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30/10/2014 | CEDH | N°001-147444

CEDH | CEDH, AFFAIRE PALMERO c. FRANCE, 2014, 001-147444


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE PALMERO c. FRANCE

(Requête no 77362/11)

ARRÊT

STRASBOURG

30 octobre 2014

DÉFINITIF

30/01/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Palmero c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Vincent A. De Gaetano,
André Po

tocki,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 octob...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE PALMERO c. FRANCE

(Requête no 77362/11)

ARRÊT

STRASBOURG

30 octobre 2014

DÉFINITIF

30/01/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Palmero c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 octobre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 77362/11) dirigée contre la République française et dont un ressortissant monégasque, M. Claude Palmero (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 novembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me T. Lacoste, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent ; il s’agissait initialement de Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, à laquelle M. F. Alabrune a succédé en mai 2014.

3. Le 6 mai 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

4. Le 7 mai 2013, le gouvernement monégasque fut informé qu’il avait la possibilité, s’il le désirait, de présenter des observations écrites en vertu des articles 36 § 1 de la Convention et 44 du règlement de la Cour. N’ayant pas reçu de réponse du gouvernement monégasque dans le délai imparti, la Cour considère que ce dernier n’entend pas se prévaloir de son droit d’intervention.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1956 et réside à Monte-Carlo.

6. Le père du requérant, André Palmero, exerçait de son vivant des fonctions d’administrateur de biens du prince de Monaco. Le 30 mars 1999, il fut entendu pour la première fois en qualité de témoin dans une information judiciaire ouverte en France en 1994, concernant des faits d’escroquerie liés à la vente de timbres de collection de la Principauté.

7. Le 22 juin 2000, il fut mis en examen du chef de complicité d’escroquerie. Il décéda le 30 décembre 2000 et, le 8 juillet 2002, le juge d’instruction constata l’extinction de l’action publique à son bénéfice en raison de ce décès. En 2005, une ordonnance de non-lieu général concernant l’ensemble des personnes mises en examen fut rendue.

8. Le 28 décembre 2004, le requérant engagea une action en responsabilité de l’État, au nom de son père, sur le fondement de l’article L.781-1 du code de l’organisation judiciaire, alors en vigueur, en réparation des fautes qui auraient été commises dans le cadre de la procédure pénale diligentée contre ce dernier. Le requérant invoqua, notamment, le défaut d’impartialité du juge d’instruction, ainsi que le caractère déraisonnable de la durée de la procédure pénale.

9. Par un jugement du 26 avril 2006, le tribunal de grande instance de Paris déclara la demande du requérant recevable - rappelant notamment que le droit à réparation du dommage moral subi par une personne défunte, entré dans son patrimoine, se transmettait à ses héritiers – mais la rejeta. Le 22 septembre 2009, la cour d’appel de Paris confirma ce jugement. Les juges du fond estimèrent que les accusations de partialité dirigées contre le juge d’instruction n’étaient pas fondées et considérèrent que le point de départ de la période à envisager sous l’angle de l’exigence d’un délai raisonnable devait être fixé au 22 juin 2000, date de mise en examen du père du requérant, compte tenu de l’absence d’éléments dans le dossier le mettant en cause au moment du dépôt de plainte initial ainsi que lors de sa première audition comme témoin en 1999.

10. Par un arrêt du 1er juin 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant en estimant, en outre, que le terme de la période à considérer sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention devait être fixé au décès du père du requérant en décembre 2000.

EN DROIT

11. Le requérant se plaint de la durée déraisonnable tant de la procédure pénale dirigée contre son père, que de la procédure d’indemnisation exercée par lui sur le fondement de l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire, devenu l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire. Il met par ailleurs en cause l’impartialité du juge d’instruction chargé de l’information dans laquelle son père fut mis en examen. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) impartial (...), qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE PÉNALE

12. Le Gouvernement expose en premier lieu que le requérant ne possède pas la qualité de « victime » au sens de l’article 34 de la Convention, ne démontrant pas en quoi il aurait été personnellement affecté par la durée de la procédure pénale subie par son père. En deuxième lieu, le Gouvernement soutient, sous l’angle de l’article 35 § 3 b) de la Convention, que le requérant n’a subi aucun préjudice important.

13. Le requérant conteste ces thèses.

14. La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner ces exceptions d’irrecevabilité, car elle considère qu’en tout état de cause, le grief est manifestement mal fondé, pour les raisons exposées ci-après.

15. La Cour estime que la période à considérer a débuté le 22 juin 2000, date de la mise en examen de Monsieur André Palmero, compte tenu de l’absence d’éléments dans le dossier le mettant en cause au moment du dépôt de plainte initial ainsi que lors de sa première audition comme témoin en 1999 (voir paragraphe 9 ci-dessus). Elle s’est achevée à son décès le 30 décembre 2000 et a donc duré six mois et huit jours ce qui, aux yeux de la Cour, ne saurait être considéré comme excessif au regard de l’article 6 § 1 de la Convention.

16. Partant, il y a lieu de rejeter ce grief en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

II.SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE EN RESPONSABILITÉ DE L’ÉTAT

A. Sur la recevabilité

17. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

18. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour en ce qui concerne la durée de la procédure d’indemnisation. Il admet que la procédure devant la cour d’appel, d’une durée supérieure à trois ans, ne semble manifestement pas répondre à l’exigence du délai raisonnable.

19. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

20. La période à considérer a débuté le 28 décembre 2004, date de l’assignation en responsabilité de l’Etat pour s’achever le 1er juin 2011, date de l’arrêt de la Cour de cassation. La procédure en indemnisation a dès lors duré six années, cinq mois et quatre jours pour trois degrés de juridictions, dont trois ans et cinq mois au niveau de la seule cour d’appel, puis un an et neuf mois au niveau de la Cour de cassation.

21. Tout en ayant à l’esprit que le requérant a engagé l’action en responsabilité de l’État au nom de son père, la Cour rappelle l’importance pour les juridictions internes de porter une attention particulière à ce type de procédures d’indemnisation, notamment pour ce qui est de la durée raisonnable de leur examen (Gouveia da Siva Torrado c. Portugal, décision, no 65305/01, 22 mai 2003, Cocchiarella c. Italie [GC], précité, § 89, Sartory c. France, précité, § 24). Elle estime que la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

22. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE L’IMPARTIALITÉ DU TRIBUNAL

23. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, la Cour ne relève aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention à l’égard du grief allégué. Partant, cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

24. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

25. Le requérant réclame 80 000 euros (EUR) au titre « de la satisfaction équitable ».

26. Le Gouvernement conteste ces prétentions, exposant notamment que la demande du requérant n’est pas ventilée. Dans l’hypothèse d’une violation de l’article 6 tirée d’une durée excessive de la procédure en responsabilité de l’État, il considère qu’une somme de 3 000 EUR apparaîtrait raisonnable.

27. La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain du fait de la durée de la procédure en responsabilité de l’État. Statuant en équité, elle lui accorde 1 500 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

28. Le requérant demande également 20 000 EUR pour les « sommes dont il a dû s’acquitter pour les besoins de sa défense » et produit des factures datées entre le 23 octobre 2003 et le 30 septembre 2010.

29. Le Gouvernement conteste ces prétentions tant dans leur principe que dans leur quantum. Il relève notamment que les factures fournies manquent de précision et, pour la majorité d’entre elles, ne permettent pas de déterminer la nature des procédures pour lesquelles les frais ont été engagés ni de vérifier qu’elles ont été acquittées.

30. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, à supposer que la demande du requérant vise les frais et dépens engagés devant la Cour, force est de constater qu’aucune des factures soumises n’indique une date qui correspondrait à la période concernée, de sorte que la demande est à rejeter à cet égard. Pour autant que le requérant sollicite le remboursement des frais et dépens engagés devant les juridictions internes, la Cour rappelle d’emblée que seuls les actes accomplis par l’avocat et les frais engagés afin d’obtenir réparation de la violation du fait de la durée de la procédure en responsabilité de l’État peuvent être pris en compte en l’espèce. Compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

31. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure en responsabilité de l’État et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, au taux applicable à la date du règlement :

i) 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 octobre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-147444
Date de la décision : 30/10/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Délai raisonnable)

Parties
Demandeurs : PALMERO
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : LACOSTE T.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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