La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/07/2014 | CEDH | N°001-145639

CEDH | CEDH, AFFAIRE HARAKCHIEV ET TOLUMOV c. BULGARIE [Extraits], 2014, 001-145639


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE HARAKCHIEV ET TOLUMOV c. BULGARIE

(Requêtes nos 15018/11 et 61199/12)

ARRÊT

[Extraits]

STRASBOURG

8 juillet 2014

DÉFINITIF

08/10/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.




En l’affaire Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Zdra

vka Kalaydjieva,
Paul Mahoney,
Krzysztof Wojtyczek, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du consei...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE HARAKCHIEV ET TOLUMOV c. BULGARIE

(Requêtes nos 15018/11 et 61199/12)

ARRÊT

[Extraits]

STRASBOURG

8 juillet 2014

DÉFINITIF

08/10/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.

En l’affaire Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Zdravka Kalaydjieva,
Paul Mahoney,
Krzysztof Wojtyczek, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 juin 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 15018/11 et 61199/12) dirigées contre la République de Bulgarie et dont deux ressortissants de cet État, M. Mitko Georgiev Harakchiev et M. Lyudvik Slavov Tolumov (« les requérants »), ont saisi la Cour les 22 février 2011 et 11 septembre 2012 respectivement, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me M. Ekimdzhiev et Me S. Stefanova, avocats à Plovdiv. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, Mme I. Stancheva-Chinova et Mme K. Radkova, du ministère de la Justice.

3. Les requérants alléguaient en particulier que la peine de perpétuité réelle (доживотен затвор без замяна) infligée à M. Harakchiev s’analysait en une peine inhumaine et dégradante, que le régime et les conditions matérielles de leur détention s’analysaient en un traitement inhumain et dégradant et qu’ils ne disposaient d’aucun recours interne effectif en la matière.

4. Le 19 février 2013, la Cour décida de joindre les deux requêtes, les déclara partiellement irrecevables et communiqua au Gouvernement les griefs concernant a) la peine de perpétuité réelle de M. Harakchiev ; b) le régime et les conditions de détention des requérants ; c) la surveillance alléguée de la correspondance de M. Tolumov en prison ; et d) l’absence alléguée d’un recours interne effectif relativement aux conditions matérielles de la détention des requérants.

5. Le 17 juillet 2013, la Cour invita les parties à traiter un point supplémentaire dans leurs observations respectives.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant dans la première affaire (no 15018/11), M. Harakchiev, est né en 1968. Il purge actuellement une peine de perpétuité réelle à la prison de Stara Zagora (paragraphes 58-60 et 65 ci‑dessous).

7. Le requérant dans la seconde affaire (no 61199/12), M. Tolumov, est né en 1954. Il purge actuellement une peine de perpétuité à la prison de Plovdiv (paragraphes 56 et 65 ci-dessous).

A. M. Harakchiev

1. Le passé de M. Harakchiev et sa condamnation à vie

8. Entre 1992 et 2005, M. Harakchiev, chauffeur et mécanicien de profession, a été condamné huit fois pour des infractions sans violence : vol et vol aggravé (quatre condamnations), fraude et fraude aggravée (trois condamnations). Il a été condamné à des peines allant de deux à cinq ans d’emprisonnement.

9. Le 21 janvier 2003, le tribunal régional de Haskovo condamna M. Harakchiev pour détention illégale d’armes à feu et pour quatre vols à main armée de véhicules à moteur commis entre le 14 octobre et le 6 novembre 2001, dont deux accompagnés de tentative de meurtre et deux accompagnés de meurtre. Il le condamna à une peine de perpétuité réelle.

10. Le 26 juin 2003, la cour d’appel de Plovdiv confirma la condamnation et la peine infligée à M. Harakchiev.

11. Par un jugement définitif du 23 novembre 2004 (реш. № 476 от 23 ноември 2004 г. по н. д. № 901/2003 г., ВКС, ІІІ н. о.), la Cour suprême de cassation confirma à son tour la condamnation et la peine infligées à M. Harakchiev. Elle considéra, entre autres, qu’au vu de la gravité des infractions – en particulier de la détermination et de la cruauté avec lesquelles elles avaient été commises – une peine plus clémente telle que la peine de perpétuité commuable (доживотен затвор със замяна) n’était pas appropriée. Le fait que M. Harakchiev eût confessé et aidé les autorités chargées de l’enquête à mettre au jour ses activités criminelles ne pouvait avoir aucune influence.

2. Les conditions de détention à la prison de Stara Zagora et les régimes pénitentiaires appliqués à M. Harakchiev

12. M. Harakchiev est détenu à la prison de Stara Zagora depuis le 18 janvier 2002. Il fut initialement placé en « régime amélioré » (paragraphe 115 ci-dessous). Après l’entrée en vigueur de la loi sur l’exécution des peines et la détention préventive le 1er juin 2009, ce régime fut remplacé de plein droit par le « régime sévère » (paragraphe 118 ci‑dessous). Le 17 juin 2009, la Commission d’exécution des peines (paragraphe 121 ci-dessous) proposa au tribunal régional de Stara Zagora d’imposer à M. Harakchiev le « régime spécial », normalement applicable aux condamnés à perpétuité, invoquant son « attitude négative » et son manque de respect pour l’ordre intérieur, en plus du fait qu’il aurait en tout état de cause dû être soumis à ce régime dès le début. Le 21 juillet 2009, le tribunal régional de Stara Zagora accepta la proposition. Le recours de M. Harakchiev contre cette décision, déposé le 12 juillet 2010, fut rejeté par le tribunal régional de Stara Zagora et la cour d’appel de Plovdiv au motif qu’il était tardif. D’après le Gouvernement, les autorités pénitentiaires n’entendent apporter aucune autre modification au régime actuellement appliqué à M. Harakchiev.

13. Entre décembre 2005 et mars 2013, neuf sanctions disciplinaires ont été infligées à M. Harakchiev. Les dernières de ces sanctions, en août 2012 et mars 2013, ont été infligées pour a) une rixe avec un autre détenu pendant la promenade quotidienne le matin du 4 août 2012 et b) le vol, le 18 février 2013, de nourriture qu’un autre détenu avait laissée dans les toilettes communes. Pour les premiers faits, M. Harakchiev s’est vu infliger un blâme ; pour les faits suivants, un isolement en cellule disciplinaire d’une durée de trois jours.

14. La cellule de M. Harakchiev – qu’il occupe à présent seul, mais qu’il a apparemment partagée avec un autre détenu entre 2002 et 2007 – est située dans le quartier de haute sécurité de la prison, réservé aux condamnés à perpétuité. Selon M. Harakchiev, la cellule est plutôt petite, surtout si l’on considère que le mobilier occupe à lui seul 4,50 m2, et elle est éclairée la nuit par une ampoule à incandescence de 60 W constamment allumée. Selon le Gouvernement, la cellule n’est pas sous-dimensionnée. Elle mesure 4,30 × 1,81 m et a une hauteur de plafond de 3,95 m, avec une surface totale au sol de 7,78 m2. Elle est meublée d’un casier métallique, d’un lit superposé en métal, de deux chaises et d’une petite table, le tout attaché au sol pour des raisons de sécurité. Elle a une fenêtre orientée au sud qui mesure 1,76 × 1,25 m. L’éclairage artificiel dans la cellule consiste en deux ampoules luminescentes de 36 W. Selon M. Harakchiev, les ampoules à incandescence n’ont été remplacées par des ampoules luminescentes qu’en 2012 et la cellule ne dispose pas d’un éclairage nocturne à faible intensité.

15. La prison de Stara Zagora n’a pas de système de ventilation ou de climatisation. Par conséquent, selon M. Harakchiev, les températures dans la cellule sont très élevées en été et il n’y a pas d’air frais. En hiver, le chauffage n’est allumé que pendant une heure le matin, à midi et le soir. Selon le Gouvernement, la fenêtre de la cellule peut être ouverte, ce qui permet d’aérer la cellule à tout moment. La prison a son propre système de chauffage avec deux chaudières et un échangeur de chaleur. Les chaudières ne sont allumées que neuf heures par jour, mais l’eau qu’elles chauffent circule constamment dans l’installation de chauffage. Selon M. Harakchiev, le radiateur dans sa cellule n’est chaud que trente minutes par jour et le mauvais état de la fenêtre et de la porte métallique contribue à la basse température dans sa cellule en hiver. M. Harakchiev explique par ailleurs que, comme il doit sécher ses vêtements dans la cellule, celle-ci est très humide. En conséquence, la peinture et le plâtre se décollent du mur.

16. Selon M. Harakchiev, les espaces communs de la prison ne peuvent être nettoyés que par blanchiment à l’hypochlorite de calcium, et les cellules ne sont lavées qu’à l’eau. À l’appui de cette affirmation, M. Harakchiev évoque le témoignage livré par l’un de ses codétenus dans le cadre de la procédure qu’il a engagée. Selon le Gouvernement, les espaces communs de la prison ne sont pas simplement nettoyés avec de l’eau de Javel, mais sont nettoyés tous les jours avec des détergents et soumis au moins deux fois par an à la dératisation et à la désinsectisation, comme cela ressort des quatorze factures pour ces services effectués au cours des quatre dernières années. M. Harakchiev rétorque que ces factures ne prouvent pas que les détergents aient effectivement été utilisés comme l’affirme le Gouvernement. Il allègue également que sa cellule est en permanence infestée de cafards et de souris, et que toutes les plaintes adressées par lui à l’administration pénitentiaire à cet égard sont restées sans réponse. Il ajoute que, la fenêtre de sa cellule n’étant pas recouverte d’un filet, des insectes entrent constamment dans la cellule, attirés par l’odeur des excréments et l’éclairage constant la nuit, et qu’ils le piquent.

17. M. Harakchiev explique en outre que, comme il n’y a ni toilettes ni eau courante dans la cellule, il est obligé, en dehors des trois visites quotidiennes aux toilettes communes, d’utiliser un seau en plastique pour se soulager. Pendant la période où il a dû partager sa cellule avec un autre détenu, il a dû le faire en sa présence. Faute d’eau courante, il lui est impossible de se laver les mains ou de laver le seau après s’être soulagé. Selon le Gouvernement, les toilettes et la salle de bains dans le quartier de haute sécurité sont accessibles aux détenus trois fois par jour et chaque fois qu’ils le demandent aux gardiens. M. Harakchiev n’a donc pas raison quand il affirme être contraint d’utiliser un seau pour se soulager ; il s’agit là de son propre choix. En réalité, il a plus de dix seaux dans sa cellule, dans lesquels il entrepose des vêtements, du linge et d’autres objets. Selon M. Harakchiev, en dehors des trois visites quotidiennes aux toilettes, entre 5 h 30 et 20 heures, les gardiens n’ouvrent jamais sa cellule pour qu’il puisse se rendre aux toilettes. Recourir à des seaux pour ses besoins sanitaires ne relève donc pas de son propre choix.

18. À l’exception de sa promenade quotidienne d’une heure, M. Harakchiev peut sortir de sa cellule pour se rendre aux toilettes trois fois par jour. Au cours de chacune de ces visites, il peut également vider le seau, se laver les mains et remplir des bouteilles en plastique avec de l’eau pour boire et pour ses besoins sanitaires. Selon lui, les visites aux toilettes ne durent pas plus de trois minutes le matin et pas plus de dix minutes à midi et le soir, et elles ne coïncident pas avec les visites des autres détenus du même quartier.

19. Selon M. Harakchiev, les détenus de la prison de Stara Zagora ne peuvent prendre une douche qu’une fois tous les quatorze ou quinze jours. D’après le Gouvernement, tous les détenus du quartier de haute sécurité de la prison peuvent prendre une douche deux fois par semaine.

20. Selon M. Harakchiev, les visites des proches ou avocats ont lieu dans une pièce spécialement prévue à cet effet. Les détenus et les visiteurs sont séparés par un grillage et les détenus doivent rester assis. Un agent pénitentiaire est toujours présent. Selon le Gouvernement, le gardien présent lors des visites n’est là que pour assurer le bon ordre et ne peut pas entendre les conversations. Les visites des avocats ont lieu dans une pièce séparée, dans laquelle personne d’autre n’est présent. La seule forme de contrôle est une surveillance visuelle. Dans ce contexte, le Gouvernement insiste sur le fait qu’à la suite de ses nombreuses demandes M. Harakchiev a passé 97 jours à l’extérieur de la prison de Stara Zagora jusqu’à la mi-2009, et qu’entre le 1er janvier 2010 et le 18 mai 2012 il a passé 255 jours hors de la prison, soit 54 % du temps.

21. Selon M. Harakchiev, la nourriture dans la prison est mal préparée, de mauvaise qualité, insipide, servie froide, dans de mauvaises conditions d’hygiène et en quantité insuffisante. La viande est servie une fois par semaine. Le reste du temps, la nourriture servie est composée de haricots, lentilles, choux et pommes de terre, en soupe ou en ragoût. Selon le Gouvernement, la quantité, la composition chimique et la teneur en calories de la nourriture sont tout à fait adéquates. La ration journalière s’élève à 2 662 calories et la viande est présente dans les repas au moins une fois par jour. Selon M. Harakchiev, « viande » signifie en réalité os bouillis ou viande en conserve. Les deux parties ont présenté des menus et tableaux à l’appui de leurs affirmations respectives.

22. Selon M. Harakchiev, les soins médicaux à la prison de Stara Zagora consistent à donner systématiquement à tous les détenus de l’Aspirine ou de l’Analgine et les détenus doivent acheter tous les autres médicaments eux‑mêmes. Selon le Gouvernement, le centre médical de la prison est composé d’un médecin généraliste, de trois aides-médecins (feldshers) dont un pour le bâtiment principal de la prison et un pour chacun des deux bâtiments séparés, d’une infirmière, d’un psychiatre et d’un dentiste. Les visites médicales ont lieu tous les jours et, en cas d’urgence, les détenus peuvent être transportés aux urgences de l’hôpital de Stara Zagora. Les visites médicales dans le quartier de haute sécurité sont normalement effectuées le vendredi. Les détenus peuvent également consulter des spécialistes à l’extérieur ou être traités dans les hôpitaux pénitentiaires de Sofia et Lovetch. Les médicaments sont normalement fournis par le centre médical de la prison ou peuvent venir de l’extérieur. Le seul médicament que M. Harakchiev a dû se procurer lui‑même, parce que le centre n’en avait pas en stock, est le Rivotril (clonazépam), à un coût unitaire de 7,31 levs bulgares (BGN). M. Harakchiev affirme quant à lui, sans donner plus de détails, qu’il doit systématiquement acheter ses médicaments lui-même. Il allègue par ailleurs que ses soins dentaires ont simplement consisté en l’extraction de dents ; malgré son besoin évident de prothèses dentaires, les autorités pénitentiaires ont omis de prendre des mesures à cet égard. Selon le Gouvernement, les prothèses dentaires ne font pas partie de la couverture médicale standard des assurés sociaux en Bulgarie et ne peuvent donc pas être obtenues gratuitement.

23. D’après le Gouvernement, M. Harakchiev peut également rencontrer l’inspecteur social en charge de son quartier chaque jour. Il peut aussi demander à voir un psychologue, le directeur de la prison ou son adjoint, le conseiller juridique de la prison, ou tout autre membre du personnel pénitentiaire. Il peut également bavarder avec d’autres détenus de la même catégorie au cours de sa promenade quotidienne et pendant les heures de repas. Il a également accès à la télévision par câble, avec une cinquantaine de chaînes, à la bibliothèque de la prison, et aux services religieux. M. Harakchiev affirme pour sa part qu’il n’a aucune possibilité de travailler ou de participer à des activités sportives, culturelles ou éducatives, alors qu’il en a exprimé le souhait. Selon le Gouvernement, en novembre 2006 M. Harakchiev a été autorisé à participer à un cours de yoga afin de réduire son niveau de stress.

24. Les évaluations psychologiques annuelles de M. Harakchiev présentées par le Gouvernement pour 2009, 2010, 2011 et 2013 sont très similaires. Elles affirment toutes, souvent en utilisant le même langage, que sa conduite se distingue par la « campagne qu’il a montée » contre les institutions et les responsables de la prison avec lesquels il a été en contact, qui consiste principalement à engager des contentieux judiciaires et à inciter d’autres détenus à faire de « faux témoignages » en sa faveur. Le dialogue avec lui est très difficile, principalement à cause de son manque de respect pour l’autorité, la conscience aiguë de ses propres droits, l’entêtement, et la tendance à demander aux fonctionnaires concernés de témoigner dans les affaires engagées contre les autorités pénitentiaires. Le risque de préjudice grave est élevé en raison de sa personnalité, de la nature des infractions commises et de la rigidité de sa conduite. Il est agressif verbalement envers le personnel pénitentiaire.

(...)

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. L’emprisonnement à perpétuité

1. Historique

51. La loi pénale de 1896, première législation complète en matière pénale après que la Bulgarie eut retrouvé son indépendance en 1878, prévoyait l’emprisonnement à perpétuité comme forme de peine privative de liberté (chapitre 15 § 1). Les condamnés à l’emprisonnement à perpétuité pouvaient être libérés pour « bonne conduite » à condition d’avoir purgé au moins quinze ans de leur peine (chapitre 20 §§ 1 et 3).

52. La loi pénale de 1951, qui remplaça la loi de 1896 et fut rebaptisée code pénal en 1956, ne prévoyait pas l’emprisonnement à perpétuité comme forme de punition.

2. Le système de sanction en vertu du code pénal de 1968

53. L’article 36 du code pénal de 1968, qui a remplacé le code pénal de 1956, définit les buts de la sanction pénale. Son premier paragraphe affirme que la peine est infligée en vue de a) rééduquer le condamné et l’inciter à se conformer à la loi et à la bonne morale ; b) dissuader le condamné de commettre d’autres infractions ; et c) mettre en garde et dissuader les autres membres de la société. Le deuxième paragraphe énonce que la peine ne peut avoir pour objet d’infliger une souffrance physique ou de porter atteinte à la dignité humaine.

54. Les diverses sanctions pénales sont énumérées à l’article 37 du code, et les articles 38 à 52 en précisent les caractéristiques. Jusqu’en 1986, la plus longue peine possible était de vingt ans d’emprisonnement (article 39 §§ 2-3 du code, tel qu’il était libellé entre 1968 et 1986). En 1986, la peine maximale fut portée à trente ans d’emprisonnement.

55. En vertu des articles 37 § 2 et 38 du code, tels qu’ils étaient libellés avant l’abolition de la peine de mort en décembre 1998, les juridictions ne pouvaient prononcer la peine de mort que pour des infractions volontaires particulièrement graves et seulement si elles estimaient qu’une peine plus clémente ne pouvait permettre d’atteindre les objectifs de punition et de dissuasion poursuivis par la sanction pénale. En vertu de l’article 38 § 4 du code, la peine de mort ne pouvait pas être mise à exécution tant que le président n’avait pas examiné l’hypothèse de sa commutation.

56. Jusqu’en 1995, la sanction la plus sévère après la peine de mort était la peine d’emprisonnement jusqu’à trente ans dans des cas exceptionnels (article 39 § 2 du code, tel que libellé à partir de 1986). En 1995, une nouvelle sanction fut introduite : l’emprisonnement à perpétuité (доживотен затвор), défini par l’article 38 a) § 1 du code, nouvellement ajouté, comme le « confinement du condamné dans un établissement pénitentiaire jusqu’à la fin de sa vie ». Cette peine peut être commuée par un tribunal en une peine d’emprisonnement d’une durée de trente ans après que le condamné a purgé au moins vingt ans (article 38 a) § 3 du code).

57. Les dernières exécutions de condamnés à mort ont eu lieu en novembre 1989. Après un moratoire de fait sur les exécutions, un moratoire formel fut adopté par le Parlement le 20 juillet 1990. Pour plus de détails à ce sujet et sur les débats qui s’ensuivirent concernant l’abolition de la peine de mort, voir l’arrêt Iorgov c. Bulgarie (no 40653/98, §§ 12-28, 11 mars 2004).

58. L’abolition de la peine de mort prit effet le 27 décembre 1998. Au même moment, une nouvelle sanction fut introduite : l’emprisonnement à perpétuité non commuable (доживотен затвор без замяна). Cette peine remplaça la peine capitale dans les dispositions du code pénal de 1968 relatives à certaines infractions.

59. L’article 37 § 2 du code, tel que libellé après modification, se lit comme suit :

« Les infractions les plus graves qui menacent les fondements de la République et certaines autres infractions volontaires particulièrement graves sont passibles, à titre provisoire et exceptionnel, de l’emprisonnement à perpétuité non commuable. »

60. L’article 38 du code, tel que libellé après modification, se lit ainsi :

« 1. La peine de perpétuité non commuable (...) ne peut être prononcée que si l’infraction est particulièrement grave et si les buts [de la peine tels que] mentionnés à l’article 36 ne peuvent être atteints au moyen d’une peine plus clémente.

2. La peine de perpétuité non commuable ne peut être prononcée à l’égard d’une personne qui n’avait pas atteint l’âge de vingt ans au moment de la commission de l’infraction ou l’âge de dix-huit ans pour les personnes servant dans les forces armées ou en temps de guerre. La peine de perpétuité non commuable ne peut être prononcée à l’encontre d’une femme qui était enceinte au moment de la commission de l’infraction ou du prononcé de la peine. »

61. La partie pertinente de la note explicative qui accompagnait le projet de loi portant modification du code se lit comme suit :

« Le projet de loi propose de remplacer la peine de mort par une nouvelle sanction pénale : l’emprisonnement à perpétuité non commuable, qui diffère de l’emprisonnement à perpétuité. Cette sanction pénale écarte le détenu de la société, le privant ainsi de la possibilité de commettre d’autres infractions, et elle aura un effet dissuasif sur les auteurs d’infraction en puissance. »

62. Les débats parlementaires sur le projet de loi se tinrent le 27 novembre 1998 (première lecture) et le 10 décembre 1998 (deuxième lecture).

63. Au cours du premier de ces débats, nombre de parlementaires se prononcèrent en faveur de l’abolition de la peine de mort. Dans le même temps, un parlementaire déclara qu’il ne soutiendrait cette proposition que si elle était accompagnée de l’introduction d’une peine de perpétuité réelle. Il fut également proposé que l’irréversibilité d’une telle peine puisse être remise en cause par l’exercice du droit de grâce présidentielle. Un autre parlementaire souligna que l’opinion publique pouvait difficilement être considérée comme favorable à l’abolition de la peine de mort et qu’il fallait assurer à la société que ceux qui échapperaient à la peine de mort resteraient totalement isolés. Pour sa part, le ministre de la Justice promit de modifier substantiellement la législation relative à l’exécution des sanctions pénales en vue d’isoler les condamnés à la perpétuité réelle et d’éviter qu’ils ne commettent d’autres infractions en prison ou ne jouissent de conditions de détention confortables. Il ajouta que le degré d’isolement devait être calibré avec précaution afin de ne pas porter atteinte aux droits de l’homme des intéressés.

64. Au cours du deuxième de ces débats, un parlementaire observa qu’il serait paradoxal d’avoir deux types de peine de perpétuité, mais qu’il pouvait l’accepter à titre provisoire. Il ajouta que, de son point de vue, le droit de grâce présidentielle ne pouvait être restreint par la loi. Cependant, un autre parlementaire affirma qu’il convenait de prendre des dispositions, le cas échéant en limitant l’étendue du droit de grâce présidentielle, pour empêcher ceux qui, sans cet amendement, auraient été condamnés à la peine de mort de pouvoir retrouver un jour la liberté. Un autre membre du Parlement exprima le point de vue selon lequel le libellé des nouvelles dispositions du code empêcherait l’exercice du droit de grâce présidentielle en faveur des condamnés à une peine de perpétuité réelle.

65. En conséquence, depuis l’abolition de la peine de mort, le code prévoit trois types de peines privatives de liberté : l’emprisonnement pour une durée déterminée pouvant aller jusqu’à trente ans, l’emprisonnement à perpétuité commuable et l’emprisonnement à perpétuité non commuable. Aucune infraction n’est passible du seul emprisonnement à perpétuité non commuable.

66. Par deux décrets des 25 janvier et 6 mars 1999, le vice-président de la République commua toutes les peines capitales qui étaient devenues définitives mais n’avaient pas encore été exécutées en peine de perpétuité commuable (dans un cas) ou non commuable (dans vingt et un cas).

3. Le système de condamnation dans le nouveau projet de code pénal

67. Le 31 janvier 2014, le gouvernement présenta au Parlement un projet de code pénal visant à remplacer le code pénal de 1968. Ce projet ne prévoit pas l’emprisonnement à perpétuité non commuable ; il se limite à l’emprisonnement à perpétuité. Sa partie pertinente en l’espèce se lit ainsi :

Article 47 – Types de sanctions

« (...)

2. Les infractions volontaires particulièrement graves sont passibles de l’emprisonnement à perpétuité. »

Article 48 – Prison à vie

« 1. La peine de perpétuité consiste en l’isolement du condamné dans un établissement pénitentiaire jusqu’à la fin de sa vie.

2. La peine de perpétuité peut être prononcée lorsque l’infraction est d’une particulière gravité par rapport à des infractions du même type et que les buts de la peine ne peuvent être atteints au moyen d’une peine plus clémente.

3. La prison à vie ne peut être prononcée à l’égard :

a) d’une personne qui n’avait pas atteint l’âge de vingt ans au moment de la commission de l’infraction ;

b) d’une femme qui était enceinte au moment de la commission de l’infraction ou du prononcé de la peine. »

Article 49 – Commutation de l’emprisonnement
à perpétuité en emprisonnement à temps

« 1. La part restante de la peine de perpétuité peut être remplacée par un emprisonnement d’une durée de quinze ans si le condamné a purgé au moins quinze ans et qu’il a, à travers sa conduite, fait la preuve de son amendement.

(...)

3. Le terme de l’emprisonnement au titre du paragraphe 1 doit être purgé séparément de l’emprisonnement à perpétuité déjà purgé. »

68. La note explicative qui accompagnait le projet de code explique, en ce qui concerne l’emprisonnement à perpétuité (page 8) :

« L’emprisonnement à perpétuité non commuable doit être aboli en ce qu’il est désormais perçu comme trop inhumain en raison de l’absence d’espoir pour les personnes condamnées.

Il est, d’autre part, proposé de conserver la peine d’emprisonnement à perpétuité commuable. Compte tenu de la dureté exceptionnelle de cette peine, les cas dans lesquels elle peut être prononcée doivent être limités. Elle doit être réservée aux cas où l’infraction est d’une particulière gravité par rapport à des infractions du même type et lorsque les buts de la peine ne peuvent être atteints au moyen d’une peine plus clémente. Pour des raisons humanitaires, il est envisagé que cette sanction pénale ne puisse être prononcée à l’égard des condamnés qui n’avaient pas atteint l’âge de vingt ans au moment de la commission de l’infraction ou des femmes qui étaient enceintes au moment de la commission de l’infraction ou du prononcé de la peine. »

69. Le Parlement n’a pas encore débattu du projet.

B. La grâce, l’aménagement de la peine et l’applicabilité de ces mesures à l’emprisonnement à perpétuité

1. La libération conditionnelle

70. En vertu de l’article 70 § 1 du code pénal de 1968, la libération conditionnelle ne peut s’appliquer qu’aux peines d’emprisonnement à temps. Les condamnés à l’emprisonnement à perpétuité ne peuvent accéder à la libération conditionnelle.

2. La commutation de la peine par décision judiciaire

71. Le code de procédure pénale de 1974 et le code de procédure pénale de 2005 disposent qu’un tribunal régional peut, à la demande du procureur régional, commuer une peine de perpétuité en une peine d’emprisonnement à temps (articles 427-428 du code de 1974 et articles 449-450 du code de 2005). Le tribunal régional rend une décision motivée ; en cas de décision négative, celle-ci peut être contestée devant les juridictions de deuxième instance. Si la proposition du procureur est rejetée, aucune autre demande de commutation ne pourra être présentée pendant deux ans. La législation ne prévoit pas que le procureur puisse demander un aménagement de peine pour les condamnés à la perpétuité réelle.

3. La grâce présidentielle

a) Le contexte juridique

i. Les dispositions constitutionnelles et légales

72. En vertu de l’article 98 point 11 de la Constitution de 1991, qui est entrée en vigueur le 13 juillet 1991, le droit de grâce est une prérogative du président de la République.

73. À cette date, l’article 74 du code pénal de 1968, qui délimite la portée de ce pouvoir présidentiel, se lisait ainsi :

« Le président peut utiliser son droit de grâce pour accorder la grâce relativement à tout ou partie d’une peine et, en cas de peine de mort, accorder la grâce ou commuer la peine. »

74. Depuis le 13 octobre 2006, date d’entrée en vigueur de l’amendement adopté à cet effet, l’article 74 du code prévoit que les pouvoirs du président relatifs à la peine de mort s’appliquent aussi aux peines de perpétuité, qu’elles soient commuables ou non.

75. Il s’agit là d’un pouvoir discrétionnaire que le président délègue traditionnellement depuis 1991 au vice-président de la République, conformément à l’article 104 de la Constitution de 1991. Son exercice n’est pas soumis au contrôle des juridictions ordinaires (опр. № 2429 от 20 февруари 2012 г. по адм. д. № 817/2012 г., ВАС, ІІІ о.).

ii. La décision de la Cour constitutionnelle no 6 de 2012

76. Dans sa décision no 6 du 11 avril 2012 (реш. № 6 от 11 април 2012 г. к. д. № 3/2012 г., обн., ДВ, бр. 15 от 2012 г.), rendue sur une requête qui émanait de soixante et un parlementaires, la Cour constitutionnelle a livré une interprétation contraignante de l’article 98 point 11 de la Constitution de 1991 (paragraphe 72 ci-dessus). Elle a déclaré inconstitutionnelle la décision du Parlement du 15 février 2012 d’établir un comité ad hoc chargé de conduire une enquête, entre autres, sur la manière dont le président et le vice-président précédents avaient exercé leur droit de grâce au cours de leurs deux mandats du 22 janvier 2002 au 22 janvier 2012, en ce qu’elle constituait un excès de pouvoir et violait le principe de séparation des pouvoirs (paragraphe 89 ci-dessous). Pour la haute juridiction, le droit de grâce tel qu’actuellement prévu est l’équivalent moderne du droit de grâce royale, basé sur un principe d’humanité. Pour cette raison, il ne peut être lié à des objectifs particuliers, mais doit être exercé par le président – ou le vice-président par délégation – sur la base des circonstances particulières de chaque affaire. Il peut être exercé dès le moment où la peine devient définitive et consister en une commutation totale ou partielle de la peine ou son remplacement par une peine plus clémente. Il ne porte pas atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire, en ce qu’il n’a pas d’influence sur la déclaration de culpabilité de la personne, mais se contente de la dispenser de purger une partie de la peine prononcée par les juridictions pénales. Les modalités d’exercice de ce droit peuvent être établies par la loi, mais le Parlement ne peut pas définir ou restreindre les bases de son exercice ni en influencer les motifs. De même qu’il n’est pas possible de limiter les types de sanctions pénales auxquelles ce droit pourrait s’appliquer ou d’exclure un certain type de condamnés de son champ d’application.

77. Le droit d’accorder la grâce, qui est, en quelque sorte, une exception au principe d’égalité devant la loi, est basé sur le besoin de mettre en œuvre certaines valeurs constitutionnelles prédominantes qui ne peuvent être protégées par le biais de dispositions de loi abstraites. Il est par conséquent implicite dans la Constitution que ce droit doit être exercé de manière non arbitraire et soumis au devoir de mettre en œuvre les valeurs et principes constitutionnels. Il en découle que la Constitution exige du président, dans l’exercice de ce droit, qu’il prenne en compte l’équité, l’humanité, la compassion, la pitié, mais aussi l’état de santé et la situation familiale du condamné. Dans les cas où l’exercice du droit de grâce ne concerne pas toute la peine, mais seulement une partie de celle-ci, il est très important de prendre en considération les changements positifs dans la personnalité du condamné. Le président n’a pas le devoir de motiver sa décision, de même que le pouvoir législatif ne peut en aucune manière restreindre son droit de grâce ou lui demander de motiver sa décision. En effet, si les décisions étaient motivées, le président ou le vice-président pourraient être contraints d’accorder par la suite la grâce dans des circonstances identiques et les condamnés pourraient se croire titulaires d’un droit à la grâce dès lors qu’ils rempliraient les conditions définies par les décrets de grâce précédents.

78. Parallèlement, le président a le devoir de respecter le droit de chacun à l’égalité devant la loi. Il est par conséquent nécessaire d’instaurer des garanties pour s’assurer que le président traite toutes les demandes de grâce de la même manière et applique le même critère à toutes. Naturellement, ce critère ne peut pas être imposé au président par le pouvoir législatif, car cela porterait atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. En revanche, le président est en position de définir les modalités d’exercice de son droit de grâce et un critère général pour le guider. Une telle déclaration politique rendrait l’exercice pratique de ce droit transparent et stable. Le président ou le vice-président pourraient ainsi faire connaître, au début de leur mandat, les critères censés être appliqués dans le traitement des demandes de grâce.

79. Le président peut à tout moment – au début de son mandat ou plus tard – déléguer le droit d’accorder la grâce au vice-président, qui peut l’exercer de la même manière que le président. La délégation peut être retirée à tout moment et elle n’empêche pas le président d’exercer lui-même le droit délégué. En cas de réélection du président et du vice-président pour un deuxième mandat, la délégation du premier mandat subsiste et ne doit pas être renouvelée.

80. Les décrets de grâce présidentielle ne sont pas assujettis à la cosignature d’un ministre du gouvernement. Ils entrent en vigueur dès leur signature et ne peuvent faire l’objet d’un contrôle par une autre autorité, de même qu’ils ne peuvent être retirés ou modifiés par le président après leur entrée en vigueur. En ce sens, une fois accordée, la grâce est irrévocable et le bénéficiaire ne peut être contraint de purger à nouveau sa peine en raison de sa conduite. La grâce, qu’elle soit totale ou partielle, ne peut pas non plus être soumise à conditions.

81. Aucune exigence constitutionnelle n’impose que les décrets de grâce soient publiés au Journal officiel. Ni la décision ni ces décrets ne doivent être rendus publics, compte tenu de l’équilibre délicat à trouver entre la vie privée, les données personnelles et la dignité du bénéficiaire d’une grâce, d’une part, et le droit de l’opinion publique à être informée de la manière dont les autorités publiques gèrent les questions d’intérêt public, d’autre part. La pratique au cours des vingt dernières années a été de ne pas publier les décrets de grâce à moins que la personne concernée ne consente à leur publication. Cependant, rien n’empêche de demander qu’ils soient publiés. Le pouvoir législatif est compétent pour décider sur cette question.

82. Les décrets de grâce, comme tous les autres décrets émanant du président ou du vice-président, ne constituent pas des décisions administratives et ne peuvent être assimilés à de tels actes. Partant, ils ne sont pas assujettis au contrôle juridictionnel et, en vertu de l’article 149 § 1 point 2 de la Constitution, ils ne peuvent être contestés, pour inconstitutionnalité, que devant la Cour constitutionnelle par toute autorité ou personne autorisée à saisir la haute juridiction au titre de l’article 150 de la Constitution : un cinquième des 240 parlementaires, le président, le Conseil des ministres, la Cour suprême de cassation, la Cour suprême administrative ou le procureur général.

83. Dans une opinion partiellement dissidente, trois juges constitutionnels ont estimé, entre autres, qu’il ne serait pas inacceptable que la loi demande au président de motiver ses décrets de clémence. En effet, une telle motivation montrerait que ces décrets ne sont pas arbitraires et faciliterait grandement leur contrôle par la Cour constitutionnelle.

b) L’exercice du droit de grâce présidentielle pendant la période 2002-2012

84. Le président et le vice-président précédents furent en poste durant deux mandats : le premier ayant couru du 22 janvier 2002 au 22 janvier 2007, le second du 22 janvier 2007 au 22 janvier 2012.

85. Entre le 1er janvier 2002 et le 31 décembre 2009, le vice-président reçut 6 967 demandes de grâce, dont 477 furent accueillies favorablement.

86. Dans la pratique, un comité de fonctionnaires de l’administration présidentielle examinait les demandes de grâce et faisait des propositions au vice-président. Pour se faire une opinion sur chaque cas, le comité prenait en compte la position des conseillers juridiques du président sur la politique criminelle et s’appuyait sur les informations relatives au condamné fournies par l’administration pénitentiaire. Avant de prendre sa décision, le vice-président pouvait également entendre le détenu.

87. Selon un rapport établi par le directeur général de l’administration pénitentiaire en date du 15 septembre 2009, environ 100 demandes de grâce avaient été soumises aux vice-présidents successifs par des détenus purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité non commuable ; aucune d’entre elles n’avait été accueillie favorablement. Le chef de cabinet du vice-président indiqua qu’entre le 21 janvier 2002 et le 7 septembre 2009, le comité avait reçu 29 demandes de grâce émanant de 16 personnes condamnées à l’emprisonnement à perpétuité ; aucune d’entre elles n’avait été accueillie favorablement. Il expliqua, en outre, qu’il n’était pas demandé au vice-président de motiver sa décision de refus, mais que les détenus concernés pouvaient renouveler leurs demandes de grâce sans limitation. Dans un rapport publié en avril 2010, le Comité Helsinki de Bulgarie mentionna également cette information et ajouta que ses recherches avaient montré que même avant janvier 2002 aucune personne purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité non commuable n’avait bénéficié d’une grâce présidentielle (paragraphe 175 ci‑dessous).

88. Les requérants ont présenté quatre lettres datées des 27 juin 2006, 29 novembre 2007 et 17 février 2011, dans lesquelles l’administration présidentielle informait deux condamnés à perpétuité, en des termes identiques, que leurs « demandes de grâce [avaient été] dûment prises en considération et rejetées ». Les lettres ne contiennent aucun détail particulier.

c) La décision adoptée par le Parlement le 15 février 2012 de mettre en place un comité ad hoc pour enquêter, entre autres, sur l’exercice du droit de grâce présidentielle entre le 22 janvier 2002 et le 22 janvier 2012

89. Le 15 février 2012, le Parlement décida de mettre en place un comité ad hoc ayant pour mandat de conduire une enquête, entre autres, sur la manière dont les anciens président et vice-président avaient exercé leur droit de grâce au cours de leurs deux mandats, entre le 22 janvier 2002 et le 22 janvier 2012 (paragraphe 84 ci-dessus). Peu de temps après, le 11 avril 2012, la Cour constitutionnelle déclara cette décision inconstitutionnelle en ce qu’elle constituait un excès de pouvoir et violait le principe de la séparation des pouvoirs (paragraphe 76 ci-dessus). En réponse, le Parlement décida, le 16 mai 2012, de mettre en place un comité ad hoc ayant pour mandat de conduire une enquête, entre autres, sur la manière dont les fonctionnaires des différents services avaient exercé leurs fonctions en la matière. Dans son rapport, publié le 1er novembre 2012, le comité observa, entre autres, que l’ancien vice-président, auquel le président avait délégué le droit de grâce, avait été conseillé par une commission spéciale. La pratique de cette commission était d’obtenir du directeur de la prison, du médecin et du psychologue des informations, notamment des évaluations psychologiques, concernant les détenus qui avaient demandé la grâce (paragraphes 85-88 ci-dessus). Il est toutefois impossible de savoir si toutes les informations qui figuraient dans les dossiers personnels des détenus ont pleinement été prises en compte dans les données fournies à cette commission. Il importe également de noter que l’administration présidentielle arrivée au pouvoir en janvier 2012 a considérablement augmenté le niveau de transparence du système de grâce (paragraphes 90-107 ci-dessous). Selon le comité, aucun critère légal ne régit l’évaluation de la conduite ou du profil psychologique du condamné qui demande la grâce présidentielle. La fourniture d’informations sur ces points est par conséquent entièrement à la discrétion des fonctionnaires compétents. Il est donc nécessaire de légiférer sur ce point et d’introduire une obligation légale pour la publication des décrets de grâce présidentielle. La pratique de l’administration présidentielle en charge de la publication de rapports était tout à fait appropriée, mais elle ne peut pas lier les futures administrations présidentielles.

d) L’exercice du droit de grâce présidentielle pendant la période 2012-2013

i. Les règles de procédure internes

90. Par deux décrets en date du 23 janvier 2012, le président nouvellement élu, qui avait pris ses fonctions la veille, décida, comme ses prédécesseurs, de déléguer le droit d’accorder la grâce au vice-président. Il mit également en place une commission de grâce pour conseiller le vice-président dans l’exercice de ce droit et adopta des règles de procédure régissant le travail de la commission.

91. La règle 1 § 3 de ces règles dispose que, dans l’exercice de ses fonctions, la commission doit, entre autres, prendre en compte la jurisprudence pertinente des juridictions internationales et des autres organes sur l’interprétation et l’application des instruments internationaux de protection des droits de l’homme applicables à la Bulgarie. La commission se réunit deux fois par mois (règle 5 § 2). Chacune des demandes de grâce est assignée à un membre de la commission, qui doit soumettre un rapport (règle 4 § 1 point 1) dans un délai de deux semaines (règle 6). Les décisions sont prises à la majorité, le président ayant une voix prépondérante en cas d’égalité (règle 5 § 4). Le président de la commission avise alors le vice-président des recommandations de cette dernière (règle 4 § 1 point 5). Les détenus qui ont sollicité la grâce doivent être informés par écrit de la décision du vice-président et, tous les trois mois, la commission doit publier un rapport sur ses activités.

ii. Le travail accompli par la Commission de grâce en 2012

92. Dans la pratique, tout au long de l’année 2012, la Commission de grâce publia des rapports mensuels.

93. Le 24 janvier 2013, la commission publia son premier rapport annuel, qui fut approuvé par le vice-président. Il s’agit d’un document complet contenant des informations sur les activités de la commission en 2012, des informations analytiques sur les types de motivation à l’appui des demandes de grâce au cours de l’année, des données statistiques, l’approche de la commission quant à l’examen des demandes de grâce, le type d’issue suggéré par la commission (non-examen de la demande, refus, grâce totale ou partielle) et les conclusions et recommandations de la commission.

94. D’après le rapport, 840 personnes ont soumis 988 demandes de grâce présidentielle en 2012. Soixante-cinq d’entre elles ont soumis plus d’une demande. La grande majorité des demandes (98 %) soumises par les détenus (par opposition à des demandes soumises par des proches) s’appuyaient sur une ou plusieurs des raisons suivantes : 34 % sur l’attitude du condamné par rapport à l’infraction commise, dont certains détenus exprimant leurs regrets et d’autres cherchant à justifier leurs actes ou contestant le bien-fondé de leur condamnation ou de leur peine ; 18 % sur l’amendement du condamné à la suite de son incarcération ; 48 % sur des motifs humanitaires (difficultés familiales, nécessité de s’occuper d’enfants ou de proches âgés, nécessité d’apporter une aide financière aux membres de leur famille, nécessité de se réconcilier avec les membres de leur famille, problèmes de santé, âge avancé) ; et 7 % cherchaient à décrire les détenus comme des victimes de la prison, des tribunaux ou du système, certains mentionnant les effets pathogènes de l’incarcération ou l’impossibilité d’un développement personnel en prison. Les 2 % restants n’indiquaient pas de motifs particuliers. Seules quatre requêtes ont été soumises non par la personne concernée elle-même mais par un représentant juridique.

95. En 2012, la commission s’est réunie 33 fois, à raison de trois à cinq fois par mois.

96. La pratique de la commission s’est appuyée sur l’idée que la grâce est un moyen subsidiaire de diminuer la peine et qu’elle n’est applicable que dans des situations où il n’y a pas d’autre moyen d’alléger la répression pénale et où la poursuite de l’exécution de la peine est par ailleurs moralement injustifiable et contraire à l’esprit de la loi en ce que, compte tenu de l’évolution intervenue après la condamnation, la situation du condamné est devenue anormale et la poursuite de l’exécution de la peine, loin des effets bénéfiques attendus, inutilement répressive et contraire aux objectifs humanistes de la politique pénale.

97. Lors de l’examen de chaque demande de grâce, la commission a pris en considération tous les aspects relatifs au détenu : l’existence d’un mode de conduite criminel et ses caractéristiques ; la gravité de l’infraction ; les particularités de l’environnement criminel ; les mobiles de l’infraction ; la conduite postérieure à la commission de l’infraction ; le casier judiciaire, y compris l’effectivité des sanctions pénales précédentes ; les victimes ; le temps écoulé depuis la commission de l’infraction et depuis que la condamnation et le prononcé de la peine étaient devenus définitifs ; les interruptions dans l’exécution de la peine ; la part de la peine déjà purgée et la manière dont elle avait été purgée ; les perspectives de développement personnel du condamné, y compris le risque de récidive ; la réussite du processus correctionnel ; le degré de réalisation des objectifs de la peine ; la disponibilité de personnes ou institutions pour resocialiser le détenu ; l’état de santé du détenu et ses effets sur l’exécution de la peine ; la situation familiale du détenu et ses effets sur ses obligations légales ou morales (état de santé et âge des membres de la famille du détenu ou existence de grossesses, enfants en bas âge ou membres de la famille sans emploi) ; les modifications de la loi, postérieures à la condamnation, ayant pu abolir ou réduire la responsabilité pénale pour les actes commis par le détenu ; et l’existence d’autres moyens pour alléger la répression pénale.

98. La commission a proposé au vice-président d’accorder la grâce à trois détenus.

99. L’un d’entre eux était âgé de cinquante-huit ans, il avait été condamné à mort en 1990 pour meurtre, infliction de lésions corporelles graves et viol, et sa condamnation à mort avait été commuée en emprisonnement à perpétuité en 1999 à la suite de l’abolition de la peine capitale en Bulgarie (paragraphe 58 ci-dessus). En 2012, il avait demandé que sa peine soit commuée en emprisonnement à perpétuité en invoquant son repentir, son bon comportement et l’inhumanité de sa peine. La commission nota qu’il avait déjà passé vingt-deux ans en prison, dont dix-huit à l’isolement, sous le « régime spécial » applicable aux condamnés à perpétuité (paragraphes 115-116, 118 et 121 ci-dessous). La commission examina son cas pendant six mois et trouva une circonstance particulière – un changement positif et durable de sa personnalité – qui rendait intolérable pour lui de continuer à purger une peine d’emprisonnement à perpétuité non commuable. Ce développement fut établi de manière incontestable sur la base des documents disponibles, des rapports des experts qui avaient travaillé avec le détenu au cours de son incarcération, du rapport d’un expert psychologue obtenu par la commission et d’une évaluation, basée sur différentes méthodes, du risque de récidive. Tous ces éléments montraient que le détenu était très différent d’autres condamnés à perpétuité et détenus purgeant une longue peine. Ses penchants criminels avaient laissé la place à la compassion envers les autres détenus et à la reconsidération des infractions commises. Le profil du détenu montrait un processus correctionnel réussi, ce qui était rare même pour des personnes condamnées pour des infractions similaires et purgeant des peines bien plus courtes que la période qu’il avait déjà passée en prison. Ces facteurs le plaçaient hors du champ d’application de l’article 38 § 1 du code pénal de 1968 (paragraphe 60 ci-dessus).

100. La commission estima que la commutation de la peine du détenu en emprisonnement à perpétuité servirait les objectifs de la sanction pénale et ne diminuerait en rien la condamnation morale de ses actes. La commutation ne reviendrait pas à lui pardonner son passé criminel, mais représenterait une reconnaissance des efforts consentis par lui pour s’éloigner de son passé. Elle montrerait également aux autres condamnés à une peine de perpétuité non commuable qu’ils pouvaient améliorer leur situation, car leurs efforts seraient reconnus par la société, qui continuait à les considérer comme ses membres. Enfin, la commutation de l’emprisonnement à perpétuité non commuable en emprisonnement à perpétuité commuable n’augmenterait pas le risque de récidive.

101. La commission proposa au vice-président de commuer la peine du détenu le 20 décembre 2012, et le vice-président donna son accord qu’il formalisa par un décret en date du 21 janvier 2013.

102. Le 11 février 2013, un quotidien national, 24 Hours, publia un article au sujet de ce détenu. L’article affirmait, entre autres, que la personne qui avait été l’instrument de sa réhabilitation était un inspecteur pénitentiaire à la retraite qui avait travaillé avec lui pendant près de quinze ans. Le détenu s’était ainsi convaincu que tout le monde pouvait changer à condition de rencontrer les bonnes personnes, raison pour laquelle il aidait les autres détenus.

iii. Le travail de la Commission de grâce en 2013

103. Tout au long de l’année 2013, la Commission de grâce continua à publier des rapports mensuels exposant des données statistiques et des informations détaillées sur les raisons sous-jacentes aux propositions de grâce faites au vice-président. Selon les informations figurant sur le site Internet de la commission, 419 personnes ont soumis 475 demandes de grâce en 2013, et la commission a proposé au vice-président d’accorder la grâce à trois détenus. Elle a reçu six demandes de personnes purgeant une peine de perpétuité réelle. Dans son rapport couvrant la période juillet-août 2013, la commission déclara avoir examiné deux de ces requêtes et recommandé leur rejet au motif que les personnes concernées n’avaient pas fait montre de suffisamment de progrès sur la voie de l’amendement.

104. Le rapport annuel de la commission pour 2013 fut publié en février 2014. À l’instar du rapport de 2012, il s’agit d’un document complet qui contient des informations sur les travaux menés par la commission en 2013, des informations analytiques sur les motifs invoqués à l’appui des demandes de grâce au cours de l’année, des données statistiques, une description de la démarche mise en œuvre par la commission pour l’examen des demandes de grâce, le type d’issue suggéré par la commission (non-examen de la demande, refus, grâce totale ou partielle) et les conclusions et recommandations de la commission.

105. Il ressort du rapport qu’en 2013 la commission a traité 587 demandes de grâce (environ 45 par mois), soumises par 420 personnes. À l’exception de 23 d’entre elles, toutes concernaient des détenus. Dans 387 cas les condamnés avaient soumis leur demande personnellement, dans 34 cas la demande avait été soumise par un proche et dans 11 cas elle l’avait été par des représentants juridiques. 31 % des demandes invoquaient le prétendu repentir du condamné ; 33 % la dureté excessive de la peine, l’absence de reconnaissance de l’amendement du condamné et l’impossibilité d’un quelconque développement personnel en prison ; 68 % des motifs humanitaires (âge avancé, maladie, nécessité de s’occuper de proches malades, indigence, nécessité d’apporter une aide financière aux membres de leur famille) ; 4 % un prétendu amendement, le travail effectué en prison, une prétendue bonne conduite et le fait d’avoir purgé plus de la moitié de la peine ; 16 % le caractère prétendument excessif de la peine, la longueur prétendument excessive de la procédure pénale, la prétendue inexactitude de la condamnation, etc. ; et 8 % la prétendue innocence du demandeur.

106. En 2013, la commission s’est réunie 32 fois.

107. En 2013, la commission a totalement adhéré à sa pratique antérieure et pris en considération les mêmes facteurs (paragraphe 97 ci-dessus) lors de l’examen des demandes de grâce. Elle a proposé au vice-président d’accorder la grâce à neuf prisonniers. Au 21 janvier 2014, le vice-président avait accepté sept des propositions et en avait rejeté une. Le rapport donne un résumé des motifs pour chacune des propositions.

C. Les principes généraux relatifs aux conditions de détention

108. L’article 31 § 5 de la Constitution de 1991 prévoit que les conditions de détention doivent permettre aux détenus d’exercer les droits fondamentaux qui n’ont pas été restreints en application de leur peine.

109. L’article 8 § 2 point 1 de la loi sur l’exécution des peines de 1969, tel que libellé après juin 2002, prévoyait que les détenus étaient réinsérés, entre autres, grâce à des conditions de détention préservant leur santé physique et mentale et leur dignité humaine.

110. L’article 3 § 1 de la loi de 2009 sur l’exécution des peines et la détention préventive, qui a remplacé la loi de 1969 le 1er juin 2009, dispose que les détenus ne doivent pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. L’article 3 § 2 définit la torture et les traitements inhumains et dégradants comme étant a) tout acte ou omission intentionnels qui cause une douleur ou une souffrance physique graves, à l’exception de celles résultant de l’usage de la force, de moyens auxiliaires ou d’armes à feu autorisés par la loi ; b) le placement intentionnel dans de mauvaises conditions de détention caractérisées par un manque d’espace vital, de nourriture, d’habillement, de chauffage, d’éclairage, de ventilation, de soins médicaux, d’exercice physique, par un isolement prolongé sans contacts humains ou par tout autre acte ou omission coupables de nature à porter atteinte à la santé de la personne ; et c) un traitement humiliant qui diminue la dignité du condamné, l’oblige à commettre ou à subir des actes contre sa volonté, ou fait naître en lui des sentiments de peur, de vulnérabilité ou d’infériorité. L’article 3 § 3 prévoit que ces actes ou omissions incluent ceux commis par un fonctionnaire public ou par toute autre personne à l’instigation d’un fonctionnaire public, explicitement ou tacitement, ou de connivence avec celui-ci.

111. L’article 40 § 2 point 1 prévoit que les détenus sont réinsérés, entre autres, grâce à des conditions de détention préservant leur santé physique et mentale et leur dignité humaine.

112. L’article 90 § 6 (paragraphe 5 avant le 1er janvier 2013) prévoit que les détenus ne peuvent être condamnés à une sanction disciplinaire pour avoir adressé des demandes ou des réclamations.

D. L’évaluation des risques des détenus

113. L’article 47 § 1 de la loi de 2009 sur l’exécution des peines et la détention préventive prévoit que les détenus entrants doivent être placés dans un quartier réservé aux nouveaux arrivants, où ils resteront entre quinze et trente jours. Dans les deux jours de l’arrivée du détenu dans ce quartier, l’administration de la prison doit compiler un dossier personnel (article 54 § 1 de la loi de 2009 et article 31 § 1 du règlement d’application de la loi, adopté le 2 février 2010). L’article 55 § 2 de la loi de 2009 prévoit qu’avant que le détenu ne quitte ce quartier, le travailleur social, le médecin et le psychologue attachés à la prison doivent établir une évaluation de sa personnalité, de son état de santé et de sa capacité à travailler, et faire des recommandations concernant le travail collectif ou individuel avec le détenu. À compter du 1er janvier 2013, ce paragraphe a subi un ajout prévoyant que l’évaluation doit aussi concerner le risque de récidive ou de dommage. Dans le même temps, l’article 55 a été complété par un nouveau paragraphe 3 aux termes duquel les détenus qui purgent une peine perpétuelle, commuable ou non, ceux qui purgent une peine de plus de dix ans d’emprisonnement, ou ceux dont le risque est estimé « très élevé » ou « élevé », doivent dans tous les cas être soumis à une évaluation psychologique. Pour les autres détenus, une telle évaluation peut être réalisée à la demande de l’inspecteur pénitentiaire en charge des activités sociales et de la réinsertion.

E. Le régime des condamnés à perpétuité

1. La loi de 1969 sur l’exécution des peines

114. Jusqu’au 1er juin 2009, le régime des condamnés à perpétuité était régi par les articles 127 a) à 127 e) de la loi de 1969 sur l’exécution des peines, ajoutés en 1995 lorsque l’emprisonnement à perpétuité fut introduit comme forme de sanction (paragraphe 56 ci-dessus), et par le règlement d’application de cette loi, adopté en 1990 puis amendé à plusieurs reprises. Après la réforme de juin 2002, la loi prévoyait expressément que les condamnés à une peine de perpétuité non commuable étaient soumis au même régime de détention que ceux purgeant une peine de perpétuité commuable.

115. L’article 127 b) § 1 prévoyait que, lorsqu’il prononçait une peine de perpétuité, le tribunal devait ordonner que le régime le plus strict, dit « spécial », soit appliqué au condamné. En revanche, s’il prononçait une peine d’emprisonnement à temps, le tribunal disposait d’une certaine marge d’appréciation (article 51) pour choisir entre les différents régimes disponibles : « léger », « général », « strict » ou « amélioré » (article 43 § 1). Les détenus purgeant une peine perpétuelle non commuable sous le régime « spécial » étaient placés dans des cellules individuelles verrouillées et soumis à une sécurité et à une surveillance renforcées (articles 56 § 1, 167 c) et 167 d) § 1 du règlement d’application). Ceux placés en « régime amélioré » étaient dans des cellules verrouillées la nuit et ne pouvaient effectuer de travaux d’entretien en prison ni aucun autre type de travail extérieur (article 55 §§ 1 et 4 du règlement d’application). Les détenus placés en « régime amélioré » pouvaient, sur décision du directeur de la prison, être placés dans des cellules verrouillées en permanence si, en raison de la gravité de l’infraction commise ou de la longueur de leur peine, ils pouvaient être considérés comme dangereux ou s’ils contrevenaient manifestement et systématiquement à l’ordre interne ou avaient une influence négative sur les autres détenus (article 56 § 1 du règlement d’application).

116. En vertu de l’article 127 b) § 2 et de l’article 167 d) § 2 du règlement d’application, après cinq ans d’emprisonnement en exécution de leur peine, les condamnés à perpétuité pouvaient être soumis à un régime plus clément en cas de bonne conduite. Le temps passé en détention préventive ne comptait pas aux fins du calcul de cette période (article 167 § 2 du règlement d’application). La décision de soumettre un condamné à perpétuité à un régime plus clément devait être prise par une commission spéciale composée de membres du personnel pénitentiaire et de divers autres fonctionnaires (article 17 §§ 1 et 5 point 1) ; en revanche, la décision de le soumettre à un régime plus dur devait être prise par le tribunal régional, sur proposition de cette commission (article 17 § 5 point 2). Toutes les propositions en ce sens devaient être basées sur une évaluation du risque que le détenu présentait pour lui-même, pour les autres détenus et pour les membres du personnel pénitentiaire (article 17 a)). En vertu de l’article 58, les décisions de la commission pouvaient être annulées par le ministre de la Justice. Lorsqu’un condamné à perpétuité était placé en « régime strict », la commission pouvait décider de le placer avec la population pénitentiaire générale si elle estimait qu’il ne présentait pas de risque pour lui-même, pour les autres détenus ou pour les membres du personnel pénitentiaire (article 127 b) § 4, ajouté en juin 2002).

2. La loi de 2009 sur l’exécution des peines et la détention préventive

117. En juin 2009 et février 2010, la loi de 1969 et son règlement d’application furent remplacés respectivement par la loi de 2009 sur l’exécution des peines et la détention préventive et son règlement d’application, adopté le 2 février 2010.

118. L’article 61 § 1 de la loi de 2009 prévoit que, lorsqu’il prononce une peine de perpétuité, commuable ou non, le tribunal doit ordonner le placement du condamné en « régime spécial » (les trois régimes applicables en prison sont le « régime spécial », le « régime sévère » et le « régime général » – article 65 § 2). En vertu de l’article 71 § 2, les personnes placées en « régime spécial » doivent être enfermées dans des cellules verrouillées en permanence et soumises à une surveillance renforcée. L’article 71 § 3, ajouté en décembre 2012 et entré en vigueur le 1er janvier 2013, prévoit que les condamnés à une peine de perpétuité non commuable et placés en « régime sévère » doivent de préférence être enfermés dans des cellules verrouillées en permanence et sous une surveillance renforcée, à moins qu’il ne soit possible, au regard des conditions de l’article 198 § 2 (paragraphe 121 ci-dessous), de les détenir avec la population pénitentiaire générale. Selon la note explicative qui accompagnait cet amendement, la nouvelle disposition était nécessaire pour éviter que des condamnés à perpétuité dont le régime serait passé de « spécial » à « sévère » ne pussent introduire des recours contre le fait qu’on les maintînt constamment enfermés à clé (paragraphes 130-134 ci-dessous).

119. Les articles 197 à 199 concernent spécifiquement le régime applicable aux condamnés à une peine de perpétuité, commuable ou non.

120. L’article 197 § 1 prévoit que ces deux peines doivent être purgées dans des établissements prévus à cet effet ou, à défaut, dans des quartiers séparés d’autres prisons. L’article 197 § 2 prévoit qu’en l’absence de dispositions spécialement applicables aux condamnés à perpétuité, les dispositions régissant les autres peines privatives de liberté s’appliquent.

121. L’article 198 § 1 prévoit qu’un condamné à perpétuité qui fait preuve de bonne conduite peut être soumis à un régime plus clément une fois qu’il a purgé au moins cinq ans de sa peine. Aux termes de l’article 198 § 2, les condamnés à perpétuité peuvent être placés avec la population pénitentiaire générale et prendre part au travail en commun, à la formation, aux activités éducatives, au sport ou à d’autres activités sur décision de la Commission d’exécution des peines, prise sur la base d’une évaluation de la personnalité des individus concernés, à condition qu’ils aient déjà été placés en « régime sévère ». Cette commission est composée du directeur de la prison, d’un membre du conseil d’administration, du chef du service social et éducatif de la prison et du psychologue pénitentiaire (article 73 § 1). Elle se réunit au moins deux fois par mois (article 55 § 1 du règlement d’application).

122. L’article 199 § 1 prévoit que les condamnés à perpétuité ne peuvent pas être placés en « régime général » ou bénéficier d’avantages qui ne peuvent pas être utilisés à l’intérieur de la prison. L’article 199 § 2 prévoit que les condamnés à perpétuité et ceux dont la peine a été commuée par un tribunal en une peine d’emprisonnement à temps (paragraphe 71 ci-dessus) peuvent être transférés d’une prison à un établissement pénitentiaire ouvert, où ils pourront être placés en « régime général » ou « régime léger » (qui n’existe que dans les établissements pénitentiaires ouverts – article 65 § 3).

123. Le régime des condamnés à perpétuité est également régi par les articles 213 à 220 du règlement d’application de la loi de 2009. Les dispositions applicables à la perpétuité non commuable sont les mêmes que pour la perpétuité commuable (article 220 du règlement d’application).

124. L’article 213 du règlement d’application prévoit que les condamnés à perpétuité doivent être incarcérés dans des prisons prévues à cet effet ou des quartiers de haute sécurité dans d’autres prisons. Il prévoit également qu’ils doivent être placés dans des cellules verrouillées en permanence et sous une surveillance renforcée et qu’ils ne peuvent prendre part aux activités communes qu’avec des détenus de la même catégorie.

125. L’article 214 du règlement d’application prévoit que les condamnés à perpétuité doivent être isolés des autres détenus, même lors des transfèrements, des soins médicaux, des visites, des activités de plein air ou lorsqu’ils quittent leur cellule à d’autres occasions.

126. L’article 216 § 1 du règlement d’application prévoit que les condamnés à perpétuité peuvent travailler dans leur cellule ou à des postes de travail spécialement prévus à cet effet, s’ils existent. En revanche, l’article 71 § 1 de la loi de 2009 prévoit que les autres détenus peuvent travailler dans la zone de la prison ou du dortoir prévue à cet effet et, exceptionnellement, dans des sites externes protégés. Les jours de travail des condamnés à perpétuité doivent être enregistrés (article 216 § 2 du règlement d’application). Toutefois, en vertu de l’article 38 a) § 4 du code pénal de 1968, en vigueur depuis 1995, le travail effectué par un condamné à perpétuité n’engendre pas de remise de peine ; cette règle est différente pour les détenus qui purgent une peine privative de liberté à temps, pour lesquels deux jours de travail comptent comme trois jours d’incarcération aux fins de la libération anticipée (article 41 § 3 du même code).

127. L’article 217 du règlement d’application, qui reprend l’article 198 § 2 de la loi de 2009 (paragraphe 121 ci-dessus), prévoit que les condamnés à perpétuité peuvent être placés avec la population pénitentiaire générale et prendre part au travail en commun, à la formation, aux activités éducatives, au sport ou à d’autres activités, sur décision de la Commission d’exécution des peines prise sur la base d’une évaluation de la personnalité des intéressés, à condition qu’ils aient déjà été placés en « régime sévère ».

128. L’article 218 du règlement d’application, qui reprend l’article 198 § 1 de la loi de 2009 (paragraphe 121 ci-dessus), prévoit qu’un condamné à perpétuité qui fait preuve de bonne conduite peut bénéficier d’un régime plus clément une fois qu’il a purgé au moins cinq ans de sa peine (les périodes de détention préventive ne comptent pas).

129. L’article 219 § 1 du règlement d’application, qui reprend l’article 197 § 1 de la loi de 2009 (paragraphe 120 ci-dessus), prévoit que, pendant les cinq ans suivant la date où leur condamnation est devenue définitive, les condamnés à perpétuité doivent être placés dans des quartiers spéciaux de prisons existantes ou dans des établissements spécialement prévus à cet effet désignés par le ministère de la Justice. Pendant cette période, une équipe spéciale est en charge du détenu (article 219 § 2 du règlement d’application). Au terme de cette période, et après une évaluation générale de sa situation, le détenu peut être placé dans une autre prison et soumis à des conditions différentes (article 219 § 3 du règlement d’application).

3. Les recours intentés contre le règlement d’application de la loi de 2009

130. En 2010, deux condamnés à perpétuité formèrent un recours contre les articles 213, 214 et 219 du règlement d’application de la loi de 2009. Ils alléguaient qu’ils étaient contraires aux dispositions de la loi.

131. Dans un arrêt du 28 mars 2011 (реш. № 4373 от 28 март 2011 г. по адм. д. № 10758/2010 г., ВАС, І о.), une chambre de la Cour suprême administrative composée de trois juges accueillit le recours. Elle considéra que le ministre de la Justice n’avait pas suivi la bonne procédure pour l’adoption du règlement. En particulier, contrairement à ce qu’exigeait l’article 26 § 2 de la loi de 1973 sur les actes normatifs, il n’avait pas publié le projet de règlement sur le site du ministère aux fins de le rendre public et de recueillir des observations, ce qui constituait une grave omission. Elle constata ensuite que l’article 213 du règlement d’application était contraire à l’article 197 § 1 de la loi de 2009 (paragraphes 120 et 124 ci-dessus) en ce qu’il imposait que les condamnés à perpétuité soient en permanence enfermés à clé, ajoutant ainsi une condition qui ne découlait pas du texte de loi. Or une telle disposition réglementaire ne pouvait que préciser les modalités d’application des obligations découlant du texte de loi. L’article 213 du règlement d’application ne pouvait être considéré comme s’appuyant sur un autre article de la loi de 2009. Le reste de l’article 213 du règlement d’application, tout comme les articles 214 et 219 (paragraphes 124-125 et 129 ci-dessus), n’étaient pas contraires aux dispositions de la loi de 2009.

132. Par un arrêt définitif du 14 septembre 2011 (реш. № 11411 от 14 септември 2011 г. по адм. д. № 6341/2011 г., ВАС, петчл. с-в), rendu sur un recours du ministre, une chambre de la Cour suprême administrative composée de cinq juges infirma l’arrêt précédent. Elle estima que l’absence de publication du projet de règlement sur le site Internet du ministère ne constituait pas une violation substantielle des règles de procédure. Elle déclara ensuite que l’article 213 n’était pas contraire aux dispositions de la loi de 2009, car on pouvait considérer qu’il s’appuyait sur l’article 197 § 1 lu en combinaison avec l’article 71 § 2 de la loi (paragraphes 118 et 120 ci-dessus). Ce dernier s’appliquait à tous les détenus placés en « régime spécial » et exigeait qu’ils soient placés dans des cellules séparées et verrouillées en permanence.

133. Deux juges émirent une opinion dissidente, affirmant que l’absence de publication du projet de règlement sur le site du ministère de la Justice constituait une grave omission qui avait entaché la procédure d’adoption du règlement d’un vice de procédure.

134. À la suite du rejet du recours, deux demandes de dédommagement introduites par les mêmes condamnés à perpétuité au titre de l’article 1 de la loi de 1988 sur la responsabilité pour dommage de l’État et des municipalités (...) et basées sur la souffrance prétendument subie par eux du fait de leur régime appauvri, furent rejetées par la Cour suprême administrative pour irrecevabilité (опр. № 3355 от 7 март 2012 г. по адм. д. № 3154/2012 г., ВАС, петчл. с-в et опр. № 5065 от 6 април 2012 г. по адм. д. № 14339/2011 г., ВАС, петчл. с-в). La Cour estima que ces demandes ne pouvaient être accueillies que si le texte de loi contre lequel elles étaient dirigées avait été annulé lors d’une procédure antérieure, ce qui n’était pas le cas.

4. Les normes nationales pour le traitement des prisonniers à vie

135. Le 2 février 2007, le directeur de la Direction de l’exécution des peines approuva, pour la première fois en Bulgarie, les « Normes nationales pour le traitement des prisonniers à vie ». Le but de ces normes est de « fixer un modèle efficace pour le traitement des condamnés à perpétuité qui garantisse une aide concrète à leur préservation physique et mentale et veille à ce que la société et le personnel pénitentiaire soient protégés ». Elles définissent, entre autres, des exigences minimales pour les conditions matérielles de détention, les dispositifs de sécurité applicables et les modalités de traitement des condamnés à perpétuité. Elles appellent les autorités pénitentiaires à s’assurer, lorsque cela est possible et dans le cadre des contraintes découlant des dispositifs de sécurité applicables, que les condamnés à perpétuité aient accès à un travail convenable, à l’éducation (y compris, si possible, à l’apprentissage à distance), au développement social, au tutorat, à des programmes pour la préservation de leur santé physique et mentale, et aux soins médicaux. Les normes prévoient, entre autres, que tous les condamnés à perpétuité doivent être inscrits à des programmes d’adaptation tendant à leur permettre d’accepter leur situation, à créer une perspective, à encourager l’auto-assistance, à maintenir les contacts sociaux, à stimuler leur participation à diverses activités et à neutraliser les symptômes dépressifs et psychosomatiques. Les normes indiquent aussi que les condamnés à perpétuité devraient bénéficier d’un plan individualisé d’exécution de leur peine et d’évaluations périodiques, ainsi que de la possibilité de discuter de questions relatives à l’exécution de leur peine avec l’administration pénitentiaire. Selon ces normes, les condamnés à perpétuité doivent avoir accès à des activités culturelles et sportives, à la bibliothèque de la prison, à des périodiques, à la télévision et la radio, aux services religieux et aux activités de groupe. Cependant, les normes ne semblent pas mentionner de programmes correctionnels ou de réinsertion.

(...)

III. LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966

157. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (999 UNTS 171) fut signé par la Bulgarie le 8 octobre 1968 et ratifié par elle le 21 septembre 1970 ; il entra en vigueur à son égard, à l’exception de l’article 41, le 23 mars 1976. Il fut publié au Journal officiel de la Bulgarie le 28 mai 1976 (обн., ДВ, бр. 43 от 28 май 1976 г.), ce qui signifie qu’aux termes de l’article 5 § 4 de la Constitution de 1991, il fait partie du droit interne. L’article 10 du pacte dispose, dans ses parties pertinentes :

« 1. Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.

(...)

3. Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. (...) »

158. Au paragraphe 10 de l’Observation générale no 21 sur l’article 10 (Droit des personnes privées de liberté d’être traitées avec humanité) adoptée par le Comité des droits de l’homme à sa 1141e réunion (44e session) le 10 avril 1992 il est dit qu’« aucun système pénitentiaire ne saurait être axé uniquement sur le châtiment ; il devrait essentiellement viser le redressement et la réadaptation sociale du prisonnier ».

B. Les instruments du Conseil de l’Europe

1. Les règles pénitentiaires européennes

159. Les règles pénitentiaires européennes sont des recommandations du Comité des Ministres aux États membres du Conseil de l’Europe concernant les normes minimales à appliquer en prison. Les règles pénitentiaires européennes de 1987 (qui figuraient en annexe à la Recommandation no R (87) 3) furent adoptées le 12 février 1987. Le 11 janvier 2006 le Comité des Ministres, notant que les règles de 1987 « [devaient] être révisée[s] et mise[s] à jour de façon approfondie pour pouvoir refléter les développements (...) survenus dans le domaine de la politique pénale, les pratiques de condamnation ainsi que de gestion des prisons en général en Europe », adopta la Recommandation Rec(2006)2 sur les règles pénitentiaires européennes. La nouvelle version de 2006 des règles pénitentiaires figurait en annexe à cette recommandation. Elles disposent dans leurs parties pertinentes :

« Partie I

Principes fondamentaux

1. Les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l’homme.

2. Les personnes privées de liberté conservent tous les droits qui ne leur ont pas été retirés selon la loi par la décision les condamnant à une peine d’emprisonnement ou les plaçant en détention provisoire.

3. Les restrictions imposées aux personnes privées de liberté doivent être réduites au strict nécessaire et doivent être proportionnelles aux objectifs légitimes pour lesquelles elles ont été imposées.

4. Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme.

(...)

6. Chaque détention est gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société libre des personnes privées de liberté.

(...)

Partie II

Conditions de détention

(...)

Régime pénitentiaire

25.1 Le régime prévu pour tous les détenus doit offrir un programme d’activités équilibré.

25.2 Ce régime doit permettre à tous les détenus de passer chaque jour hors de leur cellule autant de temps que nécessaire pour assurer un niveau suffisant de contacts humains et sociaux.

25.3 Ce régime doit aussi pourvoir aux besoins sociaux des détenus.

(...)

Libération des détenus

(...)

33.3 Tout détenu doit bénéficier de dispositions visant à faciliter son retour dans la société après sa libération.

(...)

Sécurité

51.1 Les mesures de sécurité appliquées aux détenus individuels doivent correspondre au minimum requis pour assurer la sécurité de leur détention.

(...)

51.3 Aussi rapidement que possible après son admission, chaque détenu doit être évalué afin de déterminer :

a. le risque qu’il ferait peser sur la collectivité en cas d’évasion ;

b. la probabilité qu’il tente de s’évader seul ou avec l’aide de complices extérieurs.

51.4 Chaque détenu est ensuite soumis à un régime de sécurité correspondant au niveau de risque identifié.

51.5 Le niveau de sécurité nécessaire doit être réévalué régulièrement pendant la détention de l’intéressé.

(...)

Partie VIII

Détenus condamnés

Objectif du régime des détenus condamnés

102.1 Au-delà des règles applicables à l’ensemble des détenus, le régime des détenus condamnés doit être conçu pour leur permettre de mener une vie responsable et exempte de crime.

102.2 La privation de liberté constituant une punition en soi, le régime des détenus condamnés ne doit pas aggraver les souffrances inhérentes à l’emprisonnement.

Application du régime des détenus condamnés

103.1 Le régime des détenus condamnés doit commencer aussitôt qu’une personne a été admise en prison avec le statut de détenu condamné, à moins qu’il n’ait déjà été entamé avant.

103.2 Dès que possible après l’admission, un rapport complet doit être rédigé sur le détenu condamné décrivant sa situation personnelle, les projets d’exécution de peine qui lui sont proposés et la stratégie de préparation à sa sortie.

103.3 Les détenus condamnés doivent être encouragés à participer à l’élaboration de leur propre projet d’exécution de peine.

103.4 Ledit projet doit prévoir dans la mesure du possible :

a. un travail ;

b. un enseignement ;

c. d’autres activités ; et

d. une préparation à la libération.

103.5 Le régime des détenus condamnés peut aussi inclure un travail social, ainsi que l’intervention de médecins et de psychologues.

(...)

103.8 Une attention particulière doit être apportée au projet d’exécution de peine et au régime des détenus condamnés à un emprisonnement à vie ou de longue durée.

(...)

Libération des détenus condamnés

107.1 Les détenus condamnés doivent être aidés, au moment opportun et avant leur libération, par des procédures et des programmes spécialement conçus pour leur permettre de faire la transition entre la vie carcérale et une vie respectueuse du droit interne au sein de la collectivité.

107.2 Concernant plus spécialement les détenus condamnés à des peines de plus longue durée, des mesures doivent être prises pour leur assurer un retour progressif à la vie en milieu libre.

107.3 Ce but peut être atteint grâce à un programme de préparation à la libération, ou à une libération conditionnelle sous contrôle, assortie d’une assistance sociale efficace.

107.4 Les autorités pénitentiaires doivent travailler en étroite coopération avec les services sociaux et les organismes qui accompagnent et aident les détenus libérés à retrouver une place dans la société, en particulier en renouant avec la vie familiale et en trouvant un travail.

107.5 Les représentants de ces services ou organismes sociaux doivent pouvoir se rendre dans la prison autant que nécessaire et s’entretenir avec les détenus afin de les aider à préparer leur libération et à planifier leur assistance postpénale. »

160. Le commentaire des règles de 2006 (rédigé par le Comité européen pour les problèmes criminels) précise que la règle 102 est conforme aux exigences des instruments internationaux essentiels, y compris l’article 10 § 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (paragraphe 157 ci-dessus).

2. La Résolution 76 (2)

161. Depuis 1976, le Comité des Ministres a adopté une série de résolutions et de recommandations sur les condamnés à de longues peines ou à la prison à vie. La première d’entre elles fut la Résolution (76) 2 du 17 février 1976, qui recommandait aux États membres, entre autres :

« 1. de poursuivre une politique criminelle selon laquelle de longues peines ne doivent être infligées que si elles sont nécessaires à la protection de la société ;

2. d’adopter les mesures législatives et administratives propres à favoriser un traitement adéquat pendant l’exécution de ces peines ;

(...)

6. d’encourager le sens de la responsabilité des détenus par l’introduction progressive dans tous les domaines appropriés de systèmes de participation ;

(...)

9. de s’assurer que les cas de tous les détenus seront examinés aussitôt que possible pour voir si une libération conditionnelle peut leur être accordée ;

10. d’accorder au détenu la libération conditionnelle, sous réserve des exigences légales concernant les délais, dès le moment où un pronostic favorable peut être formulé, la seule considération de prévention générale ne pouvant justifier le refus de la libération conditionnelle ;

11. d’adapter aux peines de détention à vie les mêmes principes que ceux régissant les longues peines ;

12. de s’assurer que pour les peines de détention à vie l’examen prévu sous 9 ait lieu si un tel examen n’a pas déjà été effectué au plus tard après huit à quatorze ans de détention et soit répété périodiquement ;

(...) »

3. La Recommandation Rec(2003)23 concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée

162. La Recommandation Rec(2003)23 concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée fut adoptée par le Comité des Ministres le 9 octobre 2003. Elle recommandait aux gouvernements des États membres de s’inspirer dans leur législation, leur politique et leur pratique en matière de gestion des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée, des principes qui figurent dans l’annexe à la présente recommandation. Ces principes se lisaient ainsi dans leurs parties pertinentes :

« Définition d’un condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité et d’un détenu de longue durée

1. Aux fins de la présente recommandation, un condamné à perpétuité est une personne purgeant une peine de prison à perpétuité. Un détenu de longue durée est une personne purgeant une ou plusieurs peines de prison d’une durée totale de cinq ans ou plus.

Objectifs généraux

2. Les buts de la gestion des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée devraient être :

– de veiller à ce que les prisons soient des endroits sûrs et sécurisés pour les détenus et les personnes qui travaillent avec eux ou qui les visitent ;

– d’atténuer les effets négatifs que peut engendrer la détention de longue durée et à perpétuité ;

– d’accroître et d’améliorer la possibilité pour ces détenus de se réinsérer avec succès dans la société et de mener à leur libération une vie respectueuse des lois.

Principes généraux concernant la gestion des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée

3. Il faudrait prendre en considération la diversité des caractéristiques individuelles des condamnés à perpétuité et des détenus de longue durée, et en tenir compte pour établir des plans individuels de déroulement de la peine (principe d’individualisation).

4. La vie en prison devrait être aménagée de manière à être aussi proche que possible des réalités de la vie en société (principe de normalisation).

5. Il faudrait donner aux détenus l’occasion d’exercer des responsabilités personnelles dans la vie quotidienne en prison (principe de responsabilisation).

6. Une distinction claire devrait être faite entre les risques que les condamnés à perpétuité et les autres détenus de longue durée présentent pour la société, pour eux-mêmes, pour les autres détenus et pour les personnes qui travaillent dans la prison ou qui la visitent (principe de sécurité et de sûreté).

7. Il faudrait prendre en considération le fait que les condamnés à perpétuité et les autres détenus de longue durée ne devraient pas être séparés des autres prisonniers selon le seul critère de leur peine (principe de non-séparation).

8. La planification individuelle de la gestion de la peine à perpétuité ou de longue durée d’un détenu devrait viser à assurer une évolution progressive à travers le système pénitentiaire (principe de progression).

Planification de la peine

9. Pour atteindre les objectifs et principes généraux cités précédemment, il conviendrait d’élaborer des plans complets de déroulement de la peine pour chaque détenu. Ces plans devraient être préparés et élaborés dans la mesure du possible avec la participation active du détenu et, particulièrement vers la fin de la période de détention, en collaboration étroite avec les autorités assurant la prise en charge après la libération et les autres instances concernées.

10. Les plans de déroulement de la peine devraient comporter une évaluation des risques et des besoins de chaque détenu, et servir d’approche systématique pour :

– l’affectation initiale du détenu ;

– l’évolution progressive du détenu à travers le système pénitentiaire dans des conditions progressivement moins restrictives jusqu’à une étape finale, qui, idéalement se passerait en milieu ouvert, de préférence au sein de la société ;

– la participation au travail, à l’éducation, à la formation et à d’autres activités qui permettent de mettre à profit le temps en prison et de promouvoir les opportunités d’une bonne réinsertion après la libération ;

– l’intervention et la participation à des programmes conçus pour faire face aux risques et aux besoins, de manière à réduire les comportements perturbateurs en prison et la récidive après la libération ;

– la participation à des activités de loisirs et autres pour prévenir ou atténuer les effets néfastes de l’emprisonnement de longue durée ;

– les conditions et les mesures de prises en charge favorisant un mode de vie respectueux des lois, et l’adaptation à la communauté après une libération conditionnelle.

11. La planification de la peine devrait commencer aussi tôt que possible après l’entrée en prison et devrait être revue régulièrement et modifiée si nécessaire.

(...)

Préparation du retour à la société des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée

33. Pour aider les condamnés à la perpétuité et les autres détenus de longue durée à surmonter le problème particulier du passage d’une incarcération prolongée à un mode de vie respectueux des lois au sein de la société, leur libération devrait être préparée suffisamment à l’avance et prendre en considération les points suivants:

– la nécessité d’élaborer des plans spécifiques concernant la prélibération et la postlibération, prenant en compte des risques et des besoins pertinents ;

– la prise en compte attentive des possibilités favorisant une libération et la poursuite après la libération de tous programmes, interventions ou traitement dont les détenus auraient fait l’objet pendant leur détention ;

– la nécessité d’assurer une collaboration étroite entre l’administration pénitentiaire, les autorités assurant la prise en charge après la libération et les services sociaux et médicaux.

34. L’octroi et la mise en application de la libération conditionnelle pour les condamnés à la perpétuité et les autres détenus de longue durée devraient être guidés par les principes contenus dans la Recommandation Rec(2003)22 sur la libération conditionnelle.

(...) »

163. Le rapport joint à la recommandation apporte à propos du paragraphe 34 de celle-ci la précision suivante :

« 131. La Recommandation Rec(2003)23 énonce le principe selon lequel tous les détenus, à l’exception de ceux purgeant des peines extrêmement courtes, devraient avoir la possibilité de bénéficier d’une libération conditionnelle. Ce principe s’applique aussi, selon les termes de la recommandation, aux condamnés à perpétuité. Il convient cependant de noter qu’il s’agit seulement de la possibilité d’octroyer une libération conditionnelle aux condamnés à perpétuité, et que cela ne doit pas être systématique. (...) »

(...)

IV. LES RAPPORTS PERTINENTS DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS (CPT)

A. Onzième rapport général d’activités du CPT

165. Dans son 11e rapport général (CPT/Inf (2001) 16), publié le 3 septembre 2001, le CPT relevait ce qui suit, eu égard aux détenus condamnés à perpétuité et aux autres détenus purgeant de longues peines :

« 33. Dans de nombreux pays européens, le nombre de détenus condamnés à perpétuité et d’autres détenus purgeant de longues peines est en augmentation. Au cours de certaines de ses visites, le CPT a constaté que la situation de ces détenus laissait beaucoup à désirer au niveau des conditions matérielles, des programmes d’activités et des possibilités de contacts humains. En outre, nombre de ces détenus étaient soumis à des restrictions spéciales de nature à exacerber les effets délétères associés à un emprisonnement de longue durée ; des exemples de ces restrictions sont la séparation permanente du reste de la population pénitentiaire, le menottage du détenu à chaque extraction de cellule, l’interdiction de communiquer avec les autres détenus, et des droits de visite limités. Le CPT n’entrevoit aucune justification pour une application de restrictions indifféremment à tous les détenus soumis à un type donné de peines, sans que l’on tienne dûment compte des risques qu’ils peuvent (ou ne peuvent pas) présenter à titre individuel.

Tout emprisonnement de longue durée peut entraîner des effets désocialisants sur les détenus. Outre le fait qu’ils s’institutionnalisent, de tels détenus peuvent être affectés par une série de problèmes psychologiques (dont la perte d’estime de soi et la détérioration des capacités sociales) et tendent à se détacher de plus en plus de la société vers laquelle la plupart d’entre eux finiront par retourner. De l’avis du CPT, les régimes proposés aux détenus purgeant de longues peines devraient être de nature à compenser ces effets de manière positive et proactive.

Les détenus concernés devraient avoir accès à un large éventail d’activités motivantes et de nature variée (travail ayant de préférence une valeur sur le plan de la formation professionnelle ; études ; sport ; loisirs/activités en commun). De plus, ils devraient pouvoir être en mesure d’exercer un certain degré de choix quant à la manière d’occuper leur temps, ce qui stimulerait leur sens de l’autonomie et de la responsabilité personnelle. Des mesures supplémentaires devraient être prises afin de conférer un sens à leur incarcération ; plus précisément, la mise en place de programmes de traitement individualisés et un soutien psychosocial approprié sont importants pour aider ces condamnés à affronter leur incarcération et, le temps venu, à se préparer à leur libération. En outre, les effets négatifs de l’institutionnalisation sur les détenus purgeant de longues peines seront moins prononcés, et ils seront mieux préparés à leur libération, s’ils ont effectivement la possibilité de rester en contact avec le monde extérieur. »

(...)

V. LE RAPPORT DU COMITÉ HELSINKI DE BULGARIE SUR L’EMPRISONNEMENT À VIE

175. Après avoir mené une recherche sur la question de l’emprisonnement à vie non commuable en Bulgarie de juin 2009 à février 2010, le Comité Helsinki de Bulgarie publia en avril 2010 un rapport intitulé « Emprisonnement à vie non commuable – une peine inhumaine et dégradante ». Ce dernier ne concernait que les condamnés à une peine de perpétuité non commuable, pas ceux purgeant une peine commuable.

176. D’après ce rapport, au moment des visites tous les condamnés à perpétuité de la prison de Plovdiv étaient en cellule individuelle. À la prison de Stara Zagora, deux condamnés à perpétuité partageaient leur cellule, mais tous les autres étaient en cellule individuelle. À l’exception de la prison de Plovdiv et de quelques autres prisons, dont la prison de Stara Zagora ne faisait pas partie, les quartiers accueillant les condamnés à perpétuité étaient en très mauvais état : les sols et les murs étaient sales et le mobilier, invariablement attaché au sol, était très ancien. Certains quartiers disposaient de lits superposés, qui étaient toutefois rarement utilisés. Les condamnés à perpétuité prenaient leurs repas en cellule. L’éclairage naturel dans les quartiers qui leur étaient réservés était souvent insuffisant. Les fenêtres mesuraient en général 1 × 0,6-0,8 m et étaient situées à environ 2 m du sol, ce qui empêchait les détenus de regarder par la fenêtre. Les châssis des fenêtres étaient neufs dans le quartier réservé aux condamnés à perpétuité de la prison de Plovdiv, mais pas dans celle de Stara Zagora. Afin de permettre aux gardiens d’inspecter visuellement les cellules à tout moment, l’éclairage artificiel n’était jamais éteint. Certains détenus se plaignaient que cela les empêchait de dormir, surtout si les lampes étaient à luminescence. Aucun quartier réservé aux condamnés à perpétuité n’avait de système de ventilation et l’air frais ne pouvait entrer que par les fenêtres, ce qui était problématique en hiver, car, même les jours les plus froids, le chauffage n’était allumé qu’une heure le matin et une heure l’après-midi. Les condamnés à perpétuité devaient laver leurs vêtements pendant leurs visites aux toilettes et les sécher dans leur cellule. Dans de nombreuses prisons, des toilettes avaient été construites dans les cellules, mais pas dans les prisons de Plovdiv ou de Stara Zagora. L’accès aux toilettes communes était possible pendant trente minutes le matin, à midi et le soir. Pendant ce temps, les détenus devaient également laver leurs seaux et leurs couverts. Le reste du temps, ils devaient appeler les gardiens pour se soulager. La plupart des prisons n’ayant pas de système d’appel, ils devaient frapper à la porte de leur cellule ou crier, ce qui était souvent une cause de conflits avec les gardiens. Les détenus préféraient donc souvent se soulager dans les seaux qu’ils avaient dans leur cellule. Dans toutes les prisons, sauf dans celle de Pleven, les condamnés à perpétuité étaient en permanence enfermés en cellule. La promenade quotidienne d’une heure avait été allongée d’une demi-heure à la prison de Plovdiv et de vingt minutes à celle de Stara Zagora. Dans la plupart des prisons, les condamnés à perpétuité faisaient leur promenade quotidienne dans des cours séparées. Ces cours étaient plutôt petites, et dans certaines prisons, comme celle de Plovdiv, elles ne permettaient pas de faire vraiment de l’exercice.

177. D’après le rapport, en août 2009 seules huit personnes condamnées à perpétuité s’étaient vu offrir du travail : sept à l’intérieur de leur cellule et une à l’extérieur. Ce chiffre avait ensuite chuté. Il n’était pas aisé pour les autorités pénitentiaires de trouver un travail adapté à ces détenus ; à la prison de Stara Zagora, par exemple, aucun condamné à perpétuité ne s’était jamais vu offrir un travail. À la prison de Plovdiv, les condamnés à perpétuité avaient, pendant quelque temps, eu pour travail d’emballer des gants chirurgicaux.

178. D’après le rapport, la plupart des condamnés à perpétuité avaient leur propre poste de télévision, et quelques-uns disposaient de postes de radio. La plupart des détenus ayant vécu dans la même cellule pendant plusieurs années, ils avaient essayé de l’arranger de manière à ce qu’elle ressemble le plus possible à l’intérieur d’une maison. Les prisons de Plovdiv et de Stara Zagora n’avaient pas de clubs dans leurs quartiers de haute sécurité. Seuls quelques condamnés à perpétuité avaient la possibilité de s’engager dans des activités sérieuses. Leur prise en charge était très difficile en raison de l’absence de perspective de libération. Néanmoins, dans certaines prisons, les équipes travaillant avec les condamnés à perpétuité avaient fait de sérieuses tentatives pour les soutenir psychologiquement et leur donner une perspective, les inciter à maintenir des contacts sociaux, participer à des activités et lutter contre tout symptôme dépressif ou psychosomatique. Dans certaines prisons, cependant, le traitement des condamnés à perpétuité ne respectait pas les « Normes nationales pour le traitement des prisonniers à vie » (paragraphe 135 ci-dessus) et certains des détenus concernés s’étaient plaints qu’aucun travail individuel n’était fait avec eux et qu’aucune activité culturelle, informative ou sportive n’était organisée pour eux.

EN DROIT

I. LE RÉGIME PÉNITENTIAIRE ET LES CONDITIONS DE DÉTENTION DES REQUÉRANTS

179. MM. Harakchiev et Tolumov allèguent qu’associés aux conditions matérielles de leur incarcération, les régimes de détention auxquels ils sont assujettis en tant que condamnés à une peine de perpétuité réelle et une peine de perpétuité commuable respectivement s’analysent soit en de la torture soit en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.

180. L’article 3 de la Convention énonce :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

(...)

B. Sur le fond

(...)

III. L’EMPRISONNEMENT À VIE

230. M. Harakchiev allègue également que sa condamnation à la perpétuité réelle a, dès son prononcé, emporté violation de l’article 3 de la Convention, qui prohibe les traitements inhumains et dégradants.

231. Le texte de l’article 3 a été repris au paragraphe 180 ci-dessus.

A. Les thèses des parties

1. Les observations du Gouvernement

232. Le Gouvernement affirme que le simple fait que M. Harakchiev ait été condamné à une peine de perpétuité réelle ne s’analyse pas en une violation de l’article 3 de la Convention en ce qu’il peut demander la grâce présidentielle à tout moment. Il y a déjà eu un cas de condamné purgeant une peine de perpétuité réelle qui a vu sa condamnation commuée par le vice-président. Juger que cela n’est pas suffisant ne rendrait pas justice au travail de la Commission de grâce attachée au vice-président et plongerait la Bulgarie, mais aussi d’autres États membres, dans la tourmente juridique. La peine de perpétuité réelle, introduite en 1998 à la suite de l’abolition de la peine de mort, est un élément très important du système punitif du droit pénal bulgare. Cette peine n’a été que rarement prononcée et elle est réservée aux infractions les plus graves. À l’heure actuelle en Bulgarie, seules 57 personnes purgent une peine de perpétuité réelle et 106 une peine de perpétuité commuable.

233. Le droit de grâce présidentielle est un moyen facile d’accès pour aménager une peine de perpétuité réelle et donne à tous les condamnés à cette peine l’espoir de pouvoir un jour retrouver la liberté. Il est très significatif à cet égard que, le 21 janvier 2013, le vice-président, dans l’exercice de ce droit, ait commué une peine de perpétuité réelle. Les motifs sous-jacents à cette décision ont été exposés dans le rapport de la Commission de grâce qui a, de plus, noté qu’une telle décision démontrerait à tous les autres condamnés à une peine de perpétuité réelle qu’ils pouvaient améliorer leur situation. Le droit de grâce présidentielle était déjà en place au moment où la peine de perpétuité réelle a été introduite dans le système punitif et il a toujours été exercé de manière à donner aux personnes concernées l’espoir d’obtenir une réduction de peine. Cela ressort de manière évidente des raisons invoquées pour refuser la grâce à des personnes condamnées à une peine de perpétuité réelle, qui s’appuient essentiellement sur deux éléments : l’absence de progrès dans le processus d’amendement ou le caractère insignifiant de la part de la peine purgée jusqu’alors. La procédure d’examen des demandes de grâce est et a toujours été définie dans des décrets présidentiels, comme le décret du 23 février 2012, qui a force de loi. La version la plus récente des règles applicables entend optimiser la procédure, la rendre plus transparente et formaliser les normes qui avaient déjà émergé de la pratique. L’accent a été mis sur l’augmentation des capacités de recherche et d’analyse de la Commission de grâce et l’harmonisation des modalités d’examen des demandes. Cette procédure pourrait produire le même effet que les procédures judiciaires pour la commutation de la peine. Le président et le vice-président ne sont liés par aucun critère, et ils peuvent exercer leur droit de grâce à tout moment et à l’égard de toute personne.

234. Le régime de détention des condamnés à une peine de perpétuité réelle ne les empêche pas de montrer qu’ils se sont amendés. Cela ressort de manière évidente de la motivation de la décision du vice-président du 21 janvier 2013 de commuer une peine de perpétuité réelle en une peine de perpétuité commuable, mais aussi de la conduite de M. Tolumov et des changements intervenus dans son régime de détention. M. Harakchiev, pour sa part, n’a montré aucun signe d’amendement. Au contraire, il a fait l’objet de plusieurs sanctions disciplinaires, et le risque de récidive demeure très élevé dans son cas. De plus, rien n’indique que l’un ou l’autre des requérants ait introduit une demande de grâce.

2. Les observations de M. Harakchiev

235. M. Harakchiev affirme que la peine d’emprisonnement à vie non commuable qu’il purge est incompatible avec l’article 3 de la Convention en ce qu’elle suppose qu’il passe le reste de sa vie en prison. Dans le même temps, une analyse des dispositions législatives bulgares pertinentes montre que les objectifs poursuivis par cette peine pourraient également être atteints par la peine de perpétuité commuable. En vertu du code pénal de 1968, la peine de perpétuité réelle est réservée aux cas où les buts de la sanction pénale ne pourraient être atteints au moyen d’une peine plus clémente. Il s’ensuit qu’une telle peine s’adresse à des personnes qui ne pourront jamais être réinsérées, alors même que le tribunal chargé du prononcé de la peine n’est pas en mesure de savoir si le détenu restera inchangé pendant vingt ou trente ans.

236. Alors que la procédure judiciaire régissant la commutation de la peine de perpétuité est conforme aux exigences de l’article 3 de la Convention, l’exercice du droit de grâce présidentielle manque de clarté et de prévisibilité. L’article 98 de la Constitution de 1991 et l’article 74 du code pénal de 1968 n’établissent ni règles de procédure ni conditions dans lesquelles ce droit devrait être exercé. Par conséquent, un condamné à perpétuité ne sait pas ce qu’il doit faire pour obtenir la grâce. Les modalités d’exercice de ce droit jusqu’au 23 février 2012 sont elles aussi très vagues : il n’y a aucune information concernant le nombre de détenus ayant sollicité la grâce ou les motifs de leur requête, le nombre de requêtes rejetées et les raisons de leur refus, les experts ayant conseillé le vice-président ou les règles sur la base desquelles ils ont exercé leur fonction. À l’appui de leur affirmation, les requérants ont produit quatre lettres envoyées entre 2006 et 2011 par l’administration à des condamnés purgeant une peine de perpétuité qui avaient sollicité la grâce : toutes indiquent simplement que la requête a été dûment examinée et rejetée. Entre 2002 et 2009, seize personnes purgeant une telle peine ont sollicité la grâce ; toutes les requêtes ont été rejetées. Il n’y a pas non plus eu de cas de grâce en faveur de tels détenus avant 2002.

237. Le cadre juridique régissant l’exercice du droit de grâce présidentielle ne s’est pas amélioré le 23 février 2012. Les règles fixées par le président à cette date, bien que représentant un pas en avant, ne clarifient pas réellement les conditions dans lesquelles la grâce peut être demandée. Il s’agit seulement d’instructions internes régissant le travail de la Commission de grâce, mais pas l’exercice des pouvoirs du président et du vice-président. En outre, ces règles n’ont pas été publiées au Journal officiel et on peut douter que le président soit habilité, en vertu de la Constitution et des lois, à adopter des règles abstraites. Le président et le vice-président sont toujours libres d’accorder ou non la grâce sans aucun critère sur lequel fonder leur décision. La décision sur ce point ne doit pas être motivée et n’est pas susceptible de recours. En 2012, seules trois demandes de grâce sur cent ont été accueillies, tandis que le nombre de condamnations à vie demeure élevé. La procédure de grâce n’est donc pas un moyen approprié de demander la commutation d’une peine de perpétuité. Le fait que la vice-présidente actuelle ait accordé la grâce à une personne purgeant une telle peine au motif que, de son point de vue personnel, la peine de perpétuité réelle devrait être abolie, ne constitue pas réellement un espoir. Bien qu’admirable, cette position n’appartient qu’à la vice-présidente, elle est très impopulaire et elle ne sera valable que tant que cette dernière restera en fonction. Elle ne peut pas avoir le même effet à long terme qu’une réforme législative.

238. Le régime de détention de ceux qui, comme M. Harakchiev, purgent une peine de perpétuité suppose un isolement total, même à l’extérieur de la cellule et durant le travail. Les intéressés ne peuvent avoir de contacts qu’avec d’autres détenus soumis au même régime, et uniquement durant la promenade quotidienne d’une heure. À cause de ces conditions extrêmement restrictives, il est presque impossible de trouver un travail adapté aux condamnés à perpétuité. C’est ce qu’ont confirmé les informations exposées dans le rapport du Comité Helsinki de Bulgarie d’avril 2010. Ce rapport a également montré que les condamnés à perpétuité n’ont accès à aucun programme de resocialisation et vivent dans de très mauvaises conditions matérielles de détention. Tous ces facteurs les empêchent de montrer qu’ils ont changé et ainsi de persuader le président ou le vice-président de leur accorder la grâce.

3. Les observations complémentaires du Gouvernement

239. Dans ses observations complémentaires, le Gouvernement affirme que la situation dans la présente affaire est très différente de celle à l’origine de l’arrêt Vinter et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, 9 juillet 2013). Contrairement aux pouvoirs limités du ministre de la Justice au Royaume-Uni, le droit de grâce présidentielle en Bulgarie n’est restreint en aucune manière. Le président peut commuer toute peine, et il exerce effectivement ce droit. La procédure est suffisamment flexible pour permettre aux détenus de demander la grâce sans aucune contrainte de temps et quelles que soient les raisons. Toute demande de grâce fait l’objet d’une évaluation complète portant sur la question de savoir si l’incarcération continue à être justifiée par des motifs pénologiques légitimes. Les rapports mensuels de la Commission de grâce attachée au vice-président montrent qu’elle analyse ces points en détail. Dans l’un des cas où elle a recommandé la commutation d’une peine de perpétuité, elle a pris en considération précisément ces facteurs. La possibilité de demander la grâce présidentielle est ouverte dès le début d’une peine de perpétuité, elle est très connue et fréquemment utilisée.

240. D’après le Gouvernement, il n’est pas nécessaire d’adopter des règles plus détaillées sur l’exercice de ce droit. Il n’y a aucune incertitude quant aux modalités de son exercice, et des règles détaillées ne feraient que circonscrire son champ d’application, qui est à l’heure actuelle très large. En tout état de cause, les États ont une marge d’appréciation pour décider des modalités de réexamen des peines de perpétuité. Le fait que le droit de grâce présidentielle soit totalement discrétionnaire n’a pas nui à son efficacité ; la preuve en est qu’il a été exercé au début de 2013 à l’égard d’un détenu purgeant une peine de perpétuité. Contrairement à ce qu’allègue M. Harakchiev, cette décision n’était pas uniquement l’expression de l’opinion personnelle de l’actuelle vice‑présidente. La décision de commuer la peine de perpétuité de ce détenu a lancé une tendance. Comme le montre le rapport de la Commission de grâce, elle a été prise sur la base d’une évaluation globale de tous les facteurs pertinents. La tendance est également évidente dans le projet de code pénal, qui prévoit l’abolition de la peine de perpétuité réelle. Cependant, l’adoption d’une loi aussi complexe qu’un code pénal demande du temps. En attendant, la possibilité de demander la grâce présidentielle est un moyen suffisamment efficace à la disposition des condamnés purgeant une peine de perpétuité réelle.

241. En vertu des règles en vigueur, les condamnés à perpétuité doivent être informés dès leur arrivée en prison de leurs droits et obligations, ainsi que de l’ordre et de la discipline dans la prison, le tout dans un langage clair ; ils ont également le droit d’obtenir ces informations par écrit. Elles comprennent des explications détaillées sur les règles et règlements de la prison, le droit au travail, le régime de visites, les sanctions disciplinaires, la possibilité de demander un changement dans le régime de détention et la libération anticipée. En outre, en 2007, la Direction générale de l’exécution des peines a adopté des « Normes nationales pour le traitement des prisonniers à vie », qui affirment expressément que les autorités doivent permettre aux condamnés à perpétuité de discuter de questions relatives à l’exécution de leur peine. Tous les condamnés à perpétuité, indépendamment du point de savoir s’ils purgent une peine commuable ou non, sont informés de la période à purger avant de pouvoir demander une modification de leur régime de détention, ainsi que de la conduite qu’ils doivent observer pour augmenter leurs chances d’obtenir une commutation de leur peine. En outre, chaque condamné à perpétuité dispose d’un plan individuel d’exécution de la peine énonçant les changements positifs attendus et les étapes concrètes menant à ces changements. Ce plan fait l’objet de réévaluations périodiques qui doivent être portées à l’attention du détenu. Si M. Harakchiev n’a pas signé le dernier plan, c’est uniquement parce qu’il refuse de signer tout document émanant de l’administration pénitentiaire.

B. L’appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

242. Le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2. Sur le fond

a) Les principes généraux établis par la jurisprudence de la Cour

243. Dans l’affaire Kafkaris c. Chypre ([GC], no 21906/04, § 97, CEDH 2008), la Grande Chambre de la Cour a déclaré que si le choix d’un régime de justice pénale fait par un État, y compris le réexamen de la peine et les modalités de libération, échappe en principe au contrôle qu’elle exerce et si le prononcé d’une peine d’emprisonnement perpétuel à l’encontre d’un délinquant adulte n’est pas en soi prohibé ou incompatible avec l’article 3 ou toute autre disposition de la Convention, infliger à un adulte une peine perpétuelle incompressible pourrait soulever une question sous l’angle de l’article 3. La Grande Chambre a en même temps tenu à souligner qu’une peine perpétuelle ne devient pas « incompressible » par le seul fait qu’elle risque en pratique d’être purgée dans son intégralité et qu’il suffit au regard de l’article 3 de la Convention qu’elle soit de jure et de facto compressible (ibidem, § 98 in fine).

244. Dans ladite affaire, la Grande Chambre a conclu à la non-violation de l’article 3 de la Convention au motif qu’en vertu de la Constitution de Chypre, le président de la République pouvait à tout moment, sur recommandation de l’Attorney-General, commuer une peine perpétuelle en une peine plus brève et la remettre. La procédure présentait certes diverses lacunes : il n’y avait pas eu de publication de critères censés encadrer la manière dont le président devait exercer son pouvoir discrétionnaire, l’Attorney-General n’avait pas l’obligation de publier son avis sur la demande, le président n’avait pas l’obligation de motiver sa décision, et celle-ci ne pouvait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. En outre, la perspective de libération des condamnés à une peine perpétuelle était limitée, dans la mesure où tout aménagement de la peine relevait exclusivement du pouvoir discrétionnaire du président. Mais il existait un nombre significatif d’exemples dans lesquels le président avait exercé ce pouvoir discrétionnaire et décidé la libération de condamnés à une peine perpétuelle. M. Kafkaris ne pouvait donc pas prétendre avoir été privé de toute perspective de libération (ibidem, §§ 102‑105).

245. La question de la compatibilité des peines perpétuelles incompressibles avec l’article 3 de la Convention a également été abordée par la Grande Chambre de la Cour dans la plus récente affaire Vinter et autres (précitée). La Grande Chambre a examiné en détail les considérations pertinentes issues de la jurisprudence de la Cour et des tendances récentes concernant les peines perpétuelles en droit comparé et international (ibidem, § 104-118). Sur cette base, elle a considéré qu’une peine perpétuelle n’est compatible avec l’article 3 de la Convention que s’il existe à la fois une chance d’élargissement et une possibilité de réexamen (ibidem, § 109-110), car nul ne peut être détenu si aucun motif légitime d’ordre pénologique ne le justifie. Les impératifs de châtiment, de dissuasion, de protection du public et de réinsertion figurent au nombre des motifs propres à justifier une détention. La Grande Chambre a en particulier observé que l’équilibre entre eux n’est pas forcément immuable et peut évoluer au cours de l’exécution de la peine. La justification première de la détention au début de la peine ne le sera peut-être plus une fois purgée une bonne partie de celle-ci. Par conséquent, c’est seulement par un réexamen de la justification du maintien en détention à un stade approprié de l’exécution de la peine que ces facteurs ou évolutions peuvent être correctement appréciés. Une personne incarcérée sans aucune perspective d’élargissement ni possibilité de faire réexaminer sa peine perpétuelle risque de ne jamais pouvoir se racheter : quoi qu’elle fasse en prison, aussi exceptionnels que puissent être ses progrès sur la voie de l’amendement, son châtiment demeure immuable et insusceptible de contrôle (ibidem, § 111-112). La Grande Chambre a donc estimé qu’il serait incompatible avec la dignité humaine – qui est l’essence même de la Convention – de priver une personne de sa liberté par la contrainte, sans tendre vers sa réinsertion et lui donner au moins une chance de recouvrer un jour la liberté (ibidem, § 113). Elle a ajouté que le droit européen et le droit international confortent aujourd’hui clairement le principe selon lequel tous les détenus, y compris ceux purgeant des peines perpétuelles, doivent avoir la possibilité de s’amender et la perspective d’être remis en liberté s’ils y parviennent (ibidem, § 114). Même si la sanction reste l’un des buts de l’emprisonnement, l’accent, dans la politique pénale européenne, ainsi que cela ressort des règles 6, 102.1 et 103.8 des règles pénitentiaires européennes, de la Résolution 76 (2) et des Recommandations Rec(2003)23 et Rec(2003)22 du Comité des Ministres, des déclarations du CPT, et de la pratique d’un certain nombre d’États contractants, et en droit international, comme indiqué, entre autres, dans l’article 10 § 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et au commentaire général sur cet article, est désormais mis sur le but de réinsertion de l’emprisonnement, même dans le cas de détenus à vie (ibidem, §§ 115-118).

246. Sur la base de cette analyse, la Grande Chambre décida d’annuler l’arrêt de la chambre et proposa ce qui suit concernant les peines perpétuelles :

a) En ce qui concerne les peines perpétuelles l’article 3 doit être interprété comme exigeant qu’elles soient compressibles, c’est-à-dire soumises à un réexamen permettant aux autorités nationales de rechercher si, au cours de l’exécution de sa peine, le détenu a tellement évolué et progressé sur le chemin de l’amendement qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne permet plus de justifier son maintien en détention (ibidem, § 119).

b) Compte tenu de la marge d’appréciation qu’il faut accorder aux États contractants en matière de justice criminelle et de détermination des peines, la Cour n’a pas pour tâche de dicter la forme (administrative ou judiciaire) que doit prendre un tel réexamen. Pour la même raison, elle n’a pas à dire à quel moment ce réexamen doit intervenir. Cela étant, elle constate aussi qu’il se dégage des éléments de droit comparé et de droit international produits devant elle une nette tendance en faveur de l’instauration d’un mécanisme spécial garantissant un premier réexamen dans un délai de vingt-cinq ans au plus après l’imposition de la peine perpétuelle, puis des réexamens périodiques par la suite (ibidem, § 120).

c) Là où le droit national ne prévoit pas la possibilité d’un tel réexamen, une peine de perpétuité réelle méconnaît les exigences découlant de l’article 3 de la Convention (ibidem, § 121).

d) Même si le réexamen requis est un événement qui par définition ne peut avoir lieu que postérieurement au prononcé de la peine, un détenu condamné à la perpétuité réelle ne doit pas être obligé d’attendre d’avoir passé un nombre indéterminé d’années en prison avant de pouvoir se plaindre d’un défaut de conformité des conditions légales attachées à sa peine avec les exigences de l’article 3 en la matière. Cela serait contraire non seulement au principe de la sécurité juridique mais aussi aux principes généraux relatifs à la qualité de victime, au sens de ce terme tiré de l’article 34 de la Convention. De plus, dans le cas où la peine est incompressible en vertu du droit national à la date de son prononcé, il serait inconséquent d’attendre du détenu qu’il œuvre à sa propre réinsertion alors qu’il ne sait pas si, à une date future inconnue, un mécanisme permettant d’envisager son élargissement eu égard à ses efforts de réinsertion sera ou non instauré. Un détenu condamné à la perpétuité réelle a le droit de savoir, dès le début de sa peine, ce qu’il doit faire pour que sa libération soit envisagée et ce que sont les conditions applicables. Il a le droit, notamment, de connaître le moment où le réexamen de sa peine aura lieu ou pourra être sollicité. Dès lors, dans le cas où le droit national ne prévoit aucun mécanisme ni aucune possibilité de réexamen des peines de perpétuité réelle, l’incompatibilité avec l’article 3 en résultant prend naissance dès la date d’imposition de la peine perpétuelle et non à un stade ultérieur de la détention (ibidem, § 122).

b) L’application de ces principes au cas d’espèce

247. La Cour note d’emblée que M. Harakchiev n’a pas cherché à la convaincre que sa condamnation était, en tant que telle, exagérément disproportionnée par rapport à la gravité de ses infractions, ou qu’aucune raison pénologique légitime ne justifie que son incarcération se poursuive (ibidem, § 102). Son grief est plutôt dirigé contre les effets de cette peine.

248. En Bulgarie, la peine de perpétuité réelle – qui n’avait jamais existé auparavant en droit pénal bulgare – a été introduite en décembre 1998, lorsque le Parlement a officiellement aboli la peine de mort (paragraphes 51-52 et 58 ci-dessus). Cette peine est considérée comme « provisoire » et « exceptionnelle » – comme l’a confirmé le Gouvernement dans ses observations dans la présente affaire – et elle est réservée aux infractions a) qui « menacent les fondements de la République » ou sont particulièrement graves et intentionnelles et b) pour lesquelles « les buts [de la peine] (...) ne peuvent être atteints au moyen d’une peine plus clémente » (paragraphes 59-60 ci-dessus). Il existe, parallèlement, une peine de perpétuité « simple », instaurée en 1995, et qui peut être commuée (paragraphes 56, 65 et 71 ci-dessus).

249. La Cour note en outre que la peine de perpétuité réelle est considérée comme « provisoire » et « exceptionnelle » et que le nouveau projet de code pénal, présenté très récemment par le Gouvernement au Parlement, fin janvier 2014, n’envisage que la peine de perpétuité « simple », c’est-à-dire commuable (paragraphe 67 ci-dessus), car, selon la note explicative accompagnant le projet de code, l’emprisonnement à perpétuité non commuable « est désormais perçu comme trop inhumain en raison de l’absence d’espoir pour les personnes condamnées » (paragraphe 68 ci-dessus). Il apparaît donc que, lorsqu’il sera adopté, ce code prévoira les mêmes perspectives d’espoir de réexamen de la peine tant pour les condamnés à une peine de perpétuité réelle que pour ceux purgeant une peine de perpétuité commuable.

250. Comme cela a déjà été observé, le choix par un État d’un système de justice pénale, y compris le réexamen de la peine et les modalités de libération, échappe en principe au contrôle exercé par la Cour, et le prononcé d’une peine d’emprisonnement perpétuel à l’encontre d’un délinquant adulte n’est pas en soi prohibé par l’article 3 ou toute autre disposition de la Convention.

251. À la lumière de sa jurisprudence, la question qui se pose à la Cour est de savoir si la peine infligée à M. Harakchiev peut être qualifiée d’incompressible, autrement dit s’il existe une perspective de libération et une possibilité de réexamen. La Cour note à cet égard que si le droit bulgare ne permet pas à M. Harakchiev d’accéder à la libération conditionnelle – mesure qui ne s’applique qu’aux condamnés purgeant une peine d’emprisonnement à temps (paragraphe 70 ci-dessus) – et si M. Harakchiev ne peut pas espérer une décision judiciaire qui convertisse sa peine perpétuelle en une peine plus clémente, le droit bulgare prévoit deux mesures de grâce présidentielle : une grâce totale ou une commutation de la peine (paragraphes 72-74 ci-dessus). Dans l’éventualité d’une grâce totale, M. Harakchiev pourrait être immédiatement libéré sans condition. Dans l’éventualité d’une commutation de la peine, même si celle-ci était remplacée par une peine de perpétuité « simple », comme dans le cas d’un autre condamné à perpétuité en janvier 2013 (paragraphes 99-101 ci-dessus), M. Harakchiev pourrait alors demander une commutation judiciaire, voire une libération conditionnelle.

252. Dans l’affaire Iorgov [c. Bulgarie] (no 2) ([no 36295/02], §§ 48-60[, 2 septembre 2010]), tranchée après l’affaire Kafkaris (précitée) mais avant l’affaire Vinter et autres (précitée), une chambre de la cinquième section de la Cour a examiné ces dispositions constitutionnelles et législatives et leur application jusqu’en 2009. Elle a noté que même si, entre 2002 et 2009, le droit de grâce présidentielle avait été exercé à l’égard de 477 détenus, aucun détenu purgeant une peine perpétuelle ne s’était vu accorder une telle grâce. Néanmoins, la chambre a conclu qu’en l’état actuel des choses, M. Iorgov, condamné à une peine de perpétuité réelle, ne pouvait se dire privé de tout espoir d’être un jour libéré de prison. Même si au moment considéré (novembre 2009) aucun condamné à la peine de perpétuité réelle n’avait encore été gracié, cela ne suffisait pas à prouver que cette peine fût de facto incompressible en Bulgarie. Cette peine n’ayant été introduite dans le droit bulgare que peu de temps auparavant, en décembre 1998, à la suite de l’abolition de la peine capitale, il apparaissait en effet peu probable qu’un nombre important de prisonniers purgeant une telle peine, dont M. Iorgov, eussent déjà passé suffisamment de temps en détention pour pouvoir accéder à la grâce présidentielle. Par conséquent, rien n’indiquait que si M. Iorgov présentait en temps voulu une demande de grâce, elle ne serait pas dûment examinée sur la base d’une large gamme de critères. On ne pouvait donc pas considérer qu’il était privé de tout espoir de libération. En conséquence, la Cour a estimé qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 3 de la Convention (Iorgov (no 2), précité, §§ 52-60).

253. À la lumière, toutefois, du paragraphe 122 de l’arrêt de Grande Chambre Vinter et autres (précité au paragraphe 246 d) ci-dessus) rendu ultérieurement, la Cour ne peut pas adopter la même approche dans la présente affaire. Cette approche est basée sur l’hypothèse que l’absence d’une véritable possibilité d’obtenir la commutation de la peine de perpétuité ne peut constituer une violation de l’article 3 de la Convention que lorsque le condamné a déjà purgé une part suffisamment longue de sa peine et qu’il a fait des progrès suffisants pour avoir une chance réaliste de convaincre l’autorité compétente de commuer sa peine. C’est cette hypothèse qui sous-tendait les décisions des juridictions nationales et le raisonnement de la majorité des juges de la chambre dans l’affaire Vinter et autres (précitée), pour lesquels, en substance, une peine perpétuelle incompressible ne pourrait s’analyser en une violation de l’article 3 de la Convention que dans l’hypothèse et à partir du moment où l’incarcération du condamné cesserait d’apparaître justifiée (ibidem, §§ 48-49, 56, 87 et 91). Ce raisonnement a été explicitement rejeté par la Grande Chambre dans ladite affaire (ibidem, § 122).

254. Il s’ensuit qu’en l’espèce la Cour doit non seulement examiner les dispositions régissant actuellement la possibilité pour les condamnés qui, tel M. Harakchiev, purgent une peine perpétuelle incompressible de demander un aménagement de leur peine, mais aussi rechercher si au moment où la peine de M. Harakchiev est devenue définitive (novembre 2004) le droit bulgare prévoyait une possibilité appropriée de réexamen de celle-ci ou si des dispositions prévoyant pareille possibilité y ont été introduites depuis lors.

255. Il est clair que la peine est de jure compressible, au moins depuis la modification de l’article 74 du code pénal de 1968, entrée en vigueur le 13 octobre 2006 (paragraphe 74 ci-dessus). Cependant, il n’est pas sûr qu’elle le fût avant cette modification. Tel qu’il était libellé avant le 13 octobre 2006, l’article 74, bien que n’excluant pas expressément cette possibilité, n’établissait pas en termes clairs si le droit de grâce présidentielle était également applicable aux peines perpétuelles, commuables ou non (paragraphe 73 ci-dessus). Étant donné qu’avant octobre 2006 le président ou le vice-président n’ont pas eu à exercer le droit de grâce pour des condamnés purgeant une peine perpétuelle non commuable (paragraphe 87 ci-dessus) et qu’il n’existait aucune interprétation de la loi faisant autorité concernant la grâce présidentielle, il est difficile de dire si cet article était susceptible d’être interprété, seul ou en combinaison avec l’article 98 point 11 de la Constitution de 1991, de manière à faire relever la peine en question du champ d’application du droit de grâce présidentielle même si elle n’était pas spécifiquement mentionnée dans le texte de l’article. Cette incertitude ressort des déclarations faites par des parlementaires au cours du débat ayant accompagné l’introduction de la peine perpétuelle non commuable (paragraphes 63-64 ci-dessus), du fait que le pouvoir législatif jugea ensuite nécessaire de clarifier ce point par une modification législative et également du fait qu’en 2012 un groupe de parlementaires demanda à la Cour constitutionnelle une interprétation contraignante de l’article 98 point 11 de la Constitution de 1991, en particulier sur le point de savoir si le droit de grâce présidentielle incluait tous les types de sanctions pénales (paragraphe 76 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour n’est pas persuadée qu’il fût clair, au moment où la peine de M. Harakchiev est devenue définitive, que celle-ci était de jure compressible.

256. La Cour n’est pas non plus persuadée que la peine de M. Harakchiev fût de facto compressible pendant toute la période pertinente et que l’intéressé puisse passer pour avoir su, tout au long de sa détention, qu’il existait un mécanisme propre à déboucher sur un examen concret de l’opportunité de le libérer.

257. En vertu du système actuel, qui est basé sur les décisions prises par le président entré en fonction en janvier 2012 et sur la pratique de la Commission de grâce instaurée par lui à la même époque (paragraphes 90‑107 ci-dessus) et, surtout, sur l’interprétation contraignante de l’article 98 point 11 de la Constitution de 1991 donnée par la Cour constitutionnelle en avril 2012 (paragraphes 76-83 ci-dessus), les modalités d’exercice du droit de grâce présidentielle sont très claires.

258. En particulier, la Cour constitutionnelle a défini l’étendue de ce pouvoir et a estimé qu’il fallait l’exercer de manière non arbitraire, en prenant en compte l’équité, l’humanité, la compassion, la pitié, ainsi que l’état de santé et la situation familiale du condamné, ainsi que tous les changements positifs de sa personnalité. La Cour constitutionnelle a ajouté que, même si l’on ne pouvait demander au président ou au vice-président de motiver leurs décisions dans des cas individuels, on pouvait s’attendre à ce qu’ils fassent connaître les critères généraux les guidant dans l’exercice du droit de grâce. Enfin, la haute juridiction a précisé que les décrets de grâce pouvaient être attaqués devant elle, sous réserve du respect de diverses conditions restrictives, notamment en matière de qualité pour agir (paragraphes 76-83 ci-dessus). Les principes énoncés par la Cour constitutionnelle dans sa décision offrent ainsi des garanties importantes que le droit de grâce présidentielle sera exercé d’une manière cohérente et largement prévisible.

259. En outre, les règles régissant le travail de la Commission de grâce attachée au vice-président prévoient que la commission doit notamment prendre en compte, dans le cadre de son travail, la jurisprudence pertinente des juridictions internationales et d’autres organes sur l’interprétation et l’application des instruments internationaux de protection des droits de l’homme applicables à la Bulgarie (paragraphe 91 ci-dessus). Les pratiques adoptées par la commission dès le commencement de son travail, au début de 2012 – notamment celles concernant la publication des critères qui la guident dans l’examen des demandes de grâce, des motifs des recommandations adressées par elle au vice-président relativement à l’exercice du droit de grâce dans les cas individuels et des informations statistiques pertinentes (paragraphes 94-107 ci-dessus) – ont également accru la transparence de la procédure de grâce et constitué une autre garantie d’un exercice cohérent et transparent des pouvoirs présidentiels à cet égard.

260. Enfin, il convient de tenir compte du fait que, même s’il a fallu attendre pour cela décembre 2012, la Commission de grâce a proposé au vice-président de convertir une peine de perpétuité non commuable en une peine de perpétuité commuable en se fondant sur l’amendement du condamné, et qu’en janvier 2013, le vice-président a accepté cette proposition (paragraphes 99-101 ci-dessus). Comme l’ont noté la commission et le Gouvernement dans ses observations, ce cas démontre à tous les détenus qui, comme M. Harakchiev, ont été condamnés à une peine de perpétuité non commuable qu’ils peuvent améliorer leur situation (paragraphe 100 ci‑dessus).

261. Il apparaît donc que si les présidents et vice-présidents actuels et futurs continuent d’exercer leur droit de grâce conformément aux principes établis par la Cour constitutionnelle en 2012 et aux pratiques adoptées la même année, on peut considérer que la peine de perpétuité non commuable de M. Harakchiev est compressible de facto et que l’intéressé sait depuis 2012 qu’il existe un mécanisme lui permettant de faire examiner l’opportunité de le libérer ou de commuer sa peine. Il est vrai que certaines des règles applicables ne sont prévues ni par la Constitution ni par la loi, mais par un décret présidentiel. La Cour n’a toutefois pas vocation, elle l’a déjà noté, à prescrire la forme que doit prendre le réexamen.

262. En revanche, la Cour ne peut conclure de même relativement au laps de temps qui s’est écoulé entre le moment où la peine est devenue définitive (novembre 2004) et les premiers mois de 2012. Sous l’administration présidentielle précédente, qui a été en fonction pendant deux mandats, du 22 janvier 2002 au 22 janvier 2007, puis du 22 janvier 2007 au 22 janvier 2012, les modalités d’exercice du droit de grâce présidentielle étaient plutôt opaques, sans déclarations politiques accessibles au public et sans motivation des décisions de grâce individuelles (paragraphe 87 ci-dessus). À cet égard, la Cour ne peut pas négliger le fait que pendant le débat de 1998 des parlementaires ont demandé la confirmation que le pouvoir discrétionnaire du président ne s’exercerait pas à l’égard des condamnés à une peine de perpétuité réelle, et qu’en 2012 le Parlement a jugé nécessaire d’instaurer un comité ad hoc pour enquêter sur la question (paragraphe 89 ci-dessus). De même, il n’y a pas d’exemples concrets montrant que des personnes dans la même situation que M. Harakchiev pouvaient espérer bénéficier de l’exercice de ce droit (voir, par contraste, Kafkaris, précité, § 103). Il est vrai que l’absence de tels exemples pourrait s’expliquer par le fait que la peine de perpétuité réelle n’avait été introduite en droit bulgare que depuis peu, en décembre 1998, et qu’il était donc peu probable qu’un grand nombre de personnes purgeant une telle peine eussent passé suffisamment de temps en prison pour justifier une grâce (Iorgov (no 2), précité, §§ 56-57). Cependant, l’absence totale à l’époque de garanties formelles ou même informelles entourant l’exercice du droit de grâce présidentielle, couplée à l’absence d’exemples tendant à suggérer qu’une personne purgeant une peine de perpétuité réelle pouvait, à certaines conditions bien définies, obtenir un aménagement de peine, conduit la Cour à conclure qu’entre novembre 2004 et début 2012, la peine de M. Harakchiev ne pouvait être considérée comme compressible de facto. Il découle nécessairement du paragraphe 122 de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Vinter et autres (précitée au paragraphe 246 d) ci-dessus) que, dans de tels cas, la violation de l’article 3 de la Convention consiste à priver le détenu, pour quelque durée que ce soit, de tout espoir de libération, si ténu qu’il puisse être.

263. Cela étant dit, dans la présente affaire, où les requérants invoquent aussi de sérieux griefs à l’égard de leurs régime et conditions de détention (paragraphe 179 ci-dessus), un autre point doit être examiné par la Cour : celui de savoir si le régime et les conditions de détention de M. Harakchiev lui ont laissé une véritable opportunité de s’amender et d’essayer ainsi de convaincre le président ou le vice-président d’exercer leur droit de grâce à son endroit. Il convient également de noter à cet égard que dans l’affaire Vinter et autres (précitée, § 122) la Cour a dit qu’« [u]n détenu condamné à la perpétuité réelle a le droit de savoir, dès le début de sa peine, ce qu’il doit faire pour que sa libération soit envisagée et ce que sont les conditions applicables » (paragraphe 246 d) ci-dessus).

264. Si la Convention ne garantit pas, en tant que tel, un droit à la réinsertion, et si l’article 3 ne peut être interprété comme imposant aux autorités une obligation absolue d’offrir aux détenus des programmes de réinsertion ou de rééducation et des activités telles que des cours ou une assistance, cette disposition exige néanmoins des autorités qu’elles donnent aux condamnés à la peine perpétuelle une chance, aussi lointaine soit-elle, de retrouver un jour la liberté. Pour que cette chance puisse passer pour tangible et véritable, les autorités doivent également donner aux condamnés à une peine perpétuelle une véritable opportunité de se réinsérer. En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de noter le développement ces dernières années d’une tendance à mettre l’accent sur la réinsertion, qui constitue l’idée de la resocialisation par la stimulation de la responsabilité personnelle (Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, § 28, CEDH 2007‑V, et Vinter et autres, précité, §§ 113-118). Cette évolution est tout à fait en accord avec le but premier de la sanction pénale, tel qu’il est exposé à l’article 36 du code pénal bulgare (paragraphe 53 ci-dessus), et à l’article 10 § 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, en vigueur à l’égard de la Bulgarie depuis 1970, qui prévoit que le but principal du traitement pénitentiaire est l’amendement et la resocialisation des détenus (paragraphes 157-158 ci-dessus). Elle est également inhérente à différents instruments auxquels la Cour, ainsi qu’elle l’a déjà indiqué, attache une importance considérable malgré leur caractère non contraignant (voir, mutatis mutandis, Rivière [c. France, no 33834/03], § 72, [11 juillet 2006,] et Dybeku [c. Albanie, no 41153/06], § 48, [18 décembre 2007]) : règles 6, 33.3, 102.1 et 107.1 des règles pénitentiaires européennes de 2006, points 6 et 11 de la Résolution 76 (2) du Comité des Ministres et paragraphes 2 in fine, 5 et 33 de la Recommandation Rec(2003)23 concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée, qui tous mettent l’accent sur les efforts que doivent faire les autorités pénitentiaires pour promouvoir la resocialisation et la réinsertion de tous les détenus, y compris ceux purgeant des peines perpétuelles (paragraphes 159, 161 et 162 ci-dessus).

265. Il s’agit là, bien entendu, d’un domaine dans lequel les États contractants jouissent d’une large marge d’appréciation. Le régime et les conditions de détention d’un condamné à perpétuité ne peuvent toutefois laisser indifférent dans ce contexte. Ils doivent permettre à la personne concernée de chercher à s’amender en vue de pouvoir un jour demander un aménagement de peine.

266. Même si un détenu bulgare sait « ce qu’il doit faire pour que sa libération soit envisagée et ce que sont les conditions applicables » (paragraphe 246 d) ci-dessus), des détenus comme M. Harakchiev sont généralement soumis à un régime de détention particulièrement rigoureux – contrairement à la situation de M. Iorgov, dont le régime était graduellement assoupli en raison d’une « expérience » à la prison de Pleven (...) – qui implique un isolement presque complet et de très faibles possibilités de contacts sociaux, de travail ou d’éducation (paragraphes 118 et 124-126 ci-dessus). En l’espèce, malgré certaines variations dans son régime de détention, M. Harakchiev est en pratique resté dans des cellules verrouillées en permanence et il a été isolé du reste de la population pénitentiaire, avec très peu de possibilités de contacts sociaux ou de travail tout au long de son incarcération (paragraphes 12, 23 (...) et 177 ci‑dessus). Selon la Cour, les effets délétères de ce régime de détention appauvri, couplés avec des conditions matérielles de détention insatisfaisantes, peuvent avoir sérieusement amoindri les chances pour l’intéressé de s’amender et donc d’entretenir un véritable espoir d’y parvenir un jour, de démontrer ses progrès et d’obtenir une réduction de peine. Il convient d’ajouter à cela l’absence d’une évaluation périodique cohérente sur ses progrès en matière de réinsertion. Certes, M. Harakchiev a fait l’objet d’évaluations psychologiques annuelles (...) Il convient toutefois de noter que les « Normes nationales pour le traitement des prisonniers à vie », adoptées en 2007, semblent être conçues pour aider les condamnés à perpétuité à s’adapter à leur peine plutôt qu’à travailler à leur réinsertion (paragraphe 135 ci-dessus). Ces normes n’établissent pas non plus clairement si les éventuels changements positifs dans la vie des détenus sont censés résulter de leurs propres efforts ou plutôt, comme le recommande le CPT (paragraphe 165 ci-dessus), d’une approche proactive de la part des autorités pénitentiaires.

267. Eu égard à ces considérations, la Cour conclut à la violation de l’article 3 de la Convention.

268. La Cour précise à cet égard que la nature du grief de M. Harakchiev (paragraphe 247 ci-dessus) et le constat d’une violation concernant ce grief ne peuvent être compris comme lui donnant une perspective de libération imminente.

(...)

V. APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION

278. L’article 46 de la Convention dispose, en ses parties pertinentes :

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.

(...) »

279. Au titre de cet article, les Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels ils sont parties, l’exécution étant supervisée par le Comité des Ministres. Il en résulte, entre autres, qu’un arrêt dans lequel la Cour constate une violation de la Convention ou de ses Protocoles impose à l’État défendeur l’obligation juridique non seulement de verser aux intéressés les sommes qui leur ont été allouées à titre de satisfaction équitable en vertu de l’article 41 de la Convention, mais aussi de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou (le cas échéant) individuelles qu’il lui paraît approprié d’inscrire dans son droit interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en réparer autant que possible les effets. C’est au premier chef à l’État concerné qu’il revient de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les moyens à utiliser dans son droit interne pour remplir cette obligation. Afin d’aider l’État défendeur dans cette tâche, la Cour peut toutefois chercher à lui indiquer le type de mesures individuelles et/ou générales qui pourraient être prises pour mettre un terme à la situation constatée (voir, pour un exemple récent, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, §§ 254-255, CEDH 2012).

280. La violation de l’article 3 de la Convention constatée en l’espèce relativement au régime et aux conditions de détention des requérants résulte en grande partie des dispositions pertinentes de la loi de 2009 sur l’exécution des peines et la détention préventive et de son règlement d’application (...) Il s’agit en réalité d’un problème systémique, qui a déjà donné lieu à des requêtes similaires (Chervenkov [c. Bulgarie, no 45358/04], §§ 50 et 69-70[, 27 novembre 2012], et Sabev [c. Bulgarie, no 27887/06], §§ 72 et 98‑99, [28 mai 2013]) et qui pourrait en amener d’autres. La nature de la violation ici constatée indique que, pour exécuter correctement cet arrêt, l’État défendeur devrait réformer, de préférence par le biais de la loi, le cadre juridique régissant le régime de détention applicable aux personnes condamnées à la réclusion à perpétuité avec ou sans libération conditionnelle. Cette réforme, invariablement recommandée par le CPT depuis 1999 (...), devrait entraîner a) la suppression de l’application automatique du régime pénitentiaire le plus restrictif actuellement applicable, en règle générale, à tous les détenus à vie pour une période initiale de cinq ans au moins et b) mettre en place des dispositions prévoyant que le régime spécial de sécurité ne peut être imposé – et maintenu – sur la base d’une évaluation du risque individuel de chaque détenu à vie que pour la durée strictement nécessaire.

(...)

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

(...)

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention relativement à l’impossibilité pour M. Harakchiev d’obtenir une réduction de sa peine à partir du moment où elle était devenue définitive ;

6. Dit que le constat d’une violation de l’article 3 de la Convention relativement à l’impossibilité pour M. Harakchiev d’obtenir une réduction de sa peine à partir du moment où elle était devenue définitive constitue en soi une satisfaction équitable suffisante ;

(...)

Fait en anglais puis communiqué par écrit le 8 juillet 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Fatoş AracıIneta Ziemele
Greffière de section Présidente


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award