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17/04/2014 | CEDH | N°001-142425

CEDH | CEDH, AFFAIRE PAPOSHVILI c. BELGIQUE, 2014, 001-142425


ANCIENNE CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE PAPOSHVILI c. BELGIQUE

(Requête no 41738/10)

ARRÊT

STRASBOURG

17 avril 2014

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 13/12/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Paposhvili c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (ancienne cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde, r>Ganna Yudkivska,
Paul Lemmens,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du co...

ANCIENNE CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE PAPOSHVILI c. BELGIQUE

(Requête no 41738/10)

ARRÊT

STRASBOURG

17 avril 2014

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 13/12/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Paposhvili c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (ancienne cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
Ganna Yudkivska,
Paul Lemmens,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 mars 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 41738/10) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant géorgien, M. Georgie Paposhvili (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 juillet 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me J. Kern, avocate à Anvers. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue en particulier que son renvoi vers la Géorgie l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention et porterait atteinte au droit au respect de sa vie privée et de sa vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention.

4. Le 20 juin 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5. Le requérant ainsi que le Gouvernement défendeur ont déposé des observations écrites (article 54 § 2 du règlement) de même que le Gouvernement géorgien (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 a) du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1958 et réside à Bruxelles.

7. Il arriva en Belgique, via l’Italie, le 25 novembre 1998, accompagné de son épouse et de l’enfant de son épouse alors âgée de six ans. Le couple a ensuite eu un enfant en août 1999 et un second enfant en juillet 2006.

A. Procédures pénales

8. Le 29 décembre 1998, le requérant fut interpellé et écroué pour faits de vol et, le 14 avril 1999, il fut condamné à une peine de sept mois d’emprisonnement avec sursis, sauf pour ce qui concerne la période de détention préventive.

9. En 1999 et 2000, le requérant et son épouse furent interpellés à plusieurs reprises pour des faits de vol.

10. Le 28 avril 2000, l’épouse du requérant fut condamnée à quatre mois d’emprisonnement ferme pour vol.

11. Le 18 décembre 2001, le requérant fut condamné notamment pour vol avec violences et menaces à une peine de quatorze mois d’emprisonnement avec sursis, sauf pour ce qui concerne la période de détention préventive.

12. Le 9 novembre 2005, le requérant fut condamné par la cour d’appel de Gand à une peine d’emprisonnement ferme de trois ans pour participation à une organisation criminelle pour obtenir des avantages patrimoniaux en recourant notamment à l’intimidation, à des manœuvres frauduleuses ou à la corruption.

13. Ayant déjà passé une période en détention préventive, il fut ensuite incarcéré à la prison de Forest puis à la prison de Merksplas où il demeura incarcéré, afin de purger la peine à laquelle il avait été condamné, jusqu’en août 2007.

B. Demandes d’asile

14. Le lendemain de leur arrivée, le 26 novembre 1998, le requérant et son épouse introduisirent une demande d’asile.

15. Entendue dans le cadre de sa demande d’asile, l’épouse du requérant déclara avoir transité par l’Allemagne.

16. Une demande de reprise en charge fut adressée aux autorités allemandes en application de la Convention de Dublin du 15 juin 1990 relative à la détermination de l’État responsable d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés européennes (« Convention Dublin »).

17. Suite au refus des autorités allemandes, il apparut que le requérant et sa famille étaient en possession d’une visa Schengen délivré par les autorités italiennes de sorte qu’une demande de prise en charge fut adressée aux autorités italiennes. Celle-ci fut acceptée le 4 juin 1999.

18. Le 22 septembre 1999, le requérant introduisit une seconde demande d’asile, sous une fausse identité. Elle fut immédiatement rejetée par suite de la confrontation des empreintes digitales.

19. Le 23 octobre 2000, l’Office des étrangers (« OE ») informa le conseil du requérant que la demande d’asile qui avait été déposée le 26 novembre 1998 avait été clôturée négativement le 11 juin 1999.

C. Demandes d’autorisation de séjour

1. Première demande de régularisation pour raisons exceptionnelles

20. Le 20 mars 2000, le requérant introduisit une première demande de régularisation de plus de trois mois sur la base de l’article 9 alinéa 3 (actuel article 9bis) de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« loi sur les étrangers »). A l’appui de cette demande, le requérant indiquait qu’il avait avec son épouse une fille née en 1999 et que son épouse avait déjà une fille née en Géorgie d’une précédente union.

21. Le 30 mars 2004, l’OE déclara la demande sans objet, le requérant ayant quitté le territoire pour être intercepté en Allemagne, et, en tout état de cause, non fondée eu égard à la fin des soins médicaux pour tuberculose (voir paragraphes 59 et 60, ci-dessous). Il faisait également mention de l’absence d’intégration du requérant en Belgique et des nombreuses atteintes à l’ordre public dont il s’était rendu coupable.

2. Deuxième demande de régularisation pour raisons exceptionnelles

22. Le 28 avril 2004, le requérant introduisit une deuxième demande de régularisation de séjour sur la base de l’article 9 alinéa 3 de la loi sur les étrangers. Le requérant invoquait, comme circonstances exceptionnelles à l’appui de sa demande, la durée de son séjour et son intégration sociale en Belgique, le risque qu’entraînerait un retour en Géorgie sur la scolarité de ses enfants, le fait qu’il ait été victime de persécution ainsi que son état de santé.

23. L’OE rejeta la demande de régularisation le 5 avril 2007 au motif que les éléments avancés ne constituaient pas des circonstances exceptionnelles au sens de l’article 9 alinéa 3 de la loi justifiant l’introduction de telles demandes en Belgique et non, comme il est de règle, auprès du poste diplomatique ou consulaire compétent. L’OE constata que le séjour du requérant se limitait aux nécessités de la procédure d’asile qui avait été définitivement clôturée. La décision était en outre motivée par l’absence de nécessité d’un suivi médical, les circonstances précaires et illégales de son séjour, l’absence de risque de persécution en Géorgie et la possibilité pour les enfants de poursuivre leur scolarité en Géorgie.

24. Par un arrêt du 29 février 2008, le Conseil du contentieux des étrangers (« CCE ») rejeta le recours en annulation introduit contre la décision de l’OE. Il constata notamment que la décision attaquée n’étant pas assortie comme telle d’une mesure d’éloignement du territoire, elle ne pouvait engendrer de risque de violation de l’article 3 de la Convention.

3. Première demande de régularisation pour raisons médicales

25. Le 10 septembre 2007, invoquant les articles 3 et 8 de la Convention et alléguant notamment l’absence de possibilité de traitement de sa leucémie (voir paragraphes 62 et 63, ci-dessous) s’il était renvoyé en Géorgie, le requérant introduisit une première demande de régularisation pour raisons médicales sur la base de l’article 9ter de la loi sur les étrangers.

26. Le 26 septembre 2007, l’OE rejeta la demande au motif qu’en vertu de l’article 55/4 de la loi le requérant était exclu de l’application de celle-ci en raison des crimes graves ayant, entre-temps, conduit à l’arrêté ministériel de renvoi du 16 août 2007 (voir paragraphe 43, ci-dessous).

27. Le 17 décembre 2007, le requérant introduisit une demande en suspension ordinaire et un recours en annulation de cette décision. Il reprochait notamment à l’OE de l’avoir exclu de l’application de l’article 9ter de la loi sur les étrangers en s’appuyant uniquement sur l’arrêté ministériel de renvoi sans investigation quant à son état de santé et aux risques qu’il encourait d’être exposé à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention et sans avoir procédé à une mise en balance des intérêts en présence comme le requiert l’article 8 de la Convention.

28. Par un arrêt du 20 août 2008, le CCE rejeta le recours en ces termes :

« Il résulte de la lettre de [l’article 9ter] que rien n’empêche l’autorité administrative, qui est saisie d’une demande d’autorisation de séjour sur la base de l’article 9ter précité mais qui considère d’emblée qu’il existe de sérieux motifs de croire que l’intéressé a commis des actes visés à l’article 55/4 précité, de statuer directement sur son exclusion du bénéfice dudit article 9ter, sans devoir préalablement se prononcer sur les éléments médicaux soumis à son appréciation, un tel examen se révélant du reste superflu dans un tel cas de figure puisque l’auteur de l’acte a en tout état de cause décidé de l’exclusion de l’intéressé.

(...)

S’agissant de la violation alléguée de l’article 3 de la Convention, force est de constater que l’acte attaqué dans le présent recours n’est assorti d’aucune mesure d’éloignement du territoire, en sorte que les risques d’interruption de traitement invoqués en cas de retour en Géorgie relèvent en l’occurrence de l’hypothèse. »

29. Le CCE écarta également le grief tiré de l’article 8 de la Convention eu égard au fait que l’acte attaqué n’était assorti d’aucune mesure d’éloignement du territoire.

4. Troisième demande de régularisation pour raisons exceptionnelles

30. Le 10 septembre 2007, invoquant les mêmes raisons que sous l’angle de l’article 9ter de la loi sur les étrangers (voir paragraphe 27, ci-dessus) ainsi que sa situation familiale, le requérant introduisit une demande de régularisation pour circonstances exceptionnelles sur la base de l’article 9bis de la loi sur les étrangers.

31. Le 7 juillet 2010, l’OE rejeta la demande en régularisation considérant que la sauvegarde de l’intérêt supérieur de l’État primait sur l’intérêt du requérant et ses intérêts sociaux et familiaux et qu’en commettant des faits hautement répréhensibles, celui-ci avait lui-même mis l’unité familiale en péril. Cette décision lui fut signifiée le 11 juillet 2010.

32. Le 26 juillet 2010, le requérant saisit le CCE d’une demande en suspension ordinaire et d’un recours en annulation du refus de régularisation du 7 juillet 2010 (rôle CCE no 57.444). Ce recours était également dirigé, pour autant que de besoin, contre l’ordre de quitter le territoire de la même date (voir paragraphes 48 à 51, ci-dessous). Il invoquait une violation des articles 2 et 3 de la Convention et soutenait que, vu la gravité de son état de santé, il se trouvait dans des circonstances humanitaires exceptionnelles au sens donné par la Cour dans l’arrêt D. c. Royaume-Uni (2 mai 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑III), qu’il n’aurait pas accès aux traitements en Géorgie et que l’arrêt des traitements entraînerait son décès prématuré. Il se plaignait également d’une atteinte à l’article 8 de la Convention et à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant au motif que son retour en Géorgie le séparerait définitivement des siens.

33. Une audience eut lieu le 16 novembre 2010. Le 31 mai 2011, le CCE décida d’ordonner la réouverture des débats afin de permettre aux parties de réactualiser les éléments de fait et de droit du litige. Une nouvelle audience fut prévue pour le 17 novembre 2011 mais elle fut ensuite annulée le 10 novembre 2011.

34. D’après les informations versées au dossier, cette procédure devant le CCE est encore pendante.

5. Seconde demande de régularisation pour raisons médicales

35. Entretemps, le 2 avril 2008, le requérant avait introduit une seconde demande de régularisation pour raisons médicales sur base de l’article 9ter de la loi sur les étrangers. Outre ses diverses pathologies, il invoquait sa présence ininterrompue depuis onze ans sur le territoire belge et les attaches sociales durables qu’il avait en Belgique ainsi que sa situation familiale. Il faisait également valoir qu’en cas de retour il se verrait livré à lui-même, malade, dans un pays où il n’avait plus d’attache familiale et dont les structures médicales étaient inadaptées et coûteuses.

36. Cette demande fut rejetée par l’OE le 4 juin 2008 pour le même motif que précédemment (voir paragraphe 26 ci-dessus).

37. Le requérant introduisit le 16 juillet 2008 un recours en annulation de cette décision devant le CCE (rôle CCE no 29.316).

38. D’après les informations versées au dossier, cette procédure est actuellement pendante.

D. Procédures d’éloignement et intervention de la Cour

1. Ordre de quitter le territoire en application de la Convention Dublin

39. Le 10 juin 1999, au motif que les autorités belges n’étaient pas compétentes, en application de la Convention Dublin, pour examiner leur demande d’asile, l’OE délivra un ordre de quitter le territoire au requérant et à son épouse en vue de leur transfert en Italie. Leur départ fut toutefois différé en raison de la grossesse de l’épouse du requérant.

40. Après la naissance, le séjour de la famille fut prolongé jusqu’au 14 octobre 1999 en raison de l’hospitalisation du nouveau-né. Ensuite, le séjour de la famille fut prolongé jusqu’au 15 mars 2000 au motif que l’enfant nécessitait un suivi régulier en gastroentérologie pédiatrique.

41. Le délai accordé à la famille pour quitter le territoire fut, à plusieurs reprises, prolongé au cours du premier semestre 2000 en raison du suivi médical dont le requérant avait besoin du fait de sa tuberculose (voir paragraphes 59 et 60, ci-dessous) et du traitement antituberculeux dont avait besoin l’ensemble de la famille pendant six mois.

42. Le 23 octobre 2000, l’OE informa le conseil du requérant que ce délai était prolongé jusqu’à la complète guérison du requérant et de son enfant.

2. Arrêté ministériel de renvoi

43. Le 16 août 2007, par un arrêté de renvoi, pris en application de l’article 20 de la loi sur les étrangers, le ministre de l’intérieur enjoignit au requérant de quitter le territoire et lui en interdit l’entrée sur le territoire belge pendant dix ans. Cette décision constatait les nombreux antécédents délictueux avec la circonstance que « le caractère lucratif du comportement délinquant de l’intéressé démontre le risque grave et actuel de nouvelle atteinte à l’ordre public ».

44. L’arrêté entra en vigueur à la date de la mise en liberté du requérant. Il n’y fut toutefois pas donné suite car le requérant était à ce moment en cours de traitement médical (voir paragraphe 63, ci-dessous).

45. Le requérant, hospitalisé, ne prit pas contact avec son avocat pour introduire un recours en annulation de l’arrêté ministériel mais l’avocat prit l’initiative d’un tel recours le 15 novembre 2007.

46. Par un arrêt du 27 février 2008, le recours fut rejeté par le CCE pour tardiveté.

47. Entre-temps, le requérant étant sur le point d’achever de purger la peine d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné en 2005, il fut transféré, en vue de l’exécution de l’arrêté ministériel de renvoi, à la prison de Bruges le 14 août 2007 où il resta jusqu’au 27 mars 2010, date à laquelle il fut transféré à la prison de Merksplas.

3. Ordres de quitter le territoire à la suite du rejet de régularisation

48. Parallèlement à la décision de l’OE du 7 juillet 2010 rejetant sa demande de régularisation pour circonstances exceptionnelles (voir paragraphe 31, ci-dessus), l’OE lui délivra, le 7 juillet 2010, un ordre de quitter le territoire assorti d’une mesure de privation de liberté. Cet ordre lui fut signifié le 11 juillet 2010.

49. Il fut décidé, ce même 7 juillet 2010, de procéder au transfert du requérant, le 11 juillet, au centre fermé pour illégaux de Merksplas en vue de son éloignement vers la Géorgie.

50. Le 16 juillet 2010, l’ambassade de Géorgie à Bruxelles émit un document de voyage valable jusqu’au 16 août 2010.

51. Comme il a été indiqué ci-dessus (paragraphe 32), le 26 juillet 2010, le requérant introduisit devant le CCE une demande de suspension ordinaire et un recours en annulation du refus de régularisation du 7 juillet 2010 et, pour autant que de besoin, de l’ordre de quitter le territoire de la même date (rôle CCE no 57.444). D’après les informations versées au dossier, cette procédure est encore pendante (voir paragraphe 34, ci-dessus). Le même jour, il introduisit également une demande de suspension ordinaire et un recours en annulation spécialement dirigés contre l’ordre de quitter le territoire précité du 7 juillet 2010 (rôle CCE no 57.447). Cette procédure est également encore pendante.

52. Deux jours après l’indication d’une mesure provisoire par la Cour (voir paragraphe 57, ci-dessous), le 30 juillet 2010, des instructions de mise en liberté du requérant furent données et un délai courant jusqu’au 30 août 2010 fut laissé pour lui permettre de quitter volontairement le territoire.

53. Par courrier du 30 août 2010, le conseil du requérant sollicita la prolongation de l’ordre de quitter le territoire. Celui-ci fut une première fois prolongé jusqu’au 13 novembre 2010. Il le fut à nouveau à plusieurs reprises jusqu’au 28 février 2011.

54. Le requérant continua à faire régulièrement des demandes de prolongation qui demeurèrent sans réponse.

55. Le 18 février 2012, l’OE délivra un ordre de quitter le territoire « immédiat » en exécution de l’arrêté ministériel de renvoi du 16 août 2007.

4. Application de l’article 39 du règlement de la Cour

56. Le 23 juillet 2010, invoquant les articles 2, 3 et 8 de la Convention et se plaignant que, s’il était éloigné vers la Géorgie, il n’aurait plus accès aux soins de santé dont il avait besoin et que, vu son espérance de vie très courte, il décèderait dans des délais encore plus brefs et loin des siens, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesures provisoires sur la base de l’article 39 de son règlement.

57. Le 28 juillet 2010, la Cour indiqua au gouvernement belge qu’il était souhaitable, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant la Cour, de suspendre, « jusqu’à l’issue de la procédure pendante devant le CCE », l’ordre de quitter le territoire délivré au requérant le 7 juillet 2010.

E. État de santé et situation familiale du requérant

58. En août 1999, l’épouse du requérant donna naissance à un enfant.

59. En 2000, on diagnostiqua au requérant une tuberculose « pulmonaire active, répondant favorablement à l’antibiothérapie ».

60. Le traitement antituberculeux du requérant fut poursuivi et il bénéficia, à cette fin, de l’aide médicale d’urgence et de l’aide sociale.

61. En juillet 2006, l’épouse du requérant donna naissance à un deuxième enfant.

62. Courant 2006, alors que le requérant était incarcéré (voir paragraphes 12 et 13, ci-dessus), on lui diagnostiqua une hépatite C ainsi qu’une leucémie lymphatique chronique (« LLC ») au stade Binet B avec CD38 très positif (marqueur associé à mauvais pronostique avec risque d’évolutivité de la maladie). Aucun traitement ne fut entamé.

63. L’état de santé du requérant s’étant dégradé, il fut hospitalisé du 14 août au 23 octobre 2007 au complexe médical pénitentiaire de Bruges afin de bénéficier d’une thérapie à base de Leukeran (Chlorambucil).

64. Pendant le séjour du requérant au sein de l’établissement pénitentiaire de Bruges du 14 août 2007 au 27 mars 2010 (voir paragraphe 47, ci-dessus), le requérant reçut la visite quasiment quotidienne de son épouse et/ou de ses enfants. L’établissement pénitentiaire de Merksplas, vers lequel il fut ensuite transféré et où il séjourna jusqu’au 11 juillet 2010 (voir paragraphes 47 et 49, ci-dessus), informa le requérant qu’il ne disposait pas du décompte des visites qu’il avait reçues.

65. Selon un rapport établi le 11 février 2008 par l’hôpital universitaire d’Anvers où le requérant était suivi, son pronostic vital était engagé et, d’après les moyennes observées en 2007, son espérance de vie était de trois à cinq ans à vivre. Ce même rapport attestait que, grâce aux traitements, le taux de globules blancs dans le sang était passé de 110300/mm3 avec 97 % de lymphocytes en août 2007 à 28900/mm3 avec 83 % de lymphocytes en janvier 2008.

66. Courant 2008, il s’avéra que la tuberculose était réactivée.

67. Du 8 au 14 mai 2010, le requérant fut hospitalisé à Turnhout en raison de troubles respiratoires. Le rapport médical établi à cette occasion lui prescrivit des antibiotiques et bronchodilatateurs. Il faisait également état d’une augmentation du taux de globules blancs dans le sang à 72440/mm3 avec 85 % de lymphocytes ainsi que de l’évolution des autres pathologies du requérant. Il recommandait que le requérant soit suivi en ambulatoire par un pneumologue et un hématologue. Ce suivi ne fut pas assuré à son retour à la prison de Merksplas où il était maintenu.

68. Le 22 juillet 2010, un médecin de l’hôpital universitaire d’Anvers se déplaça au centre fermé de Merksplas, où le requérant avait entretemps été transféré, pour y effectuer un examen médical complet de celui-ci. Ce rapport faisait état de ce que les traitements administrés à raison de la maladie pulmonaire n’étaient pas suffisants. Il faisait ensuite état de ce que le requérant n’avait pas bénéficié d’un suivi médical suffisant de sa leucémie, que la maladie évoluait rapidement vers le stade Binet C et qu’il fallait passer à une chimiothérapie associant Fludarabine et Cyclophosphamide. Le médecin constatait enfin qu’aucun examen médical n’avait été effectué concernant l’hépatite C. Il recommandait une hospitalisation en vue d’effectuer des examens et un suivi médical d’urgence. Le rapport fut transmis à l’OE.

69. Par télécopie datée du 28 juillet 2010, le médecin attaché au centre pour illégaux de Merksplas considéra que le requérant devait faire l’objet d’un suivi spécialisé qui ne pouvait être organisé au sein du centre fermé et recommandait dès lors sa libération pour raisons médicales.

70. Le 30 juillet 2010, le requérant fut libéré (voir paragraphe 52, ci-dessus).

71. Le 12 septembre 2012, un médecin du service hématologie du centre hospitalier universitaire (« CHU ») St Pierre à Bruxelles, où était suivi le requérant, désormais en liberté, établit un certificat en ces termes :

« (...)

D. Complications possibles en cas d’arrêt thérapeutique. L’absence de traitement de l’affection hépatique et de l’affection pulmonaire pourrait résulter en des dommages d’organes et un handicap conséquent (insuffisance respiratoire, cirrhose et/ou hépatocarcinome). L’absence de traitement de la LLC pourrait mener au décès du patient des suites directes de la maladie ou des suites d’infections sévères.

Tout retour en Géorgie condamnerait le patient à des traitements inhumains et dégradants.

E. Évolution et pronostic

Leucémie lymphatique chronique (LLC) : bon si traité mais le risque de rechute est réel et justifie même en rémission un suivi rapproché. Broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) : stabilisation si traité. Hépatite C : bon pronostic en cas de réponse au traitement.

(...)

F. Besoins spécifiques

Suivi régulier biologique et radiologique dans un centre spécialisé. Centre de chimiothérapie. »

72. Le requérant fut convoqué pour se rendre auprès du service médical de l’OE le 24 septembre 2012, afin de faire effectuer un bilan de son état de santé et de permettre aux autorités belges de « répondre aux questions posées par la Cour ».

73. Le rapport dressé par le médecin conseil à cette occasion énumérait les consultations effectuées et les traitements, notamment une chimiothérapie, entrepris depuis la libération du requérant en juillet 2010. Il indiquait que la leucémie s’était stabilisée après plusieurs cures de chimiothérapie et était en surveillance étroite, que la pathologie pulmonaire faisait l’objet d’un suivi médical, et que son traitement se composait de Zovirax en prévention de l’herpès, Pantomed en prévention de problèmes gastriques et de Flixotide, un corticoïde anti-inflammatoire.

74. Se référant à l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire N. c. Royaume-Uni [GC] (no 26565/05, CEDH 2008), le rapport conclut en ces termes :

« Ce dossier médical ne permet (...) pas de conclure à l’existence d’un seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention, tel qu’interprété par la Cour (...).

Au regard du dossier médical, il apparaît que les pathologies figurant dans des certificats médicaux (...) ne mettent pas en évidence de menace directe pour la vie du concerné. Les affections du requérant sont graves, potentiellement mortelles mais sont actuellement sous contrôle.

Aucun organe vital n’est dans un état tel que le pronostic vital est directement mis en péril. L’hépatite C ne cause actuellement aucune cirrhose. L’affection pneumologique est équilibrée par la thérapeutique composée seulement d’un corticostéroïde inhalé. La pathologie hématologique est actuellement stabilisée. On ne note plus la présence d’adénopathies. L’anémie hémolytique est résolue. La chimiothérapie est pour l’instant interrompue.

(...) Un monitorage des paramètres vitaux ou un contrôle médical permanent ne sont pas nécessaires pour garantir le pronostic vital du concerné.

Le stade de l’affection ne peut pas être considéré comme terminal à l’heure actuelle. (...) On est proche du stade Binet A à l’heure actuelle. La broncho-pneumopathie chronique obstructive est également contrôlée à l’heure actuelle ».

F. Régularisation du séjour de la famille du requérant

75. Le 5 novembre 2009, invoquant la situation de famille et la durée de son séjour en Belgique, l’épouse du requérant introduisit une demande de régularisation sur la base de l’article 9bis de la loi sur les étrangers (circonstances exceptionnelles).

76. Elle obtint pour elle et ses trois enfants une autorisation de séjour illimité le 29 juillet 2010.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Procédures en régularisation

1. Régularisation pour circonstances exceptionnelles

77. Pour pouvoir séjourner plus de trois mois sur le territoire belge, une personne étrangère doit en principe obtenir une autorisation préalablement à son arrivée sur le territoire. L’article 9 de la loi sur les étrangers prévoit que :

« (...) Sauf dérogations prévues par un traité international, par une loi ou par un arrêté royal, cette autorisation [de séjourner dans le Royaume au-delà du terme prévu à l’article 6] doit être demandée par l’étranger auprès du poste diplomatique ou consulaire belge compétent pour le lieu de sa résidence ou de son séjour à l’étranger.»

78. Une personne étrangère qui se trouve en Belgique en séjour irrégulier ou précaire, et qui souhaite obtenir une autorisation de long séjour sans avoir à retourner dans son pays d’origine, peut faire la demande directement sur le territoire belge à condition d’invoquer des circonstances exceptionnelles. La pratique et la jurisprudence ont dégagé de l’article 9bis (anciennement article 9, alinéa 3) de la loi sur les étrangers la possibilité d’accorder la régularisation de séjour au cas par cas. L’article 9bis qui remplace l’ancien article 9 alinéa 3, se lit comme suit :

« § 1er. Lors de circonstances exceptionnelles et à la condition que l’étranger dispose d’un document d’identité, l’autorisation de séjour peut être demandée auprès du bourgmestre de la localité où il séjourne, qui la transmettra au ministre ou à son délégué. Quand le ministre ou son délégué accorde l’autorisation de séjour, celle-ci sera délivrée en Belgique. (...) »

79. Ni les circonstances exceptionnelles qui permettent l’introduction de la demande depuis le territoire belge, ni les motifs de fond qui justifieraient l’octroi du séjour ne sont précisés dans la loi. Il appartient à l’OE d’apprécier, dans chaque cas d’espèce, les circonstances alléguées par l’étranger. L’OE procède d’abord à l’examen des circonstances exceptionnelles afin déterminer si la demande est recevable. Si c’est le cas, elle se prononce ensuite sur les motifs de fond que l’étranger fait valoir pour appuyer sa demande d’autorisation de séjour.

2. Régularisation pour raisons médicales

80. Les demandes de régularisations médicales sont régies par l’article 9ter de la loi qui se lit comme suit :

« § 1er. L’étranger qui séjourne en Belgique qui démontre son identité conformément au § 2 et qui souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne, peut demander l’autorisation de séjourner dans le Royaume auprès du ministre ou son délégué. La demande doit être introduite par pli recommandé auprès du ministre ou son délégué et contient l’adresse de la résidence effective de l’étranger en Belgique. L’étranger transmet avec la demande tous les renseignements utiles concernant sa maladie et les possibilités et l’accessibilité de traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne.

Il transmet un certificat médical type prévu par le Roi, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres. Ce certificat médical indique la maladie, son degré de gravité et le traitement estimé nécessaire. L’appréciation du risque visé à l’alinéa 1er, des possibilités de traitement, leur accessibilité dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne et de la maladie, son degré de gravité et le traitement estimé nécessaire indiqués dans le certificat médical, est effectuée par un fonctionnaire médecin ou un médecin désigné par le ministre ou son délégué qui rend un avis à ce sujet. Ce médecin peut, s’il l’estime nécessaire, examiner l’étranger et demander l’avis complémentaire d’experts. (...) »

81. Le CCE s’est récemment exprimé sur l’articulation entre l’article 9ter précité de la loi sur les étrangers et l’article 3 de la Convention (CCE, arrêts nos 92.258, 92.308 et 92.309 du 27 novembre 2012) en ces termes :

« 3.3. Le Conseil observe que la modification législative de l’article 9, alinéa 3, ancien, de la Loi a permis, par l’adoption de l’article 9ter, la transposition de l’article 15 de la directive 2004/83/CE du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.

Il n’en demeure pas moins que, en adoptant le libellé de l’article 9ter de la loi, le Législateur a entendu astreindre la partie défenderesse à un contrôle des pathologies alléguées qui s’avère plus étendu que celui découlant de la jurisprudence invoquée par la partie défenderesse. Ainsi, plutôt que de se référer purement et simplement à l’article 3 de la [Convention] pour délimiter le contrôle auquel la partie défenderesse est tenue, le Législateur a prévu diverses hypothèses spécifiques.

La lecture du paragraphe 1er de l’article 9ter révèle en effet trois types de maladies qui doivent conduire à l’octroi d’un titre de séjour sur la base de cette disposition lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans le pays d’origine ou dans le pays de résidence, à savoir :

. celles qui entraînent un risque réel pour la vie ;

. celles qui entraînent un risque réel pour l’intégrité physique ;

. celles qui entraînent un risque réel de traitement inhumain ou dégradant.

Il s’ensuit que le texte même de l’article 9ter ne permet pas une interprétation qui conduirait à l’exigence systématique d’un risque « pour la vie » du demandeur, puisqu’il envisage, au côté du risque vital, deux autres hypothèses. »

82. Par des arrêts nos 225.522 et 225.523 du 19 novembre 2013, le Conseil d’État cassa les arrêts nos 92.258 et 92.309, précités, du CCE. Il constata que l’article 15 b) de la Directive Qualification – directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts –, qui correspond en substance à l’article 3 de la Convention, fut transposé dans l’ordre juridique belge par l’insertion de l’article 9ter dans la loi sur les étrangers. En adoptant cette dernière disposition le législateur a manifestement et légitimement entendu réserver le bénéfice de l’article 9ter aux étrangers si « gravement malades » que leur éloignement constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, et il a voulu que cet examen se fasse en conformité avec la jurisprudence de la Cour telle qu’énoncée dans l’arrêt N. précité. Le fait que l’article 9ter vise trois hypothèses spécifiques n’implique pas qu’il ait un champ d’application différent de celui de l’article 3. Ces trois types de maladie, lorsqu’elles atteignent un seuil minimum de gravité qui doit être élevé, sont susceptibles de répondre aux conditions de l’article 3. Et le Conseil d’État de conclure que le CCE avait conféré à l’article 9ter une portée qu’il n’avait pas en jugeant que ce dernier astreignait l’État belge a un contrôle plus étendu que celui découlant de la jurisprudence de l’article 3 de la Convention.

83. Quelques jours plus tard, par un arrêt no 225.632 du 28 novembre 2013, une autre chambre du Conseil d’État parvint à une conclusion opposée. Cet arrêt adopta la même interprétation de l’article 9ter de la loi sur les étrangers que celle développée par le CCE dans ses arrêts nos 92.258, 92.308 et 92.309 du 27 novembre 2012 (voir paragraphe 81, ci-dessus). Le Conseil d’État écarta les arguments de l’État belge tirés du droit européen, notant que les standards minimaux de protection fixés par la Convention et la Directive Qualification ne pouvaient pas être invoqués pour réduire la portée du droit belge.

3. Recours

84. Les décisions de l’OE en matière de séjour peuvent faire l’objet d’un recours en annulation devant le CCE. Ce recours n’étant pas suspensif de l’exécution de la mesure contestée, la loi sur les étrangers prévoit qu’il puisse être assorti d’une demande en suspension de la mesure soit selon la procédure de l’extrême urgence, elle-même suspensive de l’exécution de la mesure, soit selon la procédure « ordinaire » et, ce, conformément à l’article 39/82 de la loi sur les étrangers qui se lit comme suit :

« § 1er. Lorsqu’un acte d’une autorité administrative est susceptible d’annulation en vertu de l’article 39/2, le Conseil est seul compétent pour ordonner la suspension de son exécution.

La suspension est ordonnée, les parties entendues ou dûment convoquées, par décision motivée du président de la chambre saisie ou du juge au contentieux des étrangers qu’il désigne à cette fin.

En cas d’extrême urgence, la suspension peut être ordonnée à titre provisoire sans que les parties ou certaines d’entre elles aient été entendues.

Lorsque le requérant demande la suspension de l’exécution, il doit opter soit pour une suspension en extrême urgence, soit pour une suspension ordinaire. Sous peine d’irrecevabilité, il ne peut ni simultanément, ni consécutivement, soit faire une nouvelle fois application de l’alinéa 3, soit demander une nouvelle fois la suspension dans la requête visée au § 3.

Par dérogation à l’alinéa 4 et sans préjudice du § 3, le rejet de la demande de suspension selon la procédure d’extrême urgence n’empêche pas le requérant d’introduire ultérieurement une demande de suspension selon la procédure ordinaire, lorsque cette demande de suspension en extrême urgence a été rejetée au motif que l’extrême urgence n’est pas suffisamment établie.

§ 2. La suspension de l’exécution ne peut être ordonnée que si des moyens sérieux susceptibles de justifier l’annulation de l’acte contesté sont invoqués et à la condition que l’exécution immédiate de l’acte risque de causer un préjudice grave difficilement réparable.

Les arrêts par lesquels la suspension a été ordonnée sont susceptibles d’être rapportés ou modifiés à la demande des parties.

§ 3. Sauf en cas d’extrême urgence, la demande de suspension et la requête en annulation doivent être introduits par un seul et même acte.

Dans l’intitulé de la requête, il y a lieu de mentionner qu’est introduit soit un recours en annulation soit une demande de suspension et un recours en annulation. Si cette formalité n’est pas remplie, il sera considéré que la requête ne comporte qu’un recours en annulation.

Une fois que le recours en annulation est introduit, une demande de suspension introduite ultérieurement n’est pas recevable, sans préjudice de la possibilité offerte au demandeur d’introduire, de la manière visée ci-dessus, un nouveau recours en annulation assorti d’une demande de suspension, si le délai de recours n’a pas encore expiré.

La demande comprend un exposé des moyens et des faits qui, selon le requérant, justifient que la suspension ou, le cas échéant, des mesures provisoires soient ordonnées.

La suspension et les autres mesures provisoires qui auraient été ordonnées avant l’introduction de la requête en annulation de l’acte seront immédiatement levées par le président de la chambre ou par le juge au contentieux des étrangers qu’il désigne, qui les a prononcées, s’il constate qu’aucune requête en annulation invoquant les moyens qui les avaient justifiées n’a été introduite dans le délai prévu par le règlement de procédure.

§ 4. Le président de la chambre ou le juge au contentieux des étrangers qu’il désigne statue dans les trente jours sur la demande de suspension. Si la suspension est ordonnée, il est statué sur la requête en annulation dans les quatre mois du prononcé de la décision juridictionnelle.

Si l’étranger fait l’objet d’une mesure d’éloignement ou de refoulement dont l’exécution est imminente, et n’a pas encore introduit une demande de suspension, il peut demander la suspension de cette décision en extrême urgence. Si l’étranger a introduit un recours en extrême urgence en application de la présente disposition dans les cinq jours, sans que ce délai puisse être inférieur à trois jours ouvrables suivant la notification de la décision, ce recours est examiné dans les quarante-huit heures suivant la réception par le Conseil de la demande en suspension de l’exécution en extrême urgence. Si le président de la chambre ou le juge au contentieux des étrangers saisi ne se prononce pas dans ce délai, il doit en avertir le premier président ou le président. Celui-ci prend les mesures nécessaires pour qu’une décision soit rendue au plus tard septante-deux heures suivant la réception de la requête. Il peut notamment évoquer l’affaire et statuer lui-même. Si la suspension n’a pas été accordée, l’exécution forcée de la mesure est à nouveau possible.

(...) »

85. Les dispositions précitées doivent être lues à la lumière de l’interprétation qu’en a donnée le CCE à la suite de l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, CEDH 2011), dans sept arrêts d’assemblée générale (nos 56.201 à 56.205, 56.207 et 56.208) du 17 février 2011. Par ces arrêts, le CCE a élargi la portée de son contrôle au titre de l’existence de « moyens d’annulation sérieux » et d’un « préjudice grave difficilement réparable » prévue par l’article 39/82 § 2 précité. Il s’est exprimé à ce sujet en ces termes :

« L’examen du caractère sérieux d’un moyen se caractérise, dans les affaires de suspension, par son caractère prima facie. Cet examen prima facie du grief défendable invoqué par la partie requérante, pris de la violation d’un droit garanti par la [Convention], doit, comme énoncé précédemment, être conciliable avec l’exigence de l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 de la [Convention], et notamment avec l’exigence de l’examen indépendant et rigoureux de tout grief défendable. Ceci implique que lorsque le Conseil constate, lors de l’examen prima facie, qu’il y a des raisons de croire que ce grief est sérieux ou qu’il y a au moins des doutes quant au caractère sérieux de celui-ci, il considère, à ce stade de la procédure, le moyen invoqué comme sérieux. En effet, le dommage que le Conseil causerait en considérant comme non sérieux, dans la phase du référé, un moyen qui s’avèrerait ensuite fondé dans la phase définitive du procès, est plus grand que le dommage qu’il causerait dans le cas contraire. Dans le premier cas, le préjudice grave difficilement réparable peut s’être réalisé ; dans le deuxième cas, la décision attaquée aura au maximum été suspendue sans raison pendant une période limitée.

(...)

La partie requérante doit invoquer des éléments qui démontrent, d’une part, la gravité du préjudice qu’elle subit ou risque de subir, ce qui signifie concrètement qu’elle doit donner des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent, d’autre part, le caractère difficilement réparable du préjudice.

Il convient néanmoins de remarquer qu’un exposé sommaire peut être considéré comme conforme aux dispositions de l’article 39/82, § 2, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980 (...), c’est-à-dire lorsqu’aucune personne raisonnable ne peut le contester, et donc également lorsque la partie défenderesse, dont les dispositions légales et réglementaires susmentionnées visent à préserver le droit à la contradiction, comprend immédiatement de quel préjudice il s’agit et peut, à cet égard, répondre à l’exposé de la partie requérante (cf. CE 1er décembre 1992, no 41.247). Il en va de même a fortiori si l’application exagérément restrictive ou formaliste de cette exigence avait pour conséquence que la partie requérante, dans le chef de laquelle le Conseil a constaté prima facie à ce stade de la procédure un grief défendable fondé sur la [Convention], ne peut obtenir le redressement approprié exigé par l’article 13 de la [Convention]. »

86. Saisie d’une requête en annulation de la loi du 15 mars 2012 modifiant la loi sur les étrangers qui instaurait une procédure accélérée pour les demandeurs d’asile en provenance de pays « sûrs », la Cour constitutionnelle s’est prononcée, par un arrêt no 1/2014 du 16 janvier 2014, sur le point de savoir si les recours en annulation et en suspension d’extrême urgence remplissaient les critères d’effectivité posés par la jurisprudence de la Cour relative à l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.

87. La Cour constitutionnelle annula partiellement la loi attaquée au motif que le CCE n’étant pas tenu d’examiner, sur la base d’éventuels éléments nouveaux présentés devant lui, la situation actuelle des intéressés, c’est-à-dire la situation au moment de statuer, par rapport à la situation prévalant dans son pays d’origine, les recours en annulation et de suspension d’extrême urgence dont cette juridiction pouvait être saisie ne permettaient pas le contrôle « attentif », « complet » et « rigoureux » de la situation des intéressés voulu par la Cour (M.S.S. précité, §§ 387 et 389 ; Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique, no 10486/10, §§ 105 et 107, 20 décembre 2011).

88. Un recours en cassation administrative de l’arrêt du CCE rejetant le recours en annulation est possible devant le Conseil d’État. Ce recours n’est pas suspensif.

B. Éloignement et interdiction d’entrée en raison de l’atteinte à l’ordre public

89. Les dispositions de la loi sur les étrangers pertinentes en l’espèce sont les suivantes :

Article 20

« Sans préjudice des dispositions plus favorables contenues dans un traité international, et à l’article 21 le Ministre peut renvoyer l’étranger qui n’est pas établi dans le Royaume lorsqu’il a porté atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale ou n’a pas respecté les conditions mises à son séjour, telles que prévues par la loi. Dans les cas où en vertu d’un traité international une telle mesure ne peut être prise qu’après que l’étranger ait été entendu, le renvoi ne pourra être ordonné qu’après l’avis de la Commission consultative des étrangers. Le Roi fixe par arrêté délibéré en Conseil des Ministres les autres cas dans lesquels le renvoi ne pourra être ordonné qu’après l’avis de la Commission consultative des étrangers.

Sans préjudice de l’article 21, §§ 1er et 2, l’étranger établi ou bénéficiant du statut de résident de longue durée dans le Royaume peut lorsqu’il a gravement porté atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale, être expulsé par le Roi, après avis de la Commission consultative des étrangers. L’arrêté d’expulsion doit être délibéré en Conseil des Ministres si la mesure est fondée sur l’activité politique de cet étranger.

Les arrêtés de renvoi et d’expulsion doivent être fondés exclusivement sur le comportement personnel de l’étranger. Il ne peut lui être fait grief de l’usage conforme à la loi qu’il a fait de la liberté de manifester ses opinions ou de celle de réunion pacifique ou d’association. »

Article 74/11

« § 1er. La durée de l’interdiction d’entrée est fixée en tenant compte de toutes les circonstances propres à chaque cas.

La décision d’éloignement est assortie d’une interdiction d’entrée de maximum trois ans, dans les cas suivants :

1o lorsqu’aucun délai n’est accordé pour le départ volontaire ou ;

2o lorsqu’une décision d’éloignement antérieure n’a pas été exécutée.

Le délai maximum de trois ans prévu à l’alinéa 2 est porté à un maximum de cinq ans lorsque le ressortissant d’un pays tiers a recouru à la fraude ou à d’autres moyens illégaux afin d’être admis au séjour ou de maintenir son droit de séjour.

La décision d’éloignement peut être assortie d’une interdiction d’entrée de plus de cinq ans lorsque le ressortissant d’un pays tiers constitue une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité nationale.

§ 2. Le ministre ou son délégué s’abstient de délivrer une interdiction d’entrée lorsqu’il met fin au séjour du ressortissant d’un pays tiers conformément à l’article 61/3, § 3, ou 61/4, § 2, sans préjudice du § 1er, alinéa 2, 2o, à condition qu’il ne représente pas un danger pour l’ordre public ou la sécurité nationale.

Le ministre ou son délégué peut s’abstenir d’imposer une interdiction d’entrée, dans des cas particuliers, pour des raisons humanitaires.

§ 3. L’interdiction d’entrée entre en vigueur le jour de la notification de l’interdiction d’entrée. L’interdiction d’entrée ne peut contrevenir au droit à la protection internationale, telle qu’elle est définie aux articles 9ter, 48/3 et 48/4. »

III. ACCÈS AUX SOINS DE SANTÉ EN GÉORGIE

90. D’après des rapports établis par des organismes spécialisés – Georgia: Health System Review, publié en 2009 par le European Observatory on Health Systems and Policies (World Health Organisation/Europe) et Health Systems Strengthening and Reform Project Private Health Insurance publié en 2010 par la United States Agency for International Development –, le Gouvernement géorgien a mis en place, dès 2007, un vaste programme de privatisation des services publics, y compris les services de santé. En principe, seules les personnes bénéficiant d’une assurance privée ont accès aux soins de santé. Toutefois, parallèlement, des mesures ont été prises pour assurer que les personnes les plus démunies aient également accès aux soins de santé. Ainsi, l’arrêté no 218 du 9 décembre 2009 a été adopté dans le cadre d’un programme d’assistance basé sur la distribution de coupons (vouchers) donnant aux personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté l’accès gratuit à certains soins ambulatoires et hospitaliers, à l’exclusion des médicaments. Le seuil de pauvreté est déterminé selon un système de points et de critères énumérés dans l’arrêté qui tiennent compte de la situation familiale et financière des personnes intéressées. Le statut d’indigent fait l’objet d’une inscription dans un registre, laquelle doit avoir été effectuée avant le 1er avril 2013. En 2009, plus d’un million de personnes bénéficiaient de ce programme. Par ailleurs, des programmes publics sont destinés à couvrir en tout ou en partie certains soins de santé pour les personnes âgées de plus de soixante ans.

91. S’agissant en particulier des soins de santé nécessités par une leucémie, le rapport publié au sujet de la Géorgie en janvier 2010 par l’organisation internationale non gouvernementale Caritas International (Country Sheet Information Georgia) fait état de ce qui suit :

« Oncological diseases diagnostics and treatment assistance demand particularly great amounts of resources. Hence, full state financing is available for children with oncological diseases, including neuro-oncology. Adults with oncological diseases are divided into 15 groups based on the type of disease, and different tariffs and different levels of co-financing apply for each group. However, in all cases (the) State covers more than 70 % of treatment-related expenses (without medicaments); children
(0-18 years old) are financed 100 %; hospitalisation is covered by the State for 70 %, but not more than 150 GEL (Lari) and 160 GEL (Lari) in the case of tomography; (the) cost of chemotherapy (without medicaments) is covered by 50 % but not more than 250 GEL (Lari). Consultations and treatment in the case of hormone therapy is free. »

92. En collaboration notamment avec l’Union européenne et la Banque mondiale, le Gouvernement géorgien est engagé dans un projet de réforme du secteur des soins de santé. Ce projet est piloté sur la base d’un document intitulé National Health Care Strategy 2011-2015 qui prévoit plusieurs mesures visant à élargir l’accès aux soins de santé. En outre, le programme annoncé par le Gouvernement mis en place à la suite des élections d’octobre 2012 prévoit l’accès universel de tous les citoyens aux soins de santé de base.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION

93. Le requérant allègue qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que, si on l’expulse vers la Géorgie, il y courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention et à une mort prématurée en violation de l’article 2. Ces dispositions sont ainsi libellées :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

... »

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

94. Lors de la communication de la requête, vu qu’aucune décision n’avait été rendue dans les procédures initiées le 26 juillet 2010 par le requérant contre le refus de régularisation de son séjour et l’ordre de quitter le territoire, la Cour a posé au Gouvernement la question de savoir si le requérant disposait, devant le CCE, d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention dans le sens donné dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce ([GC], no 30696/09, §§ 286-293, CEDH 2011) qu’il devait épuiser pour satisfaire à l’article 35 § 1 de la Convention.

95. Le Gouvernement explique à titre préalable que l’ordre de quitter le territoire ne peut être considéré comme causant grief au requérant car il est purement confirmatif de l’arrêté ministériel de renvoi du 16 août 2007. Selon lui, seule cette dernière mesure, qui est d’ailleurs à l’origine du refus de régularisation pour raisons médicales, aurait pu faire grief au requérant. Or, le recours en annulation que le requérant a intenté contre l’arrêté ministériel ne l’a pas été dans les formes et délais prescrits par le droit interne et a été rejeté, le 27 février 2008, par le CCE pour tardiveté.

96. Le Gouvernement concède que le CCE a déjà admis, dans certains cas, qu’un acte confirmatif puisse poser problème sous l’angle de l’article 3 au moment de l’éloignement. Toutefois, même si l’on part de cette hypothèse, le requérant aurait dû, dans ce cas, utiliser la voie de la suspension en extrême urgence de l’ordre de quitter le territoire et non, comme il l’a fait, la procédure de suspension ordinaire. La mise en mouvement de la procédure en extrême urgence aurait en effet, conformément aux exigences d’effectivité de l’article 13 de la Convention, automatiquement suspendu l’exécution de la mesure d’éloignement. En n’empruntant pas la voie appropriée, le requérant n’a donc pas satisfait à la condition d’épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

97. Le Gouvernement se dit conscient que cette voie de recours a été considérée par la Cour comme étant ineffective dans l’arrêt M.S.S. précité mais explique qu’à la suite de cet arrêt, le CCE a fixé, par des arrêts rendus le 17 février 2011 en assemblée générale, des principes directeurs destinés à assurer que les étrangers bénéficient de l’effet suspensif de ce recours sur une période plus longue et d’un contrôle plus attentif et rigoureux des griefs défendables soulevés sur le terrain de l’article 3 de la Convention.

98. Le Gouvernement soutient enfin que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées pour une autre raison, à savoir qu’une juridiction interne, en l’occurrence le CCE, est actuellement saisie des mêmes griefs que ceux que le requérant a portés devant la Cour.

99. Le requérant explique qu’en raison de son hospitalisation au moment de la signification, le 11 juillet 2010, desdites décisions, il n’a pu prendre contact avec son avocat que le dernier jour du délai légal de cinq jours prévu pour l’introduction d’une demande en extrême urgence, le mettant dans l’impossibilité d’agir en extrême urgence en temps utile. Il fait également valoir que la référence à l’arrêt M.S.S., qui a effectivement mené à un assouplissement considérable de la jurisprudence du CCE, n’est pas pertinente car cette évolution est postérieure à la procédure en cause. Or, à l’époque, la jurisprudence du CCE ne laissait aucune chance de succès à la procédure en extrême urgence. En tout état de cause, le requérant souligne qu’il a dûment fait valoir ses griefs tirés des articles 2, 3 et 8 de la Convention devant le CCE en demandant la suspension ordinaire tant de l’ordre de quitter le territoire que du refus de régularisation et que le Gouvernement n’invoque aucune raison valable pour justifier qu’il n’ait pas encore été statué sur cette demande de suspension alors même que la loi sur les étrangers, en son article 39/82 § 4, prévoit un délai de trente jours.

100. Le Gouvernement réplique que le requérant n’a pas fait valoir devant le CCE les raisons pour lesquelles il n’a pas agi sous le bénéfice de l’urgence et qu’il aurait dû invoquer les circonstances de force majeure que le CCE aurait examinées, conformément à sa jurisprudence, sous l’angle de l’extrême urgence.

2. Appréciation de la Cour

101. À titre préliminaire, la Cour constate que le requérant est sous la menace d’un éloignement, qu’après avoir été l’objet d’un arrêté de renvoi du 16 août 2007, il s’est vu délivré un premier ordre de quitter le territoire le 7 juillet 2010, que celui-ci a été prolongé à plusieurs reprises et qu’il a encore reçu, le 18 février 2012, un ordre de quitter « immédiatement » le territoire. Le Gouvernement convient que lesdites décisions, matérialisant l’éloignement du requérant, même si elles sont venues confirmer l’arrêté ministériel de renvoi, peuvent faire grief au regard de l’article 3 de la Convention (voir paragraphe 96, ci-dessus).

102. La Cour observe que le requérant a introduit, le 26 juillet 2010, devant le CCE, des recours en annulation du refus de séjour pour raisons exceptionnelles et de l’ordre de quitter le territoire adoptés le 7 juillet 2010 (voir paragraphes 32 et 51, ci-dessus). Ces procédures sont actuellement pendantes. Les griefs soulevés par le requérant devant le CCE sont les mêmes que ceux qu’il a portés devant la Cour, à savoir qu’en le renvoyant vers la Géorgie, les autorités belges l’exposeraient à des risques pour sa vie et son intégrité physique contraires aux articles 2 et 3 de la Convention et porteraient atteinte au droit au respect de la vie familiale au sens de l’article 8 en le forçant à vivre séparé de son épouse et ses enfants.

103. La Cour relève en outre que lesdits recours en annulation ne sont pas suspensifs de plein droit de son éloignement. Pour obtenir qu’il soit sursis à l’exécution de l’ordre de quitter le territoire, le requérant devait faire usage de l’une des deux procédures en suspension prévue par la loi sur les étrangers (voir paragraphes 84 à 88, ci-dessus), ce qu’il a fait en demandant, dans le cadre des procédures en annulation, la suspension « ordinaire » de son éloignement. Ces demandes, non suspensives de plein droit, sont également pendantes (voir paragraphes 34 à 51, ci-dessus). L’éloignement du requérant est toutefois suspendu en raison de l’intervention de la Cour au titre des mesures provisoires (voir paragraphe 57, ci-dessus).

104. Le Gouvernement soutient que le requérant aurait dû emprunter l’autre voie, à savoir celle de la suspension en extrême urgence de son éloignement, car seule cette procédure était automatiquement suspensive de l’ordre de quitter de quitter le territoire et que, pour cette raison, il n’a pas épuisé les voies de recours internes.

105. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes implique qu’un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. Rien n’impose d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII ; Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 55, CEDH 2009). En outre, un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999‑III ; spécialement en matière d’expulsion, Y.P. et L.P. c. France, no 32476/06, § 53, 2 septembre 2010, et Mi. L. c. France (déc.), no 23473/11, § 33, 11 septembre 2012).

106. En l’espèce, il ressort de la loi sur les étrangers que la procédure de suspension ordinaire, empruntée par le requérant, et la procédure en extrême urgence ont le même objet, à savoir la suspension de l’éloignement jusqu’à ce que le CCE se prononce sur le bien-fondé du recours en annulation de ce même éloignement. La principale différence réside, comme l’explique le Gouvernement, dans le caractère suspensif de la procédure que seule possède la voie de l’extrême urgence. La Cour estime que cette circonstance aurait pu entrer en ligne de compte s’il était établi par ailleurs que cette voie était effective au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

107. Or ce n’est pas le cas. Certes, la Cour peut partir de l’hypothèse que le CCE aurait accepté qu’il y ait extrême urgence, étant donné que l’exécution forcée de l’ordre de quitter le territoire du 7 juillet 2010 était préparée et prévue. Toutefois, la Cour rappelle qu’elle a examiné la procédure de suspension en extrême urgence dans l’arrêt M.S.S. précité et qu’elle a constaté que celle-ci n’offrait pas aux intéressés, en amont de leur expulsion, la garantie d’un examen suffisamment rigoureux et complet du risque de violation allégué (§§ 389 et 390). L’impact sur la jurisprudence du CCE qu’a eu cet arrêt ne saurait rien changer en l’espèce étant donné que l’évolution de jurisprudence à laquelle se réfère le Gouvernement est intervenue postérieurement aux faits de la présente affaire (voir paragraphe 85, ci-dessus). Dans ces conditions et eu égard aux raisons invoquées par le requérant (voir paragraphe 99, ci-dessus), la Cour considère qu’il ne pouvait être exigé de lui qu’il emprunte une autre voie que celle qu’il a utilisée.

108. Sachant que, par ailleurs, les demandes de suspension ordinaire et les recours en annulation actuellement pendants devant le CCE ne présentent pas les garanties de recours suspensifs de plein droit de l’éloignement du requérant, la Cour estime, eu égard à ce qui précède, qu’il ne peut être reproché au requérant de ne pas avoir correctement épuisé les voies de recours internes. Elle rejette dès lors l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.

109. La Cour constate par ailleurs que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le requérant

110. Le requérant rappelle qu’il est atteint d’une maladie chronique, incurable et mortelle. Il est médicalement certain que l’arrêt des traitements qu’il prend pour stabiliser sa leucémie entraînerait de lourdes complications et sa mort prématurée. Il souffre également de tuberculose, d’une pathologie pulmonaire et d’une hépatite C, maladies qui n’ont pas été suivies convenablement en prison. La stabilisation de ces affections est uniquement due à la prise de médicaments et au suivi régulier et spécialisé dont il bénéficie en Belgique.

111. Selon le requérant, les informations fournies par l’organisation non gouvernementale Caritas International (voir paragraphe 91, ci-dessus) et par le Gouvernement géorgien (voir paragraphe 116, ci-dessous) font clairement apparaître que, si effectivement les traitements dont il a besoin pour stabiliser sa leucémie sont disponibles en Géorgie, ils sont inaccessibles en raison de leur coût élevé. Ainsi, selon des informations fournies à la demande de son avocat par Caritas, une dose de Fludarabine, nécessaire au traitement de sa leucémie, s’élève en Géorgie à 356 lari géorgiens (GEL, approximativement 150 euros). Or, le système de soins de santé en Géorgie a été largement privatisé et, à l’exception de quelques programmes d’assistance sociale destinés aux personnes les plus vulnérables, seules les personnes assurées ont accès aux soins de santé. Le requérant allègue qu’il n’entre dans aucune des catégories de la population pouvant bénéficier de la prise en charge totale des coûts des médicaments et des soins de santé nécessaires à leur administration et au suivi de sa maladie en milieu hospitalier. Vu qu’il ne dispose d’aucun réseau social et familial en Géorgie, que son état de santé ne lui permet pas de travailler et que la seule ressource dont il dispose en Géorgie est une parcelle de terrain, il n’aura de facto pas la possibilité de poursuivre les traitements qui le maintiennent en vie. Le requérant considère donc qu’il se trouve dans une situation similaire à celle du requérant dans l’affaire D. c. Royaume-Uni (2 mai 1997, Recueil 1997‑III).

112. Enfin, le requérant nie son implication dans les faits de vol à l’étalage allégués, sans preuve, par le Gouvernement (voir paragraphe 115, ci-dessous). Il souligne qu’en tout état de cause, son état de santé ne lui permet pas de mener une vie normale et qu’il n’est plus en état de commettre les agissements que lui attribue le Gouvernement

b) Le Gouvernement

113. Le Gouvernement fait valoir que le requérant ne jouit pas, sur base de l’article 3 de la Convention, d’un droit de séjour dans un État dont il n’est pas ressortissant et que de toute façon, d’après les informations médicales les plus récentes, l’état de santé du requérant est stable et ne peut être qualifié de critique au sens donné par la jurisprudence de la Cour. Elle n’est pas marquée par des circonstances exceptionnelles et n’atteint pas le seuil de gravité requis. Une violation de l’article 3 ne peut pas se déduire des seules réserves exprimées par les médecins qui, si elles mettent en évidence le risque vital encouru par le requérant et une réduction de sa durée de vie en cas d’arrêt des traitements, ne pronostiquent pas une dégradation de son état de santé à brève échéance ni un risque de « mourir dans des circonstances particulièrement douloureuses » (D. c. Royaume-Uni, précitée, § 53).

114. N’entre pas davantage en considération, selon le Gouvernement, la circonstance que les soins spécialisés sont plus difficilement accessibles
(N. c. Royaume-Uni [GC], no 26565/05, §§ 48 et 50, CEDH 2008). Il ressort de plusieurs rapports sur la Géorgie que le système de santé s’est largement développé, que la plupart des traitements y sont disponibles et que le traitement de la tuberculose et de la leucémie est gratuit.

115. Le requérant n’a par ailleurs pas démontré l’absence de liens familiaux en Géorgie et mentionne même la présence d’un frère. En tout état de cause, il a été coupé de facto pendant des années des liens familiaux avec son épouse et ses enfants du fait de ses séjours en prison et en centre fermé. Enfin, le Gouvernement exprime un doute quant au sérieux de l’état de santé du requérant sachant qu’à deux reprises en 2012, il aurait été pris en flagrant délit de vol à l’étalage.

c) Le Gouvernement géorgien, tiers intervenant

116. Le Gouvernement géorgien indique que le traitement de la tuberculose en milieu hospitalier ou en ambulatoire est pris en charge par le budget de l’État en vertu de l’arrêté no 92 du 15 mars 2012. S’agissant du traitement de l’hépatite C, la prise en charge en milieu hospitalier est assurée, en vertu du même texte, pour les malades présentant une charge virale importante et/ou une cirrhose. Le coût des médications spécifiques est pris en charge, pour les personnes éligibles, à concurrence de 50 % d’un montant défini par le Gouvernement. Quant aux soins nécessités par la leucémie, ils sont couverts par le budget de l’État pour les patients âgés de moins de dix-huit ans et de plus de soixante ans. Le système d’assistance sociale prévoit en outre la prise en charge des coûts liés au traitement des malades atteints d’une leucémie qui tombent dans une des catégories de la population particulièrement vulnérables que sont les enfants de moins de cinq ans, les femmes âgées de plus de soixante ans, les hommes de plus de soixante-cinq ans ainsi que les étudiants et les personnes handicapées. En vertu de l’arrêté no 218 du 9 décembre 2009, les personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté ont également accès à un programme d’assurance pris en charge par l’État qui couvre les pathologies oncologiques, à savoir, les diagnostics, les traitements, y compris la chimiothérapie, la radiothérapie, les examens médicaux et les médicaments. L’indigence d’un individu est déterminée sur la base de sa situation financière et familiale.

2. Appréciation de la Cour

117. Selon la jurisprudence de la Cour, la souffrance due à une maladie survenant naturellement, qu’elle soit physique ou mentale, peut relever de l’article 3 si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par un traitement – que celui-ci résulte de conditions de détention, d’une expulsion ou d’autres mesures – dont les autorités peuvent être tenues pour responsables (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 52, CEDH 2002‑III).

118. La Cour a toutefois considéré que cela n’impliquait pas que les non-nationaux qui sont sous le coup d’un arrêté d’expulsion puissent revendiquer un droit à rester sur le territoire d’un État partie afin de continuer à bénéficier de l’assistance et des services médicaux, sociaux ou autres fournis par cet État. La décision d’expulser un étranger atteint d’une maladie physique ou mentale grave vers un pays où les moyens de traiter cette maladie sont inférieurs à ceux disponibles dans l’État partie n’est en effet susceptible de soulever une question sous l’angle de l’article 3 que dans des cas très exceptionnels, lorsque les considérations humanitaires militant contre l’expulsion sont impérieuses (N., précité, § 51).

119. Le fait qu’en cas d’expulsion de l’État partie le requérant connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, ne suffit pas pour emporter violation de l’article 3 (ibidem). Selon la Cour, il faut que des circonstances humanitaires encore plus impérieuses caractérisent l’affaire. Dans les affaires N. et Yoh-Ekale Mwanje précitées, dans lesquelles les requérantes étaient malades du sida, la Cour a considéré que leur éloignement n’était pas susceptible de soulever une question sous l’angle de l’article 3 de la Convention. La Cour tint compte de ce qu’au moment de leur éloignement, l’état de santé des requérantes était stable grâce aux traitements dont elles avaient bénéficié jusque-là, qu’elles n’étaient pas dans un « état critique » et qu’elles étaient aptes à voyager.

120. En l’espèce, le requérant est également atteint d’une maladie incurable et mortelle, une leucémie lymphatique chronique, ainsi que d’autres pathologies. Il est médicalement attesté qu’à ce jour, les affections dont souffre le requérant sont toutes stabilisées et sous contrôle, qu’il n’y a donc pas de menace imminente pour sa vie et qu’il est capable de voyager.

121. Le requérant fait toutefois valoir que son état de santé est très précaire et qu’il risque de rechuter à tout moment. Or, s’il était éloigné vers la Géorgie, il n’aurait pas accès aux soins de santé appropriés du fait de son indigence. En effet, il n’entrerait dans aucune des catégories de la population pouvant bénéficier de la prise en charge totale des coûts des médicaments et des soins de santé nécessaires à leur administration et au suivi de sa maladie en milieu hospitalier. Il ne disposerait par ailleurs d’aucun réseau familial disposé à l’aider et ne serait pas apte à travailler. Il connaîtrait donc une dégradation importante de sa situation et une réduction significative de son espérance de vie.

122. D’après les informations fournies par le Gouvernement géorgien et les sources que la Cour a consultées d’office (voir paragraphes 90 à 92 et 116, ci-dessus), on trouve en Géorgie des médicaments destinés à stabiliser la leucémie et des traitements relatifs aux autres pathologies dont souffre le requérant, même si, faute de ressources suffisantes, toutes les personnes qui en ont besoin ne bénéficient pas de l’ensemble de ces médicaments et traitements. Il apparaît en outre que le requérant a un frère en Géorgie et dispose d’une parcelle de terrain de sorte qu’il est peu vraisemblable qu’il se retrouve sans aucune ressource.

123. Les autorités belges ont fourni au requérant une assistance médicale pendant les trois années et demie que l’affaire a été pendante devant la Cour. Toutefois, cela n’implique pas en soi que l’État défendeur soit dans l’obligation de continuer à lui offrir pareille assistance.

124. Eu égard au seuil de gravité élevé prévu par l’article 3 de la Convention, en particulier dans les affaires qui ne mettent pas en cause la responsabilité directe de l’État partie concerné, la Cour est d’avis que la présente affaire n’est pas marquée par des considérations humanitaires impérieuses s’opposant à l’éloignement du requérant.

125. La Cour observe par ailleurs que la Géorgie est un État partie à la Convention, qui s’est engagé à respecter les droits qui s’y trouvent garantis, parmi lesquels figure l’interdiction des traitements inhumains et dégradants.

126. En conclusion, la Cour considère que l’éloignement du requérant n’emporterait pas, dans l’état actuel des choses (voir paragraphe 120, ci-dessus) violation de l’article 3 de la Convention.

127. La Cour estime que l’examen des griefs du requérant sous l’angle de l’article 2 de la Convention ne conduit pas à une conclusion différente.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

128. Le requérant se plaint que son renvoi vers la Géorgie avec interdiction d’entrée en Belgique pendant dix ans entraînerait une séparation de sa famille, laquelle est autorisée à séjourner en Belgique et représente son seul soutien moral. Il invoque une violation de l’article 8 de la Convention qui se lit comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

129. Le Gouvernement soutient que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées au motif que le grief relatif à l’article 8 de la Convention fait l’objet d’une procédure qui est actuellement pendante devant une juridiction interne, en l’occurrence le CCE.

130. Il fait valoir en outre que plusieurs aspects des griefs soulevés par le requérant devant la Cour sous l’angle de l’article 8 résultant d’une évolution de sa situation personnelle (aggravation de son état de santé) et familiale (octroi d’une autorisation de séjour aux membres de sa famille), n’ont pas été portés à la connaissance de l’autorité administrative et l’ont été pour la première fois devant le CCE. Or il n’appartient pas à celui-ci de substituer son appréciation à celle qui ressort de la compétence de l’administration.

131. Le requérant développe le même argumentaire que sous l’angle de la recevabilité du grief qu’il tire de l’article 3 de la Convention (voir paragraphe 99, ci-dessus).

132. La Cour considère qu’il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si le requérant a épuisé les voies de recours internes pour faire valoir son grief tiré de la violation de l’article 8 de la Convention. Pour les raisons développées ci-dessous, ce grief est en tout cas non fondé. La Cour partira de l’hypothèse que le requérant a épuisé les voies de recours internes conformément à l’article 35 § 1 de la Convention. Dans cette hypothèse, il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

133. Elle constate par ailleurs que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

134. Le requérant soutient être le père biologique des trois enfants. Il fait valoir que son épouse et lui sont mariés depuis 1996, qu’ils vivent en Belgique depuis 1998 et que tous leurs liens sociaux et familiaux se trouvent en Belgique. Il convient, selon lui, de tenir compte de l’intérêt des enfants : outre que deux d’entre eux sont nés en Belgique, ils y ont toujours vécu et y sont scolarisés, le français est leur langue principale et l’environnement social belge est le seul qu’ils connaissent. Durant l’incarcération du requérant, des liens familiaux très forts furent maintenus et sa famille lui a rendu visite quasi quotidiennement. L’expulsion du requérant ne peut se concevoir avec les membres de sa famille. Or, étant donné la précarité de son état de santé et l’absence de ressources de la famille, s’il devait quitter seul, il ne reverrait probablement plus jamais ses enfants et mourrait en Géorgie loin des siens sans leur soutien moral qui l’a aidé pendant toutes ces années de maladie. Tout en concédant que c’est à bon droit que l’État belge prenne des mesures au nom de l’ordre public, les circonstances de l’espèce font peser sur la vie familiale et la vie privée du requérant une charge disproportionnée.

135. Le Gouvernement reconnaît que le requérant entretient une vie familiale avec son épouse et leurs enfants, tout en précisant qu’il n’est pas le père de l’un d’entre eux et que cet enfant est, à ce jour, majeur. Il souligne que le requérant n’a jamais été autorisé à séjourner durablement sur le territoire belge et n’a jamais été en situation d’espérer une autorisation de séjour. Les mesures prises à son égard ne peuvent donc s’analyser comme mettant fin à une situation de séjour acquise. Il est arrivé en Belgique à l’âge de quarante ans, ayant toujours vécu en Géorgie. Ses attaches en Belgique sont très peu développées, il ne parle aucune des langues nationales, n’y a jamais travaillé et n’a pas fait preuve d’aucune volonté d’intégration. Au contraire, il a commis des faits graves pour lesquels il a été condamné plusieurs fois et a passé la majeure partie de son séjour en prison. À cet égard, il n’est pas davantage plausible que la présence des membres de sa famille soit nécessaire au regard de son état de santé sachant qu’il a vécu séparé de sa famille pendant une longue période du fait de cette incarcération et qu’il n’apparaît pas que son état de santé en ait été affecté. Également en raison de cette incarcération, le requérant ne peut être considéré comme la personne de référence pour l’entretien et l’éducation de ses enfants. Enfin, de l’avis du Gouvernement, dès lors que, hormis son état de santé, le requérant, ni aucun membre de sa famille, n’a jamais invoqué aucun motif qui les empêcherait de retourner en Géorgie, qu’ils conservent, fût-ce en raison de la langue et de la culture, des liens étroits avec leur pays d’origine, le séjour de la famille du requérant en Belgique ne peut être considéré comme un obstacle insurmontable à ce que la famille retourne en Géorgie.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’une vie familiale

136. La Cour observe d’emblée que l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention entre le requérant, son épouse et les enfants nés en Belgique n’est pas contestée. Dès lors, la controverse entre les parties quant à la paternité du requérant vis-à-vis de l’enfant qui est née avant leur arrivée en Belgique et a, depuis, atteint l’âge adulte, est sans pertinence. En outre, à supposer que la mesure de renvoi puisse également être examinée sous l’angle de la vie privée du requérant au sens de l’article 8, eu égard aux questions particulières posées par l’espèce et aux arguments développés par les parties, la Cour portera néanmoins une attention spéciale à la vie familiale du requérant (voir, mutatis mutandis, Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, §§ 59 à 61, CEDH 2006‑XII).

b) Sur le respect de l’article 8 de la Convention

137. La Cour constate que l’OE a, par sa décision du 7 juillet 2010, rejeté la demande introduite par le requérant en vue d’obtenir la régularisation de son séjour pour circonstances exceptionnelles, en l’occurrence son intégration dans la société belge, sa vie familiale et son état de santé. L’OE a également, par décision du 7 juillet 2010, délivré au requérant un ordre de quitter le territoire dont l’exécution fut mise en mouvement avec l’obtention d’un laisser-passez auprès de l’ambassade de Géorgie. L’ordre de quitter le territoire s’inscrit dans la suite de l’arrêté ministériel de renvoi du requérant, pris le 16 août 2007 et devenu définitif le 27 février 2008, qui interdisait au requérant l’entrée sur le territoire belge pendant dix ans.

138. Il résulte de ce qui précède que la présente espèce concerne à la fois le refus par les autorités nationales d’autoriser le requérant à résider en Belgique et la menace de le renvoyer en Géorgie. Cela dit, vu les particularités de l’affaire, la Cour estime que la question centrale est celle de savoir si les autorités belges avaient l’obligation d’autoriser le requérant à séjourner en Belgique pour lui permettre de demeurer auprès de sa famille. Eu égard à cette question centrale, la Cour considère que le présent grief se situe dans le champ des obligations positives de l’État défendeur (voir, Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas, no 50435/99, § 38, CEDH 2006-I).

i. Principes généraux applicables

139. La Cour a reconnu que les États ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers sur leur sol ; la Convention ne garantit pas le droit pour un étranger d’entrer ou de résider dans un pays particulier. L’article 8 n’emporte pas une obligation générale pour un État de respecter le choix par des immigrants de leur pays de résidence (voir, parmi beaucoup d’autres, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 67, série A no 94, Boujlifa c. France, 21 octobre 1997, § 42, Recueil 1997‑VI, Nunez c. Norvège, no 55597/09, § 66, 28 juin 2011).

140. Cela dit, l’État doit ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble. Il jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (voir, parmi d’autres, Ahmut c. Pays-Bas, 28 novembre 1996, § 63, Recueil 1996‑VI). L’étendue des obligations pour l’État varie en fonction de la situation particulière des personnes concernées et de l’intérêt général (Gül c. Suisse, 19 février 1996, § 38, Recueil 1996‑I, Rodrigues da Silva et Hoogkamer, précité, § 39).

141. Les facteurs à prendre en considération dans ce contexte font l’objet d’une jurisprudence bien établie qui concerne tant les immigrés de longue durée que les immigrés qui, comme en l’espèce, sont arrivés dans le pays à l’âge adulte. Dans les affaires Boultif c. Suisse (no 54273/00, § 48, CEDH 2001‑IX), Üner (précitée, §§ 54 et 55 et §§ 57 et 58) et Maslov c. Autriche [GC] (no 1638/03, § 68, CEDH 2008), la Cour a eu l’occasion de résumer les critères devant guider les instances nationales dans les affaires d’expulsion pour motifs d’ordre public, sachant que leur poids respectif varie inévitablement selon les circonstances particulières de chaque affaire :

– la nature et la gravité de l’infraction commise par le requérant ;

– la durée du séjour de l’intéressé dans le pays dont il doit être expulsé ;

– le laps de temps qui s’est écoulé depuis l’infraction, et la conduite du requérant pendant cette période ;

– la nationalité des diverses personnes concernées ;

– la situation familiale du requérant, et notamment, le cas échéant, la durée de son mariage, et d’autres facteurs témoignant de l’effectivité d’une vie familiale au sein d’un couple ;

– la question de savoir si le conjoint avait connaissance de l’infraction à l’époque de la création de la relation familiale ;

– la question de savoir si des enfants sont issus du mariage et, dans ce cas, leur âge ;

– la gravité des difficultés que le conjoint risque de rencontrer dans le pays vers lequel le requérant doit être expulsé ;

– l’intérêt et le bien-être des enfants, en particulier la gravité des difficultés que les enfants du requérant sont susceptibles de rencontrer dans le pays vers lequel l’intéressé doit être expulsé ; et

– la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination.

142. Un autre point important est celui de savoir si la vie familiale en cause s’est développée à une époque où les personnes concernées savaient que la situation au regard des règles d’immigration de l’une d’elles était telle qu’il était clair immédiatement que le maintien de cette vie familiale au sein de l’État hôte revêtirait d’emblée un caractère précaire. Lorsqu’une telle situation se présente, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le renvoi du membre de la famille n’ayant pas la nationalité de l’État hôte emporte violation de l’article 8 de la Convention (Abdulaziz, Cabales et Balkandali, précité, § 68, Rodrigues da Silva et Hoogkamer, précité, § 39, Darren Omoregie et autres c. Norvège, no 265/07, § 57, 31 juillet 2008, Nunez, précité, § 70, Antwi et autres c. Norvège, no 26940/10, § 89, 14 février 2012).

143. Lorsqu’il y a des enfants, la question fondamentale est celle de savoir si ceux-ci sont d’un âge où ils peuvent s’adapter à un environnement différent (voir, parmi d’autres, Darren Omoregie et autres, précité, § 66, Arvelo Aponte c. Pays-Bas, no 28770/05, § 60, 3 novembre 2011).

144. Il ressort au surplus de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’il s’agit de familles avec enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la considération déterminante des autorités nationales dans l’évaluation de la proportionnalité aux fins de la Convention (voir, parmi d’autres, Nunez, précité, § 84, Kanagaratnam c. Belgique, no 15297/09, § 67, 13 décembre 2011, Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, § 109, 19 janvier 2012).

ii. Application des principes généraux au cas d’espèce

145. En ce qui concerne la nature et la gravité des infractions commises par le requérant, la Cour relève que la décision de renvoi du requérant avec interdiction d’entrée en Belgique pendant dix ans est consécutive à plusieurs condamnations pénales pour des faits graves. Le requérant fut condamné une première fois en 1999 à une peine de sept mois d’emprisonnement avec sursis pour faits de vol. Ensuite, en 2001, il fut condamné pour vol avec violences et menaces à une peine de quatorze mois d’emprisonnement avec sursis. Enfin, en 2005, il fut condamné à une peine d’emprisonnement ferme de trois ans pour participation à une organisation criminelle recourant notamment à l’intimidation, à des manœuvres frauduleuses ou à la corruption.

146. La Cour note en outre qu’une partie de ces infractions a été commise alors qu’il avait déjà été diagnostiqué que le requérant était atteint de tuberculose. Ni ce diagnostic ni les condamnations antérieures n’ont empêché le requérant de poursuivre ses agissements criminels. Il y a également lieu de relever le nombre important de délits commis par le requérant sur une période relativement longue (voir, parmi d’autres, Trabelsi c. Allemagne, no 41548/06, § 58, 13 octobre 2011).

147. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les condamnations dont le requérant a fait l’objet pèsent lourd tant du point de vue de leur gravité, de leur nombre que de la nature de la dernière peine infligée. La présente affaire doit dès lors être distinguée des affaires telles que Nunez (précité, §§ 71 et 72) et Udeh c. Suisse (no 12020/09, § 46, 16 avril 2013).

148. S’agissant du laps de temps qui s’est écoulé depuis les infractions et la conduite du requérant pendant cette période, la Cour constate qu’après avoir purgé la peine de trois années d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné en 2005, le requérant est resté en détention sur la base de l’arrêté ministériel de renvoi délivré en août 2007 et n’a été libéré qu’en juillet 2010 peu après l’indication d’une mesure provisoire par la Cour. Le Gouvernement allègue que, depuis sa libération, le requérant se serait rendu coupable de plusieurs actes de vol (voir paragraphe 115, ci-dessus). La Cour observe toutefois que le Gouvernement ne lui a pas fourni la preuve que ces soupçons avaient effectivement abouti à des procédures pénales dirigées contre le requérant (voir, mutatis mutandis, Gezginci c. Suisse, no 16327/05, § 67, 9 décembre 2010). Le requérant soutient, quant à lui, que son état de santé ne lui permet plus de mener une vie normale et qu’il n’est plus en état de commettre les agissements que lui attribue le Gouvernement. Dès lors, compte tenu du fait que ces circonstances plaident à la fois en faveur du requérant et à son détriment, la Cour ne saurait accorder beaucoup d’importance en l’occurrence à la période postérieure aux condamnations du requérant qui ont amené les autorités administratives à lui refuser une autorisation de séjour et à ordonner son éloignement (voir, mutatis mutandis, Trabelsi, précité, § 61).

149. Pour ce qui est de la durée et de la régularité du séjour, la Cour note que le requérant est arrivé en Belgique en 1998 et qu’il y a passé, au moment de l’adoption du présent arrêt, un peu plus de quinze ans. Elle constate qu’à aucun moment, durant ces quinze années, le requérant n’a bénéficié d’un titre de séjour régulier (voir, a contrario, Udeh, précité, § 50). De plus, de novembre 1998, date à laquelle le requérant et son épouse sont arrivés en Belgique, à juillet 2010, date à laquelle l’épouse du requérant et leurs enfants ont obtenu la régularisation de leur séjour, la vie familiale s’est développée alors que le séjour de toute la famille était précaire.

150. La Cour est particulièrement sensible au fait que, malgré les condamnations répétées du requérant, les autorités belges se sont montrées d’une remarquable tolérance à l’égard du requérant et de sa famille. Leur séjour fut toléré et l’éloignement du requérant reporté eu égard à l’accouchement imminent de l’épouse du requérant ainsi qu’aux traitements médicaux nécessités par l’état de santé du requérant et de sa famille. Ensuite, à partir de sa condamnation en 2005, le séjour du requérant en Belgique, déjà précaire, a perdu le peu de fondement qu’il avait eu jusque-là. Le requérant n’a donc raisonnablement pu, à aucun moment, s’attendre à pouvoir développer sa vie familiale en Belgique (voir mutatis mutandis, Solomon c. Pays-Bas (déc.), no 44328/98, 5 septembre 2000).

151. Quant à la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays d’origine et le pays d’accueil, la Cour note que le requérant est né en Géorgie et y a vécu jusqu’à son départ en 1998, à l’âge de quarante ans, pour la Belgique. Il ne mentionne pas de liens sociaux particuliers en Belgique. Par ailleurs, il a passé un nombre d’années en prison ou en centre fermé en vue de son éloignement, ce qui l’a empêché de développer de tels liens. De plus, le requérant indique avoir un frère en Géorgie. Il est également probable que son épouse y dispose d’un réseau social et/ou familial.

152. La Cour n’est pas sans ignorer que l’épouse du requérant et les enfants ont obtenu le droit de séjour illimité en Belgique, qu’ils y ont développé des liens sociaux, que deux des enfants, âgés de presque quatorze et sept ans, sont nés en Belgique, y ont toujours vécu et y sont scolarisés. Toutefois, elle note que l’épouse du requérant et les enfants n’ont obtenu le droit de séjour en Belgique qu’en 2010 et que tous les membres de famille ont la nationalité géorgienne, ce qui distingue la présente espèce notamment des affaires Nunez (précitée, § 42) et Udeh (précitée, § 52) dans lesquelles un des parents et/ou les enfants avaient la nationalité du pays d’accueil.

153. En outre, il n’apparaît pas des circonstances de la cause que les enfants aient des besoins spécifiques ou que leur mère serait incapable de leur apporter les soins et soutien suffisants dans l’hypothèse où ils devaient rester avec elle seule, comme ce fut le cas durant les années de privation de liberté du requérant. Par ailleurs, sachant qu’ils disposent d’un titre de séjour en Belgique et qu’ils peuvent quitter le pays et y revenir en toute régularité, il n’y a pas d’obstacle insurmontable au maintien de contacts réguliers entre les membres de la famille. Enfin, la Cour souligne que ni l’épouse du requérant ni ses enfants ne sont requérants devant elle.

154. La Cour admet toutefois, eu égard au volet médical particulier à la présente espèce, que le seul maintien de contacts réguliers pourrait ne pas suffire à satisfaire « l’intérêt supérieur » des enfants. Le requérant est en effet atteint de plusieurs pathologies graves, dont une leucémie lymphoïde chronique, et, selon ses propres allégations, risque, en tout état de cause, de décéder à court terme s’il était renvoyé en Géorgie où la qualité des soins n’est pas la même qu’en Belgique. Ce contexte particulier pourrait amener l’épouse du requérant et leurs enfants à prendre la décision de quitter temporairement la Belgique pour s’installer pendant un certain temps en Géorgie. Tout en se gardant de sous-estimer les difficultés qu’impliquerait pour la famille une telle décision, la Cour n’y voit pas, eu égard aux facteurs examinés ci-dessus (voir paragraphes 152 et 153, ci-dessus), des circonstances exceptionnelles qui obligeraient les autorités belges à renoncer au renvoi du requérant ou à régulariser son séjour. Elle relève en outre, d’après les données médicales versées au dossier, que les affectations dont souffre le requérant sont pour l’instant stabilisées grâce aux traitements médicaux reçus en Belgique, qu’il n’y a pas de menace imminente pour sa vie et qu’il est capable de voyager (voir paragraphe 120, ci-dessus).

155. Dans ces conditions, eu égard en particulier à la nature et à la gravité des infractions commises par le requérant ainsi qu’au fait que le lien avec son pays d’origine n’est pas rompu, la Cour est d’avis que les autorités belges, en lui refusant la régularisation de son séjour, n’ont pas fait prévaloir de manière disproportionnée l’intérêt public par rapport aux droits du requérant.

156. En conclusion, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR

157. La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande éventuelle de renvoi formulée en application de l’article 43.

158. Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (voir paragraphe 57, ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, à l’unanimité, que l’éloignement du requérant n’emporterait pas violation de l’article 2 ni de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

4. Décide, à l’unanimité, de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, de ne pas éloigner le requérant jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Pejchal.

M.V.

C.W.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE PEJCHAL

(Traduction)

J’adhère sans réserve à la décision de mes collègues de déclarer recevable le grief tiré des articles 2, 3 et 8 de la Convention. Je souscris également pleinement au constat de non-violation des articles 2 et 3 de la Convention auquel ils sont parvenus.

Toutefois, à mon grand regret, je me dois d’exprimer un avis dissident concernant le constat de non-violation de l’article 8 de la Convention. J’ai en effet voté en faveur de la violation de cette disposition.

D’un point de vue factuel, l’espèce ressemble à l’affaire Moustaquim (Moustaquim c. Belgique, 18 février 1991, §§ 46-47, série A no 193). Faisant écho aux conclusions de la Cour dans cette affaire, je suis convaincu qu’en l’espèce, « quant au respect de la vie familiale du requérant, un juste équilibre n’a pas été assuré entre les intérêts en jeu, et il y a donc eu disproportion entre le moyen employé et le but légitime visé ».

Le requérant réside en Belgique depuis plus de quinze ans. Deux de ses trois enfants y sont nés et son troisième enfant y vit depuis l’âge de six ans. L’épouse du requérant et leurs trois enfants ont obtenu une autorisation de séjour illimité en Belgique le 29 juillet 2010.

Le 28 avril 2000, l’épouse du requérant a été condamnée à quatre mois de prison pour vol. Le 18 décembre 2001, le requérant fut condamné pour vol avec violences et menaces à une peine de quatorze mois d’emprisonnement avec sursis. À mon avis, c’était à ce moment-là qu’il fallait ordonner l’expulsion du requérant et de son épouse, et non maintenant que l’intéressé est très gravement malade et que son épouse et leurs trois enfants bénéficient d’une autorisation de séjour illimité en Belgique.

À ce stade, je ne peux que renvoyer à la sage maxime de Celse « Benignius leges interpretandae sunt, quo voluntas earum conservetur ».

Eu égard à ce qui précède, je suis d’avis que la décision d’expulser le requérant n’a pas ménagé un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la société et les impératifs de la protection des droits fondamentaux du requérant. Partant, j’estime qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.


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