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11/12/2014 | CEDH | N°001-148630

CEDH | CEDH, AFFAIRE HANZELKOVI c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE, 2014, 001-148630


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE HANZELKOVI c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requête no 43643/10)

ARRÊT

STRASBOURG

11 décembre 2014

DÉFINITIF

11/03/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Hanzelkovi c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
G

anna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Aleš Pejchal, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en ch...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE HANZELKOVI c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requête no 43643/10)

ARRÊT

STRASBOURG

11 décembre 2014

DÉFINITIF

11/03/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Hanzelkovi c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Aleš Pejchal, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 7 octobre et 4 novembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 43643/10) dirigée contre la République tchèque et dont deux ressortissants de cet État, Mme Eva Hanzelková, épouse Nolčová, et Miroslav Hanzelka (« les requérants »), ont saisi la Cour le 23 juillet 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me R. Korbelová Dohnalová, avocate au barreau tchèque, et Me D. Zahumenský, avocat au barreau tchèque et président de la Ligue des droits de l’homme ayant son siège à Brno.

Le gouvernement tchèque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V.A. Schorm.

3. Les requérants allèguent en particulier que la mesure consistant à ordonner le retour du second d’entre eux à l’hôpital, quelques heures après sa naissance, a enfreint leur droit au respect de la vie privée et familiale et qu’ils ne disposaient pas de recours effectif à cet égard.

4. Le 17 décembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont nés respectivement en 1977 et 2007 et résident à Svinaře.

A. Circonstances entourant la naissance du requérant

6. La première requérante est la mère du second requérant. Pendant sa grossesse, elle fut régulièrement suivie par un médecin et fréquenta des cours de préparation à l’accouchement au sein de l’hôpital de Hořovice; dans son projet de naissance, elle exprima entre autres le souhait de quitter la maternité le plus tôt possible, sauf complications.

7. Le 24 octobre 2007, la requérante prit contact avec la pédiatre S. qui accepta de prendre son enfant à naître en charge et de venir les voir à domicile dès leur retour de la maternité ; elle informa néanmoins la requérante qu’elle serait absente le week-end suivant. À cette occasion, la requérante lui indiqua son intention de quitter l’hôpital « plus tôt », sans plus de précisions ; S. déclara par la suite qu’elle n’avait pas compris que la requérante souhaitait partir quelques heures après l’accouchement.

8. Le second requérant est né le vendredi 26 octobre 2007 à l’hôpital de Hořovice. Il s’agissait d’un accouchement physiologique, spontané et dépourvu de complications ; aucun problème de santé ne fut constaté chez les requérants, le score d’Apgar du nouveau-né (prenant en compte la fréquence cardiaque, la respiration, la coloration de la peau, le tonus musculaire et la réaction à l’excitation de la peau) était au maximum, selon l’évaluation de l’équipe médicale. Dans ces circonstances, la requérante décida de quitter l’hôpital le jour même, ce qu’elle fit vers 12 heures, malgré l’opposition de l’équipe médicale.

9. Selon le communiqué de l’hôpital publié le 29 octobre 2007 à la suite de la médiatisation de l’affaire, son personnel avait proposé à la requérante de rester au moins 48 heures et l’avait avertie des risques possibles pour la santé de l’enfant, mais la requérante avait indiqué que l’enfant serait pris en charge par une pédiatre. Après le départ des requérants, les employés de l’hôpital informèrent la police, ce qui était le procédé standard dans les situations où un patient quittait l’hôpital prématurément sans l’accord du médecin et où cette démarche pouvait avoir des répercussions sur son état de santé ; l’autorité sociale ne fut informée qu’après que la pédiatre S. eut contacté l’hôpital (voir ci-dessous). L’hôpital jugea regrettable que la requérante n’eût pas formulé sa demande de quitter l’hôpital quelques heures après l’accouchement lors de sa préparation à l’accouchement. Dans un tel cas, son personnel lui aurait recommandé de se procurer un plan de soins individualisé pour le nouveau-né et un accord écrit du pédiatre (qui aurait ainsi été informé de façon suffisante et en temps utile), après quoi sa décision aurait été acceptée. La requérante aurait par ailleurs admis que les événements litigieux avaient peut-être leur origine dans un malentendu quant aux soins qui allaient être prodigués au nouveau-né.

10. Il ressort des explications fournies par la pédiatre S. que, le 26 octobre 2007 vers 14 heures, elle avait été informée par l’infirmière de son cabinet, qui avait reçu un appel de la requérante, que cette dernière avait accouché le matin même et qu’elle était rentrée chez elle. S’agissant d’une situation inhabituelle, la pédiatre, qui s’apprêtait à partir pour le week-end et qui ne pouvait rendre visite aux requérants avant le lundi après-midi, en avertit le personnel de l’hôpital de Hořovice. D., le médecin de l’hôpital, décida alors de contacter l’autorité sociale, en l’occurrence l’office municipal de Černošice. Entre-temps, S. informa par téléphone la requérante qu’elle ne pourrait la voir avec son enfant que lundi après-midi, ce que la requérante accepta. Peu de temps après, la pédiatre fut contactée par une assistante sociale à qui elle décrivit la situation et transmit le numéro de téléphone de la requérante.

11. Selon la note que l’office municipal de Černošice adressa à l’office municipal de Beroun (ci-après « l’autorité sociale ») le 26 octobre 2007, la requérante avait quitté l’hôpital ce jour-là à 12 heures, sans avoir prévenu les médecins ; elle ne vivait plus depuis trois ans à l’adresse qu’elle avait indiquée à l’hôpital ; le nom du village où elle séjournait et son numéro de téléphone avaient été fournis par la pédiatre contactée par l’autorité de Černošice ; à ce numéro, l’assistante sociale avait pu joindre le père de l’enfant qui, bien qu’informé de la possibilité d’une mesure provisoire au sens de l’article 76a du code de procédure civile, avait déclaré que les requérants ne retourneraient pas à l’hôpital et refusé de fournir l’adresse exacte de la famille.

12. Sur demande de l’autorité sociale, le médecin D. établit une note constatant que « compte tenu du court laps de temps écoulé depuis la naissance, la santé et, le cas échéant, la vie même de l’enfant sont mises en péril si celui-ci est privé de soins hospitaliers ».

13. Toujours le 26 octobre 2007, l’autorité sociale demanda au tribunal de district de Beroun d’adopter une mesure provisoire en application de l’article 76a du code de procédure civile, en vue de confier le second requérant au département de gynécologie-obstétrique de l’hôpital de Hořovice. Cette demande fut accompagnée des notes susmentionnées établies par l’office municipal de Černošice et par le médecin D.

14. Le jour même, le tribunal accéda à cette demande, reprenant les termes de la note établie par le médecin D. ; la décision rappelle que toute mesure provisoire est notifiée aux parties au moment de son exécution qui doit intervenir sans délai.

15. Le 26 octobre 2007 à 16 heures 30, un huissier de justice et une assistante sociale accompagnés de policiers se rendirent au domicile des requérants. Bien qu’ils eurent expliqué au père de l’enfant que la requérante pouvait partir à l’hôpital avec ce dernier, il refusa de les emmener à l’hôpital de son plein gré. Une équipe médicale des urgences fut donc appelée à la rescousse. Ayant examiné le nouveau-né, le médecin présent ne constata chez lui aucun problème de santé mais convint avec les intéressés que, étant donné la mesure provisoire exécutoire, la mère et l’enfant seraient amenés à l’hôpital dans l’ambulance ; celle-ci fut suivie par le père, les policiers, l’assistante sociale ainsi que l’huissier de justice. Une fois à l’hôpital, le requérant fut de nouveau examiné, sans qu’un problème de santé fût constaté.

16. Les requérants furent obligés de rester à l’hôpital pendant deux jours, et allèguent n’avoir subi aucun acte médical pendant ce temps-là. Il ressort par ailleurs du rapport de l’hôpital que la requérante avait refusé le dépistage néonatal et la vaccination du requérant. Sur demande expresse de la requérante qui signa alors le refus informé de la poursuite des soins (negativní revers), les requérants furent autorisés à quitter l’hôpital le 28 octobre 2007, environ 50 heures après l’accouchement.

B. Procédures ultérieures

1. Procédure en contestation de la mesure provisoire

17. Le 29 octobre 2007, l’autorité sociale demanda au tribunal de district de Beroun de rapporter la mesure provisoire du 26 octobre 2007 car, les requérants étant sortis de l’hôpital, les motifs pour son adoption avaient cessé d’exister.

18. Le jour même, le tribunal de district accéda à cette demande et rapporta la mesure, relevant que, selon une note établie par l’hôpital, le requérant avait quitté l’hôpital la veille car il n’était plus nécessaire, du point de vue médical, de poursuivre son hospitalisation.

19. La requérante fit néanmoins appel de la mesure du 26 octobre 2007, qui avait selon elle enfreint, en son chef et en celui de son fils, leurs droits à la liberté et au respect de la vie privée et familiale, ce pourquoi elle avait l’intention de demander, en vertu de la loi no 82/1998, des dommages-intérêts au titre du préjudice moral. Elle soutint que les conditions légales pour procéder en application de l’article 76a du code de procédure civile n’avaient pas été réunies car il n’avait pas été démontré que le requérant avait été dépourvu de soins au moment de l’adoption de la mesure ou que son bon développement s’était trouvé compromis. La requérante reprocha au tribunal de ne pas avoir soumis l’ingérence en cause au test de légalité, de légitimité et de proportionnalité, en ce qu’il n’avait pas cherché à attester les faits sous-tendant la demande de l’autorité sociale et n’avait pas explicité dans sa décision le risque concret encouru par l’enfant. Elle souligna enfin qu’aucune loi ne prévoyait l’obligation pour le nouveau-né de rester dans un établissement hospitalier pendant un certain temps après la naissance ni l’obligation pour les parents d’accepter une telle hospitalisation.

20. Le 30 avril 2008, le tribunal régional de Prague rejeta l’appel de la requérante, considérant que celui-ci était sans objet puisque la mesure contestée avait été rapportée le 29 octobre 2007. Dans ces circonstances, un éventuel examen au fond de cette mesure et l’issue de la procédure d’appel n’auraient plus aucune répercussion sur la procédure ; le fait que les parents avaient l’intention de réclamer des dommages-intérêts ne pouvait rien y changer.

21. Les requérants introduisirent un recours constitutionnel, dirigé contre les décisions du 26 octobre 2007 et du 30 avril 2008 ainsi que contre la demande de l’autorité sociale ayant été à l’origine de la mesure contestée. Ils demandaient à la Cour constitutionnelle soit d’annuler ces décisions comme étant contraires à l’ordre constitutionnel tchèque, soit de constater que l’adoption de la mesure du 26 octobre 2007 avaient enfreint leurs droits fondamentaux garantis par les articles 5, 6, 8 et 13 de la Convention, soit de constater que leurs droits avaient été violés du fait même de la demande de l’autorité sociale.

22. Par la décision du 17 décembre 2009, notifiée à l’avocat des requérants le 25 janvier 2010, la Cour constitutionnelle rejeta le recours des requérants en partie comme irrecevable et en partie comme manifestement mal fondé. Rappelant tout d’abord que le recours constitutionnel ne pouvait être dirigé que contre une ingérence d’une autorité publique dans les droits fondamentaux des individus, elle constata que, en elle-même, la demande tendant à l’adoption de la mesure provisoire n’avait aucunement affecté les droits et libertés des requérants. De même, le recours était irrecevable dans sa partie visant l’annulation de la mesure du 26 octobre 2007 car il n’était pas possible d’annuler une décision qui n’existait plus. La Cour constitutionnelle conclut que dans sa partie visant la décision du 30 avril 2008, le recours était manifestement mal fondé car le tribunal régional n’avait pas pu procéder autrement. De l’avis de la Cour constitutionnelle, en dénonçant une violation de leurs droits, les requérants voulaient obtenir l’annulation de la mesure provisoire pour s’ouvrir formellement la voie vers une demande en dommages-intérêts en vertu de la loi no 82/1998 ; or, le rôle de la cour n’était pas d’annuler les décisions contestées seulement pour aider les requérants dans cette démarche. En l’espèce, les autorités avaient accompli les tâches qui leur incombaient, dans une situation où leur ingérence était justifiée par les faits établis. En effet, la mère avait quitté l’hôpital avec l’enfant juste après l’accouchement, dans une situation où des complications post-accouchement ne pouvaient jamais être exclues, et n’avait pas communiqué l’adresse où elle pouvait être jointe.

2. Procédure en dommages-intérêts selon la loi no 82/1998

23. Par une demande rédigée le 25 avril 2008 et notifiée au ministère de la Justice le 30 avril 2008, la requérante somma le ministère, en vertu de la loi no 82/1998, de lui présenter des excuses et de lui allouer une indemnisation de 40 000 CZK (1 500 EUR environ) au titre du dommage moral subi du fait du placement de son fils à l’hôpital.

24. Le 29 septembre 2008, le ministère informa l’intéressée que sa demande était prématurée et qu’il était nécessaire d’attendre l’issue de son recours constitutionnel relatif à la mesure provisoire litigieuse. En effet, il n’était possible de demander des dommages-intérêts au titre d’une décision irrégulière que si la décision avait été annulée ou modifiée en raison de son irrégularité et si le justiciable avait exercé tous les recours que la loi lui offrait pour la défense de ses droits.

25. Le 26 octobre 2010, la requérante intenta une procédure contre l’Etat représenté par le ministère de la Justice, demandant à ce qu’il lui présente ses excuses et verse 40 000 CZK de dommages-intérêts au titre de la violation de ses droits de la personnalité et des droits à la liberté et au respect de la vie privée et familiale, causée par le placement irrégulier de son fils à l’hôpital.

26. Par jugement du 30 juin 2011, le tribunal d’arrondissement de Prague 2 rejeta cette demande pour prescription. Relevant que selon l’article 32 § 3 de la loi no 82/1998, le droit à l’indemnisation du préjudice moral devait être exercé dans un délai de six mois à compter du jour où le demandeur avait appris l’existence du préjudice, il estima que ce délai commençait en l’espèce à courir le jour où la mesure provisoire litigieuse avait cessé de produire ses effets, à savoir le 29 octobre 2007. Dès lors, le délai était déjà écoulé lorsque la requérante avait fait valoir son droit auprès du ministère de la Justice, le 30 avril 2008. De plus, deux autres années s’étaient écoulées entre la réponse négative du ministère et l’ouverture de la procédure judiciaire. Le tribunal ajouta que, même si son raisonnement relatif à la prescription était jugé erroné, l’issue de l’affaire n’en serait pas différente car la mesure provisoire n’avait pas été annulée pour son irrégularité, comme l’exigeait l’article 8 § 2 de la loi no 82/1998 qui reflétait le droit de l’État de définir les limites de sa responsabilité pour le dommage causé lors de l’exercice de la puissance publique.

27. Le 14 décembre 2011, ce jugement fut confirmé par le tribunal municipal de Prague.

28. Le 9 mars 2012, la requérante contesta ces décisions par un recours constitutionnel, dénonçant les motifs du rejet de sa demande en dommages-intérêts en invoquant les droits garantis par les articles 8 et 13 de la Convention. Elle demanda également l’annulation de l’article 32 § 3 de la loi no 82/1998, alléguant que le délai de prescription de six mois était excessivement court et enfreignait le principe de l’égalité puisque le code civil ainsi que l’article 32 § 1 de la loi no 82/1998 prévoyaient dans d’autres circonstances un délai de trois ans. La requérante invita également la Cour constitutionnelle à abroger l’article 8 § 2 de la loi no 82/1998 dans sa partie conditionnant l’octroi de dommages-intérêts par l’annulation de la décision irrégulière « à la suite d’un recours ordinaire », de manière à permettre aux justiciables de se voir accorder des dommages-intérêts même lorsqu’il n’est pas possible d’obtenir l’annulation de la décision car celle-ci est devenue sans objet.

29. Le 17 juillet 2013, la Cour constitutionnelle rejeta le recours pour défaut manifeste de fondement. Elle rappela avoir déjà examiné le caractère du délai prévu par l’article 32 § 3 de la loi no 82/1998 et constata qu’un délai ne saurait être en soi contraire à la Constitution, ne pouvant l’apparaître qu’au vu des circonstances concrètes. Même la Cour européenne des droits de l’homme reconnaissait le droit du législateur national de fixer la durée d’un délai de prescription. La Cour constata que l’article 32 § 3 de la loi no 82/1998 était conforme à la Constitution, n’emportait pas une inégalité entre les demandeurs, ne privilégiait pas l’État et ne constituait pas une réglementation arbitraire. En effet, compte tenu du caractère spécifique du droit en jeu, la réglementation de la question de prescription pouvait être différente, sachant que le délai de prescription prévu offrait suffisamment de temps pour faire valoir ce droit. Dès lors, la Cour ne considéra pas utile d’examiner les autres arguments et griefs de la requérante.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Code de procédure civile (loi no 99/1963, version en vigueur au moment des faits)

30. L’article 76a § 1 dispose que si un enfant mineur se retrouve dépourvu de soins, ou bien si sa vie ou son développement favorable sont gravement menacés ou atteints, le président de la chambre du tribunal civil ordonne par une mesure provisoire que l’enfant soit confié aux soins de la personne désignée par la mesure. Le paragraphe 2 précise que la décision n’est notifiée aux parties qu’au moment de l’exécution. Selon le paragraphe 4, la mesure provisoire rendue en vertu du paragraphe 1 est valable pendant un mois depuis le moment où elle est devenue exécutoire ; si une procédure sur le fond est intentée avant l’écoulement dudit délai, le tribunal peut de manière répétée prolonger la validité de la mesure d’un mois, sans que la durée globale de sa validité ne puisse dépasser six mois. L’article 76a § 5 dispose enfin que les parents du mineur, l’autorité de la protection sociale de l’enfant et le tuteur de l’enfant peuvent à tout moment demander au tribunal d’annuler la mesure provisoire. Une telle demande doit être tranchée au plus tard dans un délai de sept jours.

B. Loi no 359/1999 sur la protection sociale de l’enfant

31. L’article 16 dispose que si la vie ou le développement favorable d’un enfant sont gravement menacés ou atteints, l’autorité municipale compétente est obligée de demander sans délai à un tribunal d’adopter la mesure provisoire selon l’article 76a du code de procédure civile.

C. Loi no 20/1966 sur les soins de santé (abrogée au 1er avril 2012)

32. En vertu de l’article 23 § 2, lorsqu’un patient refusait, malgré les explications appropriées, les soins nécessaires, le médecin soignant devait lui demander une déclaration écrite en ce sens (revers).

Lorsqu’un examen ou une intervention médicale urgents étaient indispensables pour sauver la vie ou la santé de l’enfant et que les parents n’y consentaient pas, le médecin pouvait décider de l’effectuer, sauf si l’enfant était suffisamment mûr pour juger du caractère indispensable d’un tel acte.

D. Loi no 82/1998 sur la responsabilité de l’État pour le préjudice causé lors de l’exercice de la puissance publique par une irrégularité dans la décision ou la conduite de la procédure

33. En vertu de l’article 8 § 1, l’intéressé ne peut demander d’indemnisation pour le préjudice causé par une décision irrégulière que si cette décision passée en force de chose jugée a été annulée ou réformée par l’autorité compétente.

34. Le paragraphe 2 de l’article 8 précise que si le préjudice a été causé par une décision irrégulière exécutoire avant de passer en force de chose jugée, l’indemnisation pouvait être demandée même lorsque la décision avait été annulée ou réformée à la suite d’un recours ordinaire.

35. En vertu de l’article 32 §§ 1 et 2, le droit à la réparation du dommage matériel selon cette loi est prescrit à l’écoulement de trois ans à compter du jour où la personne lésée a pris connaissance du dommage et de celui qui en est responsable. Si le droit aux dommages-intérêts est conditionné par l’annulation de la décision, le délai de prescription court à compter de la notification de cette décision d’annulation. Le droit est prescrit au plus tard à l’expiration d’un délai de dix ans à compter de cette notification, sauf lorsqu’il s’agit d’un préjudice à la santé.

36. Aux termes de l’article 32 § 3, le droit à la réparation du préjudice moral selon cette loi est prescrit à l’écoulement de six mois à compter du jour où la personne lésée a pris connaissance du préjudice moral causé, et au plus tard à l’expiration d’un délai de dix ans à compter du jour où est survenu le fait générateur du préjudice moral.

E. Bulletins du ministère de la Santé

37. Le bulletin no 7/2005 publié en juillet 2005 énonce un conseil méthodique adressé par le ministère aux médecins en vue de minimiser leurs doutes et d’harmoniser leur approche. Selon ses termes, le nouveau-né pouvait habituellement sortir de l’hôpital entre autres si plus de 72 heures s’était écoulées depuis l’accouchement.

38. Selon un avis d’experts ministériels cité par le Gouvernement, le laps de 72 heures permet aux enfants de s’adapter et aux médecins de dûment vérifier leurs fonctions vitales et de détecter d’éventuelles anomalies génétiques. En général, les nouveau-nés quittent l’hôpital lorsque leur courbe de croissance commence à remonter. En cas d’un séjour inférieur à 72 heures une partie des enfants ne se verront pas détecter à temps une déshydratation importante accompagnée d’hypernatrémie et d’un risque d’hémorragie cérébrale, d’autres troubles seront difficilement diagnostiqués, le développement de l’hyperbilirubinémie néonatale et la cicatrisation du cordon ombilical sectionné ne seront pas sous contrôle. Dans les premières 48 heures après l’accouchement le risque d’une mort subite est plus élevé. En outre, le raccourcissement du séjour à l’hôpital mènera probablement à la baisse du nombre d’enfants allaités.

39. Un nouveau conseil méthodique a été publié en décembre 2013 dans le bulletin no 8/2013. Alors qu’il est toujours recommandé de garder le nouveau-né à l’hôpital au moins 72 heures après l’accouchement, le document énonce que le nouveau-né peut quitter l’hôpital avant l’écoulement des 72 heures si son représentant légal l’exige, à condition que ce dernier (a) retire par écrit son consentement aux soins dispensés au nouveau-né, ou déclare par écrit son désaccord avec la poursuite de ces soins, (b) ait été dûment informé des conséquences possibles de la sortie du nouveau-né avant l’écoulement des 72 heures, (c) ait été informé que les experts recommandent, dans l’intérêt d’un bon développement du nouveau-né, de le faire examiner par un spécialiste dans les 24 heures après sa sortie de l’hôpital et d’effectuer une prise de sang en vue du dépistage de certains troubles. Lorsque le service médical conçoit à la sortie du nouveau-né des soupçons sur l’existence d’un fait qui doit être porté à la connaissance de l’autorité de la protection sociale de l’enfant, il s’acquitte de son devoir d’information. Ne saurait être considéré comme tel le seul fait que le nouveau-né a quitté l’hôpital avant l’écoulement des 72 heures depuis son accouchement ou que son représentant légal n’a pas indiqué au service médical comment le nouveau-né serait pris en charge par la suite.

F. Jugement (non définitif) du tribunal régional de Brno no 24 C 3/2011

40. Dans cette affaire, la demanderesse a introduit une action civile en protection des droits de la personnalité contre le médecin urgentiste. Ce dernier, après avoir été appelé au domicile de la demanderesse pour vérifier l’état de santé de l’enfant dont elle venait d’accoucher et sans avoir constaté chez celui-ci un quelconque problème de santé, l’avait à l’aide de la police obligée de se rendre avec son bébé immédiatement à l’hôpital pour un contrôle pédiatrique, alors qu’elle se disait prête à s’y rendre un peu plus tard. Vraisemblablement en conséquence de ce transport, l’enfant s’est retrouvé dans un état d’hypothermie.

41. Par le jugement rendu en première instance le 16 novembre 2012, le tribunal régional de Brno a accédé à la demande et enjoint au service concerné des urgences médicales de présenter les excuses à la demanderesse et de lui verser des dommages-intérêts. Il constata entre autres que :

- l’exigence d’un contrôle immédiat à l’hôpital a été formulée sans lien avec l’état de santé actuel de l’enfant alors que le médecin urgentiste était compétent pour établir s’il existait un risque imminent pour la vie ou la santé du nouveau-né ;

- il s’agissait d’un problème juridique entre le médecin et la mère au vu de l’article 23 § 3 de la loi no 20/1966 en vigueur à l’époque, qui prévoyait une exception à la règle selon laquelle c’est en principe la mère qui décide au nom du nouveau-né de refuser un acte médical ou une hospitalisation, pour les cas où le refus de soins par un parent reviendrait à exposer le nouveau-né à un péril imminent, c’est-à-dire pour les cas où un acte médical urgent était indispensable pour sauver la vie ou la santé de l’enfant ;

- or, en l’espèce, le médecin n’avait constaté chez l’enfant aucun signe de trouble concret qui mettrait en péril sa vie ou sa santé, se référant seulement à une simple possibilité hypothétique que son état se dégrade, ce qui ne saurait suffire pour justifier une limitation de la liberté et du droit des parents de décider en vertu de l’article 23 § 3 de la loi no 20/1966 ;

- au lieu de recourir à une ingérence illégale et disproportionnée dans les droits à la liberté personnelle et au respect de la vie privée et familiale de la demanderesse et de son enfant, le médecin aurait dû faire signer à la première d’entre eux un refus informé de la poursuite des soins ;

- le préjudice moral directement causé par cette ingérence était d’autant plus important dans le chef de la demanderesse que les moments liés à l’accouchement d’un enfant (et les souvenirs s’y rapportant) constituent les éléments essentiels de la vie familiale et leur importance exceptionnelle pour la vie familiale est incontestable.

III. LES TEXTES PERTINENTS DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES

Concluding Observations of the Committee on the Elimination of Discrimination against Women on the Czech Republic (22 October 2010)

“36. While acknowledging the need to ensure maximum safety for mothers and newborns during childbirth, as well as the State party’s low perinatal mortality rate, the Committee takes note of reports of interference with women’s reproductive health choices in hospitals, including the routine application of medical interventions, reportedly often without the woman’s free, prior and informed consent or any medical indication, a rapid increase in the caesarean section rate, separation of newborns from their mothers for up to several hours without health-related reasons, refusal to release the mother and child from hospital before 72 hours after childbirth, and patronizing attitudes of doctors which impede the exercise by mothers of their freedom of choice. It also notes reports about women’s limited options for delivering their babies outside hospitals.

37. The Committee recommends that the State party consider accelerating the adoption of a law on patients’ rights, including women’s reproductive rights; adopt a protocol of normal birth care ensuring respect for patients’ rights and avoiding unnecessary medical interventions; ensure that all interventions are performed only with the woman’s free, prior and informed consent; monitor the quality of care in maternity hospitals; provide mandatory training for all health professionals on patients’ rights and related ethical standards; continue raising patients’ awareness of their rights, including by disseminating information; and consider taking steps to make midwife-assisted childbirth outside hospitals a safe and affordable option for women.”

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

42. Les requérants dénoncent une violation du droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention, alléguant que la mesure consistant à ordonner le retour du second d’entre eux à l’hôpital quelques heures après sa naissance n’était ni légale ni nécessaire. Ils se plaignent également que cette mesure provisoire, qui a eu en l’espèce les effets d’une décision sur le fond, a été rendue au mépris des principes de l’équité consacrés par l’article 6 § 1 de la Convention. En particulier, le tribunal n’a pas examiné si les conditions légales pour l’adoption d’une telle mesure étaient réunies et la requérante ou son compagnon n’ont été aucunement associés au processus décisionnel.

43. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime approprié d’examiner ces griefs uniquement sous l’angle de l’article 8, lequel exige que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte comme il se doit les intérêts protégés par cette disposition (Wallová et Walla c. République tchèque, no 23848/04, § 47, 26 octobre 2006). L’article 8 dispose comme suit dans ses parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

44. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes au motif que la requérante n’a pas intenté contre l’hôpital ou son directeur une procédure civile en protection de ses droits de la personnalité. Il rappelle que la Cour a considéré ce moyen comme effectif pour dénoncer les agissements d’un médecin autres que les interventions médicales (voir Bureš c. République tchèque (déc.), no 5081/11, 9 octobre 2012). Même si l’ingérence litigieuse se fondait en l’espèce sur la mesure provisoire adoptée par un tribunal, ce dernier ainsi que l’autorité sociale ne disposaient, au vu de l’avis du médecin D. qui constituait une allégation crédible prima facie, d’aucune marge de manœuvre et n’étaient pas en mesure d’examiner ou de peser les intérêts concurrents. Dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, l’ingérence dénoncée avait donc son origine dans la conduite du médecin qui avait averti les autorités publiques des risques encourus par le second requérant, et elle aurait pu être contestée par une action en protection des droits de la personnalité.

45. Le Gouvernement observe en outre que la demande en dommages-intérêts formée par la requérante en vertu de la loi no 82/1998 a été rejetée pour prescription et que le recours constitutionnel contestant cette issue était pendant au moment de la rédaction de ses observations. Les requérants n’ont par ailleurs pas expliqué pourquoi ils avaient introduit leur demande tardivement.

46. Enfin, la requérante aurait pu demander l’annulation de la mesure provisoire pendant qu’elle se trouvait à l’hôpital en exécution de celle-ci.

47. Pour leur part, les requérants maintiennent d’abord que le recours constitutionnel qu’ils ont introduit à l’issue de la procédure prévue par la loi no 82/1998 ne peut pas être considéré comme effectif, ce qu’a confirmé la décision de la Cour constitutionnelle du 17 juillet 2013. Dans ce recours ils dénonçaient la brièveté du délai de prescription prévu à l’article 32 § 3 de la loi no 82/1998, qui est excessivement court par rapport au délai de trois ans prévu à l’article 32 § 1 de cette loi ou dans le code civil. Selon eux, le problème principal réside dans le fait que la mesure provisoire litigieuse, présumée correcte et rapidement rapportée, n’a pu être annulée ni pour irrégularité ni à la suite d’un recours ordinaire, et qu’ils ont par conséquent été empêchés de réclamer des dommages-intérêts en vertu de l’article 8 de la loi no 82/1998.

48. Les requérants considèrent ensuite qu’une action en protection de leurs droits de la personnalité dirigée contre l’hôpital ne serait pas à même de redresser la situation dans sa globalité, étant donné que l’ingérence en question a directement découlé de l’adoption et de l’exécution de la mesure provisoire, et non d’une action de l’hôpital ou du médecin (comme ce fut le cas dans l’affaire no 24 C 3/2011 jugée par les tribunaux internes).

49. Ils estiment enfin que, eu égard aux délais courants et au fait que la mesure litigieuse a été adoptée un vendredi après-midi, il était clair que leur éventuelle demande en annulation de cette mesure ne serait pas traitée avant leur sortie d’hôpital.

2. Appréciation de la Cour

50. La Cour note tout d’abord qu’il existe une controverse entre les parties quant à la question de savoir si une action en protection des droits de la personnalité peut être en l’espèce considérée comme un recours effectif. Tel serait le cas si l’ingérence dénoncée avait son origine dans la note du médecin de l’hôpital de Hořovice, lequel aurait pu être assigné en justice en conséquence. La Cour relève toutefois que les requérants ont été ramenés à l’hôpital en exécution de la mesure provisoire adoptée par le tribunal de district de Beroun, à qui il incombait de vérifier que la note du médecin attestait des faits pertinents au vu de l’article 76a du code de procédure civile et que les conditions de cette loi étaient remplies. L’ingérence en question se fondait donc sur la décision judiciaire du 26 octobre 2007, qui engage la responsabilité de l’État. Celle-ci serait en jeu même s’il devait être considéré que la responsabilité pour un éventuel préjudice incombait à celui qui a demandé l’adoption de la mesure provisoire, en l’occurrence l’autorité sociale de Beroun. La Cour estime dès lors que, dans les circonstances de l’espèce, on ne saurait reprocher aux requérants de ne pas avoir intenté une procédure en protection des droits de la personnalité et de s’être plutôt prévalus de la loi no 82/1998.

51. La Cour souscrit également à l’avis des requérants selon lequel il n’y avait pas de chance que leur éventuelle demande en annulation de la mesure provisoire soit examinée avant leur sortie d’hôpital.

52. Elle observe ensuite que la requérante a demandé au ministère de la Justice de lui présenter ses excuses et de lui allouer une indemnisation du préjudice moral en application de la loi no 82/1998. Le 29 septembre 2008, cette demande a été rejetée comme prématurée puisque la Cour constitutionnelle devait encore statuer sur la régularité de la mesure provisoire. Il ne ressort pas de la réponse du ministère que celui-ci jugerait la demande prescrite, comme l’a estimé le tribunal d’arrondissement de Prague 2 dans son jugement du 30 juin 2011. Dix mois après le rejet de son premier recours constitutionnel et trois ans après les événements litigieux, la requérante a saisi le tribunal ; elle soutient aujourd’hui devant la Cour que le délai de prescription de six mois prévu par l’article 32 § 3 de la loi no 82/1998 était excessivement court et qu’elle a donc procédé dans le délai général de trois ans fixé par le code civil. Or, sa demande a été jugée prescrite ab initio par les tribunaux.

53. Compte tenu de la position du ministère de la Justice, la Cour estime qu’on ne saurait reprocher à la requérante de ne pas avoir poursuivi la procédure devant les tribunaux avant la décision de la Cour constitutionnelle du 17 décembre 2009. Il est vrai que la requérante a ensuite attendu jusqu’en octobre 2010 pour saisir le tribunal d’arrondissement de Prague 2. Or, il s’est avéré par la suite qu’une saisine plus rapide n’aurait pas changé l’issue de l’affaire puisque selon les tribunaux le délai de prescription avait expiré avant que la requérante ne se soit adressée au ministère. En tout état de cause, les tribunaux ont noté que, indépendamment de la question de la prescription, la demande n’aurait pas pu être accueillie puisque la mesure provisoire n’avait pas été annulée pour son irrégularité, comme l’exigeait l’article 8 de la loi no 82/1998. Sur ce point, il convient de noter que le Gouvernement ne conteste pas que les conditions de cette disposition ne se trouvaient pas remplies en l’espèce, sans que cela eût été imputable aux requérants. Dans les circonstances particulières de la cause, la Cour estime donc que, même si elle avait été introduite en temps dû, la demande en dommages-intérêts fondée sur la loi no 82/1998 n’aurait eu aucune chance de succès, de sorte qu’elle ne peut pas être en l’espèce considérée comme un recours effectif.

54. Il s’ensuit que l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes doit être rejetée.

55. La Cour constate en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérants

56. Selon les requérants, leur affaire illustre le problème général de la pratique obstétricale en République tchèque, caractérisée par une préférence accordée aux soins hospitaliers et par une attitude autoritaire des médecins. Ils notent que, alors qu’aucune loi ne prévoit l’obligation pour les nouveau-nés ou leurs parents de rester à l’hôpital pendant un certain temps après l’accouchement, le conseil méthodique émis par le ministère de la Santé en 2005 – qu’ils jugent obsolète et non fondé car il n’est pas démontré que les risques encourus par les nouveau-nés diminuent lorsque ceux-ci sont placés à l’hôpital - indiquait à l’époque que la sortie pouvait habituellement se faire 72 heures après l’accouchement. Le problème réside selon eux dans le fait que, à l’instar du médecin D. en l’espèce, les médecins considèrent le fait de rester à l’hôpital pendant 72 heures après l’accouchement comme une obligation, et non comme une recommandation.

57. Les requérants affirment par conséquent que l’objectif principal de la mesure litigieuse était de leur faire imposer la règle des 72 heures ; les autorités ont ainsi détourné l’article 76a du code de procédure civile de son vrai but afin de régler un conflit d’opinions entre les parents et les médecins, ce qui ne saurait être considéré comme étant conforme à la loi. Dès lors, le retour du requérant à l’hôpital a été ordonné sans que cela fût nécessaire et sans que les conditions de l’article 76a fussent réunies puisque le requérant était en bonne santé et ne se trouvait pas en danger ; la note du médecin D. apparaît trop vague à cet égard et ne saurait être qualifiée de crédible prima facie. Ils soutiennent que s’il y avait eu en l’espèce un danger imminent, le médecin aurait pu agir sans avoir l’autorisation du tribunal. Tel n’ayant pas été le cas, il aurait fallu selon les requérants que le juge pose un regard critique sur l’allégation du médecin afin de prévenir les ingérences injustifiées et inutiles dans leurs droits. Or, la mesure du 26 octobre 2007 ne s’appuie que sur une hypothèse générale sans que le juge ait examiné si la vie ou la santé du second requérant était réellement en péril. De plus, la requérante et son compagnon n’ont été aucunement associés au processus décisionnel.

58. Les requérants observent ensuite que l’unique situation dans laquelle les médecins pouvaient à l’époque agir contre la volonté des parents était, en vertu de l’article 23 § 3 de la loi no 20/1966, celle où un examen ou des actes médicaux urgents étaient indispensables pour sauver la vie ou la santé de l’enfant ; or, tel n’a pas été le cas en l’espèce car le second requérant ne présentait, ni à ce moment-là ni plus tard, aucun problème de santé. Ils soulignent également, se référant à l’article 23 § 2 de la loi no 20/1966, que si une personne ne signe pas le refus des soins, elle ne peut pas pour autant être hospitalisée de force. Devant les tribunaux nationaux, la requérante soutenait par ailleurs qu’elle voulait signer le refus des soins mais que l’hôpital n’a pas voulu le lui faire signer le jour de l’accouchement. Il a d’ailleurs admis dans son communiqué que, lorsqu’elle intervient quelques heures après l’accouchement, la signature d’un refus de soins est problématique car les capacités de la mère peuvent être altérées à ce moment-là.

59. Se référant à l’affaire Glass c. Royaume-Uni (no 61827/00, CEDH 2004‑II), les requérants soutiennent également que leur situation relève indubitablement de l’article 8, étant donné que le requérant a été hospitalisé contre le gré de ses représentants légaux et que, en conséquence, la requérante a dû également retourner à l’hôpital, et ce à un moment très délicat de leur vie. S’ils n’ont donc pas été séparés physiquement, c’est parce que la requérante a décidé de suivre le requérant, et non en raison d’une action positive de l’Etat. Puis, en elle-même, l’hospitalisation peut être considérée comme une intervention médicale même s’ils n’ont subi aucun acte médical car ils ont été tout de même soumis à la surveillance du personnel médical. De plus, le droit au respect de la vie privée recouvre également le droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent et inclut le droit de choisir les circonstances dans lesquelles on le devient (Ternovszky c. Hongrie, no 67545/09, § 22, 14 décembre 2010), y compris l’endroit pour accoucher et les soins dispensés au nouveau-né. Ce dernier a également le droit de bénéficier de la présence et des soins de son père et de sa famille plus large.

60. Les requérants contestent enfin la proportionnalité de cette mesure, reprochant aux autorités de ne pas avoir envisagé de mesures alternatives moins intrusives et de ne pas avoir pris en compte les soins accessibles hors de l’hôpital. Ils qualifient d’absurde l’argument selon lequel ils ont été traités avec égards et estiment que l’intérêt du second d’entre eux a été suffisamment protégé même s’ils ont quitté l’hôpital rapidement. En effet, en l’absence de problème détecté chez lui après sa naissance, le requérant ne nécessitait pas de soins médicaux avant la visite de la pédiatre S. le lundi 29 octobre 2007. En cas de problème urgent, un médecin urgentiste aurait été disponible. Enfin, la requérante a suivi la pratique courante lorsqu’elle a indiqué deux adresses, celle de sa résidence permanente et celle de sa résidence actuelle. En tout état de cause, l’huissier de justice et la police ont su où la trouver.

b) Le Gouvernement

61. Le Gouvernement relève que l’ordre juridique tchèque ne prévoit pas une obligation pour les femmes ayant accouché et leurs nouveau-nés de rester à l’hôpital pendant 72 heures après l’accouchement ; il s’agit seulement d’une recommandation formulée, sur la base des avis d’experts, dans un conseil méthodique du ministère de la Santé en vue de la protection de la santé et de la vie des citoyens. Il s’ensuit que les femmes ayant accouché ont toujours la possibilité de signer une déclaration de refus des soins. Comme de nombreux hôpitaux en République tchèque, l’hôpital de Hořovice permet aux femmes ayant accouché de partir plus tôt si elles le souhaitent, à condition qu’elles aient signé la déclaration de refus des soins et qu’elles aient été informées des risques encourus ; habituellement, le personnel médical s’enquiert aussi de la prise en charge de l’enfant après sa sortie d’hôpital. Le Gouvernement observe dans ce contexte, statistiques à l’appui, que la République tchèque atteint un taux minimum de mortalité périnatale.

62. En examinant l’affaire du point de vue des obligations négatives, le Gouvernement estime d’abord que la situation dénoncée ne relève pas de l’article 8, de sorte que la requête est incompatible ratione materiae. En effet, les requérants n’ont jamais été physiquement séparés, ils ont été traités avec égards, ils n’ont subi aucune intervention médicale après leur retour à l’hôpital et rien n’empêchait leurs proches de leur rendre visite.

63. Le Gouvernement soutient ensuite que la note du médecin D. indiquait clairement que l’enfant était en danger, que les faits pouvaient sembler plausibles et que le juge n’avait aucune raison d’en douter. L’autorité sociale a dès lors agi conformément à l’article 16 de la loi no 359/1999 et toutes les conditions pour l’adoption de la mesure provisoire selon l’article 76a § 1 du code de procédure civile étaient remplies. Ainsi, l’ingérence poursuivait le but légitime de la protection de la santé et des droits du requérants. Quant à l’exigence de proportionnalité, il faut selon le Gouvernement prendre en compte qu’il s’agissait en l’espèce d’une mesure urgente (voir K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 165, CEDH 2001‑VII), ce qui donnait à l’État une large marge d’appréciation (voir Haase c. Allemagne, no 11057/02, § 90, CEDH 2004‑III (extraits)) ; que le requérant n’a pas été séparé de la requérante (voir, a contrario, Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, CEDH 2002‑I) et qu’il n’était même pas en mesure de savoir s’il se trouvait au domicile des parents ou à l’hôpital ; et que l’intérêt général appelle tout particulièrement une protection de la santé des enfants qui ne disposent que de moyens limités pour préserver leurs droits (no 22398/93, déc. 5.4.95, D.R. 81, p. 61). De plus, s’il existait en l’espèce des solutions alternatives, telles la signature d’une déclaration de refus des soins, les possibilités de trouver en dehors de l’hôpital un pédiatre capable d’assurer la prise en charge immédiate de l’enfant ou de consulter l’hôpital au préalable, la requérante s’en est elle-même privée par son inactivité. Enfin, la mesure en question était de caractère temporaire, en ce que les requérants ont quitté l’hôpital deux jours après son adoption et qu’elle a été rapportée le lendemain de leur sortie d’hôpital.

64. Quant à l’équité du processus décisionnel ayant débouché sur la mesure litigieuse, le Gouvernement rappelle que, en raison de leur nature, les questions de prise en charge d’urgence sont tranchées de manière très provisoire et après une évaluation des risques encourus par l’enfant, fondée sur les informations forcément incomplètes (voir P., C. et S. c. Royaume-Uni, no 56547/00, § 128, CEDH 2002‑VI). De plus, on ne saurait négliger les problèmes auxquels sont confrontées les autorités nationales dans ces situations (voir Haase, précité, § 101) ; leurs décisions doivent par ailleurs être réexaminées uniquement à la lumière de la situation telle qu’elle se présentait à elles au moment de la prise de ces décisions (voir B.B. et F.B. c. Allemagne, nos 18734/09 et 9424/11, § 48, 14 mars 2013). La Cour a également admis que lorsqu’une décision de prise en charge d’urgence s’impose, il n’est pas toujours possible, à cause du caractère urgent de la situation, d’associer les personnes investies de la garde de l’enfant au processus décisionnel ; elle doit toutefois se convaincre que les autorités internes étaient fondées à considérer qu’il existait des circonstances justifiant de soustraire les enfants aux soins des parents sans que les autorités eussent pris contact avec ces derniers ou les aient consultés au préalable (voir K. et T., précité, § 166).

65. En l’espèce, la note du médecin D. indiquait clairement l’existence d’un danger imminent pour la santé et la vie du requérant, c’est pourquoi le tribunal de district a jugé nécessaire et justifié d’adopter en urgence la mesure demandée. De l’avis du Gouvernement, on ne saurait reprocher au tribunal de s’être fondé sur cette allégation prima facie crédible du médecin dont les compétences n’étaient pas mises en doute, et de ne pas avoir administré d’autres preuves. Par ailleurs, même si l’avis du médecin s’avérait erroné, la décision du tribunal ne serait pas pour autant incompatible avec l’article 8 (voir R.K. et A.K. c. Royaume-Uni, no 38000/05, § 36, 30 septembre 2008). En plus, l’autorité sociale a déployé des efforts pour contacter la requérante mais elle n’a pu joindre que son compagnon qui a refusé de divulguer l’adresse de la famille. Vu l’urgence de la situation, il n’était pas possible d’impliquer les parents davantage ; par ailleurs, ils auraient pu faire valoir leurs arguments dans une éventuelle procédure en protection des droits de la personnalité.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’une ingérence

66. La Cour observe que, de l’avis du Gouvernement, les requérants n’ont subi aucune ingérence dans leurs droits garantis par l’article 8 notamment parce qu’ils n’ont jamais été physiquement séparés et qu’ils n’ont subi aucune intervention médicale. Les requérants le contestent, alléguant qu’ils ont été hospitalisés contre leur gré à un moment très délicat de leur vie et que la requérante a été ainsi empêchée de choisir les conditions et soins post-accouchement. De plus, le fait qu’ils n’ont pas été séparés ne résulte pas d’une action positive de l’État.

67. La Cour est d’avis que les faits dont se plaignent les requérants relèvent de l’article 8 en ce que la décision d’hospitaliser le second d’entre eux contre la volonté expresse de ses parents, ayant pour conséquence l’hospitalisation de la première requérante qui ne voulait pas laisser son bébé seul, concerne leur vie privée et familiale. En effet, ces notions incluent aussi le droit d’une mère de décider du traitement médical et, partant, de l’hospitalisation de son enfant (voir Glass c. Royaume-Uni, no 61827/00, § 70, CEDH 2004‑II). La Cour considère que ni la courte durée de l’hospitalisation ni le fait que les requérants n’ont pas subi d’intervention médicale à l’hôpital n’influe sur son constat que la situation dont ils se plaignent a constitué une ingérence dans leur droit au respect de la vie privée et familiale.

68. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par une loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre. La notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux, et notamment proportionnée au but légitime recherché (voir, par exemple, Couillard Maugery c. France, no 64796/01, § 237, 1er juillet 2004).

b) Sur la justification de l’ingérence

i. Prévue par la loi

69. La Cour constate que les requérants ont été ramenés à l’hôpital en exécution d’une mesure provisoire adoptée par le tribunal de district de Beroun en application de l’article 76a du code de procédure civile. Selon les requérants, cette disposition a été en l’espèce appliquée à tort et détournée de son but car le second d’entre eux ne souffrait pas de problème de santé et se trouvait entre de bonnes mains de ses parents. Le Gouvernement soutient que le tribunal n’avait aucune raison de considérer que les conditions de l’article 76a § 1 n’étaient pas remplies puisque la note du médecin D. indiquait clairement que l’enfant était en danger.

70. La Cour observe que l’article 76a du code de procédure civile tchèque vise les situations d’urgence où un enfant se retrouve dépourvu de soins ou sous la menace d’une atteinte à sa vie ou à son développement favorable. Dans la mesure où il ne lui appartient de se substituer aux autorités internes pour apprécier le risque encouru en l’espèce par le second requérant et, partant, pour décider si la situation litigieuse relève de la disposition susmentionnée, la Cour estime que la condition de la base légale peut être considérée comme étant satisfaite dans la présente affaire.

ii. But légitime

71. De l’avis de la Cour, on peut accepter que l’ingérence en question était en principe guidée par un but légitime au sens de l’article 8 § 2 de la Convention, à savoir la protection de la santé et des droits d’autrui, en l’occurrence le requérant en tant que nouveau-né.

iii. Nécessaire dans une société démocratique

72. La Cour rappelle que, pour être justifiée, toute ingérence doit reposer sur des motifs pertinents et suffisants. Il ressort de la jurisprudence que, si les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant, en particulier lorsqu’il y a urgence, la Cour doit néanmoins avoir acquis la conviction qu’il existait dans l’affaire en question des circonstances justifiant le retrait de l’enfant. Il incombe à l’État défendeur d’établir que les autorités ont évalué avec soin l’incidence qu’aurait sur les parents et l’enfant la mesure envisagée, ainsi que d’autres solutions que la prise en charge de l’enfant, avant de mettre une pareille mesure à exécution (voir Kutzner, précité, § 67 ; P., C. et S., précité, § 116 ; Covezzi et Morselli c. Italie, no 52763/99, § 108, 9 mai 2003). En particulier, la prise en charge d’un nouveau-né dès sa naissance est une mesure extrêmement dure et il faut des raisons extraordinairement impérieuses pour qu’un bébé puisse être soustrait à sa mère, contre le gré de celle-ci, immédiatement après la naissance à la suite d’une procédure à laquelle ni la mère ni son compagnon n’ont été associés (voir K. et T., précité, § 168 ; Haase, précité, § 91).

73. La Cour a admis que, en raison de leur nature, les questions de prise en charge d’urgence sont tranchées de manière très provisoire et après évaluation des risques encourus par l’enfant, fondée sur les informations – forcément incomplètes – dont les autorités disposent sur le moment (voir P., C. et S., arrêt précité, § 128). Néanmoins, avant que les autorités publiques ne recourent à des mesures d’urgence dans un domaine aussi sensible, l’imminence du danger doit être réellement établie. Dans les cas où le danger est évident, il n’y a pas lieu d’associer au processus décisionnel les personnes investies de la garde de l’enfant. Cependant, s’il demeure possible d’entendre les parents des enfants et de discuter avec eux de la nécessité de la mesure, il n’y pas de raison d’agir dans l’urgence (voir Haase, précité, § 99).

74. Il convient de noter que la présente affaire ne concerne pas un placement ou une prise en charge de l’enfant au sens classique, dans la mesure où la mesure litigieuse n’a duré que trois jours et que les requérants n’ont pas été séparés puisque la requérante a eu la possibilité d’accompagner son fils, le seul à être concerné par la mesure, à l’hôpital. De l’avis de la Cour, cela ne décharge toutefois pas les autorités, et en particulier le tribunal, de son obligation de chercher à établir les risques réellement encourus par l’enfant et de rechercher si la santé de celui-ci pouvait être protégée par des mesures moins intrusives.

75. La Cour admet en l’occurrence que le comportement de la requérante - qui ne semble pas avoir clairement indiqué sa volonté de quitter l’hôpital très rapidement ni n’a tenté de suivre la procédure préconisée en signant une déclaration de refus des soins ou en fournissant un accord écrit du pédiatre prêt à prendre son enfant en charge, et qui n’a pas clairement indiqué à l’hôpital son adresse actuelle – pouvait susciter des inquiétudes auprès du personnel hospitalier responsable. On ne saurait dès lors reprocher au médecin D., prévenu par la pédiatre S. de son indisponibilité pendant le week-end, d’avoir averti l’autorité sociale, laquelle s’est à son tour retournée vers le tribunal. La Cour doit toutefois se convaincre qu’en l’espèce le juge saisi était fondé à considérer qu’il existait des circonstances justifiant d’ordonner le retour immédiat du second requérant à l’hôpital sans que l’existence d’un risque réel et concret pour la santé de celui-ci eut été établie par un professionnel de santé. En particulier, il incombe à l’État défendeur d’établir que le juge a évalué avec soin l’incidence qu’aurait sur les requérants la mesure envisagée, ainsi que d’autres solutions que la prise en charge du second requérant, avant de mettre une pareille mesure à exécution.

76. La Cour observe à cet égard que le raisonnement exposé dans la mesure provisoire du 26 octobre 2007 est particulièrement succinct et renvoie simplement à la courte note rédigée par le médecin D. Or, celle-ci indiquait simplement, sans aucune précision, que « compte tenu du court laps de temps écoulé depuis la naissance, la santé et, le cas échéant, la vie même de l’enfant sont mises en péril si celui-ci est privé de soins hospitaliers » (voir paragraphe 12 ci-dessus). Au vu d’un tel constat, la Cour ne peut s’empêcher de penser que la recommandation formulée par le ministère de la Santé en juillet 2005 (voir paragraphe 37 ci-dessus) a été ainsi interprétée comme une règle contraignante par le médecin concerné. Celui-ci a fait ainsi part d’une menace générale, sans se référer à des éléments concrets spécifiques à la situation des requérants. Pourtant, il ne ressort pas de la mesure provisoire que le tribunal ait cherché à en savoir davantage sur le cas de l’espèce, par exemple en ordonnant l’examen de l’enfant par un expert, et à évaluer avec soin toutes les circonstances pertinentes, ou qu’il se soit penché sur la question de savoir s’il n’était pas possible de recourir à une ingérence moins intrusive dans la vie familiale des requérants.

77. Il ressort en outre des notes sur lesquelles le tribunal s’est fondé dans sa décision (voir paragraphes 11-13 ci-dessus) qu’il n’a pas été informé du fait que la requérante avait pris contact avec une pédiatre avant son accouchement et qu’au moment où il prenait sa décision, un rendez-vous avait déjà été fixé avec cette pédiatre. Puis, la Cour estime qu’il n’a pas été démontré en l’espèce que les parents n’auraient pas pu être consultés au préalable, ne serait-ce que pour être informés des risques possibles ou pour que la requérante signe une déclaration de refus des soins. De plus, il apparaît qu’au moment où l’huissier et l’assistante sociale se sont rendus au domicile des requérants en compagnie de policiers et d’un médecin urgentiste et que ce dernier a pu constater que l’enfant ne souffrait d’aucun problème de santé, aucune réévaluation de la situation ne pouvait plus avoir lieu.

78. Dans la présente affaire, la Cour n’est pas convaincue qu’ait été démontrée l’existence des raisons extraordinairement impérieuses justifiant que le bébé soit soustrait aux soins de sa mère, contre le gré de celle-ci (voir paragraphe 72 ci-dessus). Certes, elle n’a pas à se substituer aux autorités nationales et à se livrer à des spéculations quant aux mesures de protection de la santé d’un nouveau-né qui auraient été les plus indiquées dans ce cas particulier. Mais elle se doit de constater que lorsque le tribunal a envisagé une mesure aussi radicale que de confier le second requérant à l’hôpital avec l’assistance des forces de l’ordre et d’un huissier de justice, laquelle était vouée à une exécution automatique, il aurait dû rechercher s’il n’était pas possible de recourir à une ingérence moins extrême dans la vie familiale des requérants, à un moment aussi décisif de leur vie.

79. Dès lors, la Cour estime que cette grave immixtion dans la vie familiale des requérants et les modalités de sa mise en œuvre ont excédé la marge nationale d’appréciation dont disposait l’Etat défendeur. Elle juge qu’elles ont produit des effets disproportionnés sur les perspectives qu’avaient les requérants de jouir d’une vie familiale dès la naissance du second d’entre eux. S’il pouvait donc y avoir une « nécessité » d’user de mesures de précaution pour protéger la santé du nouveau-né, l’ingérence dans la vie familiale des requérants qu’a entraînée la mesure provisoire ordonnant le retour du second d’entre eux à l’hôpital ne saurait passer pour « nécessaire » dans une société démocratique.

80. Il y a donc eu en l’espèce violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

81. Les requérants dénoncent en outre l’absence d’un recours effectif, se plaignant de ne pas avoir pu effectivement contester la mesure du 26 octobre 2007 et, faute de pouvoir obtenir l’annulation de celle-ci, de ne pas être en mesure d’obtenir un quelconque redressement ou des dommages-intérêts. Ils invoquent à cet égard l’article 13 de la Convention, libellé comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

82. Le Gouvernement conteste cette thèse, alléguant que les requérants disposaient de plusieurs recours effectifs (voir paragraphes 44-46 ci-dessus).

83. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.

84. Elle rappelle avoir déjà considéré que, dans les circonstances particulières de la cause, les requérants ne disposaient pas d’un recours effectif au travers duquel ils auraient pu formuler leurs griefs de méconnaissance de la Convention (voir paragraphe 50-52 ci-dessus).

85. Dès lors, la Cour estime qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 13 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

86. Les requérants soutiennent enfin que la mesure provisoire litigieuse, qui ne s’appuyait sur aucun motif prévu à l’article 5 § 1 de la Convention, a porté atteinte à leur droit à la liberté au sens de cette disposition. Ils se plaignent également de l’impossibilité de prétendre à une réparation à ce titre, au mépris de l’article 5 § 5 de la Convention.

87. La Cour rappelle que pour déterminer si un individu se trouve privé de sa liberté au sens de l’article 5, il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée (voir Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 92, série A no 39; H.M. c. Suisse, no 39187/98, § 42, CEDH 2002‑II).

88. La Cour relève que, en l’occurrence, les requérants sont restés à l’hôpital pendant deux jours et qu’ils n’allèguent pas s’être trouvés dans un bâtiment fermé ou de ne pas avoir pu entretenir des relations sociales avec le monde extérieur.

89. Dès lors, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le placement des requérants à l’hôpital ne s’analysait pas en une privation de liberté au sens de l’article 5 § 1. Partant, l’article 5 §§ 1 et 5 ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce.

90. Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3 a), et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

91. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

92. Les requérants réclament la somme globale de 12 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi notamment du fait que l’ingérence en question a touché leur sphère intime à un moment très important de leur vie.

93. Le Gouvernement juge cette somme excessive, étant donné que les requérants n’ont pas été séparé et n’ont subi aucune intervention médicale.

94. Dans les circonstances particulières de la cause, la Cour estime qu’un constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérants.

B. Frais et dépens

95. Facture à l’appui, les requérants demandent également 115 200 couronnes tchèques (CZK), à savoir environ 4 430 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour ; aucune taxe ne figure sur la facture.

96. Le Gouvernement estime que la facture présentée par les requérants n’est pas suffisamment détaillée et qu’on ne saurait accepter que toutes les prestations, indépendamment de leur complexité, soient facturées au même prix.

97. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence ainsi que du fait que la requête a été en partie déclarée irrecevable, la Cour estime raisonnable la somme de 3 000 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde aux requérants.

C. Intérêts moratoires

98. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 8 et 13 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit, à l’unanimité, que le constat d’une violation représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral subi par les requérants ;

5. Dit, par cinq voix contre deux,

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 3 000 EUR (trois mille euros), à convertir en couronnes tchèques au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 décembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stephen PhillipsMark Villiger
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Zupančič et Yudkivska.

M.V.
J.S.P.

OPINION DISSIDENTE DES JUGES ZUPANČIČ ET YUDKIVSKA

(Traduction)

Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à l’avis de la majorité en l’espèce. Nous estimons que le fond de l’arrêt entre dans des considérations médicales spécialisées – ce pour quoi la Cour n’est pas qualifiée.

Cela ressort clairement des faits de l’espèce. Heureusement, le nouveau‑né était en bonne santé et l’est demeuré bien qu’il ait été soustrait à la surveillance médicale dont il aurait bénéficié si la mère était restée à l’hôpital pendant la durée recommandée de 72 heures.

Le paragraphe 38 de l’arrêt adopté par la majorité énumère les problèmes qui, d’après l’avis des experts médicaux ministériels cité par le Gouvernement, auraient pu surgir dans les 72 heures après l’accouchement, notamment une déshydratation, une hypernatrémie et un risque d’hémorragie cérébrale, d’autres troubles difficiles à diagnostiquer, le développement de l’hyperbilirubinémie néonatale et la cicatrisation du cordon ombilical sectionné. La première requérante, qui était parfaitement au courant des protocoles médicaux tchèques et qui avait souscrit au règlement de l’hôpital au moment de son admission, ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que son départ fût toléré, eu égard aux risques susmentionnés.

Le problème à notre sens est que le départ de la mère de l’hôpital, quelles que fussent ses raisons intimes, n’a pas simplement, voire essentiellement, porté atteinte à son propre bien-être. La mère est bien entendu en droit de mettre sa propre santé en danger de son plein gré, c’est-à-dire après avoir signé l’autorisation de sortie requise déchargeant l’hôpital et les médecins de leurs responsabilités juridiques concernant son propre bien-être.

Cependant, le départ imprévu de la mère après l’accouchement a eu des répercussions sur le bien-être d’une autre personne. Nous estimons que la femme, simplement du fait qu’elle est la mère du nouveau-né, n’a pas automatiquement le droit – au mépris de contre-indications médicales manifestes – de mettre en danger le bien-être et peut-être la survie du nouveau-né. Au moment de sa naissance, l’enfant devient une personne dotée d’une personnalité en tant qu’individu et en tant que sujet de droit. Il ne saurait être captif des préférences de sa mère.

Dès lors, la conclusion formulée au paragraphe 67 et selon laquelle la décision de réhospitaliser le nouveau-né a constitué une ingérence dans le droit des deux requérants au respect de leur vie privée, est à notre sens erronée. Dans l’affaire Glass c. Royaume-Uni (no 61827/00, CEDH 2004‑II), citée par la majorité, la Cour a conclu que la décision d’imposer, au mépris des objections de la mère, un traitement à un enfant handicapé avait constitué une ingérence dans le droit de l’enfant au respect de sa vie privée, mais non dans celui de sa mère.

Au paragraphe 76 de l’arrêt de la majorité, la Cour mentionne une « menace générale ». Nous estimons qu’il n’y a rien d’abstrait, de théorique ou de général dans les contre-indications susmentionnées, les complications post-natales pouvant surgir de façon imprévue et une intervention médicale étant nécessaire car seuls des professionnels expérimentés sont qualifiés pour les diagnostiquer et y réagir à temps. Il importe de garder à l’esprit que durant cette période initiale critique de 72 heures, le pédiatre qui devait prendre l’enfant en charge n’était pas disponible.

À notre sens, la Cour n’est en mesure ni d’apprécier les problèmes médicaux potentiels ni, par conséquent, de dire si l’ordre de réhospitaliser le second requérant pour protéger son bien-être a « produit des effets disproportionnés sur les perspectives qu’avaient les requérants de jouir d’une vie familiale dès la naissance du second d’entre eux ». Les autorités ont réagi de façon réfléchie, en particulier compte tenu du fait qu’une fausse adresse leur avait été donnée, même si à l’époque leur réaction a peut-être paru un peu dure. Nous ne souscrivons pas à la conclusion selon laquelle il aurait été possible de recourir à des mesures moins intrusives, par exemple l’examen de l’enfant par un expert (paragraphe 76 de l’arrêt). Un examen médical ponctuel n’est pas suffisant pour exclure totalement des risques pouvant survenir à tout moment dans les 72 heures après l’accouchement.

On trouve un exemple du problème inverse de celui qui s’est présenté en l’espèce dans l’affaire Calvelli et Ciglio c. Italie [GC] (no 32967/96, CEDH 2002‑I), dans laquelle le médecin a été condamné parce qu’il n’était pas présent, comme il aurait dû l’être, lors de l’accouchement d’une femme diabétique qu’il avait soignée et suivie durant sa grossesse.

En d’autres termes, la question se pose de savoir quelle aurait été la réaction de notre Cour si l’enfant avait présenté certains des problèmes postnatals énumérés ci-dessus, en étant loin de l’hôpital et de services de soins intensifs d’urgence.

Par ailleurs, il y a lieu de considérer également la situation dans laquelle la mère est autorisée à accoucher à la maison, avec l’aide d’une sage-femme formée et diplômée (voir l’arrêt Dubská et Krejzová c. République tchèque, nos 28859/11 et 28473/12, prononcé le même jour que l’arrêt dans le cas d’espèce). Il serait fallacieux de soutenir, maintenant, que le départ prématuré du service d’obstétrique d’un hôpital est – argumento a maiori ad minus – autorisé dès lors que l’accouchement à domicile avec l’aide d’une sage‑femme est quoi qu’il en soit également autorisé. Pour des raisons évidentes, les deux situations ne sont pas comparables. Le rôle d’une infirmière formée en obstétrique (la sage-femme) ne s’arrête pas avec l’accouchement en tant que tel. Elle accompagne la mère et l’enfant pendant quelques jours après l’accouchement et sa formation lui permet de reconnaître le besoin immédiat de recourir à l’assistance d’un pédiatre néonatal et de transférer l’enfant à l’hôpital. Ces possibilités n’existaient pas en l’espèce – du moins jusqu’à l’arrivée tardive du pédiatre qui devait prendre le nouveau-né en charge.

Eu égard à ce qui précède, nous estimons, considérant que la première requérante n’a pas organisé son départ anticipé de l’hôpital de façon à assurer le bien-être du nouveau-né, ce qui était parfaitement possible en vertu de la législation et de la pratique tchèques, que la mesure dénoncée en l’espèce était le seul choix qui s’offrait aux autorités pour agir d’urgence afin de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant.

Eu égard à notre constat sous l’angle de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), nous estimons que les requérants ne soulèvent aucun grief défendable au regard de l’article 13.


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