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29/04/2014 | CEDH | N°001-142916

CEDH | CEDH, AFFAIRE NATSVLISHVILI ET TOGONIDZE c. GÉORGIE [Extraits], 2014, 001-142916


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE NATSVLISHVILI ET TOGONIDZE c. GÉORGIE

(Requête no 9043/05)

ARRÊT

[Extraits]

STRASBOURG

29 avril 2014

DÉFINITIF

08/09/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.




En l’affaire Natsvlishvili et Togonidze c. Géorgie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Nona

Tsotsoria,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 octob...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE NATSVLISHVILI ET TOGONIDZE c. GÉORGIE

(Requête no 9043/05)

ARRÊT

[Extraits]

STRASBOURG

29 avril 2014

DÉFINITIF

08/09/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.

En l’affaire Natsvlishvili et Togonidze c. Géorgie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 octobre 2013 et le 3 avril 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 9043/05) dirigée contre la Géorgie et dont deux ressortissants de cet État, M. Amiran Natsvlishvili (« le requérant ») et Mme Rusudan Togonidze (« la requérante »), ont saisi la Cour le 9 mars 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire aux fins de l’audience tenue sur le fond de l’affaire (paragraphes 5-6 ci-dessous), ont été représentés devant la Cour par Me M. Gioshvili, Me E. Fileeva et Me K. Koroteev, avocats en Géorgie et en Russie respectivement. Le gouvernement géorgien (« le Gouvernement ») a été représenté successivement par ses agents, M. M. Kekenadze, M. D. Tomadze et M. L. Meskhoradze, du ministère de la Justice.

3. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 2 du Protocole no 7, le requérant alléguait notamment que la procédure de « transaction pénale » prévue par le droit en vigueur à l’époque pertinente et appliquée dans son procès s’analysait en un abus de procédure, et qu’elle n’avait pas été équitable. Par ailleurs, il avançait que la publicité donnée à son arrestation emportait violation de son droit à la présomption d’innocence au titre de l’article 6 § 2 de la Convention. En outre, les requérants soutenaient que l’état avait entravé l’exercice de leur droit de recours individuel, au mépris de l’article 34 de la Convention, et que l’amende qui leur avait été infligée dans le cadre de la procédure de transaction pénale portait atteinte à leur droit de propriété protégé par l’article 1 du Protocole no 1.

4. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations sur la recevabilité et le fond de la requête.

5. Par une décision définitive du 25 juin 2013, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable (article 29 § 1 in fine de la Convention). Quant à la suite de la procédure, la Cour a décidé d’entendre les observations orales des parties sur le fond de l’affaire (article 59 § 3 du règlement de la Cour).

6. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 15 octobre 2013 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
MM.G. Lortkipanidze, vice-ministre de la Justice,
A. Baramidze, vice-ministre de la Justice,
L. Meskhoradze, agent,
MmesS. Mezurnishvili,
N. Mezvrishvili,conseillers ;

– pour les requérants
MmesM. Gioshvili,
E. Fileeva,
M.K. Koroteev, conseil.

La Cour a entendu M. Meskhoradze, Mme Gioshvili et Mme Fileeva ainsi que M. Koroteev en leurs déclarations.

7. Le 1er février 2014, la Cour a modifié la composition de ses sections, mais la présente affaire est restée attribuée à la troisième section.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Les requérants sont nés en 1950 et 1953 respectivement. L’un réside à Moscou (Fédération de Russie), l’autre à Koutaïssi (Géorgie). Ils sont mari et femme.

A. Le contexte de l’affaire

9. De 1993 à 1995, le requérant fut maire-adjoint de Koutaïssi (la deuxième ville de Géorgie). De 1995 à 2000, il fut directeur général de l’usine automobile de Koutaïssi (« l’usine »), l’une des plus importantes entreprises publiques du pays. Le 29 décembre 2000, il fut nommé président du conseil de surveillance de l’usine par l’assemblée générale des actionnaires.

10. Propriétaire de 12,95 % des actions de l’usine grâce à des acquisitions effectuées en 1998 et 2002, il en était le principal actionnaire après l’État (78,61 % des actions). Pour sa part, la requérante possédait 2,6 % des actions, acquises en 2002. Le couple détenait donc au total 15,55 % du capital de l’usine.

11. Le requérant fut enlevé en décembre 2002. Après lui avoir fait subir de graves sévices, ses ravisseurs le relâchèrent contre une importante rançon versée par sa famille.

B. La procédure pénale dirigée contre le requérant

12. Le 12 mars 2004, l’intéressé fut accusé d’avoir illégalement réduit le capital social de l’usine dont il avait été responsable en tant que directeur général, puis en tant que président du conseil de surveillance. On lui reprochait d’avoir procédé à des opérations fictives de vente, de transfert et de compensation, et d’avoir dilapidé le produit de ces opérations au mépris de l’intérêt social (article 182 du code pénal : « détournement et appropriation frauduleuse de biens d’autrui par abus de pouvoir »).

13. Le 15 mars 2004, la police et le procureur de Koutaïssi arrêtèrent le requérant à son domicile. (...)

15. Le 16 mars 2004, l’intéressé confia la défense de ses intérêts à un avocat.

16. Le 17 mars 2004, il fut interrogé pour la première fois en qualité de suspect, en présence de son avocat. Il clama son innocence et se prévalut de son droit au silence.

17. Le même jour, les autorités de poursuite demandèrent au tribunal municipal de Koutaïssi de placer le requérant en détention provisoire, faisant valoir que l’intéressé était accusé d’un grave délit et qu’il risquait de se dérober à la justice, d’empêcher la manifestation de la vérité et de poursuivre ses activités criminelles. Statuant sur cette demande à une date non précisée, le tribunal ordonna le placement du requérant en détention provisoire pour une durée de trois mois. Sur le fondement de l’article 243 du code de procédure pénale (CPP), l’intéressé contesta cette décision devant la cour régionale de Koutaïssi, qui le débouta par une décision définitive rendue à une date non précisée.

18. Le 25 mars 2004, le requérant adressa aux autorités de poursuite une lettre ainsi rédigée : « Je ne suis pas indifférent au sort de l’usine et je considère qu’il est possible de régler le différend qui m’oppose à l’État. En conséquence, je suis disposé à céder à l’État les parts de l’usine que mon épouse et moi possédons. »

19. Le 14 juin 2004, la cour régionale de Koutaïssi prolongea la détention provisoire de l’intéressé jusqu’au 15 juillet 2004. En juillet 2004, elle la prolongea derechef jusqu’au 15 septembre 2004.

20. Pendant les quatre premiers mois de sa détention, le requérant dut partager sa cellule avec la personne accusée de l’avoir enlevé en 2002 (paragraphe 11 ci-dessus) et un autre individu qui purgeait une peine pour meurtre. Après que le bureau du Défenseur public se fut plaint de cette situation, qu’il jugeait dangereuse pour le bien-être physique et psychologique de l’intéressé, celui-ci fut transféré dans une autre cellule.

21. Le 1er août 2004, le requérant et son avocat furent autorisés à consulter le dossier pénal. Le 6 août 2004, l’intéressé désigna un deuxième avocat pour défendre ses intérêts dans la procédure.

22. Le 6 septembre 2004, l’enquête fut clôturée et le requérant fut inculpé des délits susmentionnés. Après avoir pris connaissance de l’intégralité du dossier avec l’aide de ses deux avocats, l’intéressé clama derechef son innocence mais se déclara à nouveau prêt à coopérer avec les enquêteurs.

23. Le même jour, les requérants cédèrent gracieusement à l’État les actions de l’usine qui leur appartenaient et qui représentaient au total 15,55 % du capital social de celle-ci.

24. Il ressort d’une déposition versée au dossier et émanant de M. G.T., un employé de l’usine, que, le 6 septembre 2004, lui et neuf de ses collègues cédèrent gracieusement à l’État leurs parts du capital de l’usine, à la demande des autorités de poursuite, en vue de la remise en liberté du requérant. Le dossier contient une copie des accords de cession à titre gracieux pertinents.

25. Le dossier contient également une déposition de la belle-sœur de la requérante, Mme M.I. Il en ressort que le procureur avait demandé à la famille du requérant de verser 50 000 laris (GEL) – soit 21 000 euros (EUR) environ – au Fonds de développement des organismes publics de défense de la loi (« le fonds ») en vue de la conclusion d’un « accord procédural » prévoyant la remise en liberté du requérant. Il y est également indiqué que le procureur avait remis à la famille de l’intéressé les documents nécessaires à l’émission d’un virement en précisant que ceux-ci ne devaient pas mentionner que le requérant était l’émetteur du virement et que l’argent ne devait pas être versé directement au fonds par les requérants, raison pour laquelle Mme M.I. avait accepté que le virement fût émis en son nom.

26. Un reçu d’un virement bancaire émis au nom de Mme M.I. atteste que le paiement en question a été effectué le 8 septembre 2004.

27. Le 9 septembre 2004, le requérant écrivit au procureur pour lui demander d’établir un « accord procédural » (« transaction pénale »), procédure qui avait été introduite dans le système judiciaire géorgien en février 2004. Il précisa qu’il était innocent, mais qu’il était disposé à passer un accord sur la peine et à réparer le dommage causé à l’État en versant 35 000 GEL (14 700 EUR) au trésor public. Il ajouta qu’il comprenait parfaitement le contenu d’un tel accord.

28. Le même jour, le procureur de Koutaïssi présenta au requérant une transaction pénale comportant un accord d’atténuation de la peine (article 679 § 2 CPP), que l’intéressé ratifia. L’écrit constatant l’accord en question mentionne que l’intéressé avait refusé d’avouer qu’il avait commis les faits dont il était accusé mais qu’il avait « activement coopéré à l’enquête en cédant à l’État 22,5 % des actions de l’usine à titre de réparation du préjudice de 4 201 663 GEL [1 765 000 EUR environ] causé par ses actes délictueux ». Dans ce document, le procureur exposait que le requérant était inculpé d’une infraction particulièrement grave passible d’une peine de six à douze ans d’emprisonnement, mais qu’il demeurait possible de lui proposer une transaction pénale eu égard à la pleine réparation du dommage, dans l’intérêt d’un usage efficace des ressources publiques. Il y était indiqué que le procureur s’engageait à demander à la juridiction de jugement de déclarer le requérant coupable sans examen au fond et de le condamner à une peine réduite consistant en une amende de 35 000 GEL (14 700 EUR). Il était également expliqué à l’intéressé que la transaction pénale proposée ne l’exonérerait pas de sa responsabilité civile. Le requérant y déclarait pour sa part qu’il comprenait parfaitement les termes de l’accord proposé, qu’il les acceptait et que sa décision ne résultait pas d’une contrainte, de pressions ou d’une quelconque promesse indue. Cet écrit fut signé par le procureur et par le requérant, et contresigné par l’un des deux avocats de celui-ci.

29. Le même jour, le procureur adressa au tribunal municipal de Koutaïssi un réquisitoire par lequel il lui demandait d’homologuer la transaction pénale susmentionnée, aux termes de laquelle le requérant devait être déclaré coupable des infractions dont il était accusé sans examen au fond et voir ramener la peine encourue à une amende de 35 000 GEL (14 700 EUR). Le procureur précisait dans son réquisitoire que celui-ci était accompagné de l’écrit constatant la transaction et des douze volumes du dossier de l’affaire pénale.

30. Le même jour, Mme M.I. effectua au profit de l’État un virement bancaire de 35 000 GEL (14 700 EUR) en paiement de l’amende à laquelle le requérant avait été condamné, conformément aux termes de la transaction pénale conclue entre celui-ci et le procureur.

31. Lors d’une audience tenue le 10 septembre 2004, le tribunal municipal de Koutaïssi statuant à juge unique examina le réquisitoire que le procureur lui avait adressé le 9 septembre 2004. Il ressort du procès-verbal de l’audience qu’après que le juge lui eut expliqué quels étaient ses droits au titre de l’article 679-3 CPP, le requérant, qui était assisté de l’un des deux avocats contresignataires de la transaction pénale (paragraphe 28 ci-dessus), déclara qu’il les connaissait parfaitement et qu’il avait volontairement accepté de passer un accord sans avoir subi la moindre pression dans les négociations qu’il avait menées avec le procureur. Ces déclarations furent confirmées par l’avocat en question. Il en ressort également que l’intéressé et son avocat demandèrent au juge d’homologuer l’accord soumis par le procureur, et qu’ils déclarèrent en assumer toutes les conséquences. Il y est aussi mentionné que l’avocat avait précisé qu’il avait assisté aux négociations menées entre le requérant et le ministère public en vue de parvenir à l’accord, que c’était son client qui avait insisté pour transiger et que, en sa qualité d’avocat, il lui avait fourni tous les conseils nécessaires à cet effet.

32. S’appuyant sur les pièces du dossier et les dépositions de plusieurs témoins recueillies au cours de l’enquête, le tribunal de Koutaïssi estima que les accusations portées contre le requérant étaient bien fondées. Il releva en outre que, s’agissant des infractions à l’article 182 §§ 2 a), b) et c) et 3 b) du code pénal dont l’intéressé avait été inculpé le 6 septembre 2004, celui-ci « n’a[vait] pas plaidé coupable et qu’il a[vait] exercé son droit au silence, mais qu’il a[vait] activement coopéré à l’enquête et qu’il a[vait] volontairement réparé le préjudice de 4 201 663 GEL [1 765 000 EUR] causé par ses actes délictueux en cédant à l’État 22,5 % des actions de l’usine ».

33. Il jugea ensuite, après examen, que la transaction avait été régulièrement conclue, que le requérant l’avait signée en toute connaissance de cause et qu’elle ne résultait pas d’une contrainte, de pressions ou d’une quelconque promesse allant au-delà de ce qui est permis en matière de transaction pénale. En conséquence, il homologua la transaction en déclarant l’intéressé coupable des infractions qui lui étaient reprochées et en le condamnant à une amende de 35 000 GEL (14 700 EUR), après quoi le requérant quitta libre la salle d’audience.

34. Comme l’indique son dispositif, cette décision du tribunal municipal de Koutaïssi en date du 10 septembre 2004 est définitive et insusceptible de recours. Elle peut cependant donner lieu à un recours en annulation et en réouverture de la procédure en cas de découverte de faits nouveaux justifiant pareil recours.

35. Il ressort du dossier de l’affaire que le requérant a quitté la Géorgie après la clôture de son procès et sa remise en liberté, et qu’il réside depuis lors à Moscou (Russie).

(...)

II. LE DROIT INTERNE ET LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le code de procédure pénale (CPP)

49. Les dispositions relatives aux « accords procéduraux » (« საპროცესო შეთანხმება » en géorgien, saprotseso shetankhmeba) – ou transactions pénales – ont été introduites dans le CPP le 13 février 2004. Elles ont été modifiées une première fois le 24 juin 2004. Dans leur version applicable à l’époque des faits, elles se lisaient ainsi :

Article 15

« Des accords procéduraux peuvent être conclus dans le respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Ils contribuent à accroître la célérité et l’efficacité de la justice. »

Article 679-1

« 1. Le tribunal peut, sur le fondement d’un accord procédural, rendre un jugement sur l’affaire dont il est saisi sans l’examiner au fond. L’accord procédural est fondé sur une entente concernant la responsabilité de l’accusé ou la peine encourue. Seul le procureur peut proposer la conclusion d’un tel accord.

2. En cas d’entente sur la peine, l’accusé ne plaide pas coupable mais convient avec le procureur de la peine encourue ou d’une dispense de peine et/ou accepte de coopérer à l’enquête.

3. En cas d’entente sur la responsabilité, l’accusé plaide coupable et/ou coopère à l’enquête.

4. L’accord procédural est conclu avec l’aval du procureur hiérarchiquement supérieur.

5. En vertu de l’accord procédural, le procureur peut requérir une réduction de peine en faveur de l’accusé, ou atténuer les accusations portées contre lui ou encore abandonner certaines d’entre elles à condition que l’accusé plaide coupable pour le tout.

6. Avant de décider de réduire la peine ou d’atténuer les accusations, le procureur doit prendre en compte : a) la gravité de la peine dont est passible l’infraction en cause, celle de l’illégalité des faits commis et celle de la culpabilité de l’accusé, b) le meilleur emploi possible des ressources publiques au regard de l’intérêt général. (...)

7. Un accord procédural ne peut être conclu sans la participation d’un avocat de la défense et sans le consentement préalable de l’accusé aux termes de l’accord en question.

8. L’accord procédural sera réputé nul et non avenu s’il est par la suite établi que les informations et éléments de preuve fournis par l’accusé aux enquêteurs (...) n’étaient pas fiables et qu’ils n’ont pas réellement contribué à l’identification des coupables. La nullité de l’accord procédural est prononcée par le tribunal.

9. Dans certains cas, si la coopération de l’accusé à l’enquête a conduit à la découverte d’une infraction particulièrement grave, ou d’une activité criminelle imputable à un fonctionnaire, et si l’accusé a directement contribué à la réalisation de l’enquête, le procureur général peut demander au tribunal de le relaxer. (...)

11. Lors de la conclusion de l’accord procédural, le procureur doit informer l’accusé que l’accord ne l’exonère pas de sa responsabilité civile. Dans des circonstances particulières, le procureur général ou le vice procureur général peuvent, par une décision motivée, exonérer l’accusé de sa responsabilité civile. En pareil cas, celle-ci incombera à l’État. »

Article 679-2

« (...)

2. L’accusé doit confirmer dans un écrit signé par lui ou par son représentant légal que, après avoir bénéficié des conseils d’un avocat, il consent librement à ce que son affaire soit jugée sans examen au fond. L’accusé doit comprendre parfaitement les termes du réquisitoire que le procureur adressera au tribunal et les effets juridiques du jugement à intervenir.

3. Après la conclusion de l’accord procédural entre l’accusé et le procureur, ce dernier rédige un réquisitoire exposant les termes de l’accord. Ce réquisitoire est signé par le procureur, l’avocat de l’accusé et l’accusé lui-même.

4. Le réquisitoire prévu au paragraphe 3 du présent article est confidentiel et ne peut être consulté que par ses signataires et le tribunal. »

Article 679-3

« 1. L’accord procédural doit revêtir la forme écrite et être homologué par un tribunal lors d’une audience publique, sauf s’il existe des motifs sérieux justifiant un huis clos. L’accord procédural doit être reflété dans le jugement rendu par le tribunal. Le tribunal doit vérifier que l’accord a été conclu sans violence, intimidation, tromperie ou promesse illégale, que l’accusé y a consenti librement et qu’il a bénéficié d’une assistance juridique qualifiée.

2. Avant d’homologuer l’accord procédural, le tribunal doit s’assurer que :

a) l’accusé comprend parfaitement la nature de l’infraction qui lui est reprochée ;

b) l’accusé comprend parfaitement la peine dont est passible l’infraction qu’il reconnaît avoir commis ;

c) l’accusé connaît toutes les exigences légales relatives à la reconnaissance de culpabilité dans le cadre d’un accord procédural ;

d) l’accusé est pleinement conscient que le tribunal n’est pas tenu de faire droit au réquisitoire du procureur visant à l’obtention de la réduction ou de la dispense de peine prévue par l’accord procédural ;

e) l’accusé sait qu’il jouit des droits constitutionnels suivants :

– le droit à la défense ;

– le droit de dénoncer l’accord relatif à la reconnaissance de sa culpabilité ;

– le droit d’obtenir un examen au fond de son affaire.

f) l’accord procédural n’est pas le résultat d’une contrainte, d’une intimidation ou d’une promesse allant au-delà de ce qui est permis dans le cadre d’un tel accord ;

g) l’accusé ne conteste pas les faits sur lesquels est fondé l’accord procédural où il reconnaît sa culpabilité.

3. Le tribunal statue conformément à la loi. Il n’est pas tenu d’homologuer l’accord conclu entre l’accusé et le procureur. »

Article 679-4

« 1. Dans les cas prévus au chapitre précédent, le tribunal rend un jugement [homologuant l’accord procédural] sans examen au fond de l’affaire ou une décision renvoyant l’affaire au procureur en vue d’une mise en accusation.

(...)

3. Le tribunal vérifie, au vu du dossier de l’affaire, si l’accusation est fondée, si la peine proposée dans le réquisitoire est équitable et si l’accusé plaide coupable librement.

4. Si le tribunal souscrit à l’appréciation en fait et en droit de l’affaire opérée par le procureur et s’il juge que la peine proposée est équitable, il rend un jugement dans un délai d’un mois à compter de la réception du réquisitoire du procureur (...)

5. Si le tribunal estime que les preuves produites n’étayent pas les accusations portées contre l’accusé ou que l’accord procédural a été conclu en violation de l’article 679-1, il renvoie l’affaire au procureur en vue d’une mise en accusation.

6. Si le tribunal estime que la peine proposée par le procureur est trop sévère, il peut la réduire.

7. L’accusé peut refuser de conclure un accord procédural fondé sur la reconnaissance de sa culpabilité à tout moment de la procédure judiciaire tant que le tribunal n’a pas rendu son jugement. Il n’est pas tenu de recueillir l’accord de son avocat à cette fin. Une fois le jugement rendu, l’accord procédural ne peut plus être dénoncé. »

Article 679-7

« (...)

2. Le jugement prévu [aux articles précédents] n’est pas susceptible d’appel et il est exécutoire dès son prononcé.

3. Ce jugement peut être révisé conformément aux règles de droit commun applicables à la découverte de nouvelles circonstances de fait ou de droit. »

50. Depuis une modification apportée au CPP le 25 mars 2005, l’introduction auprès d’un tribunal d’une demande de clôture des poursuites par la conclusion d’une transaction pénale n’est plus une prérogative du procureur. L’accusé peut lui aussi formuler une requête à cette fin (article 679-1 § 1). En outre, le réquisitoire du procureur n’est plus confidentiel (article 679-2 § 4), sauf dans sa partie consacrée aux informations révélées par l’accusé dans le cadre de l’enquête. Par ailleurs, l’audience au cours de laquelle le tribunal homologue l’accord procédural doit désormais obligatoirement faire l’objet d’un compte rendu intégral dans le procès-verbal de la procédure (article 679-3 § 4).

51. De plus, la modification législative du 25 mars 2005 oblige dorénavant les tribunaux, lorsqu’ils examinent une transaction pénale régulièrement conclue, à expliquer à l’accusé que le fait de se plaindre d’avoir été soumis à un traitement indu de la part des autorités de poursuite au cours des négociations préalables n’empêcherait pas l’homologation de la transaction (article 679-3 § 2 1)).

52. Enfin, alors que, dans sa version antérieure au 25 mars 2005, l’article 679-6 n’ouvrait un recours que contre les jugements prononçant la nullité d’un accord procédural, il permet depuis cette date à l’accusé de contester devant la juridiction supérieure un jugement homologuant un tel accord dans les quinze jours suivant le prononcé du jugement en question si :

« a) l’accord a été conclu par fraude ;

b) les droits de la défense de l’accusé ont été restreints ;

c) l’accord a été conclu par la violence, la force, la menace ou l’intimidation ;

d) le tribunal saisi de l’affaire a manqué aux devoirs qui lui incombent en vertu [des articles précédents]. »

53. La modification législative du 25 mars 2005 ne précise pas si les décisions antérieures à cette date sont susceptibles d’appel pour les motifs énumérés ci-dessus.

B. Conseil de l’Europe

1. Recommandation no R (87) 18 du Comité des Ministres aux États membres concernant la simplification de la justice pénale

54. Cette recommandation, qui porte sur les procédures simplifiées et les procédures sommaires, a été adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 17 septembre 1987. Son passage pertinent se lit ainsi :

« Eu égard à l’augmentation des cas soumis à la justice pénale, notamment ceux dont l’auteur est passible d’une peine légère, et aux problèmes posés par la durée de la procédure pénale ;

Considérant que le retard pris par les décisions pénales jette le discrédit sur le droit pénal et porte atteinte à une bonne administration de la justice ;

Considérant qu’il pourrait être remédié aux lenteurs de la justice pénale, non seulement par les ressources qui lui sont attribuées et par la façon dont ces ressources sont utilisées, mais aussi par une meilleure définition des priorités dans la conduite de la politique criminelle, tant en ce qui concerne la forme que le fond, par :

– le recours au principe de l’opportunité des poursuites ;

– le recours, pour traiter les infractions mineures et les contentieux de masse :

– à des procédures dites sommaires,

– à des transactions par les autorités compétentes en matière pénale et autres autorités intervenant, comme substitut à des poursuites,

– à des procédures dites simplifiées ;

– la simplification de la procédure juridictionnelle ordinaire ;

(...) »

2. Respect des obligations et engagements de la Géorgie, rapport de la Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (Commission de suivi), 21 décembre 2004

55. Les passages pertinents de ce rapport de la Commission de suivi sont ainsi libellés :

« 44. Les corapporteurs ont également quelques réserves à formuler au sujet de la tendance, qui s’affirme de plus en plus, à transplanter des modèles juridiques étrangers – généralement non européens – dans le système judiciaire interne de la Géorgie. On le voit, par exemple, avec la récente loi sur la négociation de la peine, qui tente d’imiter la pratique judiciaire américaine, et sur laquelle les corapporteurs souhaitent revenir dans le paragraphe sur la lutte contre la corruption.

(...)

47. Il est clair que les autorités doivent tenir compte des exigences de la population, laquelle réclame une action immédiate et décisive dans les affaires les plus retentissantes concernant des allégations de corruption ; pour autant, les corapporteurs tiennent à souligner que les attentes populaires ne sauraient justifier une violation des droits des suspects et le non-respect des principes fondamentaux qui président à une procédure pénale digne de ce nom. Il est arrivé que l’arrestation de tel ancien fonctionnaire accusé de corruption se déroule dans des circonstances spectaculaires, souvent sans mandat d’arrêt, même lorsque aucun élément ne pouvait donner à penser que le suspect avait l’intention de prendre la fuite. Les organisations s’occupant des droits de l’homme ont signalé plusieurs cas d’utilisation excessive de la force ; certaines arrestations ont été filmées, et certaines images montrant des situations attentatoires à la dignité du suspect ont été abondamment diffusées sur plusieurs chaînes de télévision. Le respect du principe de la présomption d’innocence est une pratique qui, pour certaines catégories de suspects, ne s’est pas encore imposée dans la nouvelle Géorgie.

48. La négociation de la peine, pratique qui permet, concernant certains suspects, d’atténuer le chef d’accusation ou d’abandonner les poursuites en échange du versement des sommes qu’ils auraient détournées, est pour le moins contestable. Si cette pratique est largement répandue aux États-Unis et dans certains États membres du Conseil de l’Europe, elle prend généralement la forme d’un accord aux termes duquel l’accusé accepte de plaider coupable (ou de dénoncer d’autres coupables, etc.) en échange d’une requalification des faits. La version géorgienne de la négociation de la peine va plus loin et introduit une dimension financière dans l’arrangement : l’accusé est invité à rembourser une certaine somme, à peu près équivalente à celle qu’on lui reproche d’avoir volée. En échange, il bénéficie d’un non-lieu ou d’une requalification des faits. En fin de compte, l’arrangement doit être approuvé par un juge.

49. Les corapporteurs considèrent que cette pratique est incompatible avec les normes du Conseil de l’Europe, en raison des spécificités de la formule géorgienne, en particulier l’introduction d’une dimension financière et l’arbitraire qui semble entourer les critères qui président au choix d’appliquer ou non la négociation de la peine. Ce système peut donner l’impression qu’on offre aux voleurs de grande envergure la possibilité de s’acheter une immunité ; par ailleurs, il est aussi inquiétant du fait du risque d’abus qu’entraîne l’absence de contrepoids juridique et administratif au niveau de la police, du Ministère public et des tribunaux géorgiens. Les corapporteurs sont conscients du fait que les ressources financières engendrées par ce système (quelque 30 millions de dollars, à ce jour) sont très importantes et qu’elles ont contribué au paiement des retraites et à la couverture d’autres besoins immédiats, mais ils sont en désaccord avec le procureur général lorsqu’il laisse entendre que l’efficacité de la justice se mesure à l’aune des recettes budgétaires que celle-ci contribue à produire. Après des années de corruption généralisée et de méconnaissance systématique de l’État de droit, la Géorgie a besoin d’une justice qui soit efficace et égale pour tous.

50. Les corapporteurs appellent donc les autorités géorgiennes à réviser, de manière immédiate et approfondie, la procédure actuelle de la négociation de la peine, afin de la rendre conforme aux normes du Conseil de l’Europe. »

3. La Résolution 1415 (2005) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur le respect des obligations et engagements de la Géorgie

56. Le 24 janvier 2005, après avoir examiné le rapport susmentionné de la Commission de suivi, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté la Résolution 1415 (2005). Les passages pertinents de cette résolution se lisent ainsi :

« 9. Après avoir consulté les autorités géorgiennes, l’Assemblée (...) demande aux autorités :

(...)

a. de revoir d’un œil critique la procédure du plea bargaining [transaction pénale] qui, sous sa forme actuelle, permet à des délinquants présumés d’utiliser le produit de leur crime pour éviter la prison, et risque d’être mise en œuvre de manière arbitraire et abusive, voire pour des motifs politiques ;

(...) »

4. Rapport de Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, à la suite de sa visite en Géorgie du 18 au 20 avril 2011

57. Le passage du rapport du Commissaire aux droits de l’homme publié le 30 juin 2011 qui porte sur la procédure de transaction pénale appliquée en Géorgie se lit ainsi :

[Traduction du greffe]

« La transaction pénale

63. Le Commissaire a prêté une attention particulière à la question de la transaction pénale et à l’application de cette procédure dans les affaires criminelles.

64. La transaction pénale est aujourd’hui omniprésente dans le fonctionnement de la justice pénale géorgienne. Le président de la Cour suprême a indiqué au Commissaire que cette procédure avait été appliquée dans près de 80 % des affaires pénales en 2010.

65. La transaction pénale est sans conteste un instrument efficace de lutte contre la corruption et le crime organisé. Elle présente également l’avantage non négligeable de permettre une résolution rapide des affaires pénales, allégeant ainsi la charge de travail des tribunaux, des procureurs et des avocats. En outre, elle est un facteur de réduction des peines et contribue ainsi à amoindrir le nombre de détenus, élément crucial compte tenu du taux élevé de surpopulation carcérale enregistré en Géorgie.

66. Sous sa forme actuelle, issue du nouveau CPP, la transaction pénale implique une reconnaissance de culpabilité ou un accord sur la peine conclu avec le procureur (renonciation de l’accusé à contester les faits). Elle peut être déclenchée par l’accusé ou par le procureur.

67. Le ministère d’avocat est obligatoire dans le cadre de cette procédure. Toutefois, le rôle de celui-ci est limité. Il ressort des informations recueillies par le Commissaire que les avocats ne cherchent pas à faire acquitter les accusés puisque ceux-ci ont pour la plupart la quasi-certitude d’être condamnés, mais qu’ils leur conseillent de transiger avec le procureur pour obtenir une peine réduite au minimum. Cette pratique est particulièrement courante pour les infractions passibles d’une peine d’emprisonnement. Toutefois, le ministre adjoint de la justice a indiqué que les nouvelles dispositions du CPP, qui renforcent les droits de la défense, auront également des incidences positives sur la position de l’accusé dans le cadre de la procédure de transaction pénale.

68. L’un des sujets de préoccupation du Commissaire a trait aux pouvoirs discrétionnaires dont dispose le procureur dans la phase de négociation de la transaction pénale. Par exemple, celui-ci peut désormais requérir des peines inférieures aux peines minimales prévues par la loi, pouvoir dont beaucoup estiment qu’il devrait être réservé au juge. En outre, la loi ne définit pas le degré de coopération dont l’accusé doit faire preuve à l’égard des autorités de poursuite, ce qui laisse place à la subjectivité et donne lieu à des pratiques incohérentes.

69. Les transactions pénales sont homologuées par des décisions judiciaires. Lors du contrôle de la transaction, le juge doit s’assurer que celle-ci n’a pas été conclue sous la contrainte ou l’intimidation et examiner les preuves étayant les accusations. Les autorités affirment que le contrôle juridictionnel des transactions pénales constitue une garantie importante, soulignant que le juge peut refuser d’homologuer une transaction si les accusations sont infondées ou si une violation est constatée. Toutefois, les avocats indiquent que, en pratique, le juge s’appuie principalement sur les preuves produites par le procureur pour examiner les termes de la transaction et qu’il fait droit aux réquisitions de celui-ci dans l’immense majorité des cas.

70. L’une des particularités de la procédure de transaction pénale appliquée en Géorgie réside dans l’article 42 du code pénal, qui dispose que des amendes peuvent être infligées dans le cadre d’une transaction pénale même pour des infractions pour lesquelles ce type de peine n’est pas prévu. Selon Transparency International Georgia, 99 % des transactions pénales donnent lieu en pratique au paiement d’une amende ; ce chiffre est contesté par les autorités. En l’absence d’un critère clair de fixation des amendes, la procédure manque de transparence. À Tbilissi, les défenseurs des droits de l’homme assurent que la fixation des amendes repose sur une évaluation de la solvabilité de l’accusé, ce qui donne l’impression que la liberté peut s’acheter.

71. En dépit des préoccupations suscitées par la mise en œuvre pratique de la procédure de transaction pénale, les autorités assurent que celle-ci s’accompagne de garanties suffisantes. Toutefois, le ministre adjoint de la justice a reconnu la nécessité d’accroître la transparence de la procédure et d’en améliorer la perception.

72. La loi prévoit également l’octroi d’une dispense totale de peine dans des situations exceptionnelles, en cas de coopération effective de l’accusé à l’enquête. Si cette possibilité contribue certainement à la résolution des affaires criminelles, des abus ont été signalés. (...)

73. On a également dit craindre que la transaction pénale ne conduise les accusés victimes de mauvais traitements policiers ou d’un usage excessif de la force par la police à porter plainte. Les autorités ont reconnu le problème et ont introduit un certain nombre de garanties. Toutefois, le problème ne réside peut-être pas tant dans l’existence de la transaction pénale en elle-même, mais plutôt, comme nous l’avons déjà signalé, dans le contexte où elle est pratiquée. Pour bon nombre d’accusés confrontés à la perspective d’une condamnation presque certaine, la transaction pénale constitue la seule possibilité de se voir infliger une peine réduite. Or un accusé sera moins enclin à porter plainte pour mauvais traitements, même si sa plainte est justifiée, s’il estime que celle-ci risque de compromettre ses chances de conclure un accord avec le procureur.

Conclusions et recommandations

74. Le fonctionnement de la procédure de transaction pénale ne peut et ne doit pas être considéré séparément de l’ensemble du système de la justice pénale. La combinaison de plusieurs facteurs – des taux de condamnation très élevés, une politique de fixation des peines rigoureuse et un manque de confiance du public dans l’administration de la justice – pourrait fort bien inciter des accusés à plaider coupables même s’ils sont innocents, au risque d’un déni de justice.

75. Il importe de garder à l’esprit qu’un accusé qui accepte de plaider coupable renonce à certains droits, notamment au droit de témoigner et au droit à un procès. Le Commissaire note que la mise en œuvre pratique des garanties que la loi peut offrir a été critiquée. Les juges doivent exercer un contrôle adéquat sur les transactions pénales et veiller à ce que les garanties en question soient pleinement appliquées en pratique. Le Commissaire est également préoccupé par le fait que la défense joue un rôle très limité dans la négociation de la transaction pénale.

76. Il est essentiel de s’assurer que le consentement de l’accusé à la transaction est volontaire et libre de toute pression indue. À cet effet, il faut améliorer la procédure en définissant des critères objectifs de négociation entre la défense et le procureur et en clarifiant la notion de « coopération à l’enquête » ainsi que les critères de fixation du montant des amendes infligées à l’accusé.

77. Enfin, il est urgent de prendre des mesures concrètes pour accroître la transparence de la procédure. Le Commissaire soutient les efforts déployés par les autorités à cet égard et les invite à adopter une approche globale passant par un processus de consultation avec tous les acteurs concernés, notamment les défenseurs des droits de l’homme et les avocats. » (notes de bas de page omises)

C. Transparency International

58. Transparency International Georgia (TI Georgia), la section géorgienne de l’organisation internationale non gouvernementale susmentionnée, a publié en février 2010 son premier rapport analytique sur le système de la transaction pénale en vigueur en Géorgie, intitulé « Plea Bargaining in Georgia ».

59. Ce rapport décrit la procédure en question, explique les raisons de son introduction par l’État dans l’ordre juridique géorgien et fournit des informations concernant son utilisation (selon les statistiques officielles, 12,7 % des procédures pénales se sont conclues par une transaction pénale en 2005). Il analyse ensuite les risques que la version géorgienne de la transaction pénale – unique en son genre – fait peser sur le droit à un procès équitable.

60. Les passages pertinents de la dernière partie du rapport en question se lisent ainsi (toutes les statistiques mentionnées dans le rapport sont officielles et ont été obtenues par TI Georgia auprès de la Cour suprême ou du parquet général) :

« (...) Il ressort des statistiques que les transactions pénales conclues entre les accusés et les procureurs sont presque toujours homologuées.

En théorie, le juge présidant l’audience est censé s’assurer que la transaction pénale n’est pas le résultat d’une pression indue exercée sur l’accusé et que celui-ci l’a conclue de son plein gré. Le juge doit également vérifier que les droits fondamentaux de l’accusé (notamment le droit de se faire assister par un avocat) n’ont pas été violés. En pratique, les juges géorgiens n’ont rejeté que huit des 8 770 transactions pénales dont ils ont été saisis en 2008, soit moins de 0,1 % de celles-ci.

Par ailleurs, le juge est censé examiner si l’accusation paraît fondée à première vue. En d’autres termes, il doit s’assurer que les preuves produites par le procureur seraient suffisantes pour justifier la tenue d’un procès au fond, à la différence que, dans une transaction pénale, les preuves ne sont pas contestées par l’accusé.

Tous les avocats interrogés par TI Georgia ont déclaré douter que les juges vérifient « autrement que sous un angle purement procédural » si l’accusation paraît fondée à première vue. Il a été reproché aux juges de ne pas avoir correctement examiné les faits dans certaines affaires, notamment dans l’affaire Natsvlishvili et Togonidze c. Géorgie. Dans cette affaire, l’accusé a indiqué que le procureur n’avait accepté de conclure une transaction pénale qu’après qu’il eut cédé au gouvernement les actions qu’il possédait dans une usine automobile et payé 50 000 GEL « de son plein gré ». Par la suite, le tribunal compétent a homologué une transaction pénale reposant sur une amende officiellement fixée à 35 000 GEL – mais qui ne comprenait pas les « gratifications » précédemment versées – sans même se pencher sur les paiements suspects (...)

Un procureur omniscient ?

En Géorgie, les accusés sont presque toujours déclarés coupables. Le taux de condamnation y est astronomique. Seules 7 des 17 639 procédures pénales introduites devant les tribunaux géorgiens en 2008 se sont soldées par un acquittement, et 111 ont été clôturées avant l’adoption d’un verdict. Selon les opposants à la transaction pénale, ce taux de condamnation de 99 % découle directement de la perte d’indépendance judiciaire imputable à cette procédure.

Pour leur part, les procureurs indiquent que ce taux de condamnation élevé est le résultat d’un « travail intense » et de « poursuites minutieuses », et qu’il est la preuve du bon fonctionnement du système. Selon Mme Zaza Meishvili, juge en chef adjointe de la Cour suprême, ce taux de condamnation n’a rien d’extraordinaire par rapport à celui des États-Unis, où 90 à 95 % des affaires pénales se soldent par un accord de plaider coupable, et donc par un verdict de culpabilité.

Toutefois, il y a en Géorgie une différence tenant au fait qu’un nombre très élevé d’affaires n’impliquant pas de transaction pénale aboutissent aussi à une condamnation. La plupart des pays ont un taux de condamnation nettement moins élevé que celui de la Géorgie. Par exemple, au sein des pays de l’OCDE, seul le taux de condamnation de 99,7 % enregistré au Japon dépasse celui de la Géorgie. (...)

Si la proportion des acquittements a baissé depuis l’introduction en 2004 de la procédure de transaction pénale, ils étaient auparavant si rares que cela ne fait guère de différence. Le taux de condamnation est passé de 97 % en 2003 à 99 % en 2009. D’ailleurs, en 2005, l’année où la procédure de transaction pénale initialement conçue comme une mesure anticorruption est devenue pratique courante dans les affaires criminelles ordinaires, le nombre d’acquittements et d’affaires clôturées a pratiquement doublé et le taux de condamnation a été ramené à 94 %, le plus faible jamais relevé.

Ce taux de condamnation élevé s’explique non pas tant par la procédure de transaction pénale que par l’héritage du droit soviétique, où l’aveu occupait une place centrale. Comme l’a dit un auteur, « le personnage le plus puissant du système soviétique de justice pénale était – et demeure largement – le procureur. Il était chargé de diriger l’ensemble de la procédure pénale, et n’avait guère de scrupules à extorquer des aveux sous la contrainte, à falsifier des preuves et à utiliser la détention provisoire pour obtenir des aveux. »

La juge en chef adjointe de la Cour suprême, Mme Zaza Meishvili, a confirmé à TI Georgia que les aveux étaient fréquents, indiquant que « la grande majorité » des transactions pénales étaient fondées sur les aveux de l’accusé.

Pas d’autre choix que de négocier

Si l’on ne peut reprocher à la procédure de transaction pénale d’être à l’origine de ce taux de condamnation manifestement élevé, la probabilité statistique écrasante d’une condamnation a un autre effet très négatif. De par sa nature même, la transaction pénale devrait précisément être un processus de négociation dans lequel l’accusé cherche à obtenir du procureur la peine la plus légère possible. Mais cela suppose que l’accusé dispose d’un moyen de pression suffisant pour que la négociation présente un intérêt aux yeux du procureur. En d’autres termes, ce dernier doit avoir à l’esprit que s’il rejette les propositions de l’accusé, il devra s’engager dans un long parcours judiciaire qui pourra comporter trois degrés de juridiction. Lorsque le taux de condamnation avoisine les 100 %, ce moyen de pression devient très faible, ce qui permet au procureur de dicter les termes de l’accord et de présenter à l’accusé une offre « à prendre ou à laisser ».

La transaction pénale ne fonctionne pas dans les systèmes qui se caractérisent par un taux de condamnation élevé. Dans un système où même les innocents se sentent contraints de « reconnaître leur culpabilité » parce qu’ils savent que la probabilité statistique d’un acquittement est extrêmement faible, le pouvoir appartient au procureur. Dans ces conditions, à moins que le taux de condamnation ne retombe à un niveau plus réaliste en Géorgie, la transaction pénale ne pourra pas être mise en œuvre de manière effective en tant qu’institution juridique. »

61. Il ressort des données statistiques officielles obtenues par TI Georgia auprès de la Cour suprême de Géorgie et mentionnées dans le rapport précité que le taux d’acquittement s’élevait en Géorgie à 0,4 % en 2004, à 0,7 % en 2005, à 0,2 % en 2006 et à 0,1 % de 2007 à 2009.

III. ÉTUDE DE DROIT COMPARÉ

62. Trente États membres du Conseil de l’Europe ont fait l’objet d’une étude visant à déterminer s’ils disposaient de procédures pénales analogues à la transaction pénale applicable en Géorgie. Il ressort de cette étude que trois d’entre eux – l’Azerbaïdjan, la Grèce et la Turquie – n’ont aucun mécanisme de ce type. Un petit nombre d’autres pays – l’Autriche, le Danemark et le Portugal notamment – n’ont pas adopté de législation instituant la notion de transaction pénale dans leur ordre juridique mais utilisent en pratique cette procédure ou des procédures analogues.

63. L’Autriche, la Belgique, la France et le Liechtenstein se sont dotés de mécanismes présentant certaines caractéristiques de la transaction pénale et conduisant à l’arrêt des poursuites. En revanche, les procédures de transaction pénale applicables en Allemagne, en Bosnie-Herzégovine, en Bulgarie, en Espagne, en Estonie, en France, en Hongrie, en Italie, à Malte, en Moldavie, au Monténégro, en Pologne, en République tchèque, en Roumanie, au Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles), en Russie, en Serbie, en Slovaquie, en Slovénie, en Suisse et en Ukraine aboutissent à une condamnation pénale.

64. En Autriche, en Hongrie, au Monténégro, en République tchèque, en Russie et en Serbie, l’accusé peut obtenir une réduction de peine, l’abandon de certains chefs d’accusation ou l’arrêt des poursuites s’il coopère avec les autorités et contribue ainsi à la résolution de l’affaire.

65. Au sein des États membres du Conseil de l’Europe, la transaction pénale revêt principalement la forme d’une entente sur la peine (tel est le cas en Allemagne, en Bosnie-Herzégovine, en Bulgarie, en Espagne, en Estonie, en France, en Hongrie, en Italie, à Malte, en Moldavie, au Monténégro, en République tchèque, en Roumanie, au Royaume-Uni, en Russie, en Serbie, en Slovaquie, en Slovénie, en Suisse et en Ukraine). L’Espagne, la Hongrie, le Royaume-Uni, la Serbie, la Slovénie et la Suisse autorisent la transaction sur les poursuites. Le fait que la transaction sur la peine soit, comme le montre l’étude, plus répandue que la négociation sur les poursuites au sein des États membres du Conseil de l’Europe est étroitement lié au principe de légalité, lequel ne laisse guère de latitude aux autorités de poursuite pour modifier ou abandonner des chefs d’accusation.

66. Les transactions pénales qui aboutissent à une condamnation pénale sont sans exception contrôlées par les tribunaux. Il incombe à ces derniers de vérifier à ce titre si la transaction a été conclue dans le respect des règles de procédure et de fond applicables, si l’accusé a transigé de son plein gré et en connaissance de cause, s’il existe des preuves étayant l’aveu de culpabilité de l’accusé et si les termes de la transaction sont justifiés.

67. Il ressort de l’étude que, en règle générale, le tribunal chargé de l’affaire doit examiner le dossier et vérifier si les éléments de preuve qu’il contient corroborent la reconnaissance de culpabilité de l’accusé ou les aveux de celui-ci avant d’homologuer ou de rejeter la transaction. Toutefois, en Italie, la loi n’oblige pas les tribunaux à examiner les preuves ou à s’assurer que l’accusation est à première vue fondée, et les tribunaux suisses ne sont pas non plus tenus de plein droit de se pencher sur les preuves. De la même manière, il n’existe pas, dans la législation russe, de disposition imposant expressément aux tribunaux de contrôler les preuves dans les affaires faisant l’objet d’une transaction pénale. Cela étant, pareille obligation pourrait se déduire de celle faite au tribunal saisi de l’affaire de s’assurer que toutes les conditions d’homologation de la transaction sont réunies.

68. En matière de procédures accélérées, rares sont les États dont la législation oblige les tribunaux, à tout le moins dans certaines circonstances, à ordonner la production de preuves autres que celles figurant au dossier et à les examiner. En Allemagne, la conclusion d’une transaction pénale ne libère pas le juge de son obligation d’ordonner la production des preuves propres à élucider tout aspect de l’affaire dont sa décision peut dépendre. Au Royaume-Uni, si des faits prêtent à controverse, le tribunal compétent doit être invité à prendre connaissance des preuves afin d’établir les faits en question et de statuer sur la peine en conséquence.

69. Dans la plupart des États étudiés, les transactions pénales sont conclues par les autorités de poursuite et par l’accusé, puis contrôlées par un juge. En pareil cas, le juge a en principe le pouvoir d’homologuer ou de rejeter la transaction, non celui d’en modifier les termes. Toutefois, en Bulgarie, le juge saisi d’une transaction est habilité à formuler des propositions de modification que l’accusé, son avocat et le procureur pourront accepter ou refuser. En Allemagne, en Roumanie et, dans une certaine mesure, au Royaume-Uni, les termes de la transaction sont définis par le tribunal compétent au lieu d’être fondés sur un accord conclu entre l’accusation et la défense.

70. Il ressort de l’étude que la transaction pénale donne lieu à un procès accéléré dans tous les États qui ont institué pareille procédure. La conclusion d’une transaction pénale affecte donc les garanties procédurales et judiciaires. Toutefois, il existe un certain nombre de garanties propres à contrebalancer cet inconvénient.

71. Par exemple, la représentation de l’accusé par un avocat est obligatoire en Bulgarie, en République tchèque, en France (pour toute comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité), en Hongrie, à Malte, en Moldavie, en Russie, en Serbie et en Slovénie. Dans d’autres États, qui ne disposent pas de règles spéciales prescrivant le ministère d’avocat en matière de transaction pénale, ce sont les règles ordinaires de la représentation juridique qui s’appliquent.

72. La conclusion d’une transaction pénale est subordonnée aux aveux de l’accusé en Autriche et au Liechtenstein – où seule existe la procédure de « diversion », qui conduit à l’arrêt des poursuites –, ainsi qu’en Bosnie‑Herzégovine, en République tchèque, en Estonie, en France, en Allemagne, en Hongrie, à Malte, en Moldavie, au Monténégro, en Roumanie, en Russie, en Serbie, en Slovaquie, en Slovénie, en Espagne, en Suisse, en Ukraine et au Royaume-Uni. À cet égard, l’Italie fait figure d’exception : la transaction pénale n’implique pas nécessairement la reconnaissance, par l’accusé, de sa culpabilité.

73. Toutefois, dans la quasi-totalité des pays étudiés, à l’exception semble-t-il de la Roumanie, la reconnaissance de culpabilité de l’accusé ne peut être utilisée qu’aux fins de la transaction pénale envisagée. Si celle-ci n’est pas conclue ou si elle est rejetée par le tribunal, la reconnaissance de culpabilité ou les aveux de l’accusé ne peuvent être invoqués contre lui.

74. En Autriche, au Liechtenstein, en Bosnie-Herzégovine, en Bulgarie, en République tchèque, en Estonie, en France, en Allemagne, en Hongrie, en Italie, à Malte, en Moldavie, au Monténégro, en Roumanie, en Russie, en Serbie, en Slovaquie, en Espagne, en Suisse et au Royaume-Uni, les tribunaux statuent sur les transactions pénales dans le cadre d’une audience. En Bulgarie, au Monténégro, en Roumanie, en Russie, en Hongrie et en Slovaquie notamment, la présence de l’accusé à l’audience est expressément exigée par la loi. En revanche, la comparution de l’accusé est facultative en Italie.

75. Dans la majorité des pays étudiés, la conclusion d’une transaction pénale s’accompagne d’une limitation du droit de recours. En Slovénie, elle implique, semble-t-il, une renonciation totale au droit de recours, à tout le moins lorsqu’elle a été homologuée par le juge. Elle entraîne une restriction du droit de recours en Bosnie-Herzégovine, en Bulgarie, en République tchèque, en Estonie, en Hongrie, en Italie, à Malte, en Moldavie, au Monténégro, en Russie, en Slovaquie, en Serbie, en Espagne, en Suisse et en Ukraine. En revanche, elle n’a pas d’incidence sur ce droit en France, en Autriche, au Liechtenstein, en Allemagne, en Pologne, en Roumanie et au Royaume-Uni.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 7

76. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 2 du Protocole no 7, le requérant allègue que la procédure de transaction pénale appliquée dans son affaire s’analyse en un abus de procédure et qu’il était impossible d’exercer un recours contre l’homologation judiciaire de la transaction qui le concernait, qu’il estime déraisonnable.

77. Les passages pertinents de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 2 du Protocole no 7 se lisent ainsi :

Article 6

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

Article 2 du Protocole no 7

« 1. Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi. »

A. Thèse du Gouvernement

78. Le Gouvernement soutient que la transaction pénale, en laquelle il voit une forme de justice pénale consensuelle et simplifiée, a été introduite avec succès dans la législation et la pratique de plusieurs États européens ainsi qu’ailleurs dans le monde sans heurter les garanties fondamentales du procès équitable. Selon lui, l’apparition et la diffusion de la transaction pénale s’expliquent par un souci accru d’économie procédurale. Dès 1987, le Comité des Ministres aurait invité les États membres du Conseil de l’Europe à adopter des mesures visant à la simplification et à l’accélération des procédures de jugement, notamment par le recours à des procédures sommaires, à des négociations extrajudiciaires et à des transactions (paragraphe 54 ci-dessus). Par ailleurs, la transaction pénale serait l’un des instruments de lutte contre la corruption et le crime organisé les plus commodes et les plus efficaces. Il serait impossible de bien comprendre les raisons pour lesquelles la transaction pénale a été introduite en 2004 dans l’ordre juridique géorgien sans avoir conscience de la criminalité et de la corruption endémiques qui régnaient en Géorgie à cette époque. L’introduction de la transaction pénale aurait visé à apporter une réponse urgente à ces problèmes systémiques.

79. En Géorgie, la transaction pénale emporterait renonciation de l’accusé à certains droits procéduraux en échange d’une peine atténuée et d’un procès accéléré. Toutefois, les garanties fondamentales du procès équitable auraient été maintenues en droit interne et dûment appliquées dans l’affaire du requérant. En premier lieu, l’intéressé aurait été représenté par un avocat, il aurait consenti à l’application de la procédure de transaction pénale avant le début des négociations avec le procureur et, conformément aux exigences légales, il aurait accepté les termes de la transaction conclue avec le procureur par un écrit contresigné par son avocat. En second lieu, la juridiction compétente aurait par la suite examiné la transaction au cours d’une audience publique et elle aurait recherché si elle avait été conclue sans contrainte, dans des conditions équitables, et si le requérant l’avait acceptée en toute connaissance de la nature des accusations et de la peine encourue. Outre ces garanties, le requérant aurait pu dénoncer au cours de l’audience la transaction pénale qu’il avait conclue, et le juge appelé à apprécier la validité des accusations aurait eu le pouvoir de s’opposer à la transaction s’il avait eu le moindre doute sur la responsabilité pénale de l’intéressé.

80. Par ailleurs, à l’appui de sa thèse selon laquelle le requérant avait pleinement connaissance du contenu de la transaction pénale et y avait volontairement consenti, le Gouvernement avance que le requérant avait été représenté par un avocat de son choix dès le 16 mars 2004, au lendemain même de son arrestation (paragraphe 15 ci-dessus). Le 25 mars 2004, l’intéressé aurait adressé au procureur une lettre où il aurait exprimé sa volonté de coopérer avec les autorités et de parvenir à un accord (paragraphe 18 ci-dessus). Le 1er août 2004, les pièces du dossier pénal auraient été mises à sa disposition et, le 6 août 2004, il aurait choisi un second avocat (paragraphe 21 ci-dessus). Le 6 septembre 2004, après la clôture de l’enquête et le versement au dossier des éléments à charge, le procureur aurait établi un acte d’accusation contre le requérant pour détournement massif de fonds publics. Après avoir dûment pris connaissance de l’acte d’accusation en question et des éléments de preuve à charge, le requérant, qui aurait été représenté par ses deux avocats, aurait confirmé derechef sa volonté de coopérer avec les autorités. Le même jour, il aurait cédé à l’État ses parts de l’usine en réparation du dommage causé par ses actes (paragraphes 22-23 ci-dessus).

81. Le 9 septembre 2004, il aurait adressé au procureur une autre déclaration écrite où il aurait exprimé sa volonté de transiger sur la peine et de s’acquitter d’une amende de 35 000 GEL. Dans cette déclaration, il aurait expressément confirmé qu’il savait parfaitement ce qu’était une transaction pénale. Le même jour, le procureur aurait rendu visite au requérant en prison, où, en présence des deux avocats de l’intéressé, un écrit constatant l’accord aurait été établi et signé par toutes les personnes concernées. Par la suite, cet écrit aurait été dûment examiné par le tribunal (paragraphes 27-29 ci-dessus).

82. En ce qui concerne le point de savoir si le contrôle judiciaire de la transaction conclue entre le requérant et les autorités de poursuite a été adéquat, il conviendrait de relever que, au cours de l’audience du 10 septembre 2004, le juge se serait assuré que la conclusion de l’accord reposait sur la volonté libre et éclairée du requérant, comme le montreraient les extraits pertinents du compte rendu de l’audience. Le tribunal municipal de Koutaïssi aurait été pleinement en mesure de vérifier si les garanties procédurales applicables avaient été respectées par les parties au cours des négociations relatives à la transaction pénale puisqu’il aurait disposé du dossier complet de l’affaire, qui aurait notamment comporté la déclaration du 9 septembre 2004 par laquelle le requérant aurait exprimé sa volonté de conclure une transaction, l’accord lui-même signé par le requérant, son avocat et le procureur, et la requête adressée au tribunal par le procureur en vue de l’homologation de la transaction en question.

83. En outre, comme l’attesterait le compte rendu de l’audience du 10 septembre 2004, le tribunal municipal de Koutaïssi aurait interrogé le requérant, qui aurait réaffirmé sans équivoque son souhait de voir la procédure se terminer par une transaction pénale, ce que son avocat aurait confirmé. En d’autres termes, le tribunal aurait fait tout ce qui était en son pouvoir pour s’assurer que le requérant avait conclu la transaction librement et en connaissance de cause. Si tel n’avait pas été le cas, le tribunal aurait rejeté la transaction, comme il en aurait eu le pouvoir en vertu du droit interne applicable. En outre, bien que la transaction ait été couverte par une clause de confidentialité (article 679-2 § 4 CPP) justifiée par des raisons valables, l’audience du 10 septembre 2004 aurait été publique. La publicité de l’audience aurait été confirmée par l’avocat du requérant, le procureur et un agent du greffe du tribunal municipal de Koutaïssi qui y auraient assisté et qui auraient établi des déclarations écrites en ce sens les 10 et 11 juillet 2007. Ces témoins auraient confirmé que l’audience avait été publique et que l’administration judiciaire n’avait empêché personne d’accéder à la salle d’audience.

84. Enfin, en ce qui concerne l’impossibilité pour le requérant d’exercer un recours contre la décision rendue par le tribunal municipal de Koutaïssi le 10 septembre 2004, il conviendrait de relever que, en acceptant de conclure une transaction, l’intéressé avait expressément renoncé à son droit de recours ainsi qu’à un certain nombre d’autres droits garantissant un procès équitable. Somme toute, la transaction pénale ayant conduit à la condamnation du requérant à l’issue d’une procédure de jugement simplifiée n’aurait pas enfreint l’article 6 § 1 de la Convention ou l’article 2 du Protocole no 7.

B. Thèse du requérant

85. Le requérant soutient que la clôture de la procédure pénale qui le visait par une transaction pénale s’analyse en une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention. Il estime en effet qu’il a été statué sur les accusations portées contre lui sans procès équitable et sans possibilité de recours. Il avance que, si l’acceptation de la transaction a emporté renonciation à certains droits procéduraux, cette renonciation ne s’est pas accompagnée de garanties effectives contre un abus de procédure par les autorités de poursuite. Pour démontrer le dysfonctionnement généralisé du modèle géorgien de transaction pénale, le requérant produit une étude comparative réalisée par ses soins du fonctionnement de dispositifs similaires de transaction pénale en vigueur dans certains pays européens (notamment en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie, en France et en Russie). S’appuyant sur cette étude, il soutient que, contrairement aux dispositifs juridiques pertinents applicables dans les pays étudiés, le modèle géorgien de transaction pénale n’autorise pas l’accusé à être représenté par un avocat dès le début de l’enquête et ne permet pas à la juridiction compétente de vérifier comme il conviendrait que la transaction pénale a été conclue dans des conditions équitables.

86. S’appuyant sur les observations internationales pertinentes relatives au modèle géorgien de transaction pénale, il avance que le fonctionnement d’une telle procédure ne peut être équitable dans un système de justice pénale enregistrant un taux de condamnation de 99 % (paragraphes 57-60 ci-dessus). Il renvoie par ailleurs aux résultats d’une étude empirique d’où il ressort que, même dans les systèmes de justice pénale où le taux d’acquittement atteint 15 à 20 %, les accusés qui s’estiment innocents choisissent souvent de plaider coupable. En d’autres termes, il soutient que sa décision d’accepter une transaction pénale ne saurait passer pour avoir été vraiment volontaire. Il affirme que la conclusion d’une transaction pénale était sa seule chance réelle d’éviter une longue peine d’emprisonnement et que, à l’époque où il avait accepté de conclure une transaction, il était détenu dans des conditions particulièrement intolérables et stressantes, partageant sa cellule avec un meurtrier et l’une des personnes qui l’avaient enlevé et maltraité en décembre 2002. À cet égard, il assure que, à l’époque pertinente, tous les établissements pénitentiaires géorgiens recevant des condamnés offraient des conditions matérielles de détention déplorables, et que ce problème présentait un caractère systémique.

87. Il allègue que le modèle géorgien de transaction pénale accorde des droits et des privilèges illimités aux autorités de poursuite, et que ce dysfonctionnement législatif exclut toute possibilité qu’un accord soit trouvé entre les parties sur un pied d’égalité relative. À cet égard, il renvoie aux conclusions de l’étude menée par TI Georgia (paragraphes 58-61 ci-dessus). Il dénonce également le fait que, selon la législation en vigueur à l’époque pertinente, le droit d’adresser au tribunal une requête aux fins d’homologation d’une transaction pénale était réservé au procureur et refusé à l’accusé, et que le pouvoir de choisir la sanction à infliger en application de la transaction appartenait au procureur, non au juge. Par ailleurs, il estime que l’absence d’une définition claire de la notion de « coopération à l’enquête » en droit interne s’analyse en une lacune législative de nature à accroître le risque d’abus de procédure.

88. Il soutient que ni le procureur ni le juge ne l’ont informé que la conclusion d’une transaction pénale emporterait renonciation à tous ses droits procéduraux. Selon lui, les pouvoirs conférés aux tribunaux dans le cadre de la procédure de transaction pénale ne constituent pas un système suffisant de freins et contrepoids contre de possibles abus de pouvoir du procureur. Le tribunal n’aurait pu contrôler que l’écrit constatant la transaction, non la manière dont les négociations avaient été menées, et il n’aurait pas été en mesure de rechercher si des abus avaient été commis pendant ces négociations, celles-ci n’ayant pas fait l’objet d’un procès‑verbal ou d’un enregistrement audio. Dans ces conditions, bien que le tribunal municipal de Koutaïssi eût officiellement demandé au requérant, à l’audience du 10 septembre 2004, s’il avait subi des pressions au cours des négociations précédentes, on ne saurait y voir une mesure de contrôle effective puisqu’il aurait été impossible à l’intéressé de se risquer à dénoncer de tels faits devant le tribunal alors qu’il se trouvait en détention aux mains des autorités exécutives de l’État. En outre, le tribunal n’aurait pas cherché à savoir si le requérant, en sa qualité d’accusé, avait pleinement compris les faits sur lesquels les accusations portées contre lui étaient fondées.

89. Par ailleurs, il n’aurait fallu qu’une seule journée au tribunal municipal de Koutaïssi pour homologuer la transaction pénale, alors pourtant qu’il aurait été objectivement impossible d’étudier les pièces du dossier en un laps de temps aussi court. En réalité, ce serait le procureur qui aurait établi la culpabilité et fixé la peine du requérant, le tribunal s’étant pour sa part contenté d’entériner les conclusions du procureur sans mener d’instruction judiciaire. En outre, la cession des parts sociales et les versements auraient été effectués les 6, 8 et 9 septembre 2004, c’est-à-dire avant l’homologation de la transaction pénale par le tribunal municipal de Koutaïssi le 10 septembre 2004. Dans ces conditions, un refus du requérant d’accepter la proposition de transaction pénale à l’audience du 10 septembre 2004 n’aurait pu conduire qu’à une prolongation de détention, qui se serait ajoutée à la perte des biens confisqués, sans la moindre contrepartie. Or le requérant n’aurait jamais reconnu être coupable des infractions dont il était accusé. Enfin, l’impossibilité pour le requérant d’exercer un recours contre la condamnation que le tribunal lui aurait infligée le 10 septembre 2004 en application de la transaction pénale serait contestable, les règles de procédure pénale pertinentes n’ayant offert à l’intéressé aucune voie de droit pour dénoncer les pratiques coercitives subies par lui au cours des négociations relatives à la transaction.

C. Appréciation de la Cour

90. En réponse aux arguments empiriques formulés par le requérant au sujet de la viabilité de l’ancien modèle géorgien de transaction pénale, la Cour rappelle d’emblée qu’elle n’a pas pour tâche de rechercher si le droit interne pertinent est en soi compatible avec les dispositions de la Convention. Cette question doit être appréciée au regard des circonstances propres à l’affaire pénale du requérant. En outre, la Cour considère que la possibilité pour un accusé d’obtenir une atténuation des charges ou une réduction de peine à condition qu’il reconnaisse sa culpabilité, ou qu’il renonce avant le procès à contester les faits ou encore qu’il coopère pleinement avec les autorités d’enquête est chose courante dans les systèmes de justice pénale des États européens (voir l’étude de droit comparé, paragraphes 62-75 ci-dessus, ainsi que Slavtcho Kostov c. Bulgarie, no 28674/03, § 17, 27 novembre 2008, et Ruciński c. Pologne, no 33198/04, § 12, 20 février 2007). Le fait de transiger sur un chef d’accusation ou sur une peine n’a rien de répréhensible en soi (voir, mutatis mutandis, Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni (déc.), nos 24027/07, 11949/08 et 36742/08, 6 juillet 2010). À cet égard, la Cour souscrit à l’idée selon laquelle la transaction pénale présente non seulement l’important avantage de permettre une résolution rapide des affaires pénales et d’alléger la charge de travail des tribunaux, du parquet et des avocats, mais constitue aussi, pour autant qu’elle soit correctement employée, un instrument efficace de lutte contre la corruption et le crime organisé ainsi qu’un facteur de réduction du nombre de peines prononcées et, par voie de conséquence, du nombre de détenus.

91. La Cour considère qu’une procédure de transaction pénale conduisant à ce qu’il soit statué sur une accusation pénale à l’issue d’un examen judiciaire simplifié implique en substance une renonciation à certains droits procéduraux. Cela ne saurait en soi poser problème puisque ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 n’empêchent une personne de renoncer à ces garanties de son plein gré (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 135, 17 septembre 2009). À cet égard, la Cour observe que, dès 1987, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a invité les États membres à prendre des mesures visant à simplifier la procédure juridictionnelle ordinaire en recourant notamment à des procédures abrégées ou sommaires (paragraphe 54 ci-dessus). Cependant, il est un principe fondamental selon lequel toute renonciation à des droits procéduraux doit se trouver établie de manière non équivoque et être entourée d’un minimum de garanties à la mesure de sa gravité pour pouvoir être jugée effective aux fins de la Convention. En outre, pareille renonciation ne doit se heurter à aucun intérêt public important (voir, entre autres, Scoppola, précité, §§ 135-136, Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 31, série A no 277-A, et Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 73, CEDH 2006-XII).

92. En l’espèce, la Cour observe que, en concluant un accord sur la peine avec les autorités de poursuite et en s’abstenant de contester les accusations portées contre lui, le requérant a renoncé à obtenir un examen au fond de son affaire pénale. Or, en application des principes susmentionnés afférents à la validité d’une telle renonciation, l’acceptation de la transaction par le requérant devait répondre aux conditions suivantes : a) elle devait être donnée de manière réellement volontaire et en parfaite connaissance des faits de la cause ainsi que des effets juridiques s’attachant à ce type de transaction, et b) le contenu de la transaction et l’équité de la procédure ayant mené à sa conclusion par les parties devaient faire l’objet d’un contrôle judiciaire suffisant.

93. À cet égard, la Cour observe en premier lieu que le requérant a lui‑même demandé aux autorités de poursuite de prendre les mesures nécessaires à la conclusion d’une transaction pénale. En d’autres termes, c’est le requérant lui-même qui a été à l’initiative de cette procédure qui, au vu du dossier de l’affaire, ne peut passer pour lui avoir été imposée par les autorités de poursuite, l’intéressé ayant exprimé très clairement sa volonté de réparer le dommage causé à l’État (paragraphes (...), 18, 22 et 27 ci‑dessus). Il a été autorisé à consulter les pièces de son dossier dès le 1er août 2004 (paragraphe 21 ci-dessus). La Cour relève que l’intéressé a été représenté par deux avocats de son choix (comparer avec Hermi, précité, § 79). Il a pu rencontrer le premier d’entre eux dès le début de la procédure pénale et celui-ci l’a assisté lors du premier interrogatoire de l’enquête, conduit le 17 mars 2004 (paragraphes 15-16 ci-dessus). Les deux avocats du requérant l’ont conseillé au cours du processus de négociation de la transaction avec les autorités de poursuite, et l’un d’eux l’a représenté dans le cadre du contrôle judiciaire de la transaction. Qui plus est, lorsqu’il a contrôlé la légalité de la transaction pénale lors de l’audience du 10 septembre 2004, le tribunal municipal de Koutaïssi a demandé à l’intéressé, ainsi qu’à son avocat, s’il avait subi des pressions indues au cours des négociations avec le procureur. La Cour observe que le requérant a expressément confirmé à plusieurs reprises, devant les autorités de poursuite et devant le juge, qu’il avait parfaitement compris le contenu de la transaction, qu’il avait été informé de ses droits procéduraux et des effets juridiques de la transaction, et que sa décision de l’accepter ne résultait pas d’une contrainte ou de fausses promesses (paragraphes 27, 28 et 31 ci‑dessus).

94. La Cour note également que l’accord conclu entre le procureur et le requérant a été acté dans un écrit qui a été signé par le procureur, par le requérant et par l’avocat de celui-ci avant d’être soumis pour examen au tribunal municipal de Koutaïssi. Il s’agit là d’un élément important puisque l’établissement d’un écrit a permis de consigner les termes exacts de l’accord et des négociations préalables de manière précise et incontestable avant qu’ils ne fassent l’objet d’un contrôle judiciaire.

95. Par ailleurs, la Cour accorde de l’importance au fait que le droit interne n’obligeait pas le tribunal municipal de Koutaïssi à entériner l’accord conclu entre le requérant et le procureur, ce qui constitue à ses yeux une garantie supplémentaire du caractère adéquat du contrôle judiciaire exercé sur l’équité de la transaction pénale. Le tribunal était au contraire habilité à rejeter l’accord selon sa propre appréciation de l’équité des termes de celui-ci et du processus ayant abouti à sa conclusion. Il avait non seulement le pouvoir d’apprécier le bien-fondé de la peine requise par le procureur au regard des accusations portées contre le requérant, mais aussi celui de la réduire (article 679-4 §§ 1, 3, 4 et 6). La Cour retient aussi que, pour exercer un contrôle judiciaire effectif sur le rôle joué par les autorités de poursuite dans la transaction pénale, le tribunal a recherché si les accusations portées contre le requérant étaient bien fondées et étayées par un commencement de preuve (article 679-4 § 5). Le fait que l’examen de la transaction pénale par le tribunal ait eu lieu en audience publique, conformément aux exigences de l’article 679-3 § 1 CPP, a également contribué, de l’avis de la Cour, à la qualité globale du contrôle judiciaire effectué.

96. Enfin, en ce qui concerne le grief formulé par le requérant sous l’angle de l’article 2 du Protocole no 7, la Cour estime normal que le droit d’exercer un recours contre une condamnation fondée sur une transaction pénale emportant renonciation de l’accusé à obtenir un examen au fond de son affaire soit plus limité qu’en cas de condamnation prononcée à l’issue d’un procès pénal ordinaire. Elle rappelle à cet égard que les États contractants bénéficient d’une ample marge d’appréciation sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 7 (voir, entre autres, Krombach c. France, no 29731/96, § 96, CEDH 2001-II). Elle estime qu’en acceptant de transiger, le requérant a renoncé non seulement à son droit à un procès ordinaire, mais aussi à son droit de recours ordinaire. Cette conséquence de la transaction pénale, qui découle d’une disposition de droit interne clairement libellée (l’article 679-7 § 2), a été ou aurait dû être expliquée au requérant par ses avocats. La Cour ayant conclu que la transaction pénale acceptée par le requérant était compatible avec le principe d’équité consacré par l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphes 92-95 ci-dessus), elle considère de la même manière que la renonciation de l’intéressé à son droit de recours ordinaire ne constitue pas une restriction arbitraire contraire au principe analogue contenu dans l’article 2 du Protocole no 7, selon lequel toute limitation du droit de recours consacré par cette disposition doit revêtir un caractère raisonnable (pour le principe général concernant la corrélation entre les exigences d’équité posée par ces dispositions, Galstyan c. Arménie, no 26986/03, § 125, 15 novembre 2007).

97. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’acceptation par le requérant de la transaction pénale, qui a emporté renonciation de l’intéressé à son droit d’obtenir un examen ordinaire du bien-fondé de son affaire et à son droit de recours ordinaire, était incontestablement consciente et volontaire. Eu égard aux circonstances de l’affaire, on ne saurait dire que cette décision résultait d’une contrainte exercée par les autorités de poursuite ou de fausses promesses de leur part. Au contraire, elle a été prise dans des conditions offrant des garanties suffisantes contre d’éventuels abus de procédure. Au vu des éléments du dossier, la Cour n’est pas convaincue que la renonciation en question se heurtait à un intérêt public important.

98. En conséquence, il n’y a eu violation ni de l’article 6 § 1 de la Convention ni de l’article 2 du Protocole no 7.

(...)

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a eu violation ni de l’article 6 § 1 de la Convention ni de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention ;

(...)

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 29 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Gyulumyan.

J.C.M.
S.Q.

OPINION en partie dissidente
De la JUGE GYULUMYAN

(Traduction)

Je ne puis souscrire à l’opinion de la majorité de la Cour selon laquelle il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 2 du Protocole no 7. En revanche, j’estime comme la majorité qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, et que l’état défendeur n’a pas manqué à ses obligations au titre de l’article 34 de la Convention.

1. Je tiens à souligner d’emblée que la manière dont les autorités employaient la transaction pénale en Géorgie à l’époque pertinente était vivement critiquée dans le pays. Bon nombre d’auteurs considéraient notamment que le recours à cette procédure ne visait pas tant à répondre au but légitime énoncé à l’article 15 du code de procédure pénale (consistant à « accroître la célérité et l’efficacité de la justice ») qu’à remplir les caisses de l’état avec les fonds et les capitaux extorqués aux prévenus. Faisant écho à cette accusation, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est allée plus loin le 24 janvier 2006 en exhortant les autorités géorgiennes à « revoir d’un œil critique la procédure du plea bargaining [transaction pénale] qui, sous sa forme [d’alors], permet[tait] à des délinquants présumés d’utiliser le produit de leur crime pour éviter la prison, et risqu[ait] d’être mise en œuvre de manière arbitraire et abusive, voire pour des motifs politiques » (paragraphe 56 de l’arrêt).

2. Toutefois, je tiens également à préciser que je n’entends pas remettre en question la transaction pénale en tant que telle, de manière générale. Ce sont plutôt les circonstances de l’espèce qui m’ont conduite à conclure que, sous sa première forme, le modèle géorgien de transaction pénale et l’emploi qui en était fait par les autorités internes ne satisfaisaient pas aux garanties offertes par l’article 6 § 1 de la Convention, pour les raisons exposées ci-après.

3. Il me semble que le tribunal municipal de Koutaïssi n’était pas réellement en mesure de vérifier si le requérant et le procureur s’étaient trouvés sur un pied d’égalité durant les négociations sur les termes de la transaction dès lors que celles-ci n’avaient pas été intégralement enregistrées. Or, l’existence d’un tel dispositif n’étant pas prévue par le code de procédure pénale géorgien, le ministère public ne paraît pas avoir gardé trace des négociations en question. Par ailleurs, certaines circonstances troublantes de l’affaire – notamment le fait que la cession des parts de l’usine et les versements aient été réalisés avant même la conclusion de l’accord procédural, les déclarations de Mme M.I. et d’anciens employés de l’usine accusant le ministère public de pressions indues et l’incarcération du requérant dans des conditions éprouvantes, à dessein selon lui – remettent en cause la présomption d’égalité des parties dans le cadre des négociations.

4. Quant à la question de savoir si le consentement du requérant à la transaction pénale était réellement volontaire, il convient de relever que la Géorgie enregistrait à l’époque pertinente – c’est-à-dire en 2004 – un taux de condamnation de 99 % (paragraphe 60 de l’arrêt). Au vu d’un taux aussi élevé, il n’est guère concevable que le requérant ait pu croire qu’il avait une réelle chance d’obtenir un acquittement au cours des négociations préalables à la transaction. Dans son rapport sur le modèle géorgien de transaction pénale, Transparency International Georgia a elle aussi avancé que pareille procédure ne pouvait pas fonctionner de manière équitable dans des systèmes se caractérisant par un taux de condamnation élevé (paragraphe 60 de l’arrêt). Dans ces conditions, le requérant n’avait guère d’autre choix que d’accepter les termes de l’offre « à prendre ou à laisser » dictés par le procureur. Mais le traitement de l’affaire du requérant par le parquet général me paraît encore plus important à cet égard, le représentant du ministère public ayant menacé la famille de l’intéressé d’annuler la transaction et de rouvrir la procédure dirigée contre lui, allant même jusqu’à préjuger d’une décision de justice (...) Le fait que les autorités de poursuite aient fait preuve d’un comportement aussi troublant est révélateur de la pression qu’elles auraient pu exercer sur le requérant lorsque la procédure dirigée contre celui-ci était encore pendante.

5. Par ailleurs, l’équité de la transaction aurait dû interdire au ministère public de porter contre le requérant des accusations non étayées par un commencement de preuve. Le tribunal municipal de Koutaïssi aurait dû s’assurer, conformément à l’article 679-4 §§ 3 et 4 du code de procédure pénale, que les charges retenues contre l’intéressé étaient à première vue bien fondées. Au vu des éléments du dossier, je doute fort que les juridictions internes aient dûment satisfait à leur obligation en la matière. Les preuves et arguments avancés par le Gouvernement ne sont pas suffisants pour que je puisse aboutir à une conclusion positive à cet égard. Le procureur a adressé son réquisitoire au tribunal municipal de Koutaïssi le 9 septembre 2004 et celui-ci a homologué la transaction et déclaré le requérant coupable des accusations portées contre lui dès le lendemain (paragraphes 29 et 31-33 de l’arrêt). Or il me semble qu’il aurait été extrêmement difficile à cette juridiction d’examiner le bien-fondé de ces accusations en une seule journée.

6. Enfin, il est particulièrement inquiétant de constater que le droit interne ne permettait pas de faire appel d’un jugement homologuant une transaction pénale. Il va sans dire que l’absence de pareil recours a eu pour effet de limiter encore davantage le contrôle judiciaire de l’équité de la transaction pénale. Il apparaît que les autorités géorgiennes ont elles-mêmes reconnu cette grave lacune et qu’elles ont finalement décidé, le 25 mars 2005, d’autoriser l’appel en matière de transaction pénale (paragraphes 50-52 de l’arrêt).

7. Les dysfonctionnements exposés ci-dessus prennent une autre dimension lorsque l’on sait que le requérant a accepté de transiger avec le ministère public sur la peine seulement et qu’il a refusé de plaider coupable sur les accusations. Je regrette que la majorité n’ait pas cru bon d’opérer une distinction de principe entre la situation dans laquelle un accusé plaide coupable sur les accusations, avouant librement et sciemment l’infraction commise, et celle dans laquelle il n’accepte de transiger que sur la peine, sans reconnaître sa culpabilité. Dans ce dernier cas, qui est celui de l’espèce, je pense que les garanties procédurales encadrant la procédure de transaction doivent être renforcées. Il me semble en particulier que, dès lors que le requérant n’a jamais avoué avoir commis les infractions qui lui étaient reprochées, les juridictions internes auraient dû exercer sur les accusations portées contre lui un contrôle beaucoup plus rigoureux que celui qui s’impose dans le cas d’un accusé ayant volontairement plaidé coupable.

8. Les considérations exposées ci-dessus sont selon moi suffisantes pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 2 du Protocole no 7.


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