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17/04/2014 | CEDH | N°001-142729

CEDH | CEDH, AFFAIRE SCHATSCHASCHWILI c. ALLEMAGNE, 2014, 001-142729


Cinquième section

AFFAIRE SCHATSCHASCHWILI c. ALLEMAGNE

(Requête no 9154/10)

ARRÊT

STRASBOURG

17 avril 2014

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 15/12/2015

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Schatschaschwili c. Allemagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
Gan

na Yudkivska,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du con...

Cinquième section

AFFAIRE SCHATSCHASCHWILI c. ALLEMAGNE

(Requête no 9154/10)

ARRÊT

STRASBOURG

17 avril 2014

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 15/12/2015

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Schatschaschwili c. Allemagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
Ganna Yudkivska,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 mars 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 9154/10) dirigée contre la République fédérale d’Allemagne et dont un ressortissant géorgien, M. Swiadi Schatschaschwili (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 février 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me H. Meyer-Mews, avocat à Bremen. Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme K. Behr, Regierungsdirektorin, du ministère fédéral de la Justice.

3. Par une lettre datée du 29 décembre 2013, l’avocat du requérant a informé la Cour que le requérant avait quitté l’Allemagne pour la Géorgie où il résidait depuis lors sous un autre nom. Le 14 janvier 2014, la Cour a informé les parties qu’elle continuerait de traiter la requête sous l’intitulé « Schatschaschwili c. Allemagne », selon le nom par lequel le requérant était alors désigné dans les procédures internes en question ainsi que dans la requête introduite devant la Cour.

4. Le requérant alléguait en particulier que ni lui ni son avocat n’avaient eu la possibilité, à aucun moment dans la procédure pénale dirigée contre lui, d’interroger les victimes et seuls témoins directs du crime prétendument commis par lui à Göttingen en février 2007, dont les dépositions avaient fondé sa condamnation. Il y voyait une violation de l’article 6 § 3 d) de la Convention.

5. Le 15 janvier 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations concernant la recevabilité et le fond de la requête. Le gouvernement géorgien, qui avait été informé de son droit d’intervenir en vertu de l’article 36 de la Convention, ne s’en est pas prévalu.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7. Le requérant est né en 1978. À l’introduction de sa requête, il était détenu à la prison de Rosdorf (Basse-Saxe).

8. Par un jugement du 25 avril 2008 (dossier no 63 Js 1244/07), le tribunal régional de Göttingen condamna le requérant pour deux chefs de cambriolage aggravé commis sous la contrainte et en réunion avec extorsion de fonds aggravée (gemeinschaftlicher schwerer Raub in Tateinheit mit schwerer räuberischer Erpressung) à une peine d’emprisonnement cumulée (Gesamtfreiheitsstrafe) de neuf ans et six mois.

9. Les crimes avaient été commis respectivement à Kassel le 14 octobre 2006 et à Göttingen le 3 février 2007.

A. Les faits établis par le tribunal régional de Göttingen

1. Les événements à Kassel

10. Le tribunal régional estima établis les faits suivants. Le soir du 14 octobre 2006, le requérant, agissant de concert avec un complice non identifié et conformément à un plan convenu au préalable, pénétra de force dans un appartement à Kassel et cambriola ses occupantes. Les deux hommes savaient que l’appartement était utilisé à des fins de prostitution et s’attendaient à ce que ses deux occupantes y conservent des biens de valeur et des espèces. Ils étaient passés plus tôt dans la soirée afin de s’assurer qu’aucun client n’était présent. Peu après, ils sonnèrent à la porte de l’appartement, dans lequel se trouvait la locataire, Mme L. Après avoir maîtrisé celle-ci par la force, le requérant la menaça avec un pistolet à gaz qui ressemblait à une véritable arme, et lui ordonna de garder le silence. Il se rendit alors dans la cuisine, où il trouva l’autre locataire de l’appartement, Mme I., une ressortissante lituanienne, qui y résidait et y travaillait comme prostituée. Sous la menace de son pistolet à gaz, il la contraignit à lui remettre son téléphone portable. Alors que son complice surveillait les deux femmes, le requérant fouilla l’appartement dans l’espoir d’y trouver des biens de valeur, et découvrit cinq autres téléphones portables ainsi que 100 euros (EUR) dans le porte-monnaie de I. Le requérant menaça alors de tuer les deux femmes si elles ne lui disaient pas où elles conservaient d’autres sommes. Cédant à la menace, L. lui donna 1 000 EUR supplémentaires qu’elle conservait dans la poche de sa veste. Les deux hommes quittèrent alors l’appartement avec leur butin. Plus tard le même soir, une connaissance de L., à qui celle-ci avait raconté l’incident, appela la police qui se rendit à l’appartement.

2. Les événements à Göttingen

11. Quant aux événements du 3 février 2007, le tribunal régional établit les faits suivants. Le requérant, conjointement avec plusieurs complices, dont deux étaient ses coaccusés dans la procédure devant le tribunal, cambriolèrent un autre appartement situé à Göttingen. Les intéressés agirent conformément à un plan convenu entre eux au préalable. Au moment des faits, l’appartement était occupé par Mme O. et Mme P., deux ressortissantes lettones qui résidaient illégalement en Allemagne et qui utilisaient l’appartement à des fins de prostitution. O. et P. étaient des amies de L., l’une des victimes de l’infraction commise à Kassel le 14 octobre 2006, et elles avaient toutes deux travaillé pendant quelque temps comme prostituées dans l’appartement de Kassel loué par L. avant de s’établir à Göttingen.

12. Le soir du 2 février 2007, la veille du crime, l’un des deux coaccusés du requérant passa avec un complice, R., à l’appartement de O. et P. à Göttingen en vue de vérifier si les deux femmes étaient ses seules occupantes et s’il s’y trouvait des biens de valeur. R. était une connaissance de O. et P., qu’il avait rencontrées chez leur amie L. lorsque les deux femmes avaient séjourné dans l’appartement de celle-ci à Kassel. Par conséquent, les femmes, qui ne soupçonnaient rien, ne s’opposèrent pas à ce que les hommes entrent dans l’appartement. À la suite de leur visite, les deux hommes rapportèrent aux autres membres de la bande criminelle qu’ils avaient aperçu un coffre-fort dans la cuisine de l’appartement.

13. Le 3 février 2007, vers 20 heures, le requérant et un autre complice, B., réussirent à entrer dans l’appartement de O. et P. en se faisant passer pour des clients potentiels, alors que l’un des coaccusés attendait dans une voiture garée près de l’immeuble où se situait l’appartement et que l’autre coaccusé était posté devant la maison. Une fois à l’intérieur de l’appartement, B. sortit un couteau qu’il dissimulait dans sa veste. P., tentant d’échapper aux deux hommes, sauta du balcon de l’appartement, qui était à deux mètres du sol environ, et s’enfuit. Le requérant se lança à sa poursuite, mais abandonna après quelques minutes en raison de la présence de passants dans la rue. Il appela alors sur son portable le coaccusé qui attendait devant l’appartement des femmes et lui raconta ce qui s’était passé. Les deux hommes convinrent d’un lieu de rendez-vous où le coaccusé était censé prendre le requérant en voiture une fois que le complice B. aurait quitté le lieu du crime et les aurait rejoint. Dans l’intervalle, à l’intérieur de l’appartement, B., après avoir maîtrisé O., menaça de la tuer avec son couteau si elle ne lui révélait pas l’endroit où les deux femmes cachaient leur argent ou si elle refusait de lui ouvrir le coffre. Craignant pour sa vie, O. ouvrit le coffre, dans lequel B. prit 300 EUR, et lui donna également le contenu de son porte-monnaie, soit un montant de 250 EUR. B. quitta l’appartement vers 20 h 30 en emportant l’argent et le portable de P. ainsi que le téléphone fixe de l’appartement, et rejoignit son coaccusé. Celui-ci et B. prirent alors le requérant à bord de leur voiture au point de rendez-vous convenu.

14. Vers 21 h 30, P. rejoignit O. à l’appartement. Les deux femmes appelèrent leur amie L. à Kassel et lui racontèrent les événements par le menu. Le lendemain, elles évoquèrent également l’infraction devant leur voisine, E. Plus tard le même jour, les deux femmes, craignant de rester seules dans l’appartement de Göttingen, se rendirent à Kassel, où elles demeurèrent quelques jours chez leur amie L. Par la suite, elles séjournèrent brièvement à Francfort-sur-le-Main et à Göttingen, avant de repartir en Lettonie en février 2007.

B. Les constatations de fait et l’appréciation des preuves par le tribunal régional

1. Les événements à Kassel

15. Le tribunal régional fonda ses constatations de fait concernant la première infraction commise le 14 octobre 2006 à Kassel sur les déclarations faites par les victimes L. et I. au cours de leurs interrogatoires de police ainsi que dans le cadre du procès ultérieur. Les deux témoins avaient identifié le requérant sans hésitation comme étant celui qui portait l’arme lorsqu’on leur présenta sa photo lors des interrogatoires et plus tard lorsqu’elles furent confrontées directement à lui pendant le procès. Le tribunal régional jugea les témoignages de L. et I. cohérents et crédibles, relevant en outre qu’ils étaient corroborés par les déclarations des policiers qui se trouvaient sur les lieux de l’infraction et avaient interrogé L. et I. au cours de l’enquête préliminaire, et qui avaient tous été entendus comme témoins pendant le procès.

2. Les événements à Göttingen

16. Quant à l’établissement des faits relativement à la seconde infraction commise à Göttingen, le tribunal régional se fonda en particulier sur les déclarations faites dans la phase préliminaire au procès par les victimes O. et P. au cours des interrogatoires de police dans la période du 15 au 18 février 2007 et devant un juge d’instruction le 19 février 2007.

17. Par une décision du 21 février 2008, le tribunal régional, rejetant une exception connexe soulevée par la défense, ordonna que les procès-verbaux des interrogatoires de O. et P. par la police et par le juge d’instruction fussent lus à voix haute au procès et admis comme preuves dans le cadre de la procédure, conformément à l’article 251 §§ 1 et 2 du code de procédure pénale allemand (voir la partie « Droit interne pertinent » ci-dessous), lequel prévoyait une telle possibilité dans le cas où des obstacles insurmontables empêchaient l’audition d’un témoin dans un avenir prévisible. Le tribunal régional souligna à cet égard qu’il n’avait pas été possible d’entendre les deux femmes au cours du procès étant donné qu’elles étaient retournées dans leur pays, la Lettonie, peu après leurs interrogatoires au stade de l’enquête, et que toutes les tentatives pour qu’elles soient entendues à l’audience principale s’étaient avérées vaines.

18. Le tribunal régional précisa que O. et P. avaient été convoquées devant le tribunal régional le 24 août 2007, le troisième jour du procès, mais qu’elles avaient toutes les deux refusé d’assister à l’audience, sur le fondement de certificats médicaux en date du 9 août 2007 qui soulignaient leur état émotionnel et psychologique post-traumatique instable. En conséquence, le 29 août 2007, le tribunal avait envoyé des lettres aux deux témoins, dans lesquelles il leur demandait dans quelles conditions elles seraient disposées à témoigner au procès. Le tribunal précisa que, si des accusés de réception avaient été reçus pour les deux lettres, P. n’avait envoyé aucune réponse. Pour sa part, O. avait informé le tribunal régional par écrit qu’elle était toujours traumatisée par l’infraction et qu’en conséquence elle n’accepterait jamais de comparaître en personne au procès ni d’être interrogée par la voie audiovisuelle. O. avait en outre déclaré qu’elle n’avait rien à ajouter aux déclarations qu’elle avait faites à la police et au juge d’instruction en février 2007.

19. Le tribunal régional sollicita néanmoins l’assistance juridique des autorités lettones et demanda à ce que les deux femmes fussent entendues par un tribunal en Lettonie et que l’audience fût retransmise par voie audiovisuelle (audiovisuelle Vernehmung). Toutefois, une audience prévue par le tribunal letton compétent pour le 13 février 2008 fut annulée peu avant par le président dudit tribunal au motif que les témoins avaient de nouveau produit des certificats médicaux attestant qu’elles souffraient de troubles post-traumatiques en conséquence de l’infraction et que le fait d’être de nouveau confrontées aux événements de Göttingen risquerait d’aggraver leur état. Les deux femmes avaient en outre soutenu qu’à la suite de menaces des accusés elles craignaient de subir des représailles.

20. Le tribunal régional informa son homologue letton par une lettre du 21 février 2008 que, selon les règles de la procédure pénale allemande, les raisons avancées par les témoins n’étaient pas suffisantes pour justifier leur refus de déposer. Le tribunal suggéra au juge letton compétent de faire examiner les témoins par un médecin public (Amtsarzt) ou, à titre subsidiaire, de les contraindre à comparaître.

21. . La lettre étant restée sans réponse, le tribunal régional estima qu’il ne disposait d’aucun autre moyen juridique d’organiser une audition de O. et P. Considérant en outre que les certificats médicaux récemment renouvelés indiquaient que l’état de santé des deux femmes n’étaient pas prêt d’évoluer, le tribunal régional conclut qu’il était impossible de faire interroger les intéressées dans un avenir prévisible. Soulignant que les tribunaux étaient dans l’obligation de mener avec diligence les procédures impliquant des privations de liberté, et considérant que les accusés avaient déjà passé un temps considérable en prison, le tribunal déclara que rien ne pouvait justifier de retarder encore la procédure.

22. En conséquence, le tribunal régional rejeta une autre objection émise par l’avocat de l’un des coaccusés contre l’introduction des déclarations des témoins antérieures au procès, et les procès-verbaux des interrogatoires par la police et des auditions devant le juge d’instruction des témoins furent lus à voix haute pendant l’audience du 26 février 2008.

23. Dans son jugement de quelque 152 pages, le tribunal régional souligna que, lors de l’appréciation des éléments de preuve, il avait pris conscience de la valeur probante réduite des procès-verbaux des dépositions faites par O. et P. avant le procès. Il déclara avoir pris en compte en outre le fait que ni le requérant ni l’avocat de la défense n’avaient eu la possibilité d’interroger les seuls témoins directs de l’infraction à Göttingen à aucun stade de la procédure. Au moment de l’interrogatoire de O. et P. le 19 février 2007, avant le procès, le requérant n’était pas informé de la procédure pénale préliminaire engagée contre lui, afin que les investigations ne soient pas entravées. Aucun mandat d’arrêt n’avait encore été émis, et l’intéressé n’était alors pas représenté par un avocat. Le juge d’instruction avait exclu le requérant de l’audition conformément à l’article 168 c) du code de procédure pénale car il craignait que les témoins aient peur de dire la vérité en présence des accusés. Le tribunal régional souligna de plus qu’au stade de l’enquête rien n’indiquait que O. et P., qui avaient témoigné à plusieurs reprises devant la police puis devant le juge d’instruction, refuseraient de réitérer leurs déclarations au procès ultérieur.

24. Le tribunal régional estima que, malgré les restrictions qui en résultaient pour la défense, le procès dans son ensemble avait été équitable et conforme aux exigences de l’article 6 § 3 d) de la Convention, et que rien ne l’empêchait donc d’admettre les dépositions antérieures au procès comme preuves dans la procédure. Il déclara avoir consenti des efforts considérables pour permettre aux accusés et à l’avocat de la défense d’interroger directement O. et P. au procès. De plus, une fois que les témoins s’étaient avérés indisponibles, le tribunal régional avait veillé à ce qu’un maximum d’autres témoins qui avaient été en contact avec O.et P. relativement aux événements en question puissent être entendus au procès. Enfin, il avait pris en compte le fait que plusieurs éléments de preuve corroboraient les dépositions antérieures au procès lorsqu’il avait apprécié leur valeur probante.

25. De l’avis du tribunal régional, les procès-verbaux des interrogatoires de O. et P. au stade de l’enquête montraient qu’elles avaient donné des descriptions détaillées et cohérentes des circonstances du crime. Les contradictions mineures dans leurs déclarations pouvaient, selon le tribunal, s’expliquer par leur souci de ne pas révéler aux autorités leur situation et leurs activités illégales et par le stress psychologique auquel elles avaient été soumises pendant et après l’incident. Pour le tribunal, les deux femmes avaient eu peur d’avoir des problèmes avec la police et de subir des représailles de la part des délinquants, ce qui expliquait pourquoi elles n’avaient pas porté plainte immédiatement après les événements et pourquoi la police n’avait été informée de l’infraction que le 12 février 2007 par leur amie L. Quant au fait que O. et P. n’avaient pas identifié le requérant lorsqu’elles avaient été confrontées à plusieurs photos de suspects potentiels pendant les interrogatoires de police, le tribunal observa que l’attention des intéressées pendant l’incident s’était focalisée sur l’autre délinquant, qui tenait un couteau, et que le requérant lui-même n’était resté que peu de temps dans l’appartement. Selon le tribunal, leur incapacité à identifier le requérant montrait également que les deux femmes, contrairement à ce qu’alléguait la défense, n’avaient pas témoigné en vue de l’incriminer.

26. De l’avis du tribunal, le fait que la description détaillée des événements figurant dans les déclarations antérieures au procès correspondait au récit que les deux femmes avaient fait le lendemain matin à leur voisine E., qui avait été entendue comme témoin pendant le procès, constituait une autre indication forte de leur crédibilité et de la véracité de leurs déclarations. Ce témoin avait également déclaré que le soir du 3 février 2007, vers 21 h 30, une autre voisine, une femme âgée qui prit peur lorsqu’elle entendit du bruit venir de l’appartement, l’avait appelée et lui avait demandé de l’accompagner à l’appartement des deux femmes pour voir ce qui se passait. Toutefois, O.et P. n’avaient pas répondu lorsque les deux voisines avaient sonné à la porte.

27. Le tribunal régional observa en outre que la description des événements faite par O. et P. coïncidait également avec le souvenir qu’avait leur amie L. des conversations qu’elle avait eues avec O. et P. à la suite de l’infraction, tel qu’il ressortait de l’audition de L. au procès. Il rappela de plus que les policiers et le juge d’instruction qui avaient interrogé O. et P. au stade préliminaire avaient tous déclaré au procès qu’ils avaient trouvé les témoins crédibles.

28. Le tribunal régional releva que, étant donné que ni la défense ni le tribunal lui-même n’avaient eu la possibilité d’observer le comportement des témoins principaux au procès ou au moyen d’un interrogatoire conduit par la voie audiovisuelle, il devait examiner avec un soin particulier l’appréciation de la crédibilité des témoins par les policiers et le juge d’instruction. Le tribunal souligna en outre qu’en prenant en compte les déclarations de la voisine E. et de l’amie L. des deux femmes, il avait accordé une attention particulière au fait que leurs déclarations constituaient des témoignages par ouï-dire et devaient être évalués avec un soin particulier.

29. Dans ce contexte, il convenait, selon le tribunal, de prendre en compte le fait que les témoignages de O. et de P. ainsi que les déclarations d’autres témoins ayant déposé au procès étaient corroborés par d’autres éléments significatifs et admissibles, tels que les données obtenues au moyen des écoutes téléphoniques effectuées sur les téléphones portables du requérant et de ses coaccusés et au moyen d’un système de positionnement global par satellite (« GPS »). Le tribunal précisa que ces informations avaient été recueillies dans le cadre des mesures de surveillance effectuées par la police au moment des faits, dans le cadre de la procédure pénale préliminaire engagée contre les accusés, qui étaient soupçonnés de racket et d’extorsion de fonds (Schutzgelderpressung) dans le milieu des stupéfiants de Göttingen. Le lien entre les éléments obtenus au cours de ces investigations séparées et l’infraction en cause n’aurait pu être établi qu’après que O. et P. eurent rapporté l’incident du 3 février 2007 à la police. Selon le tribunal, il ressortait des enregistrements de deux conversations par portable entre l’un des deux coaccusés et le requérant le soir du 3 février 2007 à 20 h 29 et 20 h 31 que ce dernier se trouvait dans l’appartement des victimes en compagnie de B., et qu’il avait sauté du balcon afin de capturer l’une des victimes, qui tentait de fuir et qu’il n’avait pas réussi à rattraper, tandis que B. était resté à l’appartement. Le tribunal ajouta qu’une analyse des données GPS montrait que la voiture de l’un des coaccusés avait stationné près des lieux de l’infraction de 19 h 58 à 20 h 32 le soir du 3 février 2007, soit une période qui correspondait à l’intervalle de temps pendant lequel le cambriolage en question s’était déroulé.

30. Enfin, alors que le requérant et ses coaccusés niaient toute participation au cambriolage en tant que tel et toute activité répréhensible à cet égard, leurs propres déclarations au cours du procès avaient au moins confirmé que l’un des coaccusés s’était rendu en compagnie de R. à l’appartement de Göttingen le soir avant le crime, et que le requérant et B. se trouvaient dans l’appartement au moment de l’incident le jour suivant. Le requérant avait témoigné que lui-même et B. s’étaient rendus à l’appartement en vue de faire appel aux services des deux femmes en tant que prostituées. Il avait en outre admis avoir suivi P. lorsqu’elle s’était enfuie par le balcon et avait expliqué avoir agi ainsi afin de l’empêcher d’appeler les voisins ou la police puisqu’il avait eu peur d’avoir des problèmes en raison de son casier judiciaire et les problèmes qu’il avait eus lors d’un incident similaire avec des prostituées à Kassel.

31. De l’avis du tribunal, les éléments de preuve, pris dans leur ensemble, formaient une image globale cohérente et complète des événements qui corroborait la version donnée par les témoins O. et P. et réfutait les déclarations contradictoires faites par le requérant et ses coaccusés au cours du procès.

C. La procédure ultérieure

32. L’avocat du requérant introduisit un pourvoi contre le jugement du tribunal régional de Göttingen, dans lequel il soutenait que le requérant n’avait pas été en mesure d’interroger les seuls témoins directs du crime commis à Göttingen à aucun stade de la procédure, en violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention. Il alléguait que pareille impossibilité était imputable aux autorités internes, expliquant que, selon la jurisprudence de la Cour fédérale de justice, un avocat devait être désigné pour représenter tout accusé non représenté dès lors que des témoins clés de l’accusation étaient amenés à témoigner devant un juge d’instruction et que l’accusé était exclu de cette audition. Or, selon l’avocat, au moment de l’audition des témoins, le requérant n’était même pas informé de la procédure préliminaire engagée contre lui, et les autorités de poursuite n’avaient pas demandé à ce qu’un avocat de la défense lui soit attribué. En conséquence, l’avocat estimait que les témoignages de O. et P. auraient dû être exclus du procès.

33. Dans ses observations écrites en date du 9 septembre 2008, le procureur fédéral (Generalbundesanwalt) demanda à la Cour fédérale de justice de rejeter le pourvoi du requérant pour défaut manifeste de fondement par une procédure écrite conformément à l’article 349 § 2 du code de procédure pénale (voir la partie « Droit interne pertinent » ci-dessous). Tout en admettant que la procédure avait impliqué une « perte complète » du droit du requérant à interroger O. et P. (« Totalausfall des Fragerechts »), le procureur fédéral estima qu’elle avait été dans l’ensemble équitable et que rien ne justifiait d’exclure les témoignages de O. et de P. des éléments de preuve. Il releva que le tribunal régional avait apprécié les procès-verbaux des dépositions des témoins lues à voix haute au procès avec un regard particulièrement méticuleux et critique, et qu’il n’avait pas fait de ces déclarations le fondement exclusif ou déterminant de la condamnation du requérant mais qu’il avait pris en compte d’autres éléments significatifs. Il ajouta que, confronté aux divers éléments concordants, le requérant avait eu amplement la possibilité de mettre en question la crédibilité des deux principaux témoins et d’assurer effectivement sa défense. Le procureur fédéral, faisant siens les arguments pertinents du tribunal régional, estima que rien ne démontrait que les restrictions au droit de la défense d’interroger les témoins avaient été imputables aux autorités internes.

34. Par des observations écrites du 28 septembre 2008, le requérant répondit aux observations du procureur fédéral et demanda à la Cour fédérale de justice de tenir une audience dans la procédure d’appel.

35. Par une décision du 30 octobre 2008, la Cour fédérale de justice, sur le fondement de l’article 349 § 2 du code de procédure pénale, rejeta le pourvoi du requérant pour défaut manifeste de fondement.

36. Par des observations écrites du 17 novembre 2008, le requérant se plaignit d’une violation de son droit à être entendu (Anhörungsrüge), au motif qu’aucune audience n’avait été tenue dans la procédure d’appel et que la décision de la Cour fédérale de justice rejetant son recours n’était pas motivée.

37. Par une décision du 9 décembre 2008 rejetant le grief du requérant, la Cour fédérale de justice souligna que toute décision rejetant un pourvoi sur la base de l’article 349 § 2 du code de procédure pénale impliquait une référence aux arguments pertinents du procureur fédéral.

38. Par une décision non motivée du 8 octobre 2009, la Cour constitutionnelle fédérale refusa d’admettre pour examen le recours constitutionnel du requérant contre les décisions de la Cour fédérale de justice en date du 30 octobre et du 9 décembre 2008.

39. Il ressort des observations du requérant qu’il est dans l’intervalle sorti de prison et est retourné dans son pays natal, la Géorgie.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

40. Selon l’article 160 du code de procédure pénale, dès que les autorités publiques de poursuite ont connaissance de soupçons quant à la commission d’une infraction pénale, soit par le dépôt d’une plainte pénale soit par d’autres moyens, elles doivent enquêter sur les faits en vue de décider s’il convient d’engager l’action publique. Elles doivent établir non seulement les circonstances à charge mais également les circonstances à décharge et doivent garantir que les éléments de preuve dont on peut craindre la perte soient recueillis.

41. En vertu de l’article 168 c), alinéa 2, du code de procédure pénale, le procureur, l’accusé et l’avocat de la défense sont autorisés à être présents pendant l’audition d’un témoin ou d’un expert par un juge avant l’ouverture de la procédure principale. Le juge peut exclure de l’audition un accusé dont la présence nuirait au but de l’enquête, en particulier si l’on peut craindre qu’un témoin ne dira pas la vérité en présence de l’accusé (article 168 c), alinéa 3, du code de procédure pénale). Les personnes dont la présence est autorisée reçoivent notification à l’avance des dates fixées pour l’audition. La notification peut être omise si elle risque de compromettre le succès de l’enquête (article 168 c), alinéa 5, du code de procédure pénale).

42. Un avocat de la défense peut être désigné pendant la procédure préliminaire ; le ministère public sollicite pareille désignation si, à son avis, l’assistance d’un avocat de la défense sera obligatoire dans la procédure principale (article 141 § 3 du code de procédure pénale). L’assistance d’un avocat de la défense est obligatoire si, notamment, l’audience principale est tenue en première instance devant le tribunal régional ou si l’accusé se voit reproché une infraction pénale grave (article 140 § 1, alinéas 1, 2 et 7, du code de procédure pénale).

43. Dans un arrêt de principe du 25 juillet 2000 (publié dans le Recueil officiel, BGHSt, volume 46, p. 96 et suiv.), la Cour fédérale de justice a estimé que, eu égard à l’article 6 § 3 d) de la Convention, l’article 141 § 3 du code de procédure pénale exigeait que les autorités d’enquête prévoient d’attribuer un avocat à un accusé non représenté si un témoin clé de l’accusation devait déposer devant un juge d’instruction et que l’accusé était exclu de l’audition. Dans le cas où pareil témoin clé peut légalement se prévaloir du droit de ne pas témoigner à l’éventuel procès ultérieur de l’accusé, la désignation d’un avocat est en général nécessaire afin d’éviter que l’accusé ne soit privé du droit que lui reconnaît l’article 6 § 3 d) d’interroger le témoin clé à tout stade de la procédure.

44. L’article 238 § 1 du code de procédure pénale dispose que le président du tribunal conduit l’instance, interroge le défendeur et administre les preuves. Aux termes de l’article 240 § 2, le président du tribunal peut, sur demande, autoriser le parquet, le défendeur et l’avocat de la défense ainsi que les juges non professionnels à poser des questions aux défendeurs, aux témoins et aux experts. Selon l’article 244 § 2, le tribunal, dans le but d’établir la vérité, peut de sa propre initiative étendre l’administration des preuves à l’ensemble des faits et moyens de preuve pertinents pour la décision.

45. En vertu de l’article 251 §§ 1 et 2 du code de procédure pénale, l’audition d’un témoin peut être remplacée par la lecture à voix haute du procès-verbal d’une autre audition ou par un certificat contenant une déclaration écrite émanant du témoin si celui-ci est entre-temps décédé ou ne peut pour une autre raison être interrogé par le tribunal dans un avenir prévisible. L’audition d’un témoin peut aussi être remplacée par la lecture à voix haute du procès-verbal d’une audition précédente par un juge si une maladie, une infirmité ou d’autres obstacles insurmontables empêchent le témoin de comparaître à l’audience principale pendant une période longue ou indéterminée.

46. L’article 257 du code de procédure pénale dispose qu’après l’audition de tous les codéfendeurs et après l’administration des preuves dans chacune des affaires, le défendeur est invité à dire s’il a quelque chose à ajouter. Selon l’article 258 dudit code, le procureur et, par la suite, le défendeur devront se voir offrir de nouveau l’occasion de présenter leurs arguments et de déposer des demandes une fois l’administration des preuves terminée.

47. Les règles concernant les pourvois contre des décisions des juridictions pénales sont explicitées aux articles 333 à 358 du code de procédure pénale. L’article 337 dispose que pareil pourvoi ne peut être déposé qu’au motif que le jugement se fondait sur une violation de la loi. Selon l’article 345 § 2, la représentation par un avocat est obligatoire pour la présentation du pourvoi. L’article 349 §§ 2 et 3 stipule que la juridiction de pourvoi peut, à la demande motivée des autorités de poursuite, rejeter le pourvoi d’une personne condamnée par une décision unanime et sans audience dans le cas où elle juge le pourvoi manifestement mal fondé. Les autorités de poursuite doivent informer le plaignant du pourvoi et des motifs avancés à l’appui. Le plaignant peut soumettre une réponse écrite à la juridiction de pourvoi dans les deux semaines. Si celle-ci ne suit pas la demande du ministère public et tient une audience, elle statue sur le pourvoi par un arrêt.

48. Les articles 112 et suiv. du code de procédure pénale concernent la détention provisoire. En vertu de l’article 112 § 1, un défendeur peut être mis en détention provisoire s’il existe de forts soupçons qu’il ait commis une infraction pénale et s’il existe des raisons de l’arrêter. Tel est le cas si, notamment, certains faits appellent à conclure que le suspect risque de se soustraire à la justice (article 112 § 2, alinéa 2).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION

49. Le requérant allègue que son procès a été inéquitable et que le principe de l’égalité des armes a été enfreint en ce que ni lui ni son avocat n’ont eu la possibilité, à aucun stade de la procédure pénale, d’interroger O. et P., les seuls témoins directs et victimes de l’infraction que l’intéressé aurait commise à Göttingen en février 2007.

Il invoque l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 d) de la Convention, dont les passages pertinents se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...) »

50. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

51. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les observations des parties

a) Le requérant

52. Le requérant soutient que l’exigence en vertu de l’article 6 § 3 d) d’accorder à un accusé le droit d’interroger ou de faire interroger des témoins à charge en vue d’éprouver leur crédibilité constitue une garantie procédurale qui vise à garantir le respect du principe d’égalité des armes dans le cadre d’une procédure pénale. Selon lui, les déclarations de témoins que seules les autorités d’enquête, mais pas la défense, ont pu interroger sont en conséquence irrecevables et doivent en règle générale être exclues de la procédure devant le tribunal du fond. Tout en reconnaissant que des exceptions à cette règle peuvent s’appliquer dans des circonstances spéciales, par exemple dans des affaires où les restrictions au droit de l’accusé à être confronté à un témoin au procès sont absolument nécessaires en vue de protéger celui-ci, il estime que pareilles considérations étaient dénuées de pertinence en l’espèce.

53. Le requérant soutient à cet égard que le fait que O. et P., les principaux témoins à charge, n’ont pas pu être interrogées par la défense à aucun stade de la procédure, est imputable aux autorités internes. Selon lui, étant donné que les témoins allaient à l’évidence quitter l’Allemagne le moment venu après leur interrogatoire par le juge d’instruction, les autorités étaient dans l’obligation, en vertu de l’article 168 c) du code de procédure pénale, de lui donner la possibilité d’assister à l’audition des témoins. Le requérant estime qu’à titre subsidiaire, les autorités auraient dû désigner un avocat pour le représenter et autoriser celui-ci à assister à l’audition, en vue d’accorder à la défense une possibilité d’être confrontée aux deux femmes. Or, il observe que, malgré cette lacune procédurale dans la procédure préliminaire, le tribunal régional a fait lire à voix haute au procès le procès-verbal de l’audition de O. et de P. par le juge d’instruction et a admis ce procès-verbal en tant que preuve.

54. Le requérant ajoute qu’au stade du procès les autorités nationales ne se sont pas prévalues de tous les moyens appropriés pour garantir que les témoins soient disponibles pour déposer. Pour lui, les autorités auraient pu, par exemple, accorder à O. et à P. un permis de séjour temporaire à cette fin et ainsi éviter le risque qu’elles fussent soumises à des menaces et des pressions de sa part en les incluant dans un programme de protection de témoins. Les autorités internes auraient en outre omis d’examiner s’il était possible de prendre des dispositions pour organiser l’audition des deux femmes par un agent de l’ambassade d’Allemagne en Lettonie, après l’échec de toutes les autres tentatives de les interroger par l’intermédiaire des autorités lettones.

55. De l’avis du requérant, les inconvénients pour la défense résultant du fait que les autorités internes n’ont pas ménagé au requérant la possibilité d’être confronté à O. et à P. n’ont pas été compensés par les autorités de poursuite ou par le tribunal interne au cours de la procédure. Or, selon la jurisprudence établie de la Cour, une condamnation ne pourrait se fonder exclusivement ou à un degré déterminant sur des dépositions faites par des témoins auxquels le requérant n’a pas eu la possibilité d’être confronté à aucun stade de la procédure, comme tel a été le cas en l’espèce.

56. Le requérant conclut que les droits de la défense ont été restreints à un point inconciliable avec les garanties consacrées par l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

b) Le Gouvernement

57. Le Gouvernement est d’avis qu’il découle des passages pertinents du raisonnement du jugement du tribunal régional de Göttingen (paragraphes 17-20) que celui-ci a pris toutes les mesures raisonnables pour organiser une audition de O. et de P. au cours de la procédure principale. Après l’échec de toutes les tentatives pour convaincre les deux femmes d’assister au procès ou pour les faire interroger à l’étranger par un juge letton, le tribunal régional aurait considéré à juste titre qu’il ne disposait d’aucun autre moyen juridique d’organiser une audition de O. et P. et qu’il était impossible de les interroger en tant que témoins dans un avenir prévisible.

58. L’impossibilité pour le requérant d’interroger O. et P. avant le procès ne serait également pas imputable aux autorités internes. Le Gouvernement estime qu’il était justifié d’exclure l’intéressé de l’audition des témoins devant le juge d’instruction pour ne pas compromettre l’objectif des investigations, qui étaient alors toujours secrètes. Selon lui, le juge d’instruction avait des motifs raisonnables de présumer que les témoins auraient peur de dire la vérité en présence des suspects et que le requérant, une fois informé de l’enquête en cours, tenterait d’intimider O. et P. en vue d’influencer leur témoignage.

59. Le Gouvernement soutient en outre que les autorités internes n’étaient pas tenues de désigner un avocat pour représenter le requérant au stade de l’enquête. Il explique qu’à ce moment-là, il n’était pas prévisible que les deux femmes, qui avaient auparavant témoigné à plusieurs reprises devant la police, refuseraient de réitérer leurs déclarations, au moins par la voie audiovisuelle, au cours du procès ultérieur. En particulier, selon lui, les témoins ne pouvaient pas se prévaloir d’un droit légal de ne pas témoigner devant le tribunal, contrairement à, par exemple, les membres de la famille d’un accusé. La désignation d’un avocat de la défense aurait entraîné le risque que ce dernier informe le requérant de la procédure préliminaire. Pour le Gouvernement, cela aurait non seulement compromis la conduite des investigations pour les raisons décrites ci-dessus, mais aurait en outre suscité le risque que le requérant se soustraie à la justice. Le Gouvernement soutient que, contrairement à ce qu’affirme le requérant dans ses observations, il n’était pas possible d’émettre un mandat d’arrêt contre l’intéressé avant l’audition de O. et de P. par le juge d’instruction, étant donné que c’était cette audition de témoins qui avaient occasionné les forts soupçons selon lesquels il avait commis une infraction pénale justifiant son placement éventuel en détention provisoire.

60. De l’avis du Gouvernement, les restrictions consécutives aux droits de la défense ont été compensées au cours de la procédure. Il affirme que les témoignages de P. et O. au stade antérieur au procès étaient corroborés par les déclarations d’autres témoins ainsi que par l’analyse des données obtenues par la mise sur écoutes des téléphones portables du requérant et des coaccusés et au moyen du système GPS, et donc n’ont pas constitué le fondement unique de la condamnation du requérant. De plus, dans son appréciation des preuves disponibles, le tribunal régional aurait pris en compte le fait que le requérant n’avait pas eu la possibilité d’être confronté avec O. et P. à aucun stade de la procédure et que les déclarations de certains des témoins entendus au cours du procès étaient des preuves par ouï-dire. En conséquence, il aurait étudié les preuves disponibles avec un soin particulier et avec un regard particulièrement critique en vue d’évaluer la crédibilité des deux femmes et d’analyser toute contradiction possible dans leurs témoignages.

61. Le Gouvernement conclut qu’en l’espèce les restrictions apportées aux droits de la défense n’étaient pas incompatibles avec les garanties procédurales prévues par l’article 6 § 3 d) ou avec le principe de l’égalité des armes, et que la procédure dirigée contre le requérant, prise dans son ensemble, a été équitable.

2. Appréciation de la Cour

62. La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 d) de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de cette disposition, dont il faut tenir compte pour apprécier l’équité de la procédure. De plus, lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable (voir, parmi d’autres, Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010). Pour ce faire, elle envisage la procédure dans son ensemble et vérifie le respect non seulement des droits de la défense mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 175, CEDH 2010) et, si nécessaire, des droits des témoins (voir, parmi bien d’autres arrêts, Doorson c. Pays-Bas, 26 mars 1996, § 70, Recueil des arrêts et décisions 1996‑II). La Cour rappelle également dans ce contexte que la recevabilité des preuves relève des règles du droit interne et des juridictions nationales et que sa seule tâche consiste à déterminer si la procédure a été équitable (Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 118, CEDH 2011).

63. L’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant la condamnation d’un accusé, tous les éléments de preuve doivent en principe être produits devant l’intéressé en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. La règle sous-jacente est que, dans un procès pénal, l’accusé doit avoir une possibilité réelle de contester les allégations dont il fait l’objet. Les exceptions à ce principe sont possibles, mais ne doivent pas enfreindre les droits de la défense qui, de manière générale, commandent non seulement que l’accusé connaisse l’identité de ses accusateurs afin de pouvoir contester leur probité et leur crédibilité, mais aussi qu’il puisse mettre à l’épreuve la sincérité et la fiabilité de leur témoignage, en les faisant interroger oralement en sa présence, soit au moment de la déposition soit à un stade ultérieur de la procédure (Lucà c. Italie, no 33354/96, § 39, CEDH 2001‑II ; et Solakov c. ex-République yougoslave de Macédoine, no 47023/99, § 57, CEDH 2001‑X).

64. La Cour relève que la présente requête ne concerne pas des témoins dont on cherche à dissimuler l’identité aux accusés. En l’espèce, les victimes et seuls témoins directs des événements en cause ont refusé d’assister et de témoigner au procès ; en conséquence, ces deux femmes n’ont pas pu être entendues à l’audience et la défense n’a pas été en mesure de les interroger ou d’observer leur comportement pendant un interrogatoire en vue de se former sa propre impression de leur probité et de leur crédibilité. Les déclarations qu’elles ont faites avant le procès pendant les interrogatoires de police ainsi que devant le juge d’instruction en présence du ministère public ont cependant été lues à voix haute au procès et admises comme preuves par le tribunal régional. Au moment des auditions de O. et de P. au stade de l’enquête, le requérant n’était pas encore informé de la procédure pénale préliminaire dirigée contre lui et aucun avocat n’avait été désigné pour le représenter. Dès lors, la défense n’a eu à aucun stade de la procédure la possibilité d’être confrontée à ces deux témoins.

65. S’agissant de l’introduction des déclarations d’un témoin absent au procès et n’ayant pu être interrogé à aucun stade de la procédure, la Cour a précisé dans son arrêt en l’affaire Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni (précité, §§ 119-147) que, pour déterminer si l’admission de pareils éléments était compatible avec le droit à un procès équitable, il fallait tout d’abord établir si l’absence du témoin en question était justifiée par un motif sérieux. Ensuite, lorsqu’une condamnation repose exclusivement ou dans une mesure déterminante sur les dépositions de témoins absents, ce facteur doit être contrebalancé par des éléments suffisants, notamment par des garanties procédurales solides permettant une appréciation correcte et équitable de la fiabilité de ces preuves (Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni, précité, §§ 119 et 147).

66. Depuis lors, la Cour a traité des affaires concernant notamment l’admission de la déposition d’un témoin anonyme pouvant avoir été déterminant (Ellis et Simms c. Royaume-Uni (déc.), no 46099/06, § 81, 10 avril 2012), de la déposition d’un témoin anonyme ayant revêtu un « poids considérable » (Pesukic c. Suisse, no 25088/07, § 49, 6 décembre 2012) et de celle d’un témoin absent qui n’a pas été considérée comme une preuve exclusive ou déterminante (Štefančič c. Slovénie, no 18027/05, § 42, 25 octobre 2012). Dans toutes ces affaires, la Cour a commencé par examiner si les garanties étaient suffisantes pour contrebalancer l’admission de l’élément non vérifié, puis s’est livrée à un examen global de l’équité de la procédure afin de déterminer si les droits des défendeurs avaient été indûment restreints.

67. Quant aux raisons d’admettre les témoignages de O. et de P., la Cour relève d’emblée que le tribunal régional de Göttingen n’a pas fondé ses décisions de continuer le procès sans entendre les deux femmes et d’admettre leurs déclarations antérieures au procès comme preuves sur des craintes alléguées des intéressées mais sur l’impossibilité de les contraindre à assister au procès en Allemagne ou à organiser leur audition par un juge en Lettonie.

68. En ce qui concerne les dépositions de témoins auxquels on n’a pu faire subir un interrogatoire en présence de l’accusé ou de son avocat, la Cour a dit précédemment que le paragraphe 1 de l’article 6, combiné avec le paragraphe 3, oblige les États contractants à des mesures positives qui consistent à permettre à l’accusé d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge. Pareilles mesures relèvent en effet de la diligence que les États contractants doivent déployer pour assurer la jouissance effective des droits garantis par l’article 6 (Sadak et autres c. Turquie, nos 29900/96, 29901/96, 29902/96 et 29903/96, § 67, CEDH 2001-VIII ; D. c. Finlande, no 30542/04, § 41, 7 juillet 2009 ; et Gossa c. Pologne, no 47986/99, § 55, 9 janvier 2007). Toutefois, à l’impossible nul n’est tenu : dès lors que les autorités ne peuvent se voir imputer un manque de diligence dans les démarches entreprises pour permettre à l’accusé d’interroger les témoins, la défaillance de ces derniers ne commande pas à elle seule l’arrêt des poursuites (voir, notamment, Artner c. Autriche, 28 août 1992, § 21, série A no 242-A ; Scheper c. Pays-Bas (déc.), no 39209/02, 5 avril 2005 ; Mayali c. France, no 69116/01, § 32, 14 juin 2005 ; et Haas c. Allemagne (déc.), no 73047/01, 17 novembre 2005).

69. La Cour observe à cet égard que les autorités nationales ont fait plusieurs tentatives pour que les deux femmes soient entendues pendant la procédure principale. Après l’échec de tous les efforts pour convoquer O. et P. devant le tribunal régional de Göttingen au procès, les autorités allemandes ont sollicité l’assistance juridique de leurs homologues lettons et ont demandé à ce que les témoins fussent entendus par un tribunal en Lettonie et que l’audition fûtfgra retransmise par la voie audiovisuelle. Toutefois, pareille audition n’a pas eu lieu au motif que les témoins ont produit devant les tribunaux lettons des certificats médicaux prouvant qu’elles souffraient toujours de troubles post-traumatiques en conséquence de l’infraction et qu’elles craignaient des actes possibles de représailles par les accusés. L’objection du tribunal régional selon laquelle, en vertu des normes de la procédure pénale allemande, les raisons avancées par les témoins n’étaient pas suffisamment étayées pour justifier leur refus de témoigner et sa proposition que les tribunaux lettons envisagent de les contraindre à assister à l’audience sont restées sans réponse. Ce n’est qu’à ce moment-là que le tribunal régional a conclu qu’il ne disposait d’aucun autre moyen juridique pour organiser une audition de O. et de P. et que, eu égard au fait que les certificats médicaux récemment renouvelés indiquaient que l’état de santé des deux femmes n’évoluerait pas dans un avenir proche, il était impossible de les interroger dans un futur prévisible. Contrairement à ce qu’allègue le requérant, la Cour estime que, eu égard au refus persistant des témoins de déposer, l’échec de toutes les tentatives à cet égard n’est pas imputable aux autorités allemandes.

70. S’il eût été clairement préférable pour la défense de pouvoir être directement confrontée aux témoins, la Cour observe qu’on attendait des tribunaux internes de préciser les circonstances de l’affaire, et que les intérêts de la justice étaient manifestement en faveur de l’admission des déclarations de O. et de P. On ne pouvait laisser l’indisponibilité des témoins au procès bloquer l’accusation et, dans les circonstances, il était loisible au tribunal régional, sous réserve que les droits de la défense fussent respectés, d’avoir égard à leurs déclarations obtenues au stade antérieur au procès, compte tenu notamment du fait que le tribunal pouvait estimer que ces déclarations étaient corroborées par d’autres éléments de preuve obtenus pendant le procès (voir, par comparaison, Asch c. Autriche, 26 avril 1991, § 28, série A no 203 ; Artner, précité, § 22 ; et Gossa, précité, § 61).

71. La Cour relève en outre que, tout en ordonnant que les procès-verbaux des interrogatoires de O. et de P. par la police et par le juge d’instruction soient lus à voix haute au procès, le tribunal régional a rappelé son obligation de conduire toute procédure impliquant une privation de liberté avec diligence. Étant donné qu’à ce moment-là les accusés avaient déjà passé un temps considérable en prison, la Cour estime que le raisonnement de la juridiction nationale selon lequel il ne se justifiait plus de retarder la procédure n’était pas dénué de pertinence par rapport à sa décision d’admettre les preuves non vérifiées.

72. Quant à savoir si le témoignage de O. et P. a été le fondement exclusif ou déterminant de la condamnation du requérant, la Cour admet l’argument du Gouvernement selon lequel les procès-verbaux des déclarations des deux femmes avant le procès n’étaient pas les seuls éléments de preuve dont disposait le tribunal régional. Celui-ci s’est également référé notamment aux témoignages d’autres témoins entendus au procès, par exemple celui de E., la voisine de O. et P., et de leur amie L., ainsi qu’à l’analyse des données obtenues par la mise sur écoutes des téléphones portables du requérant et de ses coaccusés et par le GPS.

73. La Cour rappelle que si la déposition d’un témoin n’ayant pas comparu au procès est corroborée par d’autres éléments, l’appréciation de son caractère déterminant dépendra de la force probante de ces autres éléments : plus elle sera importante, moins la déposition du témoin absent sera susceptible d’être considérée comme déterminante (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 131). Elle relève à cet égard que le procureur fédéral, dans ses observations dans le cadre de la procédure d’appel, telles qu’approuvées par la Cour fédérale de justice dans sa décision du 30 octobre 2008, a déclaré que, au vu des importantes preuves additionnelles prises en compte par le tribunal régional, on ne pouvait dire que les déclarations de O. et P. avaient constitué le fondement déterminant de la condamnation du requérant. En même temps, la Cour observe que, concernant les événements liés au cambriolage lui-même, O. et P. étaient les seuls témoins directs, et que les éléments venant corroborer leurs déclarations évoqués à l’appui de leur description de l’infraction étaient soient des preuves par ouï-dire, soit des preuves circonstancielles. Quant aux observations du requérant et de ses coaccusés au procès démontrant qu’ils étaient tous deux présents dans l’appartement des victimes au moment de l’incident, la Cour relève que cela vient, au mieux, étayer indirectement l’accusation selon laquelle ils avaient agressé O. et P.

74. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que, si les dépositions de O. et P. n’ont pas fondé de manière exclusive ou déterminante la condamnation du requérant, leurs témoignages ont manifestement eu un poids considérable lorsqu’il s’est agi d’établir la culpabilité de l’intéressé. En conséquence, elle juge utile d’examiner s’il y avait en place des éléments et des garanties adéquats permettant de faire contrepoids (Pesukic c. Suisse, précité, § 50) et de nature à garantir que le désavantage subi par le requérant du fait de l’admission des déclarations formulées par les deux femmes avant le procès n’ont pas restreint ses droits de la défense à un point incompatible avec les exigences de l’article 6 § 3 d) de la Convention. La Cour observe que des considérations similaires transparaissent dans le jugement rendu le 25 avril 2008 par le tribunal régional qui énonce que, étant donné que ni les accusés ni leur avocat n’ont été en mesure d’interroger O. et P., les principaux témoins à charge, le juge du fond se devait d’adopter une approche prudente pour apprécier leurs déclarations faites au stade de l’enquête et ne pouvait fonder sa décision sur un tel témoignage que si celui-ci était corroboré par d’autres éléments de preuve significatifs.

75. À cet égard, la Cour relève, premièrement, que la procédure pénale allemande prévoit des mesures permettant au parquet de faire entendre au stade préliminaire au procès les témoins susceptibles de ne pas pouvoir déposer au procès. En même temps, le droit interne prévoit des garanties procédurales, énoncées dans l’article 168 c) du code de procédure pénale, qui accordent à la défense la possibilité de participer à l’examen de témoins à charge clés au stade de l’enquête. À cet égard, la Cour admet l’argument du Gouvernement selon lequel, compte tenu de l’obligation des autorités nationales de mener une enquête effective sur l’infraction en question et de la nécessité de protéger O. et P., les victimes et témoins de l’infraction, la décision du juge d’instruction de ne pas informer le requérant de l’audition des témoins au stade antérieur au procès se justifiait. Eu égard à la violence avec laquelle le crime en question a été commis, la préoccupation du juge selon laquelle les suspects pourraient mettre la pression sur les deux femmes une fois qu’eux-mêmes ou leur avocat seraient informés de l’audition de celles-ci, mettant ainsi en danger les investigations, n’était pas infondée. La Cour prend note en outre de l’observation du Gouvernement selon laquelle, au moment de l’audition devant le juge d’instruction, les autorités nationales ne pouvaient pas prévoir que les deux femmes, qui avaient déjà déposé à plusieurs reprises devant les autorités d’enquête, refuseraient de comparaître au procès ultérieur ou n’accepteraient pas d’être au moins interrogées par la voie audiovisuelle en Lettonie. À cet égard, il convient également de relever que O. et P. ne disposaient pas en vertu de la procédure pénale allemande d’un droit légal de ne pas témoigner au procès ultérieur du requérant, tel que celui dont bénéficie, par exemple, les membres de la famille d’un accusé (voir, a contrario, Hümmer c. Allemagne, no 26171/07, §§ 41 et 43, 19 juillet 2012). Dès lors, la Cour estime que rien n’établit que les autorités nationales ont failli à se conformer aux garanties procédurales mises en place par le droit interne assurant le respect effectif des droits des accusés consacrés par l’article 6 § 3 d).

76. La Cour observe en outre que, en appréciant les éléments de preuve à sa disposition, le tribunal régional a souligné la valeur probante réduite des procès-verbaux des témoignages donnés par O. et P. avant le procès, et les a en conséquence examinés de manière approfondie en vue d’évaluer la crédibilité des témoins et de clarifier toute contradiction possible dans leurs déclarations. Quant aux éléments apportés par les autres témoins au procès, le tribunal régional a spécifiquement déclaré qu’il s’agissait de preuves par ouï-dire et qu’il fallait donc les apprécier avec un soin tout particulier.

77. Concernant les déclarations de O. et de P. en elles-mêmes, le tribunal régional a conclu qu’il ressortait des retranscriptions des interrogatoires des témoins au stade de l’enquête que les deux femmes avait donné des descriptions détaillées et cohérentes des circonstances de l’infraction et que les contradictions mineures pouvaient s’expliquer par le contexte dans lequel les déclarations avaient été faites. La Cour fait sienne la conclusion du tribunal régional selon laquelle le fait que le récit des événements donné par O. et P. à leur amie L. et à leur voisine E. coïncidait avec la description détaillée figurant dans leurs déclarations antérieures au procès constituait une indication forte de leur crédibilité et de la véracité de leurs déclarations. De plus, E. a déclaré que, le soir de l’infraction, une autre voisine l’avait appelée car elle avait entendu du bruit provenant de l’appartement de O. et de P., ce qui ajoute un élément supplémentaire venant corroborer le récit des victimes qui ne provient pas de celui-ci mais d’une source indépendante. Le tribunal régional a également estimé que les déclarations d’autres témoins entendus lors du procès, ainsi que les témoignages de O. et de P. obtenus au stade de l’enquête, étaient étayés par les données obtenues par la mise sur écoutes des téléphones portables du requérant et de ses coaccusés et par le système GPS. La Cour estime que les arguments avancés par le tribunal régional ne sont pas dénués de pertinence quant à sa conclusion selon laquelle les déclarations faites par O. et P. avant le procès étaient crédibles et cohérentes (De Lorenzo c. Italie (déc.), no 69264/01, 12 février 2004). Dans les circonstances, la Cour estime que le tribunal régional a fait preuve de la diligence nécessaire dans l’évaluation des témoignages des témoins et qu’il a pu conduire une appréciation équitable et convenable de leur fiabilité.

78. Dans ce contexte, la Cour partage le point de vue exprimé par le Gouvernement et les juridictions nationales selon lequel l’ensemble des preuves disponibles en l’espèce donnent une image globale cohérente des événements, qui vient à l’appui de la version fournie par O. et P. et réfute les déclarations contradictoires faites par le requérants et ses coaccusés au cours du procès. À cet égard, la Cour admet également l’argument du Gouvernement selon lequel la manière similaire dont les crimes à Kassel et à Göttingen ont été commis et le lien personnel entre les deux infractions résultant du fait que L., la victime de l’infraction antérieurement commise à Kassel, était la confidente de O. et de P. donne une indication supplémentaire que le requérant avait l’habitude de commettre des crimes du type dont il est question en l’espèce.

79. La Cour n’ignore pas le fait que O. et P., lorsqu’elles ont été confrontées avec des photos de suspects potentiels pendant leurs interrogatoires par la police, n’ont pas identifié le requérant comme étant l’auteur du crime et que le requérant souhaitait démontrer, par le biais d’une éventuelle confrontation avec O. et P., son allégation initiale selon laquelle il n’était pas présent du tout sur la scène du crime. Elle observe cependant que, au cours du procès, le requérant lui-même, tout en niant sa participation au cambriolage, a reconnu qu’il se trouvait dans l’appartement des victimes au moment de l’incident et qu’il avait suivi P. lorsqu’elle s’était enfuie par le balcon. Ainsi, une éventuelle audition des témoins par la défense ne pouvait plus servir l’objectif initialement poursuivi par le requérant. À cet égard, la Cour prend également note des observations du Gouvernement selon lesquelles le requérant n’a pas précisé quel but il souhaitait atteindre par une confrontation avec O. et P. et ne s’est pas prévalu de la possibilité de mettre en doute la véracité de leurs témoignages lorsque les procès-verbaux de leurs interrogatoires au stade de l’enquête ont été lus à voix haute pendant le procès. La Cour rappelle à cet égard que l’identité de O. et de P. était connue du requérant et qu’il lui était donc loisible de contester leur fiabilité s’il le souhaitait, et donc de souligner toute incohérence dans leurs déclarations et toute contradiction avec les dépositions des autres témoins entendus au procès. De plus, le requérant, qui était représenté par un avocat pendant toute la procédure, a été en mesure de donner sa propre version des faits et de mettre en cause la fiabilité des autres éléments de preuve produits au cours du procès.

80. Eu égard à ces considérations, la Cour conclut également que, contrairement à ce que dit le requérant dans ses observations, le fait que le procureur était présent lors de l’audition des deux femmes menée avant le procès et qu’il ait eu la possibilité de les interroger n’a pas enfreint le principe de l’égalité des armes consacré par l’article 6 § 3 d). La Cour observe que, selon la procédure pénale allemande, les autorités de poursuite sont dans l’obligation de mener une enquête objective et neutre sur l’infraction poursuivie et de considérer les circonstances tant à charge qu’à décharge de l’affaire. Elle note en outre que le droit interne exige que le juge du fond étende de sa propre initiative l’audition des témoins à tous les faits et moyens de preuve pertinents en vue d’établir la vérité et les circonstances réelles de l’affaire (Sievert c. Allemagne, no 29881/07, § 59, 19 juillet 2012). Rien n’établit que les autorités de poursuite ou le tribunal régional de Göttingen n’ont pas respecté ces exigences lors du procès du requérant en l’espèce.

81. Après examen de l’équité de la procédure dans son ensemble, la Cour conclut qu’il existait suffisamment d’éléments de nature à contrebalancer les difficultés causées à la défense résultant de l’admission des dépositions de O. et de P. En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 d) de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

82. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant allègue en outre que son droit à une audience publique a été violé au motif que la Cour fédérale de justice a rejeté son pourvoi dirigé contre le jugement du tribunal régional sans motiver en aucune façon sa décision du 30 octobre 2008. Pareil défaut de raisonnement mettrait l’accusé dans l’impossibilité de vérifier si son droit d’être entendu a été respecté par le tribunal et serait en outre contraire aux exigences du code de procédure pénale. Dès lors, pour le requérant, la décision de la Cour fédérale de justice n’est pas conforme aux exigences formelles du droit interne et l’exécution de la peine d’emprisonnement qui lui a été infligée à l’issue de la procédure pénale en question a emporté violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

83. Le requérant soutient à cet égard que la Cour fédérale de justice, sur le fondement de l’article 349 § 2 du code allemand de procédure pénale, a adopté une pratique établie consistant à rejeter, sur demande motivée du ministère public, les pourvois introduits par les accusés, par une décision non motivée et sans tenir d’audience. Au contraire, s’agissant des pourvois introduits par le ministère public, la Cour organiserait généralement une audience et la procédure se conclurait par une décision motivée. Pareille pratique enfreindrait le droit de l’accusé à une audience ainsi que le principe de l’égalité des armes, soit deux aspects du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

84. De plus, le fait que la procédure pénale allemande exige qu’un accusé soit représenté par un avocat afin d’introduire un pourvoi, et en même temps ne donne pas à l’intéressé la possibilité de contraindre la juridiction de recours à tenir une audience a entraîné, selon le requérant, un déni de son droit à se défendre lui-même, consacré par l’article 6 § 3 c) de la Convention.

85. La Cour a examiné les griefs soumis par le requérant. Toutefois, eu égard aux éléments dont elle dispose, et dans la mesure où les questions litigieuses relèvent de sa compétence, elle estime que ces éléments ne révèlent aucune apparence de violation des droits et libertés consacrés par la Convention.

86. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, le grief tiré de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 d) de la Convention recevable et le reste de la requête irrecevable ;

2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 d) de la Convention.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 17 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente de la juge Power-Forde ainsi que d’une déclaration du juge Zupančič.

OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE POWER-FORDE

(Traduction)

1. S’agissant de décider d’affaires pénales, les juridictions internes sont en principe mieux placées que la Cour pour apprécier les éléments de preuve produits devant elles puisqu’elles peuvent observer la personnalité et le comportement de tous les témoins au procès. Le premier souci de la Cour doit donc être d’évaluer l’équité globale de la procédure pénale prise dans son ensemble.

2. Or, certains aspects de la présent affaire me laissent des doutes considérables quant à l’équité du procès du requérant. O. et P. – qui résidaient toutes deux illégalement en Allemagne – auraient été victimes d’une violation de domicile et d’une tentative de cambriolage à leur appartement, qu’elles utilisaient à des fins de prostitution. Après quelque temps, elles ont fait des déclarations aux autorités d’enquête qui, malheureusement, ne sont pas détaillées dans le jugement et dont le contenu précis n’est pas connu. Les déclarations ont été admises dans leur intégralité comme preuves à charge contre le requérant, accusé d’avoir commis lesdites infractions.

3. Ni O. ni P. – les seules personnes à avoir été témoins de l’infraction – n’ont déposé au procès du requérant. À aucun moment, que ce soit avant ou pendant le procès, le requérant n’a eu la possibilité de les contre-interroger. Il n’a pas pu éprouver leur fiabilité générale, leur véritable personnalité, ni les interroger sur les souvenirs qu’elles gardaient des événements. Il n’a pas pu leur demander pourquoi elles ne l’avaient pas identifié sur des photographies. Il n’a pas pu vérifier leur témoignage de quelque façon que ce soit ni en contester la précision. Le tribunal du fond lui-même n’a jamais entendu ni observé les deux plaignantes. Il n’a disposé d’aucun moyen d’évaluer leurs dispositions ou comportement en tant que témoins.

4. Les principes dégagés dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni[1] sont clairs. Lorsqu’un témoin est absent, la Cour doit être convaincue que son absence est motivée par de bonnes raisons. La Cour a explicitement dit que même lorsque le témoignage d’un témoin absent n’a pas été exclusif ou déterminant, une violation de l’article 6 sera constatée dès lors qu’aucune bonne raison n’aura été avancée pour expliquer le fait que le témoin n’a pas été interrogé[2]. C’est ainsi car en règle générale les témoins devraient déposer pendant le procès et que tous les efforts raisonnables devraient être faits pour garantir leur comparution.

5. Dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery, la Cour a examiné l’explication donnée pour la non-comparution d’un témoin au procès de chacun des requérants. Dans un cas, la non-comparution était motivée par le décès du témoin et dans l’autre par sa peur. Il a été admis que dans ces deux cas un procès pouvait se dérouler malgré la non-comparution d’un témoin. Cependant, la Cour est parvenue à la conclusion suivante :

« [C]ompte tenu de la mesure dans laquelle l’absence d’un témoin nuit aux droits de la défense, la Cour tient à souligner que lorsque le témoin n’a jamais été interrogé aux stades antérieurs de la procédure, il ne faut admettre sa déposition écrite en lieu et place de sa présence au procès qu’en dernier recours. Avant de pouvoir dispenser un témoin de comparaître au motif qu’il craint de se présenter au procès, le juge doit estimer établi que toutes les autres possibilités, telles que l’anonymat ou d’autres mesures spéciales, seraient inadaptées ou impossibles à mettre en œuvre » (§ 125).

6. Ni la mort ni la peur n’ont été les raisons avancées pour motiver l’absence des deux témoins clés au procès du requérant (§ 67). La Cour relève seulement que les deux femmes « ont refusé d’assister et de témoigner au procès » (§ 64). Si « toutes les autres possibilités », y compris l’adoption de « mesures spéciales », doivent être tentées avant que l’on puisse dispenser un témoin qui a peur de déposer au procès, on pourrait s’attendre, pour le moins, à ce que des efforts similaires soient requis des autorités avant qu’un tribunal puisse dispenser un témoin qui a juste refusé d’assister à l’audience.

7. Je ne suis pas du tout convaincue qu’admettre les dépositions de O. et de P., qui n’avaient pas été entendues, au procès du requérant ait été une mesure prise « en dernier recours ». À part une tentative avortée d’audition (en Lettonie) qui avait été prévue le 13 février 2008 et une lettre, restée sans réponse, en date du 21 février 2008, rien d’autre n’a été tenté après cette date pour obtenir une déposition des témoins, que ce fût par liaison vidéo, de manière anonyme ou selon d’autres modalités. Il semble que les autorités internes aient décidé de faire primer l’exigence de mener la procédure avec célérité (§ 21) sur l’obligation plus importante de la conduire avec équité.

8. Je ne partage pas la confiance avec laquelle la majorité affirme que les intérêts de la justice « appelaient manifestement l’admission des déclarations de O. et de P. » (§ 70). Elle déclare qu’on ne pouvait laisser leur indisponibilité « bloquer l’accusation ». Elle semble passer outre le fait que la justice peut, quelquefois, exiger le report, voire l’interdiction d’un procès dans des circonstances où des témoins cruciaux pour parvenir à une condamnation ne peuvent pas être contre-interrogés et où les garanties en place sont insuffisantes pour compenser le manque d’équité subi par l’accusé.

9. Les dépositions des témoins absents en l’espèce se sont manifestement avérées cruciales pour assurer la condamnation du requérant. Tous les autres éléments étaient, ainsi que l’admet la majorité, des preuves par ouï-dire ou des preuves circonstancielles (§ 73). Dans ces conditions, les garanties nécessaires pour contrebalancer le manque d’équité flagrant subi par le requérant auraient dû être particulièrement solides. La condition pour de telles garanties est d’assurer que la fiabilité des dépositions des témoins non interrogés peut être démontrée ou qu’elle peut être convenablement vérifiée et appréciée (Al-Khawaja, § 139).

10. La première garantie sur laquelle se fonde la majorité est censée être l’article 168 c) du code de procédure pénale allemand, qui donne à la défense la possibilité de contre-interroger les témoins clés au stade de l’enquête s’il est probable que ces témoins ne seront pas disponibles pour déposer au procès (§ 75). Aussi louable soit-elle, cette disposition n’a manifestement été d’aucun secours au requérant en l’espèce. L’intéressé a été exclu du stade de l’enquête car le juge a considéré que les témoins auraient peur de dire la vérité en sa présence (§ 23). Ainsi, il était donc clairement un suspect à ce moment-là, ce que concède le Gouvernement (§ 58).

11. Le même code de procédure pénale (article 141 § 3) prévoit que l’avocat de la défense peut être désigné au stade préliminaire si l’accusation estime qu’un tel avocat sera obligatoire dans la procédure principale. La désignation d’un tel avocat est obligatoire si (comme en l’espèce) l’audience principale de première instance se tient devant un tribunal régional. Elle est également obligatoire si l’accusé est inculpé (ainsi qu’il ressort de la présente affaire) d’une infraction grave. La Cour fédérale de justice a confirmé que la désignation d’un avocat de la défense devrait être envisagée si le témoin clé à charge doit témoigner devant un juge d’instruction et que « l’accusé est exclu de l’audience ».

12. Malgré l’existence de ces « garanties » légales, aucune d’entre elle n’a en réalité joué en faveur du requérant. Alors même que l’audience principale de première instance devait se tenir devant le tribunal régional – provoquant donc la désignation obligatoire d’un avocat –, le requérant n’a en fait pas été représenté au stade préliminaire. À ce moment-là, l’intéressé n’était bien entendu pas un accusé mais seulement un suspect. La justification présumée de son exclusion de l’audition préliminaire est cependant remarquable. On explique qu’il a été exclu parce qu’il n’était pas réellement un suspect, les « forts soupçons » qu’il ait commis une infraction pénale ayant justement découlé de l’audition elle-même (§ 59). Cette affirmation est en contradiction complète avec la raison pour laquelle le juge d’instruction a adopté au départ la mesure excluant l’intéressé (paragraphe 10 de la présente opinion). Les raisons avancées pour la non-désignation d’un avocat de la défense sont également extraordinaires. Malgré leur situation et activités illégales connues, il n’était pas prévisible que O. et P. quitteraient le pays et refuseraient de revenir pour témoigner au procès. De plus, aucun avocat de la défense n’a été désigné pour représenter les intérêts du requérant à l’audition préliminaire car cet avocat aurait pu en fait le prévenir de cette audition (§ 59).

13. Eu égard à ce qui précède, il est difficile de voir comment les prétendues « garanties procédurales » essentielles sur lesquelles se fonde la majorité ont été en quoi que ce soit utiles au requérant. Ce dernier n’a pas profité du bénéfice qu’elles étaient censées procurer, et donc elles n’ont absolument pas compensé l’iniquité subie par l’intéressé à raison de l’impossibilité pour lui de contre-interroger les deux témoins clés à son procès.

14. Les autres garanties évoquées dans l’arrêt – l’« examen » par le juge du fond des déclarations des témoins absents et sa référence à une appréciation soigneuse des « preuves par ouï-dire » – n’ont en rien compensé l’impossibilité pour le requérant de contre-interroger O. et P. L’ « examen » par le tribunal de première instance des déclarations n’a pas contrebalancé l’incapacité de l’intéressé à observer et apprécier le comportement et les dispositions de leurs auteurs. Les preuves par ouï-dire de la voisine E. constituaient un témoignage seulement en ce qui concerne ce que lui auraient dit O. et P. Ce n’était pas un témoignage quant à la véracité de ce qui lui a été dit. Les preuves circonstancielles (les données GPS) – qui, j’en conviens, pouvaient au mieux venir à l’appui de la thèse de l’accusation – ont été néanmoins contrées par une explication plausible avancée par les accusés (§ 30). De plus, ce que la majorité appelle un « élément indépendant » et aussi « corroborant », à savoir les déclarations de E (§ 77) selon lesquelles une autre voisine non identifiée lui avait dit qu’elle avait entendu « du bruit en provenance de l’appartement de O. et de P. le soir en question » – ne permet pas vraiment de mettre en lumière la culpabilité du requérant.

15. Aucun de ceux qui ont témoigné au procès du requérant n’était présent sur les lieux. Personne n’a prétendu l’avoir vu commettre l’infraction. O. et P. – dont aucune ne respectait la loi ni ne résidait de manière légale sur le territoire – ont été les seuls témoins des événements survenus le 3 février 2007. Elles n’ont pas porté plainte immédiatement. Aucune plainte n’a été déposée avant le 12 février 2007. Ayant fait des déclarations au stade de l’enquête, elles ont par la suite quitté l’État défendeur avant la fin du même mois. Elles n’ont pas identifié le requérant sur des photographies qui leur ont été montrées. Elles n’ont pas affirmé qu’il était coupable (§ 26). Elles n’ont pas témoigné contre lui au procès ; il a néanmoins été condamné pour avoir commis les infractions en question.

16. Les témoignages non vérifiés de O. et de P. ont manifestement revêtu une grande importance. Si leurs déclarations peuvent avoir été cohérentes, on ne peut pas dire qu’elles appartiennent à la catégorie des preuves « dont la fiabilité peut être démontrée » (Al-Khawaja et Tahery, § 160). Comme dans l’affaire de M. Tahery, leurs déclarations ont lourdement pesé dans la balance et exigeaient des éléments suffisamment compensateurs pour contrebalancer les difficultés subies par la défense en conséquence de leur admission comme preuves. Or, les garanties procédurales évoquées par la majorité, seules ou combinées, n’étaient pas suffisamment compensatrices pour contrebalancer le déni du droit minimal du requérant d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge, consacré par l’article 6 § 3 d) de la Convention.

Déclaration du juge zupanČiČ

(Traduction)

Je ne peux souscrire aux constats de non-violation de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 d) de la Convention auxquels parvient la majorité.

* * *

[1]Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766 et 22228/06, CEDH 2011, avec d'autres références.

[2]Al-Khawaja et Tahery, § 120.


Synthèse
Formation : Cour
Numéro d'arrêt : 001-142729
Date de la décision : 17/04/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Non-violation de l'article 6+6-3-d - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable;Egalité des armes) (Article 6 - Droit à un procès équitable;Article 6-3 - Droits de la défense;Article 6-3-d - Interrogation des témoins)

Parties
Demandeurs : SCHATSCHASCHWILI
Défendeurs : ALLEMAGNE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MEYER-MEWS H.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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