La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/06/2014 | CEDH | N°001-144337

CEDH | CEDH, AFFAIRE DUMITRU c. ROUMANIE, 2014, 001-144337


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE DUMITRU c. ROUMANIE

(Requête no 4710/04)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

3 juin 2014

DÉFINITIF

13/10/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Dumitru c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Gue

rra,
Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE DUMITRU c. ROUMANIE

(Requête no 4710/04)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

3 juin 2014

DÉFINITIF

13/10/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Dumitru c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 mai 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 4710/04) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Gheorghe Ioan Dumitru (« le requérant »), a saisi la Cour le 31 octobre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 1er juin 2010 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’il y a eu violation des articles 6 § 1 et 10 de la Convention en raison de l’iniquité de la procédure en diffamation dirigée à l’encontre du requérant et de l’ingérence disproportionnée dans son droit à la liberté d’expression. Par le même arrêt la Cour a également jugé qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de la non-exécution par les autorités nationales de la décision définitive du 20 septembre 2001 du tribunal de première instance d’Ineu, rendue en faveur du requérant, visant la restitution d’un étang de 17,98 ha (Dumitru c. Roumanie, no 4710/04, §§ 33, 51 et 60, 1er juin 2010).

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant réclamait la restitution de l’étang et une compensation pour le local de pisciculture, pour « l’aménagement piscicole », pour le terrain et pour le manque à gagner avec l’élevage piscicole. En outre, il réclamait la réparation du préjudice moral et le remboursement des frais et dépens engagés dans les procédures internes et devant la Cour.

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité les parties à lui soumettre par écrit, dans le délai de six mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel elles pourraient aboutir (ibidem, § 66 et point 5 du dispositif de l’arrêt au principal).

5. Par une lettre du 17 janvier 2011, Mme Delia Dumitru et M. Sorin‑Gheorghe Dumitru, les héritiers (épouse et fils) du requérant, ont porté à la connaissance de la Cour le décès du requérant survenu le 30 octobre 2010, et leur intention de poursuivre la procédure devant la Cour. Pour des raisons d’ordre pratique, le présent arrêt continuera d’appeler M. Gheorghe Ioan Dumitru « le requérant », bien qu’il faille aujourd’hui attribuer cette qualité à ses héritiers (voir Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 1, CEDH 1999‑VI).

6. Par une lettre du 23 juillet 2013, la Cour a invité les parties à soumettre leurs éventuels commentaires et propositions actualisés. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations et commentaires.

EN DROIT

7. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

8. Dans leur courrier du 21 août 2013, les héritiers du requérant réclament, à titre principal, la restitution de l’étang, ainsi que du local de pisciculture et de « l’aménagement piscicole ». À titre subsidiaire, ils demandent l’octroi des mêmes montants réclamés par le requérant, à savoir:

– 1 714 EUR pour le local de pisciculture ;

– 1 000 000 EUR pour « l’aménagement piscicole », montant estimé conforme au prix du marché ;

– 80 000 EUR représentant la valeur du terrain, et

– 342 857 EUR pour le manque à gagner avec l’élevage piscicole dans l’étang entre 2001 et 2008, utilisant comme base de calcul les archives nationales enregistrant la production des années 1937 et 1938 de la même pisciculture. Les héritiers rajoutent 166 000 EUR pour le manque à gagner avec l’élevage piscicole entre 2009 et 2013, sans toutefois soumettre de rapport d’expertise permettant de déterminer ces valeurs, ni aucune autre pièce à l’appui.

À titre de dommage moral, les héritiers du requérant réclament un montant de 7 000 000 EUR pour les problèmes de santé qu’auraient engendrés, pour le requérant et sa famille, les difficultés liées à la restitution de leur propriété, pour le préjudice de l’image du requérant, pour la pression morale à laquelle ils ont étés soumis, pour la condamnation pénale du requérant et les ennuis causés par toutes les procédures relatives aux demandes de restitution de leur propriété.

Par la suite, ils ont informé la Cour avoir signé le procès-verbal de mise en possession de l’étang le 2 août 2013, tout en précisant que le titre de propriété au nom du requérant leur a été délivré seulement le 9 septembre 2013.

9. Dans ses observations actualisées, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la demande de satisfaction équitable formulée par les héritiers du requérant, considérant qu’en ce qui concerne la restitution de l’étang, la situation a été résolue au niveau interne et qu’en ce qui concerne le manque à gagner potentiel de l’élevage piscicole, la demande est spéculative et non étayée. Le Gouvernement rappelle avoir indiqué dans ses observations quant au fond, que le local de pisciculture ne faisait pas l’objet de cette requête, et qu’en ce qui concernait le terrain, uniquement 2,87 ha du terrain de 17,98 ha n’avaient pas pu être restitués sur l’ancien emplacement (voir § 65 de l’arrêt au principal).

Le Gouvernement considère qu’aucun lien de causalité entre la prétendue violation de la Convention et le préjudice moral invoqué n’a pas été prouvé et considère que le constat de violation constitue une réparation satisfaisante.

10. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). En l’espèce, elle rappelle avoir conclu à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention au motif que l’arrêt du tribunal départemental d’Arad du 29 mai 2003 n’était pas suffisamment motivé et que la cause du requérant, dans la procédure pour diffamation diligentée à son encontre et qui s’est achevée par cet arrêt, n’avait pas été entendue équitablement ; à une violation de l’article 10 de la Convention en raison de la condamnation du requérant au paiement d’une amende pénale ; et à une violation de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de la non‑exécution de la décision définitive du 20 septembre 2001, ordonnant la restitution au requérant d’un étang de 17,98 ha.

11. La Cour observe que, le 2 août 2013, les héritiers du requérants ont signé, et ainsi accepté, la mise en possession de l’étang de 17,98 ha et qu’un titre de propriété leur a été délivré le 9 septembre 2013. Par conséquent, la Cour estime que la décision définitive du 20 septembre 2001 rendue en faveur du requérant a été exécutée.

Pour ce qui est de la somme demandée pour le manque à gagner avec l’élevage piscicole dans l’étang, à défaut d’éléments de preuve suffisants à l’appui de leur demande, la Cour ne saurait spéculer sur le rendement de l’étang en question (Buzatu c. Roumanie (satisfaction équitable), no 34642/97, § 18, 27 janvier 2005).

12. La Cour considère, dès lors, qu’il n’y a pas lieu d’allouer d’indemnité au titre du dommage matériel.

13. Elle estime, en revanche, que le requérant a subi un préjudice moral en raison, notamment, de la frustration provoquée par le défaut d’équité de la procédure pour diffamation diligentée à son encontre, par l’ingérence disproportionnée dans son droit à la liberté d’expression et par le retard dans l’exécution par l’État de la décision définitive ordonnant la restitution de l’étang (voir Piştireanu c. Roumanie, no 34860/02, § 45, 30 septembre 2008). Ce préjudice n’est pas suffisamment compensé par les constats de violations. Eu égard à l’ensemble des éléments se trouvant en sa possession et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue au requérant, pour préjudice moral, la somme de 10 000 EUR.

B. Frais et dépens

14. Les héritiers du requérant sollicitent 25 247 EUR pour les frais et dépens engagés dans les procédures internes et maintiennent la demande de remboursement de la somme de 30 000 EUR pour ceux exposés dans la procédure devant la Cour, sans verser de pièces justificatives à l’appui. Le requérant avait présenté un certain nombre de quittances attestant divers paiements, ainsi qu’un contrat d’assistance judiciaire signé avec Me Eugen Sîrb.

15. Le Gouvernement invite la Cour à n’allouer à la partie requérante aucune somme, estimant que ces prétentions ne sont pas étayées et arguant du fait qu’aucun lien de causalité entre les violations alléguées et les pièces justificatives présentées n’a été établi.

16. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

17. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR pour l’ensemble des frais et dépens et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

18. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ

1. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux héritiers du requérant, conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et

ii. 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 juin 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-144337
Date de la décision : 03/06/2014
Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Dommage matériel - demande rejetée;Préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : DUMITRU
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award