,3 % seulement étant réalisés à domicile.

25. En réaction à ce qui fut perçu comme une tentative de criminalisation de l’activité de sage-femme dans certains pays d’Europe centrale et orientale, en particulier en Hongrie, le président de la Confédération internationale des sages-femmes et le président de la Fédération internationale de gynécologie et d’obstétrique publièrent le 6 mars 2012 une déclaration commune, dans laquelle ils affirment : « Il existe des preuves solides attestant que l’accouchement en dehors de l’hôpital, avec le soutien d’une sage-femme agréée, est sûr et que de nombreuses mères privilégient cette forme d’accouchement. Ce choix ne devrait pas être refusé aux femmes à cause de l’absence de cadre réglementaire permettant aux sages-femmes d’exercer leur profession dans tout endroit que les femmes choisissent pour accoucher ».

26. Le 20 mars 2012, le ministère de la Santé créa un comité d’experts sur l’obstétrique, composé de représentants de bénéficiaires de soins, de sages-femmes, d’associations de médecins, du ministère de la Santé, du Commissaire du gouvernement aux droits de l’homme et de compagnies d’assurance maladie publiques, et lui assigna pour mission d’étudier la question des accouchements à domicile. Les représentants des associations de médecins boycottèrent ses réunions au motif que la situation actuelle était satisfaisante et qu’il ne fallait d’après eux rien changer. Le ministre de la Santé écarta ensuite les représentants des bénéficiaires de soins, des sages-femmes et du Commissaire du gouvernement aux droits de l’homme, affirmant que le comité ne pourrait s’accorder sur certaines conclusions que si ces modifications étaient apportées à sa composition.

27. Le 18 janvier 2013, le Conseil gouvernemental pour l’égalité des chances entre les femmes et les hommes (Rada vlády pro rovné příležitosti žen a mužů), une instance consultative du gouvernement, recommanda d’éviter la poursuite d’une discrimination à l’égard des femmes dans l’exercice de leur droit à choisir librement la méthode, les conditions et le lieu de leur accouchement. Il recommanda également d’éviter la discrimination à l’égard des sages-femmes en leur permettant d’exercer pleinement leur profession à travers leur intégration dans le système public d’assurance maladie. Le Conseil fit par ailleurs référence aux recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (paragraphe 56 ci-après), qui surveille la mise en œuvre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, pour étayer sa position selon laquelle les femmes doivent pouvoir choisir où elles souhaitent accoucher.

28. Dans son bulletin no 8/2013 publié le 9 décembre 2013, qui remplaçait l’orientation pratique précédente de 2007 (paragraphe 22 ci-dessus), le ministère de la Santé décrit la procédure que les fournisseurs de services de santé doivent appliquer pour le retour des nouveau-nés dans leur environnement social. Il mentionne que les spécialistes recommandent qu’un nouveau-né ne quitte pas la maternité moins de 72 heures après la naissance. D’après la nouvelle procédure, la sortie de la maternité d’un nouveau-né moins de 72 heures après la naissance peut être autorisée à la demande du représentant légal du nouveau-né, dans les conditions suivantes :

« a) le représentant légal a retiré par écrit son accord à la fourniture de services médicaux au nouveau-né, il a déclaré par écrit son désaccord avec la fourniture de services médicaux, ou bien cet accord ou ce désaccord a été consigné dans le dossier médical du nouveau-né (...)

b) il est établi que le représentant légal a été dûment informé des conséquences possibles si le nouveau-né quitte l’hôpital moins de 72 heures après l’accouchement (...)

c) le représentant légal a été dûment informé que, dans l’intérêt du bon développement ultérieur du nouveau-né, les associations médicales spécialisées tchèques recommandent :

1. qu’un examen clinique soit pratiqué dans les 24 heures qui suivent la sortie de la maternité du nouveau-né (...)

2. qu’un prélèvement sanguin soit effectué dans les 48 à 72 heures qui suivent l’accouchement afin de dépister les dysfonctionnements métaboliques héréditaires (...) »

Dans le cas où le nouveau-né est hospitalisé sans l’accord de son représentant légal afin de recevoir un traitement médical nécessaire pour sauver la vie de l’enfant ou prévenir un préjudice grave pour sa santé, l’hôpital doit agir conformément aux articles 38 et 40 de la loi sur les services médicaux (loi no 372/2011). Cette orientation pratique est entrée en vigueur le 1er janvier 2014.

2. Données sur la mortalité périnatale

29. D’après les estimations publiées par l’Organisation mondiale de la santé dans un rapport de 2000, la République tchèque figure parmi les pays qui affichent le plus faible taux de mortalité périnatale. Ce taux, qui désigne le nombre de mortinaissances et de décès au cours de la première semaine de vie, s’élevait à 0,4 % en République tchèque. Dans les autres pays européens, il oscillait entre 0,5 % en Suède et en Italie et 5,8 % en Azerbaïdjan. Il était inférieur à 1 % dans la plupart des pays d’Europe. Selon le rapport, la mortalité périnatale constitue un indicateur important des soins maternels et de la santé et la nutrition maternelles. Par ailleurs, il reflète la qualité des soins obstétriques et pédiatriques disponibles et permet de comparer différents pays. Le rapport recommandait en outre que, dans la mesure du possible, tous les fœtus et les nourrissons pesant au moins 500 g à la naissance, nés en vie ou non, soient inclus dans les statistiques. Les données communiquées sur les mortinaissances n’ont pas été ajustées pour tenir compte de ce facteur dans l’étude.

30. D’après le rapport européen sur la santé périnatale relatif à la santé et la prise en charge médicale des femmes enceintes et des bébés en Europe en 2010, publié en 2013 dans le cadre du projet Euro-Peristat, la République tchèque se classe parmi les pays qui enregistrent la plus faible mortalité chez les nouveau-nés au cours de leurs vingt-sept premiers jours de vie, avec un taux de 0,17 %. Les données relatives aux autres pays étudiés, qui sont en majorité membres de l’Union européenne, révèlent un taux allant de 0,12 % en Islande à 0,55 % en Roumanie. Toutefois, si seules les statistiques portant sur les bébés nés après vingt-quatre semaines de gestation sont prises en considération, la République tchèque se rapproche de la moyenne de 0,2 %, avec un taux de 0,16 %. Les profondes disparités dans les taux de mortalité néonatale en fonction de l’âge gestationnel à vingt-deux à vingt-trois semaines donnent à penser, d’après le rapport, que la totalité des naissances et des décès survenus à un stade très précoce de la période néonatale n’ont pas été systématiquement comptabilisés. En conséquence, les données n’incluant que les bébés nés après vingt-quatre semaines de gestation sont considérées comme étant plus fiables dans le rapport.

31. Les requérantes affirment que les séries de données précitées ne pouvaient être comparées aisément d’un pays à l’autre en raison de différences dans les définitions utilisées. La majorité des pays européens fixent un seuil de poids de 500 g pour comptabiliser les naissances vivantes et les enfants mort-nés. En République tchèque, toutefois, jusqu’au mois d’avril 2012, une naissance était seulement enregistrée dans les statistiques si l’enfant pesait au moins 1 000 g.

3. Situation dans les hôpitaux tchèques

32. Le Gouvernement explique que les maternités tchèques offrent lors des accouchements des services de grande qualité qui respectent pleinement les droits et les souhaits des mères. Les requérantes présentent, quant à elles, des témoignages de nombreuses mères qui ont accouché dans une maternité au cours des dernières années et dénoncent des pratiques qui sont à leurs yeux inacceptables, dont les suivantes : exécution d’actes médicaux pendant l’accouchement sans le consentement de la mère, et parfois à l’encontre de sa volonté exprimée explicitement, comme la rupture artificielle de membranes ; épisiotomie ; administration de médicaments à la mère par voie intraveineuse ; manœuvre de Kristeller (pression avec le poing ou l’avant-bras sur le fond de l’utérus simultanément à une contraction et à une poussée de la mère au cours de la deuxième phase du travail) ; césarienne sans justification médicale suffisante ; techniques et médicaments visant à accélérer l’accouchement ; séparation entre la mère et son bébé pendant plusieurs heures après l’accouchement, au mépris du souhait de la mère d’avoir un contact immédiat avec le bébé après l’accouchement ; placement systématique de bébés sains dans une couveuse ; administration d’un traitement au bébé contre les souhaits exprès de la mère ; et obligation pour la mère et le bébé de rester à l’hôpital pendant 72 heures après l’accouchement même s’ils sont tous les deux en bonne santé. Des comportements arrogants, intimidants, irrespectueux et condescendants de la part du personnel de l’hôpital et un manque de respect de la vie privée ont également été dénoncés.

4. Poursuites pénales à l’encontre de sages-femmes

33. Il semble qu’en République tchèque, aucune sage-femme n’ait été poursuivie au seul motif d’avoir assisté un accouchement à domicile, bien que plusieurs aient été poursuivies à la suite d’accusations de faute professionnelle dans le cadre d’un accouchement à domicile. Les requérantes citent les cas de Mme Š. et Mme K., qui sont toutes deux bien connues pour défendre l’accouchement naturel sans actes médicaux superflus et qui pratiquaient régulièrement des accouchements à domicile.

34. Le 27 mars 2013, le tribunal de district (obvodní soud) de Prague 6 reconnut Mme Š. coupable d’avoir causé par négligence le décès d’un bébé qui était mort-né. Elle fut condamnée à deux ans d’emprisonnement, avec un sursis de cinq ans, et il lui fut interdit d’exercer la profession de sage‑femme pendant trois ans. Le verdict de culpabilité de Mme Š. était fondé sur le fait qu’elle n’avait pas vivement conseillé à la mère de s’adresser à un établissement médical lorsque celle-ci l’a consultée par téléphone alors que le travail avait déjà commencé à son domicile. Mme Š. avait donc donné des conseils inadéquats à la future mère sans l’examiner. La condamnation fut maintenue en appel le 29 mai 2013, mais la peine fut revue à quinze mois d’emprisonnement avec un sursis de trente mois et une interdiction d’exercer la profession de sage-femme pendant deux ans. Un recours sur des points de droit est pendant.

35. Le 21 septembre 2011, le tribunal de district de Prague 3 reconnut Mme K. coupable d’avoir causé un préjudice corporel à un bébé dont elle avait assisté la naissance à domicile et qui avait arrêté de respirer pendant l’accouchement. Le bébé décéda quelques jours plus tard. Elle fut condamnée à deux ans d’emprisonnement avec un sursis de cinq ans, il lui fut interdit d’exercer la profession de sage-femme pendant cinq ans et elle dut verser 2,7 millions de couronnes tchèques (CZK) (soit 105 000 euros (EUR)) pour rembourser les coûts exposés par la compagnie d’assurance pour le traitement de l’enfant jusqu’à son décès. D’après le tribunal, Mme K. a commis une faute en ne suivant pas les procédures standard pour les accouchements établies par l’Ordre des médecins de République tchèque (Česká lékařská komora) et sa conduite a donc été « non lege artis ». La plainte pénale n’avait pas été introduite par les parents, mais par un hôpital.

36. Le 24 juillet 2013, la Cour constitutionnelle cassa toutes les décisions prononcées contre Mme K. au motif d’une violation de son droit à un procès équitable. Elle estima que les conclusions des tribunaux ordinaires sur la culpabilité de Mme K. étaient trop subjectives et n’étaient pas étayées au moyen d’éléments de preuve au-delà de tout doute raisonnable, enfreignant ainsi le principe de la présomption d’innocence. Elle indiqua notamment que les tribunaux s’étaient fiés aveuglément à une expertise qu’ils n’avaient pas soumise à un examen approfondi. Elle conclut que les tribunaux avaient, sur la base de cette expertise, imputé de façon extrêmement sévère une responsabilité à la conduite de Mme K., alors que nul ne pouvait dire clairement, dans la situation de l’espèce, comment elle aurait pu empêcher le décès du bébé. Il avait en outre été établi qu’elle avait essayé d’aider le bébé et qu’elle avait appelé une ambulance immédiatement lorsqu’elle découvrit que le bébé souffrait d’hypoxie. L’exigence de prévoir toute complication potentielle au cours d’un accouchement et de pouvoir y réagir immédiatement, ainsi que c’était demandé à Mme K., aboutirait de facto à une interdiction absolue de tout accouchement à domicile. Dans ce contexte, la Cour constitutionnelle s’exprima comme suit :

« (...) un État démocratique moderne fondé sur l’état de droit est basé sur la protection de libertés individuelles et inaliénables, dont la délimitation touche de près à la dignité humaine. Ces libertés, qui comprennent la liberté dans les activités personnelles, s’accompagnent d’un certain degré de risque acceptable. Le droit des parents de choisir librement le lieu et le mode d’accouchement est limité uniquement par l’intérêt de la sécurité de l’accouchement et de la santé de l’enfant, cet intérêt ne pouvant cependant être assimilé à une préférence univoque pour l’accouchement à l’hôpital. »

II. DROIT INTERNE PERTINENT

A. Loi no 160/1992 sur les soins médicaux (en vigueur jusqu’au 31 mars 2012)

37. En vertu de l’article 5 de cette loi, une personne ne pouvait fournir de soins médicaux que si elle était titulaire de la licence requise, dont les conditions de délivrance prévoyaient qu’un équipement technique approprié devait être disponible dans le lieu où ces services étaient fournis, comme précisé dans un décret arrêté par le ministère de la Santé. L’article 14 prévoyait qu’une personne prodiguant des soins médicaux était passible d’une amende en cas de violation de cette loi. Le montant de l’amende n’était pas précisé.

B. Loi no 372/2011 sur les services médicaux (entrée en vigueur le 1er avril 2012)

38. Conformément à l’article 11 § 5 de cette loi, les services de santé peuvent uniquement être fournis dans un établissement de santé aux endroits mentionnés dans la licence pour la fourniture de services de santé. En vertu de l’article 4 § 1, on entend par « établissement de santé » une infrastructure destinée à la fourniture de services de santé. Au titre de l’article 11 § 6, un établissement de santé doit posséder l’équipement technique et matériel nécessaire à la fourniture de services de santé. Cet équipement doit correspondre à la spécialisation, au type et à la forme des soins de santé fournis par l’établissement. Les exigences relatives au niveau minimal d’équipement technique et matériel doivent être établies dans un décret d’application.

39. En vertu de l’article 28 § 1, un service de santé ne peut être fourni à un patient qu’avec son consentement libre et éclairé. L’article 28 § 3 dispose que le patient jouit de plusieurs droits lorsqu’il reçoit un service de santé : droit au respect de la vie privée en fonction de la nature du service fourni ; droit au libre choix d’un fournisseur qui est autorisé à fournir un service de santé correspondant aux besoins médicaux du patient et au libre choix d’un établissement de santé ; droit à la présence d’un ami proche, d’un membre de la famille ou d’une autre personne choisie par le patient ; et droit à la fourniture du service de santé dans l’environnement le moins restrictif possible tout en assurant la qualité et la sécurité du service de santé fourni.

40. En vertu de l’article 114, une personne fournissant un service de santé sans licence valable est passible d’une amende allant jusqu’à 1 000 000 CZK (environ 40 000 EUR).

C. Décret no 221/2010 du ministère de la Santé sur l’équipement technique dans les établissements de santé (en vigueur du 1er septembre 2010 au 31 mars 2012)

41. Ce décret envisageait la possibilité que les sages-femmes pratiquent des accouchements dans des locaux spécialement équipés à cet effet. Les sages-femmes devaient posséder l’équipement indispensable suivant dans un tel local : un lit d’accouchement pour salle d’accouchement ou un autre dispositif approprié pour pratiquer un accouchement naturel, une lampe d’examen, une pince stérile ou une bande élastique pour le cordon ombilical, des ciseaux stériles, un moniteur fœtal électronique (MFE), un oxymètre de pouls, un dispositif d’aspiration, un laryngoscope et les instruments nécessaires pour dégager les voies respiratoires, un espace et une surface appropriés pour traiter les nouveau-nés, une balance pour nouveau-nés, un instrument de mesure de la taille des nouveau-nés et une source d’oxygène médical. De surcroît, ce local devait être situé à maximum quinze minutes d’un hôpital à même de pratiquer une césarienne. Ce décret ne prévoyait pas la possibilité qu’un professionnel de la santé assiste un accouchement à domicile.

D. Décret no 92/2012 du ministère de la Santé sur l’équipement technique dans les établissements de santé (entré en vigueur le 1er avril 2012)

42. Ce décret prévoit la possibilité que les sages-femmes pratiquent des accouchements dans des salles d’accouchement spécialement équipés à cet effet. Les exigences relatives à l’équipement sont identiques à celles énoncées dans le décret no 221/2010. Ce décret ne prévoit pas la possibilité qu’un professionnel de la santé assiste un accouchement à domicile.

E. Loi no 96/2004 sur les professions paramédicales

43. En vertu de l’article 6 de cette loi, l’exercice de la profession de sage-femme comprend la pratique d’accouchements naturels et la fourniture de soins aux nouveau-nés.

F. Loi no 374/2011 sur les services médicaux d’urgence

44. Cette loi régit le service d’ambulance d’urgence. En vertu de l’article 5 § 2, le service doit être organisé de manière à ce qu’une ambulance puisse atteindre n’importe quel endroit dans les vingt minutes qui suivent l’appel.

III. DROIT INTERNATIONAL PERTINENT

A. Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine)

45. Les dispositions pertinentes de cette Convention sont les suivantes :

Article 5 - Règle générale

« Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé.

Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques.

La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. »

Article 6 - Protection des personnes n’ayant pas la capacité de consentir

« (...) une intervention ne peut être effectuée sur une personne n’ayant pas la capacité de consentir, que pour son bénéfice direct.

Lorsque, selon la loi, un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou d’une personne ou instance désignée par la loi (...) »

Article 8 - Situations d’urgence

« Lorsqu’en raison d’une situation d’urgence le consentement approprié ne peut être obtenu, il pourra être procédé immédiatement à toute intervention médicalement indispensable pour le bénéfice de la santé de la personne concernée. »

46. Le rapport explicatif sur la Convention précise au paragraphe 34 qu’à l’instar de l’article 4, le terme « intervention » s’entend « dans son sens le plus large, c’est-à-dire comme comprenant tout acte médical, en particulier les interventions effectuées dans un but de prévention, de diagnostic, de thérapie, de rééducation ou de recherche ».

B. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

47. À l’article 12 de ce Pacte, les États parties reconnaissent le droit que possède toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre. Les mesures que les États parties au Pacte prennent en vue d’assurer le plein exercice de ce droit doivent comprendre les mesures nécessaires pour assurer la diminution de la mortinatalité et de la mortalité infantile, ainsi que le développement sain de l’enfant.

48. Dans son observation générale no 14 sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, publiée le 11 août 2000 (E/C.12/2000/4), le Comité des droits économiques, sociaux et culturels déclare, entre autres, ce qui suit :

« 1. La santé est un droit fondamental de l’être humain, indispensable à l’exercice des autres droits de l’être humain. Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé susceptible d’être atteint, lui permettant de vivre dans la dignité (...)

8. (...) Le droit à la santé suppose à la fois des libertés et des droits. Les libertés comprennent le droit de l’être humain de contrôler sa propre santé et son propre corps, y compris le droit à la liberté sexuelle et génésique, ainsi que le droit à l’intégrité, notamment le droit de ne pas être soumis à la torture et de ne pas être soumis sans son consentement à un traitement ou une expérience médicale. D’autre part, les droits comprennent le droit d’accès à un système de protection de la santé qui garantisse à chacun, sur un pied d’égalité la possibilité de jouir du meilleur état de santé possible (...)

14. Les mesures visant « la diminution de la mortinatalité et de la mortalité infantile, ainsi que le développement sain de l’enfant » (par. 2 a) de l’article 12) peuvent s’entendre des mesures nécessaires pour améliorer les soins de santé maternelle et infantile, les services de santé en rapport avec la vie sexuelle et génésique, y compris l’accès à la planification de la famille, les soins pré et postnatals, les services d’obstétrique d’urgence ainsi que l’accès à l’information et aux ressources nécessaires pour agir sur la base de cette information. »

49. Le Comité déclare également que le droit à la santé, à l’instar d’autres droits sociaux, suppose l’existence des éléments interdépendants et essentiels suivants : la disponibilité (en d’autres termes, il doit exister dans l’État partie, en quantité suffisante, des installations, des biens, des services et des programmes fonctionnels en matière de santé publique et de soins de santé) ; l’accessibilité (les installations, biens et services en matière de santé doivent être accessibles à tous) ; l’acceptabilité (les installations, biens et services en matière de santé doivent être respectueux de l’éthique médicale et être appropriés sur le plan culturel) ; et la qualité (les installations, biens et services en matière de santé doivent également être scientifiquement et médicalement appropriés et de bonne qualité).

50. De plus, le Comité indique que l’obligation de faciliter l’exercice du droit à la santé comprend la diffusion d’« une information appropriée sur les modes de vie sains et une nutrition saine, les pratiques traditionnelles nocives et la disponibilité des services » et la fourniture d’une aide permettant aux intéressés de « faire des choix en connaissance de cause dans le domaine de la santé ».

51. Enfin, le Comité ajoute que chaque État est doté d’une marge d’appréciation discrétionnaire quand il décide quelles mesures sont effectivement les mieux adaptées à sa situation particulière.

C. Convention relative aux droits de l’enfant

52. Les dispositions pertinentes de cette Convention sont les suivantes :

Article 3

« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

2. Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées (...) »

Article 5

« Les États parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables de l’enfant, de donner à celui-ci, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnaît la présente Convention. »

Article 6

« 1. Les États parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie.

2. Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l’enfant.

(...) »

Article 18

« 1. Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant (...) »

Article 24

« 1. Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services.

2. Les États parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour :

a) Réduire la mortalité parmi les nourrissons et les enfants ;

(...)

d) Assurer aux mères des soins prénatals et postnatals appropriés ;

(...) »

53. Dans son observation générale no 7 sur la mise en œuvre des droits de l’enfant dans la petite enfance, publiée le 20 septembre 2006 (CRC/C/GC/7/Rev.1), le Comité des droits de l’enfant déclarait notamment ce qui suit :

« 4. (...) Pour le Comité, la notion de droits de l’enfant dans la petite enfance devrait couvrir toutes les périodes de la vie du jeune enfant : naissance et première enfance (...)

10. Droit à la vie, à la survie et au développement. L’article 6 de la Convention porte sur le droit inhérent de tout enfant à la vie et l’obligation pour les États parties d’assurer dans toute la mesure possible la survie et le développement de l’enfant. Les États parties sont exhortés à prendre toutes les mesures possibles pour améliorer les soins périnatals aux mères et aux nourrissons, réduire la mortalité infanto-juvénile et créer des conditions propres à assurer le bien-être de tous les jeunes enfants pendant cette période décisive de leur vie (...) Assurer la survie et protéger la santé publique sont certes des priorités, mais les États parties doivent garder à l’esprit que l’article 6 englobe tous les aspects du développement et que la santé et le bien-être psychosocial du jeune enfant sont interdépendants à maints égards. L’une et l’autre peuvent être compromis par des conditions de vie difficiles, la négligence, l’indifférence, les mauvais traitements et des possibilités limitées d’épanouissement (...) Le Comité rappelle aux États parties (et aux autres parties prenantes) que le droit à la survie et au développement ne peut être réalisé que de manière holistique, en mettant en œuvre toutes les autres dispositions de la Convention, notamment droits à la santé, à une alimentation adéquate, à la sécurité sociale, à un niveau de vie suffisant, à un environnement sain et sûr et à l’éducation et aux loisirs (art. 24, 27, 28, 29 et 31), ainsi qu’en respectant les responsabilités des parents et en assurant une aide et des services de qualité (art. 5 et 18) (...)

13. Intérêt supérieur de l’enfant. L’article 3 de la Convention consacre le principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale dans toutes les décisions concernant les enfants. En raison de leur manque relatif de maturité, les jeunes enfants dépendent des autorités compétentes pour définir leurs droits et leur intérêt supérieur et les représenter lorsqu’elles prennent des décisions et des mesures affectant leur bien-être, tout en tenant compte de leur avis et du développement de leurs capacités. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est mentionné à de nombreuses reprises dans la Convention (notamment aux articles 9, 18, 20 et 21, qui sont les plus pertinents pour la petite enfance). Ce principe s’applique à toutes les décisions concernant les enfants et doit être accompagné de mesures efficaces tendant à protéger leurs droits et à promouvoir leur survie, leur croissance et leur bien-être ainsi que de mesures visant à soutenir et aider les parents et les autres personnes qui ont la responsabilité de concrétiser au jour le jour les droits de l’enfant (...)

15. Le rôle crucial des parents et des autres personnes qui ont la charge d’un enfant à titre principal. Normalement, les parents du jeune enfant jouent un rôle crucial dans la réalisation de ses droits, de même que les autres membres de la famille, la famille élargie ou la communauté, y compris les tuteurs légaux, suivant les cas. Ce principe est pleinement reconnu dans la Convention (en particulier à l’article 5), ainsi que l’obligation incombant aux États parties d’accorder une aide aux parents, notamment en mettant en place des services de qualité chargés de veiller au bien-être des enfants (voir en particulier l’article 18) (...)

18. Respect du rôle parental. L’article 18 de la Convention dispose que la responsabilité d’assurer le développement et le bien-être de l’enfant incombe au premier chef aux parents ou à ses représentants légaux, qui doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 18, par. 1, et 27, par. 2). Les États parties devraient tenir compte du rôle primordial des parents (mère et père) (...)

27. Fourniture de soins de santé. Les États parties devraient faire en sorte que tous les enfants jouissent du meilleur état de santé et de nutrition possible pendant leurs premières années, afin de réduire la mortalité infantile et de permettre aux enfants de prendre un bon départ dans la vie (art. 24). En particulier :

(...)

b) Les États parties ont la responsabilité de réaliser le droit des enfants à la santé en favorisant l’éducation à la santé et au développement de l’enfant, y compris en informant la population sur les avantages de l’allaitement maternel, d’une bonne alimentation, de l’hygiène et des soins. La priorité devrait également être donnée à la fourniture de soins prénatals et postnatals appropriés pour les mères et les nourrissons afin qu’il s’établisse des relations saines entre l’enfant et sa famille et en particulier entre l’enfant et sa mère (...) »

54. Dans son observation générale no 15 sur le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible, publiée le 17 avril 2013 (CRC/C/GC/15), le Comité des droits de l’enfant déclarait, entre autres, ce qui suit :

« 33. Les États ont l’obligation de réduire la mortalité infantile. Le Comité demande instamment qu’une attention particulière soit accordée à la mortalité néonatale, qui constitue une proportion croissante de la mortalité des moins de 5 ans. En outre, les États parties devraient aussi se pencher sur la question de la morbidité et de la mortalité des adolescents, qui est généralement négligée.

34. Il conviendrait notamment de se pencher sur les naissances d’enfants mort-nés, les complications liées à la prématurité, l’anoxie à la naissance, l’insuffisance pondérale à la naissance, la transmission de la mère à l’enfant du VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles, les infections néonatales, la pneumonie, la diarrhée, la rougeole, la malnutrition, le paludisme, les accidents, la violence, le suicide et la morbidité et mortalité maternelles des adolescentes. Il est recommandé de renforcer les systèmes de santé pour que tous les enfants bénéficient de ces mesures dans le contexte du continuum des soins de santé procréative, maternelle, néonatale et infantile, y compris le dépistage des anomalies congénitales, les services d’accouchement sans risques et les soins aux nouveau-nés. Des contrôles de mortalité maternelle et périnatale devraient être effectués régulièrement aux fins de prévention et de responsabilisation.

(...)

51. Le Comité note que la mortalité et la morbidité maternelles évitables constituent de graves violations des droits fondamentaux des femmes et des filles et menacent gravement leur droit à la santé et celui de leurs enfants. La grossesse et l’accouchement sont des processus naturels, qui comportent des risques connus pouvant faire l’objet de mesures préventives et thérapeutiques s’ils sont identifiés à temps. Des situations à risque peuvent se présenter pendant la grossesse ou l’accouchement ainsi que durant les périodes anténatales et postnatales et elles ont des effets à court et à long terme sur la santé et le bien-être de la mère et de l’enfant.

52. Le Comité encourage les États à adopter des stratégies sanitaires qui tiennent compte des besoins particuliers des enfants aux différentes étapes de l’enfance, comme a) l’Initiative Hôpitaux amis des bébés, qui protège, favorise et soutient le maintien du nouveau-né dans la chambre de sa mère et l’allaitement au sein, b) des politiques de santé tenant compte des besoins particuliers des enfants et mettant l’accent sur la formation du personnel de santé afin que celui-ci offre des services de qualité de nature à réduire autant que possible la peur, l’anxiété et la souffrance des enfants et de leur famille (...)

54. (...) Les soins aux mères et aux nouveau-nés après l’accouchement ne devraient pas occasionner de séparation inutile entre la mère et l’enfant. »

55. Dans son observation générale no 14 sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, publiée le 29 mai 2013 (CRC/C/GC/14), le Comité des droits de l’enfant déclarait, entre autres, ce qui suit :

« 32. Le concept d’intérêt supérieur de l’enfant est complexe et sa teneur doit être déterminée au cas par cas. C’est en interprétant et en appliquant le paragraphe 1 de l’article 3, dans le sens des autres dispositions de la Convention, que le législateur, le juge, l’autorité administrative, sociale ou éducative sera en mesure de préciser le concept et d’en faire un usage concret. Le concept d’intérêt supérieur de l’enfant est donc souple et adaptable. Il devrait être ajusté et défini au cas par cas, en fonction de la situation particulière de l’enfant ou des enfants concernés, selon les circonstances, le contexte et les besoins des intéressés. Pour les décisions relatives à des cas individuels, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être évalué et déterminé en tenant compte de la situation concrète de l’enfant concerné. Pour ce qui est des décisions générales − telles que celles émanant du législateur −, l’intérêt supérieur des enfants en général doit être évalué et déterminé au vu de la situation du groupe concerné et/ou des enfants en général. Dans ces deux cas, l’intérêt supérieur devrait être évalué et déterminé en respectant pleinement les droits énoncés dans la Convention et dans les protocoles facultatifs s’y rapportant.

33. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être appliqué à toutes les questions concernant l’enfant et être pris en considération pour résoudre d’éventuels conflits entre les droits consacrés dans la Convention ou dans d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme. Il faut s’employer attentivement à définir des solutions conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela implique pour les États l’obligation, lorsqu’ils adoptent des mesures d’application, de déterminer l’intérêt supérieur de tous les enfants, notamment de ceux en situation de vulnérabilité.

(...)

39. Comme le paragraphe 1 de l’article 3 couvre un large éventail de situations, le Comité reconnaît cependant la nécessité d’un certain degré de souplesse dans son application. L’intérêt supérieur de l’enfant − une fois évalué et déterminé − peut être en conflit avec d’autres intérêts ou d’autres droits (par exemple ceux d’autres enfants, du public, des parents, etc.). Les conflits potentiels entre l’intérêt supérieur d’un enfant, pris individuellement, et celui d’un groupe d’enfants ou des enfants en général doivent être résolus au cas par cas, en mettant soigneusement en balance les intérêts de toutes les parties et en trouvant un compromis acceptable. Il convient de procéder de même si les droits d’autres personnes sont en conflit avec l’intérêt supérieur de l’enfant. Si une harmonisation est impossible, les autorités et les responsables devront analyser et mettre en balance les droits de toutes les parties concernées, en ayant à l’esprit que le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale signifie que les intérêts de l’enfant ont un rang de priorité élevé et ne sont pas une considération parmi d’autres seulement. Il convient donc d’attribuer un plus grand poids à ce qui sert au mieux les intérêts de l’enfant. »

D. Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes

56. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a notamment formulé, dans la section « Santé » de ses observations finales sur la République tchèque du 10 novembre 2010 (CEDAW/C/CZE/CO/5), les recommandations suivantes :

« 36. Tout en reconnaissant la nécessité d’assurer le maximum de sécurité aux mères et aux nouveau-nés pendant l’accouchement et en relevant le faible taux de mortalité périnatale dans l’État partie, le Comité prend acte d’informations faisant état d’ingérences dans les choix des femmes en matière de santé génésique dans les hôpitaux, notamment d’interventions médicales courantes, qui auraient souvent lieu sans le consentement préalable, libre et éclairé de la femme ou en dehors de toute prescription médicale, d’un accroissement rapide du taux de recours aux césariennes, de la séparation des nouveau-nés de leur mère pendant de longues heures sans motif lié à leur état de santé, d’un refus d’autoriser la mère et l’enfant à quitter l’hôpital dans les soixante-douze heures qui suivent l’accouchement et d’attitudes paternalistes de la part des médecins qui empêchent les femmes d’exercer leur liberté de choix. Il note également les informations selon lesquelles les femmes auraient peu de possibilités d’accoucher en dehors des hôpitaux.

37. Le Comité recommande à l’État partie de songer à adopter dans les meilleurs délais une loi sur les droits des patients, y compris les droits des femmes en matière de santé génésique, d’adopter un protocole normatif en matière de soins périnatals qui garantisse le respect des droits des patients et permette d’éviter les interventions médicales inopportunes, de faire en sorte que toutes les interventions ne puissent être effectuées qu’avec le consentement préalable libre et éclairé de la femme, de surveiller la qualité des soins dans les maternités, de dispenser une formation obligatoire à tous les personnels de santé au sujet des droits des patients et des normes éthiques connexes, de continuer de sensibiliser les patients à leurs droits, notamment en diffusant des informations, et d’envisager des mesures pour faire en sorte que les accouchements pratiqués en dehors des hôpitaux par des sages-femmes soient une option sans danger et abordable pour les femmes. »

E. Organisation mondiale de la santé

57. En 1996, un groupe d’experts réuni sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé adopta un document intitulé « Les soins liés à un accouchement normal : guide pratique » (WHO/FRH/MSM/96.24), qui contient des lignes directrices universelles sur les soins ordinaires à prodiguer aux femmes au cours d’un travail et d’un accouchement sans complications. Ce rapport fut publié en réaction à la prolifération de pratiques visant à déclencher, intensifier, accélérer, régler ou surveiller le processus physiologique du travail dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement. Après avoir adopté une définition de travail d’une « naissance normale », il recense les pratiques les plus courantes utilisées pendant le travail et tente de fixer certaines normes de bonne pratique pour la conduite d’un travail et d’un accouchement exempts de complications. Ce document formule, entre autres, les constats suivants :

« Sous l’effet du phénomène mondial de l’urbanisation croissante, les femmes sont beaucoup plus nombreuses à accoucher dans des services d’obstétrique, qu’elles aient un accouchement normal ou compliqué. La tentation existe de traiter tous les accouchements systématiquement avec le même niveau élevé d’intervention requis par ceux qui se révèlent compliqués. Il s’ensuit malheureusement toute une gamme d’effets négatifs, dont certains ont des incidences graves. Ces effets vont du simple coût en temps, en formation et en matériel qui va de pair avec nombre des méthodes utilisées au fait que de nombreuses femmes peuvent être dissuadées de rechercher les soins dont elles ont besoin parce que le coût élevé de l’intervention les inquiète. Les pratiques superflues peuvent nuire aux femmes et à leur nourrisson (...)

Dans certains pays industrialisés, des centres d’accouchement dans les hôpitaux et à l’extérieur ont été créés pour permettre aux femmes à faible risque d’accoucher dans une atmosphère comparable à celle du foyer, avec des soins primaires, d’ordinaire avec l’aide de sages-femmes. La plupart de ces centres, ne recourent pas au monitorage fœtal électronique ni à l’accélération du travail et l’utilisation des analgésiques est minimale (...) Des expériences portant sur des soins gérés par des sages-femmes ont été faites dans des hôpitaux en Grande-Bretagne, en Australie et en Suède, montrant que les femmes étaient beaucoup plus satisfaites de ces soins que des soins types. Le nombre de [sic] interventions était généralement inférieur, spécialement l’analgésie obstétricale, le déclenchement et l’accélération du travail. L’issue obstétricale n’était pas sensiblement modifiée par rapport aux soins dirigés par un consultant même si, dans certains essais, la mortalité périnatale tendait à être légèrement supérieure dans les modèles où les soins étaient confiés à des sages-femmes (...)

Dans un certain nombre de pays industrialisés, des petits groupes de femmes et de dispensateurs de soins mécontents des soins hospitaliers ont opté à la place pour l’accouchement à domicile, souvent plus ou moins en conflit avec le système de soins officiel. Il existe peu de données statistiques sur ces accouchements à domicile. Les données recueillies dans le cadre d’une étude effectuée en Australie donnent à penser que le choix des grossesses à faible risque n’a que modérément réussi. Dans les accouchements prévus pour se dérouler à domicile, le nombre des transferts dans un hôpital et le taux des interventions obstétricales étaient faibles. Les chiffres de la mortalité périnatale et de la morbidité néonatale étaient aussi relativement faibles mais aucune donnée n’a été fournie concernant les facteurs évitables (...)

Où donc une femme doit-elle accoucher ? Il est juste de dire qu’une femme doit accoucher là où elle se sent en sécurité, au niveau le plus périphérique où des soins appropriés sont possibles et sûrs (...) Pour une femme enceinte à faible risque, cela peut être à domicile, dans un petit dispensaire de maternité ou un centre d’accouchement urbain, voire dans le service de maternité d’un hôpital plus important. Il faut toutefois, dans cet endroit, que l’attention et les soins soient axés sur ses besoins et sa sécurité, et qu’il se situe aussi près de chez elle et de sa propre culture que possible. Si la naissance a lieu à domicile ou dans un petit centre d’accouchement périphérique, l’accès d’urgence à un centre d’orientation-recours disposant de personnel qualifié doit être prévu dans les préparatifs prénatals.

(...)

En conclusion, un accouchement normal, à condition qu’il soit à faible risque, nécessite seulement l’observation attentive d’une accoucheuse ou d’un accoucheur qualifié capable de déceler les signes précoces de complications. Il ne requiert aucune intervention, seulement des encouragements, un soutien et un peu de tendresse. Des directives générales peuvent être données quant à ce qui doit être en place pour protéger et favoriser le cours d’un accouchement normal. Un pays désireux d’investir dans ces services doit néanmoins adapter ces directives à sa situation particulière et aux besoins des femmes, et il doit veiller à ce que le minimum essentiel soit disponible pour servir les femmes de façon satisfaisante, qu’elles soient à faible risque, à moyen risque ou à haut risque, ainsi que celles qui auront des complications. »

58. Ce rapport énonce en outre des lignes directrices sur les tâches du dispensateur de soins lors d’un accouchement normal et les actes qu’il doit poser pendant le processus. L’une de ses tâches principales consiste à transférer la femme vers un niveau de soins supérieur si des facteurs de risque apparaissent ou si d’éventuelles complications justifient ce transfert, si ce transfert peut être réalisé aisément.

IV. LE DROIT ET LA PRATIQUE DANS LES ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L’EUROPE

59. À la lumière des informations comparatives concernant trente-deux États membres dont dispose la Cour, les pratiques qui suivent peuvent être observées.

60. Seize États membres autorisent expressément l’accouchement à domicile sous certaines conditions (Allemagne, Autriche, Belgique, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Luxembourg, Pays‑Bas, Pologne, Royaume-Uni, Suède et Suisse).

61. Dans seize États membres, la législation ne régit pas expressément la question de l’accouchement à domicile (Albanie, ancienne République yougoslave de Macédoine, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Espagne, Estonie, Finlande, Géorgie, Lituanie, Malte, Monténégro, Roumanie, Russie, Slovénie, Turquie et Ukraine). Dans la pratique, différentes approches prévalent dans ces pays à l’égard de l’accouchement à domicile avec l’assistance d’un professionnel de la santé. Dans certains d’entre eux, les sages-femmes assistent les accouchements à domicile selon une pratique tolérée (en Espagne, en Estonie, en Finlande, à Malte et en Turquie, par exemple), tandis que d’autres, comme l’Estonie et la Slovénie, envisagent de légiférer pour réglementer l’assistance professionnelle des accouchements prévus pour se dérouler à domicile. Un professionnel de la santé n’encourt une sanction pour le simple fait d’avoir assisté un accouchement prévu pour se dérouler à domicile que dans une poignée de pays (Croatie, Lituanie et Ukraine).

V. RÉSUMÉ DES ÉTUDES INTERNATIONALES PERTINENTES SUR LA SÉCURITÉ DES ACCOUCHEMENTS À DOMICILE PRÉSENTÉES À LA COUR PAR LES PARTIES

62. Une étude menée aux États-Unis et publiée en 2010 a conclu que les accouchements prévus pour se dérouler à domicile donnaient lieu à moins d’interventions maternelles telles que l’analgésie péridurale, la surveillance électronique de la fréquence cardiaque fœtale, l’épisiotomie ou l’accouchement chirurgical. Les femmes accouchant à domicile étaient moins susceptibles de souffrir de déchirures, d’hémorragies et d’infections. En ce qui concerne l’issue néonatale, les cas de prématurité et de faible poids à la naissance étaient moins fréquents, de même que la nécessité de ventilation assistée des nouveau-nés. Même si les accouchements prévus pour se dérouler à domicile et à l’hôpital présentaient un taux de mortalité périnatale similaire, le taux de mortalité néonatale était sensiblement plus élevé à domicile[1]. Plusieurs articles scientifiques ont toutefois reproché de graves manquements méthodologiques à cette étude[2]. Une autre étude réalisée sur la base de données de 2008 aux États-Unis a conclu que le risque d’obtention d’un score d’Apgar plus faible à 5 minutes et de convulsions néonatales était plus élevé pour les accouchements prévus à domicile[3].

63. Une étude menée au Canada et publiée en 2009 a révélé que les accouchements prévus pour se dérouler à domicile avec l’assistance d’une sage-femme agréée étaient associés à un taux extrêmement faible et comparable de mortalité périnatale et un taux moindre d’interventions obstétriques et d’autres issues périnatales défavorables par rapport aux accouchements prévus à l’hôpital avec l’assistance d’une sage-femme ou d’un médecin[4].

64. D’après une autre étude publiée en 2012, les essais randomisés n’ont pas permis de démontrer solidement qu’il faudrait privilégier la planification de l’accouchement à domicile ou à l’hôpital pour les femmes enceintes à faible risque. Les essais ont par contre révélé que les femmes vivant dans une région où elles ne sont pas bien informées sur l’accouchement à domicile pourraient accueillir favorablement des essais bien pensés sur le plan éthique qui garantiraient que le choix est fait en toute connaissance de cause[5]. Une étude comparative entre les modèles dans lesquels les soins sont confiés aux sages-femmes et ceux dans lesquels ils sont dirigés par un médecin ou partagés, qui portait sur onze essais concernant un total de 12 276 femmes, a conclu que les premiers comportaient plusieurs avantages pour les mères et les bébés et qu’ils n’avaient pas d’effets indésirables, en prenant en considération les données sur les pertes fœtales et la mortalité néonatale[6].

65. Il ressort des résultats d’une étude menée aux Pays-Bas, publiés en 2009, que la planification d’un accouchement à domicile n’augmente pas les risques de mortalité périnatale ou de morbidité périnatale grave chez les femmes à faible risque si le modèle de soins de maternité soutient ce choix par la mise à disposition, d’une part, de sages-femmes hautement qualifiées et, d’autre part, d’un bon système de transport et de transfert[7]. D’après une autre étude néerlandaise publiée en 2010, les enfants de femmes à faible risque dont le travail a débuté à un niveau de soins primaires présentent en revanche un risque supérieur de mortalité périnatale liée à l’accouchement que les enfants de femmes à haut risque dont le travail a débuté à un niveau de soins secondaires. Il est particulièrement préoccupant que le taux de mortalité le plus élevé ait été constaté chez les enfants de femmes transférées d’un niveau de soins primaires à un niveau de soins secondaires pendant le travail à la suite d’une complication[8].

66. Les auteurs d’une étude réalisée en Suisse ont affirmé dans leurs conclusions, en 1996, que les femmes en bonne santé à faible risque qui souhaitaient accoucher à domicile n’étaient exposées à un risque accru ni pour elles-mêmes, ni pour leurs bébés[9].

67. Une étude menée au Royaume-Uni et publiée en 2011 a abouti à la conclusion que, pour les femmes en bonne santé ayant une grossesse à faible risque, l’incidence des issues périnatales défavorables est faible dans tous les environnements d’accouchement. Pour les femmes multipares en bonne santé ayant une grossesse à faible risque, il n’existe aucune différence au niveau des issues périnatales défavorables entre un accouchement prévu à domicile ou dans un service sous la responsabilité de sages-femmes et un accouchement prévu dans un service obstétrique. Pour les femmes nullipares en bonne santé ayant une grossesse à faible risque, le risque d’issue périnatale défavorable semble plus élevé lors des accouchements prévus pour se dérouler à domicile, et le taux de transfert intrapartum est élevé dans tous les environnements autres qu’un service obstétrique[10]. Une autre étude fondée sur des données recueillies en Angleterre et au pays de Galles entre 1994 et 2003 a mis en lumière que les femmes qui avaient prévu un accouchement à domicile et donné naissance à leur bébé chez elles présentaient apparemment un taux de mortalité périnatale généralement faible au cours du travail et de l’accouchement. En revanche, il s’est avéré que les femmes qui avaient prévu un accouchement à domicile, mais ont ensuite dû être transférées à l’hôpital affichaient le risque le plus élevé de mortalité périnatale au cours de la période de l’étude[11].

EN DROIT

I. JONCTION DES REQUÊTES

68. La Cour constate que l’objet des requêtes nos 28859/11 et 28473/12 est similaire. Conformément à l’article 42 du règlement, il est donc opportun de joindre ces affaires.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

69. Les requérantes se plaignent du fait que le droit tchèque interdit à un professionnel de la santé d’assister un accouchement à domicile. Elles y voient une violation du droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la Convention, qui dispose ce qui suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

70. Le Gouvernement conteste cette allégation.

A. Recevabilité

71. Le Gouvernement soutient que l’affaire est incompatible ratione materiae avec la Convention car les obligations de respecter les circonstances personnelles d’accouchement et la vie privée des mères doivent être distinguées de l’obligation de mettre en place un cadre permettant l’assistance à l’accouchement à domicile.

72. Les requérantes invoquent l’arrêt de la Cour dans l’affaire Ternovszky c. Hongrie (no 67545/09, 14 décembre 2010) pour soutenir que leur plainte relève du champ d’application de l’article 8 de la Convention. D’après leurs arguments, le choix du lieu d’accouchement fait par une mère appartient à l’essence de l’autodétermination et, à ce titre, il fait partie intégrante de la vie privée et familiale.

73. La Cour rappelle que la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive. Elle englobe, entre autres, le droit à l’autonomie personnelle et au développement personnel (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002‑III) et le droit à l’intégrité physique et morale (Tysiąc c. Pologne, no 5410/03, § 107, CEDH 2007‑I ; A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, § 214, CEDH 2010 ; et Haas c. Suisse, no 31322/07, § 50, CEDH 2011). Elle inclut également des questions telles que la décision d’avoir ou non un enfant ou de devenir parents génétiques (Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 71, CEDH 2007‑I) et le droit des détenus à procréer pendant leur emprisonnement (Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, § 66, CEDH 2007-V). De surcroît, dans l’arrêt Odièvre c. France ([GC], no 42326/98, § 29, CEDH 2003‑III), la Cour a statué que « [l]a naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de l’enfant, puis de l’adulte, garantie par l’article 8 de la Convention ».

74. La Cour souligne qu’en l’espèce, la question relative au champ d’application de l’article 8 de la Convention ne consiste pas à établir, comme le Gouvernement le prétend, si cette disposition couvre le droit d’accoucher à domicile avec l’assistance d’une sage-femme, mais bien si elle couvre le droit de définir les conditions dans lesquelles une femme doit accoucher.

75. S’appuyant sur la jurisprudence précitée, la Cour estime que donner naissance est un aspect particulièrement intime de la vie privée d’une mère. Il englobe des questions touchant à l’intégrité physique et morale, à l’acte médical, à la santé génésique et à la protection des informations relatives à la santé. Les décisions concernant les conditions de l’accouchement, y compris le choix du lieu, relèvent donc de la vie privée de la mère aux fins de l’article 8. La Cour rejette par conséquent l’objection du Gouvernement.

76. La Cour constate par ailleurs que la plainte n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été établi. La plainte doit donc être déclarée recevable.

B. Sur le fond

1. Obligations positives ou négatives au titre de l’article 8 de la Convention

77. Les requérantes dénoncent une ingérence dans les droits qui leur sont garantis par l’article 8 de la Convention. Le Gouvernement réfute cette ingérence.

78. Si le respect effectif de la vie privée implique de manière inhérente des obligations positives (A, B et C c. Irlande, précité, § 216), la Cour estime qu’il convient d’analyser les griefs des requérantes sous l’angle des obligations négatives, les intéressées alléguant à titre principal que l’interdiction pour les sages-femmes d’assister leur accouchement à domicile, sous peine d’une sanction, a porté une atteinte disproportionnée au droit des requérantes au respect de leur vie privée. Eu égard à la notion large de vie privée au sens de l’article 8, qui inclut le droit à l’autonomie personnelle et à l’intégrité physique et morale (paragraphe 73 ci-dessus), la Cour estime que l’impossibilité pour les requérantes de se faire assister par une sage-femme pour accoucher chez elles s’analyse en une ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée.

2. L’ingérence était-elle « prévue par la loi » ?

79. Pour que l’« ingérence » constatée ci-dessus ne soit pas contraire à l’article 8, il faut en premier lieu qu’elle ait été « prévue par la loi ».

80. Le Gouvernement avance qu’il est clairement établi dans la loi tchèque que l’assistance apportée à un accouchement par un médecin ou une sage-femme constitue un soin de santé qui ne peut être fourni que dans un établissement de santé devant satisfaire à des exigences minimales définies sans ambiguïté en ce qui concerne l’équipement technique et matériel disponible.

81. Les requérantes allèguent que leur situation est comparable à celle de l’affaire Ternovszky (paragraphe 72 ci-dessus), dans laquelle la Cour avait conclu à une violation de l’article 8 de la Convention. De surcroît, aucune base juridique n’aurait satisfait à l’exigence de prévisibilité, du moins jusqu’au 1er avril 2012, car la loi n’encadrait pas la possibilité d’accoucher à domicile.

82. La Cour fait remarquer que, même si l’accouchement à domicile n’est pas interdit en soi dans l’ordre juridique tchèque, la loi sur les services médicaux applicable au moment des faits disposait qu’une personne ne pouvait fournir de soins médicaux que si elle était titulaire de la licence requise, dont les conditions de délivrance comprenaient l’exigence qu’un équipement technique approprié, tel que spécifié dans un décret du ministère de la Santé, soit disponible dans l’infrastructure où ces services devaient être fournis. Toute personne prodiguant des soins médicaux sans respecter cette loi était passible d’une amende pour violation de celle-ci. La Cour note par ailleurs que le décret pertinent en vigueur précisait l’équipement essentiel dont devaient disposer les sages-femmes à tout endroit où elles étaient supposées assister des accouchements. Il ressort clairement de la liste détaillant cet équipement figurant dans le décret qu’un domicile privé ne pouvait satisfaire à cette exigence.

83. Néanmoins, bien que la Cour reconnaisse que certains doutes pouvaient entourer la signification précise des dispositions législatives en vigueur au moment des faits, elle considère que les requérantes pouvaient prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’espèce, que l’aide d’un professionnel de la santé pour un accouchement à domicile n’était pas autorisée par la loi. Par conséquent, elle estime que l’ingérence en cause était « prévue par la loi » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

3. L’ingérence poursuivait-elle un but légitime ?

84. Le Gouvernement soutient que l’ingérence poursuivait le but légitime de protéger la santé ainsi que les droits et libertés d’autrui, en particulier la vie et la santé de la mère et de l’enfant pendant et après l’accouchement.

85. Les requérantes contestent cette affirmation. Elles prétendent que le but consistait plutôt à empêcher activement les futures mères de bénéficier de soins de santé fournis par des sages-femmes, de façon à protéger le monopole financier et la toute-puissance des prestataires historiques de soins de santé en institution.

86. La Cour ne distingue aucune raison de mettre en doute le fait que la politique en cause, telle qu’elle est reflétée dans le décret du ministère de la Santé, a été conçue pour protéger la santé et la sécurité des nouveau-nés pendant et après l’accouchement et, au moins indirectement, celles des mères. Il peut par conséquent être affirmé qu’elle visait le but légitime de la protection de la santé et des droits d’autrui au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

4. L’ingérence était-elle « nécessaire dans une société démocratique » ?

87. La Cour doit déterminer si l’ingérence litigieuse répondait à un besoin social impérieux, et en particulier si elle était « proportionnée » au but légitime poursuivi, eu égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents en jeu, exercice pour lequel l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (A, B et C c. Irlande, précité, § 229 et les références qui y sont citées).

88. Le Gouvernement soutient que l’équilibre trouvé entre les intérêts individuels des mères pour le choix de leur lieu d’accouchement et l’intérêt de l’État pour la protection de la santé des mères et de leurs enfants relevait de la marge d’appréciation de l’État. Les résultats des études menées sur la sécurité de l’accouchement à domicile ou dans un établissement de santé sont d’après lui sans équivoque. Il souligne en outre que la vie privée des mères est pleinement respectée dans les hôpitaux, ce qui atténue l’importance de l’intérêt en jeu pour la vie privée des mères du point de vue de l’article 8 de la Convention. De plus, les femmes peuvent choisir librement l’hôpital dans lequel elles souhaitent accoucher.

89. Les requérantes soutiennent que, même si l’accouchement à domicile n’est pas interdit en soi, une mère qui décide d’accoucher à domicile avec l’assistance d’une sage-femme fait courir à cette dernière le risque d’être poursuivie pénalement et de devoir payer une amende. Étant donné qu’aucune sage-femme ne peut obtenir de licence pour la conduite d’accouchements à domicile et que toute assistance fournie sans licence est passible de lourdes amendes, les mères n’ont d’autre choix que d’accoucher à l’hôpital si elles souhaitent être assistées par un professionnel de la médicine.

90. Les requérantes admettent que les femmes ne peuvent jouir d’une liberté de choix totale quant à leurs conditions d’accouchement et que tout choix en la matière doit être mis en balance avec d’autres intérêts, dont le droit à la vie et à la santé des nouveau-nés. Bien qu’il soit à leurs yeux souhaitable que l’État fixe des normes raisonnables et appropriées concernant l’équipement technique, matériel et personnel d’une sage‑femme, les dispositions de la loi excluent toute possibilité d’assistance d’un accouchement à domicile car seul un hôpital peut satisfaire aux exigences imposées. Les futures mères sont donc privées de la possibilité effective d’opter pour un accouchement à domicile.

91. De surcroît, les requérantes ayant décidé d’accoucher chez elles, elles ont souffert de détresse au cours de leur grossesse en raison de l’interdiction édictée par l’État de toute assistance médicale, ce qui aurait également pu entraîner un effet négatif sur leurs enfants. Enfin, elles ajoutent que l’accouchement à domicile est moins coûteux et que le Gouvernement ne peut donc invoquer des facteurs économiques ou budgétaires pour justifier son approche.

92. La Cour observe que, pour déterminer l’ampleur de la marge d’appréciation devant être reconnue à l’État dans une affaire soulevant des questions au regard de l’article 8 de la Convention, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Cette marge est d’autant plus restreinte que le droit en cause est important pour garantir à l’individu la jouissance effective des droits fondamentaux ou d’ordre « intime » qui lui sont reconnus (Connors c. Royaume-Uni, no 66746/01, § 82, 27 mai 2004, et les références qui y sont citées). En revanche, la marge d’appréciation sera plus ample lorsqu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur la meilleure façon de le protéger (A, B et C c. Irlande, précité, § 232 et les références qui y sont citées, et Stubing c. Allemagne, no 43547/08, § 60, 12 avril 2012, et les références qui y sont citées).

93. La Cour constate que l’espèce concerne un aspect complexe de la politique de santé publique, qui requiert l’analyse par les autorités nationales de données spécialisées et scientifiques concernant les risques afférents à l’accouchement à l’hôpital et à domicile. Elle fait remarquer dans ce cadre que les nouveau-nés sont non seulement vulnérables physiquement, mais dépendent aussi entièrement de décisions prises par d’autres personnes, ce qui justifie une grande implication de la part de l’État. De surcroît, la question de l’accouchement à domicile touche à des domaines dans lesquels il n’existe pas de claire communauté de vues entre les États membres (paragraphes 59 à 61 ci-dessus) et concerne des considérations de politique générale de l’État en matière socio‑économique, notamment l’allocation de ressources financières, étant donné que la création d’un système d’urgence adéquat peut nécessiter de retirer des fonds du système général des maternités au profit d’un nouveau réseau de sécurité pour les accouchements à domicile. Eu égard à ces considérations, la Cour est d’avis que l’État défendeur doit jouir d’une marge d’appréciation étendue.

94. Dans la recherche d’un équilibre entre les intérêts en jeu, la Cour note que le Gouvernement a principalement mis l’accent sur l’objectif légitime de la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant qui, selon sa nature et sa gravité, peut l’emporter sur celui du parent, étant entendu que l’article 8 ne saurait autoriser le parent à faire prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant (Haase c. Allemagne, no 11057/02, § 93, CEDH 2004‑III [extraits]). D’après la Cour, même si aucun conflit d’intérêts n’oppose généralement une mère et son enfant, il peut être considéré que certains choix opérés par la mère au sujet du lieu, des conditions ou de la méthode d’accouchement engendrent un risque accru pour la santé et la sécurité des nouveau-nés, dont le taux de mortalité n’est pas négligeable, ainsi que l’indiquent les chiffres relatifs aux décès périnatals et néonatals, malgré tous les progrès accomplis dans les soins médicaux.

95. La Cour reconnaît que la situation de l’espèce a eu de graves conséquences sur la liberté de choix des requérantes, qui furent contraintes, si elles souhaitaient accoucher chez elles, de le faire sans l’aide d’une sage‑femme et, dès lors, avec les risques que cela supposait pour elles‑mêmes et les nouveau-nés, ou bien d’accoucher à l’hôpital (paragraphe 93 ci-dessus). Les requérantes étaient libres d’accoucher à l’hôpital de leur choix, où leurs désirs concernant les modalités de l’accouchement devaient en principe être respectés (paragraphe 39 ci-dessus). Les éléments soumis à la Cour donnent toutefois à penser que la situation dans la plupart des hôpitaux locaux, pour ce qui est du respect des choix des mères, était douteuse (paragraphes 7, 16 et 21 ci-dessus). La Cour rappelle à ce propos que le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a recommandé à l’État défendeur de garantir le respect des droits des patients et d’éviter les interventions médicales inopportunes (paragraphe 56 ci-dessus). En conséquence, la possibilité pour les mères de choisir librement l’hôpital dans lequel elles souhaitent accoucher n’a pas affaibli l’intérêt des requérantes pour un accouchement à domicile assisté.

96. D’une part, la Cour observe également que la majorité des études qui lui ont été présentées n’indiquent pas que les accouchements à domicile sont plus risqués que les accouchements à l’hôpital, pour autant toutefois que certaines conditions préalables soient remplies. Premièrement, les accouchements à domicile seraient seulement acceptables pour les grossesses « à faible risque ». Deuxièmement, les accouchements à domicile doivent être assistés par une sage-femme qualifiée, capable de déceler toute complication pendant l’accouchement et de faire admettre une femme en cours de travail à l’hôpital au besoin. Troisièmement, le transfert de la mère et de l’enfant vers l’hôpital doit pouvoir être assuré dans un délai très court. Dans une situation comme celle de la République tchèque, où les professionnels de la santé n’ont pas le droit d’aider les mères qui souhaitent accoucher à domicile et où aucune aide d’urgence spécialisée n’est disponible, il peut donc être affirmé que le risque pour la vie et la santé des mères et des nouveau-nés n’est pas réduit mais augmenté.

97. D’autre part, prenant acte de l’argument du Gouvernement selon lequel le risque pour les nouveau-nés est plus élevé en cas de naissance à domicile qu’en cas d’accouchement dans une maternité dotée de tout le personnel et l’équipement nécessaires, la Cour sait que, même si une grossesse se déroule apparemment sans complications particulières, des difficultés inattendues peuvent survenir au moment de l’accouchement, comme un grave manque d’oxygène du fœtus, un saignement abondant ou un autre incident nécessitant une intervention médicale spécialisée, telle qu’une césarienne ou la fourniture d’une assistance néonatale au nouveau-né. De surcroît, lors d’un accouchement à l’hôpital, l’établissement peut immédiatement prodiguer les soins ou réaliser les interventions qui s’imposent, ce qui n’est pas le cas lors d’un accouchement à domicile, même avec l’assistance d’une sage-femme. Le temps nécessaire pour se rendre à un hôpital si de telles complications surviennent peut effectivement susciter des risques accrus pour la vie et la santé du nouveau-né ou de sa mère (paragraphes 65 à 67 ci-dessus).

98. Par conséquent, eu égard aux considérations exposées, la Cour conclut que les mères concernées, y compris les requérantes, n’ont pas eu à supporter une charge disproportionnée et excessive.

99. Enfin, la Cour doit établir si les autorités nationales, et surtout le ministère de la Santé, lorsqu’elles ont imaginé la politique relative aux accouchements à domicile et, en particulier, lorsqu’elles ont adopté et maintenu les dispositions pertinentes (paragraphes 22, 26 à 28 et 42 et 43 ci‑dessus), ont accordé le poids approprié aux intérêts concurrents en jeu et examiné attentivement les alternatives possibles et la proportionnalité de leur politique relative aux accouchements à domicile. La Cour observe à cet égard que les éléments qui lui ont été soumis ne prouvent pas que le ministère de la Santé a bien procédé initialement à un tel examen. Il s’avère en outre que les autorités nationales ont essayé d’amorcer une discussion ouverte sur la question de l’accouchement à domicile, avec la participation de tous les groupes d’intérêt concernés, mais que cette initiative a en fin de compte échoué (paragraphe 26 ci-dessus). Incidemment, la Cour constitutionnelle a pratiqué en juillet 2013 un examen supplémentaire, dans le cadre duquel elle a déclaré qu’un État démocratique moderne protège différentes libertés, dont celles qui s’accompagnent d’un certain degré de risque acceptable, et que le droit des parents de choisir librement le lieu et le mode d’accouchement est limité uniquement par l’intérêt de la sécurité de l’accouchement et de la santé de l’enfant, cet intérêt ne pouvant cependant être assimilé à une préférence univoque pour l’accouchement à l’hôpital (paragraphe 36 ci-dessus).

100. Pour terminer, la Cour estime qu’il convient d’ajouter que les autorités nationales doivent soumettre les dispositions pertinentes à un examen constant afin d’intégrer les avancées médicales, scientifiques et juridiques. De fait, le ministère de la Santé a récemment revu sa politique et, depuis le 1er janvier 2014, les femmes qui ont une grossesse à faible risque peuvent choisir si elles souhaitent rester à l’hôpital pendant une durée de 72 heures après l’accouchement, comme les médecins spécialistes le recommandent, ou accoucher à l’hôpital sous la conduite d’une sage‑femme et quitter l’hôpital 24 heures après l’accouchement (paragraphe 28 ci‑dessus).

101. Eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce et gardant à l’esprit qu’il n’existe aucun consensus européen sur ce sujet, la Cour conclut qu’en adoptant et en appliquant la politique relative aux accouchements à domicile en vigueur au moment des faits, les autorités n’ont pas dépassé l’ample marge d’appréciation qui leur est accordée ni compromis le juste équilibre requis entre les intérêts concurrents. En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;

2. Déclare, à l’unanimité, les requêtes recevables ;

3. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 11 décembre 2014.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

. opinion concordante du juge Villiger ;

. opinion concordante de la juge Yudkivska ;

. opinion dissidente du juge Lemmens.

M.V.
C.W.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE VILLIGER

Je souscris au raisonnement et aux conclusions de l’arrêt, mais je ressens la nécessité d’ajouter les commentaires qui suivent.

La Cour n’est pas confrontée en l’espèce à une plainte concrète au sujet d’un accouchement à domicile particulier, mais à la législation générale de la République tchèque qui, dans l’absolu, interdit de fait l’accouchement à domicile. Par conséquent, la Cour joue exceptionnellement le rôle d’une juridiction constitutionnelle chargée d’examiner un acte législatif de manière abstraite.

Selon moi, ce point de vue particulier sur l’affaire exige de faire preuve de circonspection. Pour examiner de façon abstraite un acte législatif, il faut en effet envisager de nombreuses, et même d’innombrables situations et circonstances possibles dans lesquelles cet acte est susceptible de produire ses effets. Cela nécessite en soi une grande marge d’appréciation dans le chef du gouvernement défendeur.

De surcroît, la Cour est en l’espèce appelée à se pencher sur une problématique de santé publique dans un État contractant, à savoir les risques de l’accouchement à domicile pour les nouveau-nés. Lors de l’audience tenue devant la Cour le 10 septembre 2013, le gouvernement défendeur comptait parmi ses conseillers l’un des plus éminents obstétriciens de République tchèque. Ce dernier a appris à la Cour que son pays affichait l’un des taux de mortalité chez les nouveau-nés les plus faibles (voire le plus faible) d’Europe, notamment grâce à la législation assurant que tous les bébés naissent à l’hôpital.

Face à de tels arguments, et en gardant à l’esprit son rôle constitutionnel, il est particulièrement difficile pour la Cour d’agir en tant qu’instance médicale de surveillance suprême en Europe, qui serait appelée à approuver ou à condamner le système de santé d’un pays donné.

Ce facteur nécessite lui aussi une ample marge d’appréciation dans le chef du gouvernement défendeur.

Cela dit, il ne fait aucun doute que si la Cour est un jour confrontée à une requête portant sur un cas particulier (et peut sortir du cadre d’un examen abstrait), elle devra aborder l’affaire d’un point de vue différent, en mettant l’accent sur les circonstances spécifiques de cette affaire.

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE YUDKIVSKA

Je souscris pleinement à l’opinion majoritaire selon laquelle il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 8. En effet, je doute quelque peu que cet article trouve à s’appliquer dans ces circonstances.

Force est de constater que l’article 8 est « l’une des dispositions les moins limitatives de la Convention » et que son champ d’application évolue naturellement à mesure que la société elle-même évolue. Un grand nombre d’événements de notre vie relèvent de la notion de « vie privée ». L’article 8 ne peut pour autant constituer une source inépuisable de droits divers et variés se rattachant aux multiples facettes de cette notion. La Cour a statué que l’article 8 ne saurait s’appliquer chaque fois que la vie quotidienne d’une personne est en cause, mais seulement dans les cas exceptionnels où la non-adoption de mesures par l’État fait obstacle au droit de cette personne à son développement personnel et à son droit d’établir et d’entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur (Zehnalová et Zehnal c. République tchèque (déc.), no 38621/97, CEDH 2002-V).

Je distingue une différence nette entre, d’une part, la jurisprudence citée au paragraphe 73 de l’arrêt concernant les aspects fondamentaux de l’autonomie personnelle et de la famille, comme la décision de devenir parent ou non, et, d’autre part, la situation de l’espèce. Je pense également que les circonstances de la naissance dans le contexte de l’identité d’un enfant abandonné, en tant qu’élément pertinent de sa vie privée (Odièvre c. France [GC], no 42326/98, CEDH 2003‑III, cité au même paragraphe), et les circonstances de l’accouchement, dans l’acception pragmatique du terme, ne peuvent revêtir une importance comparable. Même si la naissance d’un enfant relève bien entendu en soi de la vie privée d’une femme, je peux difficilement admettre que tous les aspects particuliers d’un accouchement engagent la protection de la Convention. À cet égard, il convient également de distinguer l’espèce de l’affaire récente Konovalova c. Russie (no 37873/04, 9 octobre 2014), dans laquelle la présence non sollicitée d’étudiants pendant l’accouchement de la requérante s’est analysée en une ingérence dans la vie privée de celle-ci car les étudiants avaient eu accès aux informations médicales confidentielles sur l’état de santé de la requérante.

Je peux parfaitement comprendre que de nombreuses femmes préfèrent un accouchement à domicile car le processus est à leurs yeux beaucoup plus confortable sur le plan psychologique. Je pense toutefois que la Convention a pour objet la sauvegarde des droits humains fondamentaux et que l’article 8 protège des valeurs qui sont essentielles pour la dignité humaine, l’autonomie personnelle, la vie privée et la capacité d’entretenir des rapports avec d’autres personnes. Cette disposition ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle imposerait à l’État de garantir le niveau de confort auquel une personne aspire, même au moment crucial de l’accouchement. Ainsi que l’a déclaré Lord Bingham, cité dans l’arrêt Gillan et Quinton c. Royaume-Uni (no 4158/05, CEDH 2010), « [l]a notion de « vie privée » a certes été généreusement interprétée de manière à englober des droits étendus à l’autonomie personnelle. Néanmoins, il ressort clairement de la jurisprudence des organes de la Convention que l’ingérence doit être d’une certaine gravité pour entraîner l’application de la Convention, laquelle, après tout, a pour objet la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales (...) ». Un simple degré supérieur ou inférieur de confort psychologique ne correspond pas selon moi à la « gravité » requise et dépasse largement l’intention originelle des auteurs de la Convention, qui cherchaient à protéger la vie privée des êtres humains contre l’ingérence arbitraire des pouvoirs publics.

Outre ces hésitations, je n’approuve pas la conclusion de la majorité, exprimée au paragraphe 78, selon laquelle « l’impossibilité pour les requérantes de se faire assister par une sage-femme pour accoucher chez elles s’analyse en une ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée » (italique ajouté). Même à supposer que l’article 8 soit applicable, l’on ne peut d’après moi parler que d’obligations positives au titre de cette disposition.

En guise de justification de son approche de l’espèce sous l’angle des obligations négatives, la majorité répète en effet l’argument principal des requérantes, selon lequel il était interdit aux sages-femmes d’assister leur accouchement à domicile sous peine d’une sanction. Or, bien que cette interdiction puisse certainement être perçue comme une ingérence dans la vie professionnelle des sages-femmes, elle n’a aucun rapport avec les obligations négatives de l’État à l’égard des requérantes. En vertu de l’article 8, les autorités sont tenues de ne pas faire obstacle au droit réclamé par les requérantes d’accoucher à domicile et il n’était pas interdit aux requérantes d’accoucher chez elles - elles n’auraient pas été sanctionnées pour l’avoir fait. Elles ont toutefois demandé la fourniture d’une assistance médicale qualifiée. En d’autres termes, elles ont demandé à l’État d’organiser les services nécessaires pour leur permettre d’accoucher à domicile avec un risque minimal, c’est-à-dire dans des conditions similaires à celles prévalant dans les maternités. Elles ne critiquaient donc pas une intervention, mais une absence d’intervention qui les concernait, et l’enjeu de l’espèce concerne clairement les obligations positives.

La Cour défend depuis longtemps invariablement la position selon laquelle la frontière entre les obligations positives et négatives de l’État au titre de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise et, dans un cas comme dans l’autre, il convient de s’intéresser au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents. Or, si les obligations négatives interdisent l’ingérence dans un droit ou un intérêt à moins que cette ingérence ne soit clairement justifiée, une obligation positive est moins exigeante. Dès lors, pour garantir le droit d’une femme d’accoucher dans l’environnement qu’elle préfère, l’État est seulement tenu de faire ce qu’on peut raisonnablement attendre de lui dans la situation donnée, par exemple, énoncer des règles claires et définir les conditions dans lesquelles l’accouchement à domicile doit être soutenu.

J’apprécie l’examen de la proportionnalité classique en trois étapes que la majorité a soigneusement réalisé aux paragraphes 94 à 98 et l’attention qu’elle a dûment accordée à la marge d’appréciation de l’État. Si l’affaire avait été examinée sous l’angle des obligations positives, la marge d’appréciation étendue aurait toutefois immédiatement limité la portée des devoirs de l’État dans cette matière bioéthique sensible, dès lors qu’une plus grande prise en considération du choix des femmes d’accoucher à domicile affaiblirait la protection de la vie des mères et des bébés dans la conjoncture socio-économique spécifique de la République tchèque.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE LEMMENS

1. À mon grand regret, je ne peux affirmer, comme la majorité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention. Je m’efforcerai ci-après d’expliquer les raisons de mon désaccord.

2. Avant tout, j’aurais préféré que les griefs des requérantes soient examinés sous l’angle des obligations positives de l’État, et non de ses obligations négatives.

Le droit tchèque n’interdit pas aux mères d’accoucher à domicile. Les autorités nationales n’estiment apparemment pas qu’une disposition aussi radicale soit opportune. Ainsi que j’essaierai de l’expliquer ci-après, cette absence d’interdiction est révélatrice de la validité des motivations de santé publique invoquées pour justifier le système actuel.

À ce stade, je souhaiterais faire remarquer que non seulement aucune interdiction n’est imposée aux mères, mais les requérantes elles-mêmes ne se plaignent pas non plus d’une telle interdiction. Les requérantes dénoncent le fait que le droit tchèque interdit à un professionnel de la santé d’apporter son aide à un accouchement à domicile et, en conséquence, elles soutiennent que le droit tchèque ne leur permet pas d’accoucher sans risques à domicile. La question consiste donc à déterminer si l’État ne protège pas leur droit au respect de leur vie privée, s’entendant comme incluant le droit des femmes de choisir les conditions de leur accouchement (voir les paragraphes 74 et 75 de l’arrêt).

Ce point de dissension ne revêt toutefois pas une importance déterminante. Ainsi que la Cour l’a déclaré à plusieurs reprises, « [s]i la frontière entre les obligations positives et négatives de l’État au titre de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise, les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu, l’État jouissant en toute hypothèse d’une certaine marge d’appréciation » (voir, pour une confirmation récente, Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 114, CEDH 2014 [extraits]).

3. Un juste équilibre a-t-il été ménagé en l’espèce entre l’intérêt général et les intérêts des requérantes, en tenant compte de la marge d’appréciation dont jouit l’État dans le domaine de la santé publique ?

D’après le Gouvernement, l’intérêt général poursuivi par l’État réside dans la protection de la santé des mères et de leurs enfants. Ainsi que je l’ai noté plus haut, la loi n’interdit toutefois pas aux mères d’accoucher où elles le souhaitent. En théorie, les mères peuvent donc accoucher à leur domicile. Si elles choisissent cette option, elles ne peuvent cependant obtenir l’assistance d’une sage-femme. Je ne comprends pas comment un tel système, considéré dans son ensemble, peut être jugé compatible avec l’objectif affiché de protection de la santé des mères et de leurs enfants. La majorité elle-même reconnaît à ce sujet que le système tchèque a quelque chose d’étrange (voir le paragraphe 96 de l’arrêt).

Sans prétendre que les considérations de santé sont totalement absentes, il me semble manifeste que d’autres paramètres entrent également en ligne de compte. Comme dans d’autres pays, la question de l’accouchement à domicile semble faire l’objet d’une sorte de lutte de pouvoir entre les médecins et les sages-femmes. Le paragraphe 26 de l’arrêt laisse entrevoir comment cette lutte est livrée. Lorsque le sujet de l’accouchement à domicile fut mis sur la table en 2012, le ministère de la Santé a créé un comité d’experts composé de représentants de bénéficiaires de soins, de sages-femmes, d’associations de médecins, du ministère lui-même, du Commissaire aux droits de l’homme et de compagnies d’assurance maladie publiques. Les représentants des associations de médecins boycottèrent toutefois la réunion au motif que le cadre juridique existant ne devait pas être modifié. Par la suite, sans doute à la suite de pressions efficaces, ils parvinrent à obtenir du ministère qu’il congédie les représentants des bénéficiaires de soins, des sages-femmes et du Commissaire aux droits de l’homme, en soutenant que le comité ne pourrait s’accorder sur certaines conclusions qu’avec les membres subsistants. J’ignore si le comité, une fois qu’il a été épuré, a pu émettre la moindre proposition.

Eu égard à ces considérations, je pense que l’argument de santé publique avancé par le Gouvernement ne doit pas être surestimé.

4. En ce qui concerne les intérêts des requérantes, je souscris pleinement à la teneur du paragraphe 95 de l’arrêt. La législation en cause a « de graves conséquences sur la liberté de choix des requérantes, qui furent contraintes, si elles souhaitaient accoucher chez elles, de le faire sans l’aide d’une sage-femme et, dès lors, avec les risques que cela supposait pour elles-mêmes et les nouveau-nés, ou bien d’accoucher à l’hôpital ». Même si les mères préférant accoucher chez elles semblent relativement peu nombreuses, je n’ai aucune raison de douter que, pour elles, il s’agit d’un choix personnel extrêmement important. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes l’a également confirmé dans une certaine mesure dans les observations qu’il a adoptées en 2010 sur la République tchèque. En effet, il s’est saisi de la question et a recommandé à l’État « d’envisager des mesures pour faire en sorte que les accouchements pratiqués en dehors des hôpitaux par des sages-femmes soient une option sans danger et abordable pour les femmes » (voir le point 37 des observations, cité au paragraphe 56 de l’arrêt).

5. À l’évidence, il est un fait qu’un accouchement à domicile, même avec l’assistance d’une sage-femme, ne serait pas totalement exempt de risques. La majorité souligne à juste titre que des complications inattendues peuvent nécessiter une intervention médicale spécialisée et entraîner un délai potentiellement fatal ou dangereux pour la santé avant que la mère puisse accéder aux soins nécessaires dans un hôpital (voir le paragraphe 97 de l’arrêt).

Sans négliger cet aspect de la problématique, je crois toutefois que, dans un esprit de subsidiarité, nous devrions prendre dûment en considération la position exprimée par la Cour constitutionnelle tchèque dans son arrêt du 24 juillet 2013 (voir le paragraphe 36 de l’arrêt) :

« (...) un État démocratique moderne fondé sur l’état de droit est basé sur la protection de libertés individuelles et inaliénables, dont la délimitation touche de près à la dignité humaine. Ces libertés, qui comprennent la liberté dans les activités personnelles, s’accompagnent d’un certain degré de risque acceptable. Le droit des parents de choisir librement le lieu et le mode d’accouchement est limité uniquement par l’intérêt de la sécurité de l’accouchement et de la santé de l’enfant, cet intérêt ne pouvant cependant être assimilé à une préférence univoque pour l’accouchement à l’hôpital. »

6. Eu égard à toutes les considérations qui précèdent, j’estime qu’il n’a pas été démontré que la situation actuelle en République tchèque ménage un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu. Je conclus par conséquent qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

* * *

[1]. J.R. Wax, F.L. Lucas, M. Lamont et al., « Maternal and newborn outcomes in planned home birth vs planned hospital births: a meta-analysis », American Journal of Obstetrics & Gynecology, 2010 ; 203:243.e1-8.

[2]. Carl A. Michal, Patricia A. Janssen, Saraswathi Vedam, Eileen K. Hutton et Ank de Jonge, « Planned Home vs Hospital Birth: A Meta-Analysis Gone Wrong », [http://www.medscape.com/viewarticle/739987](http://www.medscape.com/viewarticle/739987) ; Gill Gyte, Mary Newburn et Alison Macfarlane, « Critique of a meta-analysis by Wax and colleagues which has claimed that there is a three-times greater risk of neonatal death among babies without congenital anomalies planned to be born at home », National Childbirth Trust. http://fr.scribd.com/doc/34065092/Critique-of-a-meta-analysis-by-Wax

[3]. Yvonne W. Cheng, Jonathan Snowden et Aaron Caughey, « Neonatal Outcomes Associated with Intended Place of Birth: Birth Centers and Home Birth Compared to Hospitals », American Journal of Obstetrics & Gynecology, Supplément au n° 42, janvier 2012.

[4]. P.A. Janssen, L. Saxell, L.A. Page, M.C. Klein, R.M. Liston, S.K. Lee, « Outcomes of planned home birth with registered midwife versus planned hospital birth with midwife or physician », Canadian Medical Association Journal, 15 septembre 2009 ; 181(6-7):377-83.

[5]. O. Olsen, M.D. Jewell, « Planned hospital birth versus planned home birth », Cochrane Database of Systematic Revues, 12 septembre 2012 ; 9:CD000352.

[6]. M. Hatem, J. Sandall, D. Devane, H. Soltani, S. Gates, « Midwife-led versus other models of care for childbearing women », Cochrane Database of Systematic Reviews 2008, Numéro 4. Art. n° CD004667. DOI : 10.1002/14651858.CD004667.pub2.

[7]. A. de Jonge, B.Y. van der Goes, A.C. Ravelli, M.P. Amelink-Verburg, B.W. Mol, J.G. Nijhuis, J. Bennebroek Gravenhorst, S.E. Buitendijk, « Perinatal mortality and morbidity in a nationwide cohort of 529,688 low-risk planned home and hospital births », An International Journal of Obstetrics & Gynaecology, août 2009 ; 116(9):1177-84.

[8]. Annemieke C.C. Evers, Hens A. A. Brouwers, Chantal W. P. M. Hukkelhoven, Peter G. J. Nikkels, Janine Boon, Anneke van Egmond-Linden, Jacqueline Hillegersberg, Yvette S. Snuif, Sietske Sterken-Hooisma, Hein W. Bruinse, Anneke Kwee, « Perinatal mortality and severe morbidity in low and high risk term pregnancies in the Netherlands: prospective cohort study », BMJ 2010 ; 341:c5639 doi:10.1136/bmj.c5639.

[9]. U. Ackermann-Liebrich, T. Voegeli, K. Günter-Witt, I. Kunz, M. Züllig, C. Schindler, M. Maurer, « Home versus hospital deliveries: follow up study of matched pairs for procedures and outcome », BMJ, 23 novembre 1996 ; 313(7068):1313-8.

[10]. « Perinatal and maternal outcomes by planned place of birth for healthy women with low-risk pregnancies: the Birthplace in England national prospective cohort study », BMJ, 2011 ; 343:d7400.

[11]. R. Mori, M. Dougherty, M. Whittle, « An estimation of intrapartum-related perinatal mortality rates for booked home births in England and Wales between 1994 and 2003 », BJOG 2008 ; 115:554–559.


Synthèse
Formation : Cour (ancienne cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-148931
Date de la décision : 11/12/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie privée)

Parties
Demandeurs : DUBSKÁ ET KREJZOVÁ
Défendeurs : RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ZAHUMENSKY D. ; HOREJSI R.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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