La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/06/2014 | CEDH | N°001-144335

CEDH | CEDH, AFFAIRE DRAGALINA c. ROUMANIE, 2014, 001-144335


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE DRAGALINA c. ROUMANIE

(Requête no 17268/03)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

3 juin 2014

DÉFINITIF

17/11/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Dragalina c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis Lópe

z Guerra,
Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en ch...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE DRAGALINA c. ROUMANIE

(Requête no 17268/03)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

3 juin 2014

DÉFINITIF

17/11/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Dragalina c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 mai 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 17268/03) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État ayant également la nationalité autrichienne, M. Vasile Gheorghe Dragalina (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 mai 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 14 octobre 2008 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1. Pour ainsi se prononcer, la Cour a constaté que l’État, par le biais de ses organes spécialisés, n’a pas déployé tous les efforts nécessaires afin de faire exécuter le jugement obligeant les autorités locales à restituer dans la propriété du requérant un terrain de 13,40 ha sis à Pâncota. (Dragalina c. Roumanie, no 17268/03, §§ 29, 35-36, 14 octobre 2008).

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant réclamait l’attribution en propriété du terrain de 13,40 ha sur l’ancien emplacement, ainsi qu’une réparation du bénéfice de « la production » de son terrain depuis 1959 et une réparation du préjudice moral. Le requérant demandait également le remboursement des frais et dépens qu’il a engagés au niveau national pour faire exécuter le jugement.

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état pour le dommage matériel et moral, la Cour l’a réservée et a invité les parties à lui soumettre par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel elles pourraient aboutir (ibidem, § 42, et point 4 du dispositif de l’arrêt au principal).

5. Par une lettre du 23 juillet 2013, la Cour a invité les parties à soumettre leurs éventuels commentaires et propositions actualisés. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations et commentaires.

EN DROIT

6. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

7. Dans son courrier du 23 août 2013, le requérant réclame, à titre principal, l’attribution en propriété du terrain de 13,40 ha sur l’ancien emplacement. À titre subsidiaire, il réclame une satisfaction équitable d’un montant de 335 000 EUR, correspondant à la valeur d’un terrain agricole en Autriche, où il réside et où il souhaite acheter un terrain équivalent. Le requérant réclame également 580 000 EUR au titre du bénéfice qu’il aurait tiré de « la production agricole» de son terrain depuis 1959. Enfin, il réclame 4 000 000 EUR au titre du préjudice moral, en raison de l’aggravation de son état de santé et de celui de sa femme.

8. Dans ses observations actualisées, le Gouvernement informe la Cour du fait que, suite au prononcé de l’arrêt au principal, les autorités nationales ont présenté au requérant plusieurs propositions d’attribution en propriété du terrain sur d’autres emplacements, car environ 100 titres de propriété furent délivrés entre temps à des tierces personnes sur l’ancien emplacement du terrain en cause. Le requérant n’a pas donné cours à ces propositions. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la demande de satisfaction équitable formulée par le requérant. Il estime que le requérant devait épuiser les nouvelles voies de recours introduites par la loi no 165/2013. En tout état de cause, il soutient que la valeur du bien devrait être calculée selon les critères fixés par le tableau d’estimation des prix de l’immobilier réalisé par la chambre des notaires, instrument prévu par la loi no 165/2013 pour l’évaluation des immeubles visés par les lois de restitution. Dans un premier document établi en septembre 2013 par l’Autorité Nationale pour la Restitution des Propriétés indiquant que la valeur du bien du requérant était de 1 072 000 EUR. Postérieurement, en octobre 2013, il a soumis un deuxième document d’après lequel le terrain réclamé était un terrain agricole situé extra-muros de Pâncota et estime que la valeur d’un terrain similaire est en réalité de 20 160 EUR.

Le Gouvernement considère par ailleurs la demande du requérant, visant la réparation du manque à gagner depuis 1959, spéculative et non-étayée.

Il conteste également l’existence d’un lien de causalité entre la violation de la Convention et le préjudice moral allégué, et considère qu’un éventuel constat de violation pourrait constituer en soi une réparation suffisante.

9. En ce qui concerne l’observation du Gouvernement au sujet du nouveau remède à épuiser selon la loi no 165/2013, la Cour ne peut pas accepter, à ce stade de la procédure, l’argument du non-épuisement des nouvelles voies de recours internes pour l’octroi d’une indemnisation, alors qu’elle s’est déjà prononcée sur le fond de l’affaire (Xenides-Arestis c. Turquie (satisfaction équitable), no 46347/99, § 37, 7 décembre 2006).

10. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). En l’espèce, elle rappelle avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 en raison du fait que l’État, par le biais de ses organes spécialisés, n’a pas déployé tous les efforts nécessaires afin de faire exécuter le jugement enjoignant aux autorités locales à restituer au requérant un terrain de 13,40 ha sis à Pâncota.

11. La Cour considère que le requérant en cause a incontestablement subi un préjudice matériel en relation directe avec la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

12. Pour déterminer le préjudice éprouvé du fait de la privation de propriété subie, la Cour tient compte des circonstances de chaque espèce et jouit d’une grande marge d’appréciation (voir, par exemple, Agrokompleks c. Ukraine (satisfaction équitable), no 23465/03, §§ 81-84, 25 juillet 2013).

13. En l’espèce, la Cour estime qu’il y a lieu à allouer au requérant une somme en rapport directe avec la valeur actuelle du bien (Loizidou c. Turquie (article 50), 29 juillet 1998, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV ; voir Străin et autres c. Roumanie, no 57001/00, § 81, CEDH 2005‑VII).

14. Eu égard aux informations en sa possession, la Cour considère qu’il y a lieu d’allouer au requérant la somme de 40 200 EUR pour dommage matériel.

15. En revanche, dans la mesure où le requérant réclame un dédommagement au titre du manque à gagner, la Cour ne saurait spéculer sur le rendement agricole du terrain en question (Buzatu c. Roumanie (satisfaction équitable), no 34642/97, § 18, 27 janvier 2005).

16. Elle estime de surcroît que le requérant a subi un préjudice moral du fait notamment de la frustration provoquée par l’impossibilité de voir exécuter le jugement rendu en sa faveur, et que ce préjudice n’est pas suffisamment compensé par un constat de violation. Dans ces circonstances, eu égard à l’ensemble des éléments en sa possession et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue au requérant la somme de 4 700 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

17. Le requérant n’a pas soumis de demande à ce titre.

C. Intérêts moratoires

18. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ

1. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 40 200 EUR (quarante mille deux cents euros) pour dommage matériel ;

ii. 4 700 EUR (quatre mille sept cents euros) pour dommage moral;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 juin 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-144335
Date de la décision : 03/06/2014
Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Dommage matériel et préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : DRAGALINA
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award