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10/06/2014 | CEDH | N°001-144664

CEDH | CEDH, AFFAIRE BUJOREAN c. ROUMANIE, 2014, 001-144664


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BUJOREAN c. ROUMANIE

(Requête no 13054/12)

ARRÊT

STRASBOURG

10 juin 2014

DÉFINITIF

10/09/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Bujorean c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Luis López Guerra,


Kristina Pardalos,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 m...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BUJOREAN c. ROUMANIE

(Requête no 13054/12)

ARRÊT

STRASBOURG

10 juin 2014

DÉFINITIF

10/09/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Bujorean c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 mai 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 13054/12) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Gheorghe Bujorean (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 février 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaint en particulier des conditions de sa détention dans la prison de Botoşani.

4. Le 17 janvier 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1968 et est actuellement détenu à la prison de Botoşani.

6. Par un arrêt définitif du 13 septembre 2011, la Haute Cour de cassation et de justice condamna le requérant à une peine de prison de cinq ans du chef d’escroquerie. Le 19 septembre 2011, il fut incarcéré à la prison de Botoşani où il continue à purger sa peine.

A. Les conditions de détention du requérant

7. Les parties divergent quant aux conditions de la détention du requérant.

1. La version du requérant

8. Le requérant allègue des conditions similaires de détention dans tous les établissements pénitentiaires où il a été détenu : la prison de Botoşani, ainsi que la prison de Focşani et l’hôpital pénitentiaire de Bucarest-Jilava où il a été transféré en juin 2012 pour une période non précisée afin de subir des examens médicaux.

9. Il se plaint de la surpopulation carcérale et indique qu’à la prison de Botoşani il y avait 15-17 personnes dans sa cellule, alors que la cellule mesurait 20 m2. Il se plaint aussi du manque d’aération de la cellule, de la quantité limitée d’eau potable, de la mauvaise qualité de la nourriture, des conditions d’hygiène précaires et de la présence de parasites.

10. Il fait également valoir que, lors de ses transferts entre établissements pénitentiaires, il a dû voyager dans de vieux camions inadaptés au transport des personnes, notamment en raison du manque d’aération et du grand nombre de détenus transportés.

2. La version du Gouvernement

11. Le requérant a été détenu la plupart du temps à la prison de Botoşani, où il a partagé plusieurs cellules.

12. À compter du 4 octobre 2011, le requérant a purgé sa peine en régime semi-ouvert. Les portes des cellules restaient ouvertes tout au long de la journée, sauf pendant les repas. Le requérant a ainsi eu accès aux trois cours de la prison, au club ainsi qu’à la salle de sport, à raison de 9,5 heures par jour, de 7 heures 30 à midi et ensuite de 13 heures à 18 heures.

13. Le requérant a toujours disposé d’un lit individuel. En outre, les conditions d’hygiène, la qualité de la nourriture ainsi que l’aération et l’éclairage des cellules étaient satisfaisantes. Les toilettes et les douches étaient séparées de la cellule par des murs et l’accès à l’eau chaude était assuré deux fois par semaine.

B. L’état de santé du requérant

14. En septembre 2011, le requérant demanda la suspension de l’exécution de sa peine pour motifs médicaux, faisant valoir que son état de santé n’était pas compatible avec la détention. Il faisait valoir qu’il souffrait d’une hépatite virale de type C.

15. Par un jugement du 12 avril 2012, le tribunal départemental de Botoşani rejeta sa demande, en se fondant sur deux expertises médicales selon lesquelles le requérant n’avait pas réagi au traitement à l’Interféron mais bénéficiait d’un autre traitement en prison. Par ailleurs, selon les conclusions des expertises, le requérant pouvait être suivi et traité pour sa maladie dans le système pénitentiaire.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONALES PERTINENTS

16. Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).

17. Les rapports internationaux pertinents, dont ceux du Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») sont décrits dans l’affaire Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 125-129, 24 juillet 2012).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

18. Le requérant se plaint des conditions de sa détention dans la prison de Botoşani et invoque l’article 2 de la Convention. Vu la nature de son grief et sa jurisprudence en la matière (Iacov Stanciu, précité, § 166), la Cour estime qu’il convient d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

19. Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de ce grief pour non‑épuisement des voies de recours internes. Il affirme que le requérant n’a jamais saisi les autorités compétentes pour se plaindre de ses conditions de détention, sur le fondement des dispositions de la loi no 275/2006 ou celles du droit commun relatives à la responsabilité civile. Il renvoie également aux exemples de jurisprudence qu’il a présentés devant la Cour dans deux autres affaires similaires.

20. Le requérant indique avoir informé plusieurs autorités publiques de ses conditions de détention, sans pour autant obtenir d’amélioration de sa situation.

21. La Cour observe que, s’agissant des conditions matérielles de sa détention, le grief du requérant porte en particulier sur la surpopulation carcérale et sur les mauvaises conditions d’hygiène. Elle rappelle à ce propos avoir déjà jugé, dans des affaires récentes relatives à un grief similaire et dirigées contre la Roumanie, qu’au vu de la particularité de ce grief la jurisprudence interne à laquelle se réfère le Gouvernement n’indique pas comment une action fondée sur les dispositions de la loi no 275/2006 aurait pu apporter au requérant une réparation immédiate et effective pour son grief (Marin Vasilescu c. Roumanie, no 62353/09, § 27, 11 juin 2013 et Bulea c. Roumanie, no 27804/10, § 42, 3 décembre 2013). La Cour est arrivée aux mêmes conclusions s’agissant de l’action en responsabilité civile (Stoleriu c. Roumanie, no 5002/05, § 60, 16 juillet 2013 et Ţicu c. Roumanie, no 24575/10, § 48, 1 octobre 2013). Les arguments du Gouvernement ne sauraient conduire en l’espèce la Cour à une conclusion différente. Dès lors, il convient de rejeter cette exception.

22. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

23. Le requérant indique notamment que la prison de Botoşani connaît un grave problème de surpeuplement. Il fait valoir qu’en réalité il ne peut pas quitter sa cellule parce que la prison n’a pas de salle de sport et que le club n’est pas librement accessible aux détenus, dès lors qu’il est utilisé par le personnel de la prison, ou bien pour des cours pour les détenus inscrits.

24. Le Gouvernement indique qu’en raison du régime semi-ouvert de la prison de Botoşani, le requérant a bénéficié d’un espace plus large que celui de sa cellule puisqu’il a eu accès aux trois cours de la prison, au club et à la salle de sport. En outre, il considère que les conditions de détention subies par le requérant n’atteignent pas le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention.

25. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que toute personne détenue le soit dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, qui ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être de la personne détenue sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI). Lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001-II).

26. L’État est donc tenu, nonobstant les problèmes logistiques et financiers, d’organiser son système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité humaine (Benediktov c. Russie, no 106/02, § 37, 10 mai 2007 et Soukhovoï c. Russie, no 63955/00, § 31, 27 mars 2008).

27. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que les parties s’accordent sur le fait que le requérant a purgé la plus grande partie de sa peine à la prison de Botoşani, dont il donne une description détaillée. À cet égard, la Cour relève qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention dans des affaires similaires dans lesquelles les requérants mettaient en cause les conditions matérielles de détention dans cette même prison (Cucolaş c. Roumanie, no 17044/03, § 94, 14 septembre 2010, Budaca c. Roumanie, no 57260/10, § 42, 17 juillet 2012, Stoleriu, précité, § 66 et Cotleţ c. Roumanie (no 2), no 49549/11, § 34, 1 octobre 2013).

28. S’agissant en particulier de l’espace personnel accordé au requérant, la Cour observe que selon les informations qu’il a fournies, non contredites par le Gouvernement, il disposait d’un espace individuel réduit, inférieur à deux mètres carrés, ce qui est en-dessous de la norme de quatre mètres carrés recommandée par le CPT pour les cellules collectives (Stoleriu, précité, § 66 et Cotleţ, précité, § 34).

29. La Cour note que, pendant sa détention sous le régime semi-ouvert, le requérant a bénéficié de la possibilité de quitter sa cellule. Cependant, cette mesure ne peut constituer en elle-même une solution au manque d’espace individuel dans les établissements pénitentiaires, d’autant plus que, comme en l’espèce, le requérant subissait une situation de surpeuplement grave (Györgypál c. Roumanie, no 29540/08, § 74, 26 mars 2013).

30. Outre le problème de surpopulation carcérale, les allégations du requérant quant aux conditions d’hygiène précaires, notamment l’accès à l’eau chaude et aux douches ainsi que l’aération et l’éclairage des cellules sont plus que plausibles et reflètent des réalités décrites par le CPT dans les différents rapports établis à la suite de ses visites dans les prisons roumaines (Cucolaş, précité, § 95).

31. La Cour estime dès lors que les conditions de détention en cause ont soumis le requérant à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 49, 27 juillet 2006).

32. Compte tenu de ce constat, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la partie du grief relative aux conditions de transport du requérant (Viorel Burzo c. Roumanie, nos 75109/01 et 12639/02, § 102, 30 juin 2009, Micu c. Roumanie, no 29883/06, § 90, 8 février 2011 et Pop Blaga c. Roumanie, no 37379/02, § 47, 27 novembre 2012).

33. Au vu de ce qui précède, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention de ce chef.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

34. Le requérant se plaint enfin, sous l’angle de l’article 2 de la Convention, de l’interruption du traitement à base d’Interféron et fait valoir que son état de santé n’est pas compatible avec la détention. Citant l’article 6 § 1 de la Convention, il se plaint de l’issue de la procédure pénale à son encontre et, dans une lettre du 3 juillet 2012, de la durée excessive de cette procédure. Invoquant l’article 1 du Protocole no 4, il fait valoir, dans une lettre du 3 juillet 2012, avoir été emprisonné pour dette.

35. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. La Cour conclut donc que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

36. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

37. Le requérant n’a pas présenté de demande de satisfaction équitable dans le délai imparti par la Cour. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention relatif aux conditions de détention du requérant à la prison de Botoşani et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 juin 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-144664
Date de la décision : 10/06/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : BUJOREAN
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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